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The University of Chicago
Library
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Franz CUMONT
Membre de l'Institut
LVX PERPETVA
PARIS
LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER
12, RUE VAVIN, VI'
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LVX PERPETVA
FRANZ CUMONT
Membre de ITnstitut
1868-1947
FRANZ CUMONT
Membre de l'Institut
LVX PERPETVA
PARIS
LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER
12, RUE VAVIN, Vl»
1949
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FRANZ CUMONT
Membre de l'Institut
1868-1947
Franz CUMONT
Membre de l'Institut
LVX PERPETVA
PARIS
LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER
12, RUE VAVIN, Vr
1949
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AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR
Franî! Cumont s'est éteint près de Bruxelles, à Woluwe-Saint-Pierre, ,d^ns la nuit du
19 au 20 août 1947.
En conformité de ses dernières volontés la publication du présent ouvrage a été
achevée — grâce à l'inlassable dévouement de la Librairie Paul Geuthner et de l'Impri-
merie « La Haute -Loire » — par les soins de la Marquise de Maillé, et de
Louis Canet.
Il avait revu en placards l'ensemble du livre, à l'exception du chapitre VIII et des
Notes com-plémentaires ; en première mise en pages, les cinq premiers chapitres ; en
seconde mise en pages, l'Introduction et le chapitre premier jusqu'à la page 96. Il n'a
connu ni les dernières Noies complémentaires (XIX à XXXV), ni l'index, ni la table
des matières ; mais il avait dressé lui-même la liste des abréviations.
28S3S1
FRANZ CUMONT
1868-I947
Ce serait manquer à la grande mémoire de Franz Cumont que d'enfler
la voix, que de hausser le ton, pour parler de lui. Il suffit de dire, avec la
simplicité qu'il aimait, comment on l'a vu vivre, toujours au travail sans en
avoir jamais l'air, toujours affable, accueillant, discret, les yeux bleus, la
barbe blonde à peine blanchissante, la voix douce, un peu voilée, presque
confidentielle.
Il était belge ( i ) et très attaché à sa patrie, à son empire — car la
Belgique est un empire, — à ses traditions, à sa dynastie ; heureux d'être
.membre de l'Académie royale, fier d'avoir reçu le prix Francqui, qui est
la plus haute récompense que pîiisse, en ce pays, se voir décerner un savant ;
la plus haute après celle, qui ne lui manqua pas, d'être distingué par le
roi Albert et la reine Elizaheth. Ses obsèques furent célébrées à petit bruit,
sans vaines pompes, comme lui-même l'avait voulu : mais elles eurent pourtant
cet éclat que la reine-mère eût délégué, pour l'y représenter, le grand maître
de sa Maison, attestant ainsi le souci qu'elle avait de rendre hommage à
l'un des plus grands érudits que la Belgique ait donnés au monde.
(1) Il était né à Alost le 3 janvier 1868, d'une famille de grande bourgeoisie de tradition
« libérale », en France, nous dirions « radicale ». Il fit ses études secondaires à l'athénée
(nous dirions : au lycée) de Bruxelles, de 1878 à 1884, et ses études supérieures à l'Université
de Gand — Charles Michel y fut son maître — oiî il obtint en 1887 le doctorat en philosophie-
lettres. Il fréquenta ensuite les Universités de Bonn, — où ilfut l'élève d'Usener, — de Berlin
et de Vienne. Il suivit aussi les cours de Mommsen, probablement ceux de Wilamowitz. Et il
connut Erwin Rohde. Après des séjours à Athènes (hiver de 1890) et à Rome (1891), il passa
à Paris une partie de l'année scolaire 1891-1892 et se fit inscrire à l'Ecole des Hautes-Etudes.
Il revint enfin à l'Université de Gand où il avait été nommé chargé de cours le 10 janvier 1892.
Il y en-seigna jusqu'en 1910, où il se retira. Il se démit aussi en 1912 de la charge de conser-
vateur du Musée au Cinquantenaire qu'il occupait depuis 1898. Et il quitta la Belgique pour
aller s'installer à Rome.
— VIII —
A quel point il était belge, nul ne l'ignorait de ceux qui avaient entendu
la conférence qu'il fit, dans les dernières semaines de l'année IÇ14, au palais
Rusticucci ( I ) . La Belgique était sous le joug parce que le gouvernement de
son roi, sommé le 2 août de livrer passage aux troupes allemandes, avait
répondu — ouvrant ainsi une ère nouvelle dans l'histoire de la morale inter-
nationale — qu'il ne croyait pas qu'im peuple, quelque faible qu'il fût, pût
« méconnaître son devoir et sacrifier son honneur en s'inclinant devant la
force » (2). Franz Cumont comprenait cela. Et comme il n'était ni d'âge ni
kle force à porter les armes, il voulut au moins, en racontant comment la
Belgique, au temps de César, était devenue romaine, faire le procès des
méthodes de colonisation qui venaient d'éveiller la guerre.
« Après la conquête de la Gaule, dit-il, — et c'est tout le sens de son intervention, —
Rome n'a pas introduit par la force ses usages, sa langue (3) et ses croyances chez
les peuples soumis à sa domination. Elle ne leur a pas imposé une hiérarchie d'innom-
brables fonctionnaires, infligé une administration tracassière et ime étroite surveil;
lance policière. Elle gouvernait de haut et de loin, et la tyrannie du pouvoir central,
le despotisme de l'Etat, l'interventionnisme des bureaux ont été moindres durant les
premiers siècles de l'Empire que chez la plupart des nations modernes...
« La romanisation n'a donc pas été le résultat d'un programme politique nettement
arrêté, dont la monarchie aurait confié l'exécution à ses agents. Elle n'a pas été réa-
lisée par les moyens que l'Allemagne employait pour germaniser l'Alsace et le duché
de Posen, ou le gouvernement de Saint-Pétersbourg pour russifier la Pologne et la
Finlande. Légats et procurateurs agirent plutôt par la persuasion que par la contrainte.
Néanmoins l'action de l'Etat fut très puissante et très efficace grâce à l'adoption de
certaines mesures d'ordre général qui furent prises dès l'annexion » (p. 11).
Cette sage et habile politique hti inspirait après tant de siècles une
profonde reconnaissance. Il espérait que les effets n'en étaient point perdus
pour toujours : « l'âme d'un peuple et ses facultés natives, la fécondité
(1) A l'Institut historique belge de Rome. La substance, et peut-être le texte même, s'en
retrouvent dans un discours prononcé à l'Institut le 25 octobre 1915 au nom de l'Académie des
Inscriptions. De cette conférence et d'une autre qui l'avait précédée en 1913 à la Société royale
d'Archéologie de Bruxelles est sorti le volume. Comment la Belgique fut romanisée, 123 pp. in-4°,
dont nous citons ici la seconde édition, Bruxelles, 1919.
(2) Réponse à la déclaration de guerre du gouvernement austro-hongrois, 29 août 1914, Livre
gris, pièce 78.
(3) Sur la diffusion de la langue latine, le. p. 89 ; sur la marque laissée par le latin sur
le flamand, mots relatifs à l'architecture, p. 40, note 5; à la cuisine et à la table, p. 56, note 1 ;
aux fruits et plantes potagères, aux animaux domestiques, aux instruments aratoires, aux pro-
duits du midi, p. 63, note 6. — Sur l'ampleur de ce phénomène et son importance dans la
constitution de l'ancienne Europe, celle qu'on appelait chrétienté, Meillet, Les langues dans l'Eu-
rope nouvelle, Paris, 1928, p. 264, et Esquisse d'une histoire de la langue latine, Paris, 1928,
pp. 279 ss. Cf. aussi Fr. Cumont, Pourquoi le latin fut la seule langue liturgique de l'Occi-
dent, dans Mélanges Paul Predericq, Bruxelles, 1904.
— IX —
inépuisable de son sol, la puissance tenace de ses traditions survivent à tous
les désastres matériels. Les semences fécondes que Rome avait jetées sur une
terre presque vierge n'y devaient pas périr quand elle l'abandonna. Elles y
germèrent obscurément pour produire quelques siècles plus tard des fleurs
immortelles » {jp. loç). Et c'est pourquoi il se plaisait à voir dans le groupe
qui couronne les « colonnes au géant » ( i ) un monstre écrasé par un héros
romain, « la barbarie germanique vaincue par l'empereur » (;). 104).
« Le nombre de ces monuments votifs, expression de la reconnaissance des popula-
tions pour la sécurité que leur assuraient les empereurs, est une manifestation écla-
tante de leur esprit de loyalisme et de leurs sentiments de dévotion, envers les sou-
verains qui incarnaient pour elles l'idée de patrie. Rome leur avait donné la paix,
le premier des biens. EUe avait mis fin à leurs luttes intestines et aux ravages des
hordes germaniques... Elles étaient devenues les cellules vivantes d'un grand orga-
nisme qui se renouvelait par des échanges perpétuels. En même temps elles avaient
connu des lois plus parfaites, obtenu une justice plus sûre, acquis des mœurs plus
policées, et participé à une haute culture littéraire et artistique. Il n'est pas surpre-
nant que, grâce à tant de bienfaits reçus, nos ancêtres se soient attachés à l'Empire
et aux princes, et qu'ils aient multiplié les preuves de leur dévouement envers eux.
Aucune violence ne les avait contraints d'abandonner leurs coutumes, leurs croyances
ou leurs langues. Rome avait compté uniquement, pour les transformer, sur le rayon-
nement de sa civilisation — la conscience de sa supériorité lui permettait un tel
orgueil, — et le consentement des peuples lui accorda cette conquête morale, cette sou-
mission des volontés et cette conciliation des coeurs que n'aurait obtenues aucun asser-
vissement » (2). |.; ! : : j :
Cet éloge de l'ancienne Rome était, sans qu aucune comparaison fût seule-
ment esquissée, une sanglante leçon pour V Allemagne et ses séides, une
Allemagne qu'il avait pourtant aimée de l'amour même qu'il nourrissait à
l'égard de la science, dont il avait fréquenté les Universités, où il était traité
de pair à compagnon par les plus illustres maîtres.
Ma's avant même cette cruelle expérience, s'il avait après la Belgique une
autre patrie, ce n'était pas V Allemagne : c'était la France, et presque autant
que la France, Rome, 7nère du monde occidental (3). C'est à Rome qu'il
(1) Fragments de « colonnes au géant » découverts en Belgique, dans Compte-rendu du Con-
grès de la Fédération archéologique et historique de Belgique, XXIe session, Liège, 1909 ; Frag-
ment d'une « colonne au géant » trouvé à Pirton dans Annales de la Société d'Archéologie de
Bruxelles, t. XXIV, 1910, Bruxelles, 1911.
(2) A rapprocher de ce que dit Kipling dans Puck, lutin de la colline, Paris, 1933, p. 150,
Un centurion de la trentième, et p. 180, Sur la Grande Muraille.
(3) Cf. infra, p. XXIX, et encore, Message à VAcademia Belgica de Rome (mai 1947) : « Si
I nous jetons les regards autour de nous dans cette vallée Giulia, nous ne pouvons qu'être frap-
pés de la floraison d'Ecoles appartenant à des nations à d'autres égards si disparates, mais
vouées à une tâche commune, celle de scruter le passé de cette Rome où tous reconnaissent une
mère spirituelle >,
— X —
avait, en içi2, après avoir résigné toutes ses charges, transféré son "doviicile,
entre l'Institut historique belge, future Academia Belgica, qu'il couvait de sa
sollicitude, et l'Ecole française de Rome qui le considérait à la fois comme
un membre d'honneur, et, si grande que fût la gloire de Duchesne, comme
le plus qualifié des guides en matière d'archéologie et de science de l'antiquité,
"Alors, libre de tout enseignement, de toute obligation, de toute contrainte,
il se trouva en situation de s'adonner à ses travaux de prédilection, et de
devenir, canme autrefois Juste Lipse, un prince de la Science.
Pourtant, s'il avait fixé son domicile à Rome, il n'y était point captif.
Il passait chaque année plusieurs mois à Paris où l'attiraient à la fois de
chères amitiés, de riches bibliothèques , et les séances de V Académie des Ins-
criptions dont il était, depuis ZÇ13, en tant qu'associé étranger, l'un des
mem.br es les plus assidus.
lit encore n'était-ce point assez : ni la Belgique, ni la France, ni Rome
ne pouvaient suffire à l'enclore ( i ) . Ses voyages l'avaient conduit dans
presque toute l'Europe, au Pont-Euxin, en Orient (2), aux Etats-Unis. Il
était en relations amicales avec tout le monde savant (3). A vrai dire, plus
il était attaché à ses trois patries, plus il se sentait, plus il était citoyen du
(1) Il aimait les voyages, et attachait du prix aux premières impressions. L'esprit, disait-il,
est comme une plaque photographique : il se voile quand il est surexposé ; « c'est lorsque
tout ce qui l'entoure est encore neuf que le voyageur est sensible à tout, et que les idées éclo-
sent ». (£e-9 grandes Universités américaines àzxis Rev. de l'instruction "publique en Belgique, 1912,
p. 196). — Ces voyages eurent souvent pour objet des séries de conférences : Paris (1905) çt
Oxford (1906), d'où, en 1907, Les Religions orientales dans le -paganisme romain ; Upsal (1911);
Etats-Unis (1911-1912), d'où Astrology and Religion among the Greeks and Romans, ,XXVII-208 pp.
in-12 : New- York et Londres (1912) ; Etats-Unis (1922), d'où en 1923 Afterlife in Roman Paga-
nism, qui deviendra Lux perpétua. Ils pouvaient n'être aussi que des voyages d'information :
Tripoli d'Afrique, en mai 192S (Z,es fouilles de Tripolitaine dans Bull, de la classe des Lettres
etc. de l'Académie royale de Belgique, 8 juin 192S, pp. 285-300).
(2) Voyage d'exploration dans le Pont et la petite Arménie, du 4 avril au 21 juin 1900, avec
son frère Eugène. De ce voyage sortirent les Studia Pontica, tomes II et III, Bruxelles 1906 et
1910. — Voyage dans la Syrie du nord, au printemps de 1907, d'où les Etudes Syriennes (1917).
Missions archéologiques à Salihîyeh en octobre-novembre 1922 et 1923, origine de l'ouvrage
Fouilles de Doura Europos^ 2 vol. in-é", Paris 1926. Il y fit une nouvelle visite en 1928, et une
dernière en 1934 ; d'où, en collaboration avec son ami Rostovtzeff, une étude intitulée The
Mithraeum (celui de Doura-Europos) dans Excavations at Dura-Europos, Report of seventh and
eighth Seasons, Yale University Press, 1939.
(3) La correspondance de Fr. Cumont est considérable et mérite d'être conservée. Déjà les
lettres qu'il avait écrites à Alfred Loisy et celles qu'il avait reçues de lui ont été déposées au
département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, où elles seront accessibles au public
à partir du 1" janvier 1961. Il est à souhaiter que ce cas ne demeure pas isolé.
— XI —
monde. Et maintenant qu'il n'est plus, l'on ne voit personne à qui s'applique
plus naturellement la sentence fameuse énoncée par Thucydide dans son
oraison funèbre pour les morts de la guerre du Péloponnèse : àvSpcuv y^p
èuiçavôiv Ttacra yy] Tocipoç" xai oO crT;-/]Àa)v ^^.o-^iu^ èv ':?] otxEicf. cry]p.aîv£i
èittYpaipiQ, àXXà Tjxal iv ty] [rrj Ttpoo-rixouCT-o ccypaçoç H-'^"^[^'^ '^'^p èxàuiq,
TV]? YVa)[jiV)Ç fJt,a);Xov V] toO epyou £vStaiTai;ai. Car ^'^7 repose au cimetière
'd\Ixellec, selon sa volonté, entre son père et sa mère, c'\est partout où il a
passé, où il a été lu, où son souvenir est conservé^ n'en subsistât-il aucune
trace matérielle, que sa mémoire demeure.
Citoyen du monde avons-nous dit, entendez : membre de la République
des lettres • — on disait autrefois, et l'on peut, après Péguy, redire : la
Chrétienté — expression de ce qui, en dehors et au-dessus des Etats, tend
à se constituer en société des esprits, non par une organisation extérieure,
administrative et policière, qui serait nécessairement vaine parce qu'elle ne
pourrait que chercher à brider, réprim,er et contraindre la souveraine liberté
de l'esprit, mais grâce aux liens d'amitié qui se nouent spontanément entre
ceux qui, animés d'un même désintéressement , participent à la même culture,
et collaborent librement à édifier par leurs libres initiatives et leurs communs
efforts, le grand œuvre du progrès spirituel de l'humanité, que les intérêts,
les compétitions , les idéologies politiques , économiques et sociales travaillent
à refouler et à détruire. De cela il s'est expliqué très clairement dans son
discours inaugural (i6 septembre IQ35) au VI^ Congrès international de
l'histoire des religions, à Bruxelles ( i ) .
« Il y en a qui s'érigent en panégyristes de la violence et vantent les bienfaits de
l'action brutale, seule créatrice de sociétés nouvelles ; ils cherchent dans la contrainte
physique un remède immédiat au dérèglement dont nous souffrons. Mais quelles créa-
tions furent plus puissantes et plus durables que celles de ces forces spirituelles qui
ont métamorphosé des peuples et renversé des empires, comme l'effort invisible du vent
fait ployer et déracine les forêts ? Aux Etats totalitaires qui prétendent soumettre à
leur domination non seulement les actes, mais les sentiments des individus, l'expé-
rience religieuse enseigne comment les convictions intimes, poursuivies dans leurs mani-
festations extérieures, trouvent dans notre for intérieur un asile inviolable.
« En ces temps où s'exaspèrent tous les nationalismes, l'évolution religieuse nous montre
comment la communauté des croyances, après avoir été celles de tribus et de clans,
devint celle de cités et de nations, et aspira enfin à devenir universelle, créant entre
des populations lointaines et hétérogènes des liens plus puissants que ceux du voisi-
nage ou du sang. Si la science des religions a réussi aujourd'hui même à grouper ici
une réunion harmonieuse de représentants de tant de nations, c'est que nous croyons
tous à cette universalité du royaume de l'esprit, c'est que nous sentons la valeur
(1) Le Flambeau, septembre 1935, pp.. 293-294,
— XII —
éminente d'une histoire si féconde en enseignements, qui n'est point destinée à satis-
faire une curiosité oiseuse, mais à maintenir et fortifier la rectitude de notre jugement
sur le passé de l'humanité et sa mission future ».
Telle était la pensée profonde qui guidait sa vie scientifique. Non qu'il
se crût une mission ni qu'il prît des airs de prophète. Personne ne fut jamais
moins dogmatique, moins entaché de pédanterie, moins engoncé dans sa
science. Autant que savant, il était gentilhomme, sans que ces deux
qualités se nuisissent jamais l'une à l'autre. Que ce fût à Paris ou â Rome,
on le voyait chaque jour dans les milieux les plus divers, toujours prêt à
converser, sans jamais le prendre sur le ton doctoral ni se jucher sur le
trépied,
La politique internationale lui inspirait un intérêt passionné, préoccupé qu'il
était de l'avenir de la civilisation qu'il sentait branler sur sa base. Grâce au
no7nbre élevé de ses relations en tous pays, il était souvent, presque toujours
bien informJ. On pourrait dire : toujours, s'il n'avait eu tendance, en cette
seule matière, à solliciter un peu les faits qui flattaient son optimisme. Il savait
aussi, en bon critique, interpréter les signes : en içiS, trois semaines au moins
avant que l'Italie se décidât à entrer en guerre, il dit en confidence à l'un de
ses amis : « C'est fait. Ils partent. — Qu'en savez-vous ? — Le roi vient de se
comm-ander une pelisse. C'est pour aller au front ». Et il pensait par surcroît
que la considération de l'histoire peut, mieux que les spéculations idéologiques
a priori, aider à comprendre le présent et à préparer l'avenir. Il loue ce mérite
chez son ami Rostovtzeff, A history of the ancient world (i). Mais est-ce. bien
à la seule Grèce qu'il songeait en écrivant (le. p. 30c) : «Ha su mettre
en relief cette prééminence intellectuelle qui fit la grandeur de ce peuple pri-
vilégié, sans dissimuler ces défauts moraux qui amenèrent sa décadence : son
incapacité à maintenir la stabilité de l'Etat, son impuissance à créer une forme
de gouvernemejtt qui pût concilier l'individualisme incoercible de la race avec
la discipline civique, et subordonner les égoïs?nes particuliers à l'intérêt géné-
ral. Athènes, qui nous offre le premier exemple d'un impérialisme démocra-
tique, s'est montrée inapte à le faire prévaloir » ?
A tout travailleur il était accueillant et serviable. Il traitait le moindre étu-
diant d'égal à égal. Et lorsqu'il rendait service, il semblait être l'obligé. Avait-
on, grâce à ses bons offices, fait quelque menue découverte, il vous en laissait
(1) Deux volumes, Oxford, 1926-1927. Compte-rendu dans le Journal des Savants, « Une nou-
velle histoire du monde antique » août-octobre 1928.
— XIÎI —
le mérite et s'ingéniait à le mettre en valeur. Commettait-on à son égard une
incorrection, co77i7ne de faire une communication sur un chantier de /ouilles
où il avait eu la complaisance de vous conduire, il ne semblait pas s'en aper-
cevoir et n'en tenait point rigueur. La science, en tant qu'elle était sienne,
devait être à la disposition de tous, et il n'avait souci que de la faire pro-
gresser ( I ) . Mais il ne cherchait jamais à imposer ni ses idées, ni ses métho-
des, encore moins ses directives. Il portait son témoignage, et l'interlocuteur
était libre de s'en servir ou de le rejeter.
C'est par cette voie libérale que s'exerçait son influence. Plus habile en
cela que de plus dogmatiques, qui considèrent qu'après qu'ils ont trouvé, il ne
reste rien à chercher que dans le cadre qu'ils ont tracé, il savait, non pas en
?nots, mais pour de bon, que la vraie science est invention perpétuelle, et quê-
tes progrès s'en font par la découverte, qui résulte le plus souvent de la ren-
contre, parfois fortuite, de plusieurs disciplines qui s'étaient exercées jusque-là
à l'écart les unes des autres.
Un jour, au printemps de iç^J, à propos d' Alfred Foucher et de Paul
(1) Dès le mois de mai 1917 il écrivait dans la préface de ses Etudes syriennes, p. X :
« car dans la grande crise qui ébranle le monde, partout des hommes d'étude que leur âge ou
leur infirmité retenaient loin des batailles, semblent avoir éprouvé le souci de ne pas laisser
interrompre la continuité de la production scientifique, comme si redoutant l'atteinte profonde
que le sacrifice des jeunes générations devait porter au savoir humain /peut-être songe-t-il ici à
la perte immense que causa la 7nort de Robert GauthiotJ, ils cherchaient, dans la faible mesure
de leurs forces, à la rendre moins désastreuse ». Symbolisme funéraire des Rotnains, préface (l'^r
août 1941), p. I : « sans doute les érudits ont-ils le devoir d'empêcher, dans la mesure de leurs
moyens, la vie intellectuelle de s'éteindre, comme d'autres s'efforcent de ranimer l'activité éco-
nomique ». — Il ne se laissait point entraîner par amour-propre à se dérober, par crainte de
l'erreur, devant une publication qui courait le risque d'être imparfaite. Fouilles de Doura-Euro-
pos, p. VII : « Ceux-là seuls qui se renferment dans une étroite spécialité peuvent se flatter de
la connaître parfaitement. Si certaines pages de ce livre leur semblent défectueuses, je suis
résigné à subir leurs critiques. Il vaut mieux s'y exposer que de ressembler au dragon de la
fable dans l'antre où il garde jalousement un trésor stérile. L'essentiel est de mettre à la dis-
position commune des travailleurs les matériaux qu'ils feront entrer dans leurs constructions
futures ». Et encore, Commémoration du Père Scheil dans Rendiconti délia Pont. Ace. rom. di
Archeologia 1940-1941, p. I du tirage à part : « D'autres... se contentent de la joie intérieure
que leur cause chaque jour la poursuite de la vérité » ; p. 7 : « Il préférait offrir aux
savants ces primeurs plutôt que de consacrer ses soins à effacer les taches de son œuvre. Ubi
plura nitent, non ego paucis offendar maculis. Il laissait aux critiques, non sans quelque dédain,
la tâche de ratisser son jardin. Certains érudits gardent par devers eux durant des années les
Inédits sur lesquels ils croient avoir un droit de propriété, et ils finissent quelquefois par dispa-
raître sans les avoir communiqués à personne. Le souci de la perfection dont ils se targuent
n'est souvent que le voile d'une pusillanimité qui appréhende les bévues dont souffrirait une répu-
tation mal assise ».
— XIV —
Pelliot, quelqu'un lui dit comment il se représentait l'ensemble de son oeuvre
et la place qu'elle tiendrait dans l'histoire des religions. Il en eut l'air surpris
et dem-eura d'abord interloqîié. Puis son visage se détendit, comme en signe
d! acquiescement, et il prit l'air modeste et recueilli d'une chatte à qui l'on
fait compliment de sa nichée. Mais il ne dit ni oui ni non. Et tout se passa
comme si, devant la révélation inattendue de son propre personftage, il s'appa-
raissait à lui-même dans un jour nouveau auquel il n'avait pas songé. Et il
se tut, comme s'il pensait que, s'agissant du fond de lui-même et de la place
qu'il aurait tenue en ce monde, ce n'était pas à lui qu'il appartenait d'en juger.
Cela, aurait-il dit lui-même après Homère (i)^ était sur les genoux des
dieux. Ce qu'il en adviendrait, c'était affaire à l'avenir. Car quelle que fût
sa gloire, encore n'est-il pas certain qu'il ait toujours été apprécié à sa juste
valeur. Il lui manquait aux yeux de certains — mais c'est justement-là ce qui
fait son mérite ■ — d' appartenir à une école, de s'être conformé à la scolas-
tique d'une école, de prétendre tout faire entrer dans la dogmatique d'une
école, bref de travailler moisis pour la vérité que pour l'intérêt d'une école.
Or il était, st il voulait très délibérément n'être qu'un simple savant. Et il se
gardait coinme du feu de se laisser inféoder à aucun clan.
Il s'efforçait toujours de remonter aux sources, et il était docile aux faits
tels que les présentent les documents, fondant sur eux des hypothèses aux-
quelles il renonçait de bonne grâce si la suite de l'enquête ne les confirmait
pas (2), mais qu'il était plutôt aviené à modifier et à nuancer : parfait
exemple, dans l'ordre humain, de la méthode à laquelle se référait, dans
l'ordre mathématique, La science et l'hypothèse d'Henri Poincaré.
A cette discipline il fut obstinément fidèle. Au point que, pour vaste que
fût son information, et si libéral son esprit, il n'invoque jamais les auteurs
dont, quand même ce sont des érudits considérables , le témoignage lui paraît
suspect d'être faussé par un préjugé d'école (3).
(1) înjra, p. XXVI.
(2) Religions orientales dans le paganisme romain, préface (juillet 1906) de la premiète éd.,
p. IX de la quatrième (Paris, 1929) : « Les jugements préconçus sont toujours l'obstacle le
plus sérieux qui s'oppose à une connaissance exacte du passé » ; Symbolisme, p. Il : « En
appliquant, sans théories préconçues ni imaginations arbitraires, une mçthode qui se fonde sur
le témoignage des Anciens eux-mêmes... ».
(3) On ne saurait le mieux dépeindre qu'en lui empruntant, pour le lui appliquer, ce que lui-
même a dit de Joseph Bidez, dans l'Antiquité classique, t. XIII, 1944, p. 9 du tirage à part :
« Il joignait à l'érudition la plus consciencieuse, qui passait au crible tous les matériaux qu'elle
utilisait et en vérifiait le poids et la génuinité, un esprit de synthèse qui, enchaînant et combinant
ingénieusement les faits particuliers, en dégageait les conclusions générales et les directions maî-
— XV —
Il dirigeait la publication du catalogue des manuscrits astrologiques, dont
il avait Itd-mêftie établi le tome VIII ^^ première partie des Parisini (i). Et
de cet indigeste fatras, où se révèle pourtant deci delà quelque précieuse
relique, il avait tiré en IQ37 la maiière d'un livre charmant sur la fin de
l'Egypte ancienne : L'Egypte des Astrologues.
Mais c'est moins de l'Egypte qu'il était préoccupé, même quand il traitait
de l'Egypte, que des rapports entre le monde gréco-romain et les civilisa-
tions du proche et du moyen Orient. Ses recherches sur Mithra eurent vite
fait de lui tracer sa direction et d'orienter sa course vers ce qui aura sans
doute été dans l'histoire des religions une découverte capitale : la civilisation
chaldéo-mazdéenne des Maguséens ou Mages occidentaux, syncrétisme irano-
sémitique qui devait faire sentir à plusieurs reprises son action, d'abord dans
le monde juif (2), puis dans le monde hellénique (3) et parmi les peuples
tresses. A la probité scrupuleuse de la science répondait la rectitude de son caractère et la
droiture de sa conduite. Ce même amour passionné de la vérité, qui le gardait contre les
hypothèses aventureuses et les généralisations hâtives, le rendait sévère pour tous les char-
latanismes. Il condamnait sans rémission les auteurs de systèmes fantaisistes appuyés par des
suggestions hasardeuses, alors que sa douceur et sa modestie naturelles lui inspiraient en géné-
ral une bienveillance qui s'enveloppait des formes d'une courtoisie d'im autre âge. Son déta-
chement de tout intérêt personnel le rendait libéral de son savoir, et il se montrait si ser-
viable qu'on hésitait à faire appel à son obligeance, sachant qu'il n'épargnerait aucune peine
pour éclairer celui qui recourait à lui... Dans un monde envahi par le mercantilisme et l'esprit
de lucre il se plaisait à faire valoir la noblesse de la recherche désintéressée du vrai. Si
l'Europe au point de vue matériel a été appauvrie et amoindrie par une guerre dévastatrice,
elle garde une richesse spirituelle qui lui confère toujours une supériorité : c'est sa vieille
culture. En approfondissant' notre connaissance de l'hellénisme, source de notre civilisation occi-
dentale, en défendant un humanisme élargi contre ceux qui prêchent l'abandon d'une tradition
qu'ils jugent périmée, Bidez avait conscience de défendre un des biens les plus précieux de
notre patrimoine intellectuel et moral ». Restent à trouver des oreilles qui denieurent ouvertes
à ces sortes de propos. Car il n'est pas exclu que la « technique » ait réalisé son ambition,
qui est de tuer l'humanisme afin de régner en maîtresse dans un monde objectivé.
(1) Catalogus codictim astrologorum graecorum, VIII \ Bruxelles, 1929. — Il a aussi, après
la mort de Boudreaux, achevé la publication du tome VIII ^, suite des Parisini. Enfin il a
collaboré de près aux tomes I, Plorentini ; II, Venetiani 5 IV, Italici ; V \ Romani. On veut
espérer que l'œuvre ne demeurera pas' inachevée.
(2) A partir du milieu du vi^ s. rédaction de P (= Code sacerdotal), par ex. Gn. 1 ; d'/s.
140-55 ; de Job ; des cinq Megilloth ; du milieu du me s. la partie araméenne de Dan. (réd.
définitive en 165-164). Relèveraient de l'influence chaldéo-iranienne ce qui a trait à Satan, à
l'eschatologie et à la résurrection, la description du paradis terrestre, de la cour divine ; les
récits relatifs au premier homme, à Hénoch, à la chute des anges, à Ahikar, Tobie, Judith,
Esther, au martyre d'Isaïe. Cf. Hôlscher, Die Propheten (1914) et Gesch. der israelit. und jûd.
Religion (1922) dans Loisy. Rel. d'Israël^, pp. 40, 267, note 2, 268, 289. — Voir aussi Mages
hellén. I, pp. 41 ss.
(3) Pythagore et le Pythagorisme : infra, pp. 145 et 410 ; Mages hellén. I, p. 33 ; Sym-
— XVl —
du prôûkë OHmt{i) ; dans le monde fûmain (2) oà, tout ^n eomrêcarfunt
Vàvènement du ckfhiiàHiime, il lui ouvtit pourtant la 'voie ; enfin dans l'Eu-
rope médiévale par les PauUcienS et lés Cûthares, lointains héritiers dé Mâni (3).
Tûui ùelâ tient dans ëe mot de Nûnnos, qu'il a lui-même relevé dans son
étude sur la Fin du monde selon les Mages occidentaux (4) : MiOpY]ç, 'Affati-
pibç $aiOùJV àvl nEptfiûi (5) Mithra, Un Phaéton assyrien en Perso, ^formule
(fUi dans sa cûnôisiùH, dit-il, exprime d'une manière frappante la, combinaison
des trois éléments, le grec, le chaldéen et l'iranien, qu'offrait la légende
mithriàque 1> (6). Tout V oeuvre de Cùm^nt aura consisté --^ mais ce n'est pas
peu dire --^ à comprendre èi à décrire le développement de cette triple combi-^
nais on, et l'énofme influence qu'elle devait exercer dans le monde européen.
C'était le temps où M. Alfred Foucher découvrait la civilisation gréco-^
bouddhique (7), où les trai)au(& de Paul PelUot, Sylvain Lévi et Robert Gau-
thiot, après ceux de sir Aurel Stein et de von Le Coq, reconnaissaient et défi-
nissaient le système dès relations entré l'Iran, l'Asie centrale et le monde chinois,
phénomène très voisin de celui que Cumont commençait de montrer qui s'était
produit aux Confins de là PèfSe et de la Mésùpotamie : le parallélisme est tel
qu'il y a lieu d'y insister (8).
bolisme, pp. 276, 377, note 6. '— Platon : infra^ p. 312 ; Relig. or. * p. 138 ; Mages Ael"
Un. I, pp. 12 ss.; J. Bidez, Ëôs.
(1) Relig, or.S p' 136.
(2) Mystères de Mithra^ (1913) ; Relig. or> *, p» 138 ; Symbolisme, p. 374j note 5.
(3) Sur les origines de la pensée de Mâni t Recherches sur le Manichéisme, I (1908), p. 51,
le bouddhisme excepté, dont l'action ne s'est exercée qi^e tardivement sur le taanichéisme de la
Chine et du Turkestan (Mûlleir, Bruchstûcke aus Turf an, p. 63, corrigé par -ce qui est dit iafra,
p. XIX, n. 4). ^-^ Sur la relation des Pauliciens et des Cathares à Mâni, cf. A -propos des Ecri"
tures manichéennes [le. infra,^ p. XXI, n. 4] p. 11 du tirage à part, qui renvoie à Jean Gui^
raud, Cartulaire de N. D. de Prouille, Paris, 1907, t. I, p. CCXXII; — Cf. aussi Mâni et les
origines de la miniature persane dans Revue Archéol.^ 1913.
(4) Rev. d'Hist. des Rel. janvier-juin 1931, p. 36.
(5) Nonnos de Panopolis, Dionysiacà, 21, 247> éd. Kôchly dahs M.M.M. fasc. I, p. 25 ; et
en outre Nonnos 40, 399 >. efts Sàpaitti; l'ipuç, AtyuTrtioç àvé^sTiOç Zeiiç, / el Kpovoç, eî *œé6o)v
TtoXutivufJLOi;, eïtE (jÙ Mi'ÔpT); / 'HéXio; BaêoXwvoç èv 'EXXâoi AsXipoi; 'j^TtdXXwv.i,
(6) Rajpprôcher ce qu'à propos de Bidex, Ic.^sUpra^ p. XIV, n. 3] Pr. Cumont dit des Mages
hellénisés : « *.. ces Maguséens d'Asie Mineure et de Mésopotamie dont le synCfètisme cûtft»
bine le vieux mazdéisme iranien d'abord avec l'astrùlogié babylonienne, plus tard avec lès spé-
culations dés théologienè helléniques ». Et déjà sur Mâni et les mystères de Mithra (Recherches j
sur le manichéisme^ I, p. 72) : ^ Comme ceux-ci, les Mages perses établis en Babylônie
avaient admis, à côté des antiques ttaditions du zoroastrisme, des croyances indigènes qui
remontaient en partie jusqu'aux anciens Chaldéens » j et aussi sur la source maguséenne du
Mithraïsme, Rapport sur une mission à Rome dans C. R. de l'Acad. des Inser., 1946, p. 418.
(7) Alfiréd Pouchet, L'art grêco-bàttddhiquë du Gmdhara, Paris., 1905-1923»
(8) On a utilisé pour ce qui suit, d'après le tirage à part, l'exposé fait par Pelliot lui-
— XYII —
Im route commerciale gui unit l'Asie mineure à l'extrême Orient passe par
le Turkestan chinois. Mais les relations sont antérieures à l'établissement des
Turcs dans le Turkestan. Elles sont l'œuvre d'une population plus ancienne^
Sogdiens et Bactriens qui, subjugués plus tard par les nomades Ta Yue-tche,
conservèrent assez 'd'ascendant pour iraniser leurs vainqueurs, Graecia capta
ferum... Ceux-ci finirent par créer une civilisation nouvelle {p. f) : «Ils
s'hellénisèrent, ils s'iranisèrent, enfin et surtout ils s' hindouisèrent. A l'Iran ils
prirent quelque peu de son protocole et de sa mythologie ; à la Grèce ses
formules artistiques ; à l'Inde le bouddhisme. Peu à peu, vers le début de
notre ère, religion bouddhique et art bouddhique hellénisé, empruntant la
grande voie commerciale du Turkestan, se répandent vers la Chine... » Ces
échanges se faisaient grâce à une langue de culture qui était généralement ( i )
iranienne, soit sogdien, soit iranien oriental ( = langue II de Leumann) . C'est
par là que les caractéristiques d'Ahoura Mazda et de son Paradis se trans-
mirent à Amitâbha, dieu bouddhique de la Lumière infinie ; par là que les
Mongols lamaîstes reçurent pour Brah?na et Indra les deux noms qu'ils leur
donnent encore aujourd'hui d'Azrua ( = Zervan) et d'Ormuzd ; par là enfin
que s'introduisit jusqu'en Annam une religion du « Vénérable de la Lumière »
que proscrit le code annamite sous des sanctions que devraient lui appliquer
si elle existait encore, — ■ 7nais elle n'existe plus (2) — les tribunaux français
du lieu.
C'est un phénomène du même ordre qui se produisit à la frontière commune
du sémitisme babylonien et de l'aryanisme iranien. Franz Cumont, s'en est
expliqué à plusieurs reprises, notamment, avec toute la clarté souhaitable, dans
même dans sa leçon d'ouverture au Collège de France, le 4 décembre 1911 {Rev. d'Hist. et
Litt. rel., 1912, pp. 97-119), et A. Meillet, Les nouvelles langues indo-européennes trouvées
en Asie centrale, dans Revue du Mois, 10 août 1912, pp. 135 à 152 ; A. MeiÙet et M. Cohen,
Les langues du monde, Paris, 1924.
(1) « généralement », parce qu'il y a une exception : Le tokharien (= langue I de Leu-
mann), qui a été étudié après F. W. K. MûUer par Sylvain Lévi et Antoine Meillet, n'est
ni iranien, ni indien : c'est ime langue indo-européenne qui pour le moment, comme rarmé"
nien, demeure isolée. — Cf. sur le tokharien iB, Journal Asiat. 1913, pp. 311 ss.
(2) Survivances analogues dans «ne formule d'abjuration imposée aux manichéens, cf. Une
formule grecque de renonciation au judaïsme (Bormannheft der Wiener Studien, XXIV, 2,
p. 3 du tirage à part. — De langue iranienne étaient aussi les Mazdéens, cela va sans dire,
et les Manichéens, ainsi que, pour une part au moins, les chrétiens nestoriens qui ont laissé
des souvenirs en Chine (stèle de Si-ngan-fou, datée de 781), les juifs dont les descendants
demeurent encore à K'ai-fong-fou du Honan, et enfin Içs premiers musulmans qui importèrent
leur religion en Asie centrale et en Chine,
- XVIIÎ —
la préface aux Mages hellénisés : 'des liens se sont noués dès une époque
ancienne entre ces deux civilisations, d'où en est sortie une troisième, intermé-
diaire entre les deux premières, celle des Maguséens (i), ou Mages occiden-
taux, gui est à peu près tout ce que le monde gréco-romain a connu du
Moyen Orient.
Ces relations se sont constituées avant la réforme zoroastrienne en un temps
où il n'était pas encore interdit de rendre un culte à Ahriman et à ses dévas :
et c'est pourquoi Ahoura Mazda n'est pas pour les Maguséens l'Etre suprême,
en sorte qu'on ne lui manque pas, comme selon l'orthodoxie mazdéenne, en
s'adonnant mix pratiques magiques qui, avant l'intervention de Zoroastre, cons-
tituaient le culte traditionnel d' Ahriman et de sa séquelle.
« Les Mages que les Grecs ont le mieux connus n'étaient pas des zoroastriens ortho-
doxes. Ceux avec qui ils ont eu les relations les plus directes et les plus constantes
sont ces Maguséens, prêtres des colonies mazdéennes qui s'établirent dès l'âge des
Achéménides à l'ouest de l'Iran, depuis la Mésopotamie jusqu'à la mer Egée, et qui
s'y maintinrent jusqu'à l'époque chrétienne (2). Ces émigrés, séparés des contrées où
triompha la réforme de Zoroastre qui, dans sa rigueur originelle, ne put jamais être
que la loi d'une élite peu nombreuse, échappèrent dans une large mesure à son action;
ils n'en adoptèrent que partiellement les doctrines, et ils restèrent ainsi plus fidèles
que leurs congénères de la Perse aux vieilles croyances naturistes des tribus ira-
niennes (3). Leur éloignement de la pure théologie zoroastrienne fut favorisé par le
fait qu'ayant adopté une langue sémitique, l'araméen, ils devinrent incapables, de lire
les textes avestiques, et selon toute probabilité, ils ne possédèrent aucun livre sacré
écrit en zend ou en pehlvi (4).
« De plus ces Maguséens, établis au milieu de populations allogènes, furent par là
même plus exposés à subir des influences étrangères. Le propre de cette caste sacer-
dotale, la qualité dont elle se targuait avant tout, c'était d'être « sage ». Non seulement
elle possédait la science des choses divines .et se flattait de pouvoir seule se faire exau-
cer des dieux, mais elle raisonnait aussi sur l'origine et les lois de l'Univers, sur
(1) Cf. M, M. M., t. I, p. 9, note S : Mt^omcc/ao^, transcription de syr. magusayê = v. pers.
magus, qu'on a, peut-être à tort, rapproché d'ass. majj^û. Cf. Boisacq, s. v. JVlxyot; Gesenius,
s.v.TQ.
(2) Sur cette diaspora mazdéenne, cf. M.M.M. t. I, pp. 9 ss.; 16 ss.; Mystères de Mithra^,
Bruxelles, 1913, p. 12 ; et Religions orientales, 4e éd., pp. 129, 133 ss.
(3) Et ainsi pourraient s'expliquer, quand même ils n'auraient eu aucunes relations directes
avec l'Inde, certaines ressemblances de leur magie avec celle de l'Inde antique. Leur situa-
tion à l'égard de l'orthodoxie zoroastrienne est tout à fait comparable à celle des Juifs éta-
blis en Egypte (cf. Albert Vincent, Les Judêo-Araméens d'Eléphantine, Paris 1937) à l'égard
de la nouvelle orthodoxie judaïque et de l'unicité du Temple.
(4) C'est dire que leur langue était exclusivement sémitique, tandis qu'il arrive en pehlvi,
langue proprement iranienne, que poussant à l'extrême le système du qerê-ketib, on écrive un
mot sémitique, par exemple malkâ (roi), là on en réalité l'on prononce le mot iranien corres-
pondant : shah ; ou li (à moi) là oiî l'on prononce man ; min (de) là où l'on prononce «», etc.
(Cf. A. Meillet, le. [supra, p. XVI, n. 8]).
— XIX —
les proptiétés de la nature et la constitution de l'homme (i). Lorsqu'après les con-
quêtes de Cyrus (2) ces prêtres entrèrent en contact avec les Chaldéens de la Méso-
potamie, ils subirent fatalement l'ascendant d'un clergé qui était alors le plus instruit
du monde ancien. Dans ce grand centre scientifique qu'était alors Babylone, ils appri-
rent en particulier l'astronomie et ils adoptèrent sa sœur bâtarde l'astrologie. Puis,
après Alexandre, quand l'hellénisme s'implanta en Asie, leur curiosité toujours en éveil
s'intéressa aux idées des philosophes, et ils subirent en particulier l'influence du stoï-
cisme, que des affinités profondes rapprochaient des religions de l'Orient.
« Entre ce ma5;déisme de l'époque séleucide ou parthe et celui du clergé sassanide
il y a toute la distance qui sépare le judaïsme alexandrin de celui du Z^almud. Au
lieu d'une dogmatique rigide et d'une morale de stricte observance, nous trouvons
des doctrines d'une extrême souplesse et se prêtant à tous les syncrétismes. Aucune
autorité théologique ne pouvait imposer aux Mages occidentaux un conformisme que
leur dispersion même devait exclure, et si leur rituel, scrupuleusement observé, paraît
avoir eu une grande fixité, leurs théories ne devaient pas s accorder mieux entre elles
que celles des Chaldéens qui, partagés en plusieurs écoles, se distinguaient, selon Sti-a-
bon (16, I, i) par une grande diversité d'opinions » (3).
Tel est le résultat propre des recherches de Cumont. C'est avec ce fil con-
ducteur qu'il faut aborder, après les Monuments des Mystères de Mithra,
Les Mj'^stères de Mithra, et les Recherches sur le Manichéisme, 1908- 191 2 (4),
(1) Cf. injra, pp. 343 ss.
(2) Mais il est possible que des relations aient déjà existé, que des influences réciproques
se soient déjà exercées en des temps be^coup plus anciens. Le dieu babylonien Nergal, avant
d'être le dieu des morts, a été primitivement, comme Ahoura Mazda, un dieu de lumière, un
dieu solaire (cf. E. Dhorme, Les Religions de Babylonie et d'Assyrie, Paris 1945, pp. 40-41).
Le même auteur rapproche (p. 61) « Ahoura Mazda, le dieu des Achéménides » qui « se
transporte, lui aussi, dans le disque ailé » de l'accadien Shamash = Soleil, roue flamboyante
à quatre rais, miinie d'ailes et parfois d'une queue d'oiseau ; p. 62 : Shamash voyage le long
du Zodiaque avec un cheval pour monture, parfois aussi dans une nef (comme en Egypte) ;
p. 63 : il donne la vie et fait revivre les morts, il est vainqueur de la nuit et de la mort ^
p. 64, il est enfin juge suprême et dieu de la justice : c'est un trait qui se retrouvera chez
Mithra, lequel, avant d'être un dieu solaire, a peut-être d'abord été la sainteté du contrat (Cf.
A. Meillet, La Religion indo-européenne dans Linguistique historique et Linguistique générale, I,
1926, p. 344).
(3) Mages hellén. I, p. VI ss.
(4) Les Recherches sur le Manichéisme sont probablement ce qui de tout l'œuvre de Cumont
aura vieilli le plus vite. La raison en est dans la découverte qui a été faite vers 1933 en
Haute Egypte près d'Assiout, un des berceaux du manichéisme, et qu'il avait pressentie, A propos
des Ecritures manichéennes \lc. infra, p. XXII note], d'une prodigieuse collection de documents
sur lesquels il a été le premier à attirer l'attention du public savant en France {Rev. d'Hist.
des Rel.y mars-juin 1933). Alors en effet que les écrits trouvés par sir Aurel Stein, par Grûnwe-
del et Von le Coq, et par Pelliot au Turkestan chinois sont pour la plupart postérieurs au villes,
et ont subi l'influence du bouddhisme, la nouvelle collection est très voisine des origines :
elle contient les KscpàXaia et les Epitres, le Livre des Hymnes, un commentaire de l'Évangile
vivant, un récit du martyre de Mâni, des mémoires sur la vie des premières communautés,
enfin un recueil d'homélies des premiers disciples. Ces documents capitaux se trouvent en partie
çn Angleterre dans \^ collection Chestçr Beatty, en partie à la bibliothèque de Berlin. Les
— XX —
un lime célèbre — aussi important, sans Houle, que la Cité antique de Fustel
'de Coulanges — Les Religions orientales dans le Paganisme romain (i) j et
surtout -deux volumes moins accessibles au grand public, mais capitaux, fruit
d'une étroite collaboration avec son ami losefh Bidez, Les Mages hellénisés
(1938). Bidez devait montrer plus tard dans Eôs, ouvrage posthume publié en
194.5, Ç^^ <^6s Maguséens avaient laissé leur marque dans l'œuvre de Platon.
De son côté Franz Cumont continuait de déceler les traces de leur influence
dans le monde gréco-romain ( 2) . La profonde connaissance qu'il avait à la
fois des textes anciens et des monuments archéologiques, en même temps que
des idées religieuses du proche Orient, le conduisit à chercher la signification
des bas-reliefs dont sont ornés les sarcophages antiques et les stèles funéraires.
D'où un ouvrage considérable par sa masse et la qualité de son contenu, qui
parut en 194.2 sous le titre : Etudes sur le symbolisme funéraire des
Romains (3), où il n'est pas une interprétation qu'il propose de quelque scène
que ce soit, qui ne se fodde sur les témoignages convergents de textes litté-
raires, d'inscriptions et d'autres monuments archéologiques (4).
C'est alors qu'il entreprit de refondre et de développer /'Afterlife autrefois
premiers fragments des homélies de la collection Chester Beatty ont été publiés en 1934 à Stutt-
gart, par H. J. Faletsky, Manichâische Homilien dans Man. Hdschr. der Sammlung Chester Beatty.
Fr. Cumont a rendu compte de cette édition. Homélies manichéennes^ dans Revue d'Hist. des
rel., janvier-avril 1935. Les KstpdtXaia ont été éditées par M. Schmidt, Man. Hdschr. I. Mais
le régime national-socialiste n'a pas favorisé l'étude du précieux trésor entré en 1933 à la
Bibliothèque de Berlin.
(1) Recueil de conférences faites en 1905 au Collège de France et en 1906 à Oxford. La
quatrième édition (1924) contient un nombre considérable de notes complémentaires et de dis-
sertations qui en font, à proprement parler, un ouvrage nouveau.
(2) Message [supra, p. IX, n. 3] : « Mais il est une vérité que les recherches récentes ont
achevé de mettre en lumière : c'est l'étroite interdépendance qui unit la civilisation de l'Europe
à celle de l'Asie. Le temps est passé où l'on pouvait parler d'un « miracle grec » et croire
que la culture hellénique était une sorte d'expérience de laboratoire en vase clos. On recon-
naît de plus en plus que des influences venues de Syrie, d'Anatolie, de Perse, de Babylonie et
même de l'Inde lointaine, ont contribué à la formation d'une civilisation dont la complexité ne
diminua pas la grandeur ». I 1 1 :
(3) Complété par la Stèle du danseur d'Antihes et son décor végétal, 49 pp. in-4o, Paris, 1942
qu'il considérait comme un appendice au précédent, qui devait être mis sous la même reliure.
(4) Message [supra, p. IX, n. 3] : « Mes maîtres d'autrefois, qui étaient des hellénistes ou
des latinistes \il veut ainsi faire entendre que ce n'étaient pas des théoriciens a priori"] m'ont
enseigné que si l'on ne recourt constamment aux sources, on risque infailliblement de s'égarer ;
et l'archéologie, si elle est privée du secours de la philologie, devient une science conjecturale
dont les conclusions n'atteignent que le degré de vraisemblance que peut leur prêter l'ingénio-
sité et l'éloquence de leurs auteurs. On pourrait citer des exemples récents de telles interpréta-
tions arbitraires ».
— " un —
publiée €iux JE!fats-Ums, qui n'cxwU guèrç été cannm &n Europe. En même
temps qu'il remaniait l'ouvrage, il en changea le titre et voulut à toute force,
malgré les objections qui lui étaient faites, l'appeler Lux perpétua : 'deux mots
empruntés à l'introït de la messe de Requiem qui les tient d'un apocryphe juif
christianisé, le Quatrième livre d'Esdras ; mais plus haut que le judaîs7ne de
l'époque chrétienne, Vidée en remonte au plus ancien rn^zdéisme. Et il enten-
dait par cette brève formule indiquer qu'une part revendait aux vieux cultes
de l'Orient dans la constitution du christianisme.
Son attention ne s'était guère attachée auparavant ni a^U judaïsme, ni au
christianisme, ni à l'islam, les trois religions du Dieu viva;nt ( i ) qui établit
entre elles, nonobstant leurs divergences et leurs oppositions^ une indestruc-
tible solidarité.
Il n'avait pas beaucoup pratiqué la Bible : il en connaissait surtout les livres
marqués de l'influence alexandrine^ not<amment la Sagesse de Jésus ben Sira,
que nous appelons rEcclésiastique, et la Sagesse de S^lomon. Qui plus est,
encore qu'il ait beaucoup étudié les origines du plotinisme, et qu'il ait dorme
dans sa jeunesse une édition du De aeterpitate mundi (2), il cite peu Philon
^d'Alexandrie (3), U ne paraît pas qu'il <iit lu le Talmud, encore moins le
Zohar, où pourtant il aurait retrouvé fiombre des coutumes antiques qui font
l'objet ^de Lux perpétua, L'intérêt qu'il prenait à ce qu'on pouvait lui dire du
Qoran, de ses attaches aux traditions avestiques, mais aussi à la Genèse, à
TExode, et aux Psaumes, au IV^ Livre d'E;sdraa; aux évangiles izpoçryphes et
aux théories valentiniennes , peut-être même à l'évangile de Luc, cet intérêt,
dis-je, prouvait assez que la méditation dtc Qoran ne lui était pas coutu-
mière (4). Et tout donne à penser qu'il s'était volontairement abstenu d'étudier
(1) A ces trois religions qui, sous des modalités si différentes qu'elles sont pratiquement
ennemies, n'en font pourtant qu'une par leur fond le plus intime, r^ d'où le mot célèbre :
« Nous sommes spirituellement des Sémites », -^ on serait tenté de joindre le mazdéisme. S'il
convient cependant de le laisser à part, c'est qu'Ahoura Mazda, du fait de la double coexis-
tence du Temps illimité, Zervan Akarana, coéternel à Ahoura Massda, et d'Ahriman, l'esprit du
mal, ■— qui, s'il ne lui est pas égal en toutes choses, n'est cependant pas dans sa dépendance, -~
ne possède pas ce caractère d'absolue souveraineté qui, lentement acquis par Yahweh au cours
de sa longue histoire, a été conservé par le Dieu des chrétiens et par le Dieu de l'Islam, en
sorte que l'Islam peut être présenté comme étant à la fois une hérésie juive et une hérésie chré-
tienne.
(2) Philon d'Alexandrie, De aeternitate mundi, xxix-76 pp. Berlin, 1891.
(3) Mais il le connaissait fort bien. Cf. par exemple Un mythe pythagoricien chez Posidonitts
et Philon, dans Rev. de PhiloL, janvier 1919.
(4) Si grande était pourtant son information qu'il en soupçonnait les origines. Cf. La biblio-
thèque d'un manichéen découverte en Egypte dans Rev. d'Hist. des Rel., mars-juin 1933, p. 189
— XXII —
le christianisme. De la valeur intrinsèque de «la religion gui est nôtrey>, devait-il
écrire dans son message à /'Academia Belgica de Rome {mai IÇ47), il ne
parlait jamais. Il en paraissait à la fois détaché et soucieux de respecter l'éta-
blissement extérieur et les positions officielles. C'est ainsi qu'il a toujours parlé
d'Origène avec quelque animadversion, allant jusqu'à rappeler sa condamnation
par les autorités ecclésiastiques (i), sans jamais repreridre par lui-même l'exa-
men d'mi problème sur lequel il reste sans doute autant à dire que sur celui
de saint Augustin.
Il dut cependant dans ses dernières années reconnaître que le phé?iomène
chrétien ne pouvait être isolé du milieu où il s'était produit, et que, lorsqu'on
avait étudié les religions orientales dans le paganisme romain, on n'avait encore
vu qu'un côté des choses.
L'examen des inscriptions, des monuments figurés, des textes littéraires, les
fouilles de Doura-Europos qu'il eut à deux reprises à diriger pendant plusieurs
semaines, et dont il fit un monumental compte-rendu, V amenèrent à penser que
le christianisme ne devait pas être détaché de son contexte ; qu'il y avait un
point de contact entre la tradition irano-chaldaïque des Maguséens et le chris-
tianisme naissant, qui est de quelque façon figuré par l'adoration des Mages
« L'épisode des Mages dans le premier évangile (2), a manifestement pour
objet de montrer le clergé de la plus puissante et de la plus sage des religions
de l'Orient s' inclinant devant l'Enfant qui doit fonder celle de l'avenir... » (3)
[11] : quand ces documents auront été dépouillés, « nous verrons plus clairement aussi de
quelles croyances antérieures s'est inspiré Mahomet, et comment le réformateur religieux de la
Babylonie a préparé la fondation de l'Islam. La position de celui-ci à l'égard du christianisme
qu'il prétend dépasser, mais dont il reconnaît la valeur relative, n'est-elle pas analogue à celle
que Mâni avait prise quatre siècles avant l'hégire î ». — Elle est à la fois analogue et inverse.
Mâni se croyait le Paraclet. Mahomet ne prétend être rien de plus qu'un simple homme, sans
signes ni miracles, porteur d'un message clair, un héraut, rasoul ; alors qu'au contraire il consi-
dérait l'Oint Jésus (= Messie ou Christ) comme un être surnaturel, simple créature, mais née
d'une vierge fécondée par le souffle divin Djibreïl, bref un Esprit créé de Dieu et envoyé parmi
les hommes. — Comparer aussi Qor. é^^^^ avec ce que Cumont dit de Bardesane et des mani-
chéens dans A profos des Ecritures manichéennes, Rev. d'Uist. des Rel. 1920, p. 6 du tirage
à part.
(1) Infra, pp. 188, 327.
(2) L'adoration des mages et l'arc triomphal de Rome dans Memorie délia pontificia AccademiA
romana di Archeologia, série III, vol. 3, 1932, p. 81 [1]. — Cf. aussi Myst. de Mithra^, p. 205,
note 4.
(3) C'est ce thème qui se retrouvera dans l'exploitation chrétienne de l'Apocalypse du ps.-Hys-
taspe, infra, N. C XXXV, p. 453, n. 3.
— xxin —
Mais il lui apparut aussi — et cela est marqué à plusieurs reprises dans Lux
perpétua — que tout en ayant subi l'influence de son milieu, le christianisme n'y
était pas entièrement réductible, il y échappait par on ne sait quoi qui ne per-
mettait de le confondre ni avec les cultes des mystères païens ni avec les spécu-
lations de la philosophie néoplatonicienne ( i ) . De l'avènement de celle-ci Cumont
avait conclu, sans y insister ni approfondir — car il n'était pas enclin à la méta-
physique — qu'il est des périodes où l'excès de rationalisme dessèche la pensée,
exténue la science et, par le vide qu'il produit, fait, sans le vouloir, appel au
mysticisme : « Depuis le premier siècle avant notre ère ( 2) , le progrès scienti-
fique s'arrête dans le monde ancien, et cette stase est le prélude d'une régres-
sion qui se précipite à mesure que s'accentue la décadence de l'Empire...
{p. i36) : Dès lors les âmes inquiètes, qui sont en quête d'une certitude, cher-
chent à l'obtenir non par une application patiente de l'esprit critique, mais par
•une inspiration surnaturelle ou une communication divine ». Au moment où il
rédige ce passage, Franz Cumont pense encore qu'il s'agit là d'une « régres-
sion » qui aboutit à « une exaltation, ou pour mieux dire — et, comme pour
se couvrir, il emprunte l'expression à A. J. Festugière (3) — une perversion
de la piété » qu'il déplore. Mais un peu plus tard, quand il en vient à Plotin,
il constate, sans regret, semble-t-il, que la raison cesse d'être « comme pour
Aristote le seul guide dans' les recherches » et que désormais la conviction
s'appuie « aussi sur une expérience intime de l'âme. Le scepticisme céda devant
la mystique » . Il avait été émerveillé ^de tout ce que l'âme humaine devait d'en-
richissement au génie de Plotin : « C'était, disait-il au printemps de IQ4.7, un
très grand homme, un prodigieux génie dont la marque ne s'effacera pas, auquel
on ne saurait comparer Proclus, qui est, lui, un homme de grande culture et un
savant collectionneur d'idées, mais non pas un inventeur : l'humanité ne lui
doit rien » (4). D'autre part on ne pouvait que constater l'échec final du néo-
(1) Injrà, pp. 360, 384 et N. C. XXVIII et XXIX.
(2) Injra, p. 135.
(3) A. J. Festugière, La Révélation d'Hertnès Trismêgiste, I, p. 5.
(4) Il semble au contraire avoir cru qu'elle devait quelque chose à Mâni. C'est du moins ce
que donna à penser le portrait qu'il faisait de lui dès 1908 {Recherches sur le manichéisme, I,
p. 52), qui n'est pas sans analogie avec ce qu'il dira de Plotin en 1947 : «... son activité ne
fut évidemment pas celle d'un philosophe éclectique rassemblant laborieusement et agençant froi-
dement les éléments d'une synthèse doctrinale. La réflexion ne le guida pas seule dans la recher-
che de la vérité. Quand l'inspiration qu'il croit divine jaillit en lui des profondeurs du subcons-
cient, il laisse libre cours à son imagination créatrice. Dès lors les figures qu'il remodèle de sa
main puissante et qu'il anime de sa vie intérieure, même quand elles offrent une ressemblance
apparente avec celles des théologies antérieures, sont pénétrées d'un autre esprit et obéissent à
vuie autre volonté »,
— XXIV —
platonisme nonobstant les efforts de l'empereur Julien, qui n'était point une
âme basse ( i ) ; et c'était un fait que les auteurs chrétiens, les Pères de l'Eglise,
eji s' emparant des armes préparées contre le christianisme, et en les retournant
contre ses adversaires, avaient réussi à se substituer à eux, et à faire accepter
'dans ^'or/tou[X£VYi, et au delà, chez les Barbares, les solutions que donnait la
religion nouvelle aux problêmes qui tourmentaient les adeptes des mystères et
les cercles néoplatoniciens (2).
Cette double constatation semble avoir incliné Franz Cnmont à penser qu'à
des questions posées depuis des millénaires s'il y avait une réponse, la réponse
était en effet donnée par le christianisme tel qu'il s'était constitué sous l'impul-
sion de Jésus, mais aussi grâce aux apports du milieu où il s'était développé ;
« Plotin, dit-il à ce propos (3) premier défenseur d'un spiritualisme intégral,
réfutateur pénétrant du matérialisme (4) exerça sur l'élaboration de la théologie
chrétienne une influence décisive qui devait se prolonger pendant des siècles.
Aussi tous ceux qui ont été attirés par l'étude des Ennéades ontAls reconnu dans
l'\auteur de ces notes de cours, modeste directeur d'études qui écrivait un grec
fautif et ne se relisait pas, un des puissants métaphysiciens dont l'œuvre marque
un tournant dans la direction suivie par la pensée humaine » .
Et voilà, pour lui aussi, le tournant, le point où commence sa courbe. Il
paraît alors s'être rapproché, sans en parler à aucun de ses amis (5), du cou-
rant de la pensée chrétienne, en y comprenant les apports étrangers
où elle s'était reconnue. C'est ce qui apparaît dans le message qu'il avait
soigneusement, amoureusement rédigé pour l'inauguration, à laquelle il ne
pouvait se rendre, de la bibliothèque qu'il venait d'offrir à /'Academia Belgica
de Rome :
(1) F. Cumont avait publié, en collaboration avec J. BideZj JuUani Imperatoris Epistulae, legçs,
poematia, fragmenta varia, Paris, 1922.
(2) Infra, p. 382.
(3) Iiifra, p. 346.
(4) C'est là dans sa position un point important : sa réaction est, on le verra plus loin
(pp. 140-141), quelque sympathie que lui inspirât l'homme, très vive contre le système d'Epi-
cure.
(5) « Il est... scabreux de vouloir fixer en peu de mots l'infinie variété des dispositions indi-
viduelles, et rien n'échappe plus à l'observation historique que ces convictions intimes que par-
fois on dérobe même à ses proches » (Réflexion de 1910 relevée par W. Lameere, Sur la
tombe de Pr. Cumont, dans Alumni, t. XVII (1947-1948), p. 154). A rapprocher de Newman,
Parochîal sermons, 4, 19, 291 : Hoiv difficult it is ta define things, how impracticable it is ta
convey to another any complicated, or any deep or refined feeling, how inconsistent and self
contradîctory his own feelings seem, when put into words, how he subjects himself in consé-
quence to misunderstanding, or ridicule, or triumphant criticism,..
— XXV —
Le temps n'est pas éloigné, écrivait-il, où l'histoire des religions « était regardée
avec méfiance comme une machine de guerre imaginée pour combattre l'Eglise (i).
Mais la véritable question dépasse la portée des études que l'historien consacre aux
phénomènes de la société humaine. Il s'agit de savoir si les affaires du monde sont
conduites par des forces aveugles, par ce que les Anciens nommaient le Fatum, ou si
elles sont dirigées par une Providence qui les mène vers un but qu'elle s'est assi-
gné (2) : car si une volonté divine préside à cette évolution (3), on verra néces-
sairement dans l'invasion en Occident des cultes orientaux une transition qui devait
finalement assurer l'expansion de la foi nouvelle dans une large portion de l'hu-
manité » (4O.
(1) Cf. dans le discours inaugural du Vie Congrès international de l'Histoire des Religions
à Bruxelles (Le Flambeau, septembre 1935) : « La science des religions, enfant encore débile,
qui devait devenir un géant, était alors en Belgique, et peut-être ailleurs encore, à la fois sus-
pecte aux croyants qui la soupçonnaient d'être un cheval de Troie inventé pour détruire leur foi,
et méprisée des savants officiels qui n'y voyaient que spéculations sans méthode et sans consis-
tance ».
(2) Il se peut qu'il y ait ici réminiscence d'une page poignante de Loisy, Quelques lettres...
1908, lettre XIX, 28 janvier 1906, p. 47 (cf. aussi Mémoires, t. II, p. 468) : « Je suis comme
vous devant ce grand mur éternel. Je l'interroge et, dans la réponse que je me fais, je crois que
c'est lui, si insensible en apparence, qui me parle ou qui parle en moi. Car après tout, je suis
une pierre de ce mur, caelestis urbs Jérusalem ; il est d'une certaine manière tout en moi comme
je suis tout en lui ; il doit être vivant comme moi, et ce n'est pas un mur de pierre, mais une
construction animée : il souffre en moi, j'aurai la paix en lui », Et dans La Crise morale du temps
présent et l'éducation humaine, Paris, 1937, p. 227 : « Du reste il ne s'agit plus maintenant de
la Providence conçue comme antérieure et extérieure au monde, mais uniquement de l'éternelle
et mystérieuse action de Dieu dans l'univers vivant ».
(3) Ibid. p. 242 : « Dieu existe, c'est-à-dire un Etre au-dessus de tous les êtres, une Puis-
sance au-dessus de toutes les puissances, un Esprit au-dessus de tous les esprits, qui est le prin-
cipe et la source de toute vie dans l'ordre sensible et dans l'ordre invisible, dans l'ordre éternel
des mondes ; de lui l'on peut dire que tout le manifeste et que rien ne l'absorbe. On le blas-
phème inconsciemment lorsqu'on ose le définir « quelque chose qui, en plus grand, nous ressem-
ble » ; p. 2S0 : « grand mystère d'amour, dans lequel rien de ce qui fut n'a cessé d'être, rien
de ce qui est ne disparaîtra, rien de ce qui doit être ne périra, nulle activité vivante ne sera
perdue », et en qui trouve sa justification le sacrifice de soi qui est requis des hommes, p. 342:
« Le sacrifice dont nous parlons est avant tout, il est essentiellement un acte d'amour dans un
acte de foi ; or acte d'amour, il est la vérité, morale et transcendante, de la vie, le contentement
suprême; acte de foi, il est par là même fondé en Dieu, dans l'obscure et solide intuition du
mystère éternel, de l'amour qui se donne, qui s'affirme en se donnant ». Peut-être Fr. Cumont
était-il déjà sur le chemin de réflexions de ce genre lorsque, rendant compte dans \& Journal des
Savants, août-octobre 1928, de Rostovstzeff, A history of the ancient world, il écrivait, p. 334,
touchant le déclin du monde antique : « il est remarquable qu'un historien aussi attentif aux con-
cluions économiques attribue cette décadence surtout à des raisons morales » ; et dans le dis-
cours inaugural de 1935 cité supra, note 1 : « Certains ont voulu réduire l'histoire au jeu des
forces économiques ; ils ont conçu le développement de l'humanité comme soumis à la fatalité
d'un déterminisme matérialiste. Mais quelle dénégation leur opposent ces mouvements religieux
suscités par des âmes intenses qu'illumine une flamme intérieure et qui, renonçant à ce bien-être
que recherche le commun des mortels, échappent par là même, eux et leurs sectateurs, aux lois
économiques qui régiraient, dit-on, exclusivement les communautés humaines ».
(4) Quelque temps auparavant, probablement en mars, il avait, d'un air réfléchi et grave, tenu
— XXVI —
C'est dans ces sentiments qu'il acheva cette Lux perpétua qu'il voulait à
tout prix qui parût avant sa, mort, qui a été la seule passion des derniers m^is
de sa vie, l'unique préoccupation de ses dernières semaines, et qui lui a fait
tourmenter sans merci, éditeur, imprimeur, correcteurs, tous ceux qui, de près
ou de loin, directement ou indirectement, pouvaient l'aider à procurer l'édition
de sa dernière œuvre,
La mort ne lui a pas laissé le répit qu'il implorait. Dans les premiers jours
d'août il consentit enfin à se laisser transporter en Belgique pour y prendre
du repos et refaire ses forces. Car s'il ne pensait alors qu'à Lux perpétua, il
avait encore d'autres projets en tête. Il voulait donner une quatrième édition
de ses Mystères de Mithra, où il aurait utilisé les résultats des dernières fouilles
notamment celles de Rome et d'Ostie (i); assurer la publication d'un essai
sur le culte du Trône vide dont la rédaction remontait à IQ4.1 ; et préparer
un recueil d'articles, analogue aux Etudes syriennes, qui aurait compris entre
autres La fin du monde selon les Mages occidentaux. Les Anges du paga-
nisme, et une nouvelle version, profondément remaniée, de la Théologie
solaire (2).
Il songeait à tout cela, toujours allant, toujours alerte, l'esprit aussi vif que
jamais, incertain pourtant de l'avenir : « Je ne sais si, à quatre-vingts ans,
— cette confidence est du 7 mai, — je pourrai jamais me remettre ou ne
resterai pas un infirme. Oswv èv youvacri xecTat, ceci repose sur les genoux
des dieux, comme disait Homère (3), mais les chrétiens ajoutent : fiât
Voluntas tua ».
Et de fait il ne lui était plus temps de faire des projets. Son heure était
venue, l'heure dont, à propos du vieil empereur Marc Aurèle, il avait, dans
Lux perpétua, décrit les affres {p. 118-iiç) : « Le prince vieillissant était
les mêmes propos, à peu près dans les mêmes termes, à un ami qui était venu le visiter pendant
sa convalescence : sans doute en préparait-il l'expression pour le Message qu'il méditait. — Déjà
dans la préface de juillet 1906 [^supra, p. XX, note 1], p. XII : « La prédication des prêtres
asiatiques prépara ainsi, malgré eux, le triomphe de l'Eglise, et celui-ci a marqué l'achève-
ment de l'œuvre dont ils ont été les ouvriers inconscients ». Et plus précisément, sur la pré-
paration du milieu moral : « En affirmant l'essence divine de l'homme, ils ont fortifié dans
l'homme le sentiment de sa dignité éminente ; en faisant de la purification intérieure l'objet
principal de l'existence terrestre, ils ont affiné et exalté la vie psychique, et lui ont donné une
intensité presque surnaturelle que, auparavant, le monde antique n'avait pas connue ».
(1) Cf. Rapport sur une mission à Rome dans C. R. de l'Acad. des Inscr. 1946, pp. 386-420.
(2) La Théologie solaire du paganisme romain dans Mém. présentés par divers savants à
l'Acad. des Inscr., XII, 1909, pp. 447-479.
(3) //. 17, 514, etc.
— xxvii —
obsédé par la pensée de la mort. Il invoque si souvent les raisons qui doivent
nous empêcher d'en éprouver quelque effroi, que par là même il trahit l'ap-
préhension secrète que l'approche de sa fin inspire à son âme sensible : cette
nécessité, note-t-il, nous est imposée par la ndture, dont le cours est réglé
par la Raison divine, et il serait impie de ne pas s'y soumettre docilement.
En nous y conformant nous atteindrons le terme de nos jours favorablement
disposés, « comme si l'olive mûre en tombant bénissait la terre qui l'a portée
et rendait grâces à l'arbre qui l'a produite » ( i ) . . . Au déclin de ses jours
le vieillard multiplie ainsi les considérations propres à faire accepter le trépas
sans révolte et sans faiblesse. Mais sa morale purement terrestre ne lui repré-
sente jamais la nécessité d'une rétribution posthume, de récompenses et de
châtiments d' outre-tombe . Il n'exprime nulle part, comme Platon ou comme
Sénèque, l'espoir qu'il puisse retrouver dans l'au-delà ceux qui ont vécu pieu-
sement, et s'entretenir dans un monde lumineux avec les sages d'autrefois...
D'où vient que les successeurs de Zenon aient été aussi hésitants sur un point
dont, après seize siècles de christianisme en Gaule, nous paraît dépendre toute
la conception de la vie humaine 1 » Le problème, encore que Cumont n'en
parlât jamais, se posait donc pour lui. Et il ne pensait pas qu'on pût s'y
dérober : « Sans doute tant qu'il y aura des hommes,.,, se préoccuperont-ils
du grand mystère de l'au-delà », ainsi commence l'introduction à IvUx per-
pétua, ouvrage de pure érudition. Et il a beau se dire {p. 8) qu'aujourd'hui
« pour nous notre terre n'est plus dans l'immensité qu'un grain de sable
emporté dans un tourbillon » ; que « le pullulement de notre espèce est la
multiplication d'animalcules infinitésimaux, la prolifération d'une poussière
vivante, et son apparition sur notre planète un incident futile, comme le serait
sa disparition, dans l'évolution totale du cosmos » ; il a beau ajouter : « Et
nous ne pouvons plus croire sans déraison que le don sublime de l'intelligence
n'ait été départi, par un privilège unique, qu'à un être aussi infime, ni même
admettre, sans une étrange présomption, que la vie ne se soit manifestée nulle
part sous une forme plus parfaite et plus durable, dans des conditions moins
instables que celles où notre organisme lutte pour une existence éphémère » (2) ;
il n'en pensait pas moins que, nonobstant toutes ces circonstances nouvelles,
(1) Marc Aurèle, Pensées, 4, 48, 4 : tb; av s! ÈÀata Tcé-sipo; •^z.-^^)i.h-t\ EutTrcEv, £Ô(j>r)[Jtoû(Ta xtqv
evEYXOùffav, xaî ;(âptv e'.Suïa t;L cp'jtravct oévSptu.
(2) Cf. encore Message in fine : « car la fondation d'instituts scientifiques est un subter-
fuge que les hommes ont imaginé pour assurer à leur action une continuité que ne permet pas
d'atteindre pour l'individu la loi inéluctable qui limite étroitement sa vie. éphémère ».
— XXVIII —
le vieux, l'étemel problème continuait, continuerait toujours ^assiéger nos
âmes inquiètes, et irrequietum est cor nostrum,.. (p. 12) ; « Lorsque la
terre cessa d'être le centre de l'univers, seul point fixe entouré par les cercles
mouvants des deux, pour devenir une pauvre planète tournant autour d'un
axe qui lui-même se meut, dans l'immensité insondable, parmi une infinité
'd^ autres ^ l'idée naïve que les anciens avaient conçue du voyage des âmes dam
un monde étroitement borné devint inacceptable, et le progrès de la science,
en discréditant la solution erronée que nous avait léguée l'antiquité, nous a
laissés en présence d'un mystère que ne soupçonnaient point les mystères
païens » ( i ) .
Les Jtouvelles perspectives de la science n'ont donc rien changé pour
l'homme, j'entends, il va sans dire, non pas l'espèce humaine objet d'obser-
vation, l'homme objectivé, comme aurait dit Nicolas Berdiaëff, mais le sujet,
mais la personne, mais ce qui dit moi et se donne à soi-même un nom qui ne-
s'applique ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans l'avenir, ni dans l'éter-
nité à aucun autre. Pour celui-là rien n'est changé, rien ne peut changer, quelle
que soit la constitution que la science prête au cosmos, et dans le cosmos,
la place de notre espèce {p. i) : « Peut-être aussi en aucun temps ne s'est
imposée davantage, même aux incroyants, l'espérance ou la foi que ces mâUti-
tudes innombrables, pleines de force morale et de passion généreuse, qui sonA
entrées dans l'éternité, n'ont point péri tout entières, que l'ardeur qui les
animait ne s'est point éteinte avec la chaleur de leurs membres, que l'esprit
qui les poussait au sacrifice d'eux-mêmes ne s'est pas dissipé avec les cellules
de leur corps ». ,
Telle est la question qui demeurait posée devant Franz Cumont. Cela aussi,
autant et plus que l'éventuel rétablissement de s\a santé, était sur les genoux
des dieux; et de cela aussi sans doute il en était venu, à dire, suivant la tradition
créée en Gaule par seize siècles de christianisme (2) : fiât Voluntas tua (3).
Et maintenant il allait enfin connaître cette Volonté devant laquelle il venait
de s'incliner.
(1) C£. Loisy, La crise morale du temps -présent et l'Education humaine, p. 227 : « Der-
rière cette immensité et cette éternité de l'univers visible, il y a ce que nous, vermine de la
terre, ne pouvons directement percevoir, que nous pressentons seulement, itiais qui est le prin-
cipe vivant, la vérité intime et profonde de tout. Il y a, il reste, quoi qu'on puisse dire, le
mystère ».
(2) Supra, p. XXVII.
(3) Supra, p. XXVJ.
— HtÙL —
// partie le 4 août pour Wolu-we Sûint^-Piôrret emportant dans sa valise
iî'ïmitatioji de Jésus-Ghi'ist. Et peu de jours après, il demanda qu'à sa dernière
heure, son ami Mgr Vaês tant lui donner V extrême-onction. C'est ainsi qu'il
révint au giron maternel, lion comme autrefois l'enfant prodigue avec larmes
et sanglots, Ttiais de l'air le plus paisible dû monde, comme s'il n'avait pas eu
conscience de l'avoir jamais délaissé. C'est du moins ce qui paraît ressortir de
ce Message de mai îç^y à l'Académie belge de Rome, où s'étant expliqué
sur les influences qui ont contribué à former le corps du christianisme, il en
vient à parler de « cette Ville Eternelle qui, après avoir, païenne, transmis au
monde latin la civilisation hellénique, devenue chrétienne répandit en Europe
là religion qui est nôtre ».
Il ne dit rien davantage, sinon, à plusieurs reprises durant ses derniers jours,
qu'il était bon chrétien, se confiant ainsi, sémble^t-il, sans se plus tourmenter
de terreurs ni s'embarrasser de scrupules, à cette Volonté qu'il sentait bonne :
Aquella eterna fonte esta ascondida :
Que bietx se yo do tiene su manida
Aunque es de noche (i)
Il n'avait pourtant pas encore perdu tout espoir de rétablissement. Il atten-
dait beaucoup de l'air vivifiant de la forêt de Soignes. Mais pour énergique
que fût son. âme douce, elle n'était plus la maîtresse ; et son corps exténué se
refusait à servir. Alors se fermèrent pour toujours ces yeux bleus au clair
regard que nous avions tant aimés. Ainsi mourut Franz Cumont. Et ce fut moins
« comme si l'olive mûre rendait grâces à l'arbre qui l'a produite » que comme
s'éteint une lampe à l'instant oîi le jour va poindre.
Comment songer à lui désormais, à ses dernières années, à son paisible
trépas dans la douce atmosphère de la Villa des Fleurs (2), sans se rappeler
aussitôt le Requiem de Fauré? — Œuvre païenne, a-t-on dit. — Peut-être.
Mais encore qu'en sait-on ? Païen et chrétien ne sont plus des mots qui, sinon
par leurs définitions abstraites, s'affrontent aussi résolument qu'autrefois. Car
dans la réalité il apparaît aujourd'hui, d'une part — et Cumont l'avait entrevu
— que les religions païennes ont connu les aspirations auxquelles devait répon-
(1) S. Jean de la Croix, fohne VÏIl, Obras, éd. Silverio, t. IV ,p. 324.
(2) Il aimait le jardin fleuri de cette demeure, et dans ses dernières heures il parlait,
« presque dans la même phrase, de mourir et d'être transporté dans le jardin ». Qui sait ,si
dans la confusion de ses ultimes pensées, ce n'était pas précisément la mort qui évoquait en
lui l'idée du jardin prorais, paîri daeza, le Paradis ? {supra, p. XXVII, infra, pp. 43, 302).
— XXX —
dre la religion chrétienne, et qu'elles en ont parfois pressenti la réponse (i) ;
d'autre part que le christianisme , à toutes les époques, a plus ou moins subi
V influence du milieu ambiant (2), et par conséquent des religions païennes qui,
comme le phénix, renaissent de leurs cendres, et n'ont jamais fini, pas même
aujourd'hui, aujourd'hui surtout, leur carrière. En sorte que, quels qu'aient été
les sentiments de Fauré, son Requiem est, — dans le balancement de sa mélodie
laticinante, où, par trois fois, l'angoisse, comme un jet de flamme, fait éclater
un cri (3) — si péjiétré de l'attente, ou plutôt du regret de n'oser plus
'attendre quelque chose que n'avait pas rêvé le paganism)e et à quoi l'on ne
veut pas, l'on ne peut pas renoncer, que, si désespéré soit-il, le désespoir y
espère ; de l'impossibilité de prier naît la prière ; et ainsi, à l'heure où, les
vieilles croyances semblent vaciller et tendre, devant de cruelles négations, à
se dissiper co77ime songes, il se rattache en fin de compte aux plus jeunes
ferveurs des premières origines, s'il est vrai que rien n'évoque davantage le
cri arraché du milieu de la foule au père douloureux de l'enfant lunatique :
« /e crois. Seigneur : subviens à mon défaut de foi 1 » (4).
Franz Cumont avait en IQ42, au seuil du Symbolisme funéraire des Romains,
inscrit cette grave et tendre dédicace :
AMICAE
SAPIENTISSIMAE
QVAE MECVM HIS STVDIIS
TEMPORVM INIQVORVM
SOLATIVM QVAESIVIT
Le temps de l'épreuve est passé pour lui. Les mystérieuses portes de l'au-delà^
Afterlife, devant lui se sont ouvertes. Puisse, au sortir des ombres troubles de
ce monde et des temps iniques où il a vécu, son âme douce et généreuse, si
respectueusement sceptique, trouver ce qui fut l'objet de ses dernières recher-
ches dans l'ordre historique, et aussi de ses dernières préoccupations dans
l'ordre spirituel, in Luce perpétua sempiternam Requiem.
(1) Cf. supra, p. XXIV, et en outre les travaux d'A. J. Eestugière qui a été pour Fr. Cumont
un disciple de prédilection.
(2) Cf. dans la préface de juillet 1906 \supra, p. XX, note 1], p. XIV : « Maisj même lors-
que nous nous posons en adversaires de la tradition, nous ne pouvons rompre avec le passé
qui nous a formés, ni nous dégager du présent dont nous vivons. A mesure qu'on étudiera de
plus près l'histoire religieuse de l'Empire, le triomphe de l'Eglise apparaîtra davantage, pen-
sons-nous, comme l'aboutissement d'une longue évolution des croyances ».
(3) A l'introït, Dîie exattdi ; au second Kyrie ; à la première reprise du Pie Jesu.
(4) Me. 92*.
PRINCIPALES ABRÉVIATIONS EMPLOYÉES DANS LES NOTES
AA. SS, = Acta Sanctoriim des BoUandistes.
A. C. = L'Antiquité classique.
A. J. Arch. = American Journal of Archaeology.
Altmarm = W. Altmann, Die rômischen Grabaltàre der Kaiserzeit, Berlin, 1905.
A. Relgw. = Archiv fur Religionswissenschaft.
Ath. Mitt. = Mitteilungen des Archàologischen Instituts (Athenische Abteilung).
B. C. H. = Bulletin de correspondance hellénique.
Bidez, Eôs = Joseph Bidez, Eôs ou Platon et l'Orient, Bruxelles-Paris, 1945.
Bidez, Julien = Joseph Bidez, Vie de l'Enrpereur Julien, Paris, 1930.
Borner = Franz Borner, Ahnencult und Ahnenglaube im alten Rom, Leipzig, 1043-
Boyancé, Songe = Pierre Boyancé, Etude sur Je « Songe de Sci-pion » (Bibliothèque
des Universités du Midi, XX), Bordeaux 1936.
Brehlich == Angelo Brehlich, Aspetti délia morte nelle iscrizionî sepolcrali del monda
latino (Dissertationes Pannonicae, VII), Budapest, 1937.
Cabrol = dom Cabrol et dom Leclercq, Dictionnaire d'Archéologie chrétienne et de
liturgie, Paris, 1924 ss.
Carcopino = Jérôme Carcopino, La basilique pythagoricienne de la Porte Majeure,
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INTRODUCTION
Sans doute, tant qu'il y aura des hommes et que la médecine ne pourra leur
assurer le perpétuel renouvellement d'une vigueur juvénile, se préoccuperont-ils
du grand mystère de l'au-delà. Mais jamais peut-être l'idée de la mort ne fut
aussi présente à l'humanité que durant les années que nous avons vécues. Elle
fut la compagne quotidienne de millions de combattants engagés dans une
lutte meurtrière, elle hantait l'esprit de ceux, plus nombreux encore, qui trem-
blaient pour la vie de leurs proches ; elle est restée la pensée constante de
ceux que poursuit le regret d'un être aimé. Peut-être aussi, en aucun temps,
ne s'est imposée davantage, même aux incroyants, l'espérance ou la foi que
ces multitudes innombrables, pleines de force morale et de passion généreuse
qui soni" entrées dans l'éternité, n'ont point péri tout entières, que l'ardeur qui
les animait ne s'est point éteinte avec la chaleur de leurs membres, que l'esprit
qui les poussait au sacrifice d'eux-mêmes ne s'est pas dissipé avec les cellules
de leur corps.
Les anciens ont déjà connu ces sentiments et donné à cette même conviction
la forme que leur suggérait leur religion. Périclès dans son éloge funèbre des
guerriers tombés au siège de Samos, affirmait que ceux^qui meurent pour leur
patrie deviennent immortels comme les dieux, et, comme eux invisibles, manifes-
tent leur présence par les bienfaits qu'ils répandent i. Aussi bien, la foi des
Hellènes a souvent adoré comme des héros, ceux qui avaient péri en défendant
leur cité. Ainsi, les idées que l'on conçut, dans l'antiquité, de l'immortalité, sont
souvent à la fois éloignées et très proches des nôtres. Elles deviennent de plus
en plus semblables aux conceptions qui nous sont familières, à mesure qu'on
I. Plut., Pericl., VIII, 9.
2 LUX PERPETUA
descend le cours du temps et celles qui étaient généralement admises à la fin
du paganisme, sont analogues aux doctrines eschatologiques qui devaient être
acceptées durant tout le moyen âge.
J'ose donc me flatter de n'avoir pas choisi un sujet qui soit très loin de
nous, capable d'intéresser seulement les érudits et àans rapport aucun avec nos
préoccupations actuelles, en entretenant mes lecteurs des croyances sur la vie
future au temps des Romains. De cette vaste matière, je ne pourrai, en
quelques chapitres, esquisser que les grands contours, nécessairement approxi-
matifs. Il est toujours imprudent, j'en ai conscience, de hasarder des générali-
sations morales : elles se trouvent toujours fausses par quelque endroit, mais
surtout il est scabreux de vouloir définir en peu de mots l'infinie variété des
dispositions individuelles et rien n'est plus soustrait à l'observation historique
que ces convictions intimes que parfois on dérobe même à ses proches. Aux
époques de scepticisme des âmes pieuses s'attardent aux vieilles croyances et
une foule traditionaliste reste fidèle à ses dévotions ancestrales. Aux temps où
la religion reprend son empire, des esprits rationalistes ou sceptiques résistent
à la contagion de la foi. Il est particulièrement difficile de constater jusqu'à
quel point les idées adoptées par les cercles intellectuels réussirent à pénéti-er
les masses profondes du peuple. Les épitaphes conservées nous fournissent à
cet égard des indications trop clairsemées et trop discordantes. Puis, dans le
paganisme, un dogme n'exclut pas nécessairement un dogme opposé : l'un et
l'autre persistent parfois dans le même individu comme des possibilités diverses,
également autorisées par une tradition respectable. L'on apportera donc à mes
affirmations trop absolues les réserves qu'elles comportent. Je pourrai seule-
ment indiquer ici les grands courants spirituels qui successivement ont introduit
à Rome des idées nouvelles sur l'au-delà et esquisser l'évolution qu'ont subi
les doctrines sur le sort et le séjour des âmep. Combien chacune de ces doc-
trines comptait-elle de partisans aux diverses périodes, l'on n'attendra pas de
moi que je le précise. L'antiquité ne nous a pas laissé de statistiques cultuelles.
Nous pourrons du moins distinguer les phases principales d'une évolution intel-
lectuelle qui fit, dans le monde romain, passer au moins la majorité des esprits
cultivé? d'abord de la foi à l'incrédulité, et plus tard de l'incroyance à une
foi nouvelle. Le nombre d'entre eux qui, au temps de Cicéron, restaient
fermement convaincus d'une survie consciente de l'âme, était aussi restreint
que le devint, au crépuscule du paganisme, celui des sceptiques inclinant à
admettre que. cette âme périssait au moment du décès. Tel fut l'aboutissement
suprême d'une longue évolution religieuse, que l'on peut suivre pendant les
INTRODUCTION 3
quatre ou cinq siècles qui s'étendent depuis la fin de la République jusqu'au
déclin de l'Empire.
Et ce fut là un changement capital qui transforma toute la conception antique
des obligations sociales et du but de notre existence. L'individu ne sera plus
désormais un instrument mis au service de la communauté, pour qu'elle puisse
réaliser ses fins, mais le dépositaire sacré d'un principe indestructible de vie
supérieure et cette valeur spirituelle conférera à la personne humaine, même
dans la condition la plus humble, une dignité éminente. La morale ne cher-
chera plus, comme l'ancienne philosophie grecque, à obtenir le souverain bien
sur cette terre, mais après la mort. On agira moins en vue de réalités tangi-
bles, pour assurer la prospérité de la famille, de la cité, de l'Etat, mais plutôt
pour atteindre des espérances idéales dans un monde surnaturel. Notre pas-
sage ici-bas sera conçu- comme une préparation à une immortalité bienheureuse,
comme une épreuve transitoire, qui doit avoir pour résultat mie félicité ou une
souffrance infinies. La table des valeurs éthiques en fut bouleversée.
« Toutes nos actions et nos pensées, a dit Pascal, doivent prendre des routes
si différentes selon qu'il y a des biens éternels à espérer ou non, qu'il est
impossible de faire xme démarche avec sens et jugement, qu'en la réglant par
la vue de ce point, qui doit être notre dernier objet » i.
Toutefois, si étudiant le problème capital de l'immortalité individuelle, l'on
tentait d'établir un parallèle entre le temps présent et l'antiquité, l'on s'aper-
cevrait bientôt qu'il se posait autrefois dans de tout autres conditions que de
nos jours. Nous ne faisons pas allusion à ces théories sur la constitution de la
matière qui font voir sous un aspect nouveau l'union de l'esprit et du corps.
Mais les spéculations des anciens sur le sort des âmes étaient étroitement unies
à une conception déterminée du monde, que nous ne partageons plus. Les Grecs
ont agité la question de savoir si ce monde était éternel ou non^ et certains
ont cru sa vie formée de longues, périodes, de « grandes années » se repro-
duisant à l'infini. Ils ont imaginé un enchaînement perpétuel des causes qui,
de tout temps, aurait gouverné l'ensemble du cosmos et devait le diriger à
jamais 2. Mais ils n'ont eu aucune notion, même approximative, de l'ancienneté
de l'homme sur la terre ; leur imagination n'a jamais songé à des millions
d'années écoulées depuis l'apparition de la vie sur notre planète. C'est à peine
s'ils accordaient quelques millénaires d'existence à notre espèce et les temps
1. Prisées, III, 194 (t. Il, p. 103, Brunschvigg).
2. Définition de l'slfjiapjAévT) : Cicéron, De divin,, 1, §s, 125.
4 LUX PERPETUA
étaient pour eux tout proches où les dieux se mêlaient encore à la société des
mortels. Si l'idée que se firent les anciens de notre condition humaine s'est
trouvée faussée par l'insuffisance de cette évaluation chronologique, elle l'a
été plus encore par la limitation exigiie de leur cosmologie, car leur eschatologie
s'est modelée sur celle-ci et en a épousé les contours. Or, à l'aurdre des temps
modernes, les découvertes de Copernic et de Galilée en transformant notre
conception de la structure de l'univers, ont détruit les illusions que les « ter-
riens » se faisaient de la grandeur de leur destinée. De toutes les conquêtes
scientifiques qui ont élargi l'horizon intellectuel de l'humanité, aucune, pas
même la théorie de la gravitation universelle, n'a apporté dans ses croyances
traditionnelles une perturbation plus profonde, et sans doute eût-elle provoqué,
dès le XVF siècle, une grande crise morale, si l'on en avait aperçu aussitôt
toutes les conséquences. Ce moment marque la rupture définitive avec un
passé plus que millénaire et l'interversion de la relation du soleil et de la terre,
a détruit les postulats sur lesquels reposaient toutes les localisations conçues
jusque là pour l'existence d'outre-tombe.
Ni la religion, ni même la philosophie des anciens avant Plotin, n'ont, en'
définissant la condition posthume de l'âme, regardé celle-ci comme purement
spirituelle : elle est un souffle diaphane analogue au vent, une ombre impal-
pable mais visible aux yeux ou un mélange d'air et de feu. Même les Plato,-
niciens, qui proclament immatérielle cette essence, enseignent qu'elle revêt
une forme, dès qu'elle descend des hauteurs célestes pour pénétrer dans notre
monde, et croient qu'elle s'entoure d'enveloppes éthérées ou aériennes avant de
venir s'enfermer dans un corps. Elle ne reste donc pas un pur esprit qui
échappe à la limitation de l'espace ; on ne peut dire d'elle., comme de l'âme
universelle, qu'elle n'est nulle part et est partout i. Elle voyage dans le monde
sensible et en habite successivement les diverses parties. Après la mort, elle
se transporte dans une région déterminée de l'univers.
Voyons donc comment est constitué cet univers^. Il est composé de quatre
éléments, dont le plus lourd, la terre, en vertu de sa densité même, est tombé
vers son centre et s'y est aggloméré en une sphère compacte, qui y reste
suspendue en équilibre sans se mouvoir. L'eau s'est répandue sur sa surface, y
1. Porphyre, Sent, ad intell., 31 •.OàSatj.oô ■/.%: %'j.''na:-fo~i . Cf. Plotin, III, 9, 3.
2. Cf. Capelle, Die Schrift von der Welt {Neue Jahrb. f. d. Klass. Alterium, VIII),
1905. — P. Duhem, Le système du ■monde. Histoire des théories cosmologiques, t. I
(1913) et II (1914). — Gilbert, Die meteorologischen 'Cheorien des Griechischen Alter-
tums, Leipzig, 1907.
INTRODUCTION 5
a donné naissance aux rivières, qui se déversent dans les mers ou dans l'Océan,
lequel entoure cette île qu'est Voikoumenè, le continent habité par l'homme.
Ou bien ce principe liquide s'élève en vapeurs dans la zone inférieure de
l'atmosphère, qu'épaisissent les brouillards humides et où s'amassent les nuées.
Les deux autres éléments, moins pesants, ont pris place au-dessus des premiers.
L'air enveloppe le globe terrestre d'une couche mobile, continuellement agitée
par les vents : par sa nature, il est sombre, quand la lumière des astres ne
l'éclairé pas. Troublé au voisinage de la terre par les exhalaisons des eaux, il
se purifie à mesure qu'en ses hauteurs il y échappe davantage ; et il s'étend
jusqu'à la zone de la lune, où il confine à l'éther. Ce quatrième élément,
ardent et léger, a une tendance naturelle à s'élever, et son feu subtil, qui
occupe la partie supérieure du cosmos, brille dans l'éclat des astres. La sphère
de la lune est la limite entre le moïide des dieux et de l'éternité, qui n'est
soumis ni au devenir ni à la corruption, et notre monde terrestre, sujet à la
naissance, au changement et à là mort.
Au-dessus de la lune, s'étageaient six autres sphères, d'un cristal transparent,
qui imprimaient aux planètes leurs mouvements sinueux : d'abord celles de
Mercure et de Vénus, la brillante étoile du matin et du soir, puis celle du soleil.
Celui-ci prenait ainsi place au quatrième rang, c'est-à-dire au milieu des
sept cercles superposés, d'où selon une opinion fort accréditée, il dirigeait la
course compliquée des « astres errants » et, réglant les révolutions des cieux,
commandait à toute la nature. Au-dessus de ce « cœur du monde » se mou-
vaient Mars, Jupiter et Saturne. Enfin embrassant les sept autres dans son
orbe immense, la sphère des étoiles fixes, était pour certains penseurs, le
moteur qui donnait le branle à tous les rouages de la mécanique céleste et
elle méritait d'être adorée comme le dieu suprême^ : cette sphère marquait
la limite du monde. Au-delà il n'y avait plus rien pour les physiciens que
l'éther ou le vide. Mais les théologiens plaçaient dans cet Olympe astrono-
mique le séjour des Immortels, ou bien, fidèles à Platon, supposaient cet
empyrée peuplé de puissances transcendantes et purement intelligibles.
C'est dans cet univers ainsi constitué que vont se répartir les demeures des
âmes ayant quitté leur enveloppe chamelle. La terre, qui en formait le milieu,
était, selon des mythes fort anciens, creusée d'une cavité immense où les dieux
infernaux régnaient sur le peuple des ombres. Au-delà de l'Océan, qui cein-
I. Cicéron, Somn. Scip., 4 : « Summus ipse dcu? arcçns et continens ceteros », Cf.
infra, ch. ni, ^,
é LUX PERPETUA
turait Voîkoumenè, les îles Fortunées accueillaient, croyait-on, les héros
bienheureux. On plaçait parfois l'Hadès, domaine de la mort, dans l'hémis-
phère austral, alors inaccessible i. D'autre part, l'air qui entoure la terre, était
rempli d'âmes désincarnées, transformées en démons bienfaisants ou nuisibles.
Les plus vertueuses s'élevaient jusqu'à la lune, aux confins de la demeure des
dieux. Ou bien, selon certains théologiens, la raison de l'homme, purifiée de
tout alliage, retournait au soleil, « feu intelligent », dont elle était issue.
Suivant une autre doctrine, les âmes descendant ici-bas pour s'emprisonner
dans la chair, acquéraient successivement leurs qualités et leurs passions eri
traversant les sphères étagées des planètes, selon la nature propre à chacune de
celles-ci, et inversement s'en dépouillaient, à sept reprises, dans leur ascension
vers le ciel suprême où, essences sublimes, elles devaient jouir d'une félicité
sans fin en compagnie des dieux "^ Tout ceci, on le voit, est étroitement lié
au système cosmique enseigné par les astronomes de l'antiquité.
Ainsi, le grand Tout, qu'habitent la société des vivants et les âmes innom-
brables des générations passées, est conçu comme un vase clos, dont la paroi
extérieure est la sphère des étoiles fixes, où s'emboitent celles des sept planètes,
et, plus bas, sous les zones de l'air et des vapeurs en perpétuel mouvement,
le globe terrestre immobile est le point stable autour duquel tourne toute la
machine céleste.
Le contraste, fortement marqué par la physique des anciens, entre le
monde sublunaire, champ-clos où luttent les éléments, et les sphères célestes,
qui se meuvent régulièrement autour de lui dans l'éther lumineux, divisait
la création en deux parties, régies par des principes opposés. L'astronomie
moderne a fait rentrer la terre dans l'économie générale du cosmos et l'a
regardée comme une cellule de ce grand corps, soumise aux mêmes lois que la
multitude infinie de ses pareilles dans un Tout ramené de la dualité à l'unité.
L'univers antique, si on le compare à celui qu'observent nos lunettes
géantes, paraît minuscule. Bien que depuis Posidonius la petitesse de
notre terre comparée à l'ensemble du monde soit un lieu commun de
la philosophie 3, les Grecs crurent toujours, de fait, le firmament trèsi rap-
proché de nous. Ils n'ont pas plus connu l'infiniment grand que les
infiniments petits, mais ont créé un monde à la mesure de l'homme, sans se
1. Cf. infra, ch. iv.
2. Cf. infra ch. m, 3.
3. Cf. Cléomède, I, 11 ; Festugière, Les thèmes du Songe de Scipion (dans Eranos,
XLIV), 1946, p. 372 ss.
INTRODUCTION 7
douter que la réalité des choses est, par rapport à lui, dJoublement incommen-
surable, par son immensité comme par son exiguïté. S'ils ont un instant eu
l'intuition du système solaire, ils n'ont pas pénétré, ni même entrevue les mys-
tères du ciel stellaire, dont Herschel, au XYIIP siècle, commença de sonder
les profondeurs 1. Celles-ci n'éveillaient pas chez eux la pensée troublante d'une
étendue prolongée à perte de vue au-delà des plus lointaines nébuleuses que
nos instruments puissent atteindre. Le millier d'étoiles du catalogue d'Hip-
parque ne devint jamais pour eux des milliards et ils ne calculaient pas grâce
au spectroscope leur position en myriades d'années-lumière ; trompés par leur
magnitude apparente, ils n'avaient aucune idée de leur grandeur ni de leur
luminosité véritables. Le ciel pour leur astronomie, comme V oikoum^enè pour
leur géographie, étaient des termes dont l'ampleur restait infiniment au-dessous
de la réalité, et l'agilité de a raison, comme ils disaient, pouvait les parcourir
sans effort en un instant d'une extrémité à l'autre. L'énormité des constella-
tions n'était pas suivant leur estimation aussi écrasante que selon notre science
et leurs distances leur suggérait moins qu'à nous l'idée d'un éloignement tel,
que leur mesure dépasse la portée de notre imagination et que les chiffres
même qui l'expriment ne représentent plus rien de concevable à notre esprit.
Le télescope n'avait pas encore peuplé des gouffres que l'œil croyait déser-
tiques d'un fourmillement de mondes succédant aux mondes. En plongeant
leurs regards dans l'espace sans bornes, les anciens n'étaient pas saisis du
vertige des abîmes, ni écrasés par le sentiment de leur petitesse. Ils ne se sont
jamais écriés comme Pascal, méditant sur la disproportion de l'homme avec
la nature incommensurable et muette : « Le silence étemel de ces espaces
infinis m'effraie », cri d'angoisse dont la résonnance n'a cessé de se prolonger
indéfiniment ^ .Récemment encore Jeans s'est ému de l'impression « terri-
fiante » que nous font tout d'abord éprouver l'immensité de l'univers et ses
solitudes glacées, la durée prodigieuse des phénomènes cosmiques, l'indiffé-
rence oti même l'hostilité apparentes de la nature à l'égard de nos sentiments,
de nos ambitions, de notre idéal de perfection avec ses valeurs spirituelles*.
Ce n'est pas de la crainte ou de l'oppression que le spectacle du cosmos
provoquait chez les Grecs et leurs disciples romains mais de l'admiration. Ils ne
1. Cf. Blanchi, I>al sistema solare alV universo sidérale (Rendic. Ist. Lombardo),
1930, p. 20 ss.
2. Pensées, III, 206 (t. II, p. 127, Brunschvigg). Cf. R. Grousset, Bilan de l'histoire
(1946), p. 302 ss.
3. Sir James Jeans, Vhe mystericus universe, 1930.
8 LUX PERPETUA
se lassaient pas de célébrer la magnificence de la nature, prodigue de ses
richesses, les lois infaillibles qui gouvernent le cours des astres et le retour
constant des saisons, et cet ordre, comme cette beauté, étaient déjà invoqués
par eux, comme ils le furent souvent depuis, pour prouver l'existence d'un
Créateur 1, Mais ils s'émerveillaient surtout de la splendeur des cieux illuminés
pour une fête éternelle et de l'harmonie inaltérable de leurs révolutions, qui
permettait au calcul d'en prédire les mouvements coordonnés durant les siècles
futurs. Cette harmonie n'était pas seulement suivant eux^ mécanique, mais
aussi musicale 2. La rotation des sphères produisait des accords si suaves, que
les instruments qui les rappelaient ici-bas, éveillaient dans l'âme la nostalgie
de ce concert enivrant et suscitaient en elle des transports qui relevaient vers
les cieux. De même la contemplation des astres étincelants provoquait une
émotion profonde, qu'accompagnait un désir intense de s'élancer vers ces dieux
lumineux. Saisi d'une extase mystique, leur observateur fervent pensait se
transporter au milieu du chœur sacré des étoiles et participer à leur existence
éternelle. Mais cette double exaltation, passagère ici-bas, n'est qu'une préli-
bation des joies qui, la mort venue, seront réservées à la raison affranchie
des liens de la matière, lorsqu'elle ira vivre au mi!lieu des constellations et
prenant part à leurs évolutions harmonieuses, en comprendra les causes divines
et sera en même temps ravie par le concert sublime produit par leurs mouve-
ments perpétuels. Telle était la béatitude qu'une religion astrale réservait à
ses élus.
Ainsi, tout semblait exister pour le service et pour la délectation de l'homme
en cette vie, pour sa récompense après sa mort. Roi de cette terre, il pouvait
se croire le centre d'un monde créé à son intention et subordonné à ses fins *.
C'était pour lui que croissaient les plantes, que naissaient les animaux, et que
la nature multipliait ses dons, pour lui que tournaient les cieux et que le soleil
échauffait et illuminait l'atmosphère. Il n'est pas surprenant qu'égaré par
l'enivrement d'une telle puissance, son orgueil lui ait parfois persuadé qu'il
était le seul être intelligent de l'univers et que, détrônant les Olympiens, il se
soit proclamé fièrement athée (àOsoç). Pour nous, notre terre n'est plus dans
l'immensité qu'un grain de sable emporté dans un tourbillon; le pullulement de
notre espèce est la multiplication d'animalcules infinitésimaux, la prolifération
1. Cicér., De Divin. ^11, 3^,95 ; cf. Capelle, of. cit., p. 24, Jâger, Aristoteles, 1923, p. 68.
2. Cf. infra, ch. in, 3.
3. Diogène Laërce, VII, 138. — Polémique de Carnéade contre la téléologie anthro-
pocentrique : V. Arnim, R. E., s. v. « Karneades », col. 1973, 130 s.
INTRODUCTION 9
d'une poussière vivante et son apparition sur notre planète un incident futile,
coinme le serait sa disparition, dans l'évolution totale du cosmos. Et nous ne
pouvons plus croire sans déraison que le don sublime de l'intelligence n'ait
été départi par un privilège unique qu'à un être aussi infime, ni même admettre
sans une étrange présomption que la vie ne se soit manifestée nulle part sous
une forme plus parfaite et plus durable dans des conditions moins instables,
que celles où notre organisme lutte pour une existence éphémère.
« Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que vous n'en rêvez dans
votre philosophie », dit Hamlet à Horatio et la vérité de cette parole est
apparue davantage à mesure que la recherche scientifique pénétrait plus avant
dans l'étude de la nature. Les connaissances restreintes des anciens leur per-
mettaient encore de se figurer que leur philosophie savait tout l'essentiel de
ce qui se passait au ciel et sur la terre. Ils se flattaient de comprendra le
système du monde et d'avoir découvert les rouages de la mécanique céleste.
Dans ce monde sphérique, limité par des orbes animés de mouvements circu-
laires, où tous les phénomènes sublunaires étaient dûs au mélanges des quatre
éléments et commandés par les principes du chaud et du froid, du sec et de
l'humide, rien ne paraissait plus enveloppé d'un mystère impénétrable. Jamais
la raison ne s'est crue aussi proche d'avoir deviné tous les secrets de la nature
et atteint la compréhension de l'essence même des choses dans ce vaste domaine
dont l'homme était à la fois l'observateur et l'usufruitier.
Toutefois cette créature privilégiée à qui l'anthropocentrisme de l'antiquité
attribuait une dignité si éminente dans l'univers, était soumise après un court
passage sur la terre à la nécessité inéluctable de la mort. La brièveté de sa vie
infligeait un démenti brutal à ses prétentions démesurées. La loi inexorable,
qui limitait étroitement le nombre de ses jours et la durée de sa pensée, sem-
blait d'autant plus cruelle qu'une importance plus grande était attribuée à son
activité. « Quand s'éteignait sa brève lumière lui fallait-il dormir- une nuit
éternelle ? » 1. Ou le genre humain possédait-il dès moyens de se soustraire
à la nécessité qui pesait sur lui ?
De tout temps, les Grecs avaient cru que des êtres exceptionnels échappaient
à la règle commune. L'anthropomorphisme rendait l'homme tout proche des
dieux. Leurs vertus éminentes égalaient les héros aux Immortels et, transportés
parmi les Olympiens ou au milieu des astres divins, ils participaient désormais,
de leur éternité.
I. Cf. Catulle, 5. .:. .
lo LUX PERPETUA
La foule vulgaire n'était point aussi favorisée. Mais un fond d'idées tradi-
tionnelles maintenait pour elle la croyance à une rétribution posthume : dans
les Enfers un jugement concédait aux justes les joies très matérielles des
Champs-Elysées, et punissait les coupables des supplices du Tartare. Cet Hadès
était encombré de légendes si absurdes, qu'elles étaient une victime désignée
pour la critique philosophique. Celle-ci aboutit, nous le verrons ^, à la négation
radicale d'Épicure, qui se flattait d'avoir délivré 'les hommes d'épouvantails
dont la terreur empoisonnait leurs jours. Au moment du décès l'âme, selon
lui, se dissolvait « comme un brouillard ou une fumée » et tout sentiment
était aboli ^. Cette doctrine conquit beaucoup d'esprits dans les cercles instruits
et pénétra même avec la force des idées simples et absolues dans les couches
profondes de la population. C'est elle, plus que tout autre, qui depuis l'époque
de Cicéron, répandit à Rome le scepticisme et fit même nier toute survie
individuelle.
Cependant les réflexions qui s'opposent à une telle solution du problème
de notre destinée, ont déjà préoccupé les esprits dans l'antiquité : l'instinct
primordial de la conservation veut prolonger notre vie au-delà du terme
fixé par la nature et c'est mutiler l'homme que de prétendre l'anéantir en lui K
L'amour que nous portons à des êtres chéris se résigne difficilement à
une séparation définitive. La conviction s'impose que le phénomène inexpli-
cable de la conscience dépasse les limitations de notre existence terrestre '\
et le sentiment exige qu'une justice posthume répare les iniquités de notre
monde. L'iépicurisme, pour lequel le genre humain était une création aveugle
du tourbillon des atomes, renda,it incompréhensible pour chacun sa propre
existence ; il n'apaisait pas l'inquiétude qu'éveillait la persuation d'être livré
à une fatalité sans intelligence et sans pitié. En outre, le bonheur purement
négatif qu'il promettait, en représentant la mort comme la fin de nos
misères, paraissait bien pâle à côté de la félicité radieuse dont ses adversaires
faisaient luire l'espérance. Toutes les raisons qui, à travers les siècles, ' ont
alimenté la foi en une existence d'outre-tombe, conduisirent les anciens à
modifier sans cesse leur doctrine de l'immortalité pour essayer de l'adapter à
la science, toujours illusoire, de leur époque, et à remplacer par des formel
nouvelles de survie celles qui semblaient inacceptables et désuètes.
Fantômes exténués végétant dans la nuit du tombeau, ombres insaisissables
1. Cf. infra, ch. ii.
2. Cf. infra, ch. ii, fin.
3. Cf. Bergson, L'énergie spirituelle, p. 62 s.
INTRODUCTION ii
descendues dans les cavernes profondes de la terre, âmes plongées dans l'abîme
ténébreux de l'hémisphère invisible, souffles ignés entraînés par les vents à
travers l'atmosphère, démons lunaires nourris des vapeurs s'élevant d'ici-bas,
essences rationnelles retournant au soleil qui les a créées, ou remontant à
travers le ciel étoile vers l'Empyrée, d'où elles sont descendues, toutes ces
conceptions, qui partent de la foi naïve d'une époque archaïque pour aboutir
aux plus hautes spéculations religieuses, marquent l'effort incessant des pen-
seurs pour mettre la vie future d'accord avec la psychologie et la cosmologie
qu'ils professaient.
Mais dans le paganisme, qui ne connaît point d'orthodoxie théologique, une
nouvelle croyance n'élimine pas nécessairement une croyance antérieure. Elles
peuvent coexister longtemps comme des possibilités entre lesquelles l'intelli-
gence a le choix. Cette indécision ne troublait point des esprits qui n'étaient
pas assujettis à la rigueur dogmatique d'un credo imposé i. Nulle foi ne fut
plus mouvante que celle qui s'attachait à la vie d'outre-tombe et qu'aucunq
expérience ne pouvait contrôler comme la croyance aux théophanies ou aux'
prophéties. Rien n'est plus tenace que les idées relatives au culte des morts,
rien ne se conserve avec plus de persistance à travers les générations que les
usages funéraires. La continuité en est assurée à la fois par l'amour et par la
crainte. En accomplissant scrupuleusement les cérémonies ataviques auxquelles
ont droit les trépassés, on espère obtenir pour ses proches un sort meilleur
dans xm autre monde. D'autre part, on redoute la vengeance des défunts si en
négligeant ces rites, on leur a infligé des souffrances dans leur existence
posthume ^. Ainsi se perpétue une série d'antiques notions dont le culte assure
la conservation, même quand des conceptions plus avancées se sont fait jour.
Comparables à ces organes atrophiés qui subsistent dans les corps évolués sans
y remplir aucune fonction, les gestes traditionnels se réduisent à n'être plus que
survivances dont la valeur première s'est perdue. L'expression de doctrines
hétérogènes, étrangement accolées, se rencontre parfois dans xme même épita-
phe, où. seule une interprétation symbolique peut en atténuer la contradiction.
Ainsi, l'histoire de l'idée d'immortalité chez les Romains est moins celle de
l'évolution d'un concept, que celle d'apports successifs qui se sont déposés sur
un fonds primitif, comme les sédiments qui forment les stratifications géologi-
ques d'un terrain. C'est xm ensemble smgulièrement complexe de croyances et
1. Cf. infra, ch. i, p. 14.
2. Cf. infra, ch. i, p. 19 ss.
12 LUX PERPETUA
de spéculations d'époques diverses que l'antiquité a léguées au Moyen-Age, dont
elles ont alimenté à la fois la théologie et la superstition, jusqu'au moment où
l'écroulement du système géocentrique, en bouleversant toutes les idées sur l'or-
donnance du cosmos, priva de son point d'appui une eschatologie qtii en dépen-
dait indissolublement. Lorsque la terre cessa d'être le centre de l'univers, seul
point fixe entouré par les cercles mouvants des cieux, pour devenir une pauvre
planète tournant autour d'un astre, qui lui-même se meut dans l'immensité
insondable parmi une infinité d'autres, l'idée naïve que les anciens avaient conçue
du voyage des âmes dans un monde étroitement borné devint inacceptable et
le progrès de la science en discréditant la solution erronée que nous avait léguée
l'antiquité, nous a laissé en présence d'un mystère que ne soupçonnaient point
les mystères païens.
CHAPITRE PREMIER
LES VIEILLES CROYANCES
(1)
I. — La vie dans la tombe.
Cicéron abordant dans ses Tusculanea ^ la question de l'immortalité de
l'âme, invoque tout d'abord en sa faveur le fait qu'on y a cru de toute anti-
quité. Si les premiers Romains n'avaient pas été convaincus que l'homme au
sortir de cette vie n'était pas anéanti et que tout sentiment n'était pas éteint
dans la mortj on ne s'expliquerait point, dit-il, les prescriptions du vieux droit
pontifical et les cérémonies célébrées sur les sépultures, dont la violation était
regardée comme un crime inexpiable. Cette observation est d'un esprit très
judicieux. Chez tous les peuples il subsiste dans les rites funèbres, dans les
coutumes du deuil, imposés par la loi religieuse ou par la tradition, des usages
qui dérivent de conceptions archaïques de la vie d'outre-tombe, et qu'on con-
tinue à pratiquer sans plus en comprendre la signification primitive. L'érudition
moderne s'est attachée, parfois avec succès, à les élucider en s'aidant des
I. Nature et survivance de l'âme : Les idées exposées par Rohde, Psyché, ont été cri-
tiquées par Otto, Manen (igz-],); cf. Niisson, Gr. Rel., I, p. i6os. ; R.E., s. v. «Manen»,
t. XIV, 1051-1060 ; Jacobsen, Mânes (1924) ; Bôhmer, Ahnencult (1943).
3. Cic, X^nsc, 1, 12, 27.
14 LUX PERPETUA
pratiques 4es peuples sauvages et du folklore européen. Nous n'entrerons pas
dans la voie de ces recherches, puisque, voulant surtout exposer ici les idées
d'immortalité sous l'Empire romain, nous n'avons à considérer que les croyances
encore vivantes à cette époque. Une fausse interprétation donnée par un phi-
losophe peut avoir pour nous plus de valeur historique que l'explication véri-
table d'une institution dont le sens s'était perdu.
Mais même parmi les idées qui n'étaient point oblitérées ou discréditées,
on distingue des conceptions d'âge très différent.
Les doctrines du paganisme sont, comme le sol de notre planète, formées
de stratifications superposées ; lorsqu'on les creuse, on y découvre, sur les
assises premières, des sédiments successifs et des alluvions récentes. Dans les
religions antiques rien ne se détruit brusquement et les transformations ne sont
jamais révolutionnaires. La foi du passé n'est pas entièrement abolie, quand
se forment de nouvelles façons de croire. Aucune théologie ne formulait alors
le credo d'une orthodoxie canonique, hors de laquelle tout était erreur. Des
opinions contradictoires pouvaient coexister longtemps sans qu'on fût choqué
de leur désaccord, et c'est peu à peu, lentement, que le raisonnement excluait
les unes au profit des autres, non sans qu'il en subsistât dans les esprits et dans
les mœurs des survivances tenaces. Si des novateurs, devançant leur temps,
s'affranchissaient des préjugés généralement reçus et sanctionnés par une
longue tradition, des retardataires s'attachaient obstinément à des croyances
discrédités et rejetées par tous les esprits éclairés. Ainsi, la foi en la vie future
qui avait cours à Rome, se présente comme un amalgame singulier où des idées
naïves, remontant à l'époque préhistorique, se mêlent à des théories scientifiques
importées tardivement en Italie. Le métissage de la population, qui résulta de
l'émigration et de l'esclavage dans un empire unifié et pacifié, y fit vivre côte
à côté des hommes de races diverses et d'un niveau de culture très différent ;
par suite, aux conceptions philosophiques d'une civilisation raffinée se mêlaient
dees souvenirs de la sauvagerie primitive. Un synchronisme apparent dissimule
la coexistence de croyances d'âges très éloignés dans le temps.
Considérons d'abord la plus ancienne de ces diverses manières de se figurer
la survie dans l'au-delà. L'ethnographie a démontré que chez de nombreux
peuples a régné et règne parfois encore la croyance que les morts continuent
à vivre dans le tombeau. Le peu que les fouilles archéologiques nous ont appris
sur les conceptions religieuses des tribus diverses qui peuplaient l'Italie,
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES IS
montre qu'elles ont partagé ce sentiment dès l'âge de la pierre i. Malgré
toutes les variations locales et raciales, on a constaté dans les usages funé-
raires une certaine uniformité, d'où il est permis de tirer quelques con-
clusions générales. Les égards témoignés au mort qu'on inhume prouvent
à l'évidence qu'on ne croyait pas que toute sensibilité fût éteinte en lui.
D'ordinaire sa tombe est construite avec soin. On y dépose le cadavre couvert?
de ses vêtements, paré de ses bijoux ; on place à côté de lui les armes, les
ustensiles dont il avait coutume de se servir, en y joignant quelque nourriture,.
Nous ne forcerons pas le sens des faits observés, si nous en concluons
que pour la plupart des inhumants de la péninsule, les défunts habitaient une
maison souterraine, où, menant une vie analogue à celle des survivants, ils res^
talent fidèles à leurs anciennes habitudes. La substitution de la crémation à
l'enterrement ne changea rien aux convictions des peuplades qui adoptèrent cet
autre rite des funérailles. La preuve en est que les incinérants déposent le
cadavre sur le bûcher habillé comme pendant la vie terrestre, que l'urne con-
tenant les cendres est traitée exactement comme l'était le corps, dont elle prend
parfois plus ou moins l'aspect. Elle est placée pareillement dans le tombeau
qui la reçoit avec des armes, des outils, des objets de toilette, des mets et des
boissons. Fréquemment l'urne cinéraire elle-même reproduit plus ou moins
exactement l'apparence de la hutte où s'abritaient les vivants '. Ainsi tout
ce que l'archéologie nous apprend corrobore la conclusion qu'aussi haut que
nous puissions remonter, les tribus italiques ont accepté cette foi en une survie
dans la sépulture que partagea une large portion de l'humanité à un stade
reculé de son évolution.
Les primitifs, déconcertés par la mort, ne peuvent se persuader que cet être
qui se mouvait, sentait, voulait, comme eux-mêmes, puisse êtjre brusquement
privé de toutes ses facultés. Celui qui était plein de vigueur, devait, bien que
ses membres raidis fussent réduits à l'immobilité, garder quelque chose de la
force qui avait été sienne. Cette force devait se conserver pendant une durée
indéterminée ou même infinie. L'idée la plus ancienne et la plus grossière est
que le cadavre même n'était pas dépourvu d'une sensiblité obscure, qu'il ne
i.Fr. von Duhn et Messerschmidt, Italische Gràberkunde, 2 vol., Heidelberg, 1924-
1939 j -^- Grenier, Bologne villanovienne et étrusque, 1912 ; R. Mac Iver, Villanovians
inà, early Etruscans, Oxford, 1924. Rose, Ancient italian beliefs concerning the soûl.
(dans 'Che classical quarterly, 1938, pp. 129-135) ; J. Heurgon, Cafoue -préromaine,
Paris, 1942, p. 394 ss.
2. Cf, infra, N. C. (= Note Complémentaire) I.
i6 LUX PERPETUA
pouvait plus manifester ; on se le figurait plongé dans une torpeur semblable
à celle du sommeil. L'énergie vitale qui l'avait animé, continuait à rester atta-
chée à son corps et ne pouvait subsister sans lui. Cette croyance a été si( puis-
sante en Egypte qu'elle a inspiré toute une partie du rituel funéraire et pro-
voqué des soins infinis pour assurer la préservation de la momie. Mais même
en Occident, cette idée instinctive a survécu vaguement, et l'on pourrait de nos
jours encore en découvrir quelques traces. Lucrèce i, dans un passage curieux,
constate cette ténacité des vieux préjugés qu'Épicure se flattait d'avoir détruits ;
il croit devoir combattre cette illusion invincible des hommes, qui, tout en
affirmant que la mort .supprime tout sentiment, gardent ime inquiétude secrète
des souffrances que leur dépouille sera sujette à endurer et s'apitoient sur leur
propre sort à l'idée qu'elle pourrait être dévorée par les vers ou par les cair-
nassiers : « Ils ne peuvent se séparer d'elle, ils ne se distingent pas de ce
corps étendu qu'ils se figurent être encore eux-mêmes. Pourquoi, continue le
poète, serait-il plus douloureux d'être la proie des fauves, que d'être rôti par
la flamme du bûcher, de geler couché sur la dalle glacée du tombeau ou d'être
écrasé sous le poids de la terre entassée. » Mais précisément cette appréhension
que la terre puisse oppresser lourdement ceux qui y sont ensevelis, se manifeste
chez beaucoup de peuples qui pratiquent l'inhumation, et elle s'exprime à Rome
dans ce souhait, si usité qu'on le rappelle dans les épitaphes par de simples
initiales : S(it) t{ibt) t{erra) l{evis) ; « Que la terre te soit légère ». Sans doute
ce vœu appartenait-il au formulaire des prières que l'on prononçait sur la tombe
et son emploi rituel en a-t-il assuré la persistance, même lorsqu'on eut cessé
d'admettre la sensibilité posthume qu'elle impliquait. Cependant jusque sous
l'Empire il s'est trouvé des philosophes stoïciens pour soutenir que l'âme ne
durait qu'aussi longtemps que se conservait le corps ^ et lorsque dans les
imprécations on souhaitait que la terre pesât lourdement sur la dépouille d'un
ennemi c'est évidemment avec l'idée que celle-ci était exposée à en souffrir 3.
Mais l'expérience prouvait que le cadavre se décomposait promptement dans
le sol et qu'il n'en subsistait que des ossements décharnés. Lorsque se généralisa
la coutume de l'incinération, qui, pratiquée en Italie depuis l'époque préhisto-
rique, fut communément usitée de préférence à l'inhumation pendant les deux
1. Lucrèce, III, 870 ss. Cf. Ovide, Met., XV, 156.
2. Servius, En., III, 68.
3. Tertull., De testim. animae, 4 : « Ut sentieati maledicis, terram gravem impre-
caris ». Cf. Dessau, 8igo.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES ï?
premiers siècles de l'Empire \ la destruction du corps s'opéra sous les yeux
mêmes des assistants. On en arriva ainsi à penser que ces trépassés qu'on
revoyait en rêve ^ et qu'on croyait parfois sentir près de soi, qu'on gardait au
moins présents dans la mémoire, étaient devenus quelque chose de différent
de cet être d'os et de chair qu'on avait connu. Il se détachait de cette personne
matérielle des éléments subtils, remplis d'une force mystérieuse, qui subsis-
taient quand l'organisme humain était tombé en poudre ou réduit en cendres.
C'était ce même principe qui abandonnait provisoirement les personnes à qui
un évanouissement ou une léthargie faisait perdre connaissance. Si cette
essence légère n'avait pas quitté le mourant au moment où il expirait, — car
il n'était point certain qu'elle pût se dégager immédiatement de sa gangue
corporelle — le feu du bûcher la libérait ; mais elle continuait à habiter le
sépulcre dans lequel reposaient les ossements desséchés ou calcinés du morti,.
L'idée qu'elle était liée en quelque manière à ceux-ci était ancrée dans les
esprits, et la littérature même atteste la persistance de cette opinion vulgaire,
si profondément enracinée qu'elle survivait à côté de formes moins matérielles
de la foi en l'immortalité. Properce, maudissant une femme, lui souhaite « que
ses Mânes ne puissent se fixer près de ses cendres » ^ . Et à Liternum en Cam-
panie, où s'était fait inhumer Scipion l'Africain, ne voulant pas, comme il
disait, laisser même ses os à son ingrate patrie, on montrait la grotte où il
reposait et où, croyait-on, « un serpent gardait ses Mânes » *. Comme les
épitaphes, les écrivains persistent ainsi à parler d'ensevelir dans le sépulcre
l'âme, l'ombre, les Mânes de celui qu'on y dépose et leur langage exprime
encore, presqu'à leur insu, l'antique croyance qu'on y enfermait, avec le cada-
vre, quelque chose de vivant". Encore au v^ siècle de notre ère la superstition,
populaire gardait la conviction qu'on pouvait emprisonner une âme, non seu-
lement dans la tombe, mais dans une urne cinéraire .
On ne peut s'attendre à trouver une cohérence logique dans des sentiments
instinctifs. A l'idée que le corps ou même les ossements calcinés sont associés
en quelque mesure à la survie de l'âme, s'oppose celle que le cadavre inanimé
1. Cf. N. C, I.
2. Taylor a fait de ces visions oniriques la source de la croyance a l'immortalité,
et sans doute a-t-il exagéré, mais elles restèrent toujours une des raisons que l'on invo-
qua en sa faveur, cf. -infra, ch. I, 4.
3. Properce, IV, 5, 3 ; cf. VirgUe, En., III, 68.
4. Pline, H. N., XVI, 44, 234 ; cf. Tite-Live, XXXVIII, 53 et OttOj Manen, p. ^j.
5. Muzzioli, Studi e materiali di st. délie relig., 1939, XV, p. 42. Cf. Quint., Declam.
X, 7, infra, p. 22, n. i.
i8 LUX PERPETUA
est impur. Dès que la vie l'a abandonné, il devient la proie d'une corruption
fétide qui bientôt le défigure et en fait un objet d'horreur. Par suite, on cru
naturellement que son contact ou même sa présence souillaient ceux qui l'appro-
chaient. Après les funérailles, des ablutions étaient imposées pour effacer cette
pollution 1. Cette nécessité d'une désinfection pour se prémunir contre les suiteS)
d'une contagion contractée auprès de la dépouille de ce qui avait été un être
humain, était si profondément ressentie, qu'elle n'a pas cessé à travers les siècles
d'inspirer en France nombre de pratiques du folklore".
Il ne faudrait pas tenter de définir avec trop de rigueur les caractères
d'une âme dont la nature restait vague et flottante pour ceux-là même qui en
admettaient l'existence, car leurs conceptions furent, dès l'origine, complexes
et multiples ^ Mais certainement cet esprit désincarné, quelles que fussent ses
qualités, gardait, suivant eux, l'apparence de l'être vivant comme le montraient
les apparitions qui surgissaient dans les rêves et les visions qu'évoquait la
mémoire et auxquelles l'homme encore inculte prêtait une réalité objective.
C'était un èidôlon, ime âme-image, reproduisant les traits et la stature du
défunt. Simulacres de ceux qui n'étaient plus, mais qui cependant existaienit
encore, puisqu'ils se montraient aux survivants tels qu'ils avaient été, ces esprits
des morts étaient impalpables, d'une fluidité presque immatérielle, mais ils
conservaient la faculté de se mouvoir, de sentir, de parler, comme avant leur
décès.
A cette idée primitive de la persistance latente de la vie dans le corps rigide
et glacé ou de son transfert à im être vaporeux semblable au corps, s'associe
celle que le défunt conserve tous les besoins et tous les sentiments qu'il éprou-
vait auparavant. De cette conception est né le culte funéraire qui se célèbre
près du cadavre et sur le tombeau. L'étude comparative des pratiques usitées
au moment des funérailles et ensuite sur la sépulture chez les différents peuples
indo-européens a prouvé à l'évidence que les rites funéraires qui leur sont com-
muns remontent à l'époque reculée où ils étaient encore réunis' . Ils se ratta-
chent à ce culte des ancêtres qui leur appartient à tous et est intimement lié a
la religion familiale et à la division de la société en gentes. Fustel de Cbu;-
langes qui, le premier, a mis ces faits en lumière, en a conclu déjà que les Aryens
1. Rohde, Psyché (tr. fr.) pp. i8i, 193, 323 ss. — Cf. infra, p. 22, n. 7.
2. Van Gennep, pp. 656, 776, 785 ss.
3. Cf. Nilsson, Gr. Rel., p. 50 ss. ; p. 178 ss.
4. Schrader-Nehring. s. v. « Ahnencultus », t. I, p. 18 ss. ; Hastings, Enc, s. v.
« Ary an. religion ».
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 19
croyaient à la survivance vague et indécise de l'être humain^ invisible mais non
immatériel, et réclamant des mortels une nourriture et des breuvages ' . Chez
certains d'entre ces peuples, des textes du XVF siècle prouvent encore la per-
sistance de coutumes mortuaires qui, jusque dans leurs détails, sont semblables
à celles usitées primitivement en Grèce et à Rome~. Même en dehors des popu-
lations de race aryenne, en particulier chez les Sémites, les cérémonies célé-
brées en l'honneur des morts offrent aussi dans leur ensemble une similitude
remarquable avec celles dont les Hellènes et les Italiques avaient conservé la
tradition '\ parce qu'à un certain stade de civilisation, l'on se fit de la condition
des défunts une idée semblable et l'on peut, dans ce sens limité, parler de
l'universalité d'un même culte des morts.
La comparaison des rites funéraires accomplis ainsi par l'humanité presque
entière en éclaire la signification : elle montre qu'ils s'inspirent presque partout
des mêmes sentiments. Les manifestations de la piété envers les disparus procède
de la crainte plutôt que de l'espoir, d'une aversion, autant que d'une affec-
tion, car les défunts &ont enclins au ressentiment et prompts à la vengeance, si on
les offense ou les néglige*. On appréhende cette force inconnue qui est en
eux, cette puissance mystérieuse qui les fait agir. Si le cours de leur existence
terrestre a été subitement interrompu, surtout s'ils ont péri avant l'âge, on
soupçonne qu'ils ont été victimes de quelque maléfice^ ; s*ils ont succombé à
une longue maladie, c'est par suite d'une invasion d'esprits malfaisants, pro-
voquée par des sortilèges. On redoute toujours le ressentiment ou la malveil-
lance de ceux qui ont été arrachés à leur foyer et à leurs habitudes ; ils
envient, croit-on, les survivants qui voient encore la lumière et jouissent des
biens dont ils sont privés. Dans de nombreuses contrées des deux iiémisphères
on a constaté cette attitude des sauvages envers les trépassés, qu'ils s'ingé-
nient, par tous les artifices en leur pouvoir, à tenir éloignés deux-mêmes et
à bannir de leur demeure. La crainte des morts a été l'inspiratrice fécondei
. de rites infiniment variés, précautions prises pour déjouer la malignité astu-
cieuse d'esprits irritables ou pour apaiser leur ressentiment et se concilier leur
bienveillance secourable.
1. Fustel de Coulange, La cité antique, p. 78.
2. Voir N. C, IL
3. A. Lods, La croyance à la vie future dans l'antiquité israélite, Paris, 1906 ; Loisy,
Sacrifice, p. i6z s,
4. Jobbé-Duval, Les morts malfaisants, Paris, 1924. Frazer, Zlhe fear of the àead,
^^933 (trad. française : La crainte des morts, Paris, 3 vol., 1934-1937). Cf. Servius, En,
III. 63 : « Maues placari saçrificiis ne noceant ».
5- Cf, infra, ch. vii (morts prématuréesj.
20 LUX PERPETUA
Dips explosions bruyantes de douleur, puis des manifestations prolongées
d'affliction prouveront d'abord à celui qui s'en est allé qu'il est vraiment
regretté et qu'on ne se réjouit pas d'être débarrassé de lui. Les lamentations
de la famille réunie autour du cadavre étendu sur sa couche se retrouvent chez
une quantité de peuples aryens et non aryens i, et pour les rendre plus impres-
sionnantes, souvent des pleureuses à gages {praeficae) étaient invitées à y
participer. Chez les anciens les plus civilisés les chants funèbres étaient encore
accompagnés fréquemment de cruelles mutilations, comme chez les primitifs :
les femmes s'arrachaient les cheveux, s'égratignaient les joues, se frappaient la
poitrine et la tête 2. Avec leur sens de la mesure les Grecs s'attachèrent à
modérer l'excès de la violence dans l'expression de la douleur s. Les lamenta-
tions des Romains avaient, à l'origine, le même caractère de sauvagerie ef
donnaient lieu aux mêmes transports. Atténuées, elles continuèrent à être prati-
quées jusque sous l'Empire* et les sculptures des sarcophages montrent quelle
importance l'on persistait à y attacher, quoique leur sens primitif fût probable-
ment oublié''. Ni le triomphe du christianisme*', ni la domination de l'Islam ne
purent détruire une couutme millénaire, regardée comme un devoir envers les
disparus. Les cantilènes attristées et les hurlements aigus des parents et amis,
comme l'emploi de « vocératrices » professionnelles, se sont maintenus dans
plusieurs provinces françaises jusqu'au XIX^^ siècle'. Aujourd'hui encore en Corse
et dans bien d'autres régions de l'Europe et de l'Asie, lorsqu'une vie s'est
éteinte, on entend retentir dans la maison endeuillée la lugubre mélopée de la
complainte funèbre^.
1. Eugen Reiner, Die rituelle Votenklage der Griechen, Stuttgard, 1938 j M. Cramer,
Die 'Cotenklage bei den Kopten (Sitxungsb. Akad. Wien, tome 219, 2) 1.941 (compa-
raison avec les autres peuples).
2. Ernst Samter, Geburt, Hochzeit und Zlod p. 703.
3. Rohde, Psyché, tr. fr., 182 s. — Cf. Boyancé, R. B. A., 1944, XL VI, p. 181. Préam-
bule de Charondas dans Stobée, IV, p. 149 .; cf. Delatte, Politique -pythagoricienne, Liège,
1922, p. 199.
4. Horace, Odes, II, 20, 22 ; Cicéron, De leg., II, 59 ; Lucien, De luctu, 19. Cf.
Lattimore, p. 178 s.
5. Sarc. des Haterii avec les praeficae : Rushford, J. R. S., 1915, V, p. 149. — Rei-
nach, R. R., II, 240 (Cluny), III, 45 (Florence).
6. Cf. Jean Chrysost., Homil. in loh., LXII, 4 (P. G. LIX. 346 ss.); In epist. aà
Hebraeos hom. IV (P. G., LXIII, 42 s.) ; In epist. ad Corinthios homil. XII (P. G.,LXI,
106) ; Julien, Epist., 136 (p. 197, 9).
7. Cf. Van Gennep, p. 668 s., 679 ss.
8. En Grèce : Schmidt, A. Relgw., 1926, XXIV, p. 294 ss. — En Corse : Enciclof-
Italiana, s. v. « Vocero » (XI, 517, 525). — Chez les Slaves, infra N. C. IL — Dans les
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 21
On peut dire que primitivement le culte funéraire commençait, dès avant le
décès. Une antique coutume, tombée en désuétude à Rome, mais dont on con-
servait le souvenir et qui s'était maintenue ailleurs, voulait qu'on déposât le
moribond sur le sol devant la porte de la maison. Pour que le défunt pût être
accueilli dans le sein de la Terre mère, il devait mourir en contact direct avec
elle. Ainsi seulement, il pouvait être admis immédiatement dans le séjour sou-
terrain des trépassés^'.
De même, on n'a pu relever à Rome que de faibles traces de la veillée des
morts. Sans doute était-il d'usage de faire garder le cadavre pour que rien
de fâcheux ne lui arrivât depuis le décès jusqu'aux obsèques \ mais on ne trouve
rien de semblable à la coutume de se réunir dans la chambre mortuaire et d'y
passer la nuit à boire jusqu'à l'ivresse et à se divertir bruyamment pour réjouir
le défunt. Cependant cet usage existait chez les Celtes de la Gaule comme
chez les Germains d'outre-Rhin'', et, en Bretagne, il s'est conservé jusqu'à nos
jours*. Les Irlandais l'ont même transporté aux Etats-Unis où ils continuent
à célébrer leur Iris wake alcoolique.
C'est après le départ de la maison mortuaire •-j que se déroulent chez les
Romains les cérémonies successives du culte funéraire. Le souci de ne point
attirer sur soi le ressentiment du défunt veut qu'on lui assure une existence
supportable dans la nouvelle habitation devenue sienne, car sinon il vien-
drait molester sa famille et punir ceux qui l'ont privé de ce qui lui était dû.
La sollicitude pour des êtres aimés, le désir de les empêcher de souffrir, l'es-
poir d'obtenir leur protection ont eu une part dans la naissance et dans le
maintien de ces pratiques, mais celles-ci furent inspirées surtout, nous le
disions, par la peur que causaient les esprits, et la preuve en est qu'elles étaient
les mêmes pour tous les trépassés indistinctement, qu'on les eût chéris ou
détestés .
pays musulmans, Cramer, /. c. [su-pra, p. 20, n. i], p. 81 ss. — En. Perse : Henri Massé,
t. I, p. 96 ; 108. — En Egypte : Galal, Revue des et. islamiques, i<)yj, p. 57 ss.
1. Servius,> En., XII, 395 : « Ut extremum spiritum redderent terrae ». Cf. Dieterich,
Mntter Erde, p. 26 ss. ; Samter, Festschrift O. Hirschfeld, 1903, p. 249 ss., ; Jacobsen,
p. 114, n. 4. — La coutume s'est conservée en Grèce, cf. B. Schmidt, l. c. [p. 20, n. 8],
p. 284.
2. Properce, IV, 7, 25 ; Firmic. Mat., Mathes., III, 9,3. C£. Paul Thomas, Bull. Acad.
de Belgique, 5e série, t. VIII, 1922, p. 415 ss.
3. La veillée mortuaire se trouve partout en France ; cf. yan Gennep, p. 703 ss. —
En Allemagne, cf. Sartori, Sfeisung der Zlolen [infra, p. 29, n. 2}, p. 107 s. 5 Grimm, Deutsche
Mythol. *, III, p. 405 ; Wôrterhuch d. deutschen Aherglaubens, s. v. « Leicbenwache ».
4- A. Le Braz, La légende de lç( mort che% Içs Bretons^ 2^ éd. Dottin, p. 229.
22 LUX PERPETUA
Le premier devoir de la famille, quand un de ses membres avait passé de
vie à trépas, était de lui assurer des funérailles religieuses. Depuis les temps
les plus reculés, tous les peuples de l'antiquité ont partagé la croyance que les
esprits de ceux qui n'ont pas été ensevelis selon les rites souffrent dans l'autre
vie. La privation de sépulture est un crime inexpiable commis envers ses
parents, une peine redoutable infligée par le droit pénal, une malédiction qui
menace tous les hommes. Car de l'accomplissement exact des cérémonies consa-
crées dépend le repos dans l'au-delà. Sans doute les formules liturgiques qu'on
prononçait avaient- elles le pouvoir de fixer l'ombre dans le tombeau '. Si le
mort n'y a pas été déposé suivant les formes prescrites par la tradition, son
âme est condamnée à rôder sans trêve sur la terre, larve maudite et perni-
cieuse, fantôme inquiet et inquiétant, qui se venge sur les survivants des maux
que ceux-ci lui ont infligés et qu'invoquent les magiciens comme des démons
redoutables^. Les esprits des naufragés qui périssent en mer vaguent à la
surface des flots ^, et la croyance vulgaire veut qu'ils deviennent des mouettes
voletant çà et là*. On redoute surtout d'être dévoré par les poissons, ce qui
exclut toute possibilité de funérailles décentes *. L'absence d'un enterrement
convenable était ainsi considérée comme une source de tourments infinis pour
les disparus comme pour les survivants. C'était un devoir pieux que de jeter
quelques mottes sur un cadavre abandonné et la charité commandait au passant
le plus pressé de s'arrêter devant les restes d'un inconnu pour déposer sur lui
une poignée de glèbe*. Les pontifes, qui se croyaient souillés par la rencontre
d'un cadavre, ne pouvaient cependant, s'ils trouvaient un corps gisant sur le .sol,
le laisser non inhumé''. Ensevelir les morts est resté dans l'Église une œuvre
de miséricorde. L'abandon suprême était le pire des châtiments que dans les
imprécations on souhaitait à ses ennemis**. Il provoquait chez les croyants une
auxiété comparable à celle que leur cause aujourd'hui le refus des derniers
1. Cf. Quititilien, Déclam., X, 7 : Ombre enfermée dans le tombeau par une incan-
tation magique.
2. Jobbé-Duval, of. cit. ; André Parrot, Malédictions et violation des tombes, 1939,
p. 150 ss.
3. Achill. Tat., XVI, i ; Sénèque, Cons. Helv., XIX, 4 ss. Edm. Leblant, Mém. Ac.
Inscr., XXVIII, z^ partie, 1875, pp. 75 ss.
4. Weicher, Der Seelenvogel, 1902, p. 23 n. i.
5 Pa-pyr. mag., V, 280 (I, p. 190, Preisendanz) ; Anthol. Pal., VII, 276. Cf. Dolger,
A. Chr., Ij 1929, p. 179-
6. Pseudo-Quintilien, Déclam., V, 6.
7. Servius, En., VI, 176.
8. Horace, É-pode, 5, fin ; Virgile, En., IV^ 620, etc.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 23
sacrements. La loi dans les cités grecques comme à Rome privait souvent de
sépulture les suicidés et les suppliciés dans l'espoir que l'appréhension d'un(
sort misérable dans l'au-delà pourrait détourner les désespérés et les criminels
de leur funeste dessein * . Parfois elle défendait seulement que le coupable fût
enseveli dans sa patrie 2, peine presque aussi terrible, puisque ses Mânes ne
pouvaient ainsi recevoir les offrandes de ses proches. Aussi, lorsque quelque
accident ^faisait périr à l'étranger un voyageur, un soldat, ou un marin en mer,
ramenait-on, quand on le pouvait, le corps dans son pays natal. Si c'était
impossible on lui élevait au moins un cénotaphe et l'on appelait à haute voix
trois fois le mort par son nom, afin qu'il vînt habiter la demeure qu'on lui
avait préparée^. Lorsque la crémation se généralisa à Rome, le vieux droit
pontifical imagina un autre subterfuge pour que les anciens rites pussent être
accomplis : on coupait un doigt au cadavre porté au bûcher et l'on jetait troiis
fois une poignée de terre sur cet os resectum'^.'
Ces antiques croyances, source de tant d'angoisses et de superstitions, furent
vivement combattues par les philosophes. Les Cyniques d'abord, puis les Épicu-
riens et les Stoïciens s'attachèrent à en démontrer l'absurdité. Ils aimaient à
citer la réponse de Théodore l'Athée à Lysimaque, qui le menaçait d'une mort
sans sépulture : « Qu'importe que je pourrisse sur la terre ou au-dessous ? » ^.
Il est indifférent à un sage qu'une dépouille insensible et inerte soit brûlée
ou inhumée, dévorée par les vers ou par les corbeaux. Pourquoi périr au loin;
serait-il une infortune ? Il n'y. a de patrie que pour les vivants ; la terre
entière est la demeure des morts ^. Mais la fréquence même avec laquelle
ces lieux communs étaient répétés dans les écoles, prouve combien étaient
tenaces les préjugés qu'ils prétendaient déraciner. Les appréhensions irrai-
sonnées qu'inspirait la privation de sépulture subsistèrent jusque sous l'Empire,
non seulement dans la foule crédule, mais encore dans les classes les plus
éclairées. On en trouve des preuves dans le souci extrême que prennent ceux
qui le peuvent de se faire construire un tombeau et d'y, assurer à jamais
1. Cf. infra, ch. vii.
2. Sénèque, Remed. fortuit., III, 2 ; cf. Rohde, Psyche,J.,p. 218,11. i (tr, fr.,p. 179,11. 5).
3. Saglio-Pottier, s. v. «Funus», 1936. — Funérailles fictives en Bretagne : Van Gen-
Jiep, p, 819.
4. Infra, N. C, I.
5. Sénèque, Dial.,ïK, 14, 3 ; Cic, Vusc, I, 43, 102.
6. Philon, De losepho, 5 (IV, 66 Cohn). —Sénèque, Epist., 92,34s.; Remed. fortuit, lïl,
2, 3. — Lieu commun de la philosophie, cf. Lucrèce, III, 870 avec la note de Heinïse
(p. 169).
24 LUX PERPETUA
par une fondation, la célébration des cérémonies funéraires, dans la menace
de peines judiciaires et de châtiments divins que formulent les épitaphes contre
les sacrilèges qui violeraient le sépulcre', dans la constitution d'une foule
de collèges populaires dont le principal objet était d'assurer à leurs membres
des obsèques honorables. Le règlement des cultor.es de Diane et d'Antinoiis
à Lanuvium 2, stipule que si le maître d'un esclave décédé refuse mécham-
ment de livrer son corps, le collège célébrera un funus imaginarium : c'est
à-dire que la cérémonie se passera en présence d'une figure représentant le
défunt et portant xm masque à sa ressemblance. On attendait de cet enter-
rement « imaginaire » des effets aussi salutaires que l'envoûteur opérant sur
une poupée qui figurait sa victime, s'en promettait de nuisibles.
La crainte d'un destin funeste résen/é à ceux qui n'ont pas obtenu les
honneurs funèbres est un des sentiments les plus généralement partagés et
les plus durablement conservés par les populations païennes. Les Juifs eux-
mêmes acceptèrent une croyance semblable et pensèrent que celui qui ne
reposait pas en paix dans le tombeau n'avait pas de part à la résurrection de
la chair. Les chrétiens héritèrent de cette conviction et crurent en grand
nombre que si le corps n'avait pas été inhumé ou si ses ossements avaient été
dispersés par une main impie, il ne se relèverait pas au jour suprême ^ Les
efforts des docteurs de l'Eglise pour extirper cette superstition, furent long-
temps aussi infructueux qu'avait été la réaction philosophique à dissiper une
épouvante instinctive des foules. Les terreurs d'autrefois continuent même à
hanter les Grecs d'aujourd'hui et ils restent persuadé, qu'à défaut d'obsè-
ques religieuses, le mort revient errer sur la terre, transformé en un vampire
sanguinaire *.,
Le tombeau est la maison du mort. C'est là une idée commune à tout le
monde antique et à travers la sculpture funéraire on peut suivre la trans-
mission d'Orient en Occident, de la tradition artistique qui veut que la
sépulture reproduise l'habitation ". Cette assimilation remonte en Italie, nous
l'avons vu (p. 15), bien au-delà de la fondation de Rome. Les nécropoles pré-
1. Dessau, 8178 ss. Cf. Parrot, o-p. cit. \_su-pra, p. 22, a. 2].
2. CIL, XIV, 21 12 = Dessau, 7212.
3. Edmond Leblant, Les martyrs chrétiens et les supplices destructeurs des corps
(Mém. Acad. Inscr., XXVIII, 2 (iSy^), p. 75-95) ; Cabrol-Leclerq, s. v. «Ad Sanctos »,
p. 479. Cf. p. ex. CIL, V, 5415 = Diehl, 3863, cf. 3845 n. ; Princeton exped., Prentice,
Greek inscr., III B, 2, p. 106.
4. Lawson, Modem greek folklore, p. 403.
5. "Wiesner, Das altgriechische Votenhaus {A. Relgw., 1938, XXXV, p. 314 ss.).
Sarcophage de Simpelveld.
La morte étendue sur sa couche, devant elle reproduction de sa villa.
Sarcophage de Simpelveld.
Le mobilier ornant la chambre de la défunte.
24 LUX PERPETUA
par une fondation, la célébration des cérémonies funéraires, clans la menace
de peines judiciaires et de châtiments divins que formulent les épitaphes contre
les sacrilèges qui violeraient le sépulcre ', dans la constitution d'une foule
de collèges populaires dont le principal objet était d'assurer à leurs membres
des obsèques honorables. Le règlement des c7i.ltor.es de Diane et d'Antinoiis
à Lanuvium -, stipule que si le maître d'un esclave décédé refuse mécham-
ment de livrer son corps, le collège célébrera un funus imagiimrhifn : c'est
à- dire que la cérémonie se passera en présence d'une figure représentant le
défunt et portant un masque à sa ressemblance. On attendait de cet enter-
rement « imaginaire » des effets aussi salutaires que l'envoûteur opérant sur
une poupée qui figurait sa victime, s'en promettait de nuisibles.
La crainte d'un destin funeste réservé à ceux qui n'ont pas obtenu les
honneurs funèbres est un des sentiments les plus généralement partagés et
les plus durablement conservés par les populations païennes. Les Juifs eux-
mêmes acceptèrent une croyance semblable et pensèrent que celui qui ne
reposait pas en paix dans le tombeau n'avait pas de part à la résurrection de
la chair. Les chrétiens héritèrent de cette conviction et crurent en grand
nombre que si le corps n'avait pas été inhumé ou si ses ossements avaient été
dispersés par une main impie, il ne se relèverait pas au jour suprême '\ Les
efforts des docteurs de l'Eglise pour extirper cette superstition, furent long-
temps aussi infructueux qu'avait été la réaction philosophique à dissiper une
épouvante instinctive des foules. Les terreurs d'autrefois continuent même à
hanter les Grecs d'aujourd'hui et ils restent persuadé, qu'à défaut d'obsè-
ques religieuses, le mort revient errer sur la terre, transformé en un vampire
sanguinaire *v
Le tombeau est la maison du mort. C'est là une idée commune à tout le
monde antique et à travers la sculpture funéraire on peut suivre la trans-
mission d'Orient en Occident, de la tradition artistique qui veut que la
sépulture reproduise l'habitation '. Cette assimilation remonte en Italie, nous
l'avons vu (p. 15), bien au-delà de la fondation de Rome. Les nécropoles pré-
1. Dessau, 8178 ss. Cf. Parrot, o-p. cit. [swpra, p. 22, n. 2].
2. CIL, XIV, 21 12 == Dessau, 7212.
3. Edmond Leblant, Les martyrs chrétiens et les supplices destructeurs des corps
(Mém. Acad. Inscr., XXVIII, 2 (1875), p. 75-95) ; Cabrol-Leclerq, s. v. «Ad Sanctos »,
p. 479. Cf. p. ex. CIL, V, 54x5 == Diehl, 3863, cf. 3845 n. 5 Princeton exped., Prenticc,
Greek inscr., III B, 2, p. 106.
4. Lawson, Modem greek folklore, p. 403.
5 Wiesner, Dus altgriechische Votenhaus {A. Relgw., 1938, XXXV, p. 314 ss.).
Sarcophage de Simpelveld.
Lu morte étendue sur sa couche, devant elle reproduction de sa villa.
Sarcophage de SiiMpelvei-d.
Le mobilier ornant la chambre de la défunte.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 25
historiques du premier âge du fer, rappelons-le, ont fourni une quantité d'urnes
cinéraires imitant les types divers des cabanes où s'abritaient les tribus qui
peuplaient alors la péninsule 1. D'autre part, les hypogées grandioses des
Étrusques sont souvent disposés selon le plan de leurs demeures, et tous les
visiteurs de l'antique Caeré auront gardé le souvenir de cette « Tombe des
stucs » où sur les parois sont représentés en relief les ustensiles domestiques
qui, dans la réalité, étaient accrochés au mur des habitations. Les Celtes, en
Gaule et hors de la Gaule, ont, au moins depuis le IV^ siècle avant notre ère,
sculpté des stèles funéraires en forme de maison et y ont déposé les cendres
du mort, qui était censé s'établir à jamais dans cet étroit espace, image réduite
de son ancien domicile 2. Une curieuse découverte faite récemment à Sim-'
pelveld dans le Limbourg hollandais, montre combien cette croyance naïve
d'une antiquité immémoriale restait encore vivace à l'époque des Antonins ^
Les faces intérieures d'un sarcophage sont décorées de bas-reliefs représentant
la défunte étendue sur une couche et, à côté d'elle, le mobilier de sa chambre
avec sa vaisselle rangée sur une table et sur un dressoir ; en face, se voit en
réduction l'aspect extérieur de la villa où cette matrone avait vécu. Ces
simulacres, cachés sous un lourd couvercle et profondément enfouis sous la
terre, étaient mis au service personnel de l'ombre qui habitait l'obscurité
de cette cuve de pierre.
Comme ces sculptures, les épitaphes romaines ne laissent aucun doute sur
la persistance de la conviction que le mort réside dans le sépulcre. La pro-
pagation des cultes orientaux, à cet égard comme à plusieurs autres, revivifia des
croyances archaïques. Le nom de « maison éternelle » domtis aeterna^ ^
emprunté aux Égyptiens et aux Sémites, apparaît fréquemment clans les ins-
criptions funéraires. Un texte de l'époque républicaine précise même que c'est
« la maison éternelle où les défimts passeront ensemble la durée du temps "^ »,.
Un autre invoque comme motif de consolation cette co-habitation future de
toi;te la famille, où se retrouvera l'intimité d'une mère avec ses deux
1. A. Grenier, o-p. cit. [supra, p. 15, n. i], p. 79 ss. ; Von Duhn, op. cit., p. 213 ss.,
319 ss. et passim. — Gisela Ricnter, Bull. Metropol. Muséum, 1939, XXXIV, p. 06.
2. Linckelheld, Les stèles funéraires en forme de maison (Public. Univ. Strasbourg,
37)> Paris, 1927.
3. Holwerda, Oudheedkundige Mededeelingen du musée de Leyde, Suppl., XII, 193 1,
P-27 ss. et J.A.I., Anzeiger, 1933, XL VIII, p. 55-75. — C.-R. Ac. Inscr., 193 1, p. 351 s.
— Bspérandieu, XI (Supplément), 1938, n° 7795.
4. Relig. orient., p. 247 ss. ; Parrot, p. 164-167 ; Lattimore, p. 165 ss.
5- CIL, I, 1008 = C. É., 59; cf. Dessau, 8.341,
26 LUX PERPETUA
filles*. Le sépulcre n'est donc pas un lieu de passage, que l'âme traverse sans
s'y fixer pour se rendre dans une autre région du monde ; il reste à jamais
sa résidence. « Ceci, dit une inscription, est notre demeure certaine, celle que
nous devrons habiter » '\ Dans l'Enéide on voit les Troyens élever à Poly-
dore, dont on n'a point les restes, un cénotaphe et y ensevelir son âme
{ardmaîn sepulcro condimus) en lui offrant un sacrifice et en l'appelant à
haute voix^. Car, celui qui n'a point de tombeau devient un esprit vagabond,
un gueux sans abri. Au contraire, lorsqu'on bâtit au défunt un beau monu-
ment, il est heureux de pouvoir y offrir l'hospitalité au passant et il l'invite
à s'y arrêter *.
La conviction que l'esprit des trépassés continuait à résider dans le tombeau
explique seule le souci que l'on avait de lui assurer dans ce séjour inconfor-
table toutes les commodités possibles. « Il est contraire au bon sens, dit
Trimalcion dans le roman de Pétrone^, d'orner les maisons des vivants et dei
ne point donner les mêmes soins à celle que nous devons habiter plus long-
temps. » Parfois on se représente l'ombre logée dans une chambre à coucher
où elle dort un sommeil sans fin ; mais ce n'est point là l'idée primitive ni
dominante en Occident^. On se la figure généralement attentive aux égards
qu'on a pour elle et pointilleuse dans l'exigence de ce qui lui est dû. Il
ne faut pas seulement assurer au défunt un toit, mais pourvoir à son entre-
tien, car il a les mêmes besoins et les mêmes goûts dans la terre qu'aupara-
vant sur la terre. On mettra donc auprès de lui les vêtements dont il se cou»-
vrait, les bijoux dont il se parait, la vaisselle de terre ou de bronze qui ornait
sa table, les lampes qui l'éclairaient'. L'âge historique ne renonce ni aux
croyances ni aux rites de la préhistoire (p. 15). Si c'est un guerrier, on lui don-
nera les armes qu'il portait, un artisan, les outils "qu'il maniait, une femme,
i.C. E. (Suppl. Lommatsch), 2177.
2. Ibid., 1555.
3. Virg., En., III, 67 ; c£. su-pra, p. 23, n. 3.
4. CIL, I, 1006 = VI, 13696 ; C. E., II ; cf. C. E., 74, 76, 82, 83.
5. Pétrone, 715 Saint Augustin {Enarr.inPsalm. XL VIII, P.L. XXXVI, ^54) reproche à
un riche de s'être fait construire un tombeau fastueux dans la pensée qu'il y vivra éter-
nellement.
6. Cf. Symbol., p. 361 ss. Jean Chrys. {Homilia de Coemeterîo, P. G., XLIX, p. 393)
oppose à cet égard les chrétiens aux païens.
7. Objets déposés dans les tombes : Raoul-Rochette, Mém. Acad. Inscr., 1838, XIII,
pp. 529-788. — Saint Basile, Homil in divites, 9 (P. G., XXXI, p. 303 B) proteste contre
l'habitude d'enterrer les cadavres avec des vêtements de prix.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 27
le miroir, le peigne et les fards nécessaires à sa toilette, tm enfant, les hochets
ou les poupées qui l'amusaient ' . On n'oubliera pas d'y joindre les amulettes
qui ont le pouvoir d'écarter les maléfices. De fait, c'est des tombeaux que pro-
viennent la majeure partie des objets d'ameublement et d'usage domestique que
conservent nos musées, et sous le climat de l'Egypte, ils ont pu parfois nous
livrer intact quelque précieux volume, qui était devenu le livre de chevet de
la momie.
Ainei, une coutume funéraire, dont l'origine se perd dans la nuit des temps,
resta en vigueur jusqu'aux derniers, jours du paganisme, auquel elle devait
même survivre. Cependant, par une sorte de supercherie inspirée par un souci
d'économie qui ne paraissait pas sacrilège, on enfermait parfois dans la tombe
au lieu des objets réels des imitations impropres à tout usage pratique. Des
ombres pouvaient se satisfaire de pareils simulacres et ces fictions décevantes
n'enlevaient pas leur foi aux auteurs de ces fraudes pieuses ^.
Leurs illusions résistèrent même, nous l'avons vu (p. 1 5 ), à la substitution de l'in-
cinération à l'inhumation et le fait qu'il ne restait du défunt que des ossements
calcinés n'abolit pas la croyance qu'il continuerait à se servir de ce qui l'entourait
précédemment sur la terre. Les tombeaux ne nous ont gardé qu'une faible partie
de ce qu'on offrait à ceux qui quittaient ce monde, car souvent on livrait avec
eux leur garde-robe ou leurs ustensiles à la flamme du bûcher, dans la persua-
sion qu'ils les retrouveraient ainsi dans l'au-delà ^ Un mari, raconte Lucien*,
chérissait si tendrement sa femme que, quand il la perdit, il fit brûler avec elle
tous les vêtements qu'elle se plaisait à porter ; mais il avait oublié une de ses
pantoufles et la morte apparut pour la lui réclamer. ,
L'antique croyance que les Mânes ' élisaient domicile dans le tombeau, dont
le vieux droit pontifical leur reconnaissait la propriété^, devait survivre à la
destruction et au morcellement de l'empire. L'on pourrait multiplier les preuves
de la persistance tenace d'im sentiment instinctif que ne fit pas disparaître une
foi nouvelle. Grégoire de Tours ^ raconte que près de cette ville, deux tombes
laissées à l'abandon passaient pour avoir été celles de vierges consacrées à Dieu.
1. Fuhrmann, J.A.L, Ans;eiger, 1941, 529 ss. ; Àccad.rom.arch., 1941, XVII, p. 236SS.
2. Rochette, /. c, p. 688 ss. ; cf. infra.
3. Lucien, De luctu, 14. Cf. infra, III ; Dessau, 8379, 50 ss. Sur de telles appa-
ritions ; cf. infra, IV.
4. Lucien, Phîlo-pseudès, 27 ; cf. Hérodote, V, 92.
5. Digeste, XI, 7, 4 :
6. Grég. de Tours, De gloria conf., 18 ; cf. Saint Augustin, su-pra, p. 26, n. 5.
28 LUX PERPETUA
Les mortes apparurent à un paysan du voisinage et lui exposèrent qu'inhumées
dans cet édicule délabré, elles ne pouvaient souffrir plus longtemps l'incom-
modité qu'en l'absence du toit leur causaient les pluies.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 29
II. — Les offrandes funéraires.
La mentalité primitive a cru les morts soumis à toutes les nécessités de l'être
vivant. Dans l'étroit logis qu'ils habitent ils continuent à réclamer les. soins
qu'on leur accordait dans la demeure spacieuse dont ils étaient les maîtres en
ce monde et un devoir impérieux commande de les satisfaire, lorsqu'ils l'ont
mérité ^. Avant tout, on doit offrir aux défunts des aliments 2, car comme le corps
humain, le simulacre qui le remplace a besoin de nourriture pour subsister ^
Sa vie débile et précaire ne se prolonge que si elle est constamment sustentée.
Les morts ont faim, et surtout ils ont soif. Ceux dont toutes les humeurs sont
taries, dont la bouche s'est desséchée, sont torturés par le t^esoin de rafraîchir
leurs lèvres parcheminées^. Ce n'est donc point assez de placer une seule fois
dans la tombe des boissons et des mets, dont on a fréquemment retrouvé les
restes à côté du squelette *, il faut encore par des sacrifices périodiques fournir
aux Mânes des aliments frais. Privés de nourriture, ceux-ci languiraient sans
énergie comme un homme à jeun, et resteraient presque sans connaissance ; à
la longue ils mouraient une seconde fois et définitivement d'inanition. C'est
pourquoi, dans ce genre de sacrifice, la chair des victimes était entièrement
consumée par le feu, sans que rien en fût réservé aux assistants. La foule resta
toujours persuadée que les offrandes brûlées sur l'autel ou les libations versées
sur la fosse étaient consommées par celui à qui on les destinait". Souvent on
trouve la dalle tumulaire creusée d'une cavité dont le fond est percé de trous :
le liquide qu'on y versait, traversant la plaque perforée, était conduit par un
tube jusqu'au squelette couché dans la fosse ou jusqu'à l'urne contenant les
1. Cf. IG, XIV, 1694 = CIG 6695 : Toùç àyu^Joh^ xc' OavôvTaî EÔepyEXEÎv ôsT.
2. Sartori, Die S-peisung der Xloten (Jahresb. Gymnas. Dortmund), 1903.
3. Tertull., De resurr. carnis, i : « Defunctis patentant, quos escam desiderare prae-
sumant » ; cf. Rohde, tr.fr., p. 200, n. 2.
4. Lucrèce, III, 916 5 Properce, IV, 5, 2 ; cf. Pascal, Credenze, I2, p. 187 ; Eitrem,
Opferritus, p. 105 et nos Relig. orient., p. 24. — Belluci, Sul besogna ai dissetarsi attri-
buito ai morti (Archivio per l'antropologia, 1909, XXXIX, p. 1^13 ss.). Dans L'Inde : Olden-
berg, Relig. des Veda, p. 588. Persistance en Perse , : Massé, I, p. 107.
5 Cf. notamment les trouvailles de Martres-de-Veyre au musée de Clermont (Audol-
lent, Mém. Acad. Inscr., sav. étrangers, 1023, XIII, p. 275 ss.).
6. Lucien, De luctu, 14 ; cf. infra, III ; Atithol. Pal., XI, 8 ; Kaibel, Epigr.,
646, 12. Holocaustes offerts aux morts : Fernand Robert, Z^hymélé, 1939, p. 157 ss.
30 LUX PERPETUA
ossements calcinés ^ . On comprend qu'un incrédule ait, dans son épitaphe, pro-
testé contre cette . pratique : « En mouillant ma cendre de vin, dit-il, tu feras
de la boue et mort je ne boirai pas » '. Mais combien d'autres textes montrent
la persistance des anciennes idées : « Passant, dit une inscription romaine,
les ossements d'un homme te prient de ne point souiller le monument qui les
couvre ; mais si tu es bienveillant, verse le vin dans la coupe, bois et donne
m'en » ^ .
Les morts réclament d'abord, disions-nous, de l'eau fraîche pour étancher
leur soif inextinguible et les libations d'eau furent, chez beaucoup de peuples,
et parfois sont restées un acte essentiel du rituel funéraire '. Déjà, dans l'an-
cienne Egypte on trouve exprimée l'idée que la momie desséchée et racornie
est revivifiée lorsqu'on lui restitue par cette offrande liquide les humeurs vitales
qu'elle a perdues" et des croyances semblables peuvent avoir persisté jusqu'à
l'époque romaine.
Mais c'est surtout du sang chaud des victimes que les âmes sont avides pour
revigorer leur faiblesse '*. A l'origine ces sacrifices funéraires étaient souvent
des sacrifices humains et ces immolations barbares se rattachent aux croyances
les plus primitives de notre race . Parfois elles étaient destinées à conserver à
celui qui s'en était allé dans l'autre monde, une épouse, des serviteurs, des amis*,
comme regorgement de son cheval devait lui assurer une monture ou celui de
son chien un compagnon fidèle dans une existence d'outre-tombe, qui prolon-
geait celle de notre terre ". Nous aurons l'occasion de reparler de cette coutume
sauvage. Ou encore, si un homme a péri de mort violente, le sang du meurtrier
1. Pausan, X, 4, 10. P. Oeconomus, De -profusionis rece-ptaculis (Bibl. soc. archéol.
d'Athènes, XXI), igai. E. Dyggve, Collections of the Ny-Carlsberg Glyptothek, III,
1942) p. 225 s. ; Westrup., I, p. 35, p- 38 ; E Cak:a, Necrofoli del Porto di Roma, 1940,
p. 54. Cf. notre Catal. sculftures Cinquantenaire^, n° 152.
2. Kaibel, Epigr., 646 = Dessau, 8156 ; cf. Lucien, De luctu, 19.
3. C. E., 838 ; Dessau, 8204.
4. La coutume d'offrir de l'eau au mort est très répandue : Rohde, Psyché, tr. fr.,
199, n. I j Schmidt, A. Relgw.^ 1926, XXIV, p. 314; Sartori [op. cit.], p. 16; Eitrem,
L c. \su-pra, p. 29, n. 4]; Dussaud, R.H.Rel., 1932, CV, p. 282 s.
5. Brinkmann, Zeitschr. f. Âgyptische Sfrache, igi2, CV, p. 69-75.
6 Servius, En., III, 67.
7. Fr. Schwenn, Die Menscheno-pfer hei Gr. und Rômern (Rel. V. u. V., XV, 3), Gies-
sen, 1915, p. 59.
8. Ainsi cliez les Scythes : Hérodote, IV, 68.71 ; chez les Thraoes : Ibid., V. 5 ; en
Gaule : César, VI, 19 ; en Grèce : Lucien, De luctu, 14 ; à Rome : Schwenn, p. 141 ss..
Chez les Mongols ces immolations collectives furent encore pratiquées aux funérailles de
Gengis-Khan, en 1227.
19. Symbol., pp. 405, 439 ; cf. infra, ch, vn.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 31
ou à son défaut d'autres ennemis devra apaiser l'ombre d'une victime qui
réclame vengeance 1^. L'idée originelle de la vendetta n'avait pas entièrement
disparu à l'époque historique. Philopoemen ayant été mis à mort par les
Messéniens, les Achéens firent à ce héros national de splendides funérailles et
lapidèrent sur la tombe des prisonniers ennemis 2. Lorsque Octave, après la
prise de Pérouse, fit mass,acrer trois cents notables sur l'autel de César aux
Ides de Mars, jour anniversaire de son assassinat 3, ce carnage collectif inspiré
par la haine politique, perpétuait une vieille tradition religieuse, et aurait pu
invoquer pour sa justification un exemple homérique^. Ces idées purent con-
tribuer à maintenir en vigueur une coutume atroce. Mais primitivement le sacri-
fice d'esclaves ou de captifs avait essentiellement pour but, comme plus tard
celui des animaux, d'assurer, en versant le sang -sur la tombe, la durée de ce
je ne sais quoi indéfinissable qui végétait dans ce sombre réduit.
Lorsque les mœurs s'adoucirent et que le sentiment général réprouva ces
homicides perpétrés au nom de la religion, on chercha à les remplacer par des
rites moins barbares. Certains érudits ont pensé que l'offrande mortuaire de
la chevelure, qui est une pratique observée chez des peuples très divers, était
un substitut ou, pour mieux dire, une atténuation du sacrifice de la personne
entière. Selon une croyance très répandue, dont l'histoire de Samson et Dalila
fournit l'illustration la plus connue, la force de la personne réside dans ses
cheveux, et celui qui consacrait au défunt cette partie de lui-même, toute
chargée d'énergie vitale, pensait ainsi le ranimer, comme s'il avait versé pour
lui son sang. Mais l'on a proposé d'autres interprétations de cette coutume de
déposer des mèches de cheveux sur le cadavre ou sur le tombeau'' et son exis-
tence même est douteuse à Rome^.'
Les Étrusques pratiquaient en Italie l'immolation de victimes humaines sur
la sépulture'.. Mais la cruauté de cette tuerie affreuse la fit remplacer par des
1. Rohde, Psyché, tr. fr., p. 214 et p. 12.
2. Plut., Philo-poem., 21.
3. Suétone, Octave, 15 ; Sénèque, De Clementia, I, 11 ; Dion Cassius, XL VIII, 16.
4. //., XXIII, 23 (funérailles de Patrocle).
5- Ovide, Héroïdes, X, i, 118. — Cf. Sommer, Dos Haar in Religion und Aberglaube
der Griechen (Diss. Munster), 1912, p. 64 ss. ; Eitrem, Offerritus, p. 344 ss. ; Schwenn,
0?- cit. [p. 30, n. 7], p. 84 ss. ; Loisy, Sacrifice, p. 161 ; Nilsson, Relig. Gr., I, p. 166 ss.,
cf- 125 ss. ; Hastings, s. v. « Death », p. 43 i ; Meuli, p. 205.
6. Selon Denys d'Halie, XI, 39 aux funérailles de Virginie, les femmes déposent sur
ia^ couche mortuaire TtXo/.'jj.'t)v àTcoy.etp'jj-Evai SooTpû/ooç Cf. Ovide, Héroïdes, l. c.
7- Mûller-Deecke, Die Etrusker, II, 1877, p. 223 ; Pfeiffer, S. A. M., 1934, Abh. 10,
P- 12 ss.
32 LUX PERPETUA
combats singuliers, où seuls les vaincus périssaient par la volonté du destin V
Ces luttes de gladiateurs faisaient partie des cérémonies par lesquelles on
rendait les derniers devoirs à la dépouille d'un personnage illustre. Rome
emprunta à l'Étrurie ces jeux inhumains, qu'elle devait au cours des siècles
faire adopter dans presque tout le monde ancien et qui y multiplièrent la cons-
truction de vastes amphithéâtres pour des spectacles offerts à des foules
innombrables. Ils furent pour la première fois célébrés modestement en 264,
aux funérailles de Junius Brutus, où ses neveux mirent aux prises trois paires
de champions ^. Leur exemple fut suivi et ces combats funèbres prirent bientôt
une ampleur fastueuse mais l'on n'exigea plus que ce fût une lutte à mort,
il suffisait que le blessé humectât la terre de son sang, tant on avait conscience
qu'en abreuver l'ombre était le but essentiel de ces duels institués en faveur
des défunts.
Le sang, en effet, fut regardé chez tous les peuples de l'antiquité comme le
siège de la vie^ : la vapeur, qui s'élevait du liquide tiède et vermeil coulant
d'une blessure mortelle, était l'âme qui s'échappait du corps avec lui. Aussi ce
corps restait-il inconscient et inerte, tant que cette liqueur psychique lui man-
quait, et en la répandant sur le tertre ou la pierre, qui recouvrait la dépouille
d'un parent ou d'un ami, on communiquait à celui-ci une vitalité accrue *. Pour
le même motif, les femmes avaient coutume, en signe de deuil, de se lacérer
jusqu'au sang le visage''. Mais on ne regardait pas comme indispensable que
le sang offert fût humain et à l'époque historique les sacrifices d'animaux au
pelage noir s'étaient presque partout substitués aux homicides rituels ^ Ils durè-
rent jusqu'à la fin du paganisme et même ils lui survécurent. L'antique croyance
que le sang frais était nécessaire aux défunts se conserva en certains pays avec
une ténacité persistante. Encore au VIP siècle de notre ère, en Syrie, les chré-
tiens s'obstinaient, malgré les objurgations des, évêques, à immoler sur les
tombeaux des taureaux et des moutons ' et en Arménie, où ces coutumes furent!
sanctionnées par le clergé national, les fidèles restèrent persuadés que les tré-
passés souffraient dans l'autre vie, si aux jours fixés par la tradition, on n'avait
1. Malten, Leichens-piel und Votenkult (Rom. M., 1924, p. 300 s.).
2. Varron chez Servius, En., III, 67, cf. X, 519.
3. Pour Rome, cf. Servius, En., III, 68 ; II, 352 ; V, 79 ; VI, 221.
4. Eitrem, Opferritus, p. 416 ss. ; p. 454 s.
5. Servius, En., III, 675 V, 78; cf. supra, ip.' zo.
6. Lucrèce, III, 52 ; CIL, XI, 1420 = Dessau, 1395 Virgile, En., V, 96. Offrande du
sang et holocauste : Ferxiand Robert, 'Chymélé, 1939, p. 157 ss.
7. C.-R. Acad. Inscr., 1918, p.285; Clermont-Ganneau, Recueil d'arch. or., IV, p. 339'
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 33
pas fait couler pour eux une effusion tonique'. L'islam n'a pas extirpé ces
vieux rites païens, et les Bédouins continuent à égorger des brebis sur la sépul-
ture à peine fermée, afin que le 4éfunt en reçoive la chaude aspersion, et ils
préparent sur place la victime, dont la chair est distribuée aux assistants 2.
Les autres libations qui sont traditionnelles dans le rituel funéraire des.
Grecs comme des Romains, doivent produire un effet semblable : ce sont celles
de vin, de lait, de miel et d'huile. On a expliqué l'emploi du vin, comme
étant un succédané du sang, rouge comme lui^. C'est en vertu de la même
association d'idées que Servius interprète les fleurs pourprées qu'Énée jette sur
la tombe de son père Anchise, comme étant « une imitation du sang où est
le siège de l'âme » (p. 45). Que le vin ait souvent tenu lieu du liquide qui
coule dans nos veines, on en pourrait citer mainte preuve, mais son usage
funéraire peut s'expliquer par sa propre vertu. Il est la liqueur merveilleuse
qui donne l'ivresse divine et dans les mystères assure l'immortalité à ceux qui,
grâce à lui, sont possédés par Bacchus, Il pouvait vivifier de même les
Mânes à qui on Le versait., La mystique dionysiaque est sans doute inter-
venue ici pour magnifier la valeur religieuse attribuée à l'usage liturgique du
fniit de la vigne ^.
Les anciens se sont pareillement attachés à expliquer le choix des autres
libations : le melikraton, le mélange de lait et de miel, est, selon les Grecs,
a-t-on fait observer, comme le nectar et l'ambroisie, la nourriture des dieux ;
et si les morts s'en rassasient, ils deviendront pareils aux immortels. Mais
d'autre part le lait est la nourriture des nouveaux-nés ; par suite on le don-
nera à ceux qui ont obtenu la renaissance à une vie éternelle. Le' miel a des
propriétés antiseptiques, il assure la conservation des corps que l'on en
enduit, ce qui suggéra, dit-on, l'idée qu'il prolongeait l'existence des ombres
qui l'absorbaient^. Ou encore la suavité du miel le rendait propre à adoucir
l'âpre rigueur des dieux infernaux, à apaiser l'animosité amère des esprits
1. Conybeare, Rituale Armenorum, 1905, p. 54 ss., 67 ss. En Mingrélie : Chardin,
Voyage en Perse (Amsterdam, 171 1), I, p. 224 s.
2. Loisy, Sacrifice, p.i6is.,p.i72. ■'
3. K. Kircher; Die sakrale Bedeutung des Weines (Relig. V. u. V., IX), Giessen, 1910,
p. 12 s. — Les libations de vin sont souvent mentionnées dans les inscriptions : C. E. 439,
500, 838, 1256, etc.
4. Cf. infra, ch. v (Mystères). Vigne plantée sur la tombe : Kaibel, Efigr., 720.
5. Usener, Milch u. Honig (dans Kleine Schriften, IV, 413 ss.) ; Karl Wys, Die Milch
im Kultus der Gr. u. R. (Relig., V. u. V., XV), Giessen, 1914, p. 88 s.; R. Tarnov, De
(ipium melUsque apud veteres significatione, Berlin, 1893.
3
34 LUX PERPETUA
des morts ^ L'olivier, comme plusieurs autres plantes toujours verdoyantes,
était en Grèce un arbre funéraire ; la persistance de son feuillage était regardée
comme un symbole de la survie de l'âme ; c'est pourquoi son fruit onctueux
devait procurer l'immortalité^. Mais la variété même des interprétations pro-
posées prouve que le sens originel de coutumes d'une antiquité immémoriale
ne paraissait plus assuré à l'époque historique.
En réalité l'emploi du lait, de l'huile, du miel dans le culte funéraire remonte
à l'époque reculée où ils étaient une nourriture essentielle de populations encore
rustiques. Si on les a offerts aux morts, c'est qu'ils étaient les aliments habituels
des vivants. Leur usage est antérieur aux explications mythologiques et aux spé-
culations mystiques, qui ont été imaginées par une étiologie érudite. L'intention
première de ces libations, qui ne fut jamais entièrement oubliée, fut de sustenter
les trépassés à l'aide des mêmes mets que consommait la famille^ et d'infuser
une vigueur nouvelle aux ombres fatiguées, assoupies dans la tombe. Ce but
apparaît clairement dans l'emploi que fait de ces mêmes offrandes la magie,
qui souvent a conservé des notions ' abolies ou remplacées dans la religion.
Les nécromants, pour évoquer les fantômes, creusaient une fosse et y versaient
du sang, du vin, du lait et du miel. Ces liqueurs agissaient sur les esprits
comme un excitant, qui les faisait sortir de leur torpeur, et le sorcier en pro-
fitait pour les interroger '.
On multipliait les précautions pour s'assurer que le mort n'aurait pas à
souffrir du manque de subsistance. Il ne suffisait pas que les liquides des liba-
tions fussent épanchés jusqu'à lui ; on avait coutume de déposer sur la tombe
des aliments solides " : œufs, pain, fèves, lentilles, farine, avec le sel comme
condiment'^. Les mendiants affamés ne les respectaient pas toujours et venaient
y dérober de quoi remplir leur estomac famélique'
Comme les sacrifices d'animaux et l'effusion du sang en faveur des morts
(p. 32), comme les libations d'eau (p. 30), de lait miellé ou d'huile, les
oblations d'aliments sur la sépulture appartiennent aux plus anciennes traditions
1. Nicéphore Grégoras, P. G., CXLIX, p. 617.
2. Cf. notre Stèle d' Amibes, p. 11, n. 2 ; 12, n. 4.
3. Cf. Eitrem, Opferrîtus, p. 103 s. ; Meuli, p. 193 ss.
4. Cf. infra, IV.
5. Marquardtj Le culte, tr.fr., Ijp.375; De Marchi, Culto privato di Roma, I (1896),
p. 204.
6. Plutarque, Crassus, 193 cf. Eitrem, Opferritus, p. 319.
7. Plaute, Pseudolus, 36 . ; Catulle, 59. ,
I
CHAPITRE I. — LEO VIEILLES CROYANCES J5
religieuses de notre race '. Bien plus, elles ont été et sont encore pratiquées
par une large portion de l'humanité, La croyance, presque universelle, que les
défunts éprouvent le besoin de boire et de manger ayant suggéré des procédés
nécessairement analogues pour le satisfaire, ces usages millénaires testèrent
en vigueur, en dépit de la transformation profonde des conceptions eschato lo-
giques, maintenus à la fois par l'appréhension pieuse de causer quelque peine
à ses proches, en ne leur accordant pas tout ce qui leur revenait, et par la crainte,
plus forte que tout raisonnement logique, que si l'on privait l'esprit du mort
de ce qui lui était dû, on n'eût à redouter son courroux et sa vengeance. Ainsi
nous pouvons retrouver dans certaines coutumes qui se sont perpétuées' au
moyen-âge et même jusqu'à nos jours, des pratiqués qui offrent une ressem-
blance surprenante, jusque dans le détail, avec celles qui étaient suivies au
temps du paganisme ^ ■
L'institution où s'est affirmée avec la plus grande ténacité la persistance des
anciermes idées sur la vie d'outre-tombe, est celle des repas funéraires. Ces
banquets familiaux célébrés en faveur du mort remontent à l'ancienne religion
aryenne. On constate leur existence dans l'Inde et en Perse comme chez les
peuples européens^. Un premier repas, le silicernium desRomains, le Tcsptoetirvov
des Grecs, réunissait les parents immédiatement après les funérailles ; il avait
lieu primitivement autour de la tombe même, plus tard au retour de la
famille dans la maison mortuaire*, après une ablution avait purifié les assis-
tants de la souillure contractée auprès du cadavre '\ Le défunt à qui l'on rendait
les derniers devoirs était censé prendre part à ce banquet, et l'on pensait même
qu'il y recevait, comme hôte, ses parents. Aussi se gardait-on de prononcer
I. Schrader-Nering, s. v. « Ahnencultus », p. 34, §14. — Cf. pour les Juifs, Eccli.^
XXX, 18 ; X:obie, IV, 18.
a. Nombreux exemples réunis par Sartori, op. «f . [sw^ra, p, ag, n. 2], p. 15 s. En Grèce:
Gjerstad, A. Relgw.^ 1928, XXVI, p. 154 ss.; Schmidt,/èii., i927,XXV,p. 5as.,77ss.;
Lawson, p. 486 s., 533 ss. — En Herzégovine : Dyggve, Zeîtschr. f. Kirchengesch., 1940,
LX, p. 106. — En Perse :. N. Sôderblom, Mazdéisme, p. 57 ; en Mingrélie : Chardin,
op. cit. [su-pra, p. 33, n. i], pp. 236, 238, 244, etc. Dans le folklore français : Van
Gennep, I, p. 771 s.; Hastings, s. v. « Death », p, 430.
3. Schrader-Nehring, s. y. « Ahnencultus », p. 23, § 10, et s. v. « Bestatungsbraûche »,
P" ^3°' § 5 5 Hastings, s. v. « Food for the dead ». — Cf. A. Loisy, Sacrifice, p. 153
(Scythes), 154 (Grecs), 156 (Étrusques), 157 (Romains), 160 (Israélites), 161 (Arabes).
4- Varron chez Nonius Marcellus, 48 (I, p. 68 Lindsay) ; cf. Rohde, Psyché, tr. fr.,
P- 190.
5 Rohde, tr. fr., p. 1^90, n. 6 j cf. 181, n. i. Encore au temps de saint Jean Chrysos-
tome à Antioche -rcolXol a-rcô x^cptov èiTav£).Oôv~£; iloiaoï^no (In Matth. homil., XXXVII, 6 :
P- G., LVn, p. 426).
3é LUX PERPETUA
aucune expression malsonnante, dont il aurait pu s'offenser, .et l'on y faisait
son éloge, même s'il ne le méritait pas. De mortuis nil nisi bonum '. Ou bien,
pour être plus certains de ne pas l'irriter par xme parole de mauvais augure, des
convives craintifs mangeaient en silence -. Un autre tabou archaïque défendait de
ramasser les morceaux qui tombaient à terre de la table, ces reliefs du festin
appartenant aux esprits des morts \ L'usage d'un repas abondant, offert après
l'enterrement dans la maison mortuaire, était si général qu'il a traversé les siècles
et en bien des pays s'est maintenu jusqu'à nos jours.
Mais les cérémonies funèbres n'étaient pas ainsi terminées. Des banquets
réunissaient de nouveau la famille autour de la sépulture à certains jours déter-
minés ; à Rome la cerne nonemdialis '^ mettait fin au grand deuil ; en Grèce
on festoyait les troisième, septième et quarantième jours. D'autres dates avaient
prévalu ailleurs, mais la répétition du repas des funérailles à des intervalles
déterminés remonte à l'époque où les peuples européens ne vivaient pas encore
séparés^.
Les « physiciens » nous ont transmis de cet usage une explication encore
toute matérialiste ®. Les anciens ont entrevu, ce que la physiologie moderne a
confirmé, le fait que le décès ne se produit pas d'fun seul coup pour l'orga-
nisme entier. L'énergie vitale qui animait celui-ci, s'en détachait, pensait-on,
de plus en plus à mesure qu'il était infecté par la corruption. L'influence de la
lune amenait cette putréfaction progressive : le troisième jour le visage devenait
méconnaissable, le neuvième le corps entier se décomposait, sauf le cœur qui
ne périssait que le quarantième ' . Aux dates critiques marquées par certains
chiffres considérés comme sacrés, il fallait porter secours au défunt par
des offrandes de mets et de boissons. Lorsque des idées moins matérielles
1. Rohde, p. 191, n. i ; p. 201.
2. Malten, R. E., Suppl., IV, s. v. « Ker » j cf. ma note C.-R. Acaà. Inscr., 1943)
p. 118 et injra, N. C, II.
3. Schrader-Nehring, s. v. « Ahnencultus », p. 33, § 13 ; cf. Diogène Laërce, VIII)
34 = Aristote, fr. 180 Rose ; Athénée, X, 427 e ; Eitrem, Offerritus, p. 160 ss.; Meuli,
p. 199, et infra, N. C, II.
4. Marquardt, Prîvatleben 2, p. 378 j De Marchi, Culto frivato ai Roma antica, 1896,
I, p. 197 s.
5. Schrader-Nehring, s. v. « Ahnencultus », p. 23, § 10 ; Hastings, s. v. « Aryan reli-
gion », p. 25 a. — Usage conservé dans la Perse musulmane : Chardin, op. cit. [su-prdi
p. 33, n. i], t. VII, p. 242 ; Massé, 1. 1, p. m, p. 107 ; dans la Grèce moderne : Schmidt.
A. Relgw., igz7, XXIV, p. 69. — Dans le folklore français : Van Gennep, I, p. yS'^i
p. 808 ss.
6. Cf. C.-R. Acad. Inscr., 1918, p. 278 s.
7. LyduSj De mens., IV, 26. Cf. maître Eckhart, éd. Gandillac, p. 231.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 37
se firent accepter, on continua cependant à croire que l'âme séjournait
trois jours près du cadavre, et qu'alors commençait son voyage périlleux
vers le lieu où elle devait se rendre, et des pérégrinations qui se prolon-
geaient jusqu'au quarantième jour. Pendant toute cette durée il était néces-
saire de lui venir en aide. Lorsque la coutume fermement établie d'une triple
commémoration des morts jusqu'au quarantième jour fut adoptée et sanctionnée
par l'Église, les théologiens invoquèrent pour la justifier des textes bibliques.
Mais comme il arrive souvent, le souvenir de la raison primitive qui avait intro-
duit cet usage, s'est mieux conservé dans l'esprit du peuple que dans celui des
clercs. On croit encore communément en Grèce que l'âme qui s'est séparée du
corps, erre sur la terre pendant trois ou même quarante jours et revient visiter
la maison familiale, dans laquelle on lui prépare du pain et de l'eau et l'on
allume une lampe pour qu'elle puisse la retrouver et venir s'y rassasier et s'y
désaltérer * .
Partout les repas autour de la tombe se renouvelaient aux anniversaires de
la naissance du défunt ^ ; et c'est pourquoi les chrétiens fêtèrent les martyrs
à la date de leur supplice, qui les avait fait renaître à une vie glorieuse ^.
Ces mêmes repas se répétaient encore à d'autres jours fixes de l'année, comme
ceux des violettes ou des rosalies, où l'on avait coutume d'orner la sépulture
de fleurs ^, ou encore à ceux qui avaient été prescrits par les auteurs de fonda-
tions pour l'entretien d'un culte funéraire ^ Les donations ou testaments, qui
consacrent des sommes souvent considérables à assurer la perpétuité des ban-
quets auprès de la tombe ^, montrent la valeur qu'y attachaient leui^s auteurs.
Pour prendre un exemple, à Préneste, Aurelius Vitalis ayant construit un
tombeau de famille avec une chambre et une terrasse au-dessus du sépulcre,
s'adresse en un latin incorrect aux confrères du collège dont il faisait partie.
l« Je vous demande à vous tous, mes compagnons, que vous vous restauriez
ici sans vous échauffer la bile^' ». Un Africain fixé à Rome exhorte de même
ses parents et amis : « Que les dieux vous soient propices. Venez ici sains et
saufs, tous ensemble pour un festin joyeux » ^. Dans les monuments considé-
1. Schmîdt, /. c, p. 290. Cf. Sartori, op. cit. [p. 29, n. 2], pp. 32, 43, 69.
2. Cf. p. ex., CIL, V, 7906 ; Dessau, 8366, 8370. — En Grèce : Rohde, tr. fr.,p. 193.
3. Delehaye, Sanctus, Bruxelles, 1927.
4. Cf. infra, p. 43.
S CIL, V, 4489 = Dessau, 8370 -, CIL, XI, 126, etc.
6. A. De Marchi, Il Culto frivato di Roma antica, Milan, 1896, I, p. 207 ; II, p. 142.
7- CIL, XIV, 3323 = Dessau, 8090,
8 CIL, VI, 26^54 = Dessau, 8139.
38 LUX PERPETUA
râbles on voit souvent aménagée à côté de la sépiulture une salle à mangier
{tricliniuni) et même une cuisine {cuUnà) ^. En Gaule le « testament du
Lingon » commande que le caveau soit meublé et reçoive un lit avec des cou-
vertures et des coussins en vue des jours où l'on s'y rassemblera pour les com-
mémorations * . Dans les mausolées, les fouilles ont fait découvrir des lits tricli-
naires disposés autour de la table où venaient festoyer les parents de quelque
mort héroïsé ^ . Avec cette immutabilité qui caractérise souvent les usages funè-
bres, dans d'autres tombeaux c'étaient des sièges qui étaient réservés aux con-
vives en souvenir des temps anciens, où les hommes, comme les femmes, man-
geaient assis et non couchés*. Lorsqu'ils étaient de pierre et non de bois, ces
meubles ont pu nous être conservés et, à côté de ceux qui étaient occupés par
les commensaux, il s'en trouve un qui restait vide, celui où le défunt était
censé prendre- place auprès de ses proches.
• Ces sièges servaient aussi aux visiteurs qui venaient retrouver celui qui s'en
était allé. Comme ils lui avaient tenu compagnie durant sa vie terrestre, puis
autour du lit de parade où l'on avait exposé son corps raidi, ses parents, ses
amis, ses sénateurs restaient longuement assis dans l'hypogée où il était enseveli.
L'on était persuadé que le mort prenait plaisir à une telle société, qui le distrayait
dans la triste monotonie et le pénible isolement de sa nouvelle habitation.
Les philosophes croient devoir protester contre ces illusions. Réfléchissant à
la vanité de ces soins posthumes, Marc-Aurèle note dans ses Pensées : Les
affranchis de Vérus et ceux d'Hadrien siègent à côté de leurs tombeaux. Ces
princes s'en aperçoivent-ils et peuvent-ils s'en réjouir ? Mais alors, ces servi-
teurs eux-mêmes étant voués à la vieillesse et à la mort, que deviendront leuis
maîtres privés de leur compagnie ? Puanteur que tout cela et putréfaction ! *.
La participation directe de l'esprit du mort aux réunions qui avaient lieu
iautour de sa sépulture est le fait essentiel qui nous fait comprendre le caractère
1. Dessau, 7947, 8235, 83385 cf. Saglio-Pottier, s. v. « Sepulcrum », p. 1239;
« Futius », p. 1397- — Paulus-Festus, s. v. « Culina » (p. 57, Lindsay) : « Locus ubi
epulae in funere oomburuntur » ; 'Ches. l. L., s. v., p. 1288, 47. Cf. Cabsa, Necrofoli del
Porto di Roma, 1940, p. 56.
2. Dessau, 8379.
3. Dyggve, Poulsen, Rhomaios, Das Heroon von Calydon, Copenhague, 1934, p. 354 s^
Cf. C.-R. Ac. Inscr., 1928, p. 133. — Cf. Philostrate, Vit. A-polL, IV, 13 ; R. E., s. v.
« Héros », col. 1144 s.
4. Dessau, 7869 : « Sedilia circumitum refecerunt ». — Cf. sur ce qui suit Theodor
Klauser, Die Cathedra im Votencult der heidnîschen und christlichen Antike^ Munster,
1927 ; Meuli, p. 198. < , . ■
5. Marc Aurèle, VIII, 37.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 39
ties repas funèbres. L'on croyait que les défunts venaient s'y attabler avec lesi
convives et jouissaient avec eux de l'abondance des mets et des v^ns. Lucien
nous raconte avoir vu en Egypte de ces banquets où la momie desséchée était
conviée à se restaurer à la table de ses proches ' . Ainsi survivaient dans ce
pays sous les Antonins les antiques croyances qui, longtemps auparavant y avait
fait représenter sur les parois des hypogées, comme chez les Étrusques, des
scènes de festin, afin que fût assuré au mort le secours d'une nourriture perpé-
tuelle, car une ombre de mangeur pouvait se contenter d'apparences de mets,.
Jusqu'à l'époque romaine, en Grèce, les commensaux avaient coutume d'ap-
peler parmi eux le défunt par son nom ", et au lyè siècle saint Êpiphane sait
encore que les païens interpellaient l'esprit du disparu par la formule : « Un
tel, lève-toi, mange, bois, et réjouis-toi » ^ Une épitaphe de Narbonne exprime,
sous une forme plaisante, l'idée vulgaire qu'on se faisait de l'effet de ces ban-
quets, où le mort recevait sa part de toutes les rasades : « Je me grise d'au-
tant plus avidemment dans ce monument que je suis obligé de dormir et de
demeurer ici » *-
La conviction que le mort venait prendre sa part des victuailles consom-
mées et du vin absorbé dans les repas funèbres, était si profonde qu'elle
persista même lorsque ceux-ci se détachèrent de la sépulture. En bien
des cas, ils furent transférés, comme le pérideïpnon des Grecs, dans la
maison mortuaire. Parmi les banquets que les confréries célébraient en l'hon-
neur de quelque fondateur décédé, beaucoup, aux dates fixées par ses dernières
volontés, avaient lieu dans le local appartenant à l'association. Mais l'on con-
tinua à supposer réelle la présence de celui dont on honorait l'esprit, et dont
la statue ou l'image ornait fréquemment la salle du festin ^ .
Rien n'est plus éloigné de nos idées modernes sur la sainteté des cimetières
et le recueillement exigé par le deuil, que ces beuveries et ces ripailles dont
le culte des trépassés était l'occasion. Les convives couronnés de fleurs, oints
d'essences parfumées* y buvaient à la ronde {circumpotatio) et ne tardaient
pas à s'abandonner à une bruyante ivresse. Ne croyons pas que ce soit là des
excès tardifs dûs au relâchement des moeurs romaines. Tel fut, dès l'origine,
I. Lucien, De luctu, 21.
1. Artémidore, Onirocr., I, 4 (p. 11, 11, Hercher).
3. Epiphan, Ancoratiis, 8, 5 (I, p. 106, 26, Holl) : 'Avadta ô Setva. toà-^z xat ttce xal
E'jœaivQrjTt Formtiles analogues à l'époque chrétienne : Klauser, of. aï., p. 136, n. 140.
4. CIL, XII, 5102 = Dessau, 8154 = C. E., 788 ; cf. Pétrone, 65.
5- Dessau, 8374 ; 8375 ; cf. Index, t. IV, p. 909.
6. Pétrone, l. c.
40 LUX PERPETUA
le caractère des banquets mortuaires et tel est resté, en bien des pays, celui du
repas des funérailles i. L'on se figurait que le défunt participait à cette liesse
et à cette ébriété, se consolant ainsi de la tristesse de son sort. « Tu appelles,
dit encore Tertullien^, les morts sans soucis {securos), lorsque tu te rends au
tombeau avec des vivres et des friandises pour t'y faire en réalité des offrandes
à toi-même et que tu en reviens gris ». Et vraiment, ces frairies, nous le ver-
rons dans la suite, ne profitaient pas seulement aux morts mais aussi aux
vivants par l'effet d'une confusion entre elles et les orgies bachiques, où le
vin était, pour les participants, un breuvage d'immortalité.
Nulle cérémonie de la religion païenne n'était aussi universellement célébrée
que celle du culte des trépassés dans les régions les plus diverses de l'empire.
Chaque jour, et pour ainsi dire à chaque heure, des familles ou des collèges
se réunissaient dans leur tombeau commun pour y fêter quelque anniversaire
en y consommant le repas funèbre. Les populations restaient fortement atta-
chées à des pratiques dont l'omission leur eût paru non seulement impie, mais
'dangereuse, car les esprits des morts étaient puissants et vindicatifs. Sous les
Antonins l'opuscule de Lucien sur le deuil, atteste avec quelle fidélité scru-
puleuse étaient encore observés, jusque dans leurs détails, les rites consacrés
par une tradition millénaire 3.
Aussi n'est -il pas surprenant que ces usages aient persisté à l'époque chré-
tienne malgré les efforts du clergé pour les combattre*. Saint Augustin^,
morigène ses ouailles qui, à la façon des païens, « boivent avec grand excès
au-dessus des morts — ce sont ses propres termes — et qui servent des repas
1^ des cadavres et s'ensevelissent eux-mêmes avec ces corps ensevelis, se faisant
une religion de leur voracité et de leur ivrognerie ». Il condamne « ces
ébriétés et ces chères intempérantes dans les cimetières, par lesquelles une
foule jouisseuse et ignorante croit honorer les martyrs et consoler les morts » ^
Les évêques italiens n'interdirent pas avec moins de rigueur ces débauches sur
des tombeaux '. Mais en Orient, l'autorité ecclésiastique toléra un usage général,
qu'elle ne pouvait déraciner, et se contenta de prohiber l'abus du vin, en
1. Cf. Aristote, fr. 6ii Rose. — Sartori, of. cit. [supra, p. 29, n. 2], p. 19 ss. ; Van
Gennep, I, p. 779 ss.
2. Tertullien, De testim. anintae, 4,
3. Lucien, De luctu, 11 s., 19 s. ; cf. Rohde, Psyché, tr. fr., p. 540.
4. Cf. Cabrol-Leclercq, s. v. « Agapes », p. 819 ss.
$. Aug., De morib. eccles. cath., 34, j^ ÇP. L., XXXII, p. 1342).
é. Augustin, E-p., I, 22 {P. Z,., XXIII, p. 92).
7. Aug., Civ. Z)., VI, 2 ; cf. Cabrol-Leclercq, l, ç.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 41
recommandant une modération dont on avait souvent lieu de déplorer l'absence .
Elle exigea de plus qu'une partie du festin fût distribuée aux pauvres. La foi
en une immortalité spirituelle se conciliait tant bien que mal avec le culte sépul-
cral. Au ciel l'âme restait attachée, croyait-on toujours, au lieu où reposait le
corps qu'elle avait quitté et pour quelque raison secrète se réjouissait des hon-
neurs rendus à la sépulture '. Ainsi dans un grand nombre de pays chrétiens,
et notamment en Grèce, a survécu jusqu'à nos jours la coutume non seulement
de déposer de la nourriture sur les tombes, mais encore d'y festoyer avec l'idée
que de quelque façon mystérieuse les morts participent à ces repas et y pren-
nent plaisir».
*
* *
Libations nutritives et sacrifices sanglants, mets déposés et repas célébrés
sur les tombes, toutes les pratiques du culte des morts que nous avons signa-
lées jusqu'ici, remontent au temps où les lointains ancêtres des Grecs et des
Italiotes, des Celtes et des Slaves, des Perses et des Hindous vivaient
encore en commun. Comme l'a déjà noté Fustel de Coulanges, « ces rites
sont ce qu'il y a de plus vieux dans la race indo-européenne et ce qu'il
y a eu de plus persistant » *. Mais ce ne sont pas les seuls dont nous consta-
tions l'existence dans la Rome des Césars. La grande évolution religieuse qui
assura en Occident la diffusion des mystères orientaux, ne pouvai^ rester sans
influence sur les manifestations de la piété envers les trépassés. Une foule de
marchands, de soldats, d'esclaves et d'affranchis originaires du Levant vivaient
en Italie et dans les provinces latines. Ils continuèrent naturellement à suivre
pour les funérailles et les honneurs rendus aux défiants les coutumes de leur}
patrie, et leur exemple trouva de nombreux imitateurs dans la population métissée
des villes et des latifundia. Aussi voit -on apparaître en Europe, même dans
ce culte des morts, où l'esprit conservateur s'affirme avec tant de force,
1. Constit. A-post., VIII, 42 ; Gregor., Anth. Pal., VIII, 166, 167, 170, 172. — Cf.
Dôlger, A. C, VI, 1936, p. 292 s.
2. Novelle de Valentinien, III, de 447 ap. J. C, n" 23 (éd. Mommsen-Meyer) :
« Amant animae sedem corponim rellctorutn et nescio qua sorte rationis occultae
sepulcri honore laetantur. »
3. Sartori, op. cit. {supra, p. 29, n. 2], p. 18 s. — En Grèce : Gjerstad, A. Religiv.,
1928, XXVI, p. 154 ss. ; Schmidt, Ibid., 1927, XXV, p. 63 ss. ; Lawson, p. 535. — Chez
les Slaves, cf. N. C, Il et Murko, Dos Grab aïs "Cisch., p. 80 ss.
4. Fustel de Coulangesi Cité ant., 12^ éd. (1888), p. 17.
42 LUX PERPETUA
maintes formes de la dévotion qui n'appartiennent pas à l'héritage d'aïeux
autochtones, mais sont empruntées à l'Asie et à l'Egypte, où elles étaient des
usages pratiqués depuis de longs siècles : ce sont en particulier les offrandes
de fleurs, d'aromates, de cierges allumés, dont nous allons tâcher de préciser
l'emploi et la signification.
Les Grecs ont fait d'Hypnos et Thanatos deux frères jumeaux, souvent asso-
ciés dans la littérature et dans l'art i. Lorsque le corps était plongé dans l'in-
sensibilité du sommeil, son âme, pensaient-ils, l'avait quitté passagèrement,
tandis qu'après le trépas elle devait s'en séparer définitivement. Quand se
propagea la doctrine orientale de la résurrection, elle enseigna que le juste dor-
mait en paix dans sa « maison éternelle » , en attendant la grande revivif ication
de l'humanité. L'Orient imagina d'exprimer l'idée du sommeil de la mort en
représentant le « gisant » couché sur le couvercle du sarcophage, et ce type
sculptural fut vulgarisé en Occident sous l'Empire ' . La même association
d'idées établie entre le sommeil et la mort fit adopter l'antique coutume
d'inhumer le corps sans cercueil, étendu sur un lit de feuillage ^ Une telle
pratique nous reporte à l'époque reculée où l'homme n'avait pas d'autre couche
que cette aii^y-ç. Dans leur dernière demeure les défunts reposaient sur des
branchages semblables à la jonchée où ils s'étaient assoupis pour se délasser
pendant leur vie. On choisissait de préférence, pour cette litière végétale, des
essences comme l'olivier, le laurier, le lierre, dont la verdure persistante sem-
blait être le présage ou la garantie d'une survie après le décès. Pendant
la morte saison, une puissance mystérieuse les rendait invulnérables à la mor-
sure du gel et sous leur écorce glacée conservait dans leur cœur une chaleur
vivifiante ; elle parut apporter la promesse d'une pérennité semblable pour la
dépouille refroidie de l'homme. L'usage de déposer des plantes vivaces dans
les tombeaux se maintint à Rome et en Gaule, même après la disparition du
paganisme * et jusqu'au XIIP siècle les interprètes de la liturgie chrétienne
expliquent le vieux rite funéraire comme l'avaient fait les anciens : si l'on met
dans le sarcophage ces tiges de laurier ou de lierre, qui conservent à perpétuité
1. Sommeil des morts, cf. Symbol., pp. 360-367.
2. Symbol., p. 388 ss.
3. Sur ce qui suit, cf. Stèle d'Antîbes, 1942, p. 10 ss.
4. Cf. ibid., p. 24 s.. Laborde, Les m-onuments de la France, t. Il, p. 2, rapporte
qu'en 1812 on trouva, dans une vieille tombe chrétienne du cloître de St. Seurin à
Bordeaux, « une couche de branches de laurier et les ossements d'une femme, puis
encore une couche de ■ branches de laurier et les ossements d'un homme et enfin du
laurier dans le fond de la tombe. » [Note communiqué par la M'^e de Maillé].
CHAPITRE I, — LES VIEILLES CROYANCES 43
la verdure de leur feuillage, c'est pour suggérer que ceux qui y sont ensevelis
ne périront pas, puisque, s'ils meurent quant au corps, ils vivent quant à l'ârae i.
L'on prendra soin aussi d'embellir de plantations des mêmes végétaux funé-
raires les abords de la « maison éternelle » qu'habite l'esprit du mort, car
celui-ci n'est pas un reclus cloîtré dans une étroite cellule 2. Sans doute était-il
ramené vers sa demeure souterraine par la nécessité de se nourrir et de prendre
du repos ; mais il pouvait circuler auprès de son logis obscur. C'était surtout
aux alentours des tombeaux que la crédulité populaire voyait apparaître les
revenants dans la pénombre de la nuit. Seules les • incantations des magiciens,
qui commandaient aux dieux et aux morts, pouvaient appesantir sur ces der-
niers, le poids de la terre et les emprisonner dans l'espace resserré du sépulcre".
Ces vieilles croyances expliquent que les survivants aient pensé faire une œuvre
agréable aux Mânes de leurs proches en entourant le lieu où ceux-ci repo-
saient, d'un jardin, rafraîchi par l'ombre épaisse d'arbres touffus, dans lequel
s'épanouissaient des fleurs parfumées et mûrissaient des fruits savoureux.
Cette coutume paraît avoir été étrangère à la plus ancienne religion romaine,
car les prescriptions du vieux droit pontifical l'excluaient. Elles défendaient
de remuer la terre ou d'arracher le gazon sur l'humble tertre consacré aux
Mânes en bordure du champ familial*. On donnait, sous l'Empire, aux enclos
funéraires, agrémentés de plantations, le nom de cépotaphes (x'/jTCOTC/.tpta)
et cette appellation indique suffisamment leur origine hellénique. On a montré
que les jardins qui depuis la fin de la République, commencent à former
autour de Rome une ceinture verdoyante, se sont développés à l'imitation de
ceux de l'Orient s. Surtout il en fut ainsi de ceux qui environnaient les sépul-
cres et où l'on aimait à faire éclore une profusion de fleurs*^.
Les « paradis » perses, lointains prédécesseurs des parcs romains, étaient
une combinaison du jardin de plaisance et du jardin de rapport. Il en fut de
même sur une moindre échelle des « cépotaphes », auxquels on trouve parfois
appliqué ce même nom de « paradis », qui devait être appelé à xme si haute
I. Rational de Jean Beleth, dans P. L., CCII, œl. 164 ; cf. Stèle d'Antibes, p. 25 ss.
2. Ce qui suit résume les faits exposés dans un mémoire communiqué le 15 déc. 1944
à l'Académie des Inscriptions et qui n'a pas encore pu être publié ; cf. C. R. Ac. Inscr.,
1944, V- 496-
3. Quintilien, Declam., X, 7 ; cf. înfra^ IV.
4. Julien, E-pist., 17^6 = Cod. X2heod.^ IX, 17, 5.
5. Cf. P. Grimai. Les jardins romains ; Paris, 1943, p. 48 ss., 86 ss.
6. Ainsi un jardin entourait le fanum élevé par Cicéron à sa fille TuUia ; cf. Boyancé,
R.E.A., 1944, XLVI, p. 179.
44 LUX PERPETUA
fortune. Le jardin funéraire fut disposé avant tout pour récréer les ombres relé-
guées dans la lugubre solitude de la tombe et mêler quelque agrément à leur
morne survie. Au souci scrupuleux que prennent les vivants d'en fixer l'étendue,
d'en préciser le décor, d'en assurer la pérennité, on peut mesurer l'in-
tensité de la conviction que leur ombre prendrait plaisir à s'y délasser. A
l'origine, sans doute la croyance commune était-elle simplement que la mort,
de quelque façon imprécise, séjournait avec satisfaction dans un lieu charmant,
tout émaillé et parfumé de fleurs. Mais des idées adventices approfondirent
la signification qu'on attachait à ces plantations, dont la piété des survivants
envers l'es trépassés assurait l'entretien. Les jardins dédiés aux dieux Mânes
et plus tard aux âmes héroïsées devinrent la figure terrestre du séjour des
bienheureux dans l'Hadès. Deux conceptions inconciliables se confondaient
souvent dan?, l'esprit des anciens, et ils purent se figurer que les ombres jouis-
saient dans leurs « paradis » champêtres des mêmes délices qui récréaient
les Élus dans les Champs Elysées.
Mais les cépotaphes avaient aussi un but utilitaire et ces fondations com-
binaient avec un souci religieux un intérêt pratique. Le produit de l'enclos
funéraire, assurait le maintien indéfini du culte qu'on y célébrait. Avant
tout, il fournissait les fruits, le vin et surtout les fleurs que réclamaient en
abondance certaines cérémonies.
Nous venons de voir qu'un vieil usage, qui se perpétua longtemps, voulait
que le mort reposât sur une litière de plantes vivaces. Mais il arriva aussi qu'on
étendît le corps inhumé sur un lit de fleurs. Comme la jonchée de branchages,
cette couche odorante était une imitation, dans la maison étemelle, de celle qui
était en usage dans la demeure des vivants, mais au lieu de la simplicité d'une
civilisation encore rustique, elle reproduisait la somptuosité d'une culture
raffinée.
De même que l'oblation des aliments devait être renouvelée à perpétuité sur
la tombe close, pareillement il fallait, aux dates consacrées, joncher de fleurs
fraîchement coupées la pierre tumulaire. On ne se contentait pas d'en parsemer
la sépulture, on en tressait des couronnes ou des guirlandes qu'on déposait sur
le sarcophage ou qu'on fixait sur la stèle portant l'épitaphe *, Ces soins accordés
au disparu lui faisaient plaisir, croyait-on, et il en était reconnaissant à ceux qui
ne l'oubliaient pas. Mais l'on pensait aussi pouvoir ainsi ranimer le mort et
lui rendre une vitalité qui l'avait abandonné.
I. Eitrem, 0-pferritus, p. 65 ss. } Lattimore, p. 128 ss.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES. 45
On semait de préférence sur la tombe des fleurs rouges, offertes, nousi
apprend Servius i, « à l'imitation du sang où est le siège de l'âme » . Comme
lui, elles devaient revigorer l'ombre anémiée. La doctrine de certains mystères
vint préciser cette antique croyance. La violette était, selon la légende phry-
gienne, née du sang d'Attis, et le 22 mars, à l'équinoxe du printemps, un pin
représentant le dieu mort, enguirlandé de cette fleur purpurine, était porté au
temple du Palatin. Ce même jour — le dies violae ' — on avait coutume d'aller
jeter cette offrande printanière sur les sépultures ; elle tenait lieu du sang divin
et les tiépassés qui en étaient ainsi comme asperges devaient participer à la
résurrection d'Attis. Au dies rosae, contrepartie de celui des violettes, s'attachaient
les mêmes espérances. L'usage de couvrir les tombeaux de roses a probablement
été emprunté par l'Italie, où il apparaît tardivement, aux pays helléniques. En
Thrace et en Macédoine, ces rosalies appartenaient au culte indigène de Dio-
nysos ; en Orient on les avait rattachées à celui d'Adonis, et les mystes en
célébrant cette fête fleurie, croyaient assurer à leurs proches la même immor-
talité qu'avaient obtenue les divinités qu'ils servaient.
Les rites mortuaires ont survécu souvent aux raisons qui les avaient fait naître.
Lorsque se vulgarisa dans le paganisme la croyance à l'apothéose, accordée sous
l'Empire au commun des mortels avec une libéralité étrangement accrue, le,
don des guirlandes et des couronnes ne fut plus regardé comme un secours
destiné à prolonger l'existence précaire, ou comme un réconfort propre à adoucir
le ^ort misérable d'une ombre végétant dans l'obscurité du tombeau. Il prit le
caractère de l'hommage que la religion prescrivait envers les divinités, dont on
couronnait les statues et les autels. Il se réduisit même, le jet des fleurs étant
souvent une manifestation profane de sympathie ou d'allégresse, à n'être plus
qu'une marque de piété ou de respect envers celui dont on voulait honorer la
mémoire. Dépouillés de leur caractère païen les rites charmants que consacrait
une tradition atavique, continuèrent à être pratiqués à l'époque chrétienne.
C'était une coutume populaire, dont la sagesse des écrivains ecclésiastiques
tolérait avec quelque dédain la futilité, en lui opposant la vraie spiritualité chré-
tienne ^ . La foule continua donc à répandre sur' les tombes des défunts qui lui
avaient été chers, des roses, des violettes et des lis, en choisissant de préférence
1. Servius, En., V, 79 : « Ad sanguinis imitationem, ubi est sedes animae ».
2. CIL, VI, 10234 = Dessau, 7213.
3. Saint Jérôme, Efist. aâ Pammachîum, LXVI, 5 (P. L., XXII, p. 642) ; Sulpice
Sévère, Dial., III, 18 (P. L., XX, 222) ; Prudence, Cathem., X, i6g ; Ambroise, De
obitu Valent. Cons., 56 (P. L., XVI, p. 1376).
46 LUX PERPETUA
des fleurs pourprées, et elle demeura persuadée qu'un être aimé obtenait par
ces soins quelque réconfort. Si une orthodoxie rigoureuse le niait, elle admettait
au moins que les vivants pussent ainsi chercher quelque allégement à leur
chagrin.
L'oblation funéraire de fleurs était souvent conjuguée avec celle d'aromates,
parfumés comme elles ' . L'une et l'autre furent empruntées par les Romains à
l'Orient hellénique, mais pour celle-ci Pline nous fournit des précisions qui
manquent pour celle-là^. C'est seulement au temps des successeurs d'Alexandre
que se répandit en Italie l'usage immodéré des parfums, dont les anciens Perses
avaient donné les premiers l'exemple. Après la défaite d'Antiochus de Syrie,
en 190, l'engoûment pour cette mode coûteuse devint tel que les censeurs
interdirent dans leur édit la vente des unguenta exotica '. Mais la passion pour
ce plaisir olfactif triompha de la sévérité des gardiens de la morale. Ce geni'e
de volupté fut admis — ce sont les paroles de Pline * — « parmi les biens de la
vie les plus appréciés et les plus distingués et l'on commença à honorer ainsi
les morts ». En particulier l'encens était employé, comme en Orient, aussi bien
dans le culte funéraire que dans celui des temples " . Bientôt les familles opu-
lentes rivalisèrent de munificence dans la recherche des produits les plus rares
de pays lointains pour des funérailles fastueuses. Les grains d'encens qu'on
réservait aux divinités étaient peu de chose à côté des monceaux d'essences
dépensées en pure perte à l'occasion des obsèques sur toute l'étendue de
l'empire". Lorsque, dans le cortège pompeux qui conduisit Hérode à sa dernière
demeure, cinq cents esclaves porteurs d'aromates accompagnèrent le corps étendu
sur la couche mortuaire, on reproduisit pour ce principe hellénisant un genre
d'offrande déjà habituel pour les rois de Juda ' un millier d'années auparavant,
mais qui était devenu commun à tout le monde romain. La profusion ne fut
guère moindre aux funérailles de Sylla qu'à celles d'Hérode^ et elle fut
1. Stace, Silves, II, i, 156 ss. j V, i, 210 avec les notes de Vollmer j Lattimore,
p. ia8 ss.j 133 s.
2. Pline, H. N., XIII, i, 2.
3. Ibid., XIII, 3, 24.
4. Pline, XIII, I,, 3 : « Postea voluptas eius a nostris quoque inter lautissima atque
etiam honestissima vitae bona admissa est ; honosque et ad defunctos pertinere coepit.»
5. Emploi de l'encens, cf. Eitrem, Offerritus, p. 198-205.
6. Pline, XII, 18, 82 ss. ; cf. VII, 53, 186.
7. Josèphe, Ant. lud., XVII, 8, 3, § 199 ; cf. II, Chroniques, XVI, 14 (inhximation du
roi Asa, 944-904) ; Jérémie, 34,5 ; II Chron., XXI, 19.
8. Plut., Sylla, 38.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES. 47
dépassée par Néron à celles de Poppée^. On répandait les parfums sur le cadavre,
sur le lit de l'exposition ^ ou sur le bûcher ''\ on les mêlait aux ossements
enfermés dans l'urne cinéraire^, on les déposait à côté du corps dans la fosse
ou le sarcophage, et les archéologues, en fouillant les nécropoles et les hypogées,
ont ainsi recueilli une quantité prodigieuse de flacons ou d'ampoules ayant
contenu des baumes odorants. La tombe scellée, on continuait à y répandre
les huiles de senteur, à s'en servir pour oindre la stèle sépulcrale ^ ou la statue
du défunt à défaut de ses membres réduits en poudre ", en même temps qu'on
consacrait à son effigie fleurs et courronnes. Ou bien encore on brûlait l'encens
ou le nard à la flamme de la lampe allumée sur la sépulture".
Sans doute, à l'origine, l'usage des essences aromatiques eut-il pour but de
rendre moins écœurante la fétidité du cadavre ou d'en empêcher la décompo-
sition par l'embaumement ; ou bien, lorsqu'on pratiqua la crémation, de com-
battre par une senteur pénétrante la puanteur des chairs rôtissant sur le bûcher "^ .
Mais cette protection contre des odeurs nauséabondes ne peut expliquer tous les
rites où interviennent les parfums. Quand l'emploi de ces parfums devint une
des jouissances les plus appréciées des vivants, ceux-ci voulurent la faire par-
tager aux défunts et renouveler pour eux un plaisir raffiné, qu'ils avaient aimé
sur la terre. On crut aussi que les fumigations d'encens et d'autres aromates,
comme la lumière des lampes et des cierges (p. 46) mettaient en fuite des
démons hostiles et protégeaient l'esprit du mort contre leurs attaques''.
Enfin quand la divinité des Mânes eut, par la vulgarisation de l'apothéose,
été égalée à celle des Olympiens, les parfums brûlant dans les cassolettes ou
sur les autels devinrent, de même que la consécration des fleurs (p. 45), une
des manières de manifester sa piété envers les trépassés comme envers les dieux.
D'autre pari la fumée des aromates, comme l'éclat des lumières, était une
1. Poppée : Pline, XII, 18, 83.
2. Martial, XI, 54, 35 Stace, Zheb., VI, 59.
3. Ovide, Fastes, III, 562 ; Stace, Silves, II, i, 156 ss. ; Apulée, De magia, 32 ; Mar-
tial, X, 97, z ; XI, 54, 2.
4. Ovide, Fastes, III, 561 ; Z^ristes, III, 3, 69 ; Hérodien, III, 15 (Sévère). Olearius,
Voyage en Moscovie, 1727, I, p. 379, note que les Russes parfument le corps de myrrhe
et d'encens avant de l'inhumer.
5. Kaibel, E-pig., 646.
6. CIL, VlII, 9052 (Auzia) : « Statuam terg[eat et unguat]. »
7- CIL, VI, 10248 : « Lucerna lucens ponatur incenso imposito. »
^. Cf. Stèle d'Antibes, p. 11, n. i ; Servius, En., VI, 216.
9. Eitrem, Offerritus, p. 201 ss. ; Cabrol, s. v. « Encens », p. 6. Même idée en
Perse : Darmesteter, Zend-Avesta, II, p. 138 (Vendidad, VIII, 80).
48 LUX PERPETUA
forme d'hommage purement profane, que l'on rendait aux personnages honorés
par des cortèges, et l'encens fut ainsi admis dans les funérailles chrétiennes, qui
sont la procession triomphale de l'Élu, né à la vie éternelle''.
Aux esprits des morts, habitant la nuit de la tombe, rien n'était plus indis-
pensable que la lumière. Pour la leur fournir on avait coutume de placer à côté
d'eux, dans leur obscure demeure, des lampes, que les fouilleurs ont retrouvées
en quantité innombrable dans les nécropoles de toutes les régions du monde
ancien". Il n'était pas nécessaire que ces lampes fussent allumées ; leur seule
présence suffisait à dissiper les ténèbres dans ce séjour des ombres, où
tout n'était qu'apparence et illusion. Comme d'autres objets du mobilier funé-
raire ces petits vaisseaux d'argile sont parfois inutilisables. Ce sont de pseudo-
lampÈs, dépourvues de tout orifice pour y introduire l'huile, mais à des fan
tomes, qui n'avaient plus de l'homme que la forme, il suffisait, pour y voir clair,
d'un semblant de luminaire"*.
Toutefois, de même que les offrandes d'aliments et de fleurs doivent être
renouvelées périodiquement à Fextérieur de la tombe qui s'est refermée sur les
restes du défunt (p. 44), de même, on y placera une lampe ou des cierges^.
On aimait à faire briller perpétuellement cette flamme, ou si l'on ne pouvait
l'entretenir constamment, on la rallumait à certains jours déterminés. La con-
ception primitive toute matérielle, resta celle qu'on continuait ainsi à fournir
au mort la clarté dont il avait besoin et cette idée naïve a persisté jusque dans
le folklore moderne'.
Mais, dès une époque reculée, des idées mystiques et symboliques furent atta-
chées à cet acte religieux. Bien des siècles avant la fondation de Rome, elles
avaient été développées par la religion égyptienne, où !'« allumage des lampes »
à la tombée de la nuit fut toujours un acte essentiel du culte des morts comme
du culte des dieux*. Il paraît probable que les mystères alexandrins répandirent
1. Cabrol, s. v. « Encens », p. 3.
2. Raoul Rochette, Mémoires Acad. Inscr., z^ série, XIII, 1838, p. 563-571 ; Eitrem,
Opferritus, p. 142 s., p. 153 ss. ; Rushford, J. R. S., 1915, V, pp. 150-164; Cabrol, ss. vv.
« Candélabres », « Cierges », « Lamp'es ».
3. Rochette, l. c, p. 566 ss. ; cf. sufra, p. 27, n. 2. •
4. Voir Digeste, XL, 4, 44 ; Pétrone, m. Nous avons traité ce sujet dans un artide
sur Les lampes et cierges allumés sur les tombeaux, qui a paru dans les Mélanges
offerts au cardinal Mercati (t. V, p. 41-47). On y trouvera la série des inscriptions qui
mentionnent cette pratique.
5. Cf. Seyrig, RHRel., 1928, XCIII, p. 276; Eitrem, Opferritus,p. 142,
6. Aupaij/ta; cf. Rusch, R.E., Suppl., VII, s. v. « Lychnapsia » ; Ôtto, Priester tif^"-
Vempel im hell. Aeg., igo8, I, pp. 10, 293., 332 ; Relig. orient., p. 243, n. 93 ; Salem,
JHS, 1937, XXVII, p. 165.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 49
dans le monde romain ce rite qui n'y apparaît dans les inscriptions qu'à une
date relativement tardive et sporadiquement ; sans doute est-ce aussi à l'Orient
que le monde latin a emprunté les interprétations qui donnaient à cet usage
funéraire une signification plus haute.
Suivant la croyance vulgaire, des démons malfaisants hantent la surface de
la terre, quand la nuit ténébreuse y étend ses voiles, et ils sont mis en fuite par
les premiers rayons du jour naissant^'. De là est née la ^croyance qu'une lumière
artificielle écarte, elle aussi, les esprits maléfiques et protège contre leurs entre-
prises. On trouve en Egypte, affirmée dès le Moyen Empire, la conviction, que
cette lumière est une protection contre les ennemis qui menacent le mort ^'. Pour
le même motif, à Rome, lorsqu'on expose le cadavre dans la maison, on allumera
des torches ou des cierges auprès de la couche où il repose-*. C'est peut-être
aussi afin d'obtenir une protection contre des puissances hostiles que le convoi
funèbre est accompagné, même le jour, de porteurs de torches, et la même
intention prophylactique, le même souci apotropaïque pourraient suffire à expli-
quer la présence d'un luminaire autour du tombeau.
Mais un. autre symbolisme, plus subtil, a donné une signifi-cation eschato-
logique à la flamme entretenue sur la sépulture. La lumière de l'aurore ne
chasse pas seulement les esprits des ténèbres ; son retour ramène à l'aube l'ac-
tivité sur la terre, elle tire les êtres animés de l'engourdissement du sommeil ;
elle réveillera de même les morts, que paralyse la torpeur d'une existence
amoindrie. Déjà les vieux textes égyptiens affirment explicitement que la flamme
qu'on fait brûler pour le défunt, assure la survivance de son esprit et lui confère
une immortalité divine *. Ce mysticisme fut indéfiniment développé par les
théologiens du paganisme^. Dans la célébration des mystères, la lumière qu'on
introduit, succédant à l'obscurité, est l'acte suprême qui précède, pour l'initié,,
la révélation parfaite. Elle devient dans les spéculations des exégètes la sagesse
qui procure le salut. « Illumination » a gardé en français une double acception,
matérielle et spirituelle. Principe de vie, la lumière rend l'homme impérissable
et le divinise. Toute cette symbolique qui, durant des siècles, fut un thème à
variations infinies, explique l'importance attachée à ces veilleuses tremblotantes
1. Cf. infra, N. C, XV.
2. Erman, Zeitschr. f. Aegypt. Sfrache, XX, 164 ss. et Dûmichen, ibid., XXI, p. 11 ss.
3. Cf. Rushford, ]. R. S., 1915, V, p. 149 ss.
4. Diimichen, l. c, p. 14 ; Blackman, Ibid., igi2, L, p. 69-75.
5 . Cf. Gillis Wetter, *«!: (Skrifter human. Samfundet Upsala, 11° 17) ; Eitrem, Opfer-
rîtus p. 155.
50 LUX PERPETUA
dont on entretenait la lueur à proximité des morts, car lorsqu'agit la magie
sympathique, de petites causes peuvent produire de surprenants effets.
Il serait aisé de multiplier les citations montrant que la croyance populaire
conserva jusqu'à l'époque chrétienne l'idée de cette relation établie entre la
lumière et la vie, et en particulier la vie dans la tombe. Un canon du concile
d'Elvire, vers l'an 300, interdit d'allumer des cierges le jour dans les cimetières,
« parce qu'il ne faut pas troubler le repos des âmes saintes » *', tant les docteurs
de l'Église eux-mêmes restaient persuadés que cette flamme pouvait interrompre
le sommeil des trépassés, qui dormaient dans leur dernière demeure en attendant
la résurrection finale. Des chrétiens d'Antioche, au temps de saint Jean Chry-
sostome, lorsqu'il leur naissait un enfant, allumaient une série de lampes, ei^
imposant à chacune un nom, et choisissaient jK)ur le nouveau-né celui du
lumignon qui s'éteignait le dernier, convaincus que le bébé obtiendrait ainsi
une longue vie 2,
Le sens mystique attaché à l'illumination de la tombe permet de comprendre
certains rites qui l'accompagnent. Plusieurs inscriptions de Macédoine, pres-
crivent qu'à la fête des roses, en même temps qu'on sèmera celles-ci sur la
sépulture, on y fera brûler une lampe ou un cierge s. Nous avons vu (p. T)2>)
,que la jonchée de fleurs purpurines devait, comme la libation de sang, ranimer
le mort. Mais l'effet de la lumière qu'on entretient près de lui, est identique,
et l'on saisit ainsi le motif qui a fait associer les deux cérémonies de la
« lycknapsia » et de !'« anthoboUa ».
Une curieuse notice d'un paradoxographe grec rapporte que les fleuristes
'avaient l'habitude de faire brûler la nuit une lampe à côté de leurs violettes
ou de leurs couronnes, pensant leur conserver ainsi leur fraîcheur jusqu'au
matin*. A l'origine de cette pratique superstitieuse on trouve toujours la même
idée que la lumière entretient la vie, et empêche celle-ci de s'éteindre, qu'il
s'agisse d'une âme désincarnée ou d'une plante coupée.
Les inscriptions nous apprennent que les lampes sépulcrales servaient souvent
à brûler de l'encens ou d'autres aromates^ et les émanations de substances
odorantes se mariaient avec le parfum des roses et des violettes. Lumières,
fleurs, fumigations sont des formes d'hommage rendu aux trépassés qui datent
1. Mansi, t. II, col. ii, canon 34 j cf. Cabrol, s. v. « Cierges », col. 1615.
2. Jean Chrysost., In efîst. I ad Cor. homil., XII, 7 (P, L., LXI, p. 105).
3. Paul Collart, BCH., 193 1, LV, p. 58 ss.; Seyrig, RHRel., 1928, XCVII, p. 275 ^
cf. Z^hes. l. l. s. V. « Cereus », p. 862, 15.
4. Apollonius, Mirabilia, 45 {Rerum natur. scriptores, éd. Keller, I, p. 54).
5. CIL, VI, 30099 = C. E. 1508 ; CIL, VI, 10248 == Dessau, 8366.
CHAPITRE I. ~ LES VIEILLES CROYANCES S i
en Italie d'une époque où. l'apothéose dans la pensée des survivants, égalait
à la divinité l'homme vertueux ou éminent. Illuminer à l'aide de lampes ou de
cierges, offrir des guirlandes ou des couronnes, brûler des essences aromatiques
étaient des rites très usités dans les temples, et ils sont communs au culte des
morts et au culte des dieux i. Mais avant d'être conçues comme des actes litur-
giques, exprimant la vénération pour un défunt déifié, ces cérémonies ont
été liées aux croyances les plus primitives en la survivance de l'être humaini
là où étaient enfermés ses ossements ou ses cendres.
Pour l'orthodoxie chrétienne, il reste seulement dans la fosse du cimetière
une dépouille inerte et insensible, que l'âme a abandonnée. Aussi toutes ces
manifestations de la piété envers les défunts, qui supposaient le cadavre doué
encore d'une vie latente, susceptible d'être constamment ranimée, tel l'usage
des luminaires, furent-elles condamnées par les autorités ecclésiastiques comme
entachées de paganisme*. Mais elles furent acceptées ou tolérées dès que, l'ido-
lâtrie vaincue, elles cessèrent de paraître dangereuses pour la foi. On vit se
maintenir ainsi les coutumes consacrées par la tradition de placer des lampes,,
des flambeaux ou des cierges autour du lit mortuaire ou du catafalque, de les
déposer dans les tombes au moment de l'inhumation, de les allumer périodi-i
quemenc sur la sépulture ^.Toutefois les théologiens donnèrent de ces antiques
coutumes une interprétation plus conforme à la religion nouvelle et la lampe
funéraire devint le symbole de la lumière étemelle, où revivaient les âmes
bienheureuses^. Pareillement si, en plein jour, les convois funèbres continuaient
jà être accompagnés de torches ou de cierges, c'était, expliquait-on, en signe
d'allégresse, pour marquer que le jour du trépas était celui d'une naissance
glorieuse et les obsèques purent ainsi être rapprochées des cortèges des triom-
phateurs \
Mais en dépit de ces interprétations pieuses d'exégètes autorisés, les vieillesi
croyances qui avaient de tout temps fait déposer des lampes dans les tombes,
I. Uae inscription de Salsovia (Mésie) consacrée au Soleil veut, sur l'ordre de Lici-
îùizs, que ce dieu soit adoré à chaque anniversaire « ture, cereis et profusionibus »
{Bonnet Jahrb. 117, 1908, p. 52). , , ,
a. Cf. Cabrol, s., v. « Cierges », p. 1614, et s. v. « Chandelier ».
3. Cabrol, s, v. « Candélabres », II, 1836 j R. E., s. v. « Luoerna », col. 1587,
3 ss.. Rushford, /. c. [n. 174], p. i6i s.
4. Sur le rapprochement *iiS = ZtiH (identité de la lumière et de la vie) ; cf. Tibor
Nagy Archaeoîogiai Ertesito, 3^ série, V, p. 233 s.
S- S. Jean Chfysostome, Homil IP in Epist. ad Hebraeos, 5 (P. G., LXIIIjp. 43). Cf.
Bmgham, Origines ecclesiasticae, or, antiq. of the christ. Church, Londres, 1878, t. II,
'H s.
52 LUX PERPETUA
ne purent être éliminées de la mentalité populaire. Elles devaient s'y trans-
mettre à travers les siècles jusqu'aux temps modernes''. Ainsi, bien des rites
de ce culte primitif des morts, qui remonte à la préhistoire, et les conceptions
naïves qui l'avaient inspiré, se perpétuèrent à travers toute l'antiquité et même
survécurent en Europe au triomphe du Christianisme, en Orient, à celui de
l'Islam. Ni les enseignements des philosophes, ni les doctrines des théologiens
ne purent faire renoncer les esprits simples à des croyances ancestrales et à
des usages séculaires, qui répondaient à des sentiments instinctifs plus puissants
que toutes les objections de la raison ou de l'orthodoxie. L'adoption d'une
religion nouvelle ne rompit pas la solidarité qui liait les générations et n'abolit
pas la foi archaïque qu'elles avaient héritée de leurs aïeux, même si une
logique rigoureuse pouvait juger leur co existence inconciliable. Les foules ne
renoncèrent jamais à l'idée que, dans la tombe, vivait un être mystérieux qui,
de quelque façon incompréhensible, continuait à a^ir comme il le faisait sur la
terre. Il mangeait, buvait, dormait dans sa dernière demeure et se promenait
autour d'elle. Gardant une sorte d'existence corporelle, il entendait qu'on lui
accordât les jouissances matérielles, dont la privation l'aurait fait souffrir ; il
voulait qu'on l'éclairât dans l'obscurité de son logis, il réclamait une nourriture
et des boissons qui pussent apaiser sa faim et sa soif, et se plaisait à retrouver,
près de lui, les objets qui lui étaient familiers : il savait apprécier toutes les
commodités qu'on lui accordait, tous les soins que l'on prenait pour rendre plus
confortable sa maison éternelle.
Car si le mort se trouve soumis à toutes les nécessités humaines, il est animé
aussi de sentiments humains. Il éprouve de la bienveillance ou de l'hostilité,
de la reconnaissance ou de la rancune et, s'il ressent vivement les injures,
et se venge de ceux qui le négligent, il favorise ceux qui ne l'oublient pasi.
'Il n'a point cessé d'être sociable et recherche la compagnie de ses anciennes
connaissances, dont la présence le distrait et le console. Il s'afflige de la dou^
leur de ses proches et les engage à la modérer 2. Il lui plaît d'être appelé par
son nom, car tant que son nom vit dans la mémoire des hommes, il appartient
encore au monde supérieur et n'a pas péri pour lui tout entier *.
1. Paul Collart, /, c. [p. 50, n. 3], p. 66. Cf. Sartori, Feuer und Licht in Voten-
Gebraûchen {Zeîtschr. fur Volkskunde, XVII, p. 361).
2. C. E., 59 [100 ap. J.-C], 1198 ; Stace, Silves, II, 6, 963 V, i, 170 ss. Cf. Jacob-
sen, I, p. 118 ; Lattimore, p. aiy ss.
3. CIL, V, 7956 : « Ut nomen eius aeterna lectione celebraretur hoc monumentum
iiistituit»j CIL, VI, 25128 = C. E. 1223 = * Sique voles] semper dulci me voce
vocare [ad super]os iterum vivam fce sospite semper. Cf. Rohde, Psyché, tr. fr. 546 s-i
Brehlich, p. 71, Lattimore, p. 242 ss.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 53
Le défunt n'était point retranché de la société des vivants, la connexion*
n'était pas rompue entre lui et son entourage ; il n'y, avait pas de solution de
continuité entre l'heure qui précédait et celle qui suivait son décès. C'est à
cet égard, on l'a souvent remarqué, que les idées antiques différaient le plus
des nôtres. Les disparus ne cessaient point de se mêler à la vie de leur famille^
ils restaient en communication avec leurs parents et amis, qui se réunissaient
périodiquement autour d'eux, et ceux-ci, ne pouvant consacrer tout leur temps
au défunt, s'efforçaient du moins de le mettre en rapport avec beaucoup de
monde. Nos morts reposent dans des cimetières écartés et paisibles, où aucun
vacarme ne doit troubler le recueillement de visiteurs affligés. Les Romains
plaçaient les leurs le long des grands routes à la sortie des villes, là où se
pressait la foule affairée et où résonnait le bruit des chars sur un dallage
sonore. Ils voulaient, en les mettant au bord des chemins les plus fréquentés,
non point, comme l'ont expliqué les philosophes, rappeler ainsi aux mortels la
fragilité de leur destin i, mais au contraire faire oublier le leur à ceux qui
n'étaient plus. « Je vois et je regarde, dit une épitaphe, tous ceux qui vont et
viennent de la cité ou vers la cité » ". « jOn a placé, lit-on ailleurs, Lollius
à côté de cette route, afin que les passants lui disent : « Bonjour, Lollius » ^.
Innombrables sont les inscriptions où le mort prend la parole et s'adresse à
ceux qui s'arrêteront devant son monument * : il console ceux qui continuent à
l'aimer, remercie ceux qui s'occupent encore de lui et leur exprime ses souhaits
de bonheur, ou bien il fait part à ses successeurs de la sagesse que son expé-
rience de la vie lui a acquise. Souvent il engage avec eux un dialogue : il
répond à leur salut et à leurs vœux : « Que la terre te soit légère. — Portez-
vous bien dans le monde supérieur ^ » ou encore : « Salut Fabianus — Que
les dieux vdus accordent leurs bienfaits, mes amis, et vous, voyageurs, que les
dieux vous soient propices, à vous qui vous arrêtez près de Fabianus, allez et
revenez sains et saufs ; vous qui me couronnez ou me jetez des fleurs, vivez
de nombreuses années » *''.
1. C.-R. Acad. Inscr., i<)i8, p. 385. — Quo praetereuntes admoneant et se fuisse et iUos
€sse mortales ».
2. Domaszewki, Arch. epig., Mitt. ans Oesterreich, X, 1886 (Kustendil) : nâvxai; fe'cot
utd^o'jfftv àir' ia-zoï; r^Bï Tcpo; aorj/ Is'jffaw ■?] elffopôw Cf. Friedlânder. Sittengesch . , III, p. 326.
3. Dessau, 6746.
4. CIL, XI, 5357 = CE., 1098 : «Viridi requiesce, viator, herba [, neu fuge si tecum:
coeperit umbra loqui ». Sur les vivants conversant avec les morts, cf. Pagenstecher,
Unteritalische Grabdenkmàler, Strasbourg, 1902, p. 123 ss., Lattimore, p. 230.
5- Dessau, 8130, cf. 8129 ss. et l'Index, p. 947.
6. Ibid., 1967 ; cf. 8139.
54 LUX PERPETUA
Mais si les modernes n'établissent plus comme les anciens la liaison perma-
nente de rapports répétés entre les habitants des nécropoles et ceux de la
cité, si, pour eux, la dépouille qui gît dans le tombeau livrée à la pourriture,
ne garde aucune sensibilité, bien des usages qui s'inspirent des convictions
périmées n'ont pas été abolis. Offrandes d'aliments et de boissons sur la dalle
itumulaire, banquet le jour des funérailles, repas périodiques des parents sur la
sépulture, fêtes générales où l'on accueille les âmes des trépassés, toutes ces
pratiques d'autrefois sont restées en vigueur en bien des pays, et le folklore
abonde en survivances du vieux culte des morts. Les soins rendus à la sépul-
ture n'ont pas cessé de lui être accordés, même par des incrédules ; on continue
à cultiver des plantes autour de la pierre mortuaire, à l'orner de couronnes et
à allumer des lampes ou des cierges en l'honneur de celui dont les restes achè-
vent de se dissoudre dans le caveau funèbre. On fête le défunt à l'anniversaire
de sa mort, comme de son vivant on le faisait à celui de sa naissance. Les
raisons qui ont établi ces coutumes ont disparu, mais la force de la tradition
les maintient. Les sentiments complexes que chacun éprouve en accomplissant
ces actes rituels se diversifient suivant la mentalité des croyants ou des scep-
tiques. Si l'on interrogeait les foules qui viennent fleurir la tombe du soldat
inconnu ou y ranimer la flamme, et qui font revivre ainsi, sans s'en douter,
'le culte antique des héros, les réponses obtenues varieraient sans doute à l'infini.
Les gestes consacrés, que l'on reproduit aux funérailles ou dans les cimetières,
ne sont plus, pour les esprits éclairés, qu'un moyen de manifester pieusement par
des signes extérieurs leurs sentiments intimes et de marquer la durée de leurs
regrets et de leurs souvenirs. Ces pratiques ont perdu pour eux la signification
concrète et la portée réelle du temps lointain où l'on croyait généralement
qu'un être animé des mêmes sentiments que nous et soumis aux mêmes besoins
séjournait là où étaient déposés ses ossements ou ses cendres, où le mort n'aban-
donnait pas cette terre, qui l'avait engendré, où il restait en communion cons-
tante avec ceux qui venaient le réconforter dans sa morne demeure. Mais le
commun des hommes ne peut se défendre de l'idée ingénue que sous la pierre
scellée ou le tertre gazonné, la dépouille qui est l'objet de sa sollicitude y.
reste sensible de quelque façon mystérieuse. Sur les foules traditionnalistes les
conceptions qui régnaient aux âges les plus reculés de l'humanité n'ont pas
perdu leur empire et, sans le savoir, le vulgaire demeure fidèle à cette religion
■des morts qui de toutes fut la plus primitive et la plus universelle.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 55
III. — Les Enfers souterrains.
Chez beaucoup de peuples l'idée de la persistance de la vie humaine dans le
tombeau s'est élargie en celle d'une existence commune des trépassés dans le
sein de la terre, si inconciliables que fussent en réalité ces deux croyances.
La coutume de l'inhumation avait fait supposer que les esprits des morts vivaient
quelque part sous le sol sans qu'on eii précisât le lieu^', et souvent l'on trouve
ainsi associées et confondues, même dans les épitaphes et chez les écrivains
latins, les notions d'une survie des défunts dans le sépulcre et dans les Enfers 2.
L'ombre ne reste pas confinée dans l'étroite demeure où repose le corps : elle
descend dans une vaste caverne s'étendant à l'intérieur de notre globe, antre
immense peuplé de la foule des générations qui ont quitté le monde supérieur.
La sépujture n'est plus désormais qu'un lieu de passage, par lequel les âmes
s'acheminent vers leur résidence définitive ^ ; la tombe est l'antichambre de leur
habitation permanente, sa porte est celle de l'Hadès lui-même ou de la route
qui y conduit^. Les libations et autres offrandes versées ou déposées sur la
pierre tumulaire vont, par un prodige inexpliqué, réconforter les ombres au-delà
du Styx^ . Jusqu'à la fin de l'antiquité, on crut à ce miracle, que renouvelait
constamment le culte funéraire. En vain voudrait-on préciser par quelle voie
il s'accomplissait ; il répondait à une foi si profondément ancrée dans l'âme
populaire qu'on l'acceptait sans essayer de le justifier. C'était en réalité un
accomodement, qui tentait de concilier deux traditions ancestrales : celle du
tombeau, demeure éternelle du mort, et celle d'un empire souterrain soumis à
des dieux chthoniens, de qui dépendait la fertilité des campagnes et qui com-
mandait aussi au peuple des Mânes **.
La prison obscure où ceux-ci étaient enfermés communiquait aussi avec le
inonde des vivants par des orifices naturels, soupiraux de cette cave obscure,
1. Cicéron, t^usc, I, 16, 36,
2. C, E. 62, 588, 1188. Properce, IV, 5, 3 ; cf. Rohde, tr. fr., p. 563, n. 3 ; Gal-
letier, p. 56 ; Plésent, Culex, p. 244 ; Jacobsen, Mânes, I, p. 64. — Même contamina-
tion en Babylonie, Parrot, p. 168 s.
3. Ovide, Met., IV, 433 ss.
4. Symbol., pp. 481 et 511.
5. Lucien, De luctu, 9 et 19. ■ ,
6. Rohde, tr. fr., 168 ss. ; Schrader-Nehring, s. v. « Totenreiche », p. 562, § 4.
5^ LUX PERPETUA
entrées de l'Hadès, près desquelles souvent on croyait pouvoir évoquer les
ombres pour en obtenir des réponses*. C'étaient généralement des lieux oi\ jail-
lissaient des eaux chaudes venues des profondeurs, des grottes d'où s'échappaient
des exhalaisons méphitiques, les cratères qui vomissaient le feu des volcans.
Les Grecs donnaient à ces issues du domaine de Pluton, dont Charon gardait
l'accès, les noms de Ploutôneia ou Charôneia "-. On retrouve la même croyance
en Italie, par exemple dans la région volcanique de Naples, au lac Averne, par
où Énée descendit vers le Styx, à Cumes où l'on consultait un oracle, et clans
la vallée de l'Ampsanctus, au cœur de l'Apennin, où les malades pratiquaient
l'incubation près d'une source sulfureuse^. Des populations primitives, frappées
par certains phénomènes merveilleux de la nature, les ont attribués aux divinités
chthoniennes ; elles ont cru que des lieux où parfois la vie était menacée par
des vapeurs meurtrières, appartenaient à l'empire des morts, et que les essaims
d'esprits infernaux y pouvaient remonter vers la lumière.
La condition de ceux-ci dans le lugubre séjour où ils sont confinés est, selon
les plus anciennes croyances, d'une tristesse infinie. Homère ne cesse de
plaindre le sort de ces âmes dolentes, inconsolables d'être privées de la clarté
du jour et d'avoir quitté la société des humains. Simulacres étiolés, vivotant
dans la pénombre, elles mènent une existence anémiée dans le morne désœu-
vrement d'une torpeur à demi consciente. Elles ne se raniment, selon la Nekyia
de l'Odyssée, que si le sang des victimes, dont elles viennent avidemment
s'abreuver, leur rend une vitalité momentanée^.
Chez les Sémites la conception que se sont faite les Babyloniens de l'Aralou
et les Hébreux, du Shéôl n'est pas plus consolante. C'est pareillement celle d'une
ténébreuse réclusion où l'humanité trépassée, sans communication avec les
vivants, végète misérablement, où des ombres inactives et débilitées perdent
jusqu'à la connaissance de leur dégradation dans l'engourdissement de toutes
leurs facultés s.
1. Ganchinietg;, R. E., s. v. « Katabasis », ool. 2378 ss.
2. Saglio-Pottier, s. v. « Divination », p. 309, « Oraculum », p. 216 ; R. E. s. v.
« Charôneia ».
3. Cf. infra, IV, n. 24. Source sxilfureuse d'Albunea (non sur la route deTibur, mais
près de Lavinium.) mise en relation avec les Enfers ; cf. Carcopino, Virgile et les origines
d'Ostie, 1919, p. 339 s.
4. Cf. supra, p. 34.
5. Lods, La croyance à la vie future dans l'antiquité Israélite, p. 205 ss.; Voyages ^w
pays des morts {C.-R. Acad. Inscr., 1940, p. 434 ss.). — Même conception chez les
Phéniciens : ViroUeaud, Bull, antiquaires de France, 1941, p. 179.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 57
Telle fut aussi la croyance primitive de Rome. Longtemps on s'y représenta
rOrcus comme semblable aux grottes obscures qui se creusaient dans les mon-
tagnes, une vaste caverne hérissée de rochers et plongée dans d'épaisses ténè-
bres 1. Les Mânes qui y étaient relégués n'eurent d'abord qu'une vie grégaire ;
esprits dépourvus d'initiative personnelle et que le langage ne nommait qu'au
pluriel, ils formaient une foule anonyme, à peine individualisée, n'ayant guère
plus de consistance que les fantômes fugaces qui voltigeaient autour des
tombeaux.
Les vieux Romains étaient un peuple d'imagination courte, peu enclin aux
rêveries poétiques, et leur mythologie est toujours restée rudimentaire. Il en a
été ainsi de celle des dieux du ciel et de la terre, et plus encore de celle du
royaume souterrain. Si une forte tradition avait enseigné des doctrines pré-
cises sur la survie des âmes dans l'Orcus, elle n'aurait pu être supplantée,
autant qu'elle l'a été, par les fables pittoresques des Grecs.
Tandis que le culte du double, gardant dans le tombeau une vie indécise,
appartient déjà, nous l'avons vu (p. 35), à l'antique religion aryenne, l'idée
que les divers peuples indo-européens se sont faite des Enfers diffère consi-
dérablement et témoigne d'un développement particulier à chacun d'eux, bien
que son origine puisse remonter déjà à la préhistoire^. On a conjoncture que
la substitution de l'incinération à l'inhumation avait contribué à répandre cette
conception nouvelle de la vie d'outre-tombe, l'ombre ne pouvant rester atta-
chée, ainsi qu'au cadavre, à la poignée de cendres qu'on enfermait dans une
urne chétive. Cette ombre devait aller rejoindre ses pareilles qui s'étaient
enfoncées dans le ténébreux séjour où régnaient les dieux d'un empire chtho-
nien.
L'idée que des juges infernaux décidaient du sort de l'âme selon ses mérites,
était aussi étrangère à l'ancienne religion romaine que celle de Charon, nau-
tonier du Styx, dont il interdisait à certaines ombres le passage. Orcus, le maître
du monde souterrain, que le langage confond avec sa personne ^, était lui-même
un souverain beaucoup moins agissant que le Hadès des Grecs, une figura
sans caractère tranché ni aucun relief, un roi qui laissait une grande indé-
pendance à ses sujets. Nous ne possédons de lui aucune représentation plastique
et on ne lui rendit jamais aucun culte. Plus effacés encore sont les traits d'une
vieille deité italique, Veiovis, dont le temple vient d'être retrouvé sur le Capi-
1. Cicéron, Vusc, I, 16, 37 ; 21, 48.
2. Schrader dans Hastings, s. v. « Aryan Religion. », p. 39.
3. R. E. s. r. « Orcus ».
58 LUX PERPETUA
tôle. On l'opposait à Jupiter comme le dieu maléfique des ombres, antithèse
du dieu bienfaisant de la lumière, mais on ne voit pas qu'on lui attribuât un
pouvoir bien défini sur le sort des trépassés * . C'était aux dieux Mânes eux-
mêmes et spécialement aux parents du mort qu'était reconnu le droit d'accueillir
ou de repousser celui-ci, lorsqu'il se présentait à la porte des Enfers. Ce pou-
voir leur appartenait depuis l'époque lointaine où les Indo-Européens n'étaient
point séparés, et il se rattache à ce culte des ancêtres qui a été commun à tous
les peuples aryens, et dont certaines conceptions se sont conservées à Rome
avec une fidélité remarquable. Si un corps n'a pas été inhumé ou incinéré selon
les rites, les esprits refusent de recevoir le défunt, sans doute parce que celui
qui n'a pas lobtenu des funérailles religieuses n'est point purifié de ses souil-
lures et que son contact serait dangereux. Aux origines de la littérature grecque
cette exclusion est déjà prononcée dans l'Iliade ^ : « Ensevelis-moi au plus
vite », dit Veidôlon de Patrocle à Achille, « afin que je passe les portes de
l'Hadès. Des âmes sont là qui m'écartent, m'éloignent, ombres des défunts.
Elles m'interdisent de franchir le fleuve et de les rejoindre. » Et à la fin du
paganisme le romancier Héliodore partage encore la même croyance'.
A Rome, c'est aux « dieux parents » qu'on s'adresse pour qu'ils consentent
à recevoir parmi eux l'âme de celui qui descend dans l'Orcus. L'exclusion
qu'ils peuvent prononcer nous fait remonter jusqu'aux temps lointains où. le
vieux droit gentilice était encore en pleine vigueur. Les membres de la gens
ou du yÉvoç ont un tombeau commim, ils participent au même culte funéraire ;
l'étranger qui ne l'a point pratiqué ne peut se mêler à eux dans la tombe*.
L'on s'explique que dans ce milieu social soit née la croyance que le nouveau
mort devait aussi être accueilli par ses ancêtres défunts dans l'autre monde, et
que celui qui n'avait pas été enseveli dans le sépulcre de ses pères n'était pas
admis dans leur société aux Enfers. Car la vie d'outre-tombe reproduisait celle
de cette terre (p. 68). Bien plus, c'étaient les Mânes de la famille qui se
chargeaient de conduire leur parent jusqu'au séjour souterrain qu'il devait
habiter à jamais avec eux : de même dans le cortège funèbre il était précédé
pompeusement par les images de ses aïeux, qui lui montraient le chemin de sa
dernière demeure. Sous l'Empire le thème de la réception des trépassés par
1. Aulu-Gelle, V, 12, 8 ; cf. A.-M. Colini, // tempio di Veiove (Bull. 00mm. archeolo-
gica com., LXX), 194a, p. 46.
2. //., XXIII, 71 ss. (trad. Mazon) ; cf. N. C. IV.
3. Héliod., n, 53, cf. N. C. ihU.
4. Sur ce qui suit, cf. N. C. IV.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 5?
les dieux Mânes dans l'Elysée, élargi et vulgarisé par la rhétorique, devint un
des motifs habituels introduits dans la composition des « épicèdes » ou « con-
solations » et il fut amplement développé par l'imagination des poètes, qui se
plurent à montrer des personnages illustres accueillant le mort qu'ils voulaient
louer. Mais ses origines, on le voit, nous ramènent jusqu'à l'antique religion
aryenne.
Ces Mânes propices seront des divinités tutélaires qui favoriseront leurs
descendants en cette vie et les préserveront des maux qui les menacent dans
l'autre. La protection accordée par la gens à chacun de ses membres était une
obligation si stricte, que si l'un d'eux périssait victime d'un homicide, la ven-
detta contre le meurtrier devenait un devoir pour ses proches. L'individu obte-
nait ainsi du groupe social auquel il appartenait une sauvegarde que ne lui
assuraient pas encore les lois pénales de la cité. Elle ne disparaissait pas à
son décès, mais se prolongeait au-delà de sa vie terrestre, grâce au secours
qu'accordaient à son ombre les « dieux parents ». L'éloge funèbre d'une noble
femme qui avait sauvé son mari proscrit à la fin de la République, se termine
par le vœu : « Je souhaite que les Mânes des tiens te concèdent le repos et
ainsi te protègent » ' . Mais à ces mêmes Mânes on attribuait le pouvoir d'ap-
peler à eux ceux qui devaient quitter ce monde terrestre et d'abréger leurs
jours ^. Ces antiques conceptions de la puissance des esprits des morts et de
leurs relations avec les vivants eurent beau être obscurcies et même éliminées
par de nouvelles croyances eschatologiques, elles devaient se propager à travers
les siècles dans la foi populaire et l'écho affaibli en est perceptible jusqu'à la
fin du monde antique.
L'idée que les ombres habitent une demeure commune, cachée dans les
entrailles du sol, existait dès les origines de la cité : c'est ce que montre unJ
rite de naïveté grossière qui avait gardé une forme archaïque. Suivant une
tradition que les Romains empruntèrent vraisemblablement aux Étrusques^,
lorsqu'on fondait une ville nouvelle, on creusait au centre une fosse, qui devait
servir à établir la communication entre les Enfers et le monde d'en haut. Les
colons y jetaient les prémices de fruits ainsi que d'autres offrandes et aussi
une motte de terre de leur ancienne patrie : ils établissaient ainsi le contact
rompu avec les Mânes de leurs aïeux. Selon toute probabilité cette fosse était
1. Dessau, 8393 ; cf. ihid,.^ Index.
2. CIL, VI, 19874 = C. E. 1224 ; CIL. IX, 175 = C. E. 1572 ; CIL. VI, 6986 =
C. E. 1034. Autres textes analogues : Brehlich, Aspetti, p. 25. — Cf. Lucrèce, VI, 763 ss.
3. Thulin, Efruskische Disciplin, Gôteborg, III, 1909, p. 18 ss.
éo LUX PERPETUA
formée d'un puits vertical aboutissant à un caveau cintré, comme la calotte du
ciel ; de là le nom de mundus qui lui était donné i. A la clef de voûte de ce
caveau inférieur était posée, croit-on, une pierre, le lapis manalis, qu'on pouvait
soulever pour livrer passage aux esprits. Trois fois par an, le 24 août, le
5 octobre et le 8 novembre, l'on procédait à cette cérémonie : l'orifice de
l'Orcus était alors ouvert et les morts avaient le libre accès de l'atmosphère ;
aussi étaient-ce là des jours funestes {religiosi) où toutes les affaires étaient
suspendues.
Quoi qu'il en soit de l'origine du mundus, qui est un sujet de controverses,
il est certain que la première transformation qui modifia à Rome les antiques
croyances héritées de lointains ancêtres fut celle des Étrusques. L'influence
de ceux-ci sur les institutions politiques et religieuses de la cité latine, leur
voisine, est reconnue par les Romains eux-mêmes, et le culte funéraire, célébré
en Étrurie avec une pompe comparable à celle de l'Egypte, a été imité par eux
dans mainte cérémonie rituelle. Mais chercher à préciser cette action dans ses
détails serait souvent vouloir expliquer obscurum -per obscurius. L'éclectisme
accueillant, dont les monuments figurés d'un peuple resté énigmatique nous
apportent la preuve sensible, a aussi introduit des éléments étrangers dans ses
conceptions religieuses et en complique singulièrement l'étude. Que ce peuple
se soit beaucoup préoccupé du sort réservé aux morts dans l'au-delà, cela ressort
aussi bien des peintures et des sculptures qui décorent les parois d'imposants
hypogées, les faces d'une foule de sarcophages et d'urnes cinéraires, que de
l'existence d'une littérature sacrée traitant des Enfers. Le mystérieux Tagès
passait pour avoir composé des libri Acheruntici ^, dont malheureusement aucun
fragment ne nous est parvenu. Si l'on s'en tenait au témoignage des monu-
ments, on constaterait d'abord que les Étrusques ont, ainsi que les Romains,
considéré le tombeau comme la demeure du mort. Ils ont décoré de luxueux
caveaux funéraires de tout ce qui pouvait servir à la commodité ou à la distrac-
tion des ombres qui devaient les habiter à jamais, dès que les corps y avaient
été déposés. Mais ils ont cru aussi à des Enfers souterrains peuplés de démons
1. Controverses sur le Mundus et sa situation à Rome : Platner-Ashby, ZJopogr.
Dîct., s. V. ; Fowler, J. R. S., 1912, II, p- 25 ; AJA, 1914, 302 ; Basanoff, Dieux des
romains, 1942, p. 4 s. Prétendu Mundus du Palatin : Lugli, Roma Antica. Il centra
monumentale, 1946, p. 428 ss.
2. Fowler, Religions exp. of the Roman feo-ple, p. 391 ; Latte, R. E. s. v. « Inferi »,
col. 1542.
3. Thulin, of. cit., III, p. 57 ss.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES éi
monstrueux dont le réalisme de leur art s'est plu à accuser l'aspect horrible
et qui devaient dans l'autre monde châtier impitoyablement les réprouvés i.
D'autre part le peu que nous savons du contenu des « Livres sur l'Aché-
ron », nous révèle que si, suivant eux, les décrets du Destin s'accomplissaient
inéluctablement, on pouvait cependant retarder l'échéance fatale de dix ans
pour les individus, de trente ans pour les Etats. Ces livres enseignaient aussi
comment, grâce à l'immolation de certaines victimes à des dieux déterminés,
les âmes humaines pouvaienr être divinisées et acquérir l'immortalité ; elles
devenaient ces dii animales, dont Cornélius Labéon continuait encore, sous
l'Empire, à s'occuper longuement. Les combats de gladiateurs furent chez les
Étrusques des jeux funèbres, où le sang des combattants revivifiait les âmes des
morts, avant de devenir à Rome un spectacle cruel de l'amphithéâtre'^.
Le titre même de libri Acheruntici, dérivé du nom de l'Achéron, montre
que le prétendu Tagès y exposait certaines croyances helléniques, probablement
répandues dans l'Italie centrale par le fameux oracle nécromantique de Cumes
en Campanie^ Furtwângler * semble avoir démontré, en invoquant les repré-
sentations de pierres gravées, que dès le V^ siècle les doctrines pythagoriciennes
de la métempsycose, d'une descente passagère dans l'Hadès et d'une réunion
finale de l'âme avec les dieux célestes avaient été accueillies en Étrurie. Ces
doctrines grecques s'y étaient étrangement amalgamées avec les croyances à
un monde souterrain, où les Mânes des défunts étaient menacés par des démons
affreux et protégés par des génies bienfaisants.
L'influence grecque et sa combinaison avec les traditions nationales se révè-
lent en Étrurie daris une foule de monuments funéraires. Un des plus signi-
ficatifs est le beau sarcophage découvert à Torre-San-Severo, près de Bolsène",
et qui paraît dater du lli^ siècle av. J.-C. Les deux longs côtés sont occupés
par des représentations qui se correspondent : d'une part l'immolation des
prisonniers troyens par Achille sur la tombe de Patrocle, de l'autre le sacrifice
1. F. de Ruyt, Charun., Bruxelles, 1934 ; Ducati Rendiconti Accad. Lincei, 1915,
XXIV, p. 515 ss. et Storia delV arte Etntsca^ Index, «. v. « Demoni » — Enfer étrus-
que en Campanie, cf. J. Hexirgon, Capoue -préromaine, 1942, p. 428 ss.
2. Supra, II, p. 30. — Suivant M. Heurgon, ces combats de gladiateurs, propagés par
les Étrusques en Campanie, furent introduits de la Campanie à Rome (o2>. cf^., p. 430SS.).
3. Supra, p. 32.
4. Furtwangler, Die antiken Gemmen, t. III, pp. 203, 254 ss ; cf. Weege Etruskische
Malerei, 1921. Opinion opposée soutenue par C. C. Van Essen, Did orphie influence
on Etruscam 'Cornbpaintings exist ? 1927.
5. Ed. GaUi, Monumenti anticM, 19 17, XXIV, p- 5 s.
62 LUX PERPETUA
de Polyxène, dernière fille de Priam, sur la sépulture d'Achille. Ces images,
empruntées à l'épopée grecque, sont placées entre deux démons étrusques,
figure^ ailées portant des serpents, masculine d'une part, féminine de l'autre.
Les petits côtés sont décorés de deux scènes tirées de l'Odyssée : le mythe de
Circé, changeant en animaux les compagnons d'Ulysse, peut-être une allusion
à la métempsycose, et l'évocation des ombres des morts par Tirésias, avec une
indication curieuse des Champs Elysées. Cet exemple — on pourrait en citer
bien d^autres — montre combien les légendes helléniques s'étaient étroitement
mêlée? à la démonologie étrusque dans une religion syncrétique.
Ainsi, lorsque nous parlons d'une pénétration de doctrines étrusques dans
l'eschatologie des Romains, pourrait-il déjà s'agir en réalité de croyances hel-
léniques reçues par cette voie indirecte. Les archéologues ont constaté l'exis-
tence de rapports étroits entre la mythologie infernale de l'art étrusque et celle
de la Grande Grèce, qui a été aussi l'inspiratrice majeure des conceptions que
Rome se fit du monde souterrain.
C'est en effet de l'Italie méridionale qu'elle a dû recevoir les mythes qui
transformèrent sa foi en la survie dans les Inferi. La découverte dans ce pays
des tablettes ou lamelles dites « orphiques » qui devaient servir de guide au
mort dans son itinéraire posthume ', les représentations de l'Hadès sur les
grandes amphores apuliennes du ive-iiie siècle , la présence fréquente d'images
des dieux chthoniens, tels que Pluton et Perséphone, sur les terres cuites archaï-
ques de Locres et d'autres cités helléniques , tout indique l'importance qu'avait
prise dans la religion de la Grande Grèce, vraisemblablement sous l'influence du
pythagorisme, les doctrines relatives à la destinée de l'âme dans les demeures
profondes où elle devait descendre. Ces doctrines pénétrèrent à Rome dès une
époque reculée, probablement par l'intermédiaire de Cumes, d'où sont venus
les livres sibyllins et qui était située à proximité de l'Averne, où l'on plaçait
une entrée des Enfers (p. 56). D'autre part la grande métropole de Tarente
était devenue le siège principal de l'école pythagoricienne et les découvertes
par les fouilleurs de nombreuses images de divinités dionysiaques et infernales
ont prouvé la place importante que le culte funéraire y tenait dans les préoccu-
pations religieuses*. Cette puissante cité paraît avoir, dès le milieu du me siècle,
1. Cf. injra, ch. v.
2. Albizsiati, Dissert. Accad. rom. archeol., sér, II, 1920, XIV, p. 147-232 ; Nilsson,
Gr. Rel., I, p. 776 ss.
3. Gianelli, Culti e mitî délia Magna Grecia, Florence, 1924, p. 218 ss. ; Ciaceri,
Storia délia Magna Grecîa, 1925, t. II, p. 126 ss.
4. WuiUeumier, X^arente, 1939, pp. 539 ss., 677 ss. — Cf. Symbol., p. 29, n. i. Pi- !•
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 63
fait accueillir par Rome certaines de ses dévotions, et lorsqu'elle eut été con-
quise en 209, l'afflux de prisonniers tarentins dut introduire dans la popu-
lation mêlée du Latium une foule d'esclaves qui y propagèrent la foi en l'Hadès
hellénique. A cette introduction directe et massive d'éléments étrangers dans
une ville qui déjà devenait cosmopolite, se joint l'action plus subtile des imita-
tions littéraires : le théâtre s'inspirait des tragédies de Sophocle et d'Euripide,
et l'on a remarqué que, lorsqu'il est question des Enfers, les écrivains latins
reproduisent avec complaisance et même amplifient l'original qui leur sert de
modèle ,
Lorsque la mythologie infernale de la Grèce se répandit ainsi dans le centre
de l'Italie, la topographie de l'empire de Pluton était déjà dessinée dans ses
grandes lignes et la croyance à une rétribution posthume, qui s'était imposée
aux Hellènes \ avait définitivement triomphé. Nous avons sur ce point une
indication très précise de Polybe* qui attribue à une sage politique l'invention
des supplices « tragiques » dont Rome menaçait après leur mort les méchants
pour les détourner de commettre leurs méfaits, et déjà Plante peut faire dire
à un de ses personnages qu'il a vu beaucoup de peintures représentant les peines
de l'Achéron^.,
*. ^.
Comment s'est développée chez les Grecs la croyance à des tourments infer-
naux, de quels éléments populaires ou littéraires elle s'est formée, quelles
vicissitudes elle a subies, ce sont là des questions auxquelles il est difficile de
répondre avec précision. La raison en est que ces peines infligées aux impies
dans l'au-delà firent partie du credo enseigné surtout par des sectes mystiques,
qui les opposaient à la félicité réservée aux initiés. Néanmoins on peut aper-
cevoir la genèse et marquer l'évolution générale des idées que les Hellènes
léguèrent à tout le monde romain *.
Peu à peu s'était formée en Grèce une conception de l'Hadès qui devait
devenir traditionnelle, et dont les caractères essentiels étaient fixés au moment
où les Latins l'adoptèrent. La croyance primitive, commune à beaucoup de
1. Rohde, tr. fr., pp. 348 s., 254.
2. Polybe, VI, 56, 8, cf. infra, ch. 11, début.
3. Plante, Carptiv., 998 (V, 4, i).
4. Rohde, tr. fr., pp. 44 ss. ; 168 ss. j 249 s. — Nilsson, Gr. Rel., I, pp. 425 ss. ;
651 ss. j 767 ss.
6o LUX PERPETUA
formée d'un puits vertical aboutissant à un caveau cintré, comme la calotte du
ciel ; de là le nom de miindus qui lui était donné i. A la clef de voûte de ce
caveau inférieur était posée, croit-on, tme pierre, le lapis manalis, qu'on pouvait
soulever pour livrer passage aux esprits. Trois fois par an, le 24 août, le
5 octobre et le 8 novembre, l'on procédait à cette cérémonie : l'orifice de
rOrcus était alors ouvert et les morts avaient le libre accès de l'atmosphère ;
aussi étaient-ce là des jours funestes {religiosi) où toutes les affaires étaient
suspendues.
Quoi qu'il en soit de l'origine du mundus, qui est un sujet de controverses,
il est certain que la première transformation qui modifia à Rome les antiques
croyances héritées de lointains ancêtres fut celle des Étrusques. L'influence
de ceux-ci sur les institutions politiques et religieuses de la cité latine, leur
voisine, est reconnue par les Romains eux-mêmes, et le culte funéraire, célébré
en Étrurie avec une pompe comparable à celle de l'Egypte, a été imité par eux
dans mainte cérémonie rituelle. Mais chercher à préciser cette action dans ses
détails serait souvent vouloir expliquer obscurum per obscurius. L'éclectisme
accueillant, dont les monuments figurés d'un peuple resté énigmatique nous
apportent la preuve sensible, a aussi introduit des éléments étrangers dans ses
conceptions religieuses et en complique singulièrement l'étude. Que ce peuple
se soit beaucoup préoccupé du sort réservé aux morts dans l'au-delà, cela ressort
aussi bien des peintures et des sculptures qui décorent les parois d'imposants
hypogées, les faces d'une foule de sarcophages et d'urnes cinéraires, que de
l'existence d'une littérature sacrée traitant des Enfers. Le mystérieux Tagès
passait pour avoir composé des libri Acheruntici ^, dont malheureusement aucun
fragment ne nous est parvenu. Si l'on s'en tenait au témoignage des monu-
ments, on constaterait d'abord que les Étrusques ont, ainsi que les Romains,
considéré le tombeau comme la demeure du mort. Ils ont décoré de luxueux
caveaux funéraires de tout ce qui pouvait servir à la commodité ou à la distrac-
tion des ombres qui devaient les habiter à jamais, dès que les corps y avaient
été déposés. Mais ils ont cru aussi à des Enfers souterrains peuplés de démons
1. Controverses sur le Mundus et sa situation à Rome : Platner-Ashby, Vopogr.
Dict., s. V. ; Fowler, J. R. S., 1912, II, p. 25 ; AJA, 1914, 302 ; Basanoff, Dieux des
romains, 1942, p. 4 s. Prétendu Mundus du Palatin : LugU, Roma Antica. Il centra
monumentale, 1946, p. 428 ss.
2. Fowler, Religious exp. of the Roman -peo-ple, p. 391 ; Latte, R. E. s. v. « Inferi »3
col. 1542.
3. Thulin, o-p. cit., III, p. 57 ss.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES éi
monstrueux dont le réalisme de leur art s'est plu à accuser l'aspect horrible
et qui devaient dans l'autre monde châtier impitoyablement les réprouvés i.
D'autre part le peu que nous savons du contenu des « Livres sur l'Aché-
ron », nous révèle que si, suivant eux, les décrets du Destin s'accomplissaient
inéluctablement, on pouvait cependant retarder l'échéance fatale de dix ans
pour les individus, de trente ans pour les Etats. Ces livres enseignaient aussi
comment, grâce à l'immolation de certaines victimes à des dieux déterminés,
les âmes humaines pouvaient être divinisées et acquérir l'immortalité ; elles
devenaient ces dit animales, dont Cornélius Labéon continuait encore, sous
l'Empire, à s'occuper longuement. Les combats de gladiateurs furent chez les
Étrusques des jeux funèbres, où le sang des combattants revivifiait les âmes des
morts, avant de devenir à Rome un spectacle cruel de l'amphithéâtre*.
Le titre même de libri Acheruniici, dérivé du nom de l'Achéron, montre
que le prétendu Tagès y exposait certaines croyances helléniques, probablement
répandues dans l'Italie centrale par le fameux oracle nécromantique de Cumes
en Campanie^. Furtwângler * semble avoir démontré, en invoquant les repré-
sentations de pierres gravées, que dès le V^ siècle les doctrines pythagoriciennes
de la métempsycose, d'une descente passagère dans l'Hadès et d'une réunion
finale de l'âme avec les dieux célestes avaient été accueillies en Étrurie. Ces
doctrines grecques s'y étaient étrangement amalgamées avec les croyances à
un monde souterrain, où les Mânes des défunts étaient menacés par des démons
affreux et protégés par des génies bienfaisants.
L'influence grecque et sa combinaison avec les traditions nationales se révè-
lent en Étrurie dans une foule de monuments funéraires. Un des plus signi-
ficatifs est le beau sarcophage découvert à TorrerSan-Severo, près de Bolsène",
et qui paraît dater du me siècle av. J.-C. Les deux longs côtés sont occupés
par des représentations qui se correspondent : d'une part l'immolation des
prisonniers troyens par Achille sur la tombe de Patrocle, de l'autre le sacrifice
1. F. de Ruyt, Charun.^ Bruxelles, 1934 ; Ducati Rendiconti Accad. Lincei, 1915,
XXIV, p. 515 ss. et Storia deW arte Etmsca, Index, «. v. « Demoni » — Enfer étrus-
que en Campanie, cf. J. Heurgon, Ca-poue -préromaine, 1942, p. 428 ss.
2. Supra, II, p. 30. — Suivant M. Heurgon, ces combats de gladiateurs, propagés par
les Étrusques en Campanie, furent introduits de la Campanie à Rome (o^. «if.,p. 430SS.).
3. Supra, p. 32.
4. Furtwângler, Die antîken Gemmen, t. III, pp. 203, 254 ss ; cf. Weege Etruskische
Malerei, 192 1. Opinion opposée soutenue par C. C. Van Essen, Did orphie influence
on Etruscam Vornbpaintings exist î 1927.
5. Ed. Galli, Monumenti antîchî, 19 17, XXIV, p. 5 s.
62 LUX PERPETUA
de Polyxène, dernière fille de Priam, sur la sépulture d'Achille. Ces images,
empruntées à l'épopée grecque, sont placées entre deux démons étrusques,
figure^ ailées portant des serpents, masculine d'une part, féminine de l'autre.
Les petits côtés sont décorés de deux scènes tirées de l'Odyssée : le mythe de
Circé, changeant en animaux les compagnons d'Ulysse, peut-être une allusion
à la métempsycose, et l'évocation des ombres des morts par Tirésias, avec une
indication curieuse des Champs Elysées, Cet exemple — on pourrait en citer
bien d^autres — montre combien les légendes helléniques s'étaient étroitement
mêlée.' à la démonologie étrusque dans une religion syncrétique.
Ainsi, lorsque nous parlons d'une pénétration de doctrines étrusques dans
l'eschatologie des Romains, pourrait-il déjà s'agir en réalité de croyances hel-
léniques reçues par cette voie indirecte. Les archéologues ont constaté l'exis-
tence de rapports étroits entre la mythologie infernale de l'art étrusque et celle
de la Grande Grèce, qui a été aussi l'inspiratrice majeure des conceptions que
Rome se fit du monde souterrain.
C'est en effet de l'Italie méridionale qu'elle a dû recevoir les mythes qui
transformèrent sa foi en la survie dans les Inferi. La découverte dans ce pays
des tablettes ou lamelles dites « orphiques » qui devaient servir de guide au
mort dans son itinéraire posthume ', les représentations de l'Hadès sur les
grandes amphores apuliennes du ive-iiie siècle , la présence fréquente d'images
des dieux chthoniens, tels que Pluton et Perséphone, sur les terres cuites archaï-
ques de Locres et d'autres cités helléniques , tout indique l'importance qu'avait
prise dans la religion de la Grande Grèce, vraisemblablement sous l'influence du
pythagorisme, les doctrines relatives à la destinée de l'âme dans les demeures
profondes où elle devait descendre. Ces doctrines pénétrèrent à Rome dès une
époque reculée, probablement par l'intermédiaire de Cumes, d'où sont venus
les livres sibyllins et qui était située à proximité de l'Averne, où l'on plaçait
une entrée des Enfers (p. 56). D'autre part la grande métropole de Tarente
était devenue le siège principal de l'école pythagoricienne et les découvertes
par les fouilleurs de nombreuses images de divinités dionysiaques et infernales
ont prouvé la place importante que le culte fiméraire y tenait dans les préoccu-
pations religieuses*. Cette puissante cité paraît avoir, dès le milieu du iii^ siècle,
I. Cf. injra, ch. v.
a. Albizzati, Dissert. Accad. rom. archeoL, sér. Il, 1920, XIV, p. 147-233 j Nilsson,
Gr. Rel., I, p. 776 ss.
3. Gianelli, Culti e miti délia Magna Grecia, Florence, 1924, p. ai8 ss. j Ciaceri,
Storia délia Magna Grecia, 1925, t. II, p. 126 ss.
4. Wuilleumier, Zarente, 1939, pp. 539 ss., 677 ss. — Cf. Symbol., p. 29, n. i. Pl. !•
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 63
fait accueillir par Rome certaines de ses dévotions, et lorsqu'elle eut été con-
quise en 209, l'afflux de prisonniers tarentins dut introduire dans la popu-
lation mêlée du Latium une foule d'esclaves qui y propagèrent la foi en l'Hadès
hellénique. A cette introduction directe et massive d'éléments étrangers dans
une ville qui déjà devenait cosmopolite, se joint l'action plus subtile des imita-
tions littéraires : le théâtre s'inspirait des tragédies de Sophocle et d'Euripide,
et l'on a remarqué que, lorsqu'il est question des Enfers, les écrivains latins
reproduisent avec complaisance et même amplifient l'original qui leur sert de
modèle .
Lorsque la mythologie infernale de la Grèce se répandit ainsi dans le centre
de l'Italie, la topographie de l'empire de Pluton était déjà dessinée dans ses
grandes lignes et la croyance à une rétribution posthume, qui s'était imposée
aux Hellènes \ avait définitivement triomphé. Nous avons sur ce point une
indication très précise de Polybe* qui attribue à tme sage politique l'invention
des supplices « tragiques » dont Rome menaçait après leur mort les méchants
pour les détourner de commettre leurs méfaits, et déjà Plante peut faire dire
à un de ses personnages qu'il a vu beaucoup de peintures représentant les peines
de l'Achéron^,
'M
Comment s'est développée chez les Grecs la croyance à des tourments infer-
naux, de quels éléments, populaires ou littéraires elle s'est formée, quelles
vicissitudes elle a subies, ce sont là des questions auxquelles il est difficile de
répondre avec précision. La raison en est que ces peines infligées aux impies
dans l'au-delà firent partie du credo enseigné surtout par des sectes mystiques,
qui les opposaient à la félicité réservée aux initiés. Néanmoins on peut aper-
cevoir la genèse et marquer l'évolution générale des idées que les Hellènes
léguèrent à tout le monde romain ^.
Peu à peu s'était formée en Grèce une conception de l'Hadès qui devait
devenir traditionnelle, et dont les caractères essentiels étaient fixés au moment
où. les Latins l'adoptèrent. La croyance primitive, commune à beaucoup de
1. Rohde, tr. fr., pp. 248 s., 254.
2. Polybe, VI, 56, 8, cf. infra, ch. 11, début.
3. Plante, Caftiv., 998 (V, 4, i).
4. Rohde, tr. fr., pp. 44 ss. ; 168 ss. ; 249 s. — Nilsson, Gr. Rel., I, pp, 425 ss. ;
651 ss, ; 767 ss. ; ... :
64 LUX PERPETUA
peuples agricoles, voulait que le sein de la terre, comme les hauteurs du ciel,
fussent le séjour des dieux. C'était de ces dieux chthoniens que dépendaient la
croissance de la végétation et la réussite de la récolte. Ils accueillaient aussi
dans leurs demeures cachées les esprits des morts qu'on inhumait. Cette
croyance primitive et rudimentaire qu'on se faisait du royaume souterrain fut
enrichie et. précisée par des récits qui prétendirent le décrire ' . Ces merveil-
leuses excursions dans les profondeurs de la terre, comme les autres fables
mythologiques, durent être imaginées d'abord par la foi populaire. Certaines
de ces « Catabases » ou « Descentes dans l'Hadès » furent adoptées et déve-
loppées par la littérature, d'autres dédaignées ou rejetées par elle, et une minime
partie en est parvenue jusqu'à nous. Les descriptions des poètes ont pu broder
des arabesques autour de motifs stéréotypés : toute une floraison mytholo-
gique et théologique peupla de figures de plus en plus nombreuses le royaume
fantastique qui occupait la grande caverne de la terre. Des variations infinies
furent exécutées autour d'un thème traditionnel, dont toutefois même les détails
furent conservés parfois avec une surprenante fidélité. La description que fait
Lucien de Charon et de sa barque reproduit des types fixés au Vie siècle avant
notre ère, car elle concorde exactement avec un morceau d'un vase à figures
noires 2.
Le peu que nous en connaissons nous laisse entrevoir des Enfers bien diffé-
rents de ceux qu'a illustrés la poésie lumineuse des Hellènes. La répulsion
qu'inspire la mort hideuse et la corruption du cadavre, l'effroi que font
éprouver ces abîmes ténébreux, qui engloutissent tout ce qui périt, ont évoqué
dans la pensée des foules l'image d'un Hadès plein d'horreur. Ils l'ont peuplé
de monstres affreux, de serpents et de bêtes féroces, épouvantement des explo-
rateurs téméraires qui s'aventuraient dans un monde interdit aux vivants ^
Polygnote avait prêté une forme sensible à des appréhensions instinctives de la
conscience populaire en figurant dans la Lesché de Delphes Enrynomos, le
démon qui mange la chair des défunts et ne leur laisse que les os. Il était d'une
couleur bleu-noir, celle des mouches de la putréfaction, et assis sur une peau de
vautour, il montrait dans un rictus sa mâchoire menaçante*. Cette conception
cruelle des Enfers ne devait jamais s'effacer entièrement ; elle s'est perpétuée
comme un courant souterrain dans le folklore de la Grèce, et devait s'affirmer
1. Voir N. C, IV.
2. Furtwângler, A. Relgw., 1905, VI, p. 191 s.
3. Aristoph., Gren., 143, 288 ss., 477, Proclus, In Plat. Remp., II, p. 183, 3oKroll.
4. Pausanias, X, 28, 7,
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 65
de nouveau à la fin du paganisme. A toutes les époques on peut en relever
les traces dans les « Catabases ».
Les raisons les plus diverses furent invoquées pour servir de prétexte aux
péripéties de ces romans d'aventures au pays des ombres. Des héros peuvent s'y.
rendre comme dans la Nékyia de l'Odyssée pour interroger les morts, ou bien
y être poussés par le désir de ramener à la lumière une personne chérie, telles
Eurydice et Alceste. Ou encore ils doivent y accomplir un exploit qui fera
éclater leur bravoure, comme celui d'Hercule domptant Cerbère', ou enfin, par
la révélation supposée de ce qu'ils ont vu dans l'Hadès, ils deviennent les garants
de certaines doctrines eschatologiques, comme celles de l'orphisme '". Un autre
type de « Catabase » ne met plus en scène des héros de la Fable, mais desi
hommei dont une léthargie a fait supposer la mort. Tandis qu'ils gisaient
inconscients, leur âme avait quitté leur corps et s'en était allée au séjour des
trépassés. Lorsqu'ils revenaient à la vie, ils pouvaient conserver le souvenir de
ce qu'ils avaient vu et le raconter. Le mythe d'Er dans la République de
Platon ^ est l'exemple le plus célèbre d'une telle résurrection suivie d'une révé-
lation. Ainsi s'est développé un genre littéraire qui remonte à l'ancien Orient,
appartient déjà en Grèce à la vieille poésie épique, continue à être cultivé
à travers toute l'antiquité et s'est poursuivi au moyen âge par des visions de
l'Enfer ou du Purgatoire*.
L'épopée a refoulé à l'arrière-plan la croyance primitive à des divinités qui
cumulaient la protection des campagnes et la garde des trépassés, pour leur
substituer celle, plus conforme à l'idéal d'une époque féodale, de souverains
habitant un vaste palais souterrain s. Sa porte, gardée par un chien monstrueux,
Cerbère, s'ouvrait pour laisser entrer les ombres, mais se refermait sur eux à'
jamais. Homère savait déjà que le royaume de l'Hadès était arrosé par quatre
fleuves : le Pyriphlégéton et le Cocyte, dérivés du Styx, s'y jetaient dans
l'Achéron, et leurs cours séparait le sombre Erèbe du monde des vivants. Une
simple barque servait au passage de la foule des âmes. Un vieux batelier
hirsute, Charon, les transportait sur l'autre rive, sans jamais, nocher impitoyable,
en, ramener personne.
1. Ettig, p. 260 ss.. G. Kroll, Gott und Hôlle, p. 364 ss., 39g s.
2. Catabase orphique : cf. infra, ch. v.
3- Bidez, Éds, p. 43 ss. Cf. Mages hellén., I, p. 18 s. ; 112 s. ; 141 s.
4. Ganschinietz, R. E. s. v. « Katabasis », col. 2434 ss. Norden, Aenus Buch., VI,
Introd., p. 6 ss. ; Handwôrterbuch des deutschen Aberglaubens, s. v. «Hôlle», p*a33 s.
5. Niisson, Gr. Rel., I, p. 425, 448.
5
66 LUX PERPETUA
Aucune distinction n'est faite parmi les défunts d'après leur mérite ou leur
démérite. Ils ne reçoivent dans l'Érèbe ni récompense, ni punition. Une vie
crépusculaire et appauvrie est leur commune condition. Seuls, dans la Nékyia
de l'Odyssée, trois grands coupables se détachent de la foule grise des ombres :
Titye, Tantale et Sisyphe. Tous trois ont commis de graves attentats contre les
dieux, et ceux-ci s'en sont vengés sur eux en leur infligeant des supplices éter-
nels. Le corps gigantesque de Titye est rongé incessamment par des vautours ;
Tantale est plongé dans un étang dont l'eau fuit ses lèvres avides, sous un
arbre dont les fruits échappent à sa main quand elle veut les saisir ; Sisyphe
roule sans trêve vers le sommet d'une colline un rocher qui, chaque fois, dévale
jusqu'au bas de la pente. Afin qu'ils puissent souffrir atrocement ils ont con-
servé dans l'Hadès une vitalité qui manque au commun des morts, pâles fan-
tômes anémiés.
A cette triade homérique de pénitents spécialement châtiés par la divinité,
vinrent s'ajouter dans la suite d'autres damnés qu'un crime inexpiable vouait
à des peines perpétuelles : Ixion tournant attaché sur une roue, Thésée et
Pirithous enchaînés, les Danaïdes portant de l'eau dans un vase troué, Oknos
tressant un licou dont son âne ronge aussitôt l'autre extrémité, et ainsi de
suite. Il se forma peu à peu un groupe traditionnel de personnages légendaires
dont le crime et la punition devinrent dans la poésie et dans l'art, jusqu'à la
fin de l'antiquité, les thèmes obligés de toute description ou représentation du
Tartare.
Mais ces réprouvés ne sont plus conçus, ainsi que le faisait l'auteur de la
Nékyia, comme des scélérats exceptionnels, à qui les dieux font expier une
injure personnelle. Ils sont devenus les prototypes des hommes qui, pour avoir
commis de semblables forfaits, seront punis d'une manière analogue, les exem-
ples effrayants du sort que le courroux divin réserve à tous ceux qui l'ont
provoqué.
Les premiers auteurs de cette métamorphose des idées eschatologiques, grosse
de conséquences, furent les Orphiques ^, qui transformèrent toute la conception
que la Grèce se faisait originairement de la vie future. Leur prédication'
enseigna que les pécheurs n'étaient pas seulement punis par les divinités en ce
monde, eux et leur descendance, mais qu'ils subissaient dans l'Hadès la peine
des fautes qu'ils n'avaient pas expiées sur la terre. Homère ne nomme qu'une
seule espèce de criminels que les Érinnyes torturent dans les Enfers : ce sont
I. Cf. injra, ch. v.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 67
les parjures 1. Mais ici encore le motif en est qu'ils avaient provoqué directe-
ment les dieux par la formule d'exécration qui terminait leur serment et s'étaient
livrés eux-mêmes, s'ils le violaient, à la vindicte céleste : c'est pourquoi ces,
parjures gardèrent toujours une place à part parmi les suppliciés du Tartare.
L'orphisme au contraire opposa, selon leur pureté ou leur impureté, le sort qui
devait échoir à tous les défunts dans le royaume infernal. Il montra les pro-
fanes, tous ceux qui n'avaient pas été lavés de leurs souillures par les rites
cathartiques de la secte, plongés dans un bourbier obscur, soit que cette fange
dût rappeler la pollution morale de ceux qui n'avaient pas participé aux puri-
fications 2, soit qu'on se les représentât comme ces pénitents qui, assis en hail-
lons dans la boue du chemin, clamaient leurs fautes aux passants. Au contraire
ceux qui avaient effacé leurs péchés, jouissaient dans l'au-delà d'une vie
bienheureuse en prenant part à un festin perpétuel.
Parmi les livres attribués à Orphée, circulait ime « Descente dans l'Hadès »
(xaTaSaaiç tiç 'AiSou) qui, comme les autres oeuvres de ce genre de littérature
(p. 64), devait insister sur les tortures atroces auxquelles les réprouvés
étaient soumis. Si l'esprit grec, épris de beauté et observateur de la mesure,
s'est en général détourné de ces sombres horreurs, on trouve cependant dès
l'époque de sa plus haute culture les premières allusions à ces supplices
raffinés 3, que devaient décrire, en détail pour chaque espèce de crime, les
apocalypses de l'époque romaine *i.
Pour appliquer à chacun ce traitement approprié à la nature de ses fautes,
qu'exigeait une morale devenue plus exigeante, la conduite passée des défunts
devait être soumise à l'examen de juges incorruptibles". Dès lors s'imposa peu à
peu la nécessité d'imaginer un tribunal de l'Hadès qui distinguerait les inno-
cents et les coupables et déciderait du sort de chacun. II fallait le composer
de héros d'une intégrité reconnue, et, après quelque hésitation, cette fonction
délicate fut confiée à Minos, Éaque et Rhadamanthe. Ils accordaient aux ombres
pieuses les joies qu'elles avaient méritées. Si les impies pouvaient s'amender,
ils ne devaient faire dans les Enfers qu'un séjour temporaire, avant de revenir
sur la terre par une nouvelle incarnation. Seules les âmes perverses et incorri-
I' Cf. Rohdej I, p. 63=tr. fr., p. 2545 Dieterich, Nekyia, p. 164.
3. Cf. infra, ch. v.
3- Platon, Gorgias, 523 ss. ; Refubl., 614 ss.
4. Cf. infra, ch. v.
5- Platon, A-pol., 41 A ; Gorgias, 523 ; cf . Rohde, tr. fr. p. 255 ; Nilsson, Gr. Rel., I,
P- 775-
68 LUX PERPETUA '
gibles étaient enfermées à jamais dans la prison obscure, où elles devenaient
les compagnes des grands criminels que la mythologie reléguait définitivement
dans le Tartare. Cette distinction entre les deux classes de criminels, les con-
damnés à temps ou à perpétuité se transmit jusqu'à Virgile qui l'a nettement
marquée dans l'Énéïde.
Désormais il y eut dans le grand hypogée où s'enfonçaient tous les morts,
deux séjours distincts, celui des bons et celui des méchants. Les Champs-
Elysées qui, suivant Homère, étaient situés dans des îles de l'Océan lointain,
aux confins de la terre, et où des héros privilégiés, enlevés corps et âme,
poursuivaient une vie bienheureuse qu'aucun décès n'avait interrompue, furent
transportés dans l'empire de Pluton, afin qu'on pût y recevoir les Élus. Des
juges infaillibles, auxquels aucune faute ne reste celée, partageaient en deux
groupes la multitude des ombres qui, sans cesse, comparaissaient devant eux.
Le chemin de droite menait les justes aux Champs Elysées où, dans des prés
fleuris, enveloppés d'une douce lumière, ils obtenaient la récompense de leurs
vertus.
Les plaisirs réservés aux bienheureux étaient ceux qu'ils avaient goûtés sur
la terre, et une conception des âges les plus reculés survivait ainsi dans cette
eschatologie évoluée. La vie dans l'au-delà n'avait pas cessé d'être conçue
comme le prolongement de celle de notre terre. Même la croyance atavique que
les inégalités de la société humaine s'y perpétuaient, et que le noble y gardait
un rang supérieur à celui de ses serviteurs, ne s'est jamais entièrement effacée.
Nous avons rappelé (p. 30) parmi les offrandes aux morts les antiques sacri-
fices d'animaux et même d'êtres humains, qui devaient assurer au défunt une
existence conforme à celle qu'il avait vécue en ce monde. Si c'était un puissant
seigneur, la coutume n'avait pas disparu d'enterrer avec lui son char, ses che-
vaux et ses armes. Tout ce qu'on enfouissait ainsi était censé l'accompagner
dans cet antre spacieux du sous-sol où il devait descendre *. De même se
perpétuait à l'époque historique la coutume de déposer dans la tombe toute la
variété des choses dont celui qui s'en était allé aimait à se servir. Un chasseur
sera muni de ses épieux et de son filet ^, un artisan des outils de son métier,
une femme de la quenouille et du fuseau qui lui permettront de filer et de
tisser, du miroir, des fards et des parfums qui la mettront à même de faire
sa toilette ; une enfant aura à sa portée la poupée qu'elle habillait, les jouets
I. Cf. Symbol., p. 405, et infra, ch. vu.
2. CIL, XII, 5708 = Dessau, 8379 (II, 1. 23 ss.).
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 69
qui l'ont amusée \ Tout cela leur servira, pense-t-on, dans l'au-delà. Ce qu'on
mettait à la disposition du mort , lorsqu'on se le représentait survivant dans le
sépulcre (p. 26), doit rester à sa discrétion dans sa demeure infernale. Il est
sans doute difficile de se figurer comment les simulacres d'objets inanimés
pouvaient aller rejoindre ceux des humains dans les profondeurs de l'Hadès,
et l'on songe malgré soi à la patodie de Scarron nous montrant l'ombre d'un
carrosse frotté par l'ombre d'une brosse. Mais la mentalité vulgaire ne
reculait pas devant de telles impossibilités. L'idée prévalait absolument
que dans les Champs Elysées chacun devait garder l'apparence, le carac-
tère, les habitudes qui le distinguaient avant sa mort. Virgile, s'inspirant
de Pindare ou peut-être de la vieille littérature religieuse des Grecs^, nous
présente encore les bienheureux s'adonnant aux luttes de la palestre, aux danses
et aux chants des chœurs, aux courses de chars : car, ajoute le poète, le goût
qu'eurent les vivants pour les armes et les chevaux les suit lorsqu'ils ont été
ensevelis dans la terre ^ Les stucs de la basilique souterraine découverte près
de la Porta Maggiore, à Ronie, figurent de même des luttes gymniques,
qui doivent se livrer dans l'autre vie *. Ovide s'accorde ici avec Virgile : il
sait que parmi les ombres exsangues une partie se réunit au Forum, une autre
dans la demeure du tyran des Enfers ^, et le reste exerce divers métiers à
l'imitation de son ancienne vie. Ce n'est point là une fantaisie de l'imagination
du poète. Une épitaphe en mauvais latin d'un esclave syrien nous assure qu'il
se réjouii de s'acquitter encore de son service dans le lieu retiré où s'élève le|
palais delà divinité infernale ^ Surtout ceux qui se sont adonnés aux études
iront retrouver les sages d'autrefois et se plairont à renouveler en leur société
de doctes entretiens '. Les Hellènes attribuaient à l'homme une dignité si émi-
nente dans l'univers, qu'ils ont imposé l'anthropomorphisme non seulement à
leurs dieux, mais aux esprits désincarnés et se sont longtemps représenté les
occupations de ceux-ci dans le royaume de Pluton comme une reproduction
1. Nogara, Rendiconti accad. rom. arch., 1941, XVIII, p. 236. Fuhrmann, J. A. I.,
Anzeiger, 1941, p. 520 ss.
2. Virgile, En., VI, 613 ss. et note de Norden au vers 637 ss.
3. Ibid., vers 653 ; cf. Perrot et Chipiez, t. III, p. 620, à propos des sarcophages
chypriotes.
4. Bendinelli, Monumenti antichi, 1926, XXXI, planches 17-18. Cf. Carcopino, Basil.
Pythag., p. 119, qui propose de ces scènes une autre interprétation.
5. Ovide, Met., IV, 443 ss.
6. C. E., 1186 : « In secessum numinis tandem ministerio infernae domus officiosus
laetatur suo ».
7- Platon, A-pol., 41 a ; Axiochos, 371 c ; Staoe, Silves, V, 3, 25 s. ; cf. Symbol., p. 313 ss.
70 LUX PERPETUA
de celles de la société humaine. Ainsi une très vieille conception de la con-
dition des trépassés survécut longtemps en dépit de la transformation générale
qu'avaient subie les idées sur l'au-delà.
Une pareille peinture de la société des morts était celle d'une foule restée
singulièrement vivante. On se demande comment des êtres qu'on croyait com-
posés d'une substance impalpable, formes vides dépourvues de corps, pouvaient
faire preuve d'une pareille vigueur. Mais la foi ne s'embarrasse pas de tels
prodiges. Nulle part l'incohérence des croyances admises simultanément ne se
révèle plus criante que dans les qualités que l'on prête à ces créatures imagi-
naires i. On se les figure tantôt blêmes, d'une pâleur cadavérique, parfois
même vêtues d'un linceul blanc, telles qu'on les a vues pour la dernière fois^
tantôt noires comme l'obscurité de l'Orcus, comme lès ténèbres de la nuit que
hantent les revenants, comme l'ombre humaine, dont elles ont emprunté le nom.
Il est absurde de croire que des esprits qui n'ont ni gosier ni poumons puis-
sent parler 2 ; leur voix s'est tue, ils sont les « silencieux » s. Mais lorsque ces
simulacres apparaissent dans les rêves, ils s'adressent à leurs proches et leur
font des révélations *. De même au moral ils peuvent être, soit des êtres moroses
et .torpides, animés d'une vie affaiblie, tels que se les représentait la vieille
religion, soit au contraire des bienheureux pleins d'allégresse, qui éprouvent
toutes les joies des humains dans les champs lumineux et embaumés de l'Elysée.
Cette conception grecque des Enfers que la littérature et l'art devaient popu-
lariser dans tout l'ancien monde et reproduire encore, même quand on eut
cessé d'y croire, nous est restée familière. Dans son ensemble, et à la consi-
dérer en gros, c'est celle d'un État qu'on se figure à l'imitation des cités ou
nations des vivants ^ mais où règne une justice rigoureuse qui, sur notre pauvre
terre, n'est que le rêve d'esprits moi'aux. L'idéal de ceux-ci, jusqu'où la société
humaine ne parvenait point, devait être réalisé dans celle des ombres. Le
royaume souterrain, dont un fleuve sans ponts protège la frontière, est admi-
nistré par de puissants souverains, Pluton et Proserpine. Il a ses lois qui
s'appliquent sans rémission à celui qui a violé celles de sa patrie, son tribunal
composé de juges intègres et perspicaces, ses bourreaux chargés de l'exé-
1. Cf. Roscher, Lexik, s. v. « Inferi », col. 239 s.
2. Cicéron, Z^usc, I, 16, 37.
3. Forcellini, Lex., s. v. « Silentes » ; cf. C. E., 1552 A 38 : « Tacitis Acherontos
in umbris ».
4. Cf. infra, IV.
5. Ovide, Métam., IV, 435 ss. ; Lucien, De liictu, 3 ss. ; cf. Plésent, Culex, p. 245-
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 71
cution des sentences, les furies et plus tard les démons vengeurs {infr. ch. IV),
et sa prison, qui est le Tartare entouré par de hautes murailles. De même
les peines sont souvent conçues à l'imitation de celles auxquelles étaient con-
damnés les criminels dans la cité^. Tels des prisonniers, les coupables sont"
liés de chaînes qu'ils ne peuvent briser ; les Érinnyes les frappent de leurs
fouets, comme ils sont flagellés sur l'ordre des magistrats. Ailleurs on recon-
naît l'imitation des tourments infligés aux inculpés qu'on soumettait à la tor-
ture. Même la vieille loi du talion s'applique encore dans l'autre monde et
les morts y subissent eux-mêmes le traitement qu'ils ont fait subir à des vic-
times innocentes '''. Ces supplices, inscrits dans le code pénal, et qui s'appliquent
à des coupables dont les uns sont condamnés pour un certain temps et les autres
à jamais, opposent tous ces malfaiteurs aux bons citoyens, qui jouissent,
dans de délicieux jardins, de tous les plaisirs qui font la joie des humains.
Dans la description fantaisiste qu'il en donne, Lucien se figure les ombres
festoyant avec leurs parents et amis dans le Champ d'asphodèles, groupées
par tribus et par phratries, comme on l'était à Athènes ^
*
* ♦
Ainsi la poésie grecque, depuis l'époque la plus reculée, s'est complu à
dépeindre en deux tableaux opposés le séjour deé bienheureux et la géhenne
des réprouvés. Ce motif littéraire a même pu être dégradé jusqu'à la parodie
par Aristophane. Chez les Romains, que nous sachions, personne ne l'avait
traité avant Virgile ^, et il est significatif, pour la pauvreté de ce qu'on racontait
précédemment de l'Orcus, que l'auteur de l'Enéide ait ainsi suivi les Grecs dans
■une épopée destinée à glorifier les traditions nationales. Presque tous les traits
de ses descriptions sont en effet empruntés à l'ancien fonds hellénique, et l'art
souverain d'un grand poète a seul pu prêter un attrait nouveau aux vieilles
figures de la Fable. Mais son dessein n'a point été seulement de raconter pour
la délectation du lecteur un fantastique voyage au pays des morts. Il a voulu
1. Dieterich, Nékia, p. 202 ss.
2. Ihid., p. 206. — La métempsycose et la loi du talion : Platon, Zoz5, 870 e ; 904 e ;
Plotin, III, 2, 13 (p. 40, Bréh.).
3- Lucien, Philo-pseudès, 24 ; cf. Callimaque, Efigr., 10.
4. Descriptions des Enfers dans la littérature latine, Ganschinietz, l. c. [supra, p. 65,
1- 4], col. 2417 ss. j Jos. KroU, Gott und Hôlle, p. 381 ss.
72 Lux PERPETUA
y introduire un enseignement et y glisser les doctrines de la vie future qu'avait
jadis formulées le pythagorisme et qui jouissaient de la faveur des Romains.
Son épopée livresque combine, dans son sixième livre, deux sources, l'une
mythologique, l'autre philosophique, non sans qu'il y subsiste des incohérences
et même une contradiction fondamentale i. D'après la première est repro-
duit le décor de l'Hadès grec avec ses acteurs et figurants habituels : le Styx et
son dur nautonier, Cerbère aboyant de sa triple gueule, le tribunal où Minos
rend ses sentences, les deux routes qui mènent l'une à gauche vers le Tartare,
prison dans laquelle sont châtiés les grands coupables des anciennes légendes,
l'autre à droite vers les Champs Elysées où les élus, affranchis de tout souci,
retrouvent les jouissances de leur vie passée. La philosophie, ou pour mieux
dire la théologie, a enseigné à tm poète éclairé, l'origine céleste du principe
spirituel qui nous anime, la purification par les éléments et la métempsycose,
selon laquelle les âmes se réincarnent après avoir bu les eaux du Léthéi, qui
leur enlève la mémoire de leur vie passée *.
Telle quelle, et bien que manifestement Virgile n'y ait pas mis la dernière
inain, cette descente d'Énée aux Enfers a été un des épisodes les plus goûtés
d'un poème populaire entre tous, et aucun ne fut dans l'antiquité plus abonl-
damment commentée D'admirables vers répandirent largement dans le public
les notions de l'eschatologie qu'enseignaient alors les écoles. Mais ils eurent
aussi une influence littéraire prolongée, et le modèle créé par un génie dont
tous reconnaissaient la primauté fut imité dans les descriptions que ses succes-
seurs tentèrent du royaume des ombres, même quand ils s'efforcèrent de
rajeunir par quelque invention de leur cru un sujet riebattu. Le souvenir de
la poésie virgilienne a inspiré la plaisante parodie qui raconte comment fut
reçue aux Enfers l'ombre d'un moucheron tué par mégarde"*. On en reconnaît
l'empreinte à l'époque des Flaviens dans les Argommiiques de Valerius Flaccus,
dans la Thêbaîde de Stace^ et surtout dans les Puniques de Silius Italiens, ^
Quoique celui-ci ait imaginé une topographie toute personnelle de l''empire des
morts 1, il se montre à l'ordinaire, dans la conception comme dans l'expression,
I. Boissier, Rel. romaine, II'', p. 263 ss. ; 283 ss. ; Nordcn, o-p. cit., p. 20 ss. — Cf.
infra, ch. vi.
a. Cf. Maubert, R. Ph., 1928, LIV, p. 231 ss. ; Kroll, R. E., s. v. « Lethe » ; Nilsson,
Eranos, 1943, XLI, p, i ss.
3. Servius, En. VI, prooem.
4. Plésent, Culex \ cf. injra, IV.
5. Valer. Flaccus, I, 343 ss. ; Stace, V.hébdide IV, 504 ss. ; VIII, i ss.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 73
le docile imitateur de Virgile ^ Au crépuscule de l'antiquité, si Claudien veut
plonger dans l'abîme ténébreux son ennemi Rufin, c'est encore à l'Enéide qu'il
empruntera les éléments et même les termes de sa description du Tartare ^ .
Le caractère même de la poésie élégiaque excluait de longs récits de péré-
grinations ,au pays des ombres. Mais ses « épicèdes » ou consolations compo-
sées à T'occasion d'un décès ^, éveillant nécessairement l'idée d'une descente de
l'âme dans le royaume souterrain, leurs auteurs, comme Properce *, ont trouvé
dans le recours aux imaginations qu'avait suscitées ce monde merveilleux un
moyen d'introduire dans un sujet austère une note pittoresque. Pourtant ce souci
de lettré peut s'allier chez les imitateurs des Alexandrins à un scepticisme com-
plet. Leur foi en cette mythologie infernale n'Iétait pas plus sérieuse que celle
qu'ils accordaient aux aventures des Olympiens, auxquelles ils font de si nom-
breux emprunts. Même un épicurien comme Horace ne s'est pas fait faute de
glisser dans sec Odes des allusions aux figures et légendes de l'Hadès ^^ tant
l'idée de la mort éveillait naturellement dans l'esprit des poètes latins celle des
créations mythiques de leurs prédécesseurs helléniques. Ils ne pouvaient parler
de l'au-delà sans user des motifs littéraires qu'une longue tradition avait
consacrés. Si Tibulle malade a le pressentiment de sa fin prochaine, aussitôt
"ses vers opposent les Champs-Elysées, parfumés de roses, où se retrouvent et
lutinent les amants, au séjour maudit, gardé par Cerbère, avec l'inévitable série
des suppliciés, Ixion, Titye et les Danaïdes®.
L'influence des poètes épiques, élégiaques ou lyriques, qui, obéissant aux
conventions du genre qu''ils cultivaient, rappellent dans leurs compositions une
mythologie à laquelle ils ne croyaient plus, s'est étendue jusqu'aux auteurs
d'épitaphes métriques '. Ils parlent des Champs Elysées et du Tartare, du Styx
et de l'Achéron, ils se plaignent de la cruauté de Pluton qui ravit les mortels
à la fleur de l'âge, ou des Parques qui tranchent le fil de leurs jours. Ils
mentionnent les Furies vengeressies, les supplices de Tantale, de Sisyphe et
d'Ixion, Mais ces allusions ne sont guère que des formules toutes faites du
1. Maubert, /. c. \su-pra, p. 72, n. 2]. — Sénèque dans V Hercule Furieux, où il s'ins-
pire d'Euripide, suit une autre tradition que celle de Virgile, v. 663 ss.
2. Claudien, In Ruf., II, 423-525.
3. Cf. sufra, p. 5 et N. C, III.
4. Properce, IV, 11, 19 ss. ; cf. IV, 7, 52 s. ; III, 18, 23 ss.
5. Horace, Odes, II„ 14; III, 4, 70 ss.
6. Tibulle, I, 3, 57-80.
7. GaUetier, pp. 52 ss., 202 ss. ; 259 ss. Cf. Brehlich, Asfetti, p. 14 ss. ; Lattimore,
Pp. 87 ss., 313 ss. ; G. Picard, C.R. Ac. /«.fcr., aosept. 1946. Stèle d'Albano, /«/ra, pi. IL
74 LUX PERPETUA
style versifié. Les fables grecques étaient, nous le voyons ici, devenues fami-
lières, même à des gens dont les incorrections de langage et de prosodie
trahissent la médiocre culture^. Ces demi-lettrés avaient la tête farcie des mor-
ceaux récités à l'école, et ils s'en appropriaient la parure érudite. Presque
absentes à l'époque républicaine, ces mentions des Enfers et de leurs habi-
tants obligés vont se multipliant avec une fréquence croissante jusqu'au temps
des Flaviens, et l'habitude d'y recourir était si fermement établie, si rigoureuse-
ment imposée par l'exemple des grands poètes, que nous voyons aux siècles chré-
tiens les épigrammes composées pour des trépassés continuer à répéter les mêmes
lieux communs. Des âmes pieuses se sont conformées sans scrupule à cette tradi-
tion scolaire, et n'ont pas répugné à utiliser ces clichés païens, si usés à force
d'avoir servi que leur empreinte première s'était effacée. En dépit de leur foi
sincère, ils ne renonçaient pas à un artifice de rhétorique, dont personne n'était
dupe. La poésie chrétienne devait y avoir recours jusqu'au moyen-âge^, la
Renaissance et l'époque du classicisme en user et en abuser encore. Cette persis-
tance de l'ancienne phraséologie, regardée comme poétique, indique suffisam-
ment qu'elle ne répondait à aucune conviction religieuse. Et de fait, pour citer
cet exemple, dans la vingtaine d'inscriptions latines qui mentionnent les Champs
Elysées, on ne trouve exprimée aucune croyance eschatologique, sinon parfois
l'idée morale très générale qu'ils sont le séjour heureux des âmes qui l'ont
mérité par leur piété ^«.
La preuve la plus frappante que les fables infernales ne sont dans la poésie
funéraire que des ornements de style, les oripeaux sous lesquels, des rimailleurs
tardifs dissimulaient leur pauvreté, c'est qu'elles sont totalement absentes des
épitaphes latines rédigées en prose, qui se comptent par dizaines de milliers;.
Cette défroque littéraire dont se revêtaient les épigones est une part de l'hé-
ritage d'un formulaire de convention.
L'examen de la sculpture funéraire fortifie ces conclusions. Parmi les
motifs si variés qui décorent les sarcophages ou les stèles sépulcrales, le
nombre de ceux qui reproduisent des scènes , des Enfers, est si restreint que
ces morceaux de sculpture forment vraiment l'exception qui confirme la règle ;
et encore plusieurs des figures dont l'imagination des Grecs avait peuplé
l'Hadès n'ont-elles été admises sur ces monuments qu'à cause du sens symbo-
1. P. ex. C. E., suppl. 1186.
2. Cf. Lattimore, p. 31a ss.
3. Galletier, p. 53 ss.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 75
lique qu'on y attachait, comme celles d'Ixion, de Tantale, de Sisyphe ou des
Danaïdes '. La plupart des thèmes mythologiques qui sont entrés dans le réper-
toire des praticiens romains étaient interprétés comme des allégories d'une
eschatologie qui ne faisait plus descendre les ombres dans le sein de la terrei.
Nous verrons dans un autre chapitre 2 comment les négations des Épicuriens et
les affirmations des Stoïciens éclectiques conjuguèrent leurs efforts pour ruiner
les croyances du passé et comment cette critique rationaliste réussit à ^Driver
ces vieilles chimères de tout crédit dans les milieux éclairés et dans un public
plus large, qui prétendait l'être.
Si Lucien dans ses peintures de l'Hadès reproduit un décor devenu conven-
tionnel, c'est en composant des satires où il imite le rire sarcastique de Ménippe
le Cynique, et le succès obtenu par ce persiflage suffirait à prouver que toute
signification sérieuse, tout sentiment profond avaient cessé d'être attachés à
des fables surannées, qui n'étaient plus que des poncifs. Les lecteurs de
pareilles facéties devaient être aussi incrédules que le sont les spectateurs
de l'Orphée aux Enfers d'Offenbach.
Toutefois il faut ici établir une distinction. S'il est vrai que l'on ne croyait
plus, dès qu'on se targuait de quelque culture, aux mythes de l'Hadès hellé-
nique, il s'en faut qu'eût disparu la foi primitive en un séjour souterrain
des morts, sur lesquels régnaient des dieux chthoniens. Cette antique concep-
tion ne fut jamais abolie, et si l'on considère l'ensemble du monde romain et
toutes les classes de la société, on se convaincra que la majorité des hommes
y restait attachée.
On pourrait alléguer des preuves multiples attestant que cette croyance
universelle, remontant à la préhistoire, ne fut jamais rejetée par la mentalité
populaire. De nombreuses inscriptions funéraires appellent sur le violateur de
la tombe le courroux des dieux souterrains, protecteurs du repos des morts, et
les opposent aux dieux supérieurs 3. Les papyrus magiques d'Egypte font sou-
vent appel aux divinités de l'Hadès, et ceux qui croyaient à l'efficacité de ces
formules, étaient convaincus de l'existence d'un abîme obscur « oti séjournent
les démons des hommes qui auparavant ont vu la lumière » ^. Quand les
1. Symbol., pp. 28 ss. ; 33g, 508 (Add. 330).
2. Cf. infra, ch. 11. ■ I : ^ " i ' ' ! ■ ' ' I i i" î ' ' 1 i ! "i " •^' " ^
3. Dessau, 8177 s. ; 8198 ; 8202. De même en grec ; cf. Roscher, Lexik., s. v. kata-
chthonioi Theoi ; Rohde, tr. fr., p. 543, n. 3 ; IGR, IV, 1479, etc.
4. Pap. Paris, IV de Preisendanz, 445 ss. De même, 1965 et pàp. V, 40a ss. Cf. Jos.
KroU, p. 476 ss.
7é LUX PERPETUA
nécromants évoquent les revenants, il est souvent spécifié qu'ils les font
remonter des gouffres sombres de la terre i. Lorsque l'ombre d'un défunt
apparaît en songe, elle console parfois ses proches en leur donnant l'assu-
rance qu'elle n'est pas plongée dans les ténèbres du Tartare, mais qu'elle est
montée au ciel 2.
Sur l'étendue immense de l'Empire romain la foi héréditaire de bien des
populations avait été à peine effleurée par la religion ou là philosophie
grecques. Sous une teinture superficielle d'un hellénisme, qui est surtout verbal,
nous voyons se maintenir dans ces milieux des croyances remontant aux âges
les plus lointains, et dans le mélange des races que produisit l'unifciation de
Voîkûuménè. elles peuvent se propager des confins barbares de l'Empire
jusqu'au cœur du monde latin.
La vieille conception d'un enfer soumis à des dieux chthoniens pouvait
en Italie subsister chez ceux qui n'admettaient pas la mythologie hellé-
nique. Même dans la ville de Rome la plèbe, sans croire précisément aux
supplices d'Ixion sur sa roue ou de Sisyphe roulant son rocher, restait vague-
ment persuadée que les âmes descendaient du tombeau dans des demeures
invisibles, où elles obtenaient des récompenses et recevaient des châtiments.
Selon le récit de Suétone, lorsqu'on connut à Rome le décès de Tibère, le peuple
pria la Terre Mère et les dieux Mânes de ne donner à ce mort détesté d'autre
séjour que celui des impies s. Les esclaves orientaux apportaient de leur pays
les mêmes convictions. Le roman d'Héliodore — un prêtre d'Émèse en Syrie —
nous montre l'héroïne invoquant « les démons qui, sur la terre et sous la terre,
surveillent et punissent les hommes injustes »^ afin qu'ils l'accueillent avec
bienveillance*. Dans la catacombe des fidèles de Sabazius, à Rome^ ce n'est
pas devant des juges infernaux mais en présence de Dispater et d'Aeracura
que la défunte Vibia est introduite, et une pareille représentation n'est pas
isolée ^
Une curieuse épitaphe de Phrygie^ nous révèle comment, au moment où
allait triompher l'Église, les paysans d'Anatolie continuaient à se figurer
1. Cf. infra, IV.
2. Cf. ibid.
3. Suétone, X!,ib. ys-
4. Héliodore, VIII, 9, 12.
5. Wilpert, Future délie Catac.^ Il, pi. 132. — Cf. S. Reinach, Rê-p. stat. -peintures,
p. 97 s. ; R. R., ni, 187, I ; Symbol., p. 29, n. i et 2.
6. Buckler, Calder, Cox., J.R.S. 1927, XVII, p. 47.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 77
« la maison de la Mort et de Pluton », lequel se complaît à recevoir les âmes
de tous les défunts. Empêchés à jamais de remonter sur la terre, ceux-ci ne
jouissent plus de la douce lumière du soleil ; ils ne suivent pas le cours des
étoiles et ne voient plus au ciel la luieur de la lune, mais sont plongés dans
une nuit ténébreuse. Ainsi parle l'auteur de l'épitaphe, exprimant de la sorte
les idées les plus simples et lies plus anciennes do son milieu. La conception
remontant aux âges les plus lointains, d'un Hadès obscur, peuplé de monstres
effrayants et d'animaux hostiles (p. 64), qui menacent celui qui y pénètre^
n'a jamais disparu de la mentalité vulgaire 1. Un courant souterrain de croyances
ancestrales, soustraites à l'action de la littérature poétique, relie la civilisation
primitive au folklore moderne. Elles purent être écartées pendant des siècles,
mais non éliminées ; et elles réapparaissent parfois avec une force nouvelle au
crépuscule du paganisme. Les convictions des masses sont comme les eaux
profondes des mers, qui ne sont ni échauffées, ni entraînées par les courants
supérieurs. Mais une foule ignorante et crédule ne fut pas seule à conserver
longtemps la foi atavique en un royaume souterrain des ombres, demeure
commune de tous les trépassés. Nous le verrons, l'eschatologie des mystères
lui resta longtemps fidèle et ne lui substitua que tardivement la doctrine de
l'immortalité céleste ^ et les derniers Néoplatoniciens eux-mêmes ne purent
écarter absolument une antique croyance que le Maître infaillible avait illustrée
dans ses mythes 3.
1. Voir par exemple les représentations de l'Hadès dans le Psautier Barberini (Bi-
blioth. Vat., grec 372), f°= 16^, 48, 109, 142^, 237^3 «* le Psautier de Londres (Brit. Mus.,
Add. 19352), f°= 9 et 11^.
2. Ci. infra, ch. v.
3. Cf. infra, ch. viii.
78 LUX PERPETUA
IV. — Fantômes et nécromants.
A la croyance que l'esprit du mort habitait le tombeau près de ses ossements
ou de ses cendres et y conservait les besoins des hommes, à la doctrine qui
voulait que l'ombre descendît dans le sein de la terre pour y vivre, dans la
société de ses pareilles, d'une vie semblable à celle de notre monde, s'oppose
dès l'origine une autre conception, celle de l'âme aérienne i.
La respiration est le premier, acte qui indique la vie du nouveau-né, et sa
cessation est le premier signe qui révèle l'instant du trépas. On en conclut
naturellement que le principe animateur du corps était un souffle, qui y entrait
à la naissance et en sortait par la bouche au moment du décès. Cette convic-
tion, répandue chez les peuples de l'Orient comme de l'Occident, perpétua à
Rome la coutume de donner à un parent moribond le baiser suprême, destiné
à recueillir sur ses lèvres son dernier souffle et à faire ainsi passer en soi l'âme
de l'agonisant 2. Si elle n'était pas ainsi captée au passage, elle flottait dans
l'atmosphère, entraînée par les vents. Les Pythagoriciens, adoptant cette croyance
du folklore avec beaucoup d'autres, enseignèrent que l'air est plein d'âmes 3. Cet
air, ainsi que la terre et les eaux, nourrissait une foule d'êtres animés, créatures
diaphanes comme lui, que l'œil ne pouvait apercevoir, mais qui constamment
faisaient sentir aux survivants leur présence. D'innombrables générations
déftmtes remplissaient les espaces sublunaires de leur multitude. Cette foule,
sans ces^e accrue, d'âmes désincarnées était venue grossir les rangs d'une armée
de démons aériens, avec lesquels elles s'étaient bientôt confondues^.
Originairement le Sat[ji.a)V grec, que le latin fiumen rend imparfaitement,
est la force impersonnelle à laquelle l'homme attribue tous les phénomènes
exceptionnels qui frappent son esprit let que son expérience ordinaire ne suffit
pas à expliquer^. Les faits qui semblent déroger à l'ordre normal des choses,
sont les manifestations occasionnelles de cette puissance universelle. Mais le
1. Symbol., p. 104 ss. , cf. Lactance, De o-pif. Dei, 17 (II, p. ^^ Brandt).
2. Symbol., p. 119 s. ; Westrup, I, p. 39 ; Lattimore, 30, n. 48 ; 31, n. 86.
3. Diogène Laërce, VIII, 32, et prooem. 7 ; Cicéron, Divin., I, 30, 64 ; cf. Symbol.)
p. 113 ss.
4. Andres, R. E., Suppl. III, s. v. « Daimon » ; p. 268 ss.
5. Cf. Nilsson, Gr. Rel., I, p. 205 ss. ■ • < , .
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 13
polythéisme, conformément à son principe, n'a pas tardé à attribuer chacune
de ces actions spéciales à un être distinct, pourvu d'une personnalité propre, et
il a peuplé ainsi le mondé d'une infinité de génies, chargés chacun d'une
fonction particulière. Le démon primitif unique s'est individualisé et spé-
cialisé en une série de démons subalternes, qui accomplissaient souvent
d'humbles besognes, jugées indignes des dieux supérieurs. Pareillement dans
l'homme, le démon est à l'origine une énergie interne qui lui permet d'accom-
plir des actions d'éclat, de servir avec lucidité le bien, ou inversement une
puissance pernicieuse qui le domine, le possède et altère sa santé ou trouble
sa raison ^. Mais il sera aussi plus tard un esprit distinct de sa personne, qui lui
est adjoint dès la naissance, veille sur elle pendant sa vie et accompagne son
âme après sa mort^ ; on pensera même qu'à chaque individu est assigné
un double démon, l'un bon, l'autre mauvais, qui lui inspirent des actes louables
ou répréhensibles ^.
Ainsi, selon les idées populaires des anciens, l'homme vivait constamment
entouré de légions d'esprits se mouvant autour de lui, démons subtils ou âmes
aériennes, dont il pouvait se concilier la faveur et devait redouter l'inimitié.
On retrouve des croyances semblables chez tous les peuples aryens, en parti-
culier chez les Hindous et les Persans^, et même parmi ceux d'autres races,
comme les Sémites. De nos jours encore, le Bédouin du désert se figure
qu'autour de lui fourmille et rôde un peuple de djinns, qui interviennent
dans les moindres incidents de sa vie quotidienne et dont il faut, par des
offrandes, désarmer la malignité 5.
Les démons, créés tels, qui étaient de race divine, et les esprits des trépassés
ne tardèrent pas à être confondus. Regardés les uns et les autres comme
tantôt bienveillants et propices, tantôt hostiles et néfastes, ils avaient au point
de vue moral une attitude semblable à l'égard de l'homme. Formés tous deux
d'une essence si ténue qu'elle échappait à la vue, ils évoluaient, avec une égale
agilité, dans le même milieu, l'atmosphère. Car si certains démons veillaient
1. Tamborino, De antiquo daemonismo (Rel. V. u. V., VII), Giessen, 1909; Pfister,
R- E. Suppl. VII, s. V. « Daimonismos », p. 100 ss.
2. Platon, Phédon, 107 D.
3. Boyancé, Les deux démons -personnels (R. Ph. 1935, p. 189 ss.).
4. Ch. Michel, Les bons et les mauvais esprits dans les croyances populaires (R.H.
L.R., nouv. sér., I, 1910, p. 195 s.) ; Christensen, La démonologie iranienne, Copenha-
gue, 1941, p. 71 ss.
5. Wellhausen, Reste arab. Hpidentums^, iSgy, p. 1^0; Jaussen, Arabes du pays de
Moab, 1903, p. 318 ss. ; Encycl. de l'Islam, s. v. « Djmn », p. 1077.
8o LUX PERPETUA
sur les champs et les bois, étaient les hôtes des arbres, des sources, des antres
obscurs, cependant leur domaine préféré était l'air. Si les trois autres éléments
•produisaient des êtres animés, qui leur étaient propres, à plus forte raison cet air,
principe de vie, ne pouvait en être privé '. Ainsi naquit la croyance que les,
haleines des mortels, âmes sorties de leurs corps, devenaient des démons^.
Ceux-ci eurent désormais une double origine : les uns n'avaient ' jamais été
soumis à la condition humaine, les autres, leur existence ici bas révolue,
avaient abandonné la terre.
Cette assimilation devait avoir sur le développement des doctrines eschato-
logiques une influence profonde par suite de l'importance grandissante que les
philosophes donnèrent à la démonologie. La croyance aux démons ou, génies
était si répandue, si fortement ancrée dans la conscience populaire que les
théologiens ne purent en faire abstraction ; et la spéculation philosophique,
aussi incapable de l'éliminer que la foi en l'existence des dieux, dut lui accorder
une place dans ses systèmes. Lorsque le siège d'une Divinité, conçue comme
transcendante, eut été transporté au-delà du monde sensible, aucune commu-
nication directe ne parut plus possible entre elle et l'homme ou la nature.
Les démons qui volaient dans la zone sublunaire entre les cieux et la
terre, devinrent les intermédiaires qui faisaient communiquer le divin et
le mortel, Platon, qui a exprimé à leur sujet des opinions singulièrement
flottantes, a hasardé, dans un mythe du Banquet, une définition de leur
activité qui devait agir indéfiniment sur le développement de la philosophie;
postérieure comme sur celui de la religion ^ : les démons y sont présentés
comme « le lien qui unit le Tout à lui-même » . Ils sont chargés de transmettre
aux dieux les prières et les offrandes des humains, à ceux-ci les injonctions'
et les révélations du ciel. « La Divinité ne se mêle pas à l'homme et cependant
la race des démons, qui sont nombreux et de toute espèce, rend possible aux
dieux le commerce et les entretiens avec les hommes, pendant la veille et
pendant le sommeil » . Ce rôle des démons systématisé dans l'Académie, eii/
particulier par Xénocrate *, devint pour les Platoniciens im élément indispen-
sable de toute leur construction cosmologique et théologique, un des trois
1. Diels, Philodemos {Abh. Akad. Berlin, 1916), p. 23 ; cf. Symbol., p. 115, n. z. —
Apulée, De deo Socratis, 15. Valette, of. cit. [infra, note 3], p. 232.
2. Diogène Laërce, VIII, 32 ; Vil, 151. Cf. A. Delatte, Vie de Pythagore, Bruxelles,
1922, pp. 129, 227 ; Symbol., p. 121, n. ; Andres, /. c. [supra, p. 78, n. 4], p. 298.
3. Platon, Banquet, zoza-zo^a. Cf. Paul Valette, L'apologie d'Apulée, Paris, 1908,
p. 226 ss.
4. R. Heinze, Xenokrates., 1892, p. 7833.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 8i
degrés dans la hiérarchie des êtres, et en quelque sorte un des trois étages
dont se compose l'univers. La croyance populaire est le substratum sur lequel
reposent toutes les qualités attribuées à ces médiateurs par l'enseignement de
l'école. Jusque chez les derniers Néoplatoniciens on trouve, mêlés aux spécu-
lations les plus quintessenciées, des emprunts à une superstition parfois gros-
sière*, qui se rattache directement au polydémonisme primitif.
On conçoit combien les vieilles notions romaines des Mânes ou des GénieS(,
comme celle de ces petits dieux familiers qui présidaient dans leur ancienne
religion à toutes les opérations agricoles, furent transformées lorsqu'elles se
combinèrent avec la démonologie savante des Grecs. La manière dont on
conçut dès lors la nature et les fonctions des esprits des morts en fut singu-
lièrement modifiée et élargie ; et si nous avons cru devoir esquisser ici, en
commençant, l'évolution de ces doctrines helléniques, c'est qu'à propos des
revenants, nous allons constamment trouver la réflexion philosophique s'exer-
çant sur les croyances des foules incultes.
L'idée de la persistance d'âmes aériennes était radicalement différente de
celle de la survie dans l'obscurité de la tombe ou dans le royaume souterrain
de Pluton. Mais la mentalité primitive ou vulgaire ne s'embarrassait guère de
telles contradictions, et elle parvint à harmoniser de plus criantes disso-
nances. L'on admit de tout temps que l'âme n'était pas rigoureusement confinée
dans le tombeau. Ainsi elle pouvait en sortir pour jouir de l'agrément d'un
jardin entourant le monument sépulcral^. Mais surtout, si le défunt ne recevait
pas dans sa maison éternelle le culte auquel il avait droit, si l'on violait sa
dernière demeure, si on ne lui versait pas des libations pour lei sustenter et
le revigorer, il venait tourmenter ceux qui l'avaient offensé ou négligé ^
Toutefois, précisément parce que la tombe est le lieu où l'esprit du mort
doit se loger et se nourrir, l'opinion commune voulait qu'il ne s'en écartât guère.
Les philosophes la reprirent et la concilièrent avec une doctrine plus évoluée, en
enseignant que seules les âmes qui s'étaient libérées de toute attache avec la
chair, pouvaient s'élever vers le ciel ; les autres, qui, alourdies par un com-
merce prolongé avec leur corps, gardaient quelque chose de matériel et de
visible, conservaient, même après la mort, l'amour de cette dépouille qu'elles
avaient quittée. C'étaient ces fantômes que l'on pouvait apercevoir rôdant au;
1. Ainsi Proclus, In X^imaeum, 14a D (II, p. 11, Diehl).
2. Cf. supra, II, p. 43.
3. Cf. supra, p. 19.
82 J.UX PERPETUA
voisinage de la tombe, où les ossements reposaient *, ou bien près du cadavre, s'il
n'avait pas obtenu la sépulture rituelle ^
Pareillement, si c'est un lieu commun d'affirmer que l'Hadès est un séjour
d'où nul ne revient, celui-ci avait cependant, nous l'avons vu, des orifices
par lesquels il communiquait avec le monde supérieur (p. 56). Dans les pays
helléniques nombre d'antres où se dégageaient des vapeurs méphitiques, de
failles d'où jaillissaient des sources chaudes ou sulfureuses, étaient regardés
comme les soupiraux des Enfers, et la même croyance existait en Italie. Bien
plus, des fosses artificielles permettaient de se mettre en rapport avec les Mânes.
Le mundus, qui était creusé dans chaque ville latine à sa fondation, servait,
nous l'avons dit (p. 59), de porte de communication entre le monde supérieur
et le monde inférieur'. La croyance qu'au moins une fois l'an les esprits des;
morts retournaient en foule dans leurs anciennes demeures appartient à l'an,-
tique religion aryenne, et elle a persisté jusqu'à l'époque historique chez la
plupart des peuples indo-européens. Cette fête annuelle et commune des tré-
passés continuait à être célébrée avec des rites analogues à Athènes, le troisième
jour des Antesthéries, et à Rome' dans les nuits des 3, 11 et 13 mai aux
Lemuria^. L'on constate qu'elle y avait été adaptée à la doctrine d'un Hadès
ou d'un Orcus situés dans le sous-sol et que les âmes étaient censées remonter)
de ces profondeurs, sans qu'on précisât le chemin qu'elles suivaient. Mais la-
conception primitive, qui s'est maintenue chez les Slaves, chez les Perses, et
même en Gaule dans le folklore celtique, était que ces esprits légers arrivaient à
travers les airs portés par les Vents. Tout dans les rites des Lemuria indique une
origine archaïque, trahit une époque où la religion ne se distinguait guère de
la magie. Pour recevoir l'essaim de ces visiteurs nocturnes, hôtes importuns
qui avaient envahi son foyer, le pater familins, à minuit, se levait et parcourait
la maison en silence, les pieds nus, écartant de lui les esprits par un geste.
obscène des doigts. Puis, sans se retourner, il jetait derrière lui des fèves noires'
pour rassasier les Lémures. Ayant ainsi apaisé les âmes exigeantes des anciens
maîtres de la demeure familiale, il les chassait à grand bruit en frappant un
bassin de bronze et en répétant neuf fois l'ordre : « Marùes exite paterni ».
1. Platon, Phédon, 81 b-d. — A l'époque romaine : Origène, Contra Celsum, VIÏ,S
(p. 156 Koetschau) ; Apulée, Apol., 64 ; Lactanoe, Inst., Il, 26 ; Salluste le phil.,ch. IÇ»
Ammien Marc, XIX, 12, 13 ; Grégoire de Nysse, De anima (P. G., XLVI, p. 88 B).
2. Porphyre, De Abstin., II, 46 ; Macrobe, Somn. Sci-p., I, 13, 95 cf. infra, ch. vii.
3. Varron dans Macrobe, Sat., I, 16, 18 ; Servius, Aen., III, 134.
4. Cf. A'. C, V, sur les Lemuria.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 83
Ces esprits, d'abord accueillis, puis expulsés, étaient donc des revenants
qui hantaient les airs dans l'obscurité de la nuit, et les spectres nocturnes,
étant souvent conçus comme maléfiques, le nom de Lémures, qui paraît s'être
appliqué d'abord aux Mânes en général, prit de bonne heure une acception
péjorative et devint synonyme de Larva. On le réserva en particulier aux
ombres errantes et malfaisantes des enfants morts en bas-âge et dejs victimes
d'une mort violente.
Du 13 au 21 février se célébrait, nous l'avons vu, une autre fête éga-
lement d'une antiquité immémoriale, les Parentalia, où les membres des
familles se réunissaient autour des tombeaux pour y rendre un culte à leursi
ancêtres. Ceux-ci se contentaient de modestes offrandes, celles d'une époque,
ancienne où la vie était simple';, mais ils ne souffraient pas qu'on les leur
refusât. On conservait le souveniî: d'une année de guerre où ces cérémonies
avaient été omises. Une épidémie décima la population ; on entendit dans la
nuit silencieuse retentir les plaintes des aïeux négligés, et ime foule de spectres
monstrueux remplirent de leurs gémissements les rues de Rome et les cam-
pagnes. Ces prodiges terrifiants cessèrent dès qu'on eut rendu les honneurs
voulus aux habitants des tombeaux.. Rien ne montre mieux que cette légende
comment les esprits des morts se transformaient en fantômes errants, et nocifs,,
si on ne leur accordait pas ce qui leur était dû.
Le premier des devoirs envers ses proches est de leuir assurer des funé-
railles religieuses (p, 22), et il n'est aucune obligation dont la violation ait
des conséquences plus funestes. Celui qui omet de s'en acquitter attire le
malheur, non seulement sur le déftmt, mais sur les siens et même sur sa patrie ;
car l'âme privée des honneurs funèbres vague à la surface de la terre, spectrie,
redoutable, qui, outré de l'abandon où on l'a laissé, tourne sa colère contre
ceux qui l'ont négligé et la cité à laquelle pendant sa vie humaine elle
appartenait : il est devenu un esprit malin que les magiciens dans leurs con-
jurations, appellent à leur aide pour des œuvres scélérates ^
L'idée primitive, au temps où l'on croyait seulement que le mort vivait dans'
sa tombe, transparaît encore à l'époque où d'autres croyances s'étaient impo-
sées : aussi longtemps que le défunt n'est pas inhumé, il est sans demeure ;
c'est un vagabond, dont le sort est comparable à celui de l'exilé privé de foyer
î. Ovide, Fastes, II, 533 ss. avec le commentaire de Frazer.
2- Tertull., A-poL, 46, cf. infra, ch, vm. — Rohde, tr. fr., p. 178, p. 6ia.
3. Cf. infra, IV.
84 LUX PERPETUA
et de refuge. Mais quand prédomina la doctrine de la descente des âmes dans
les Enfers, la malédiction qui pesait sur les insepulti prit un nouvel aspect.
L'entrée du royaume infernal, où ils auraient pu trouver la quiétude, leur est
interdite ; ils aspirent en vain à y pénétrer. Selon Virgile, on s'en souviendra,
les ombres privées de sépulture ne peuvent traverser le Styx ; Charon les
repousse sans pitié ; et elles sont condamnées à voltiger sur la rive du fleuve
glauque, jusqu'à ce que leurs ossements reposent dans un tombeau ou, à défaut
de funérailles, pendant cent années, c'est-à-dire pendant la durée maximum de
l'existence humaine i.
La doctrine qu'a suivie Virgile dans le classement des ombres rencontrées'
par Énée, associe aux misérables qui n'ont pas été inhumés, les enfants qui
ont péri en bas âge et lés victimes d'une mort violente. Ils pâtissent dans l'au-
delà d'une exclusion analogue. Ils ne seront pas admis dans les Enfers jusqu'à
ce que soit révolu le cycle d'années qu'aurait dû normalement atteindre leur
vie, si elle n'avait été tranchée avant l'heure. Eux- aussi, sont ainsi condamnés
à vaguer dans le monde des vivants ; eux aussi deviennent des fantômes malé-
voles et sont invoqués par les sorciers. Nous y reviendrons à propos des morts
prématurées 2,
Les âmes qui ont ainsi été brutalement arrachées à leur corps, gard-ent un,
attachement pour lui. Empêchées de trouver un asile durable dans les Enfers,
elles séjournent à l'endroit où est restée leur dépouille 3. Cette conviction
a inspiré quantité d'histoires de maisons hantées, où aurait été enfoui le
cadavre d'une victime d'im meurtre. Son spectre, à la fois pitoyable et redou-
table, continue à y habiter et à s'y promener dans l'obscurité, ou encore s'y
lamente longuement. Lorsque le squelette est découvert et que les Mânes ont
été apaisés, le revenant cesse de venir troubler les vivants. Pline le Jeun'e
raconte en toute confiance l'histoire du philosophe Athénodore*, qui se rendit
à Athènes dans ime maison ainsi visitée" par un spectre et s'y installa pour y
passer la nuit avec sa lampe et ses tablettes. Sans peur, il se plongea dans
l'étude. Le fantôme apparut : un vieillard à longue barbe, aux cheveux hir-
sutes, secouant les chaînes qui lui liaient les mains et lui entravaient les pieds>
X. Virgile, Ètt.^ VI, 325, 371 ss., cf. Norden, intix)d., p. 10, et in^ra, ch. vu, '
2. Infra, ch. vii.
3. Cf. supra, p. 82, n. I.
4. Pline, Ep., Vil, 27 ; Même histoire : Lucien, Phîlopseudès, 30 ; Cf. P. WendlanO)
Antike Gespentergeschichten {Pestschrift Univ. Breslau), 191 1, p. 39 s. 5 Herzig, Lukia^
als Quelle fût die Zauberei (Diss. Tubingen, 1940), p. ao.
CHAPITRE I. — LBS VIEILLES CROYANCES 85
Athénodore continua imperturbablement son travail. Le spectre lui fit signe
de le suivre et le conduisit dans la cour, où il disparut. En y creusant la terre,
on trouva un squelette enchaîné. On recueillit les ossements et on les ensevelit
selon les rites. La maison dès lors ne revit plus ce visiteur hallucinant. On
colportait encore à l'époque chrétienne des contes qui inspiraient d'aussi vaines
terreurs. La vie de saint Germain d'Auxerre contient le récit d'un prodige tout
pareil à celui que rapporte Pline i.
Suétone n'est pas moins crédule que l'épistolier^. Il raconte qu'après
l'assassinat de Caligula, le cadavre, transporté en secret dans un jardin, y fut
hâtivement inhumé. Il est bien certain, note l'historien, que les gardiens du
jardin furent inquiétés par des ombres jusqu'au moment où ces restes furent
exhumés et ensevelis par les sœurs de l'empereur. Dans la maison où celui-ci
avait succombé, aucune nuit ne se passa sans quelque cause d'effroi, jusqu'à ce
qu'elle-même fût consumée par un incendie. Plutarque^ narre, sans paraître
en douter, qu'à Chéronée un certain Damon ayant été tué dans l'étuve d'un
bain, pendant longtemps l'on y, vit apparaître des fantômes et l'on y entendit
des gémissements, en sorte qu'on en mura la porte. Mais jusqu'à ce jour,
ajoute le philosophe, les voisins pensent voir des apparitions et entendre des
voix troublantes. On pourrait multiplier les preuves de la crédulité avec laquelle
étaient acclieillies ces histoires de lieux hantés par les âmes en peine des
« biothanates » *. La Most^llaria de Plante qui, à la suite d'un comique grec
a exploité ce sujet au théâtre, prouve que les spectateurs romains, ne devaient
pas se moquer de telles superstitions, mais les partager : sinon la pièce eût
manqué son effet. La large créance dont jouissaient ces contes fantastiques
explique qu'on n'ait cessé de les répéter durant tout le moyen-âge et que de
nos jours encore ils n'aient pas perdu tout crédit.
Il n'est pas possible de déterminer jusqu'à quel point persistait la foi
en l'ingérence constante des morts dans les affaires des vivants. L'ori-
gine de cette croyance, qui se retrouve chez tous les non-civilisés, se perd
dans la nuit de la préhistoire, et il est certain que les populations du monde
méditerranéen ne s'en étaient point affranchies. Mai's que pensaient des appa-
ritions de fantômes, en dehors de la foule ignorante, les esprits éclairés ? Il
1. AA.SS., M., VII, j>. an.
2. Suétone, Caligula, 59.
3. Plutarque, Cimon, I, 8.
4. Tite-Live, III, 58, 11, sur les Mânes de Virginie; Porphyrion, Horace, efist., II,
2. 209.
86 LUX PERPETUA
faut ici faire une première distinction. Ceux qui admettaient l'existence des;
dieux, et c'était l'immense majorité, ont toujours cru qu'ils se manifestaient
aux hommes par des « épiphanies » *. Leurs fidèles pouvaient les apercevoir,
constater leur présence immédiate, non seulement dans des songes, mais à
l'état de veille. D'innombrables témoignages depuis l'époque homérique jusqu'à
la fin de l'antiquité, attestaient, pensait- on, la réalité de telles apparitions.
La même possibilité était généralement admise pour les héros, c'est-à-dire
certains morts ayant vécu sur la terre, mais élevés à une condition supérieure.
Car ces demi-dieux étaient tout proches des dieux ; on les associait dans une
commune vénération, et ils faisaient pareillement à ceux qui les servaient dévo-
tement, la faveur d'entrer en communication avec eux. Dans les temples où
s'exerçait la « nécyomancie », des héros d'autrefois venaient guérir les malades
qui y pratiquaient l'incubation ^. Hercule, les Dioscures, Esculape, avaient été
déifiés selon la mythologie par une apothéose et ils pouvaient, comme les.
Olympiens, descendre sur la terre pour venir au secours de ceux qui les invo-
quaient^. Même les guerriers homériques, à qui seuls la vieille poésie épique
avait réservé une vie divine, tels Achille, Hector ou Protésilas, continuaient
à réapparaître sous l'empire romain : géants lumineux armés de pied en cape,
ils se présentaient à leurs adorateurs, que ceux-ci fussent endormis ou éveillés 'i.
Le nombre de telles apparitions se multiplia à mesure que la notion de l'héroiï-
satioii s'élargit et que se vulgarisa la doctrine que les esprits des morts, même
d'un rang médiocre, devenaient des demi-dieux ou des démons^.
L'idée que les défunts, élevés à la dignité de héros, pouvaient ainsi se mon-
trer propices aux survivants, a des antécédents fort anciens. Hésiode avait déjà
enseigné que la race de l'âge d'or s'était transformée après son trépas en
démons bienveillants, préposés à la garde des hommes ^. Une pareille assis-
tance fut aussi la doctrine enseignée généralement par les Platoniciens. Elle
est par exemple exprimée avec une clarté parfaite par Maxime de Tyr '. Lorsque
notre âme s'est dépouillée de son corps, elle considère avec une vue plus per-
1. Pfister, R E, Suppl., IV, s. v. « Epiphanie » ; Festugière, La révélation d'Hermès
Vrismégiste, I, 1944, p. 50 ss. ; Monuments Plot, XXV, 1901, p. 81.
2. Cf. infra.
3. Maxime de Tyr, IX, 7 ; Origène, Contra Celsum, III, 24 (p. 220 Koetschau).
4. Rohde, tr. fr., p. 550 ss.
5. Cf. Lticien, Peregrinus, 28 et 40.
6. Hésiode, Erg., 124 ss. ; cf. Platon, Cratyle, 398 a.
7. Maxime de Tyr, IX, 6d avec les passages parallèles cités par Hobein (p. 105).
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 87
çante le spectacle de notre terre et, prenant en pitié les âmes d'ici-bas, qui
sont ses congénères, elle se mêle à leur société pour redresser celles qui ont
failli. Il leur est commandé par Dien de fréquenter notre monde, de s'associer
à toutes les espèces d'hommes et à tous leurs sorts, leurs pensées, leurs
métiers, de venir en aide aux bons, de venger ceux qui subissent l'injus-
tice et de punir ceux qui la commettent. Cette intervention favorable des
esprits des morts dans les moindres affaires de l'humanité était implicitement
admise par tous ceux qui leur rendaient un culte pour l'obtenir.. Une telle;
conviction explique que ses défenseurs aient aussi facilement ajouté foi aux
« épiphanies » de ces protecteurs. Ils étaient d'autant plus disposés à admettre
leur réalité, qu'elles leur fournissaient un argument péremptoire à opposer aux
négateurs de l'immortalité. Pythagoriciens et Platoniciens pouvaient ainsi con-
fondre les Épicuriens et opposer une preuve décisive à leur scepticisme 1.
Le début des Recûgmtiones^ narre comment Clément de Rome fut dès sa
jjcunesse obsédé par le désir anxieux de savoir si l'âme était ou non immortelle.
N'ayant entendu dans les écoles des philosophes que de vaines disputes sur cette
question toujours controversée, il résolut de se rendre en Egypte pour y obtenir
d'un prêtre qu'il évoquât un mort des Enfers, afin d'atteindre une certitude,
non en écoutant des discours peut-être fallacieux, mais par une vision indubi-
table de ses propres yeux. Cependant ayant fait part de ce dessein à un philo-
sophe de ses amis, celui-ci le détourna de recourir à une magie illicite et
impie ^ Malgré son éloignement de toute pratique religieuse et son dédain des
cérémonies cultuelles, Plotin, par une exception unique dans les Ennéades *,
invoque comme motif de croire à l'immortalité, pour ceux qui demandent une
preuve sensible, le culte rendu aux trépassés. Lorsqu'elles sont sorties de leurs
corps, beaucoup d'âmes ne cessent point de faire du bien aux hommes soit en
leur rendant des oracles ou en leur prêtant autrement assistance, et elles montr
trent ainsi par leur survie que les auitres âmes aussi ne périssent point. Il
n'est pas étonnant qu'on surprenne l'écho de cet argument des théologiens dans
l'épigraphie funéraire. Une épitaphe de Rome se termine par les mots : « Toi
I. Cf. injra, ch. 11.
3. Pseudo-Clément, Recogn., I, 5 -, cf. Fr, Boll, Zeitschr. Neuiesf. Wiss., 1916, XIX,
P- 139 ss.
3- Cf. CCAG, VIII; 3, p._ 136; Vin, 4, p. 257 : Le prêtre égyptien demande à
Thessalos s'il veut s'entretenir avec l'âme d'un mort ou avec un dieu.
4. Plotin, IV, 7, 15 (Bréhier, p. 188). Cf. Xénophon, Cyrop., VIII, 7, 16 ss. ; Aris-
'tote, Eudème, fr. 44 Rose = Plutarque, Consol. Apoll., vj.
88 LUX PERPETUA
qui lis ceci et doutes qu'il y ait des Mân,es, invoque-nous en faisant un vœu
et tu comprendras » ^
Mais à ces ombres compatissantes, dont les épiphanies sont comparables à
celles des dieux, s'opposaient les spectres dont l'imagination craintive d'une
foule crédule redoutait l'hostilité. Le peuple romain, comme les autres, a cru aux
fantômes dangereux dont on distinguait parfois dans les ténèbres les formes
indécises, « Larves », revenues sur la terre, dont le paysan du Latium croyait
entendre gémir la nuit dans les forêts la voix troublante, ou. apercevoir aux
carrefours les simulacres d'une maigreur cadavérique ^. Ces esprits souffrants
et errants de ceux qui s'en étaient allés, faisaient du mal aux morts comme aux
vivants ; les âmes des trépassés avaient à lutter contre eux et ils troublaient en
cette vie la raison ou altéraient la santé des possédés dont ils s'étaient emparési.
Une plèbe inculte n'était pas seule à appréhender la malignité des revenants.
Parmi les philosophes ceux qui, comme les disciples de Pythagore et de Platon,
donnaient dans leur système une large place à l'intervention des démons aériens,
acceptaient sans sourciller les superstitions vulgaires et s'attachaient à les
justifier. Le platonicien Apulée 3, accusé de s'être servi d'un squelette pour
pratiquer des opérations magiques, menace le calomniateur de la vindicte
d'Hermès psychopompe : « Puisse l'intermédiaire entre le monde supérieur
et le monde infernal te faire toujours rencontrer les figures des morts ; qu'il
mette sous tes yeux tout ce qui existe, n'importe où, d'ombres, de Lémures, de
Mânes, de Larves, toutes les apparitions des nuits, toutes les terreurs des
bûchers, tous les épouvantails des tombeaux. » Dans le Philopseudès de Lucien,
c'est le Pythagoricien Arignotos qui se fait l'avocat du spiritisme le plus
invraisemblable *. Que les romanciers aient accordé à cette fantasmagorie une
place dans leurs fictions, pourrait n'être qu'un moyen de leur donner l'attrait
d'un merveilleux purement imaginaire ^ Mais de graves historiens ne se sont
pas fait faute de rapporter comme réels les plus effarants prodiges®.
L'existence des fantômes était, il est vrai, repoussée nécessairement par les,
Épicuriens pour qui l'âme se décomposait dès l'instant du décès, et plus
1. CIL, VI, 27365 = Dessau, 8201 a. Cf. Friedlânder-Wissowa, Sittengeschichte,HV^i
p. 321 ; Lattimore, p. 92.
2. R. E., s. V. « Larvae », col. 878.
3. Apulée, A-poL, 64, i ; cf. De deo Socr., 15.
4. Lucien, Philopseudès, 29.
5. Xénoph. Ephes., V, 7 ; Héliodore, cf. supra, p. 76, n. 4. — Oxyrr. papîri, XI, 368-
6. Dion Cass, LI, 17, 5 ; LXXIX, 18 ; Pausanias, I, 32, 4. Cf. Niisson, Gr. Rel., Ij
p. 169.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 89
généralement par tous ceux qui, comme Pline l'Ancien, niaient toute survie
personnelle*. Les Lémures nocturnes paraissaient au scepticisme d'Horace,
aussi risibles que les sortilèges des sorcières?', En outre cette erreur avait
pour adversaires -certains Stoïciens 3, qui excluaient ces êtres malfaisants d'am
monde ordonné par la bonté de la Providence. Entre les négateurs et les
défenseurs des croyances populaires souvent les meilleurs esprits hésitaient et
n'osaient se prononcer. Pline le Jeune écrit à Sura, personnage consulaire :
« Je voudrais savoir si tu crois qu'il existe des fantômes, ayant une forme
propre et quelque puissance, ou si leur inanité et leur vanité ne reçoivent ime
apparence que de notre crainte »*. Mais ce n'est guère qu'une formule de
déférence pour le jugement de son correspondant, car la suite prouve que
l'épistolier est convaincu de la réalité de ce dont il affecte de douter. Plu-
tarque ^ rapporte l'opinion de ceux qui prétendaient détruire ces abe;rrations;
néfastes. « Ils affirment », dit-il, « qu'^aucuïi homme raisonnable n'a jamais
rencontré de démon ou de revenant, mais que des enfants, des femmelettes ou
des déments ont seulement été les jouets d'apparences monstrueuses et illusoires.
C'est en eux-mêmes qu'ils portent le démon pernicieux de la superstition ».
Mais Plutarque allègue que des témoins respectables, comme Dion et Brutus,
attestent avoir été prévenus par un spectre de leur fin prochaine. Et l'historien
se demande, sans oser trancher la question, s'il ne faut pas admettre; l'opinion
des anciens, que les démons méchants et jaloux troublent les hommes de bien
pour les empêcher de conserver une vertu parfaite, qui assureârait à ces sages
infaillibles après la mort un sort meilleur que le leur. Lucien® met en scène
une réunion de philosophes de diverses écoles qui disputent sur l'existence des
démons et des fantômes : le Pythagoricien en est convaincu et assure qu'en,
effet les âmes des morts circulent parmi les hommes et se^ montrent à qui elles
veulent. Un autre prétend que seules les âmes de ceux qui ont péri par
violence reviennent errier sur la terre, non celles des gens qui s'en sont allés
à l'heure voulue par leur, destin. Cependant un troisième soutient que de toutes'
ces inventions rien n'est réel', et Lucien lui-même, est d'avis qu'un robuste
1. Pline, H. N., VII, 55, 188. — Cf. înfra, ch. 11,
2. Horace, Episf., II, a, 208.
3. Cf. Sénèque, Epist., 24, 18. Cf. infra, ch. m, 2, sur Sénèque.
4. Pline, Epist., VII, 27, i.
5. Plut., Dion, 2.
6. Lucien, Philopseudès, 29 ; cf. înfra, ch. vu.
7. îbid., 40.
90 LUX PERPETUA
bon sens est le meilleur remède contre le trouble que causent de vides et
vaines inventions. Mais Lucien est un sceptique qui se gausse de toutes les
croyances traditionnelles, et si l'on passe en revue, comme nous l'avons fait
sommairement, l'ensemble des témoignages antiques, on constate combien fut
durable l'attachement des classes instruites aux superstitions héritées d'un loin-
tain passé et quelle répugnance elles éprouvaient à faire table rase d'une tradi-
tion consacrée par la succession des siècles.
*
* *
Les esprits des morts, nous l'avons dit, sont d'ordinaire invisibles, comme
l'air qui les entoure i. Mais leur substance peut s'épaissir assez pour qu'ils
acquièrent une apparence sensible. Leurs formes vaporeuses glissent silencieu-
sement sous les pâles rayons de la lune ou dans « l'tobscure clarté qui tombe
des étoiles ». Mais l'imagination des foules ne se contentait pas de fantômes
aussi fugaces, entrevus dans la pénombre. ISeidôlon pouvait se montrer clai-
rement avec l'apparence de l'être vivant 2, tel qu'il avait été à la fleur de l'âge,
ou du moins au moment de sa mort, parfois légèrement défiguré par les
flammes du bûchera Le peuple se figurait aussi que les spectres, étant des
démons, pouvaient, comme eux, changer d'aspect à leur gré et emprunter la
semblance de monstres terrifiants*. Leurs figures prodigieuses étaient propres
alors à frapper les hommes d'épouvante ^«
Assimilés aux démons, les âmes désincarnées furent conçues comme possé-
dant une intelligence supérieure à celle de l'homme, dont les facultés étaient
obscurcies par son accointance avec le corps. On les supposait en particulier
capables de prédire l'avenir ". Une vieille croyance, qui remonte à l'âge homé-
rique, voulait que les mourants eussent la prévision des événements futurs. L'on
expliquait que leur âme, se soustrayant à la matière, au moment où celle-ci
cessait de la retenir, acquérait une faculté qui devait s'accroître encore lors-
1. Cf. sufra, p. 78 ; Symbol.^ p. 115, n. 3 ; Mages hellénisés, II, p. 277, note 4.
2. Cf. supra, ni, p. 81.
3. Piioperce, IV, 7, 10; Quintilien, Declam, X, 5 ; cf. Symbol. ^ p. 71s.; Preisendanz,
R. E. s. V. « Nekydaimon », ool. 2260 s.
4. Porphyre, De Abstin., II, 39 ; cf. Mages hellên., II, p. 278, n. i ; Eenner, R. E.,
s. V. « Oneiros », col. 453, 40 ss,
5. Paus. VI, 6, 7 ss. Cf. supra.
6. Cf. infra, ch. vii.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 91
qu'elle serait entièrement affranchie de sa sujétion à des organes charnels ^
Cette conviction transforma ainsi les esprits des trépassés en agents actifs de
la divination, soit qu'ils fissent connaître leurs présages ou oracles dans des
songes ou pendant la veille.
Le phénomène troublant du rêve, dont la fantasmagorie incohérente semble
soustraite aux lois physiques et morales, a toujours préoccupé l'esprit de
l'homme, qui à travers les âges s'est efforcé, sans y réuspir pleinement,
d'en pénétrer le mystère \ Une similitude remarquable rapproche les concep-
tions qui persistèrent jusqu'à la fin de l'antiquité de celles dont les ethnographes
ont constaté l'existence chez les peuples les plus arriérés.. La vie onirique a
pour ceux-ci la même valeur que leur vie consciente et logique. La mentalitë
primitive n'établit pas de distinction essentielle entre ce qui est perçu en dor-
mant ou en veillant. Les visions qui défilent devant l'imagination de chacun
pendant le sommeil ont pour lui la même réalité que ce qu'il voit de ses yeux
après son réveil. L'âme du dormeur peut rester simple spectatrice, et les
formes mouvantes des vivants ou des morts qui lui apparaissent sont alors des
visiteurï qui viennent la trouver pendant son repos et converser avec elle. Une
agilité merveilleuse la rend aussi capable de faire des excursions rapides dans
des régions lointaines et de s'y entretenir avec ses pareilles. Enfin le rêve peut
contenir un ordre que donne un esprit, et qu'on est tenu d'exécuter si l'on ne
veut courir de graves danger.
Ces idées, qui paraissent avoir été communes à tout le genre humain à un
stade reculé de son évolution, s'affirment encore à l'époque romaine. Les
visions perçues en songe ne sont pas, suivant la croyance générale, des fictions
illusoires, des mirages cérébraux produits par une surexcitation des nerfs ou
une digestion laborieuse. On les conçoit encore moins, à la façon des psycha-
nalystes modernes, comme des images imprimées ou refoulées dans le subcons-
cient, qui s'imposent à nous quand la domination de la raison logique, est
abolie, ou bien comme des stratagèmes ou déguisements plus ou moins efficaces
dont use ce même subconscient pour apaiser les stimulations qui pourraient
troubler notre repos. Pour les anciens, les êtres et les objets qui s'offrent à
la vue du dormeur ne sont pas une création interne de sa personne psychique.
C'est du dehors que lui viennent ces impressions qui l'affectent parfois profon-
dément, sans qu'il puisse réagir pour les écarter.
1. Posidonius dans Cicér., De divin., I, 30, 63 ; Xénoph., Cyrop., VIII, 7, ai j Plotin,
^^' 3j 27 (p. 96 Br.). Cf. Symbol., p. 365 et infra.
2. Cf. Eenner, R. E., s. v. « Oneiros », ool. 447 ss.
92 LUX PERPETUA
Parfois c'était tm dieu ou un héros, pensait-on, qui apparaissait pour com-
muniquer au croyant des révélations ou injonctions ou prescrire des cures
aux malades. Innombrables sont les dédicaces que le fidèle consacre somnio
mofdtus, ex visu, y.ol'z ovap. Elles témoignent de la foi scrupuleuse des dévots
qui ont cru devoir obtempérer à un ordre venu d'en haut, donné par ces puis-
sances célestes qui commandent à leurs fidèles comme les monarques à leurs
sujtîts 1. Mais même des visions en apparence indifférentes, pouvaient être
envoyées par la divinité 2, et il fallait alors distinguer si elles étaient véridiques
ou trompeuses, et en interpréter éventuellement la signification comme celle
d'un oracle obscur. Ainsi était née dans l'anciepne Babylonie et en Egypte, puis
avait été développée par les Grecs l'oniromancie, qui s'attachait à découvrir le
sens de l'infinie variété de rêves, prétendument allégoriques, que les consultants
venaient soumettre à la sagacité des devins 3. Les Oneirocritiques d'Artémidore
de DaldiSj qui écrivait sous les Antonins, offrent le type le plus achevé de
ces traités dont le symbolisme alambiqué et la subtile exégèse nous semblent
souvent d'une puérilité extravagante. Un interprète sacerdotal des songes
opérait officiellement dans les temples gréco-égyptiens*. Certains philosophes
eurent beau dénier toute valeur religieuse aux manifestations oniriques et
chercher à ces futiles illusions des causes psychologiques ou médicales^, la
foule resta toujours convaincue que souvent elles étaient dues à une interven-
tion des puissances célestes. Cette croyance était si fortement établie, si large-
ment répandue, que les chrétiens même l'acceptèrent en quelque mesure, et
l'oniromancie est le seul mode païen de divination que l'Église n'ait pas
répudié ^ Aujourd'hui encore les « Clefs des songes » des disciples lointains
d'Artémidore trouvent des acheteurs qui consentent à se laisser abuser par
elles.
Mais, au lieu d'une divinité, ce peut être l'esprit d'un mort parlant et agissant
comme s'il était encore de ce monde, qui s'offre à la vue d'à dormeur, lui
I. Cf. A. Nock, 'E5 èTtreaY'ric (J.H.S., 1925, XLV, p. 95 ss.)
2. Preisendanz, R. E., s. v. « Oneiropompein » ; Kenner, /. c, ool. 450.
3. Bouché-Leclercq, Hisf. de la divination, 1, 1873, p. zjy s. j Festugière, Hermès, I,
p. 312 s. ; Hopfner, R. E., s. v. « Traumdeutung » (XII, ool. 2234 ss.).
4. Sur rov£îpojtpÎTr)ç cf. Egypte des astrol., p. 127 ss. ; Inscriptions de Dêlos, 2071-
2073, 2151. Cf. 2105 ss.
5. Kenner, /. c, col. 455 ss.
6. S. Augustin, De cura -pro mortuis, xo (P. L., XL, p. 600) ; Prudence, Hymne, VI,
25 ss. ; Actes de Paul et 'Chécla, 28-29 0-i P- "^SS' Lipsius). Cf. Saintyves, En marge 'de
la Légende dorée, Paris, 1930, p. 8 ss.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 93
apportant ainsi une preuve sensible que, pour nous exprimer comme un rhéteur
latin, l'homme ne périt pas tout entier, « mais qu'une partie de son être n'est ni
brûlée par les flammes du bûcher, ni éteinte avec ses cendres, ni enserrée dans
les urnes cinéraires ou les sépulcres * . » Le défunt, surtout si son décès est récent,
revient ainsi tenir compagnie à des parents ou des amis dont l'esprit est obsédé
par le regret de celui qu'ils ont perdu, afin de leur apporter un réconfort
dans leur affliction : une mère qui pleure un fils emporté à la fleur de l'âge
voit, selon une épitaphe latine 2, « une forme rayonnant d'une lumière sidérale
descendre de l'éther ; le jeune homme avait gardé son vrai teint et sa voix, mais
sa stature dépassait sa taille d'autrefois ; ses yeux ardents brillaient, ses
épaules apparaissaient auréolées, et ses lèvres purpurines proféraient des sons. »
Il venait prier sa mère de sécher ses pleurs, car il n'était pas descendu dans
les sombres profondeurs du Tartare, mais, emporté vers les astres, avait été
héroisé dans un céleste séjour. La poésie funéraire a exécuté d'infinies varia-
tions sur ce thème traditionnel*.
Les vivants peuvent ne point rester plongés dans la torpeur et réduits à
l'immobilité, pour attendre l'arrivée du visiteur nocturne qui reviendra les con-
soler. Comme dans l'évanouissement (knzo^uyj.a.) et la catalepsie *, comme aussi
dans l'extase, de même dans le sommeil, croyait-on, le souffle vital qui animait
l'homme, s'échappant par la bouche, pouvait s'élancer dans l'air ambiant. Si le
dormeur perdait la notion du lieu où il gisait inerte, c'était que l'âme, cessant
d'être passive et purement réceptrice, abandonnait passagèrement le corps. Rom-
pant avec ses attaches matérielles, elle pouvait parcourir l'espace avec une
rapidité merveilleuse et se transporter en un instant aux extrémités del"univers.
Elle devenait ainsi capable de pénétrer dans le monde des esprits et de con-
verser avec les défunts. La littérature antique connaît maint récit de gens que l'on
a cruç privés de vie, et qui, recouvrant la conscience, ont raconté les merveilles
qu'ils avaient vues ou entendues dans les Enfers ou dans le Ciel^ Comme ces
1. Quiatilien, Déclam. ^ X, 2.
2. C. E., 1109 = CIL, VI, 21521, 9 ss.
3. CIG. 35ii=Kaibel, Epigr., 320; cf . Rohde, tr. fr., p. 585, n. i j BuckLer,J.R.S.,
1947. XVII, i>. 5i=Kaibel, Ep. 372, 325 ; — Cf. CIL, VI, 18817 ; Virgile, En., Y,
723 ss. Lattimore, p. 33 ss. et infra, ch. vi, pi. II (stèle d'Albano).
4. Symbol., p. 363 et 509 ; Mages hellén., I, p. 18 s. — Cf. Prudence, Hymne, VI,
28 ss.; Jamblique, De myst., III, 3; Augustin, Civ. Dei, XVIII, 18.
5- C. Pascal, Credenze, II, 36 ss. ; Wendland, op. cit. [supra, p. 84]. Mages hellé-
nisés, I, p. 18 s.
94 LUX PERPETUA
états physiques exceptionnels, le sommeil, frère de la mort, permet à l'âme,
provisoirement sortie de son enveloppe de glaise, d'entrer en relation avec ceux
qui s'en sont dépouillés pour toujours. Les Pythagoriciens, qui souvent ont
admis des croyances vulgaires et cherché à les justifier, se sont spécialement
préoccupés de cette communication avec les morts qui s'établissait dans les
songes ^
Ainsi la vision ou l'audition d'un être qui a quitté la société des hommes
n'est pas imaginaire. Ceux que le dormeur a vu venir à lui, ou est allé retrouver
au loin, et dont il garde à son réveil le souvenir, vivent réellement et peuvent
révéler à leur interlocuteur son destin, lui exprimer leurs désirs ou lui apporter
un réconfort. Car souvent ces morts sont conçus comme bienveillants et
compatissants, disposés à rendre service aux survivants. Une épitaphe romaine
vient de nous en fournir un exemple (p. 93). D'autres pourraient s'y ajouter
pour montrer la diffusion de cette croyance* si répandue qu'elle a fourni a
un rhéteur un thème fictif de déclamation. Une mère a perdu son fils ; elle
le voit revenir à elle chaque nuit, il s''entretient avec elle jusqu'à l'aurore,
l'étreignani: et échangeant avec elle des baisers. Mais le mari apprenant les
visites nocturnes du fantôme, craint quelque maléfice et s'adresse à un magi-
cien, qui par ses incantations enferme cette âme errante dans la tombe, privant
ainsi une mère de la joie suprême qu'elle éprouvait et infligeant en quelque
sorte au défunt un nouveau trépas. Des esprits secourables manifestent surtout
leur puissance curative aux malades qui viennent leur demander la guérison
en se livrant au sommeil dans les temples. Car l'incubation n'était pas seule-
ment pratiquée dans les sanctuaires de divinités ou de héros, mais aussi dans
les lieux où les morts rendaient des oracles (vexuo[xavT£Îa) ^
Cependant ces morts apparaissent plus fréquemment comme annonciateurs
d'événements lugubres ou pour se plaindre de mauvais traitements. L'imagina-
tion d'un homme exposé à un grave danger est-elle effrayée par l'éventualité
menaçante de sa fin prochaine ? une apparition nocturne, provoquée par cette
hantise, lui révélera son destin : Caius Gracchus fut averti de l'imminence de
sa mort tragique par l'ombre de son frère Tibérius, qui lui apprit dans son
sommeil qu'il ne pourrait éviter le sort funeste auquel lui-même avait suc-
1. Symbol., p. 364 ; Jamblique, V. Pyth., 139, 148 ; Kenner, R. E. s. v. « Oneiros »,
ool. 454. Cf. Cic. De div., I, 30, 123 ; Leisegang, R. E., s. v. « Philon Alex. », col. 35-
2. Preisendani:, R. E., s. v. « Nelcydaimon », ool. 2257. — Cf. Valère Maxime, 1, 7, S-
3. Bouché-Leclercq, Hist. divination, Uï, -p. 318 ss., cf. Preisendajiz, l.c. ; cf. supra, III-
CHAPITRE I. — LES yiEILLES CROYANCES 95
aombé'. Avaiit-on omis de rendre à un défunt les honneurs funèbres, l'avait-on
privé des offrandes rituelles qui lui étaient dues aux jours consacrés ? l'ap-
préhension que le spectre irrité ne vînt tirer vengeance d'une négligence impie
le faisait surgir dans les rêves du coupable^. Mais le pire pourvoyeur de cau-
chemars terrifiants est le remords qui torture l'auteur d'un meurtre et fait
surgir devant ses yieux dans ses songes sa victime courroucée. Les reproches
lancinants de sa mauvaise conscience l'incitent à chercher les moyens de fléchir
son persécuteur. Les récits de ce genre abondent ^ Un exemple fameux était
celui du régent Spartiate Pausanias, qui à Bysance, ayant tué par erreur dans
l'obscurité Cléonice dont il voulait faire sa maîtresse, vit ses nuits hantées
par l'ombre de la jeune fille, et, cherchant à l'apaiser, fit évoquer à Héraclée
par r « oracle des morts » cette âme exaspérée, qui lui prédit la fin de ses
maux s'il rentrait à Sparte. Là se réalisa cette prophétie ambigiie, car il y périt
bientôt tragiquement".
Le motif de l'assassin poursuivi par le fantôme de celui dont il a abrégé les
jours, paraissait si naturel, qu'il a suggéré une fantaisie poétique à l'auteur du
Culex virgilien. Un pâtre, accablé par la chaleur du jour, s'est assoupi et il est
menacé d'être mordu par un serpent. Un moucheron, voyant le danger, lui
enfonce son aiguillon dans la paupière. Le dormeur éveillé en sursaut écrase
d'un geste machinal l'insecte qui est son sauveur. Celui-ci lui apparaît la
nuit suivante et lui reproche son ingratitude. Mort par violence et privé de
sépulture, il subit pour ce double motif un sort lamentable dans l'au-delà. Il
faut que le berger élève dans un parterre de fleurs un cénotaphe expiatoire
pour que les Mânes du moucheron trouvent le repos ^,.
La vision onirique peut aussi s'appliquer à un assassinat perpétré sur autrui,
et elle se rapproche alors des cas nombreux recueillis par les métapsychistes
modernes,^ d'une télépathie révélant la perte d'une personne aimée et les
circonstances de son décès survienu au loin. Cicéron ® rapporte que deux amis
se rendant à Mégare logèrent ensemble dans une auberge. Tandis qu'ils repo-
saient, l'un d'eux entendit d'abord son compagnon appeler au secours : l'hôte
projetait de l'assassiuier. Puis il réapparut pour prier son compagnon de venger
I. Valère Maxime, I, 7, 6,
a. TibuUe, II, 6, 35 « Neglecti mittunt mala somnia Mânes ».
3. Rohde, tr. fr., p. 217, n. i ; Preisendanz, Le. [p. 92,11. 2], col. 2246 ; Kenner,/. c,
col. 458. — Cf. Horace, E-pode, V, 91 ss. ; Suétone, Néron, 34.
4. Pltitarque, Cimon, 6.
5- Cf. Plésent, Culex.
6. Cic, De divin., I, 27, 57.
96 LUX PERPETUA
sa mort, car l'aubergiste, après l'avoir tué, avait caché son corps sous du
fumier dan:î une charrette, où en effet il fut découvert.
Si l'on en croit les psychologues, peut-être l'homme ne rêve-t-il pas lorsqu'il
est plongé dans une torpeur profonde ; et certainement les songes les plus clairs
surviennent le matin et se prolongent pendant la somnolence qui précède le
réveil. Les anciens pensaient que cet état intermédiaire favorisait l'aptitude à
recevoir des messages divins*. Une frontière indécise sépare le sommeil de
la veille, et les images d'un songeur peuvent se prolonger par les hallucinations
d'un visionnaire. Il est difficile de décider à quel genre d'illusion appartient
le prodige que rapporte la gracieuse et pathétique histoire d'Eukratès, transmise
par Lucien. Eukratès ayant perdu sa femme bien-aimée, Démaineté, livra aux
flammes avec elle toute sa garde-robe et avant tout un vêtement qu'elle se
plaisait à porter. Cependant, sept jours plus tard, alors qu'étendu sur sa couche,
il cherchait un réconfort dans la lecture du Phêdon, Démaineté vint s'asseoir
auprès de lui et, tandis qu'il l'embrassait en sanglotant, elle se plaignit de
ce que, croyant lui avoir tout donné, il avait omis de brûler une de ses sandales
dorées, oubliée sous un coffne. A ce moment un chien maltais aboya sous le
lit et l'apparition s'évanouit. Mais la sandale fut en effet trouvée sous le
coffre et livrée aux flammes pour que la jeune femme ne restât pas à demi
chaussée *.
Les spectres qui viennent surprendre les vivants au milieu de leurs occu-
pations, en pleine conscience, sont de même nature que ceux qui se présentenit
à eux dans le sommeil et on leur attribue les mêmes offices. Ils peuvent pareil-
lement rendre de précieux services, prédire l'avenir, révéler une chose cachée,
consoler ceux qui les pleurent. Ainsi la « Fiancée de Corinthe » ' qu'une
ballade de Goethe a immortalisée, et qui revient s'unir à celui qui l'a aimée,
ressemble étrangement à la Démaineté de Lucien ; seulement les traits matériels
qui en font un revenant, substitut parfait de la personne décédée, sont plus
nettement accusés. Toutefois, comme les images fuyantes du rêve, ces spectres,
qui troublent l'existence et égarent l'esprit des hommes, sont ordinairement
pernicieux *. C'est ainsi qu'une magie perverse a pu agir par l'intermédiaire des
1. Jamblique, De myst., III, 2 ; Marines, V. Procli, 30 ; cf. Pfister, R. E. Suppl. IV,
s. V. « Epiphanie », col. a8i.
2. Lucien, Phîlopseudès, 27.
3. Phlégon, Mirab., i ; Proclus, Republ., II, p. ii6, Kroll ; cf. Wendland, op. cit.
[supra, p. 84, n. 4], p. 34 s.
4. Cf. supra, p. 88.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 97
esprits qu'elle contraignait à lui obéir, soit en se servant d'eux pour envoyer
des songes, soit en faisant apparaître des fantômes devant les consultants hallu-
cinés. L'oniromancie est une forme de divination apparentée de près à la
nécromancie *, qui, comme elle, est étroitement conditionnée par les croyances
en la survie des âmes.
De même que les thaumaturges prétendaient obliger les dieux, au besoin par
la menace, à comparaître devant eux et à leur répondre, de même qu'ils enrô-
laient à leur service des démons qui devenaient leurs assistants (îtàpeSpoi),
pareillement ils se targuaient d'évoquer les ombres des défunts par des invo-
cations impératives et des rites irrésistibles.
Cette nécromancie remonte aux origines lointaines de la religion antique*.
La Nékyia d'Homère en avait fourni un exemple célèbre ^ dont les littérateurs
ne cessèrent pas de s'inspirer jusque sous l'Empire romain*. Ulysse, on s'en,
souviendra, pour interroger l'ombre de Tirésias, s'est rendu aux confins de la
terre par delà l'Océan, là où s'ouvre l'accès de l'Hadès. De la pointe de son
glaive de bronze il creuse une fosse carrée et offre autour d'elle aux défunts
une triple libation de lait miellé, de vin et d'eau ; puis il la saupoudre d'une
blanche farine ; enfin il immole une brebis et un agneau noirs et fait couler
dans le trou le sang des victimes en invoquant Hadès et Perséphone, qui doi-
vent donner congé à leurs morts. Alors du fond de l'Érèbe s'empressent vers
le héros les âmes étiolées, avides du breuvage qui leur rendra une vigueur
momentanée.
Cette cérémonie, telle que nous la dépeint l'auteur de cet épisode de
l'Odyssée, s'inspire du culte des morts plus que de la magie, et le vieil aèdC;
a reproduit sans doute le rituel usité dans les cultes chthoniens de cette*
époque reculée. Les âmes remontent en foule des enfers à l'appel d'Ulysse,
comme elles le faisaient dans les fêtes annuelles des morts à Athènes et à.
Rome (pp, 82-83). Le héros recourt à la prière, non à la menace, il attire les
ombres anémiées par des offrandes alléchantes, il ne leur impose pas, malgré
elles, sa volonté, et elles ne sont point capables de lui révéler l'avenir.
I- BoTiché-Leclercq, Rist. de la divination, I, p. 330 s. j Saglio-Pottier, JDïrf., s. v.
« Divination », II, p, 308 b ; Festugière, Hermès, p. 5g.
2. Sur la nécromancie : Hopfner, Offenbarungszauber, I, ch. VIII, p. 148-163, § 328-
375 et passimi', résumé R. E., s. v. « Nekromantie », cf. Preisendanz, ibid., s. v. « Ne-
kydaimon ».
3- Odyssée, X, 515 ss. j XI, 23 ss., cf. Eitrem, Symbolae Osloenses, 1928, VI, p. i. ss.
4- Fahss, De foetarum romanomm doctrina magica (Rel. V. u. V. Il, 3), 1903, p. 5ss.
7
98 LUX PERPETUA
Cette nécromancie indigène continua à être pratiquée dans la Grèce histo-
rique, comme le prouvent les allusions des écrivains et surtout la réprobation
de Platon, qui condamne cette superstition comme une impiété « bestiale » i.
Des « oracles des morts » (vexuof^-avxeta) firent toujours partie des insti-
tutions qu'avait suscitées la mantique^. Cependant si l'on considère l'ensemble
des témoignages qui ont été recueillis, on constatera que l'évocation des esprits
ne tint jamais, dans la religion hellénique, qu'une place assez effacée ^ Ce
n'était pas ces esprits, mais les dieux qu'on interrogeait dans les principaux
temples pour apprendre les secrets de l'avenir. La sérénité et l'humanité du
génie hellénique le détournèrent longtemps d'une sombre et cruelle divination.
Toutefois la nécromancie paraît avoir été acceptée par les PythagoricienSj
qui étaient des spirites croyant trouver dans l'évocation des ombres une preuve
péremptoire de leur foi en l'immortalité et de leur démonologie *. Ils admet-
taient que les eïdôla des morts apparaissaient sous ime forme semblable à,
celle du corps"^ vivant ; et si quelqu'un niait avoir jamais aperçu un démon, ces
visionnaires s'étonnaient d'une telle infirmité *. La secte, qui se montra accueil-
lante aux croyances populaires et qui, de bonne heure, subit l'attrait des doc-
trines orientales, fut induite pour ce double motif à pratiquer tous les genres
d'opérations magiques ®.
Ce sont probablement les Pythagoriciens de l'entourage de Nigidius Figulus
qui, au temps de Cicéron, introduisirent la nécromancie dans leurs cénacles
occultes à la grande indignation des vieux Romains '. Car la consultation des
esprits était étrangère à la divination anciennement pratiquée à Rome. Le
frêle et pâle essaim des Mânes ne possédait pas, avant qu'on s'avisât de faire
d'eux des démons grecs, une force et ime intelligence supérieures à celles des
hommes. D'autre part le droit pontifical, dans sa protection rigoureuse des
tombeaux, témoigna d'un respect scrupuleux du repos des morts. Troubler leur
quiétude, en les appelant devant soi, était une impiété, et ils ne tardaient pas
à châtier le sacrilège. En général toutes les pratiques magiques sont .con-
I. Platon, Lois, 909 B, 933 A. Cf. Eitrem, Symbol. Osloenses, 1941, XXI, p. 51.
a. Cf. su-pra, III.
3. Nilsson, Gr. Rel., p. 158.
4. Cf. infra, ch. II, p. 15a ss.
5. Apulée, De deo Socratis, 20 = Arist. fragm. 193, Rose.
6. Artémidore, II, 69 (p. i6i, Hercher) ; Wellmann, Die Physica des Bolos und der
Magier Anaxîlaos (Abhandl. Akad., Berlin, 1928, n° 7).
7. Cicéron, In Vatin., VI, 14; Kroll, R. E., s. v. «Nigidius Figulus», col. 20i, 20 s*'
Garoopino, Basil.^ pythag., p. 204 s.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 99
damnées par la stricte moralité de la religion officielle. Dès la période répu-
blicaine, la législation étendit aux sorciers les peines qui frappaient les empoi-
sonneurs {venefici) et, jusqu'à la fin de l'Empire, l'exercice de la magie resta
passible des derniers supplices'. La justice répressive punissait non seulement
les auteurs de maléfices {maie f ici), mais le simple fait de posséder des livres
de l'art illicite.
La nécromancie ne se répandit largement en Occident qu'avec les religions
et superstitions de l'Orient, où cette aberration spirituelle avait été de tous
temps une maladie endémique. L'exemple le plus fameux d'une telle pratique,
indéfinimeni commenté par les exégètes, est la consultation par Saiil de la
pythonisse d'Endor, qui, sur les instances du roi, lui procura un colloque terri-
fiant avec l'ombre de Samuel^. Mais l'évocation des morts est un procédé
divinatoire et magique commun à tout le paganisme sémitique et on le trouve
en usage en Babylonie comme en Palestine, en Egypte comme dans l'Iran'.
Parmi Tes diverses espèces de procédés magiques, il en est deux dont les
anciens attribuent la diffusion aux Perses ; l'hydromancie, qui faisait aper-
cevoir âans un vase rempli d'eau des images des démons, et la nécromancie*.
Le mage Ostanès était le plus célèbre des docteurs es sciences occultes qui
eussent traité de ce sujet. Le pur mazdéisme de Zoroastre interdit rigoureuse-
ment la sorcellerie qui fait appel aux dévas, parce que son dualisme réprouve
toute accointance avec les puissances des ténèbres. Mais les Mages d'Asie
Mineure, observateurs peu fidèles de l'orthodoxie zoroastrienne, offraient à
Ahrimau des sacrifices nocturnes où ils mêlaient au suc de l'amome le sang
d'un loup, pour détourner les maux dont les menaçait l'Esprit malin ^ et ils
développèrent la théorie et la pratique de Part suspect qui leur doit son nomi
de magie. Sans doute Eschyle le savait-il déjà et s'est-il souvenu de la puis;-
sance dont se targuait le clergé iranien, lorsque, dans les Perses, il a imaginé
de fairs surgir de la tombe royale l'ombre de Darius, évoquée par des libations,
et des conjurations appropriées^. A Rome, Néron, que les Mages de la suite
1. Momm&en, Strafrecht, p. 63g s. (=tr. fr., II, p. 356 s.). '■
2. I Sam. XXyiII, 7-25,
3. Hopfner, R. E., s. v. « Nekromantie », c5ol. aaz8 j Vigoureux, Dict. de la Bible,
s. V. « Evocation des morts ».
4- Hine, H. JV., XXX, 14 (= Mages hellén., II, p. «86, fr. la ; cf., Il, p. 204); Stra-
Don, XVI, a, 39, p. 76a j Tertullien, De anima, 57 ; Augustin, C. Deî, Vil, 35.
5- Plutarque, De Iside, 45 ; cf. Mages hellén., i, p. 60 3 II, p. 71 ss.
6. Eschyle, Perses, 610 ss. Cf. Eitrem, Vhe necromancy in Aeschylos {Symbol. Osloeti-
^^h VI, 1928, p. I ss.) j La magie comme motif littéraire (Ibid., XI, 1941, p. 45 ss.).
loo LUX PERPETUA
de Tiridate avaient initié à leurs mystères, reconnut, assure Pline, la vanité de
ces prétendus entretiens av-ec les défunts*. Suivant Lucien, Ménippe, à la
recherche du vrai bonheur, résolut de se rendre à B&bylone pour y consulter
un des « Mages disciples de Zoroastre, qui par des incantations et des rites
secrets ouvrent les portes de l'Hadès et y font descendre sûrement et remonter
en sens inverse tous ceux qu'ils veulent » '. La réputation de Zoroastre comme
nécromant devait se transmettre jusqu'au moyen-âge*.
Le mazdéisme a sans doute contribué à faire de la nécromancie — qui
aurait pu n'être qu'un spiritisme bénin — une monstrueuse abomination. Car
elle se rattache au culte d'Ahriman, les ténèbres inférieures étant la demeure
des méchants dévas et des âmes des réprouvés. On les invoquait à voix basse
dans l'obscurité de la nuit qui favorisait leurs entreprises, car ils fuyaient les
lumières du jour. Celui qui se flattait d'écarter ces êtres pervers par des sacri-
fices apotropaïques, pouvait aussi prétendire obtenir d'eux des services et en
faire les exécuteurs de sa volonté. Mais ceci est proprement une œuvre sata'-
nique ; la magie devient une religion à rebours, la liturgie effrayante des.
puissances du mal. Plus les offrandes qui leur sont faites seront cruelles,
plus elles plairont à la malignité des démons, et plus on sera convaincv^ de
leur efficacité *.
L'Egypte pouvait citer des nécromants comme Nectabis ou Nectanébo dont
la réputation ne le cédait guère à celle du Mage Ostanès, et on la voit associée
à la Perse comme la patrie de cette science suspecte &. Son clergé avait la
réputation de pouvoir provoquer, à volonté, des épiphanies de dieux ou de
revenants. Le médecin Thessalos, voulant consulter Asklépios, se rendit à
Thèbes et s'adressa à un prêtre, qui lui demanda s'il désirait s'entretenir avec
l'âme d'un mort ou avec une divinité^. De même, selon les Recognitiones,
saint Clément, pour dissiper l'anxiété que lui causaient ses doutes sur l'immor-'
talité de l'âme, songeait à se rendre en Egypte et à prier quelque prêtre d'user
en sa faveur de son pouvoir de nécromant ', De nombreux papyrus magiques
1. Pline, E. N., XXX, i, 6 ; cf. Rivîsta di filologia, 1933, LXXI, p. 146 ss.
2. Lucien, Menî-p-pus sive de Necyomantia. 6 = Mages hellén., II, p. 40, fr. B, 30.
3. Mages hellén., Il, p. 23 (fr, B loC), .n. i, et p. 247, fr. O, 104.
4. Rel. orient., p. 175 s.
5 . Lucain, VI, 451 j cf. Hopfner, Offenbanmgszauber, II, 3, p. 159, § 366 ; et R- S-,
l. c, col. 229.
6. CCAG, VIII, 3, p. 136, 29; cf. Vettius Valens, 67, 5 5 112, 34} 113, 17, KroU}
Festugière, Hermès, I, p. 56 s.
7. Ps. Clément, Recogn., I, 5.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES loi
découverts dans la vallée du Nil, et même les écrits astrologiques originaires
de ce pays, montrent quel crédit la crédulité d'xm peuple superstitieux accor-
dait à une forme délictueuse de la magie, d'autant plus recherchée qu'elle
était plus occulte ' . L'on y voit aussi quelle terreur inspirait la vue des spectres,
troupe exsangue et gémissante qui glaçait d'effroi celui qui la rencontrait la
nuit sur son chemin. Il n'est donc pas surprenant qu'Apulée ait fait intervenir
l'égyptien Zatchlas, « prophète de premier ordre », dans une scène d'évoca-
tion introduite dans ses MétaMorphoses^ . Une femme est accusée d'avoir
empoisonné son mari. Comme elle proteste de son innocence, on fait appel à
la science du prophète pour ranimer le cadavre et rendre une lumière momen-
tanée à des yeux fermés pour l'éternité. L'opérateur, comme il sied à im
prêtre d'Isis, est vêtu d'une tunique de lin, chaussé de sandales de fibre de
palmier, et a la tête entièrement rasée. Il place une herbe sur la bouche du
mort, une autre sur la poitrine, et se tournant vers l'Orient, adresse à voix
basse une incantation au Soleil levant ; et par cette mise en scène spectaculaire
il augmente chez les assistants l'attente du miracle. Le corps se lève sur son
lit ; le jeune homme se plaint d'avoir été arraché au Styx et supplie qu'on le
laisse en repos. Mais Zatchlas le menace des pires tortures s'il ne répond pas.
La victime confesse alors avoir succombé aux artifices criminels de sa nouvelle
épouse, qui lui a fait vider une coupe empoisonnée, afin qu'un séducteur pût
prendre sa place dans le lit encore tiède.
C'est en Egypte que se place la scène de nécromancie décrite dans un
autre roman, les Èthiopigues d'Héliodore^ qui, notons-le, appartenait à une
famille sacerdotale d'Émèse en Syrie. Un combat a été livré à Memphis, une
vieille femme a eu un de ses fils tué, elle ignore le sort de l'autre et vienfc
interroger le mort. Le .troisième jour après la pleine lune, au lever de l'astre
nocturne, elle creuse une fosse, fait flamber un feu de chaque côt'é et verse,
à l'aide de cratères d'argile, des libations de miel, de lait et de vin. Elle
modèle ensuite une poupée de pâte, la couronne de laurier et de fenouil et la
jette dans le trou ; puis brandissant un glaive, agitée d'une fureur divine, elle
adresse à la lune, avec des mouvements désordonnés, une prière en langue
barbare, et se tailladant les bras, asperge le foyer de son sang avec un rameau
de laurier. Enfin, se penchant vers le cadavre elle lui murmure une incanta-
1. Egypte des astr., p. 119 ss.
2. Apulée, Mêt.i II, 29.
3. Héliodore, VI, 14.
102 1 LUX PERPETUA
tion daii!î l'oreille. Cédant au sortilège, l'enfant se dresse, mais ne répiond que
par un signe de tête à la question de sa mère et retombe. Alors la vieille
sorcière proférant des menaces, force son fils par des conjurations plus puis-
santes à se relever et à parler. D'une voix caverneuse, à peine intelligible,'
l'enfant révèle à sa mère qu'elle ne reverra pas son fils disparu et qu'à cause
de l'impiété de ses pratiques sacrilèges, elle périra bientôt elle-même de la'
mort violente qui est le sort réservé à tous les magiciens. !
Ces deux exemples suffiront à donner une idée des scènes de nécromancie
introduites dans leurs récits par les romanciers. Il est difficile de déterminer
jusqu'à quel point les rites qu'ils décrivent ont été empruntés par eux à la
réalité ou inventés par leur imagination. Ces épisodes macabres nous appren-
nent du moins quelle idée les littérateurs se faisaient de ces opérations magi:-
ques, odieuses aux morts et redoutables pour ceux-là mêmes qui les pratiquaient.
C'est surtout chez les poètes latins du premier siècle de l'Empire que l'on
peut suivre la transmission, littéraire du thème de la nécromancie. L'évocation
des morts était, grâce à la Nékyia homérique, devenue un motif tra4itionnel de
l'épopée, et les successeurs lointains des aèdes continuent à le traiter dans la
Rome des Césars. Lucain l'introduit dans sa Pharsale, Silius Italiens dans
ses Piinico. Stace dans sa Tkébaïde, Valérius Flaccus dans ses Argonautiques^.
Mais d'autres poètes, et non des moindres, se sont ingéniés depuis le siècle
d'Auguste, à utiliser un sujet .qui éveillait chez leurs lecteurs une curiosité
mêlée d'effroi. Horace, malgré son scepticisme, ne l'a pas dédaigné ; les élégia-
ques y recourent, Ovide lui fait une place dans ses Métamorphoses, et Sénèque
dans sa tragédie à'CEdipe'^. De toutes ces scènes de nécromancie, la plus
circonstanciée est celle de Lucain s. On a supposé que par la multiplication de
détails révoltants, il avait voulu marquer son horreur de monstruosités sinistres,
et que ce morceau visait en réalité Néron, qui s'adonna à la divination des
Mages jusqu'au jour où il en reconnut l'inanité*. Mais rien n'est moins certain,
et peut-être Lucain a-t-il eu lui-même un penchant pour un art vers lequel
étaient attirés beaucoup de ses contemporains, et même des philosophes pytha-
1. Lucain, Phars.y VI, 590 ss, ; Silius Ital., XIIÏ, 393 ss. ; Stace, Vhéb.^ IV, 429 ss.j
Valérius Flaccus, I, I, 730 ss. ; cf. Fahz, o-p. cit. [p. 97, n. 4].
2. Horace, Sat., I, 8; E-p., V, 10 ss.; TibuUe, I, 2, 47 ss.; Properce, IV, i, 106; Ovide,
Met., VII, 200 s. ; Sénèque, Oedi-pe, 530 ss.
3. Commentaire de Fahz, op. cit. [supra, p. 97, n. 4], p. 42 ss. Cf. Bourgery, Lucain
et la magie, REA, 1028, VI, 299 ss.
4. Friedlânder-Wissowa, Siitengeschichte, III 10, p. 325.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES loj
goriciens et stoïciens. Il est indubitable qu'il connaissait les pratiques des
magiciens, soit pour les avoir consultés, soit pour avoir étudié leurs livres, et
il nous fournit même une sorte de systématisation et de synthèse de leurs
préceptes disparates.
Rien ne nous révèle mieux la puissance attribuée à la nécromancie que la
répétition des lois sévères qui Tinterdisaient*. Poursuivre avec une rigueur
implacable le recours à cette magie criminelle était admettre implicitement la
réalité de son pouvoir. Comme ses adeptes, menacés des peines les plus graves,,
ne pouvaient la pratiquer que furtivement à la faveur de la nuit, elle était
pour la foule un art mystérieux entouré du prestige qu'fc»n prêtait alors aux
révélations ésotériques et aux sciences occultes. L'on vit les empereurs eux-
mêmes user, comme Caracalla, de ces procédés secrets d'une thaumaturgie que
leur législation condamnait 2. La crainte du châtiment suprême ne suffisait
pas à en détourner ceux qui avaient confiance en son efficacité. Tant qu'on
admit la possibilité de contraindre les esprits des morts à seconder les desseins,
même inavouables, du magicien, à coopérer avec lui à des oeuvres néfastes, la
nécromancie fut indestructible. Elle faisait appel à trop de passions humaines
pour n'être pas entendue. Ceux qui, ballotés entre l'espérance et la crainte,
poussés par l'aiguillon de l'ambition, étaient obsédés du désir anxieux de
pénétrer les secrets de l^avenir, recouraient à ces colloques avec les trépassés,
dont on attendait des réponses plus clai,res et plus directes que celles des
oracles souvent ambigus. D'kutres, torturés par un amour malheureux, pen-
saient, grâce à rintervention des esprits, inspirer une ardente passion à celui
ou. à celle qui les repoussait. Mais surtout en invoquant certains morts,
devenus des démons maléfiques, on espérait assouvir sa vengeance sur un
ennemi détesté, livrer aux pires supplices le persécuteur dont on avait à souf-
frir, condamner au trépas le rival dont on voulait se défaire. Les cérémonies
nocturnes qui provoquaient l''apparition des fantômes, séduisaient les esprits
enclins à subir l'attrait du merveilleux, et il n'est aucun effet prodigieux que
leur imagination n'attendît d'un pareil secours : on voit invoquer un spectre
pour qu'ail rende l'opérateur invisible comme lui s.
Le déchiffrement des papyrus magiques a fourni une foule de notions pré-
cises sur les pratiques des nécromants et permis de confronter avec les usages
I. Mommsen, /. c. \su-pra, p. 99, n. i].
%• Hopfner, Offenbarungszauber, IL, 305011 », fin.
3- Preisendanz, R. E., s. v. « Nekydaim s., 67, 188, 244.
104 LUX PERPETUA
réels les fictions plus ou moins imaginaires des romanciers et des poètes.
Notre information, suffisamment complète, nous permet de distinguer divers
stades dans le développement d'une superstition, qui remonte aux âges les
plus reculés.
La nécromancie n'a jamais éliminé la vieille croyance que le mort habite le
tombeau. C'est en agissant près de celui-ci qu'on fera apparaître l'ombre dont
il est la demeure. Il suffira d'invoquer deux exemples pour montrer la persis-
tance de cette idée à travers les siècles. C'est sur le tombeau de Darius que,
suivant Eschyle, sont offertes les libations qui en feront sortir le spectre du
roi (p. 99) et Horace assure que les sorcières venaient encore la nuit aux
Esquilles, là où se trouvait le cimetière des pauvres, et y versaient dans un
trou, creusé parmi les sépultures, le sang d'une agnelle noire « pour attirer
les Mânes qui doivent leur donner une réponse » 1, Le magicien, « dont l'af-
freux murmure et les paroles impérieuses torturent les dieux supérieurs et les
Mânes », ont le pouvoir de faire sortir l'ombre du tombeau ou de l'y enfer-
mer, les accablant ainsi sous le poids de la terre et les tenant comme enchaînés
dans leur étroite prison*-.
Plus féconde encore en conséquences fatales est la longue survivance de
l'antique conviction que l'âme reste attachée par des liens mystérieux au corps
qu'elle a quitté ^ car cette connexion supposée a inspiré tous les rites de
magie sympathique qui requièrent, nous le verrons, la possession d'un morceau
du cadavre. Elle explique aussi qu'on pensait pouvoir ranimer plus faci-
lement la dépouille inerte d'un homme récemment décédé et obtenir de lui
des réponses plus intelligibles*. Son âme ne s'était pas encore fort éloignée,
on pouvaif la rappeler plus aisément que si elle était déjà descendue au
fond des Enfers, et elle s'y prêtait avec moins de peine. Cependant déjà à
l'époque homérique on invoquait les ombres vivant dans l'Hadès, et les
formules des magiciens révèlent clairement que telle était la puissance qu'ils
s'attribuaient à toutes les époques*. La croyance à la survie dans la tombe et
celle de la descente dans les Enfers étaient différentes par leur origine et
éloignées par leur caractère. Mais dans la pensée des nécromants elles s'étaient
I. Horace, Sat.y I, 8, 28. — Cf. Suidas, s. y. ^\iya.ytxi^ÈX ; Ammien Marc, XIX, ï2»
13 ; Olympiodôre, In Phaed., II, p. 166 Norviti.
z. QuintiUen, Declam. X (De sepulcro iacantato), ch. 7-8.
3. Cf. infra, ch. VU.
4. Lticain, VI, 6zi ; cf. Fahz, op. cit., p. 157.
5. Firmic. Maternus, Mathes., I, a, 10 (p. 8, az, KroU) ; Apulée, Met,, II, 29.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 105
confondues et on les voit exprimées simultanément 1, le tombeau étant conçu
comm^î le lieu de passage des ombres remontant du monde inférieur vers la
lumière. Les dieux infernaux, Hécate, Pluton et Proserpine, invoqués par des
conjurations irrésistibles, devaient leur concéder ce congé temporaire. Si l'on
désirait avoir im entretien avec Homère, Orphée ou Cécrops, les thaumaturges
se faisaient forts de vous le procurer.
Mais la nécromancie avait surtout recours à cette foule d'âmes aériennes
qui parcouraient l'atmosphère avec une agilité extrême et pouvaient répondre
aussitôt à l'appel de l'évocateur. Assimilées aux démons, elles avaient acquis
par là même une intelligence supérieure à celle de l'homme, et la faculté
de prévoir l'avenir 2. Cette prescience leur permettait de communiquer aux
consultants des prophéties véridiques. Mais, nous l'avons dit, beaucoup d'entre
ces nékydmmones , exclus des Enfers par l'effet d'une privation de sépulture
ou d'une mort violente ou prématurée, étaient condamnés à errer misérable-
ment à la surface de la terre. Le nécromant cherchait à soumettre à sa volonté
ces âmes malheureuses et par suite malfaisantes, afin d'utiliser leur puissance
contre des ennemis. Les auteurs de la fin du paganisme se sont beaucoup
préoccupés de cette armée de génies aériens, auxquels les esprits des trépassés
fournissaient un contingent de recrues constamment renouvelé.
Ces esprits étaient invisibles comme les vents qui les portaient 3, mais non
purement spirituels, ce que la mentalité vulgaire ne pouvait concevoir. Ils
apparaissaient dans les évocations comme des formes indécises et douteuses,
enveloppées d'une ombre obscure ; souvent presque imperceptibles à la vue, ils
manifestaient leur présence par leurs réponses aux questions du consultant,"
sans qu'on s'expliquât comment des êtres dépourvus de langue, de gorge et de
poumons pouvaient être doués d'une voix*. Il est vrai que la voix aiguë de
ces frêles créatures ressemblait parfois à un sifflement à peine sensible \ à
moins qu'un ventriloque, doué d'un organe plus robuste, ne se substituât au
fantôme, abusant de la crédulité de ses dupes**. Ou bien un enfant encore
1. Tibulle, I, a, 45; Ovide, Amours, I, 8, 16 ; Papyrus Magic, IV, Prcisendanz,
/. c, 1443 s.
2. Hopfner, R. £., /. c, ool. 2218.
3. Pap. Magic, IV, 2730; Tivèç :?)pûnov àtYpia oupfÇovTe;... àvéjjiwv eî'SwXov ïyio^mq; cf. supra,
p. 78 ss.
4. Cicéron, Xjusc, I, 16, 37.
5. Maxime de Tyr, VIII, 2, p. 87 ; cf. Lactance, Inst., VII, 13.
6. BoTiché-Leckrcq, Hist. divination., I, p. 930 s. ; Preisendanz, R. E., s. v. « Neky-
daimon », col. 2263, 11 ss.
io6 LUX PERPETUA
vierge, que les magiciens ont souvent employé comme médium, était censé
envahi par l'esprit du mort, qui parlait par sa bouche i. Les apparitions vapo-
reuses et fugitives que les yeux croyaient distinguer dans les ténèbres, s'éva-
nouissaient aux premières lueurs de l'aurore.
S'il fallait se contenter, pour l'étude des procédés employés pour l'évocation
des morts, d'en lire les descriptions poétiques composées sous les. Césars, on
pourrait croire à la perpétuité des rites indiqués dans la Nêkyia homérique..
L'incantation y reste accompagnée des simples offrandes empruntées au culte
des morts : on verse toujours dans une fosse des libations de lait et de miel
de vin et d'eau, on y fait couler le sang de victimes noires. Mais à l'époque
romaine les magiciens préparent souvent une cuisine beaucoup plus recher-
chée en se servant d'ingrédients plus rares. Ils épuisent les ressources des
trois règnes de la nature, qui sont unis aux dieux et aux démons par des
affinités mystérieuses. Comme les autres sorciers, les nécromants utilisent des
animaux, des plantes, des pierres, reliés par des sympathies et antipathies
secrètes aux esprits des morts, pour contraindre à leur obéir ceux qui se
montrent rétifs ou réticents. Ils combinent, pour obtenir cette servitude, « tout
ce que la nature a produit dans un sinistre enfantement » *. Mais l'attache-
ment supposé que l'âme garde pour le corps dont elle est séparée, reste lai
conviction maîtresse qui commande la plupart des actes accomplis par ces thau-
maturges. Ceux-ci pensaient se rendre maîtres de l'une en agissant sur l'autre :
la vieille idée, qui remonte jusqu'à l'époque où l'on se figurait que l'esprit
qui nous anime survit dans la tombe, près du cadavre dont il a été l'hôte
temporaire, inspire les pratiques de cette magie sépulcrale. Si l'on glisse dans
les sépultures des tablettes de plomb couvertes d'exécrations, les tabellae.
defixionum retrouvées en grand nombre dans les nécropoles', c'est pour assurer
au conjurateur l'intervention de celui qui y est enseveli. Des croyances orien-
tales ont transformé la vieille idée romaine de la d\ew)tio, qui vouaient les
vivants aux puissances infernales. Ranimer le mort et s'en faire un auxiliaire,
le contraindre à subir un interrogatoire est chose relativement aisée lorsqu'on
peut se saisir du cadavre au moment où il vient de perdre la vie*. Mais à son
1. Justin, AfoL, I, ï, i8 ; Hopfncr, o-p. cit. [p. 97, n. 2], § 8a6 ; cf. Abt, Die Apologie
des Apuleius und die Zauberei, p. 234 ss. (Rel. V. u V., IV), 1908.
2. Lucain, VI, 670.
3. Audollent, Defixionum tabellae, 1904.
4. Friedlânder, Sittengesch., III, p. 325. ^
5. Cf. supra, p. 104, note 4.
CHAPITRE I. — LES VIEILLES CROYANCES 107
défaut, on cherchera à en obtenir quelque partie que la corruption n'ait pas
décomposée : un crâne, un os, un ongle, des cheveux, une dent pourront
être employés avec succès *. On gardera précieusement dans le même but
quelques gouttes de sang du moribond,, ou même sa sueur, son urine, ses
excréments. Si l'on est dépourvu de ces restes ou sécrétions corporelles, on
mettra en œuvre tout ce qui a été la propriété (oùaîa) du défunt, surtout ce
qui lui appartenait au moment où il a rendu l'âme. En agissant sur les
objets qui, au moment suprême, ont été en contact avec lui, on se flattait
d'assujettir l'esprit du mort à sa volonté et de s'en faire un auxiliaire. Si
le corps a été inhumé, la terre de sa tombe, ou les plantes qui y ont poussé ;
s'il a été brûlé, les cendres ou le bois du bûcher auront une force opérante.
Celle-ci augmentera s'il s'agit d'un homme qui a péri de mort violente : les
clous d'un crucifié, la corde d'un pendu, un linge imbibé du sang d'un
gladiateur tombé dans l'arène*. Pour obtenir ces précieuses dépouilles douées
d'un pouvoir mystérieux, les sorciers n'hésitaient pas, disait-on, à violer les
sépultures, à dérober ou mutiler les cadavres, ou même à causer par leurs
maléfices la perte de celui qu'ils voulaient s'asservir après son décès*.
Mais si Ton ne dispose pas de quelque reste humain, le moyen suprême
de se le procurer est de recourir à un meurtre. On mettait à mort quelque
enfant afin de faire servir son sang encore chaud, ses entrailles palpitantes
à des œuvres inavouables ^. L'on allait jusqu'à arracher un fœtus au ventre
de sa mère pour opérer à l'aide de cet embryon répugnant®. Ces assassinats
de nécromants sont attestés par un enseml?le de témoignages convaincants,
et il n'y a pas de doute qu'ils aient été perpétrés dans l'ombre jusqu'à la fin
de l'antiquité et même au-delà. La croyance aux meurtres rituels qui dans]
certains pays sont encore attribués aux Juifs, est née de ces pratiques san-
glantes de la magie noire.
Parfois même des hommes faits étaient immolés par les magiciens, comme
1. Hopfncr, op. cit., I, p. 165, § 645 ss. ; Abt., op. cit. [p. 106, n. i], p. 179 ; Fahz,
op. cit., p. 42 s.
2. Alexandre de Tralles, I, 15 (pp. 565, 567, Pietschmann).
3. Lucain, VI, 533 s. ; Hopfner, § 647, Fahz, p. 43.
4. Lucain, VI, 529, avec le commentaire de Fahz.
5 Servius, En., VII, 107 -, Jean Chrysost., In Lazarum, II, 2 {P. G., XLVEII, p. 583) ;
cf. Marquardt, Staatsverwaltung, III 2, 113, % ; Hopfner, Offenbarungszauber, I, § 635 ;
Priedlânder, III, p. 324 ; Preisendanz, R. E., s. v. « Nekydaimon », col. 2254 ss.
6. Cicéron, In Vatin., 6 -, Lucain, VI, 558 ss. ; Pline, XXVIII, 70 j Ammien, XXIX, 2,
17 > Eusèbe, Hist. eccl., VIII, 14, 5.
io8 LUX PERPETUA
au temps où. la vie d'un esclave n'avait pas plus de valeur que celle d'une
tête de bétail. Encore vers la fin du ye siècle, à ce que rapporte Zacharie le
Scholastique', des étudiants en droit de l'Ecole de Beyrouth voulurent une
nuit égorger dans le cirque un esclave, afin que son maître obtînt la faveur
d'une femme qui lui résistait. L'apologiste Tatien, qui précisément était un
Syrien, crut devoir combattre le préjugé qui prétendait faire de ceux qui
avaient succombé à la fin la plus misérable, les vengeurs du magicien qui les
enrôlait à son service 2, et à Antioche saint Jean Chrysostome s'élève contre
la même superstition ■^
La nécromancie participait à la fois de la divination et de la magie, toutes
deux réprouvées par les chrétiens qui avaient ainsi une double raison de la
rejeter. Mais la puissance de l'Eglise, conjuguée avec celle de l'Etat, ne réussit
pas à extirper une foi populaire qui remontait aux origines même de la leli-
gion, et la croyance en son pouvoir fallacieux s'avéra indéracinable en dépit
des lois pénales et des anathèmes. Ses rites à la fois puérils et cruels conti-
nuèrent à être pratiqués dans les ténèbres, et l'héritage d'un passé barljare se
transmit à travers toute la civilisation grecque et romaine et l'es siècles obscurs
du moyen-âge jusqu'à l'aube des temps modernes. La nécromancie resta
toujours considérée comme la plus redoutable, mais aussi la plus efficace
des diverses formes de la sorcellerie, et son nom, altéré en « nigromancia ti
s'appliqua même à toute l'œuvre diabolique de la magie noire *. A cette san-
glante superstition, inspiratrice de crimes sadiques, ont succédé aujourd'hui
les évocations inoffensives du spiritisme.
1. Zacharie, Vie de Sévère d' Antioche, éà. Kugetter (Patrol. orientaîis, II, p. 57).
2. Tatien, 17 ; cf. Mages hellén.^ II, p. 179.
3. Jean Chr., /, c, {supra, p. 170, n. 5].
4. Cl. Ehicange, s. v.
CHAPITRE II
LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE
I. — Variations de l'Académie, d'Aristote et des Stoïciens.
Dans notre premier chapitre nous avons rappelé quelles étaient les anciennes
croyances sur la persistance de la vie dans la tombe, la descente des ombres
aux Enfers et l'évocation des morts. Nous allons essayer d'exposer maintenant
comment ces vieilles idées furent attaquées et discréditées par la critique phi-
losophique.
Polybei, appréciant la religion des Romains, les loue d'avoir inculqué au
peuple des pratiques superstitieuses et des fictions tragiques : c'était, pensait-il,
un excellent moyen de le maintenir dans le devoir par la crainte des Enfers.
D'où l'on voit que si l'historien trouvait bon que la foule crût à ces chimères,
les esprits éclairés, comme ses amis les Scipions, ne devaient y voir, selon lui,
que les stratagèmes d'ime politique prudente. Mais le scepticisme d'un cercle
restreint d'aristocrates ne pouvait y rester longtemps confiné. A mesure que les
idées helléniques se propagèrent plus largement, il gagna de proche en proche
des partisans de plus en plus nombreux.
I. Polybc, VI, s6j 8.
no LUX PERPETUA
La philosophie grecque s'était de bonne heure attaquée aux idées tradi-
tionnelles sur la vie future. Déjà Démocrite *, précurseur d'Epicure, avait parlé
de ceux qui « ignorant la dissolution de notre nature mortelle, mais ayant
conscience de la perversité de leur vie, passent leur temps dans le trouble et la
crainte et se forgent des fables mensongères sur le temps qui suivra leur fin ».
Au ïv^ siècle, il est vrai, comme nous l'indiquerons ailleurs (p. 148), Platon, fut
conquis par la doctrine pythagoricienne de l'immortalité céleste, et offrit,
sinon une démonstration rigoureuse de la survie de l'âme, du moins des raisons
suffisantes de l'admettre à ceux qui désiraient en être convaincus. Avant de se
donner la mort, Caton d'Utique relisait quelques pages du Phédon. Mais par un
singulier revirement, l'école fondée par le grand idéaliste qu'invoquèrent à
travers les âges tous ceux qui crurent à une persistance purement spirituelle
de l'âme, ne tarda guère à ébranler cette conviction religieuse, comme toute
les autres. Au me siècle Arcésilas, « scolarque » de l'Académie, se posant en
adversaire du dogmatisme stoïcien, prétendit rester fidèle à l'esprit de Socrate
et de Platon en formulant le principe d'un scepticisme absolu*. Entre les
thèses opposées, que l'on peut pareillement défendre ou réfuter, la seule atti-
tude raisonnable de l'esprit est l'abstention. Carnéade (214-129) pour échapper
à l'objection qu'une pareille négation de toute certitude de la connaissance
ne permettait de prendre aucune décision et rendait impossible la vie pratique,
compléta la doctrine de la Nouvelle Académie par la théorie du probabilisme,
qui fournissait un motif suffisant de faire un choix'. Mais il n'abandonna pas
la position prise par son prédécesseur ; au contraire sa dialectique subtile mul-
tiplia contre les Stoïciens les arguments en faveur du scepticisme. Cependant
sa polémique contre le Portique lui fit prendre sur certains points essentiels
une position très nette. Il niait l'existence des dieux, la conduite du monde par
une Providence bienfaisante, aussi bien que toute possibilité de prédire l'avenir
par la divination. On conçoit qu'une école qui recevait de tels maîtres son
inspiration devait s'abstenir de toute affirmation sur la destinée de l'âme dans
un autre monde, d'autant plus que Platon l'avait surtout imaginée dans des
mythes qui ne prétendaient répondre exactement à aucune réalité et ne s'ac-
cordaient guère entre eux.
On se rappellera qu'envoyé conune ambassadeur à Rome, en 156, Carnéade
I. Diels, Vorsokr. ^ (II, p. 121), fr. 297.
a. Voir Arnim, R. E., s. v. « Arkesilaos ».
3. Voir Arnim, R. E., s. v. «Karneades».
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIOIffi 1 1 1
produisit une impression considérable en soutenant successivement, avec une
égale ingéniosité, le pour et le contre de diverses propositions, mais qu'ayant
affirmé que la justice est une pure convention, il se vit expulsé par le vSénat
pour avoir répandu une doctrine subversive, dangereuse pour l'Etat. Toutefois
il suffit de lire les œuvres de Cicéron pour constater l'influence durable exercée
par sa dialectique puissamment destructrice. La tendance à laquelle avait cédé
la Nouvelle Académie était celle de toute l'époque alexandrine. Cet âge ratio-
naliste tendait à exclure de son champ visuel l'ensemble des conceptions
mythiques ou métaphysiques sur le sort de l'âme après cette vie terrestre.
Les premiers auteurs responsables de cette évolution de la pensée grecque furent
surtout les Péripatéticiens.
On sait quel fut le singulier destin des écrits d'Aristote ^. Des œuvres qu'il
avait destinées à la publicité, les seules qui fussent connues jusqu'à l'époque
de Cicéron, il ne nous reste que des citations fragmentaires. Celles que nousii
lisons aujourd'hui sont des sommaires concis et abstraits des leçons que le
Stagiritc fit au Lycée d'Athènes au crépuscule de sa vie et qui, restées long-
temps cachées dans im souterrain, demeurèrent inédites jusqu'au moment où
le dictateur Sylla s'en empara et les transporta à Rome. Or pour la question
qui nous occupe, l'Aristote de la première période, celle où il fréquentait l'Aca-
démie et conversait, jeune encore, avec Platon vieillissant, n'avait pas encore
adopté le point de vue qu'il défendit plus tard. Encore fidèle à la pensée
platonicienne, il admettait que l'âme est de la même essence divine que les
dieux sidéraux, et qu'étant comme eux principe de son propre mouvement,
(aÛToxtVYjT'oç) elle participait de leur immortalité. Au contraire le système
qu'il adopta à la fin de sa vie lui fit considérer l'âme émotive et nutritive
comme la forme du corps matériel, et il la crut aussi incapable de survivre
à celui-ci que la vue, si l'œil est détruit, ou le tranchant de la hache, si le fer
n'existe plus 2. Seule la raison humaine, l'esprit pensant, qui existe de toute
éternité et entre dans l'homme à la naissance, pouvait être capable d'une per-
sistance au-delà de la mort : mais à cette pure intelligence, dépourvue de toute
sensibilité et même de toute capacité d'agir, il ne restait guère de personnalité,
et que les « bienheureux » pussent être heureux, cela était nié décidément.
1. W. Jâger, Arlstoteles, Berlin, igaj ; E. Bigiione, VAristotele -perâuto e la fortna-
zione di Epictero, a vol. Florence, 1936 ; J. Bidez, Un singulier naufrage littéraire :
les épaves de l'Aristote perdu, Bruxelles, i'943.
2. J. Bidez, A propos d'un fragment retrouvé de l'Aristote perdu (Bull. Acad, de
Belgique, XXVIII), 194a. Cf. Rohde (Il 3, p. agô ss, = tr. fr., p. 510 s.).
M2 LUX PERPETUA
Fait d'une portée plus vaste, l'Aristote du Lycée, plus empirique et plus
réaliste que Platon, détourna la philosophie des spéculations sur les choses
célestes ou les idées supra-sensibles pour l'orienter vers l'étude des faits réels
et concrets, observables dans là nature ou la société. Passionné pour la vérité,
que tous les hommes, selon lui, aspirent à connaître en vertu de leur nature
mêmei, il fut le promoteur de la grande investigation scientifique que Théo-
phraste et autres devaient poursuivre. Ainsi commence avec lui une longue
période pendant laquelle la pensée grecque se détourne des conjectures
ou théories sur notre destinée d'outre-tombe. Le rationalisme péripatéticien
répugnait à s'occuper d'une existence de l'âme qui ne pouvait être ni conçue
ni définie par la raison. Des disciples immédiats d'Aristote, comme Aristoxène,
Dicéarque, Straton de Lampsaque, l'élève de Théophraste, s'accordèrent à nier
toute immortalité, et plus tard, à l'époque des Sévères, le grand commentateur
des œuvres du stagirite, Alexandre d'Aphrodisias, entreprit de démontrer
que l'âme tout entière, supérieure et inférieure, avait besoin du corps pour
agir et périssait avec lui, et que telle était la véritable pensée du Maître, ^
Mais si profonde qu'ait été l'action directe et indirecte que le péripatétisme
exerça sur les idées reçues en- faisant pratiquement abstraction de la vie
future, cette philosophie, vers la fin de la République, n'était pas celle qui
dominait les esprits. D'autres écoles avaient alors une influence beaucoup plus
étendue, et les croyances eschatologiques la subirent d'une manière beaucoup
plus profonde. Ces écoles étaient le stoïcisme et l'épicurisme.
Dans ce grand bouleversement du monde hellénique qui suivit la mort
d'Alexandre, tout parut chanceler à la fois. Les principes qui jusque là avaient
guidé les hommes étaient ébranlés, en même temps que de multiples boule-
versements politiques rendaient incertain le sort de chacun; époque de désarroi
des esprits, où les progrès de la science et une philosophie rationaliste détrui-
saient les croyances ancestrales, où la vieille morale civique de la cité faisait
place au cosmopolitisme. Dans ces luttes sans pitié qui opposaient entre eux
les royaumes des diadoques, à l'insolence d'un triomphe fastueux succédaient
soudain l'humilation et le dénûment de la défaite ; et personne, au milieu de
si brusques péripéties, ne se sentait plus maître de son avenir, ni même assuré
de sa liberté ou de sa vie. La conviction se répandit et se fortifia que le monde
était soumis à la domination aveugle et impitoyable d'une déesse capricieuse,
I. Métarph. I, I : IlâvtEi; SvSpwitoi tou EÎSévai épÉYovxai «pûcei.
2 Zeller, ?hil. Gr.^ III, i, p. 798.
CHAPllTRE II. — LA CRIÏIOÛB PHILOSOPHIOÙB ïi3
qui se jouait de la prévoyance humaine, et la vénération pour Tyché grandit
à mesure que déclinait la piété envers les Olympiens^. Polybe, dans l'introduc-
tion à son grand ouvrage, remarque que si la Fortune s'est toujours plu à;
innover ei à faire sentir son pouvoir sur les nations et la société, jamais elle
n'a rien produit d'aussi grandiose que, de son temps, la succession des conquêtes
romaines ; et il assigne comme but à l'histoire d'enseigner aux hommes à sup-
porter virilement les revers qui les éprouvent, en se souvenant des catastrophes
du passée.
On comprend que dans la confusion de cette période troublée les esprits
aient pu être conquis par la philosophie altière de Zenon, qui enseignait l'affran-
chissement de toutes les contingences extérieures et rendait la quiétude de l'âme
indépendante des vicissitudes du sort 3. Les biens de la terre, les plaisirs des
sens, la santé du corps, l'affection même pour ses proches sont pour elle choses
indifférentes. Il suffit au sage de garder, impassible, la maîtrise de soi et la
lucidité de sa pensée, dont aucune disgrâce, aucune tyrannie ne peuvent le
priver. La rude discipline de l'école a pour effet d'élever l'homme si haut
qu'elle le met au-dessus de toute atteinte et lui permet, sinon de diriger son
destin, au moins de dominer la fortune^. L' «autarcie » morale qu'il conquiert
lui donne la liberté parfaite de l'esprit avec la sérénité de l'âme et suffit
à lui assurer sur la terre un bonheur divin. Même l'étroite limitation dé son
existence n'entame pas la plénitude de sa félicité et il attend avec équanimité
l'échéance fatale de la mort. On conçoit que Montesquieu, séduit par une
telle élévation, ait incliné à « mettre la destruction de la secte de Zenon au
nombre deb malheurs du genre humain » '\ , ;
Pour les Stoïciens ^, on s'en souviendra, l'homme est un microcosme qui
reproduit dans sa personne la constitution de l'univers. La masse entière de
celui-ci est conçue par eux comme animée par un Feu divin, premier principe,
qui provoque la succession des phénomènes de la nature. Un enchaînement
ininterrompu de causes, ordonné par cette raison suprême, détermine néces-
sairement . le cours des événements et gouverne irrésistiblement l'existence du
1. Rohde, Griech. Roman ^, p. 216. Cf. Roscher, Lexik. s. v. « Tyche », col. 13 19 s.j
1324 ; Festugière, Epicure, 1946, p. x ss. ; p. 68, n. 4.
2. Polybe, l, I ; I, 4, I ; I, 4, 4.
3. Edw. Bevan, Stoïciens et Sceptiques (trad. Baudelot), Paris, 1927.
4. Sénèque, De const. sap., i : « Ut supra fortunam emineat » ; cf. Epist. 120, 12.
S- Montesquieu, Esprit des Lois, XXIV, 10.
6. Stoïcisme, cf. Zeller, Phîl. Gr., III, i^^^ fH-ie : Barth, Die Stoa, 5^ éd., par Goe-
deckineyer, 1941.
8
114 LUX PERPETUA
grand Tout. Cette vie cosmique est conçue comme formée d'une série infinie
de cycles exactement semblables : périodiquement les quatre éléments sont
résorbés dans le plus pur d'entre eux, le Feu de l'intelligence, nOp voepov,
pour se désintégrer de nouveau après cet embrasement général.
De même notre organisme vit^ se meut et pense, grâce à une particule déta-
chée de ce principe igné qui pénètre toutes choses. Comme ce principe s'étend
jusqu'aux extrémités de l'univers, ainsi notre âme occupe le corps entier où
elle se loge. Le panthéisme du Portique conçoit Dieu comme matériel ; il en
est de même de la raison qui nous régit, laquelle, suivant la forte expression
d'Epictète, est « un fragment détaché de Dieu » *. Elle est définie comme un
souffle chaud, semblable à la partie la plus pure de cet air qui par la respi-
ration entretient la vie, et congénère de l'éther ardent qui nourrit l'éclat. des
astres. Ce principe vital maintient et conserve l'individu^ comme l'âme du
monde, reliant ses diverses parties, l'empêche de se dissocier. Toutefois cette
action n'est de part et d'autre que temporaire ; les âmes ne peuvent échapper au
sort fatal qui s'impose à l'ensemble dont elles ne sont qu'une parcelle infime.
A la fin de chaque période cosmique la conflagration universelle, Vecpyrosis,
les fera rentrer dans ce foyer divin dont elles sont toutes issues 2. Mais si, les
astres reprenant un cours identique, le cycle nouveau qui recommencera doit
reproduire exactement celui qui l'a précédé, un jour une « palingénésie »
donnera à la même âme, douée des mêmes qualités, une même existence, dans
le même Corps formé des mêmes éléments, sans qu'elle puisse pour autant se
souvenir de sa vie antérieure.
Telle est la limite maximum de l'immortalité que peut concéder le pan-
théisme matérialiste du Portique, issu de celui des religions de l'Orient. Mais
il s'en faut que tous ses docteurs fussent d'accord pour l'accorder. On a été
frappé depuis longtemps par les variations de l'Ecole sur un point qui nous
paraît d'une importance capitale. Si Cléanthe admit en effet que toutes les
âmes subsistaient ainsi des milliers d'années après leur bref passage sur la
terre jusqu'à Vecpyrosis finale^, pour Chrysippe au contraire, celle des sages
participait seules à cette immortalité restreinte*. Pour la conquérir il fallait
qu'elles eussent trempé leurs forces en résistant aux passions. Débiles, si elles
s'étaient laissé vaincre dans la lutte de cette vie, elles succombaient aussi
I. Epict. ï>iss. I, 14, 6 ; II, 8, 11 : 'A7c6(Jitao[i.a tou QeoO.
a. Cf. p. ex. Sénèque, Consol. Marc, fin.
3. Fragm. Stoic, I, 518 ss. Arttim.
4. EmUe Bréhier, Chrysippe, 1910, p. 171 ».
CHAPITRE n. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 115
dans l'au-delà. Elles obtenaient tout au plus un court délai de survie et la
brièveté ou la suppression de cette autre existence était le châtiment de leur
faiblesse.
On pouvait, il est vrai, tirer d'une immortalité conditionnelle et réduite
presque les mêmes conséquences morales et les mêmes incitations au bien que
de l'éternité générale des peines et des récompenses enseignée par d'autres
penseurs, Mais les Stoïciens n'étaient pas unanimes à les accepter. Nous ne
voyons pas clairement jusqu'à quel point ils s'accordaient à admettre que l'âme,
privée des organes corporels, fût douée de sentiment, ni surtout qu'elle con-
servât une conscience individuelle se rattachant à celle qu'elle possédait sur
la terre. Il est certain qu'une tendance nettement négative se manifesta à
Rome parmi les sectateurs de Zenon. Panétius, l'ami des Scipions, l'un des
hommes qui contribua le plus à gagner les Romains aux idées du Portique,
s'écarta ici de ses maîtres et, cédant à l'incrédulité des Grecs de son époque,)
nia absolument toute survivance personnelle * . Cette attitude fut dans la suite
celle de beaucoup de stoïciens romains, parmi ceux qui représentèrent le plus
purement la tradition de l'école. Le maître du poète Perse, Cornutus, dont
nous avons conservé un petit écrit, affirme sans ambages que l'âme périt
immédiatement avec le corps ^..
A ces négateurs de toute survie de l'âme s'opposa le stoïcisme éclectique
qui triompha dans le monde romain au premier siècle avant notre ère, et
combina avec le matérialisme professé par le Portique la doctrine de l'immor-
talité céleste enseignée par le pythagorisme. Nouis aurons à reparler^ de ce
syncrétisme qui depuis Posidonius jusqu'à Sénèque devait remettre en honneur
dans l'Ecole la foi en ime vie future, et opposer la quiétude et la splendeur
d'une autre existence aux tribulations et à la médiocrité de notre condition
humaine. Mais Posidonius et ses émules sont dans le stoïcisme des hétérodoxes,
et il est significatif que leur action, pour puissante qu'elle se soit montrée,
n'y ait été que transitoire. L'on vit en effet dès la fin du premier siècle
s'opérer un redressement de cette déviation passagère, qui s'écartait de la tra-
dition génuine des successeurs de Chrysippe.
1. Cicéron, Cmsc. I, 31, 79 ; Benz, Das 'Codes-problem in der stoïschen Philos., Stutt-
gart, 192g, p. 12 s.
2. Stobée, Ed., I, 922 (= I, 384, Wachsrmith).
3. Cf. înfra, ch. III, p, 157 ss.
4- Bonhôffef, E-pictet und die Stoa, 1890, P.65SS. j Ethik des Efîktet, 1894, p. 26 s. ;
Sarth., of. cit. [p. 113, n. 6], p. 193 ss. 5 Introduction de Souilhé à son édition d'Épic-
'ète (Paris, 1943).
lié LUX PERPETUA
En effet Epictète, esclave affranchi qui enseigna à Rome sous Domitien et
mourut en exil sous Hadrien (env. 60-140), marque dans tout son système
un retour aux conceptions de l'ancienne Ecole, et aucun représentant de celle-ci
ne nia avec plus de décision que lui la survie personnelle de l'homme. Au
décès les quatre éléments dont celui-ci est composé, se dissocient et sont
absorbés par ceux dont est formé le cosmos, pour servir à engendrer de nou-
veaux êtres. Toute conscience disparaît avec la mort, mais cet accident futile
fait partie de l'ordre divin du monde et ne doit pas être regardé comme un
mal qu'il faudrait redouter '■'. Cet épouvantail des ignorants est comme un
masque tragique, qui cesse d'effrayer les enfants, dès qu'on le retourne^. Il
faut s'exercei à se représenter constamment sa fin prochaine pour dissiper les
images dont la superstition entoure le trépas, et se délivrer d'une crainte, qui
est la principale source d'avilissement, de lâcheté, de bassesse en face de la
tyrannie^. Seul cet affranchissement nous donnera la pleine liberté spirituelle
et nous assurera une félicité sereine, comparable au calme d'une mer tran-
quille*'. La vie terrestre suffit à l'accomplissement de notre mission ; nous
devons y, remplir le rôle, quel qu'il soit, que le sort nous a confié, et savoir
le quitter dès que la pièce est jouée 5. Nous sommes conviés sur cette terre
à un somptueux festin, et celui-ci réserve une jouissance divine au sage qui
se sert avec modération des mets qui lui sont présentés*. S'il renonce à la
recherche de biens trompeurs, à la poursuite de vaines illusions, le spectacle
du monde apparaît à sa raison souveraine comme une merveilleuse féerie à
laquelle il prend part ; mais il est toujours prêt à abandonner cette grande
panégyrie, dès que le signal lui en sera donné, en remerciant la Providence
de lui avoir permis d'y assister ' • Cet optimisme intégral, fortement affirmé
par Epictète, rendait superflue et même contradictoire toute hypothèse d'*un
état meilleur obtenu dans une autre' existence.
Le succès auprès des grands de la terre qu'assurèrent aux leçons d'un humble
homme du peuple, leur dialectique ingénieuse et prenante, leur langage pitto-
resque et familier, autant que T'admiration pour la force d'âme, le renoncement
1. Dîatr., IV, 7, 15 ss.
2. Dîati:, II, I, 15 s. ; cf. Plat., Phédon, p. 77 e ; Criton, p. 46 c.
3. Diatr., III, 26, 38 ; IV, i, 30 ; cf. Barth., p. 207.
4. Diatr., II, 18, 30.
5. Ench., 17.
6. Ench., 15 ; cf. Symbol.., p. 378.
7. Diatr., I, la, 21 ; II, 14, 23 } III, 5, ro ; IV, i, 105 ss.
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 117
rigoureux de cet ascète païen, donnèrent à ces conclusions négatives un reten-
tissement que devait prolonger le soin que prit Arrien de nous conserver les
Entretiens et le Mantcel de son maître vénéré.
Les Entretiens d'Épictète sont d'un directeur de conscience qui veut
inculquer une doctrine, d'un prédicateur qui s'efforce d'imposer sa dure piorale ;
et comme tels ils sont suspects de quelque exagération ou parti pris. Mais nous
avons d'autre part la confession d'un Stoïcien qui écrivait, non pour le public
mais pour lui-même, en toute sincérité, et ce Stoïcien était un empereur :
Marc Aurèle, Ses Pensées sont d'un prix inestimable pour qui veut saisir l'état
d'âme d'un des derniers adeptes de cette puissante philosophie, au moment où
elle va cesser de régner sur les esprits 1.
Il semble tout d'abord que sur l'article de l'immortalité les idées de Marc-
Aurèle ne soient pas arrêtées, et que sa pensée hésite entre différentes possi-
bilités. Si T'âme, écrit-il, comme le Veulent les Épicuriens, est composée
d'atomes, ceux-ci se disperseront après le décès ; si au contraire l'esprit qui
nous anime est un, il peut ou s''éteindre ou se transporter ailleurs. On peut
supposer que toute sensibilité disparaîtra de l'âme privée de son corps ou bien
que, formant un être différent, elle acquerra une autre sensibilité 2, Et la
réflexion du philosophe s'exerçant sur ces hypothèses, il se demandera, dans
le cas où les âmes, conçues par lui comme matérielles, survivraient, comment
l'air qui les recevrait de toute éternité pourrait contenir leur multitude sans
cesse accrue. Comme la terre, répond-t-,il, où sont ensevelis les corps de tant
de générations passées, n'en a pas été remplie, parce qu'elle les a décomposés
pour faire place à d'autres cadavres. Il faut donc croire que les âmes qui
émigrent dans l'air, après avoir persisté quelque temps, se transforment et que
s'enflammant elles sont recueillies par le Feu cosmique pour permettre à
d'autres âmes, qui successivement quitteront la terre, d'occuper leur place.
Ainsi, même dans la supposition d'une survie, celle-ci est étroitement limitée :
les souffles aériens que le moribond expire, seront bientôt changés en feu et
se perdront dans la Raison universelle 8.
Mais tout ceci n'est que spéculation théorique. Si l'on se demande quellçi
a été la conviction intime de l'empereoir philosophe, on constatera que la doc-
I. Martha, Moralistes sous l'Empire romain, 8^ éd., 1907, p. 171 ss. ; Bonhôffer,
Bpictet [supra, p. 115, n. 4], p. 59 ss. ; Barth., op. cit. [p. 113, n. 6], p. 209 ss. ;
Rohde, tr. fr., p. 533.
a. Pensées, VII, 32 ; cf. VII, 50 ; VIII, 58.
3. Pensées, IV, 21.
n8 LUX PERPETUA
trine vers laquelle il incline est celle de l'ancien stdïcisme ; la dissolution du
composé humain en ses quatre éléments, qui sont aussi ceux du monde \ La
nature emploie la matière cosmique, comme l'artiste qui modèle la cire, à
former perpétuellement des êtres divers, qui n''existent qu'un instant ^ soit que
tout doive, un jour, être détruit dans une conflagration générale de l'univers,
soit que celui-ci, par un perpétuel renouvellement puisse atteindre une durée
étemelle, obtenue par une série indéfinie de métamorphoses ' ; il faut se remé-
morer toujours la brièveté et la fragilité des choses humaines condamnées à
promptement disparaître à jamais. L'individu est une formation éphémère, qui
bientôt s'évanouira dans le néant pour ne jamais plus reparaître dans la série
infinie du temps*. A contre-cœur le penseur croit devoir nier même que ces
héros, dont il fait les égaux des dieUx, soient assurés d'une survivance. Ils
s'éteignent comme les autres mortels ; pour eux aussi il n'est d'autre durée
qu'une persistance inconsciente dans le sein du grand Tout ".
Le prince vieillissant était obsédé par la pensée de la mort. Il invoque si
souvent les raisons qui doivent nous empêcher d'en éprouver quelque effroi,
que par là même il trahit l'appréhension secrète que l'approche de sa fin
inspire à son âme sensible : cette nécessité, note-t-il, nous est imposée par
la nature, dont le cours est réglé par la Raison divine, et il serait impie de ne
pas s'y soumettre docilement. En nous y conformant, nous atteindrons le terme
de nos jours favorablement disposés « comme si l'olive mûre, en tombant
bénissait la terre qui l'a portée et rendait grâces à l'arbre qui l'a produite » '.
« De même qu'aujourd'hui tu attends le moment où le foetus qu'elle porte
sortira du ventre de ta femme, ainsi faut-il accueillir l'heure où ta petite âme
se dégagera de soii fourreau » ■'. Le terme de notre brève existence est un
indident infinitésimal dans le déroulement des phénomènes de l'univers. Tout
ce qui se produit se répète et se ressemble ; et le nombre des années que dure
un spectacle toujours pareil importe peu, puisque le moment présent, le seul
qui nous appartienne et que nous puissions perdre, nous révèle à la fois le
passé et l'avenir ^ D'ailleurs l'expérience de la vie doit nous engager à aban-
1. Pensées, IV, 5 ; IV, 32, 3 , VIII, i8 et passim.
2. Pensées, VII, 23.
3. Pensées, X, 7 ; cf. V, 13.
4. Pensées, X, 31 5 XII, 32.
5. Pensées, XII, 5.
6. Pensées, IV, 48, 4.
7. Pensées, IX, 3, 4. Cf. infra, N. C, VI.
8. Pensées, II, 14 j VII, 49.
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 119
donner sans regret la société décevante et corrompue de nos semblables ' .
Bien plus, le repos définitif où sont abolis les impressions des sens, les impul-
sions de l'instinct, les divagations de la pensée, le service de la chair, est, non
point nuisible, mais profitable *. Au déclin de ses jours, le vieillard multiplie
ainsi les considérations propres à faire accepter le trépas sans révolte et san^i
faiblesse. Mais sa morale purement terrestre ne lui représente jamais la néces-
sité d'Une rétribution posthume, de récompenses et de châtiments d'outre-tombe.
Il n'exprime nulle part, comme Platon ou comme Sénèque, l'espoir qu'il puisse
retrouver dans l'au-delà ceux qui ont vécu pieusement et s'entretenir dans
un monde lumineux avec les sages d'autrefois. Son horizon, comme 'celui de
son maître Épictète, est limité à cette vie, où la vertu/ trouve en elle-même
sa raison d'être. Peut-être Marc Aurèle a-t-ll été conduit à nier avec plus de
rigueur toute immortalité par son opposition aux chrétiens, qu'il a persécutés, et
dont, dans les Pensées mêmes, il condamne l'obstination, trop théâtrale à
son gré'.
D'où vient que les successeurs de Zenon, dont nous venons de rappeler les
variations, aient été aussi hésitants sur un point dont, après seize siècles de
christianisme en Gaule, nous paraît dépendre toute la conception de la vie
humaine ? Sans doute les penseurs de la Grèce classique n'ont-ils jamais subor-
donné cette vie à une autre existence : elle reste toujours pour eux l'objet
essentiel de leurs préoccupations, et le sort de l'âme après la mort n'est, pour
leur sagesse terrestre, qu'une question accessoire. Mais pour le PortijQt^e surtout,
les théories eschatologiques n'avaient qu'une valeur secondaire et leur variabi-
lité n'atteignait pas l'essentiel du système. Le vrai stoïcisme place en ce monde
la réalisation de son idéal. Le but de notre passage ici-bas n'est pas, pour lui,
la préparation à la mort, mais la conquête de la veirtu parfaite. Celle-ci, nous
l'avons dit, en affranchissant des passions celui qui l'a atteinte, lui donne
l'indépendance et la félicité. L'homme peut parvenir par lui-même à une béa-
titude complète qui ne dépend pas des limites assignées à sa durée. Le sage,
être heureux, est un dieu sur la terre, et le ciel ne peut lui réserver davantage *.
1. Pensées, IX, 3, 5, etc.
2. Pensées, VI, 28.
3. Pensées, XI, 3, a; cf. Festugière, La Sainteté, Paris, 1942, p. 68.
4. L'idée d'xm sage supérieur à rhumanité est commtxtie à toutes les écoles, et elle a
été fortement affirmée par les Cyniques. Mais l'orgueil stoïcien est allé dans cette voie
plus loin qu'aucune autre philosophie grecque, car non seulamcnt il affirme que le sage,
à l'immortalité près, est semblable à Dieu (Sénèque, De const. sa-pientis, VIII, 2), mais il
va jusqu'à soutenir qu'il lui est à certains égards supérieur {Efist., LUI, 11, cf . XCII,
120 LUX PERPETUA
Aussi pour ces philosophes la réponse à la question : Qu'advient-il de nous
après la mort ? ne dépend pas autant que pour les modernes de préoccupations
éthiques. Elle est plutôt une conséquence qu'on tirait de théories physiques
ou psychologiques.
Or si ces théories admettent des solutions diverses du problème de l'immor-
talité, elles s'opposent absolument à la foi en l'existence d'un Hadès souterrain.
Fondées sur les propriétés des quatre éléments, elles sont incompatibles avec
la croyance traditionnelle ; car suivant la cosmologie du Portique, lorsqu'après
chaque destruction de l'univers, celui-ci se reconstitue, la terre, qui est des quatre
éléments le plut lourd, se précipite au centre du monde et s'y agglomère en
sphère; sur celle-ci s'étalent les eaux, dont la densité est moindre et qui rendent
humide une portion de l'air qui les entoure ; enfin au-dessus de l'air s'incurve
le cercle brûlant de l'éther. Il s'ensuit que la terre doit former une masse!
solide et pleine, non un globe creux, capable de recevoir dans un hypogée
immense, la foulei Innombrable des morts ^ En outre, s'il est impossible de
supposer, comme lei voulait la mythologie, que certains héros ont été trans-
portés au ciel corps et âme, — car le corps formé de terre ne peut s'élever dans
l'éther, — inversement les âmes, souffles ardents formés d'air et de feu, ont une
tendance naturelle à s'élever et ne peuvent se porter vers le bas pour s'enfoncer
dans les entrailles du sol^. Même s'i elles sont alourdies par leur contact avec
la matière, elles flottent dans la partie inférieure de l'atmosphère^. Ainsi
toutes les notions vulgaires sur les Enfers paraissaient anti-scientifiques, et elles
étaient condamnées même par les stoïciens éclectiques qui avaient adopté la
doctrine pythagoricienne d'une immortalité prolongée à jamais. Sextus Empi-
ricus* nous a conservé un extrait curieux de la polémique de Posidonius contre
les fables du Tartare. Titye, selon Homère, est perpétuellement rongé par deux
vautours. Mais s'il est sans âme, celle-ci étant le siège des sensations, comment
peut-il souffrir ? Et pour Tantale, privé de boisson et de nourriture, com-
ment, s'il est mortel, ne périt-il pas faute d'aliments ? et s'il est immortel,
comment peut-il être torturé ? car un être immortel serait par sa nature même
soustrait à la souffrance. ,
3, 27, 30 ; LXXIII, 12-14). Même prétention dans l'hermétisme, Poimandrès, X, 24 (Ij
p. 125 et note 87 Nock-Festugiène) ; et encore chez maître Eckhart, trad. Gandillac,
pp. 248-258 ; trad. Petit, pp. 138-139.
1. Servius, En., VI, 127 ; cf. Pline, H. N., Il, 63, 158 ; cf. infra, ch. IV.
2. Sextus Emp., VI, 69 ; Cic, Vuse., 1, 17, 40 ; cf. Symbol.) p. 124.
3. Cf. infra, ch. IV.
4. Scxlus Emp., VI, 60.
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 121
Ainsi leur psychologie, comme leur cosmologie, obligeait tous les Stoïciens
sans exception à rejeter la mythologie infernale. Cependant certains d'entre eux
la mentionnent, mais conformément à leur habitude, ils usent des termes
religieux en leur prêtant un sens allégorique : la descente dans l'Hadès n'est
pour eux que le décès, le transfert de l'âme dans un nouveau milieu : c'est
ainsi qu'Épictète, qui emploie cette expression', déclare nettement dans un
autre passage : « Il n'y a point d'Hadès, point d'Achéron, point de Cocyte
et de Pyriphlégéton, mais tout est plein de dieux et de démons » ^, ces dieux
et ces démons eux-mêmes n'étant d'ailleurs pour le philosophe que des person-
nifications des forces de la nature ^. Si l'on parle des fleuves infernaux, on
pourra les interpréter comme étant les éléments, et les transporter dans les
zones supérieures du monde *. Mais ce système d'exégèse symbolique aboutissait
par un détom* au même résultat qu'une négation directe : il abolissait en
réalité les traditions dont il ne sauvegardait que l'apparence, et s'il en pro-
longeait l'existence verbale, c'était en les vidant de leur substance.
La véritable doctrine stoïcienne est donc que les âmes, lorsqu'elles quittent
le corps, subsistent dans l'atmosphère un temps plus ou moins long, mais
qu'après un certain délai elles se dissolvent dans l'air et le feu cosmique,
comme le font aussi, dans les éléments dont ils sont formés, la chair et les
os du cadavre.
Et cette pensée, comme le nihilisme épicurien, se manifeste fréquemment
dans les épitaphes, et montre comment les idées stoïciennes s'étaient vulga-
risées et répandues dans les masses : Ainsi sur une pierre tombale de
Mésie, après avoir constaté mélancoliquement que chez les morts il n'y. a ni
amour, ni amitié, et que sa dépouille gît comme une pierre enfouie dans le
sol, le défunt ajoute : « j'étais auparavant composé de terre, d'eau et de
souffle aérien (uveO{xa); mais j'ai péri et je repose ici ayant tout rendu au
Tout. C'est le sort de chacun. Mais quoi ! D'où mon corps est venu, là il
est retourné lorsqu'il s'est dissous*. » Parfois on insiste davantage sur l'idée
que ce souffle cosmique, qui recueille le nôtre, est la divinité qui remplit et
gouverne l'univers : « l'esprit sacré que tu portais s'est échappé de ton corps ;
ce corps reste ici semblable à la terre ; l'esprit suit le ciel qui tourne, l'esprit
1. Epictète, Diatr., 11,6, 18 ; cf. III, 26,4: KâGoSo.;.
2. Epict., Diatr., III, 3, 15.
3. Bonhôffer, Efict. [sufra, p. 115, n. 4], p. 65.
4. Symbol., p. 125, n, 5 et 6.
5- Arch. €pig. Mitt. aus Oesterr., VI, 1882, p. 30 (Tomi).
122 LUX PERPETUA
ment toutes choses, l'esprit n'est autre que Dieu^, Ailleurs on lit cette brève
formule qui résume la même idée^ : « Les cendres ont mon corps, l'air sacré
a enlevé mon âme. » Très caractéristique est cette inscription d'un tombeau
romain : « Me voici morte et je suis cendre ; cette cendre esjt terre ; si la
Terre est une déesse, moi aussi je suis déesse, et ne suis pas morte ^ » . Un lieu
commun, souvent répété, veut que la vie soit un prêt que noua recevons de la
nature et que nous lui restituons au décès * : par là même qu'elle nous a fait
naître elle nous condamne au trépas^. C'est une dette que nous acquittons
envers elle en rendant à chacun des éléments ce qui lui est dû^
Ces vers expriment, sous des formes diverses, la même grande pensée : la
mort est la disparition dans le sein de la nature divine. Ce n'est pas la con-
servation d'une personnalité éphémère qu'il nous faut espérer. Énergie fugace,
détachée du Tout, notre âme doit y rentrer comme notre corps ; tous deux
sont absorbés par Dieu. Le souffle de feu de notre intelligence, comme la
matière et les humeurs de nos organes, sont recueillis dans le réservoir iné-
puisable quj, les a produits, de même que le seront un jour la terre et les
cieux. Tout doit s'abîmer dans le même ensemble^ se perdre dans le
même oubli. Lorsqu'il atteint le terme fatal^ l'homme s'évanouit dans la
puissance unique qui forme et régit l'univers^ comme s'y éteindront les
astres fatigués quand leurs millénaires seront révolus. La résistance à cette
loi suprême est vaine et douloureuse, la révolte contre l'ordre irrésistible
des choses est impie. La grande vertu qu'enseigne le stoïcisme est Ja sou-
mission au Destin qui conduit le monde, l'acceptation joyeuse de l'iné-
luctable, selon les arrêts irrévocables de la Raison divine. Sous mille formes
la littérature philosophique et les épitaphes ressassent le précepte que,
ne pouvant nous opposer au sort omnipotent, il nous faut supporter ce maître,
parfois rigoureux, sans larmes et sans récriminations. Le sage qui détruit en
lui le désir de toutes les contingences jouit d'un calme divin^ même sur cette
I. CIL, XIII, 8371, à Cologne.
z. CIL, ni, 6384 (Salone) : « Corpus habent cineres, animam sacer abstùlit aer. »
3. Dessau, 8168 = C. E., 1353 (cf. 974) : « Mortua heic ego sum, et sum cinis ; is
cinis terra'st, / seive est Terra dea, ego sum dea, mortua non sum. »
4. Sénèque, Rem. fort., II, 4 ; Epict., Diatr., i, i, 32 ; Vettius Valens, p. 330, 33?
Kroll ; cf. Rohde, Psyché, II*, p. 394 (= tr. fr., p. 586, n. 5).
5._C. E. 1567 : « Mors hominum natura, non poena est. Cui contigit nasci, instat et
mori ». Rapprochements avec Sénèque : Hosius, Rhein. Mus,, 1892, XLVII, p. 463.
6 Epitaphes grecques citées, Inscr. du Pont, 143 (p. 154). En latin, C. E., 183 ; CIL,
VIII, 16410 : « Tam subito debitum naturae cum redderet » ; t^hes. l. L„ s. v. «De-
bitum », p. 106, ai s. ; Brehlich, p. 40, p. 83 ; Lattimore, p. 170 ss.
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 123
terre,, au milieu des tribulations ; mais ceux que poussent et que tiraillent les
vicissitudes de la vie, qui se laissent séduire et affliger par des illusions,
obtiendront la rémission du trouble qui les agite lorsqu'ils atteindront le
havre tranquille de la mort. Un distique souvent reproduit sur les tombeaux
en grec et en latin exprime cette pensée « Je me suis sauvé, échappé. Espé-
rance et Fortune, adieu : plus rien entre vous et moi, jouez-vous des autres » 1,
Le déterminisme stoïcien est en liaison étroite avec celui de l'astrologie,
qui; originaire de Babylonie et transplantée en Egypte, répandit depuis le li^
siècle avant notre ère dans le monde gréco-romain sa conception mécanique
et fataliste do l'univers. Suivant cette pseudo-science, les phénomènes phy-
siques, comme le caractère et les actes des hommes, dépendaient absolument
des révolutions des corps célestes ^. Ainsi toutes les forces de la nature et
l'énergie même de l'intelligence agissaient suivant une nécessité inflexible.
Dès lors le culte devenait sans objet et la prière sans effet. De fait l'on vit
cette divination sidérale, qui avait grandi dans les temples de l'Orient,
aboutir en Grèce chez certains de ses tenants à une négation du fondement
même de la religion. Il est remarquable que dans les écrits qui nous en sont
conservés il ne soit jamais question de l'immortalité de l'âme. Lorsqu'on y.
parle de ce qui vient après la mort, il ne s'agit pljus que des funérailles ou
de la gloire posthume ^ On n'y voit jamais qu'on promette au malheureux
que l'adversité infligée par les étoiles hostiles, accable de traverses et d'infir-
mités, une consolation ou une compensation dans l'au-delà. L'astrologie scien-
tifique des Grecs limite son horizon à cette vie, bien que dans son vocabulaire
subsiste des traces de la croyance à l'Hadès*, et que dans les mystères elle
ait inspire certaines théories eschato logiques ^. En faisant ainsi abstraction de
toute immortalité, elle se conforme à la tendance qui dominait dans le Por-
tique au moment où elle se répandit.
1. C. E., 1498 = CIL, VI, 11743 : « Evasi, effugi, spes et fortuna vakte /, nil mihi
vobiscum, ludificate alios » ; et. C. E., 434 = CIL, XI, 6485 ; C. E., 409 = CIL, IX, 47,
56 ; C. E., 185 = CIL, I, loio : « Fortuna spondet multa multis, praestat nemini».En
grec, Anthol. Pal., IX, 49, 134, 172. Cf. Roscher, Lexikon, s. v. "EXttk;, col. 2455, 20.
L'origine stoïcienne (et non épicurienne) est prouvée par l'épitaphe de Sénèque (Riese,
Anthol. lat., 667) et surtout par Vettius Valens, p. 219, 26 ss. Kroll. Cf. Lattimore,
p. 156.
2. Bouché-Leclercq, Astrologie grecque, 1899, p. 28 ss. Cf, infra, ch. VII, début.
3. Egypte des astral., p. 202 ss.
/{..Symbol., p. 38 s.
5. Cf. infra, ch. V.
124 LUX PERPETUA
II. — La négation d'Épicure.
Si le stoïcisme au cours de son histoire s'est montré hésitant et souvent
réticent devant le mystère de la mort, l'autre grand système qui partagea sa
domination sur l'esprit des Romains, l'épicurisme, fut l'adversaire passionné
de la foi en l'immortalité comme des autres croyances religieuses ^ . Mais si
les deux écoles aboutissent à peu près à la même négation, elles y sont par-
venues par des voies différentes, et en tirent des conséquences morales oppo-
sées, l'une exaltant l'action conforme à la vertu, l'autre recommandant la
quiétude d'une retraite cachée^.
Épicure fui conduit à nier toute survivance par les principes mêmes de
l'atomisme qu'il emprunta à Démocrite^. L'âme, pour lui, n'était point une, elle
ne constituait pas une entité indivisible : elle était un assemblage d'atomes. Ces
atomes, formés d'air et de feu, étaient d'une subtilité et d'une mobilité
extrêmes, puisque rien n'égale la vivacité de l'âme. Celle-ci, répandue dans
tout le corps, était à la fois l'énergie vitale qui entretient notre organispae,
et le principe de l'intelligence et de la volonté. Elle naissait avec le corps
au moment de la procréation. Faible tant que celui-ci était frêle, elle gran-
dissait et se fortifiait avec lui ; mais elle souffrait aussi en même temps que
lui de toutes les maladies et ressentait tous ses maux. Puis elle vieillissait et
dépérissait comme lui, et puisqu'elle arrivait simultanément à la décrépitude,
elle devait aussi nécessairement périr lorsqu'il mourait. Dès qu'elle n'était
plus retenue et maintenue dans son enveloppe corporelle, elle se dissociait ;
la liaison transitoire des atomes qui l'avaient produite était à jamais abolie.
Le souffle vital que le moribond expirait, battu par les vents, se dissolvait
dans l'air, disait Épicure, comme un brouillard ou une fumée, avant même
que le corps fût décomposé *. C'était là d'ailleurs une conception, si ancienne
1. Zeller, Phil. Gr., III, i, p. 420 ss. ; Guyau, La morale d'Epicure, 3» éd. (1886),
p. 103 ss. ; C. Martha, Le poème de Lucrèce, 3e éd., pp. 113-172; IJseaer, Epicurea, 1887.
2. Cf. Festugière, Epicure, 1946, p. x ss.
3. Cf. supra, p. iio j Rohde, tr. fr., p. 534 ss. Sur la physiologie d'Épicure, la nature
de l'âme et la peur de la mort, cf. Constantin Vicol, Cicérone e l'epicureismo dans Ephe-
meris Daco-Romana, 1945, p. 215 ss.
4. Symbol., p. 121, n. i ; Fnedlânder, Sitteng., IV s, p. 3665 Cf. C. E., 59p.
CHAPITRE II, — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE I25
qu'Homère avait déjà usé d'une comparaison semblable ; et l'idée que la vio-
lence du vent peut agir sur les âmes désincarnées comme une force destruc-
trice, était déjà familière aux enfants d'Athènes du temps de Platon'. Mais
si l'âme se résout ainsi, aussitôt après la mort, en ses principes élémentaires,
comment des fantômes peuvent-ils venir nous effrayer durant les veilles, ou
des êtres aimés nous visiter dans nos rêves. Ces simulacres (siocoXa) ne sont
pour Épicure que des émanations de particules d'une ténuité extrême que
les corps émettent constamment, et qui conservent quelcjues temps leur forme
et apparence ; ces particules, comme la couleur et le parfum, agissent sur nos
sens et éveillent en nous l'image d'un être évanoui'. Toutefois les atomes
dont l'âme était composée sont indestructibles. Impérissables, ils permettront
à la nature de domier naissance à de nouveaux êtres, peut-être semblables aux
précédents ; mais aucune conscience de leur liaison ne réunira l'ancien homme
au nouveau, si celui-ci voit le jour.
Nous sommes donc voués à l'anéantissement ; mais ce n'est point là un sort
à redouter. La mort qui passe pour le plus horrible des maux, n'en est point
un en réalité, puisque la destruction de notre organisme abolit en lui toute
sensibilité*. Le temps où nous n'existons plus n'est pas plus pénible pour nous
que celui où nous n'étions pas encore^. De même que Platon avait conclu
d'une préexistence supposée de l'âme à sa persistance après le décès, Épicure
tirait de notre ignorance d'une vie antérieure une conclusion opposée ; et cette
conviction que nous périssons tout entiers pouvait seule, suivant lui, assurer
notre tranquillité intérieure en nous délivrant de la crainte des tourments
éternels*.
Il n'est pas de doctrine du maître sur laquelle ses disciples insistent avec
plus de complaisance ; ils le louent d'avoir affranchi l'homme des terreurs
de l'au-delà, ils le remercient de leur avoir appris à ne pas redouter le trépas ;
sa philosophie leur apparaît comme la libératrice des âmes^. Lucrèce dans
son II le Livre, dont les philosophes du XVlIie siècle se plaisaient à célébrer
les mérites, prétend avec une sorte d'exaltation bannir des cœurs « cette
1. Homère, //., W, loo; Platon, Phédon, 70 A ; 77 D; 80 E 5 84 B; cf. Symbol.,
iio ', supra, ch. I.
2. Sur les eïdôla, ou simulacra, cf. Lucrèce, liv. IV, 34 ss., avec les oommeintaires.
3. Usener, Epicurea, 60 ; 61 ; 71, 8.
4. Lucrèce, III, 830 ss. avec les notes de Heinze et d'Ernout-Robin.
5- Fragm. 30, 8 ss., p. 73, XI, Usener; Lucrèce, III, 37 ss.
6. Martha, op. cit. [p. 124, n. i], p. loa ss.
126 ^UX PERPETUA
crainte de l'Achéron qui trouble jusqu'au fond la vie humaine ^ ». Le sage
voit se dissiper toutes les fictions cruelles dont la Fable a peuplé le royaume
des épouvantements, et il trouve un calme bienheureux, l'ataraxie parfaite,
lorsqu'il s'est débarrassé de cette appréhension de la mort qui hante le vul-
gaire, répand sur toutes choses un voile lugubre et ne laisse aucune jouissance
sans mélange. Quelques réserves qu'on puisse exprimer sur l'ensemble des
conceptions d'Êpicure, il a certainement rendu un service éminent en déli-
vrant les esprits des terreurs chimériques de la mythologie du Tartare, comme
de l'illusion que le corps continuait à être sujet aux besoins et à la souffrance
dans la nuit du tombeau.
Cette doctrine, que Lucrèce avait prêchée avec l'enthousiasme d'un néophyte
conquis à ha vraie foi, eut à Rome un vaste retentissement 2. Nombreux étaient
dans l'entourage de Cicéron ses adeptes, parmi lesquels Cassius, le meurtrier
de César. Salluste n'hésite pas à mettre dans la bouche de César lui-même,
parlant en plein Sénat, l'affirmation que la mort, repos des tourments, dis-
sipe les maux des hommes et qu'au delà il n'y a plus ni Joie, ni souci s. Les
hommes de science surtout sont portés vers ces théories : Pline l'Ancien,
dans un passage célèbre, après avoir déclaré catégoriquement que l'âme et
le corps n'ont pas plus de sensations après le décès qu'avant le jour de leur
naissance, termine par une apostrophe véhémente : « Malheureux, quelle
folie est la vôtre de renouveler la vie dans la mort 1 Où les créatures trou-
veront-elles jamais le repos, si le sentiment reste aux âmes dans le ciel, aux
ombres dans les enfers ? Cette crédulité complaisante nous fait perdre le
plus grand bien de notre nature, la mort, et redouble les douleurs de la der-
nière heure par l'appréhension de ce qui suivra. Si vraiment il est doux d©
vivre, pour qui peut-il l'être d'avoir vécu ? Combien plus aisée et plus cer-
taine est la croyance que chacun peut tirer de sa propre expérience, lorsqu'il
se représente sa tranquillité future d'après celle qui précéda sa naissance ».
Dans une de ses tragédies, œuvre de jeunesse, Sénèque fait déclamer par
le chœur des Troyennes une longue profession de foi du plus pur épicurisme.
1. Lucrèce, III, 38 ss. « Et metus ille foras praeceps Acheruntis agendus / funditus
humanam qui vitam turbat ab imo. »
2. Epicuriens à Rome : Zeller, /. c, p. 37a ss. ; Friedlânder, Sittengeschichte, IV ^
p. 366.
3. Sali., Catîl., 51, 20 ; 52, 13. Cf. les nombreuses épitaphes Perpûtuad Securitati ■
Dessau, Index, p. 945.
4. Pline, H. N., VII, s^, iço.
5. Sénèque, Vroad., 382 ss.
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 137
Au li<= siècle l'envahissemeiit du monde romain par les mystères et les super-
stitions de l'Orient, poussa les incrédules à exalter davantage Êpicure. Lucien,
proclame, presque avec les expressions de Lucrèce, le caractère vraiment sacré
et divin de celui qui, seul, a connu le beau avec le vrai, et l'a transmis aux
disciples dont il est devenu le libérateur 1. Partout les croyants le regardaient
comme un affreux blasphémateur. Le faux prophète Alexandre d'Abonotichos
recommandait à tous ceux qui voulaient obtenir des grâces divines de lapider
« les athées, les épicuriens et les chrétiens » et il les excluait de ses mystères *,
Il ordonna par un oracle de brûler les livres de celui qu'il appelait « l'aveugle
vieillard ». Lorsque le mysticisme et la théologie triomphèrent dans le monde
romain, l'épicurisme cessa d'exister. Il avait disparu au milieu du IV^ siècle.
Julien l'Apostat croit encore devoir interdire aux prêtres païens la lecture
d'Êpicure et de Pyrrhon le sceptique ; mais, ajoute-t-il, déjà un bienfait des
dieux a détruit leurs écrits, en sorte que la plupart font aujourd'hui défauC '.
Mais l'Ecole avant de s'éteindre avait durant plusieurs centaines d'années
conquis une multitude d'adhérents. Les textes abondent, qui prouvent combien
elle avait réussi à discréditer les fables- sur les Enfers imaginées par les poètes
et qui avaient longtemps obsédé l'imagination populaire. Cicéron * proclame
qu'aucune vieille folle ne croit plus aux demeures profondes de l'Orcus et
aux lugubres régions peuplées de morts livides. Personne n'est assez puéril,
répète Sénèque, pour redouter Cerbère et les Larves qui apparaissent sous la
forme de squelettes 5. Qu'il y ait des Mânes, dit Juvénal^, un royaume sou-
terrain, un passeur armé d'une perche, des grenouilles dans le gouffre du
Styx, et que tant de milliers de morts puissent passer l'onde noire dans
une seule barque, les enfants même ne le croient pas, Pline l'Ancien'' présente
cet argument paradoxal, que s'il y avait une cavité infernale, le zèle des
mineurSj qui ont creusé de profondes galeries dans la terre, aurait percé sesi
parois ; et même le dévot Plutarque *, lorsqu'il vient à parler des punitions
réservées par la mythologie aux méchants, ne voit en elles que des contes de
1. Lucien, Alex., 61 ; cf. 47.
2. Ibid., 38 ; cf. 44 et 47.
3. Julien, Ep., 89 (p, 141, 23, Bidez-Cumont).
4. Cic, Cw5c., I, ai, 48 ; cf, I, 6, 10 ; Nat. deor., Il, 2, 5.
5- Sénèque, Efist., 24, 18 ; cf. 82, 16. Cf. supra, ch. i, p. 83.
6. Juvénal, II, 149 ss. Cf. Pausanias, III, 25, 4.
7. Pline, H, N., II, 63, § 158. 1
8. Plutarque, Mon -posse suav. vîvi sec. Epie, 27, p. 1105. Cf. Pascal, I^, p. i6o s.
i28 LUX PERiPEltTA
nourrices, bons à effrayer les enfants. Il est caractéristique qu^en certains pas-
sages Cicéron et Sénèque raillent les Épicuriens de s'attaquer encore à des
chimères qui ne sont plus acceptées par personne et de répéter toujours la
même chanson contre des superstitions que chacun trouve ridicules ' .
Mais l'étendue de l'action exercée par Êpicure apparaît surtout si l'on
consulte les inscriptions funéraires*. La plus remarquable est un long texte
qui s'étendait sur la paroi d'un portique dans la petite ville d'Oenoanda, en
Lycie. Un bon bourgeois, nommé Diogène, qui paraît avoir vécu sous les
Antonins, était un partisan convaincu de la doctrine d'Épicure ; sentant appro-
cher sa fin, il voulut en graver sur le marbre un exposé pour l'édification
présente et future de ses concitoyens et des étrangers. Il ne manque pas d'y
montrer son mépris de la mort dont, il a, dit-il, appris à se moquer. « Je ne
me laisse pas effrayer par les Titye et les Tantale que certains représentent
dans l'Hadès ; je ne suis pas saisi d'horreur en songeant à la putréfaction de
mon corps... Quand la connexion de notre organisme est déliée, rien ne nous
touche plus. » Ce sont des idées que nous trouvons partout reproduites sous
des formes variées, car l'épicurisme ne trouva pas seulement des partisans
convaincus dans les cercles cultivés ; il se répandit dans les couches les plus
basses de la population, comme en témoignent éloquemment les épitaphes où
s'exprime l'incrédulité à la vie future \ Certains se contentent d'une courte
profession de foi « Nous sommes mortels, nous ne sommes pas immortels »,
ou <: toutes choses périssent avec la vie, et deviennent vaines » ^ Une maxime
est si souvent répétée qu'elle s'écrit parfois par de simples sigles : « Non
fui, fui, non sum, non euro. » « Je n'étais pas, je fus, je ne suis pas, peu
m'importe ». L'homme rentre dans le néant dont il est sorti ^. On a remarqué
que cette formule épigraphique était gravée surtout sur des tombes d'escla-
ves, qui n'avaient guère de motifs d'être attachés à la vie. Des gladiateurs
adoptent aussi cette sentence : aux misérables qui devaient dans l'arène faire
1. Cicéron, Vusc, I, 5, ii ; Sénèque, Efist., 24, 18.
2. Cf. Galletier, p. 13 ss.
3. Cousin, B.C. H., 1897, XVI, p. 2i6ss.;cf. Usener, Rhein. Mus.,N.F.,XLVn,ip.4'2i)
Diogenis Oenoand. fragm., éd. William, Teubner, 1907.
4. Friedlânder, Sitteng., III, p. 801 ss. ; cf. Lattimore, p. 84 ss., p. 209 ss.
5. CIL, XI, 856 = C. E., 191 ; cf. C. E., 420 : « Omnia cum vita pcreunt et inania
fiunt. »
6. Dessau, 8132 ss. Sur les variations du sens de cette formule, cf. Musée belge, 1928,
XXXII, p. 76 ss. 5 et Stèle d'Antibes, p. 32 s. — Louis Robert, Inscr. collection Frôhner,
79' 90-
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 129
preuve d'indifférence devant la mort, on enseignait que celle-ci marquait
l'abolition du sentiment et le terme de la douleur * .
Parfois la même pensée s'exprime d'une façon moins brutale et presque
touchante. Telle l'épitaphe d'un comédien en tournée, qui, après avoir débité
bien des tirades et pâti sur bien des chemins, exprime la conviction que la vie
est un emprunt comme l'est un rôle de théâtre. « Ma bouche ne profère plus
de sons, le bruit des applaudissements n'arriv-e plus à moi ; payant ma dette
à la nature, je m'en suis allé. Tout cela n'est que poussière » ^■.
Certains incrédules, plus bavards, éprouvent le besoin de développer leurs
négations^. « Il n'y a point de barque de l'Hadès, ni de nocher Charon, ni
d'Éaque comme portier, ni de chien Cerbère. Nous tous que la mort a fait
descendre dans la terre, nous devenons des os et de la cendre et rien de
plus. N'offre pas à ma stèle, lit-on ensuite, des parfums et des couronnes :
ce n'est qu'une pierre. N'allume pas de feu : la dépense est vaine. Si
tu as quelque chose à donner, que ce soit à moi vivant. En abreuvant ma
cendre, tu feras de la boue, et le mort ne boira pas. Moi aussi, je serai bientôt
ainsi, mais toi, répandant la terre sur mes restes, dis- toi que je suis redevenu tel
que j'étais quand je n'étais pas ». Cette dernière pensée est fréquemment
exprimée. Ainsi sur une tombe romaine on lit : Ntous ne sommes rien, et
nous fûmes. Vois, lecteur, combien, mortels, nous retournons vite du néant au
néant*. La vie est une courte veille entre l'inconscience de deux sommeils
infinis.
Parfois ces défunts adoptent un ton plaisant qui peut paraître macabre. Tel
un affranchi qui, jovial jusque dans la tombe, vante les agréments de sa nou-
velle condition : « Ce qui reste de l'homme, mes os, repose doucement ici,
je n'ai plus le souci de mourir soudain de faim, je suis exempt d'accès de
goutte, ma persormene sert plus de gage â mon loyer, et je jouis gratis d'une
hospitalité éternelle » ^•.
Souvent un épicurisme plus grossier recommande de profiter de notre pas-
sage ici- bas puisque le terme fatal prive à jamais de ces plaisirs, qui sont
I. Cf. Recueil inscr. du Pont, n° iio, (p. 135).
a. Ibid., n° 143 (p. 153).
3. Kaibel, Efigr., 646,
. ^- C- E., 1495 = CIL, VI, 26003 : « Nil sumus et fuimus. Mortales respice, lector, /
m nihil a nihilo quam cito recidimus » ; c£. Anthol. Gr., VÎI, 339. Cf. Berhlich, As-petti,
P- 59-
5. C. E., 1247 = CIL, VI, 7193. Cf. Lucien, De luctu, 17.
130 LUX PERPETUA
le souverrain bien : « Es, bibe, lude, vent », « Mange, bois, amuse-toi et viens
ici » est un conseil plusieurs fois répété i. Oii se souviendra de la maxime
que combat S. Paul dans la première aux Corinthiens : « Mangeons et buvons,
car demain nous mourrons » ^. Il n'est pas rare de trouver des variantes ins-
pirées par la fameuse épitaphe qui se serait vue sur le prétendu tombeau de
Sardanapale 3, et où s'exprimait la maxime : « Fais bonne chère, car tu
n'emporteras rien d'autre avec toi » ; ou bien : « ce que j'ai bu et mangé,
voilà tout ce qui est à moi » *. Un distique plusieurs fois reproduit dit : « Les
bains, le vdn et l'amour consument nos corps, mais ils font la vie, les bains,
la vie et l'amour^ » ; et un vétéran de l'armée fait graver sur sa tombe un
conseil tiré de son expérience : « Tant que je vécus, je bus volontiers : buvez,
vous qui vivez*'. »
L'exhortation à jouir d'une existence que la mort doit bientôt interrompre
est un thème traditionnel qui s'est prêté à de nombreuses variations dans la
poésie antique et moderne. L'épigraphie gréco-latine s'en est souvent inspirée'.
C'est en cette formule que se résiimait la sagesse de l'épicurisme vulgaire. Les
gobelets d'argent trouvés à Boscoreale, près de Pompei, et qui sont entrés
au Louvre *, nous montrent des philosophes et dies poètes au milieu de sque^
lettes, tandis que des inscriptions incitent à se hâter, durant la vie, de se
réjouir, car nu] n'est certain du lendemain. Épicure y figure allongeant la
main vers un gâteau posé sur une table, tandis qu'un petit cochon, placé
entre ses jambes, lève la patte et le groin vers cette friandise pour en prendre
sa part. Au-dessus on lit : Tb leXoç v^Sovy) « La fin suprême est le plaisir ».
Horace en recommandant de vivre au jour le jour, sans empoisonner l'heure
1. C. E., 1500. Cf. Brehlich, p. 50.
2. I Cor., 15, 32. Cf. Dôlger, IXBYS, V, p. 421 ss.
3. Anthol. Gr., Vil, 325 avec la note de l'éd. Budé, c£. Une pierre tombale erotique
(A. C, 1940, IX, p. I ss.).
4. C. E., 187 = CIL, IX, 2114 : « Quod comedi et ebiti, tantum meum est ».
5. C. E., 1499 == Dessau, 8157 : Balnea,vina, venus oorrumpunt corpora nostra, /sed
vitam faciunt balnea, vina, venus. Cf. Anthol., X, 112.
6. C. E., 243( : « Dum vixi, bibi libenter : bibite vos qui vivitis. » Cf. C. E., 245 =
CIL, II, 4137.
7. En grec : Lebas Waddington, 977; Ra.msa,Y,Citiesaindbisho-prîcs,ïï,p.2S6,n°2'i2,;
Louis Robert, R. Ph., 1943, XVII, p. 182. — En latin : Brehlich, Aspetti, p. 50 s. ; Gal-
letier, p. 80-82. Noter C. £.,.856 = CIL, VI, 17985 a (trouvée sous la basilique de Saint-
Pierre) ; « Amici qui legitis, moneo, miscete Lyaeum / et potate procul redimiti tem-
pera flore / et venereos coitus ne denegate puellis /cetera post obitum terra consumit
et ignis. » >
8. Héron de ViUefosse, Le trésor de Boscoreale {Monum. Piot, V), Paris, 1899.
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 13Ï
qui passe par les espérances ou les craintes de l'avenir, se représente plai-
samment comme un gros pourceau du troupeau d'Épicure^. C'est ainsi que le
vulgaire avait interprété les préceptes de celui qui en réalité prêchait la
modération et le renoncement pour parvenir au vrai bonheur, et qui flétrissait
ceux qui se^ jetaient dans les jouissances et se hâtaient de faire bonne chère,
en songeant aux privations dont ils souffriraient dans l'au-delà 2. Un épicu-
curisme dégénéré, érigeant en vertus la gourmandise et la volupté', put devenir
une règle de vie pour ceux que la bassesse de |eur âme yi prédisposait, comme
les jouissances équivoques de certains cultes restèrent pour des populations
grossières, encore proches du naturisme, la forme toute matérielle qu'elles
concevaient de la félicité présente et future^.
Sans doute, à côté de ces témoignages d'une incrédulité parfois ostenta-
toire, pourrait- on, dès la fin de la République, trouver certains indices d'un
renouvellemenl de la foi. Les mystères orientaux commençaient à enseigner
à Rome leurs doctrines de salut, et les premiers conventicules pythagoriciens,
nous le verrons (p. 151), y recrutaient des adhérents. Toute généralisation
absolue en une matière qui comporte tant de nuances, serait nécessairement
trompeuse. Mais l'on peut affirmer qu'à cette époque, la croyance en la v-ie future
était réduite à un minimum. La période rationaliste et scientifique de la pensée
grecque, qui commence avec Aristote et s'étend sur toute l'époque hellénistique,
se prolonge jusqu'au siècle d'Auguste. Le scepticisme ou l'indifférence des
Alexandrins, dont Rome est alors l'imitatrice, a gagné le monde latin. On
connaît l'épigramine railleuse de Callimaque ''j qui fut un érudit en même
temps qu'un poète : . « Charidas, que sont les choses d'en bas ? — Obscuriti^
profonde. — Remonte-t-on de là ? — Pur mensonge. — Et Pluton ? — Une
fable, — Alors nous sommes perdus. Voilà mon dire véridique ». Catulle
dira avec un accent plus amer ^ : « Le soleil peut se coucher et réapparaître,
mais nous, notre . brève lumière une fois éteinte, il nous faut dormir une
seule et même nuit éternelle. »
Si l'on feuillette le recueil des épigrammes funéraires de l'Anthologie
I- Horace, Epist., I, 4, i6.
2. Cf. Martha, op. cit. [p. 124, n. i], p. 14a.
3. Sénèque, De benef.^ IV, 2, i : « Apud Epicureos virtus voluptatum ministra est,
luis paret, illis deservit. »
4- Cf. înfra, ch. V (Mystères).
5 Callimaque, Epigr., 13 = Anthpl., VII, 524.
°- Catulle, V, .4 : « Soles occiderc et redire possunt / (Nobis, cum semel occidit brcvis
^^x /, nox est perpétua una dormienda. »
132 LUX PERPETUA
grecque, on sera frappé de la proportion minime d;'entre elles qui font allusion
aux récompenses ou aux joies d'outre-tombe. Il n'en est pour ainsi dire jamais
question à l'époque hellénistique. La plupart dte ces morceaux se bornent à
vanter les mérites inoubliables diu défunt, à exhaler les regrets que cause
sa perte, à se plaindre de la cruauté du destin inexorable imposé aux mortels.
Pour citer un exemple épigraphique, la longue épitaphe d'un mercenaire
Cretois décédé à Gaza se termine simplement par un rappel trivial du chemin
de l'Hadès commun à tous^. Lorsque par exception cet Hadès est mieux
défini, il est le gouffre sombre qui engloutit les générations humaines et d'où
nul ne remonte à la lumière. Les épitaphes latines versifiées, qui s''inspirent
de celles des Alexandrins, en partagent d'abord le triste pessimisme, et c'est
tardivement qu'on voit se multiplier peu à peu celles qui expriment des espé-
rances plus consolantes '^ Au siècle d'Auguste le scepticisme n'avait pas gagné
seulement les cercles des littérateurs et des philosophes ; dans une large por-
tion de la population la croyance religieuse à une rétribution dans T'au-delà
était ébranlée comme toutes les autres. Les vieux mythes sur la descente des
ombres vers les Champs-Elysées ou le Tartaré, nous l'avons dit, ne trouvaient
plus aucun crédit. Certains esprits spéculatifs qui cherchaient à les conserver,
n''y parvenaient qu'en les dénaturant par des allégories audacieus'es. L'idée
même d'une survivance consciente après la mort n'était plus généralement
regardée comme assurée ; ceux qui n'allaient pas jusqu'à une négation brutale
gardaient une prudente réserve.
Nous disposons, pour la période impériale, d'une documentation abondante
pour nous éclairer sur la foi des humbles, des petites gens. Si l'on parcourt
les vingt à trente mille inscriptions funéraires de la ville de Rome, qui rem-
plissent les gros volumes du Corpus, si l'on y consulte celles de l'Italie et
des provinces de l'Occident, on sera frappé du petit nombre d'épitaphes qui,
en dehors de la formule banale dis Manibus,, si dépourvue de signification
que des chrétiens mêmes ne se font pas scrupule de s'en servir, expriment
l'espérance d'une vie meilleure. On reçoit une impression toute contraire à
celle qu'on éprouve en visitant nos cimetières ou en lisant les recueils de
vieilles inscriptions chrétiennes. Sur l'immense majorité des tombeaux, la
survivance de l'âme n'est ni affirmée, ni niée : on n'en dit rien. Ou bien
les rédacteurs de ces textes mortuaires, comme d'ailleurs les auteurs contem-
1. S.E.G., VIII, 269 : "IxEO TTjV xocvYiv à-rpaTcôv et<; 'A'îSew
2. Cf. Galletier, oj». cit., W. KroU, Kultur der ciceronischen Zeit, II, p. 17 ss.
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 133
porains, tisent de phrases circonspectes, qui trahissent les hésitations de leur
esprit. Si les Mânes éprouvent encore quelque chose... S'il subsiste un senti-
ment après le trépas... S'il y. a une récompense sous la terre... Ces propo-
sitions dubitatives sont extrêmement fréquentes^.
La même indécision se trahit chez les écrivains qui, reprenant une alter-
native déjà présentée par le Platon de V Apologie'^, avant que ses idées eussent
évolué, et souvent reproduite après lui, répètent que la mort est une fin ou un
passage : Truors aut finis aut transitus^ . L'bn ne choisit pas entre les deux
termes du dilemme, mais on laisse la question ouverte. La vie future était géné-
ralement regardée comme une hypothèse métaphysique consolante, comme une
simple possibilité entrevue par certains penseurs, comme /une espérance reli-
gieuse, mais non comme im article de foi.
On se souviendra de la conclusion élevée qui termine l'éloge d'Agricola :
« Si, dit Tacite, il est un asile pour les mânes des hommes vertueux, si les
grandes âmes ne s'éteignent pas avec le corps, repose en paix ». Mais à côtfé
de cette hypothèse qu"il hasarde, l'historien exprime l'assurance qu'Agricola
recevra une autre récompense de ses mérites : tout ce que ses contemporains
ont aimé et admiré dans son caractère le fera vivre dans la mémoire des
lommes durant l'éternité des âges. On voit ici comment la perplexité, où
'on se débattait lorsqu'on, songeait à la survivance psychique, donnait aux
yeux des anciens une valeur plus grande à l'immortalité terrestre *. C'est
)our beaucoup d'entre eux le point essentiel, parce que, seul, il est certain.
Ne pas tomber dans Tabîme de l'oubli paraît une récompense suffisante des
lauts faits les plus glorieux. « La mort, dit Cicéron'', est redoutable pour
ceux dont la vie s'' éteint tout entière, non pour ceux dont le renom est impé-
nssable. » Que la commémoration de nos mérites ne cesse point quand sera
achevé le court délai de notre passage ici-bas, mais qu'elle se prolonge
autant que durera la suite des générations futures, voilà le désir profond qui
stimule la vertu' et incite à l'effort*. Dans le Pro Archia où il célèbre les
"^•C. B., 180, 1147, 1190, 1339, etc. Cf. Lattimore, p- 56 § 8 ; p. 59 § 9 j p. 320.
2. Platon, A-poL, 40 c, 41c; cf. Dieterich, Nekyia, p. 136.
3- Sénèque, Efist. 65, 24 ;Marc-Aurèle, III, 3, etc. 5 Martha, o-p. cit. [supra, p. 124,
• I]} p. 119.
4- Cf. Priedlânder, Sitteng., III, p. 326 ss. ; Lattimore, p. 242 ss.
^- Parad. Stoic, II, 18 : « Mors est terribilis iis quorum cum vita omnia extin-
bUntur, non iis quor^im laus emori non potest. » Cf. Symbol., p. 254.
^- Cic, Pro Rabirio, X, 29 ; De senect., XXIII, 82.
134 . LUX PERPETUA
bienfaits que produit l'amour de la gloire, Cicéron*, qui n'en était point
exempt, remarque finement que même les philosophes qui prétendent en
démontrer la vanité, ont soin de placer leur nom en tête de leurs livres, et
montrent ainsi le prix qu'ils attachent à ce dont ils prêchent le mépris. Plus
encore qu'aujourd'hui l'espérance d'une notoriété durable, le souci de continuer
à occuper de soi ses semblables après soti décès, la préoccupation d'être jugé
favorablement par l'opinion publique, même posthume, était pour beaucoup
de gens une hantise secrète ou! avouée, qui dominait leur pensée, dirigeait
leurs action? 2. Même ceux qui n'avaient joué qu'un rôle modeste dans le
monde, et ne s'étaient fait connaître que d'im cercle restreint, cherchaient à
rendre leur souvenir inoubliable en se construisant le long des grandes routes
de solides tombeaux» dont l'inscription perpétuierait leur nom. Les épitaphes
commencent souvent' par la formule « Memoriae aeternae », à la Mémoire
éternelle, et nous en avons hérité, bien quje l'idée qu'elle représente n'ait plus
pour la plupart de nous qu'une valeur très relative. Elle se rattache dans
l'antiquité à cette vieille croyance d'uttie communion de sentiments et d'un
échange de services entre le mort et ses descendants, qui célèbrent le culte
funéraire. Lorsqu'on cessa de croire fermement que le défunt pût sentir et
agir, les offrandes furent faites dans une autre intention : on aima à penser
que celui qui s'en était allé, ne périssait pas tout entier tant que son souvenir
subsistait dans le cœur de ceux qui l'avaient chéri et dans l'esprit de ceux
qui apprenaient à louer ses bienfaits ; il ressuscitait pour ainsi dire dans
l'image que se faisaient de lui les descendants des amis qui l'avaient connu
et des admirateurs qu'il avait conquis. Êpicure lui-même disposa dans son
testament que le jour de sa naissance serait commémoré chaque mois ; et ses
disciples célébraient encore cette fête mensuelle sous l'Empire. La joie qui
régnait dans les banquets de ces disciples, qui étaient tous des amis, devait
se renouveler périodiquement après sa mort, lorsque leurs successeurs se réuni-
raient pour festoyer en mémoire de lui 3.
Mais à mesure que la science amplifia les dimensions reconnues au cosmos,
elle rapetissa par comparaison l'importance qu'on pouvait attribuer à la terre
1. Vro Archîa, II, 26; cf. "Cusc, I, 15, 34; et Platon, Banquet, 208 c-e. Cf. Pascal,
Pensées, Brunschvicg, fr. 150 ; « Ceux qui écrivent contre (la gloire) veulent avoir w
gloire d'avoir bien écrit. »
2. « On ne s'avoue pas toujours le désir vague de faire parler de soi, quand on "^
sera plus, mais il est toujours au fond die; notre cœur. » M'«e du Chatelet, citée p^f
Bellessort, Essai sur Voltaire, 1925, p. 127.
3. Diog. Laert., X, 16 = fragm. 217, Usener ; Pline, N. H., XXXV, 5 ; cf. F^^'
tugière, E-pîcure, p. 31 ss.
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHîOUE 13S
dans l'ensemble de l'iuiivers, et les philosophes en tirèrent argument pour
avilir la valeur qu'on pouvait attacher à une survivance dans la mémoire des
hommes sur notre globe minuscule. A cette immortalité si restreinte, si vide
de sens, si promptement abolie, ils opposèrent celle des âmes qui, se mouvant
dans les espaces infinis des cieux, participaient à la vie divine des astres,
auxquels elles étaient égalées * .
Nous sommes ramenés par ce biais à la qtiestion essentielle qui s'impose
à notre esprit lorsque nous étudions l'évolution des idées religieuses sous:
l'Empire. Pourquoi la société païenne, j'entend ses classes cultivées, a-t-elle
passé du scepticisme à la foi en l'immortalité personnelle. Une grande évo-
lution morale comme ce renouveau du spiritualisme a toujours des causes
multiples dont souvent on a peine à démêler la complexité. Mais le phéno-
mène historique qui nous occupe a été dû, avant tout, à un. motif intellectuel,
le déclin du rationalisme ^, l'abandon de cette attitude mentale que la Grèce
ancienne, créatrice de la science profane, avait adoptée et imposée au monde :
une recherche de la connaissance indépendante de 'toute théologie et pour-
suivie par un amour désintéressé du vrai. Depuis le i^r siècle avant notre ère
le progrès scientifique s'arrête dans le monde ancien, et cette stase est le
prélude d'une régression qui se précipite à mesure que s'accentue la décadence
de l'Empire.
On a voulu y voir une conséquence de la nature même de l'esprit romain,
essentiellement pratique et peu enclin à des spéculations dont n'apparaissait
pas l'utilité immédiate. Mais le facteur décisif qui produisit cet abaissement
des études, fui .certainement l'e genre d'instruction que recevait la jeunesse,
cette culture oratoire qu'à l'imitation de la Grèce hellénistique, Rome fit
prédominer dans l'éducation depuis l'époque de Cicéron jusqu'à celle de saint
Augustin 3 et à laquelle furent subordonnées toutes les autres disciplines, même
la philosophie. Or la rhétorique enseignée dans les écoles se souciait peu de
faire éclater la vérité, elle se contentait de son apparence : la vraisemblance.
Elle apprenait à soutenir avec un égal talent des thèses opposées * et plus
1. Vanité de la gloire humaine dans l'imniiensité de l'espace et du temps : Cïc, Somn.
Scip., 6 ; cf. Boyahcé, Et. sur le songe de Se, 1936, p. 147 ss. ; Symbol., p. 255, n, i.
— Cf. Sénèque, Efist., 102 ; Marc-Aurèle, IV, 19, 33 ; VIII, 44.
2. Festugière, Hermès I, p. i ss., et Rev. et. grecques, 1943, p. 368 ss.
3. Priedlànder, Sittengesch., III, p. 260 ; Marrou, Saint Augustin et la fin de la cul-
ture antique, 1938, p. 113.
4. Pour et contre l'immortalité : Quintilien, Declam., X, ii5-i7 et Ps, -Clément, Reco-
Piit., I, 3. . . ; .
i3é LUX PERPETUA
une proposition était paradoxale, pltis celui qui la défendait pouvait faire
montre de sa virtuosité 2. De là une prédilection pour des sujets absurdes,
qui faussaient l'esprit en y oblitérant le sens du réel, et qui n'étaient choisis
qu'en raison de la difficulté de les traiter 1.
Les disciples des rhéteurs ne se croyaient pas obligés d'approfondir les
connaissances transmises par les générations passées, de faire un tri entre les
théories vraies ou fausses des érudits d'autrefois. Ils se contentaient d'acquérir
une teinture superficielle des disciplines qui pouvaient servir à l'art oratoire
et leur permettraient de prononcer devant des juges un plaidoyer émouvant,
ou de débiter un discours d'apparat applaudi par un auditoire mondain de
dilettantes. A l'ère des découvertes succède ainsi celle de la vulgarisation,
aux œuvres originales se substituent les compilations. Après les sommes
exposant l'ensemble des faits admis par les diverses branches d'une science
qui ne se renouvelle plus, viennent les manuels ; puis les résumés de manuels.
Mais si l'éducation, sacrifiant le fond à la forme, favorise l'éloquence aux
dépens de l'érudition, si la sonorité de la parole tient lieu de réflexion,
si entre des thèses contradictoires le jugement ne choisit pas, cette abdication
de l'entendement a pour conséquence inévitable un scepticisme qui se défie
de tous les systèmes, et regarde comme inconcluantes les controverses des
sectes rivales. Dès lors les âmes inquiètes, qui sont en quête d'une certitude,
chercheront à l'obtenir, non par une application patiente d'e l'esprit critique,
mais par une inspiration surnaturelle ou une communication divine. La déca-
dence de la recherche scientifique a pour corollaire une exaltation ou, pour
mieux dire, « une perversion de la piété » 2. Et comme l'opinion se répand
de plus en plus que les sages de l'Egypte ou de la Perse, de la Chaldée ou
de l'Inde ont, à l'aube de la civilisation, reçu du ciel une révélation qu'ils ont
transmise aux Hellènes ^, on demandera aux théologiens de ces pays reculés,
siège de la culture primitive, la connaissance de dogmes irréfragables et une
règle inébranlable de vie morale. Or tous les mystères orientaux qui se répan-
dirent dans le monde latin sont des religions de salut, qui prétendent assurer
le bonheur éternel de leurs initiés par la participation à des cérémonies secrètes,
et leur jirédication tend à rendre indubitable pour leurs adeptes la croyance
à l'immortalité.
1. Cf. Marrou, p. 53 ; Krojl, R. E., Suppl., VII, s. v. « Rhetorik», p. 112 ss.
2. Festugière, Hermès, I, p. 5.
3. Cf. infra, ch. VIII, à propos de Numénius.
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 137
Cette aspiration à la béatitude d'une vie affranchie des misères humaines
grandit, et la propagande des clergés du Levant opère plus de conversions,
lorsqu'après le siècle des Antonins la détresse de l'Empire va s'aggravant.
La foi en une survivance se fait plus profonde à mesure que la vie présente
devient un fardeau plus pénible à supporter. L''idée pessimiste que la nais-
sance est un châtiment et que la véritable existence ri'est point celle de cette
terre, s'impose davantage dans la proportion où s'accroissent les malheurs
publics et privés*'. Pendant la grande -crise du III^ siècle, qui livra l'empire
à l'anarchie et à la dévastation, il y eut tant de souffrances imméritées, de
ruines iniques, de crimes impunis, qu'on chercha un réconfort dans l'attente
d'une existence meilleure, où toutes les injustices de ce monde seraient répa-
rées. Aucun espoir terrestre n'illiiminait alors la vie. La tyrannie d'une
bureaucratie inquisitive et corrompue étouffait toute velléité de progrès poli-
tique. Les sciences immobilisées ne découvraient plus de vérités inconnues,
la nature ne livrait plus ses secrets, la terre restait inexplorée et le passé impé-
nétrable. Un appauvrissement progressif et une insécurité générale découra-
geaient tout esprit d'entreprise. L'idée se répandait que l'humanité était atteinte
d'une irrémédiable dégénérescence, que la société s'acheminait vers sa disso-
lution et que la fin du monde était proche". Il faut se rappeler toutes ces
causes de découragement et d'anxiété pour comprendre l'emprise de cette
vieille idée, si souvent répétée alors, qu'une amère nécessité contraint l'esprit
de l'homme à venir s'enfermer dans la matière, et que la mort est un affran-
chissement qui le délivre de sa prison charnelle. Dans la lourde atmosphère
d'une époque d'oppression et d'impuissance les âmes accablées aspiraient avec
une ferveur indicible à s'échapper vers les espaces radieux du ciel et deman-
daient aux cultes exotiques la garantie d'une félicité posthume.
Mais la propagation des religions orientales, qui ont agi souvent sur les
foules incultes, et l'évolution de la philosophie, qui est un phénomène intel-
lectuel, bien qu'elles soient concomitantes et aboutissent au même résultat,
n'ont pas été produites par les mêmes causes. Si l'on se demande pourquoi
ni le stoïcisme ni l'épicurisme^ après une période de faveur, n'ont pu satisfaire
les esprits sur le point ç(ui nous occupe, et ont été abandonnés pour le néo-
platonisme, il faudra invoquer d'autres raisons.
I. Religions orient., p. 39 s.
a. Cf. La fin du Monde selon les Mages occidentaux (R. h. rel., CIII, 193 1, p.
00 ss. ; Relig. orient., p. 220, n. , 56.
138 LUX PERPETUA
Nous avons vu combien hésitant et variable était le sentiment du Portique
sur la possibilité de l'immortalité consciente. Il n'apportait sur cette ques-
tion, qui préoccupait de plus en plus les hommes, aucune solution arrêtée
et n'avait par suite aucune prise sur des âmes avides d'ime ferme assurance.
La suspension du jugement entre le mystère de la naissance et le mystère de
la mort est une attitude d'intellectuels, dont les convictions se forment par
des arguments rationnels, et qui peuvent même se complaire à s'endormir sur
le mol oreiller du doute : elle ne sera jamais celle du commun des mortels
dont les passions et les désirs, plus que des raisonnements, déterminent les
idées, et dont on ne s'empare que par des affirmations tranchantes constam-
ment répétées*. En réalité la lutte si' est trouvée circonscrite entre la négation
des Épicuriens et l'affirmation des Pythagoriciens et des Platoniciens. Après
avoir, à l'époque hellénistique, remporté des succès éclatants et conquis une
multitude d'adhérents, l'épicurisme vit sous les empereurs le nombre de ses adhé-
rents diminuer progressivement. Sans doute sous les Antonins on compte encore
de nombreux sceptiques, comme Lucien de Samosate, dont l'ironie bafoue
toutes les croyances religieuses ; mais l'école n'a plUs de maîtres marquants et
deux siècles plus tard elle s'est éteinte^. Nous n'avons pas à considérer ici
les causes générales de son déclin n\ la part qu'eut à son discrédit la fai-
blesse de la physique du philosophe athénien, à qui Posidonius reprochait
di'avoir été « plus aveugle qu'une taupe » ^. Mais l'on peut, pensons-nous,
affirmer que si cette secte fut abandonnée, la cause en fut surtout dans sa
négation de la vie future, qui était le trait le plus saillant de tout son sys-
tème, celui qui le caractérisait aux yeux de la foule. C'est le point où il
était le plus vulnérable, celui qui était le plus attaqué. Son opposition irréduc-
tible à toute idée d'immortalité a été combattue avec force et lucidité par les
écoles rivales, celle des Académiciens et celle des Stoïciens. Plutarque utilise
dans un de ses traités les principaux arguments de cette polémique*.
Pour Épicure l'univers s'est constitué par des tourbillons d'atomes, qui se
sont agglomérés en vertu de lois purement mécaniques. L'âme, nous l'avons
1. Cf. Rousseau, Profession de foi du vicaire savoyard (début) : «Le doute sur les
choses qu'il nous importe de connaître est un état trop violent pour l'esprit humain. Il n'y
résiste pas longtemps, il se décide malgré lui de manière ou d'autre, et il aime mieux
se tromper que ne rien croire. » Cf. Cicêron, De senect., XXIII, 85 ; "Cusc, 1, XVI,
39-40.
2. Cf. su-pra, p. 127.
3. Symbol., p. 60, n. 4 j et Cléomède, De motu cire, II, i, § 87.
4. Plut., Non fosse suav. vivi sec. E-p., 26, p. 1104 s.
CHAPITRE II. -r- LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 139
4
vu, est formée, comme toute la nature, de ces atomes dont la combinaison
transitoire se .dissout au moment du décès pour ne jamais se renouveler.
Toute sensibilité de notre être est abolie à jamais, et il ne peut plus
len durer aucune souffrance. Mais, opposent les adversaires, si tout se termine
avec cette vie terrestre, les méchants cesseront de craindre un châtiment dans
l'au-delà et ne seront plus détournés du mal, les sages d'espérer une récom-
pense de leur vertu et ne seront plus incités au bien. Ce raisonnement est
l'objection habituelle opposée au matérialisme par les moralistes qui admettent
la nécessité d'une rétribution posthume, et la foi en cette justice compensatrice
s'était au IP siècle imposée aux philosophes comme aux adeptes des mystères '.
Mais plus caractéristique est le sentiment attribué par cette critique anti-
épicurienne à la foule vulgaire : celle-ci redoute à tel point l'anéantisse-
ment total, la privation de tout sentiment qu'elle préférerait même souffrir
dans les Enfers les supplices inventés par la Fable, plutôt que d'être privée
de toute existence, «, L'espoir de l'éternité, — je cite Plutarque ^ — le désir
d'être, de tous les amours le plus ancien et le plus vif, surpasse en douceur
la crainte puérile (du Tartare). Aussi ceux qui perdent leurs enfants, leur
femme, leurs amis, préfèrent-ils qu'ils existent quelque part et subsistent en
souffrant des peines, plutôt que. de les voir supprimés, détruits et réduits au
néant. Ils se plaisent à entendre et à dire des défimts des expressions comme
« il s'en est allé », « il nous a quittés », et tout ce qui implique un changement
de son âme, non une destruction ». L'on voit indiquée dans ces lignes une
des raisons majeures qui firent obstacle au triomphe de l'épicurisme : un
instinct profond, inné dans l'être humain, lui inspire le désir de se survivre.
Il ne peut se résoudre à disparaître tout entier. Même lorsque la raison croit
devoir admettre, souhaiter même, l'anéantissement, le subconscient proteste
contre cette conviction. L'e?sence même de notre personnalité la voue à
chercher sa persistance au delà des limites de notre court passage sur cette
terre. Le sentiment intime se révolte aussi contre la douleur d'une séparation
sans retour d'avec ceux qui nous sont chers, la perte irrémédiable de toutes
les affections, la rupture définitive entre ceux qui demeurent et ceux qui les
ont quittés.
La polémique des adversaires d'Êpicure s'est aussi attachée à montrer
que si, selon lui, l'insensibilité de la mort nous fait échapper à toute souf-
I. Cf. Rohde, Psyché, II 2, p. 368 s. = tr. fr., p. 564 ss. Cf. infra, ch. V.
a. Plut., l. c, 1104 c.
140 LUX PERPETUA
france, ce bienfait est purement négatif. A cette simple exemption de maux
imaginaires, à cette « anesthésie » qui ne laisse place à aucune espérance, ni à
aucune joie, les Platoniciens et les Stoïciens pouvaient opposer la félicité inex-
primable qui attend les âmes des sages et des justes, soit pour l'éternité, soit
au moins jusqu'à la dissolution générale de l'univers, et ce lumineux séjour
oh chacun pourra vivre dans la société de ses proches, affranchi de toute
attache charnelle, où son esprit contemplera les vérités qu'il n'apercevait ici-
bas qu'à travers un brouillard 2. De telles promesses étaient certainement plus
propres à séduire les hommes que la perspective d'une dissolution destructrice
de tout sentiment.
Le Stoïcien, même s'il croit que son âme se décomposera en ses éléments
et ne lui survivra guère, peut se soumettre sans révolte intérieure à cette
nécessité imposée à l'humanité, parce qu'elle est pour lui conforme à l'ordre
divin du cosmos, à la volonté d'une Providence qui a réglé l'enchaînement
des phénomènes en vue du bien suprême, et l'individu ne doit pas se plaindre
de ses maux particuliers qui se produisent dans l'intérêt du Tout. Pour l'épicu-
risme au contraire, tout est le résultat de forces aveugles agissant au hasard ^ ;
des tourbillons d'atomes qu'aucune intelligence ne dirige, produisent et détrui-
sent le monde et l'humanité. Un épicurien médiocre, vivant au jour le jour^
pouvait se résigner à ce déterminisme sans finalité. Tout esprit réfléchi devait
trouver affreuse cette condition de l'homme livré à l'action d'une fatalité
obscure, qui lui prête une conscience fugitive bientôt abolie, sans qu'il sache
ni pourquoi il est né, ni pourquoi il mourra, ni pour quelle raison il est
astreint au labeur et exposé à la douleur. L'individu n'est-il qu'un assemblage
fortuit d'atomes, condamné à une existence éphémère dans un univers livré
au chaos, où des générations, bientôt fauchées, se succéderont on ne sait
pourquoi jusqu'à la destruction de la terre* ?
Nous touchons ici à la raison profonde qui a fait l'infériorité de l'épicu-
risme dans sa lutte contre ses opposants, et a provoqué sa défaite. La brièveté
de la vie consciente, lueur bientôt éteinte, entre deux éternités d'inconscience,
décourageait toute activité intellectuelle. L'ombre épaisse de la nuit s'appro-
1. Plut., l. c. ; Cf. Sénèque, Epist., 82, 16
2. Plut., /. c, 1107 b..
3. Marc Aurèle insiste sur cette opposition, IX, 39 ; cf. IX, 28 ; XII, 14 ; Plotin, II,
gig, 65, p. 124, Bréhier. Cf. Platon, Lois, X, 903 b-d où la mention de la métempsycose
trahit une influence pythagoricienne.
4. Cf. A. J. Festugière, L'enfant d'Agrigente, Paris, 1941.
CHAPITRE II. — LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 141
chant inexorablement détournait de toute application soutenue. De fait nous
voyons Épicure déconseiller nettement à ses disciples l'étude des sciences et
la pratique des arts, comme la participation aux affaires publiques ^. Il faut
vivre caché, éviter tous les ennuis qui pourraient troubler la bienheureuse
ataraxie, et le seul souci qui s'impose est la recherche du plaisir individuelj,
dont les jouissances matérielles forment une part essentielle 2. Ses adversaires
reprochent avec raison à cet hédonisme indolent d'avoir détruit dans les
esprits spéculatifs l'amour du savoir, dans la vie pratique toute noble ambition.
« Tenant leur état présent — je cite encore Plutarque^ — pour minuscule ou
plutôt pour un rien, comparé à l'ensemble des temps, ils le dédaignent ; ils
le négligent... n'en pouvant tirer de fruit. Tombés dans le découragement et
le mépris d'eux-mêmes, ils ne font aucun cas de la vertu et de l'action ; tant
ils se sentent des créatures éphémères et chancelantes, qui ne sont nées pour
rien de considérable ». La valeur de l'effort désintéressé, et du dévouement
total que le stoïcisme mettait en relief par la divinisation des héros, s'efface
dans l'épicurisme, qui ne développe aucune qualité virile. L'altruisme pouvant
aller jusqu'au sacrifice de soi-même en est exclu par une éthique utilitaire,
qui en tarit les sources. Mais de tels sentiments existent dans l'être humain,
et c'esc le rabaisser que de prétendre les supprimer. De même c'est le mutiler
que de négliger ses aspirations mystiques, qui s'associent en lui à l'exercice de
la raison. Si l'épicurisme eût régné sur le monde, son triomphe eût marqué
une régression de l'évolution morale de la société romaine, et la haute spiri-
tualité d'un Plotin y eût été inconcevable. Il n'est pas surprenant que la
molle insouciance de cette philosophie du plaisir ait succombé : elle ne
pouvait fleurir que dans l'atmosphère sereine de la pax romana, et quand
des désastres effroyables s'abattirent sur l'empire et multiplièrent les douleurs
et les angoisses de chacun, elle apparut sans remède contre une telle
détresse, et ne résista pas à l'épreusvte. Ell«^ fut éliminée par des adversaires-
qu'animait une foi ardente, qui se sentaient en possession d'une certitude
qu'aucune dialectique ne pouvait ébranler et dont la prédication faisait retentir
dans l'âme des échos que même l'enthousiasme d'un Lucrèce n'avait jamais
éveillés.
I. E. Joyau, E-picure, Paris, 1910, p. 5g ss.
Z. Sur « le plaisir du ventre source de tout bien », cf. Athénée, XV, 12, p. 547 =
Usener, Eficurea, it. 409; c£. fr. 400 et 406; Plut., /. c, pp. 1087 &, 1098^.
3. Ibid., p. 1107&.
CHAPITRE m
L'IMMORTALITÉ CÉLESTE
I. — Les origines orientales et les Pythagoriciens.
Si la critique philosophique, comme nous l'avons montré, avait discrédité les
vieilles croyances des Grecs et des Romains relatives à la vie d'outre-tombe,
il appartenait à une autre philosophie de faire revivre, sous une forme nou-
velle, la foi en l'immortalité.
Nous essayerons de déterminer ici les origines et tenterons d'esquisser le
développement d'une doctrine que nous voyons s'affirmer en Grèce à partir
du ye siècle, et qui devait transformer toutes les idées du monde méditerra-
néen sur la destinée des morts et s'imposer aux esprits pendant de longs siècles.
A la persistance d'une vie indécise et précaire dans l'obscurité du tombeau,
à la prolongation, dans un royaume souterrain, des jouissances ou des peines
de l'existence humaine, elle a substitué l'espoir d'une éternité radieuse dans
la splendeur des cieux, soit que les Bienheureux doivent vivre dans la société
des astres divins auxquels ils sont égalés, soit qu'ils s'élèvent au delà des
sphères étoilées jusqu'en • présence d'un Dieu purement intelligible dans la
lumière supra-mondaine de l'empyrée. Cette conception de l'immortalité qui
était étroitement liée à la cosmologie des anciens parut inébranlable, tant que
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE I45
le système du monde construit par leurs astronomes ne se fut pas effondré.
Admise par le judaïsme alexandrin, enseignée à la fin de l'Empire romain
par des mystères orientaux et par les Néoplatoniciens, elle fut adoptée par les
grandes religions qui succédèrent au paganisme et devint, sous des formes
diverses, en Europe et en Asie, la foi commune d'une large portion de l'huma-
nité. On nous excusera si, recherchant la genèàe et le mode de transmission
d'une doctrine si considérable, nous devons entrer dans certains détails qui
pourront paraître arides.
A rechercher la première origine de cette doctrine, il nous faudrait remon-
ter jusqu'aux croyances primitives sur les esprits des morts qui vont habiter
la lune ou dev^iennent des étoiles^, ou du moins nous transporter dans
ItEgypte pharaonique et la Crète minoënne^'. Mais, ce n'est point de ces
pays que sont venues lés croyances qui se propagèrent en Europe, Nous les
retrouvons au contraire, nettement formulées à la fois dans l'Inde védique
et dans la Perse avestique, et c'est le dualisme zoroastrien qui a donné une
précision rigoureuse à la conception d'une béatitude céleste opposée à la dam-
nation infernale. Au corps dont s'empare le démon de la corruption s'oppose
l'âme qui l'a quitté. Après trois jours elle s'élève à travers l'atmosphère
itequ'iau redoutable pont Cînvât, d'où les impies sont précipitées dans les
abîmes ténébreux. Au contraire les justes montent d'abord jusqu'à la région
des étoiles, puis, selon leur degré de pureté, s'élèvent jusqu'à la zone de la
lune ou celle du soleil, et les plus saintes parviennent enfin au Garôtman, à la
lumière infinie où siège Ahoura-Mazda s.
Ce système est certainement très ancien : il repose sur des connaissances
astronomiques rudimentaires. Comme les Upanishads de l'Inde, il situe les
deux astres majeurs au-dessus des étoiles ; il ignore les planètes, qu'on n'avait
pas encore appris à distinguer des fixes. Néanmoins son action s'est étonnam-
ment prolongée. Non seulement l'eschatologie du manichéisme et du man-
déisme, nés tous deux en Mésopotamie, exprime des convictions analogues,
wiais l'idée des trois cieux superposés ne fut éliminée que tardivement de la
littérature religieuse, et l'on peut dire qu'elle a conservé jusqu'à nos jours
I. CapeUe, De hma, stellis, lacteo orbe animarum sedibus (Diss. Halle), 1917 ; cf.
^ynibol.^ p. 177 ss. ; Louis Rougier, L'origine astronomique de la croyance -pythagori-
cienne en l'immortalité céleste des âmes (Institut d'archéol. Orient, t. VI), Le Caire,
'933-
2.. Cf. infra, ch. VI, sur le sarcophage d'Haghia Triada.
3- Bousset, A. Religiv.^ 1901, IV, p. 229 ss. ; Symbol., p. 179, n. 2.
144 LUX PERPETUA
une existence au moins verbale, puisque grâce à saint Paul, nous parlons
encore d'être transporté au troisième ciel *•.
Dès l'époque des Achéménides le mazdéisme fut propagé en Mésopotamie
et en Asie Mineure. Des colonies de Mages, ou, comme on les appelait d'un
nom sémitique, de Maguséens (Mayouaaioi) avaient allumé leurs pyrées jusqu'en
Lydie, aux confins du monde hellénique. Ces Mages émigrés avaient subi
fortement l'ascendant de Babylone, qui était alors le centre d'études le plus
actif du monde. Leur religion, qui s'écartait à bien des égards du pur zoroas-
trisme, apparaît comme un mélange du naturisme primitif des tribus iraniennes
et d'une astrolâtrie savante empruntée aux «Chaldéens» ^, c'est-à-dire au clergé
babylonien, dont l'activité scientifique se prolongea jusqu'à l'époque hellénis-
tique. Ces prêtres-astronomes ne confondaient plus les planètes avec les autres
étoiles ; ils avaient observé leur marche sinueuse et la durée croissante de
leurs révolutions ; ils en avaient conclu à l'amplitude progressive d.e leurs orbites
et à leur éloignement de plus en plus grand de la terre. Au lieu des trois
cieux des indo-iraniens, ils avaient imaginé cette ordonnance des sept sphères
planétaires, qui fut toujours qualifiée de « chaldéenne », Saturne, Jupiter,
Mars, Soleil, Vénus, Mercure, Lune ". C'est probablement à ces mêmes « Chal-
déens » que remonte aussi l'idée première d'une parenté (ffuyyévcta) entre
l'âme et les astres *, car elle est impliquée par les relations que l'astrologie
établit entre les divinités sidérales et l'esprit qui nous anime. Cette doctrine
est née d'un fait d'expérience très simple. Le principe qui entretient la chaleur
et la vie dans notre organisme doit être igné, et par conséquent de même
nature que les feux du ciel^. Ainsi étaient formulées deux , théories qui, nous
le verrons, ont servi de justification à l'immortalité astrale. Nous sommes dans
1. S. Paul, Il Cor. 12, 2 ; cf. infra, p. 185, n, i.
2. Cf. Mages helL, p. 35 ss. etc. Le mysticisme et l'eschatologie qui s'en inspire ont
été tardifs à Babylone (Zimmern, ZDMG, 1922, LXXVI, p. 36 ss.) et peut-être n'y
ont-ils été introduits qu'à l'époque hellénistique.
3. Ordonnance chaldéenne : "Chéol. solaire, p. 471 [25] ss.; cf. infra, p. 185 ss.
4. Philon, De migr. Abrah., 178 (II, p. 303, 4 ss. C. W.) ((Tuyyévî'.a Se où Stqj/tff-
[j.éva)v) ; cf . De somniis, I, 54 (III, p. 216, 14). Sur la doctrine de la sympathie, cf.
Rel. orient., p. 288, n. 41, et Rougier, op. cit., p. 72, qui invoque le "Cimée, p. 90 b i
Stemplinger, Sympathieglaube im Altertum und Neuzeit, Munich, 191 9.
5. Alexandre Polyhistor chez Diogène Laërce, VIII, 27, à propos des Pythagoriciens :
Kat àvSpw-jtoK; slvai icpôi; Oeoùç ffuyYsvEiav xaxà tô ^txijziM avSpojirov ÔEpjxoO ; cf. Delatte, Vi^
de Pythagore, 1922, pp. 126, 208 ; Rougier, oj». cit., p. 76 ss., et surtout Festugière,
R.E.G., 1945, p. 31. — Cf. infra, p. 159, n. 2.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE
une si grande ignorance de ce que furent les spéculations théologiques de
l'Asie antérieure sous les Séleucides, que l'on ne peut préciser davantage.
Dans cet Orient, où les nuits limpides font étinceler la voûte constellée
d'un incomparable éclat, ^sa splendeur éveille naturellement un sentiment de
ferveur religieuse. Selon la parole du Psalmiste* « les cieux y racontent la
gloire de Dieu ». Il est naturel que le culte des astres s'y soit développé et
qu'on y ait mis la destinée de l'homme, sur la terre comme après la mort,
en relation avec ces « dieux visibles » . Pausanias prétend savoir que les Chal-
déens et les Mages ont les premiers affirmé que l'âme humaine est immortelle
et en ont convaincu les Hellènes et en particulier Platon '. «Sous cette forme
absolue, une telle affirmation est sans doute inexacte, mais elle a conservé
un souvenir infidèle d'une grande vérité. Il est certain que les Pythagoriciens
sont entrés de bonne heure en contact avec ces « Maguséens », qui s'étaient
établis à proximité des cités grecques d'Ionie. Une tradition antérieure à
Aristoxène de Tarente, le disciple d'Aristote, voulait que Pythagore lui-même
eût été à Babylone se mettre à l'école de Zoroastre, assertion certainement
mensongère, mais où s'est concrétisé le souvenir des rapports qui ont existé
entre l'ancien pythagorisme et les Mages d'Asie Mineure *. Nous avons montré
récemment, sur un point de détail, comment l'interdiction de sacrifier et de
consommer le coq blanc, adversaire des démons malfaisants, avec les raisons
invoquées pour justifier cette prohibition, avait été empruntée à ces mazdééns
d'Anatolie' par la secte italique^. Celle-ci subit à bien d'autres égards l'as-
cendant de ces maîtres orientaux : ses premières notions d'astronomie et de
mathématiques lui sont venues de Babylone &, et c'est des Maguséens qu'elle a
reçu cette doctrine de l'immortalité céleste, qui se présente comme ime com-
binaison de l'eschatologie mazdéenne avec la théologie astrale des « Chal-
déens ». La transmission des résultats scientifiques auxquels une patiente
observation du ciel avait conduit ces Chaldéens, s'est conjuguée avec celle
'de croyances religieuses qui, dans l'esprit d'un clergé d'astronomes, en étaient
le corollaire.
1. Psaume i8, 12.
2. Pausan., IV, 32, 4. Les révélations sur la vie future ont toujours été attribuées
par les Grecs à des Mages ; l'Er de Platon en est un, comme le Gobryès de l'Axiochos
infra, ch. IV, p. 193, et le Mithrobarzanès de Lucien, Nécyomancie.
3. Cf. Mages hell., I, pp. 33, 38, iio.
4. C. R. Acad. Inscr., 1942, p. 284 ss. ; cf. înfra, N. C. XV.
5- Sur « le pythagorisme primitif et ses relations avec l'Orient », cf. Bidez, Eôs,
pp. 9-20 ; p. 160, n. 25.
I4é LUX PERPETUA
Les Grecs ont toujours cru que des héros privilégiés pouvaient être enlevés
par les dieux, corps et âme, pour aller vivre avec eux dans l'Olympe, échap-
pant ainsi au destin imposé aux humains ' . Mais cette croyance diffère radi-
calement de cette anthropologie selon laquelle chaque individu est composé
d'un corps périssable et d'une essence immortelle qui, descendue du ciel à la
naissance, y remonte après la mort. Cette idée apparaît pour la première fois
à Athènes dans l'épitaphe, trouvée au Céramique, des guerriers tués devant
Potidée, en 432 : « L'éther, dit l'inscription, a reçu leurs âmes, la terre leurs
corps. » *. La même idée que l'homme est un composé de deux éléments qui,
au moment du décès, retournent l'un à la terre et l'autre au ciel, suivant leur
'Origine, se retrouive dans des vers faussement attribués à Épicharme, le
dramaturge de Syracuse, mais qui certainement sont anciens, car Euripide les
a connus ^. Une indication déjà plus précise nous est fournie par Aristophane,
dans la PaiX: représentée en 421, à propos du polygraphe Ion de Chios, poète
ami de Sophocle, qui avait écrit en prose une oeuvre de philosophie pytha-
goricienne et qui venait de trépasser : Trygée étant monté au ciel sur un
scarabée, assure que « quand quelqu'un meurt, il devient un astre dans les
airs » et qu'Ion, auteur d'un dithyrambe commençant par les mots « Etoile
du matin », s'est lui-même mué en cette étoile*.
A côté de ces témoignages exactement datés, nous pouvons invoquer celui
des Pythagoriciens eux-mêmes. Parmi les vieux akousmata, les préceptes
transmis oralement dans l'Ecole, il s'en trouve un qui dit : « Que sont les
îles des Bienheureux ? Le soleil et la lune^ ». Ainsi ces îles où sont trans-
portés les héros, et qu'Homère situait dans l'Océan lointain aux confins de
la terre, avaient été transférées par ces philosophes, suivant leur système
habituel d'allégorisme, dans les deux astres majeurs, baignés par les flots lumi-
neux de l'éther. La lune était pour eux la « terre éthérée » ou « terre olympi-
que » (p. 175) jusqu'où s'élevaient, en quittant ce bas monde, les âmes des
héros et des sages. Cette théorie reprenait, en la faisant entrer dans un système
philosophique, la vieille croyance populaire que la lune est le séjour des morts.
Sur une infinité de stèles funéraires, notamment en Afrique et en Gaule, est
figuré le symbole du croissant, emblème de résurrection (p. 173).
1. Rohde, Psyché, tr. fr., p. 56 ; cf. înfra, ch. VI.
2. I. G. (éd. minor), I, 945 : AtSrip jj-èv 4''^X^'^ ÛTCESé^aTO, atop-ara 8e ;(Gcôv.
3. Kaibel, Fragm. foet. Gr., VI, i, 1899, fr. 245; cf. Rougier, o-p. cit., p. 108 ss.
4. Aristophane, Paix, 827 ss. ; cf. Diels, Porsokr., 25 (I^, p. 285).
5. Jambhque, Vif. Pyth., XVIII, 82 = Diels, Porsokr., I^, p. 464, 5 : Tt èortv a^
[laxâpœv v?iaoi ; TiXtoç, ueIt^vti. Cf. Symbol, p. 183.
CHAPITRE m. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE I47
Arrêtons-nous ici un instant, pour cénsidérer ce que nous apprennent ces
témoignages. Les anciens Pythagoriciens admettent une immortalité non seu-
lement stellaire, ce qui pourrait à la rigueur être emprunté à l'opinion vulgaire
qu'à chaque âme appartient une étoile, mais aussi luni-solaire. Ainsi, parmi
tant de formes que peut prendre l'idée d'une survivance de la personne
humaine, nous retrouvons précisément celle que nous avons signalée en Orient
chez les Indo- Iraniens. C'est là une preuve très forte que, comme nous le
disions, les philosophes grecs l'ont empruntée à ces Mages, dont, nous le
savons, ils ont connu les doctrines.
Une fois cette idée de la destinée d'outre-tombe admis© dans l'Ecole pytha-
goricienne, celle-ci a, comme c'est souvent le cas, voulu la justifier par des
raisonnements théoriques, , et, son astronomie étant arrivée ,à la conclusion que
tous les astres, y compris les planètes improprement appelées « errantes »,
sont animés d'un mouvement circulaire constamment régulier, elle vit d'abord
dans cette constance et cette régularité une preuve de la divinité des corps
célestes. Comme d'autre part, l'âme aussi se meut perpétuellement et est prin-
cipe de mouvement, elle doit être de même nature que les astres et comme
eux immortelle. Si un tel raisonnement a pu être imaginé par xme pensée
abstraite pour étayer une croyance religieuse adoptée par l'Ecole, il est impos-
sible d'y voir l'origine même du dogme de l'immortalité céleste, dont les
Pythagoriciens auraient été non seulement les propagateurs, mais les auteurs*,
puisque ce dogme préexistait à eux dans le mazdéisme le plus ancien comme
dans les Upanishads, sous le triple aspect stellaire, lunaire et solaire que lui
avaient reconnu l'Inde et l'Iran.
Nous ne pouvons tenter de déterminer ici l'étendue des emprunts faits au
mazdéisme par l'eschatologie et la démonologie pythagoriciennes. Mais si l'on
cherchait quelles similitudes les rapprochent, on trouverait de curieuses ressem-
blances entre la conception que se faisaient de la nature et du sort de l'âme
les disciples' du sage de Crotione et celle que révèle, à l'étudier de près,
le caractère de ces divinités psychiques auxquelles les Perses rendaient uni
culte sous le nom de Fravashis. Si l'on dégage, dans le Yasht qui leur est
consacré, comme l'a fait jadis Soderblom'\ les éléments primitifs qui y, sub-
i-_Rougier a eu tort, selon nous, de soutenir cette thèse {of. cit.), mais il a eu le
mérite de mettre en lumière les doctrines pythagoriciennes dont il tire abusivement
cette conclusion.
2- Nathan Sôderblom, Les Fravashis, dans Revue hist. des relig. 1899, XXXIX,
PP- 229-260, 317-418. Cf. Moulton, dans Hastings, Encycl., s. v. « Fravashi » et
^ehtnann, ihid. s. v. « Ancéstor worshî-p » (Iranian).
U8 LUX PERPETUA
sistent encore malgré la transformation que leur a fait subir la théologie maz-
déenne, on verra que ces Fravashis sont conçues comme des déités aériennes
dont le domaine propre est l'espace intermédiaire entre le ciel et la terre.
Elles préexistent à la naissance de l'être humain et, après s'être associées à
lui, elles lui survivent. Elles s'unissent non seulement à l'homme, mais aux
animaux. Enfin une connexion étroite est établie entre les Fravashis et les
étoiles. Pour les Pythagoriciens aussi l'âme vit au ciel avant qu'elle vienne
s'incarner dans un corps ; après la mort elle devient un de ces démons . dont
la multitude peuple les airs. Celles qui donnent la vie aux animaux ne diffèrent
pas de celle de l'homme, et d'autre part elles sont des parcelles de ce feu
de l'éther qui brille aussi dans les astres. Il faudrait une analyse plus poussée
pour déterminer si ces analogies doivent s'expliquer par la communauté d'une
origine indo-européenne et si les traits communs appartenaient déjà à la
vieille religion aryenne, ou si des idées qui étaient spécifiquement mazdéennes
ont pu inspirer certaines doctrines des philosophes italiques.
Si nous nous proposions d'étudier le développement de l'immortalité céleste
dans le monde grec, nous aurions à parler ici de son adoption par le puissant
idéaliste qui, plus que tout autre penseur, l'a imposée à la foi des générations
postérieures. Platon, au cours de son voyage en Sicile, eut des entretiens à
Tarente avec Archytas, le philosophe et homme d'Etat pythagoricien, dont
chacun se plaisait à louer la sagesse ^ Il profita aussi des enseignements de
l'astronome Eudoxe qui s'était instruit de la science orientale^. Peut-être
même, suivant une tradition qui paraît véridique, un « Chaldéen » authentique
vint-il prendre part aux discussions de l'Académie^. Platon fut conquis par
la doctrine d'une préexistence et survivance célestes de l'âme, et il lui accorda
une largî place dans les discussions et surtout dans les mythes de ses dia-
logues les plus récents. Ainsi le mythe d'Er dans la République est une
page où apparaît clairement l'intervention de conceptions chaldéo-iraniennes .
L'harmonie et la constance des mouvements des corps célestes prouvent
qu'ils sont doués d'intelligence et ont une nature divine. L'âme descendue du
ciel est formée du même feu qui resplendit dans l'éther et brille dans les
1. Cic, De amie, XXIII, 88; Horace, Ode, XXVIII, 5; Diels, Vorsokr., 35^ 3!
cf. Bidez, Siir un fragment de l'Aristote -perdu dans Bull. Acad. Belgique, 1942, p. 2og.
L'influence pythagoricienne se manifeste avec une évidence indiscutable dans le passage
de la Re-publ., 614 c ; cf. Aristote, fr. 200 Rose ; Platon, Lois, X, <)bbd; Xlimée go c, d.
2. Bidez, Eôs, p. 24 ss.
3. Ibid., p. I ss.
4. Mages hellénisés, p. 12; Bidez, Eôs, p. 43 ss., et appendice I.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 149
astres, et cette « parenté » lui permet d'entrer en communication avec eux.
La contemplation de leur beauté, la connaissance qu'elle procure de leur
nature et de leurs révolutions, fait participer l'hçmme ici-bas à la félicité
des Bienheureux. Elle est pour lui une anticipation de la béatitude que l'âme
obtiendra lorsque délivrée des liens de la chair, elle s'élèvera au sommet des
cieux. Toutes ces pensées mystiques de Platon, développées par ses successeurs
immédiats, Aristote dans ses œuvres de jeunesse', Héraclide Pontique^, Xéno-
crate", Crantor*, devaient se transmettre d'âge en âge ^ et exercer leur action
sur les siècles postérieurs, bien au delà de la fin de l'antiquité.
Mais notre propos n'est point d'étudier ici l'histoire de l'immortalité astrale
dans l'ancienne philosophie grecque : il est de la suivre pendant la période
romaine. Nous avons rappelé précédemment (p. iio) qu'à l'époque alexandrine
l'Académie, infidèle aux doctrines de son fondateur, aboutit au doute métho-
dique^ et aucune doctrine ne lui parut plus hypothétique que celle qui pré-
tendait éclaircir le mystère de l'au-delà.
L'héritage de Platon fut recueilli par les Néopythagoriciens, qui firent de
lui, non sans quelque apparence de raison, le disciple du Maître, qu'ils véné-
raient comme le Sage par excellence. Ce furent eux qui, dans une société
devenue sceptique, se firent les défenseurs, les propagateurs et les rénovateurs
de la croyance à l'immortalité céleste. Après l'avoir prêchée dans l'Egypte
ptolémaïque, ils devaient l'enseigner aux Romains.
Lorsqu'après le IV^ siècle l'école scientifique de l'ancien pythagorisme
déclina en Italie, la secte s'y perpétua obscurément dans des conventicules
mystérieux, sorte de franc-maçonnerie dont l'action à l'époque hellénistique
se laisse difficilement mesurer ou circonscrire. Elle reprit une puissance
nouvelle à Alexandrie^ous les Ptolémées®. Dans cette métropole où se mêlaient
tous les courants de l'Europe et de l'Asie, le pythagorisme adopta alors bien
des idées étrangères à l'enseignement du vieux maître de Samos, devenu une
figure légendaire, dont déjà au temps d' Aristote on savait peu de chose de
certain''. L'école n'avait pas eu, ce semble, jusque-là, une théologie nettement
1. Cf. sufra, ch. II, i, p. m.
2. Héraclide : Mages hell., pp. 14 ss., 81 ss. ; Bidez, Eôs, p. 52 ss.
3- Xénocrate : Rich., Heinze, Xenokrates, 1892.
4- Crantor, cf. înfra, Boyancé, p. 163, n, 2.
3- Cf. Plut., Non -passe suav. vîvi sec. Efic, 28 ss., p. iio, 5 c.
"• Wellmann, Bolos, Demokritos und Anaxilaos (Abhandl. Ak. Berlin, 1928, p. 4 ss.).
7- Rathmann, Quaestiones Pythagoreae, Orfhicae, Halle, 1933, p. 152 ss. ; Isidore
^^vy, La légende de Pythagore, Paris, 1927.
150 LUX PERPETUA
formulée et logiquement construite ; et les points de contact qu'offraient ses
doctrines avec les croyances de l'Orient favorisa un vaste syncrétisme. Pytha-
gore, affirma-t-on, avait eu pour disciple. Platon, qui fut vénéré presque à
l'égal du sage de Crotone^. La puissante construction du panthéisme stoïcien
ne fut pas sans exercer son ascendant sur les théories de la secte. Celle-ci avait
été dès l'origine en contact avec les mystères orphiques et avec ceux de Dio-
nysos et elle le resta, mais elle subit aussi l'action plus lointaine des religions,
de Babylone et de l'Egypte, en particulier de ces doctrines « chaldéennes »
que les Grecs avaient appris à mieux connaître après les conquêtes d'Alexandre.
Ce vaste éclectisme ouvert à toutes les nouveautés scientifiques ne provoqua
pas une rupture avec le passé. Les théologiens réussirent à concilier avec elles
les traditions poétiques, même les plus scabreuses et les plus absurdes, par un
système plus ingénieux que raisonnable d'allégories morales 2. Le « divin »
Homère devint ainsi un maître de piété et de sagesse, et la mythologie
un recueil de récits édifiants. La démonologie permettait de justifier toutes
les pratiques du culte, toutes les légendes de la Fable aussi bien que la magie
et la divination : on rapportait à des puissances inférieures ce qui paraissait
incompatible avec une conception plus haute de la divinité. Le pythagorisrae
put amsi se poser, non en adversaire ou en réformateur, mais en interprète
de la religion ancestrale. Les philosophes prétendaient rester fidèles à la
pensée des sages qui, aux origines de la civilisation, avaient reçu une révélation
divine, laquelle s'était transmise à Pythagore, puis à Platon. Ils se sentaient
si certains de reproduire l'enseignement des Maîtres dont la parole faisait
loi, qu'ils n'hésitèrent point, par une fraude pieuse, à mettre leurs propres écrits
sous leurs noms vénérés. Rarement la littérature apocryphe vit s'épanouir une
floraison aussi luxuriante que dans ces milieux d'illuminés s.
En bref, nous n'avons sur le développement que prit le pythagorisme dans
l'Egypte des Ptolémées que des indications éparses et souvent suspectes, presque
toute la littérature philosophique de cette époque a3^ant péri et les fragments
qui nous sont parvenus d'oeuvres pythagoriciennes n'étant souvent que des
pastiches pseudépigraphes difficilement datables. Néanmoins on peut affirmer
1. Macriobe, In somn. Scip., I, 11, i ; Proclus,- In Platonis theologiam, 1, 62, p. 13'
éd. 1613.
2. Cf. SymboL, p. 3 ss.
3. Cf. Zeller, Philos. Gr. III, 2, p. 115. « Littérature formée de pastiches et ai
faux » : Louis Delatte, Les traités de la Royauté d'Ecphante, Diotogène et Sthe^n-
das (Bibl. fac. philos. Univ. Liège, XCVII, 1942, p. 282).
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 151
que cette secte occulte exerça une action considérable, puisqu'elle influença,
comme nous le verrons, un stoïcisme devenu éclectique, au point de lui imposer
sa conception de la vie future.
Si, par la voie détournée d'une Stoa réformée, la doctrine de l'immortalité
devait conquérir, à Rome, des adhérents illustres \ la prédication pythagori-
ciemne s'y développa parallèlement, et cette action directe allait y, multiplier
les conversions.
Après la prise de Tarente et la soumission de la Grande Grèce, cette secte,
que le secret dont elle s'entourait suffisait à rendre suspecte au Sénat, gardien
de la morale, mena en Italie une existence obscure et pour ainsi dire souter-
raine, mais elle ne s'éteignit pas et continua à faire une propagande dont
on. peut relever de multiples indices *.
Lorsqu'elle s'introduisit à Rojne, elle chercha selon sa coutume à se rattacher
^ de vieilles traditions locales, et elle le put sans trop de difficulté. L'orgueil
national des vainqueurs de la Grèce pouvait avec quelque complaisance la
considérer comme italique. Pythagore passait pour avoir conseillé le roi Numa,
le législateur religieux de la cité. Ennius avait exprimé sa doctrine dans ses
poèmes, et Cicéron était persuadé que beaucoup d'institutions romaines avaient
été calquées sur celles des Pythagoriciens *. De fait, dès le temps de l'ancienne
République, le réformateur à demi mythique de Crotone jouissait, dans les
classes dirigeantes de Rome d'une considération exceptionnelle*. La rude
discipline de la vieille morale romaine pouvait être séduite par l'ascétisme
et la frugalité de la secte. On sait qu'à l'époque de César les deux Sextius,
le père et le fils, tous deux végétariens, enseignèrent non sans éclat cette
philosophie tempérée de stoïcisme. Toutefois le premier adepte qui fit revivre'
un conventicule pythagoricien fut, au témoignage de Cicéron, son ami, le
sénateur Nigidius Figulus, curieux représentant de cette -religiosité scientifique
qui caractérise le py thagorisme ' . Singulièrement érudit, ce magistrat romain
était épris de toutes les sciences occultes : grammairien, naturaliste, théologien,
il était aussi astrologue, magicien, interprète des songes et, à l'occasion, thau-
I- Cf. infra, p. 161 ss..
2. Pythagorisme à l'époque romaine : Carcxjpino, Bas. fyth..^ p, 182 ss. ; Nock, A.].
■^rch., ig^6, pp. 152 ss.
3- Cicéron, buse, IV, i, 2 ss.
4- Purtwângler, Die antiken Gemmen, III, igoo, p. 257 ss.
5. W. KroU, Realenc, s. v. Nigidius (XVII, 200-211) ; Louis Legrand, P. Nigidius
figulus, -philosophe néopythagoricien et orphique, Paris, 193 1 : une reconstitution fan-
tastique d'un prétendu système de Nigidius.
IS2 LUX PERPETUA '
maturge. Il ne se borna pas à la théorie, mais réunit autour de lui un groupe
Id'init'iés, dont on -ne sait s'ils subissaient davantage l'attrait d'une morale
ésotérique ou de pratiques secrètes. Vatinius, parent et ami de César, qu'on
soupçonnait de s'adonner à la nécromancie i, le spirite Appius Claudius Pul-
cher, si peut-être ils n'appartenaient pas à ce cénacle de convertis 2, se récla-
maient certainement tous deux du pythagorisme.
Il est significatif que, vers le même temps, l'historien Castor de Rhodes
prétendit interpréter les usages romains par cette philosophie 3 et l'on vit se
multiplier les récits établissant une connexion entre l'Etat romain et les anciens
réformateurs de la Grande Grèce. ^A l'époque d'Auguste, un poète mondain,
comme Ovide, crut pouvoir introduire dans ses Méiapiorphoses, où l'on n'atten-
dait guère pareille digression, un long discours de Pythagore prêchant le
végétarisme et la transmigration*. Un peu plus tard, le romancier Antonius
Diogène s'inspirait de la croyance pythagoricienne à l'immortalité lunaire
dans sa description de la survie des âmes ®. Tout ceci concourt à nous montrer
quelle séduction puissante exerça la secte rénovée, dès qu'elle se fut implantée
à Rome. , ,, ! i''
Cependant les ennemis ne lui manquaient pas. La malignité publique n'épar-
gna pas ces ténébreux thèosophes qui se réunissaient dans l'ombre de cryptes
souterraines. On leur reprochait de négliger le culte national, qui avait fissuré
la grandeur de la cité, pour se livrer à des pratiques réprouvées, commettre
même des meurtres abominables^. Danger plus grave, ces réunions secrètes
excitèrent aussi la suspicion des autorités. Leurs adeptes furent poursuivis
comme se livrant à la magie, crime puni par les lois. La petite église pytha-
goricienne semble n'avoir pu se maintenir longtemps dans la capitale : elle
était morte à l'époque de Sénèque '.
Mais le pythagorisme continuait à trouver des adeptes dans l'Empire et il
rentrait bientôt à Rome. Sous Domitien, Apollonius de Tyane remplit l'Orient
de sa prédication et de ses prodiges ; jeté en prison par ce despote soup-
i.Cicéron, In Vatinium 34, avec le schol. Bob. (p. 202).
2. Cf. supra, ch. I, iv, p. 98.
3. Plut., Qtiaest. Rom., 76, p. 282 A; cf. p. 266 D. = Castor (à la suite de l'Hé-
rodote de Didot), fragm. 24-25 ; cf. Symbol., p. 190.
4. Ovide, Met., XV, 60 ss.
5. Rohde, Der griech. Roman 2, p. 270 ss. ; R. E., s. v. « Ant. Diogenes » ; cf. Sym-
bol., p. 190, n. 2.
6. Cf. su-pra, ch. I, iv, p. 107, n. 6.
7. Sénèque, Quaest nat., VII, 32, 2. ,
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 153
çonneux, à qui tous les philosophes étaient suspects, il jouit au contraire d'une
faveur singulière auprès de ses successeurs. L'on a pu relever des traces
indubitables de la propagation du pythagorisme en Asie Mineure, où le
pseudo-prophète de Lucien, Alexandre d'Abonotichos, se conformait à ses
doctrines dans les oracles qu'il rendait \ En Occident, peut-être cette philo-
sophie avait-elle, dès une date ancienne, pénétré en Gaule et été connue
des Druides 2, La preuve la plus éclatante de sa diffusion nous est fournie,
nous espérons avoir pu le démontrer, par la sculpture funéraire qui, pendant
des siècles, pour le choix de ses sujets et pour la manière de les traiter, s'est
inspirée de ces allégories par lesquelles les ' Pythagoriciens donnaient aux
vieilles légendes de la mythologie une signification conforme à leur éthique et
à leur eschatologie.
La tradition littéraire de lai secte se maintint jusqu'au llie siècle où elle
fut absorbée par le née platonisme ; Numénius servit pour ainsi dire de tran-
sition de l'une à l'autre . A une époque de syncrétisme, l'originalité de cette
philosophie résidait moins dans sa doctrine que dans ses observances ; et quand
ses conventicules furent dissous, elle se fondit aisément dans l'école qui se
donnait comme sa continuatrice. De fait le pythagorisme avait exercé une
action puissante, non seulement sur les théories de Posidonius et de Plotin,
mais aussi sur les cultes orientaux répandus sous l'Empire.. Il avait donné le
premier type de ces mystères savants où la connaissance ou « gnose » était
à la fois la condition et le but de la sanctification*.
Ce serait en effet une erreur de considérer le pythagorisme comme une
pure philosophie, tels que le furent l'épicurisme ou le stoïcisme. Ses sectateurs
formaient une église plutôt qu'une école, un ordre religieux et non une aca-
démie des sciences ^': Une découverte récente faite à Rome * nous a appris
qu'ils se réunissaient dans des basiliques souterraines construites à l'imitation
de la caverne de Platon', où les hommes enchaînés ne voient, selon le granid
1. Cf. R. H. Rel., igi2, LXXXVI, p. 202-210 j Symbol.^ p. 33. Cf. la pierre tombale
<Je Philadelphie citée infra, ch. VI. — Héliodore d'Émèse, éd. Badé, p. XV.
2. Diodore, V, 28, 6 ; Ammien, XV, 9, 8 ; Val. Max., II, 6, 10 5 cf. R. E. s. v.
« Druidae », col. 1733 ; Symbol., p. 213.
3. Sur Numénius, cf. infra, ch. VIII, p. 344.
4. Sur la gnose, cf. infra, ch. V, p. 236.
5- Fowler Religions expérience, p. 380, cf. ; Festugière, R. E. G., 1937, L, p. 476
ss., et Hermès 72rism. I, p. 15 ss.
6. Rev. archéol., 1918, VIII, p. 52 ss. ; Carcopino, Bas. Pyth., p. 206 ss.
7- Platon, Rép., VII, p. 514.
154 LUX PERPETUA ' '
idéaliste, que les ombres des réalités supérieures. Un sacrifice de fondation,
celui d'un cliien et d'un porcelet, avait précédé la construction. Presque toute
sa décoration est empruntée à la mythologie grecque ou aux cérémonies des
mystères. Des rites secrets, des purifications variées y étaient pratiqués ; on,
y chantai': des hymnes accompagnés d'une musique sacrée, et d'une chaire
placée au fond de l'abside, les docteurs communiquaient aux fidèles un ensei-
gnement ésotérique. Ils leur faisaient connaître ces symboles où sous une
forme énigmatique étaient suggérées les vérités de la foi et les préceptes de
conduite, révélés autrefois par Pythagore et les autres théologiens. Ils inter-
prétaient par des allégories psychologiques ou eschatologiques les légendes
du passé et surtout les poèmes homériques.' Ils imposaient, en commande-
ments précis, une règle de stricte observance, qui embrassait tous les actes de
l'existence quotidienne. A l'aurore il fallait, après avoir offert un sacrifice
au soleil levant^, fixer l'emploi de la journée; chaque soir, procéder à" un
triple examer: de conscience et à un acte de contrition, si l'on avait péché
par action ou par omission 2. Le croyant s'astreignait à un régime puremen,t
végétarien, à de multiples abstinences, à des prières répétées, à de longues
méditations. Cette morale austère et circonstanciée devait assurer le bonheur
et la sagesse ici-bas, le salut dans l'au-delà.
La pratique d'un ascétisme rigoureux, qui caractérise éminemment l'éthique
des Pythagoriciens, est une conséquence logique de leur système doctrinal.
Ils sont tous d'accord pour affirmer que le principe qui anime notre organisme
est apparenté à Dieu et par suite immortel. Toujours la génération est
regardée par eux comme une déchéance et un péril. Enfermée dans le corps
comme dans un tombeau, l'âme court le risque de s'y corrompre et même
d'y périr. Notre labeur terrestre est une lutte incessante contre les tribulations
infligées par la matière perpétuellement agitée. Un pessimisme foncier regarde
donc la vie ici -bas comme une épreuve et un châtiment ; les fautes commises
dans des existences antérieures amènent des renaissances de plus en plus
basses dans l'échelle des êtres ; un dualisme radical oppose le corps à l'essence
divine qui y réside. Le souci constant du sage sera d'empêcher son âme
d'être polluée par le contact avec la chair. Il s'abstiendra de viande et
d'autres mets qui pourraient la corrompre ; une série de tabous la protégera
1. Sacrifice au Soleil : cf. ce que dit Marc Aurèle, XI, 27.
2. Examen de conscience : Cicéron, De senect., XI, 38 ; Vers dorés, 40 ss., avec le
comm. d'Hiéroclès {Fragm. Philos, gr., I, p. 460) ; Jamblique, F. Pyth., 24.
CHAPITRE m. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE i55
contre toute contagion. Deslustrations rituelles lui rendront sa pureté (àyveîa)
sans cesse menacée'. L'exercice d'une vertu sans défaillance, la pratique d'une
piété scrupuleuse lui conserveroAt ses qualités originelles. La musique qui
s'élève vers des objets divins, préparera son ascension vers le ciel. La médi-
tation est une prière muette, qui met la raison en communication avec les
puissances d'en, haut. Saisie d'amour pour les beautés éternelles, elle monte
dans ses transports jusqu'au séjour des dieux et, s 'identifiant avec eux, elle se
rend digne d'une immortalité bienheureuse ' qui lui permet d'échapper défini-
tivement au cycle des réinvcarnations ^
Mais à côté de ces hautes spéculations, de ce mysticisme éthéré, la foi en
l'efficacité de rites archaïques pour assurer le salut se maintenait dans l'école.
Il fallait qu'ils fussent pratiqués aux funérailles pour que le défunt jouît d'une
félicité posthume''. Le corps, couvert d'un linceul blanc, devait être étendu
sur une jonchée de feuillage ( Q%\.^ri.c, ), qui avait été en Grèce et ailleurs la
couche primitive des vivants et des morts. L'on, prenait soin au moment du
décès de consulter les auspices en silence ([j:£T'eiJ9r,(j.(aç), comme on le faisait
sur le rivage avant de lever l'ancre. Il fallait se garder d'attirer par quelque
parole imprudente les démons hostiles, qui auraient pu s'opposer à la périlleuse
traversée de l'âme ballottée sur les flots tumultueux de la mer aérienne dans
son ascension vers le ciel.
Le pythagorisme, comme le prouvent les akousmata, avait de tout temps
accueilli des croyances vulgaires, même des superstitions puériles, des tabous
du folklore, dont il donnait une interprétation morale. Ainsi, des idées popu-
laires sur les rapports de la lune avec les esprits des morts, sur les étoiles,
dont chacune est en relation avec une âme individuelle, d'autres vieux préjugés
survivaient encore et étaient expliqués doctement. D'autre part cette eschato-
logie subit l'influence des théories, scientifiques alors admises : ses tenants
cherchèrent à la mettre d'accord avec les progrès de l'astronomie. L'antiterre
(àvTij(_ôa)v ), élément absurde de la cosmographie imaginée par la vieille
école, fut transférée dans la lune pour être rendue acceptable à des esprits
plus instruits^. Si l'antique division des cieux en trois étages superposés
1. Purifications : Diog. Laërce, VIII, 33 ; Vers dorés, 68 ; Philostrate, Vita A-p., VI,
S> 3 ; Jamblique, V. Pyth., 99.
2. Cf. infra, ch. V, p. 235.
3. Sur la métempsycose regardée comme un châtiment, cf. infra, ch. IV, p. 197.
4. Sur ces rites funéraires, cf. C. R. Acad. Inscr., 1943, p. 113 ss. et N. C, X. Sur
la ffTipâ(; cf. supra, ch. I, p. 42 ; sur les vents, cf. infra, ch. VI, p. 297.
5. Cf. Symbol., pp. 184, 187.
iSé LUX PERPETUA
(p. 184) ne disparut jamais entièrement, elle fut cependant reléguée dans
l'ombre par celle des sept sphères planétaires, contenues dans une huitième.
Toutes ces diverses traditions et innovations eurent pour effet de produire une
grande variété de croyances et de spéculations. La confusion s'accrut encore
lorsqu'une philosophie devenue éclectique élabora des systèmes mixtes, où le
stoïcisme et le pythagorisme furent appelés à se compléter l'un l'autre pour
la création d'une eschatologie scientifique.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE i57
II. — De Posidonius a Sénèque.
Le discrédit qui s'attacha au stoïcisme à la fin de l'antiquité a provoqué
la disparition presque totale des écrits composés par les Maîtres les plus
illustres du Portique. Mais dans ce grand naufrage littéraire, aucune perte
peut-être n'est plus regrettable, au poiiVt de vue de l'histoire religieuse, que
celle des œuvres de Posidonius ^ La pauvreté des épaves qui subsistent de
ses multiples ouvrages contraste avec l'autorité singulière dont jouit leur auteur
auprès de ses contemporains et des générations suivantes. De sa vie même,
peu de chose est connu. Né à Apamée sur l'Oronte, vers l'an 135 avant
J. C, il quitta de bonne heure sa patrie, qu'il paraît avoir tenue en médiocre
estime, et suivit comme jeune étudiant à Athènes les leçons d'un vieux maître,
le stoïcien Panétius. Cette curiosité universelle qui devait faire de lui un érudit
d'un savoir encyclopédique, le poussa à entreprendre de longs voyages, qui
le conduisirent en Espagne jusqu'au rivage de l'Atlantique. A son retour, il
ouvrit dans la libre cité de Rhodes, une école où il compta parmi ses élèves
Cicéron, qui le célèbre comme le plus grand de tous les stoïciens*. Lorsqu'il
mourut à 84 ans, après avoir rempli de son activité toute la première moitié
du ler siècle, le prestige dont il jouissait, parmi les Romains comme chez les
Grecs, était immense : Pompée, qui le visita à son retour de Syrie, entretint
avec lui une correspondance suivie. Posidonius dut cette souveraineté intel-
lectuelle aussi bien à la merveilleuse variété des connaissances dont il fit
preuve comme philosophe, historien, naturaliste, astronome, qu'à l'éclat de
1. A. Schmekel, Die Philosophie der Mittleren Stoa, 1892, p. 238 ss. ; Bevan, Stoics
and Sce-ptics, p. 86 ss., trad. Baudelot, Paris, 1927 ; Karl Reinhardt, Poseidonios, 1921 j
Kosmos und Sympathie, 1926, pp. 308-376 -, P. Schubert, Die Eschatologie des Poseido-
nius {Verôjfentlichungen des Forschungsinstitut f. vergleich. Religionsgesch., Il, Heft. 4),
Leipxigj 1927. — Parmi les auteurs qui ont soumis les théories de Reinhardt à une cri-
tique incisive nous citerons Jones, Classical Philology, 1932, XXVII, p. 1 13-135 ; S.
Blanfcert, Seneca (epist. 90) over Natuur en Cultur en Posidonius, Amsterdam, 1941.
Cf. aussi M. Van den Bruwaene, X^races de Posidonius dans le premier livre des Vus-
culanes (^Antiquité classique, 1942, XI, p. ^^ ss.). Sur l'xtjxrjvoi T,>.iou dans Sextus
Empiricus, cf. Symbol., p. 190, n. 4, et sur le mythe du De facie, qui n'a pas pour
source Posidonius, ibid., p. 196 ss.
2. Cicéron, Hortensius, fr. 18, Muller : « Omnium maximum Stoïcorum » ; cf. Sén.,
Bp-> 90, 20.
158 LUX PERPETUA
son style abondant, imagé et coloré'. D'un esprit plus érudit que critique,
il n'a point construit un système métaphysique original, qui soit comparable
à celui des grands chefs d'école, mais il fut dans le Portique le représentant
le plus éminent de ce syncrétisme qui régnait à son époque par lassitude
des discussions stériles entre les sectes opposées. Il prêta l'appui de son
autorité et de son éloquence à cet éclectisme dont Panétius lui avait donné
l'exemple, qui tempérait la sèche rigueur de l'ancien stoïcisme et lui assura
une liberté féconde en y mêlant des éléments platoniciens et aristotéliciens.
D'autre paît ses origines syriennes inclinaient Posidonius a se rapprocher des
idées religieuses de l'Orient qui, avec l'astrologie, avait apporté aux Hellènes
une conception nouvelle de l'homme et des dieux. Il fit concourir toutes les
connaissances humaines à la constitution d'un vaste système dont le couronne-
ment était l'adoration enthousiaste du Dieu qui pénètre l'organisme du Grand
Tout. A côté de la logique, de la physique et de la morale^ toutes les supers-
titions populaires ou sacerdotales, démonologie, divination et magie, y trou-
vaient leur place et leur justification par la doctrine de la sympathie universelle.
Si nous apercevons ainsi les causes générales de la vaste résonance, du
profond retentissement qu'eut l'enseignement de ce Syrien naturalisé Rhodien,
il s'en faut que nous puissions reconstruire avec sûreté l'édifice de sa doctrine.
Les contradictions des historiens qui s'y sont essayés suffiraient à nous ensei-
gner la prudence. Obligés de se servir de fragments épars et d'extraits souvent
anonymes, jDar suite de cette habitude qu'avaient les anciens d'indiquer rarement
leurs sources, les érudits ont combiné les passages qui semblaient le mieux s'har-
moniseï-, en écartant comme étrangers les textes qui à une concordance générale
mêlaient quelques divergences ; mais procéder ainsi, c'est admettre implicite-
ment le postulat que le système du philosophe d'Apamée fut immuable. Or cer-
tainement, au cours d'une longue carrière, la pensée de Posidonius a évolué,
comme avant lui celle de Platon, comme après lui celle de Porphyre 2, chez
lesquels nous en pouvons mieux saisir les variations. Mais les œuvres de ce
polygraphe étant perdues, nous sommes dans l'impossibilité, faute de docu-
ments de première main, de suivre les méandres de sa réflexion et d'en fixer
le point de départ et le point d'arrivée.
Nous ne pouvons pas davantage déterminer la part personnelle de Posidonius
dans la fusion qui s'accomplit entre le matérialisme stoïcien et la croyance
1. Strabon, III, 2, 9, p. 147.
2. Cf. infra, ch. VIII, p. 365.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE i59
en une immortalité céleste. Nous ignorons trop profondément quelles furent à
cet égard 1er. convictions de la plupart des représentants du moyen-stoïcisme,
et spécialement des nombreux propagateurs de cette doctrine composite, qui,
nés en Orient, ont dû être tentés d'accorder leurs spéculations avec la théologie
astrale des Sémites. Plusieurs d'entre eux eurent des Romains pour disciples .
et contribuèrent à la diffusion de ces idées nouvelles dans le monde latin ' ,
tels Athénodore de Tarse, qui fut le maître d'Octave, Antipater de Tyr, qui
convertit Caton d'Utique à sa morale. C'est singulièrement restreindre la
question à résoudre que de la traiter, en éplucheur de textes, comme une
filiation verbale de philosophe à philosophe. Tout le problème des rapports
religieux entre le Levant- et le Couchant y est impliqué.
Cependant, au milieu de ces incertitudes, court un fil conducteur. Déjà
les « Chaildéens », mous l'avons vu (p. 144), ont probablement imaginé
que la chaleur qui entretient la vie dans notre organisme, est de même nature
que celle qui, dans l'univers, allume la scintillation des étoiles divines^.
Certainement le dogme que nos âmes sont congénères des astres, se répandit
dans le monde hellénistique avec l'astrologie, et il est depuis cette époque
enseigné par tous les adeptes de cette divination savante. Dès le IF siècle
il trouva un défenseur convaincu dans le grand astronome dont les théories
scientifiques furent directement influencées par l'érudition chaldéenne. « On
ne louera jamais assez Hipparque », dit Pline l'Ancien^, « pour avoir établi,
mieux que personne, la parenté des astres avec l'homme, et montré que nos
âmes sont une parcelle du feu céleste ». A Rome, une envolée lyrique de
Manilius "* débute par ce vers que Goethe, ayant fait ^ en 1784 par un temps
radieux l'ascension du Broken, répétait pour exprimer l'admiration qu'il éprou-
vait : « Qui peut connaître le ciel sinon par une faveur du ciel, et trouver
Dieu s'il ne fait lui-même partie des dieux ? » On pourrait multiplier les cita-
tions analogues d'astrologues postérieurs ^. Le principe que le semblable connaît
1. Stoïciens orientaux et Romains : cf. Zeller, Philos. Gr., III, i, p. 585 -, Cambridge
ancient history, XI, p. 641 ss. '
2. Cf. su-pra, p. 144, et Mystic. astral, p. 279 [26].
3. Pline, H. N., II, 26, 95 : « Hipparchus nunquam satis laudatus, ut quo nemo
lïiagis adprobaverit cognationem (^ff'jyyévsiav) cum homine siderum animasque nostras
paitem esse caeli ; cf. Relig. orient.^ p. 289, n. 56.
4. Manilius, II, 115 : « Quis caelum possit nisi caeli munere nosse, et reperire deum,
^isi qui pars ipse deorum est... ni sanctos animis oculos natura dedisset cognatamque
sibi mentem vertisset ad ipsam... caeloque veniret quod vocat in caelum sacra ad com-
mercia rerum». Cf. Relig. or., Le, note
5. Cf. Myst. astral., appendice, p. 279 [26] ss.
léo LUX PERPETUA
seul le semblable, exigeait que la nature de l'intelligence humaine ne différât
pas de celle de la divinité ; car sinon, elle n'aurait pu avoir la notion de
celle-ci i. Celui qui s'adonne avec ferveur à l'étude des constellations ne reçoit
pas seulement d'elles une sèche instruction 2, L'homme ne peut se rassasier
du spectacle que lui offrent les astres resplendissants et leurs mouvements
harmonieux. Il sent avec émotion en s'abandonnant à cette contemplation, le
lien intime qui l'unit aux feux célestes. Sa raison entre en communion avec
ces dieux visibles, un amour divin la transporte jusqu'aux voûtes éternelles^
où elle se mêle au chœur sacré des étoiles et suit leurs évolutions ryjthmiques.,
L'âme ne trouve pas seulement dans ce ravissement une jouissance infinie ;
le ciel lui accorde la révélation de sa nature et lui apprend les lois qui dirigent
ses révolutions.
Pour l'astrologie, cette extase mystique qui fait abstraction de la vie
future 3, enivre l'homme dès ceitte vie terrestre d'une « ivresse abstème » :
c'est la récompense immédiate d'une dévotion savante, née dans des temples
qui étaient aussi des observatoires.
Mais lorsque s'affirma la croyance en une immortalité céleste, le transport
passager concédé à l'homme ici-bas devint une anticipation de la béatitude
que l'âme devait ressentir après la mort. Alors, échappant aux limitations des
faibles organes des sens, la raison apercevra directement toute la splendeur
de l'univers et obtiendra l'intelligence complète de ses mystères. Cette forme
de l'eschatologie est la projection dans une éternité lumineuse des croyances
dont la source première avait été « l'émotion cosmique » que fait naître la
vue du ciel étoile.
Or l'érudition de Posidonius s'était consacrée spécialement à l'étude des
corps célestes. Il avait écrit sur ce sujet* un ouvrage qui comprenait au moins
trois livres. La définition que donne de lui saint Augustin : « grand astrologue
et aussi philosophe » ^j caractérise bien l'importance qu'avait pour lui la disci-
pline chaldéenne, qu'il prétendit justifier comme toute la mantique en général.
1. Cf. Sextus Empiricus, Math. VII, 93 : Tà'6jji.ota twv ôii.o(wv eTvai -iioooxivA. C. Reinhardt,
Posidonius, p. 417; Kosmos u. Symrp., p. 178 ss.
2. Sur ce qui suit, cf. Mystic. astral.
3. Cf. infra, ch. VII, p. 305.
4. nsp: |/.sTEwp(i)v (Diog. Laërce, VII, i, 135). De plus une [i.£T£topoXoyin-f) ff-roij^etuxîi;, Ibii-i
§ 138, § 152. Cf. sur la sphère de Posidonius : Cic, Nat. cLeor., II, 34, 88.
5. Aug., Civ. Dei, V-, 5 : « Magnus astrologus idemque philosophus », à propos de
la géniture des jumeaux ; V. 2 : « Posidonius multum astrologiae deditus... Fataliuw
siderum assertor » ; cf. Cicéron, De fato, III, 5, avec les notes d'A. Yvon, p. 30. —
Bouché-Leclercq, Astral, gr., p. 545.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE i6i
Il n'est pas douteux — bien qu'on en ait douté — que Posidonius adopta
cette forme de mysticisme qui longtemps avant lui faisait partie intégrante de
rlastroiogie. Il fit couler dans le lit aride d'un stoïcisme devenu scolastiquo
im large courant d'idées dérivées à la fois du pythagorisme platonicien de son
époque et des vieilles religions astrales de l'Orient. Mais il resta foncièrement
stoïcien en se refusant à admettre la spiritualité de l'âme et la transcendance
de Dieu. L'âme, formée selon lui d'un mélange d'air et de ,feu, se mêle
aussitôt après le décès aux esprits, invisibles comme elle, qui peuplent l'atmos-
phère. Dieu est immanent à l'univers ; le siège de la raison directrice du
cosmos {riyzixoviy.6v) est la sphère des étoiles fixes, qui embrasse toutes les
autres et détermine leurs révolutions *. Là aussi, au sommet du monde, mais
non en dehors de lui, se réunissent les esprits bienheureux. De cette cime
élevée ils prennent plaisir à observer les événements de notre terre lointaine
et, divinisés, ils peuvent veiller sur elle et nous protéger'.
Si l'on se souvient de la considération sans égale dont jouit à la fin de
la République le maître rhodien, on admettra nécessairement qu'il contribua
dans une large mesure à faire accepter dans la société romaine des doctrines
qui, jusque là, n'y avaient obtenu qu'une faible audience. L'évolution intel-
leictuelle qui se laisse observer chez son élève Cicéron est celle que
devaient accomplir bien des esprits dans son entourage ; mais l'écrivain latin
est le seul dont les sentiments intimes nous soient révélés par des écrits qui
nous permettent de suivre les fluctuations de sa pensée inconstante.
On ne peut douter que, durant la plus grande partie de sa vie, Cicéron ait
été agnostique. Son esprit se complaisait au scepticisme de la Nouvelle Aca-
démie, ou plutôt il adoptait à l'égard de la vie future l'attitude reçue dans
le monde où il vivait : le problème de l'origine de l'âm^e et de sa destinée
y était regardé non seulement comme insoluble, mais comme oiseux, indigne
de préoccuper sérieusement, l'homme qui devait mettre son activité au service
de l'Etat. La question du culte à rendre aux Mânes avait été réglée une foiS'
pour toutes par l'ancien droit pontifical' Le vieil esprit romain se méfiait
fies spéculations sur l'au-delà, qui détournaient dangereusement les esprits des
1. Diog. Laërce, VII, i, 138-139 = Fragm. Sfoïc. II, p. 144 Arnim j cf. Cic, Somn.
■^«■p. 4 : « (Globus) unus caelestis est extimtis, qui reliques omnes complectitur, sum-
'ïius ipse deus arcens et oontinens ceteros. » Cf. Boyancé, Songe, p. 80 ss.
2. Cf. Symbol., p. 123, n. 3 ; Sénèque, Consol. Marc, XVIII ss. ; Consol. Polyb., IX,
3 : « Fruitur nunc libero et aperto caelo ... omniaque rerum naturae ■ bona summa cum
voluptate perspicit ». Stace, Silves, V, 3, 19 ss., avec la note de VoUmer (p. 525).
i62 LUX PERPETUA
réalités présentes. La pensée de Cicéron n'abandonna jamais entièrement cet'.te
attitude intellectuelle. Jusque dans la conclusion du traité Sur la nature dies
"dieux, une de ses dernières œuvres, on le voit faire abstraction de toute rétri-
bution dans un autre monde, mais invoquer imiquement le vieux concept grec,
né de l'idée d'une responsabilité collective de la famille, celui que les fautes
des parents sont punies sur leurs enfants*. Toutefois par l'étude des écrits
de son maître Posidonius, et aussi par ses relations avec le sénateur Nigidius
Figulus, adepte fervent du py thagorisme ^, Cicéron avait été mis en contact
avec ce courant d'idées mystiques, qui commençait à se répandre en Occident.
A mesure qu'il avançait en âge et que la vie lui apportait des désillusions,
ces idées religieuses s'imposèrent davantage à sa réflexion^. En 54, après
avoir renoncé à la vie politique, il composa la République, inspirée par l'œuvre
homonyme de Platon. Comme celui-ci avait introduit à la fin de son ouvrage
le célèbre mythe d'Er, son émule romain acheva le sien par ce morceau trou-
blant qu'est le « Songe de Scipion », où le destructeur de Carthage reçoit
les révélations du vainqueur de Zama*. 11 a voulu pareillement donner comme
conclusion à une œuvre consacrée à la constitution de l'Etat idéal, une des-
cription du sort réservé aux âmes d'élite dans l'au delà et cette description
est présentée par un témoin de ce qui se passe dans ce monde mystérieux.
De part et d'autre est formulée une doctrine de l'immortalité où l'homme de
bien, et surtout celui qui a servi sa patrie, reçoit une récompense céleste, et
où les exigences de la justice sont satisfaites par la récompense ou la punition
posthumes du mérite et du démérite. Si l'imitateur latin du philosophe grec
transporte, comme lui, dans le cosmos le théâtre de l'action mise en scène, il
I. Cf. Rohde, Psyché, tr. fr., p. 450, n. i ; p. 565, n. 2.
2. Cf. supra, p. 151.
3. Lehrs, Po-pulàre Aufsàtze aus dem Altertum, 1875, p. 349 s. j Fowler, Religions
expérience of the Roman people, P.382SS.; Friedlânder, 5ïif^e«gescÂ., III, p. 310 s. j Vicol,
Cicérone et l'epicureismo dans Ephemeris daco-romana, 1945, X, p. 221 ss.
4. Au temps où l'on cherchait un peu partout des emprunts faits à Posidonius, le
Songe de Scipion a été considéré comme tel, et récemment encore Van den Bruwaene
{A. C. 1929, VIII, p. 127 ss.) a voulu démontrer qu'entre Cicéron et Platon il fallait
admettre l'intervention d'un intermédiaire stoïcien, qui serait Posidonius. Cette opinion
a été combattue par Reinhardt [supra, p. 157, n. i] et par Harder, TJeber Ciceros Som-
nium Scipionis {Schriften der Kônigsb. Gelehrter Gesellschaft, V, 3), Halle, 1929, et niée
absolument par P. Boyancé, Songe. — Festugière, Les thèmes du Songe de Scipion {Erd-
nos, XLIV, 1946, p. 370 s.), par iine analyse sagace des thèmes développés dans le
Songe, a montré qu'il était une mosaïque de lieux communs. Le seul trait propre 3.
Cicéron est l'exaltation des vertus patriotiques, qui lui fait attribuer l'immortalité aux
grands politiques. ,;,,,; 1 i .
CHAPITRE m. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 16?
a cependant modifié librement son modèle. Par un souci littéraire, il a dra-
matisé son exposé en le présentant, non sous la forme d'un récit fait par un
visionnaire sans personnalité, comme l'est Er le Pamj»hylien, mais dans un
dialogue entre deux hommes d'Etat des plus illustres de la République
romaine. En outre, s'il a adopté le cadre général du mythe platonicien, Cicéron
en a transformé le contenu en y introduisant les doctrines de la science hellé-
nistique dans sa description des sphères célestes. Il a emprunté aussi à quelque
représentant du stoïcisme éclectique l'opposition qu'il établit entre la vanité
de l'immortalité terrestre qu'obtient la gloire conquise sur notre globe minus-
nuscule^ et l'immensité de l'univers, où les grands hommes divinisés jouissent
du spectacle merveilleux des sphères mouvantes et de la terre lointaine
observé du ciel des étoiles fixes. C'est de cette contemplation enivrante et de
l'audition de l'harmonie cosmique que se griseront éternellement les âmes
bienheureuses. S'il paraît exclu que Cicéron ait suivi dans l'élaboration du
Songe une œuvre déterminée de Posidonius, on peut croire que c'est à lui
qu'il doit le coloris mystique de cette eschatologie astrale.
Celle-ci n'est encore présentée ici que comme un simple rêve : c'est une
vision dont rien ne garantit la réalité. Mais en 45, Cicéron est frappé d'un
deuil cruel par la perte de sa fille imique Tullia ; sa douleur lui persuade
que cet être chéri vit toujjours parmi les dieux. Il recommande, tout en
s'en excusant comime d'Une faiblesse déraisonnable, d'élever à cette jeune
ffemme, non un tombeau, mais une chapelle {faniim), qui consacre sonj
apothéose*. Nous saisissons ses sentiments intimes dans les lettres qu'il adressa
alors à Atticus de la solitude d'Astura, au bord des marais Pontins. Lui-
même épanche son chagrin en écrivant une Consolatio , dont les fragments
conservés nous le montrent étrangement dominé par les doctrines pythagori-
ciennes : l'âme, exempte de toute matière, est céleste et divine, par consé-
quent éternelle ; sa vie ici-bas est une peine qui lui est infligée : elle naît pour
expier des crimes antérieurs "\
Troublé pai le problème angoissant de notre destinée, l'esprit sensible de
Cicéron se tourne, non point vers les vieilles croyances, alors discréditées, mais
1. Sur la vanité de l'immortalité terrestre, cf. sufra, ch. II, p. 133 ss.
2. Pierre Boyancé, L'a-pothéose de Z\ullia (R. E. A., 1944, XLVI, pp. 179 ss.), pense
q.ue cette apothéose et la construction d'un hérôon ont été suggérées à Cicéron par la
lecture de la Consolation de Cranter.
3. Consol. frag. 8 (= Lactance, Inst., III, 18) : « Scelerum luendorum causa nasci
nomines ».
ié4 LUX PERPETUA
vers cette religion nouvelle qui apportait de l'Orient une philosophie mystique.
U H crtensius et les Tusculanes., rédigés dans cette même période de sa vie,
nous montrent l'empire que le néo-stoïcisme de son maître rhodien et le néo^
pythagorisme, qui comptait des tenants même au Sénat, exerçaient alors sur
son esprit désabusé et attristé, et comment il cherchait dans les doctrines lumi-
neuses d'une survivance remplie de félicité une consolation aux maux privés et
publics dont il se sentait accablé. A la fin du De senectute, après, avoir résumé
d'après les philosophes grecs les preuves traditionnelles de l'immortalité, le
vieillard, qui se sent proche de la mort, exprime par la bouche de son héros
une aspiration ardente à voir luire le jour qui l'introduira dans' une assemblée
divine et lui fera quitter la tourbe fangeuse d'ici-bas*. Mais il ajoute : « Si
je me trompe en croyant immortelles les âmes humaines, j'ai plaisir à me
tromper e' ne veux pas me laisser arracher cette erreur qui fait ma joie^ ».
Un espoir douteux auquel il se refuse à renoncer, telle est donc la dernière
conclusion de Cicéron sur la question d'un l'au-delà, qui reste pour lui
mystérieux.
Cette déviation du stoïcisme, qui l'inclinait vers l'eschatologie pythagori-
cienne, se fit accepter par ses tenants à Rome pendant plus d'un siècle, et
l'expression la plus complète qui nous soit parvenue de cette philosophie com-
posite se trouve dans les dialogues et les lettres de Sénèque, écrits au moment
même où la secte était près de s'en détourner (p. 115). La perte presque
totale des ouvrages publiés par les écrivains de l'époque alexandrin e, celle
même de la Consolation et de VHortensius de Cicéron, ont fait pour nous
de Sénèque le prédicateur le plus éloquent et le plus explicite de cette croyance
en l'immortalité céleste introduite dans l'école de Zenon par Posidonius et
ses émules. Nous apercevons, grâce à l'écrivain latin, l'aboutissement ultime de
cette tendance mystique à laquelle avait cédé le Portique, et nous pouvons
rassembler, dispersés dans ses œuvres, et reconnaître mieux que nulle part
ailleurs les éléments dont cette eschatologie est formée ^
Comme Posidonius, Sénèque était éclectique. Le précepteur de Néron n'a
1 . Cato, XXIII, 84 : « O praeclarum diem, cum in illud divinum animorum oonci-
lium ooetumque profisciscar, cumque ex hac turba et ooUuvione discedam ». Cf. XXI, T]-
2. XXIII, 85 : « Quod , si in hoc erro, qui atiimos immortales esse credam, libenter
erro, nec mihi hune errorem, dtim vivo, extorqueri volo » ; cf. Zlusc., I, 11, 24; I>
16, 39.
.3. La plupart des passages de Sénèque relatifs à cette eschatologie ont déjà été
réunis par Badstûbner, Beitràge zur Erklàrung der philosophischen Schriften Senecas,
Hambourg, 190X, p. 10 ss.
.CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 165
jamais été le sectateur rigoureux d'aucun système dogmatique. Il prétend
garder à l'égard des sages qu'il admire^ l'indépendance de son jugement * .
S'il condamne l'hédonisme des Épicuriens, il ne s'est pas fait faute de citer
et de louer Épicure ^. Il a concédé au scepticisme de l'Académie que, dans
sa poursuite de la vérité absolue, l'intelligence humaine en ce bas monde
n'atteint que la vraisemblance ^. Dans sa première jeunesse, il s'était épris
passionnément de l'ascétisme de Sotion, au point de pratiquer son végéta-
risme*. La largeur de son esprit conciliant l'inclinait aussi à céder à, la séduc-
tion de ces perspectives radieuses que Pythagore et Platon avaient ouvertes
sur la destinée future de l'âme. Mais Juste Lipse a déjà relevé les variations
de Sénèque sur l'article de l'immortalité ^. Pas plus sur ce point que sur les
autres, ce moraliste du grand monde ne s'est beaucoup soucié d'être toujours
conséquent avec lui-même, et il n'a jamais prétendu présenter un système logi-
quement cohérent. Il serait aisé de noter le flottement de sa pensée ondoyante
dans ses épîtres, écrites sous l'impression du moment. Pour combattre la crainte
du trépas, il n'hésite pas à invoquer l'argument épicurien que nous retombons
après cette vie dans l'insensibilité qui précéda notre naissance. Ou bien il
reprend l'alternative célèbre de Platon : la mort est une fin ou un passage".
Ailleurs, il présentera la survie de l'âme comme une simple hypothèse'', ou
comme un beau rêve*. De fait, il n'a pas cru qu'elle fût strictement démon-
trable ; mais, puisque selon lui, à défaut de la connaissance du vrai, l'esprit
humain devait se contenter du vraisemblable, cette doctrine se recommandait
suffisamment à ses yeux, comme celle de l'existence des dieux, par le consen-
tement universel des peuples ^ et par l'approbation des sages éminents qui
l'avaient enseignée'". S'il repoussait, comme tous les Stoïciens, les fables du
1. Episf., 45, 4. Cf. Martha, Les moralistes sous l'Empire romain, 8^ éd., p. g ss, ;
Barth-Goedeckemeyer, Die Stoa^^ 1940, p. 154.
2. Cf. l'index de l'édîtion Haase, s. v. « Epicurei », « Epicurus ».
3. Barth-Goedeckemeyer, p. 153-
4. Epist., 108, 17.
5 Juste Lipse, Phîlosophîa Stoicorum, III, 11.
6. Ep. 54, 4 ; 77, II ; Consolatip. ad. Marciam, 19, 5. Cf. Pline, H. N., VII, ^t^^ 188,
et infra, note 8. — L'alternative est développée surtout dans Consolatio. ad Polybium,
9, 2-3-
7- Epist. 63, 16 ; 76, 25. Cf. 108, 17 ss.
^ 8. Epist., 102, début. De même la Consolatio ad Marciam, malgré l'argumentation
épicurienne du § 19, 5, qui va jusqu'à affirmer que «Mors nec bonum nec malum ...
omnia in nihil redigit ».
9- Consentement universel : Epist. 117; 6 ; 102, 2. Cf. Cicéron, supra p. 164.
10. Approbation des sages : Epist. 63, 16 j 102, 2.
i66 LUX PERPETUA ' ' [ ''
Tartare et jugeait oiseux qu'on s'attardât encore à les combattre', son senti-
ment s'attachait au dogme, introduit dans le Portique, de l'immortalité céleste.,
Il l'impose en certains passages avec force ^ ; elle est pour lui une foi, souvent
professée, une conviction, qui est la conclusion naturelle de toute sa psycho-
logie^.
L'âme pour lui, comme pour tous les Stoïciens, est une substance maté-
rielle *, mais formée d'un feu d'une subtilité extrême ^. Elle est descendue
du ciel^, et elle aspire, par suite de son origine même, à y remonter'', car
elle est unie, par une identité de nature; aux divinités qui agissent dans le
cosmos*, et particulièrement aux astres. Mais cet esprit divin est joint à un
corps sujet à la mort 9. Il le possède en vertu même de sa condition humaine,
et c'est pourquoi il éprouve pour lui de l'inclination et de l'attachement '\
Ce corps a le pouvoir d'agir, non seulement sur l'état physique, mais sur
l'activité intellectuelle de l'homme ". Cependant Sénèque établit entre cette
gangue de glaise et l'âme, issue de la sphère céleste, une opposition radicale,
qui est étrangère à l'ancien stoïcisme. Notre organisme, fragile enveloppe,
exposée à toutes les infirmités, à tous les accidents'", est pour l'âme une cause
de soucis et de troubles incessants. Il faut n'avoir avec lui que les rapports
indispensables *^, se soustraire autant que possible à son contact malsain, le
dominer et non se laisser asservir par lui'*; car bien que le corps n'ait pas
le pouvoir de détruire le feu subtil qui le pénètre, il l'oppresse et le contrarie,
I. Fables du Tartare : cf. supra, ch. II, p. 120.
a. E-pîst., 57, g ; Consol. ad. Marciam, 24, 5 ss. ; De brevit. vitae, 19, i.
3. Comme la bien montré Barth, l. c, p. 165 ss.
4. Epist., 106, 4 : « Animus corpus est».
5. E-pist., ^j, 8 ; 50, 6. — Epist. ^ ^7^ Sénèque combat la doctrine singulière de certains
Stoïciens, que si un homme était écrasé sous un poids énorme, l'âme était aussi réduite
en pièces, ne pouvant sortir du corps. Pour notre philosophe, sa subtilité même lui per-
met de s'échapper. Juste Lipse {l. c.) a retrouvé une trace de la même aberration
stoïcienne dans Stace, Zihébaïde, VI, 885 : « Obtritum cadaver animam propriis non red-
didit astris »,
6. Consol ad Helv., 6, 7 ; n? 7 j Epist., 120, 15.
7. Epist., 92, 30 ; 41, 5 ; 79j 12 ; Consol. ad Marciam, 24, 5.
8. Consol. ad Helviam, VI, 7.
9. Cf. l'exposé de Barth, op. cit., p. 165 ss.
10. Epist., 14, I. Cf. Symbol. 21, n. 7 ; 364, n. 4.
II. Dial., IV, De ira. II, 19, i.
12. Consol. Marc, XI, 3.
13. Epist., 78, 22.
14. De vita beata, 8, 2 ; Epist., 58, 23 ; 92, 33.
CHAPITRE III, — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 167
et il l'empêche d'atteindre le btit auquel la nature le destine. Il est un poids)
en même temps qu'une peine pour l'âme : celle-ci se sent accablée par sa
pression, et demeurerait sa captive, si la philosophie ne la ramenait des préoc-
cupations terrestres vers le ciel * . Cette évasion lui rend la liberté ^ ; elle se
soustrait ainsi à la prison où elle est retenue, est réconfortée par la con-
templation des êtres célestes. Aussi le sage a-t-il hâte de briser définitivement
les liens qui l'enchaînent^, de sortir par la mort, d'une geôle étroite, de quitter
ce corps qui n'est pour lui qu'un logis malsain, où il est passagèrement hébergé*,
qii'une enveloppe dont il se dépouille comme d'un vêtement'', et de rompre
ainsi toute cohabitation avec un « ventre dégoûtant et fétide » ®. Dans tous
ces développements souvent répétés, Sénèque parle comme les Pythagoriciens
et les Platoniciens, et sa rhétorique elle-même renchérit sur eux.
Le sage est un dieu sur la terre '•, et lorsqu'il la quitte il rétourne vivre
parmi les astres dans la société de ses égaujc ^ . Mais la plupart des hommes
ne s'élèvent point à une telle perfection : il faut que leur âme séjourne
quelque temps dans la zone voisine de notre globe pour y effacer les tares
contractées dans cette vie mortelle" ; elle est pu,rifiée de ses souillures par
les éléments entre le ciel et la terre, d;ans cet espace plein d'effroi, où le
tonnerre et la foudre, le souffle des vents, les précipitations des nuages, de
la neige, de la grêle provoquent comme un tumulte incessant '". Allégée du
poids de ses fauites, elle s'élance vers les hauteurs célestes où elle retrouve les
esprits bienheureux et peut s'entretenir avec le cénacle sacré des grands
hommes dU| passé*' .
C'est sa parenté originelle avec les dieux, c'est la communauté d'une même
essence, qui inspirent à l'esprit humain le désir de s'occuper des choses
1. E-pist., 65, 16 s. ; De tranquill. anîmae, XI, i.
2. Efist., 65, 16.
3. Cons. ad Marciam, Z'i, 2 ; Cons. ad Polyb., g, 3.
4. Bpist., 120, 14. — Cf. 65, 21 : « Corpus domicilium obnoxium »; 102, 24; 70, 16.
5. Cons. ad. Marciam, 25, i ; Ef., 92, 13 : « Corpus animi est velamentum ».
6. Efist., 102, 27, s'oppose à la doctrine épicurienne sur le plaisir du ventre. Cf. supra,
en. II, p. 141, n. 2.
7> Consol. ad Marciam, 26 ; Consol. ad Helvîam, XI, 5. Cf. Symbol., p. 264 ; p. 271.
8. Consol ad Helvîam, 20, 2 ; Quaest. nat. I, Prolog. 12. Cf. Symbolisme, p. 128 ss.
9- Consol. ad Marc, 25, i ;
10. Cons. ad Helv., 20, 2 ; Quaest. nat., I, Prol. 14. Cf. infra, ch. IV, p. 208 ; Symbol.,
P- 126 ss.
n. Consol. ad Marc, 25, 2. Cf. Mystic. astral., p. 274, n. i.
i68 LUX PERPETUA
célestes, en même temps qu'elles lui donnent la faculté de les comprendre i.
Cet esprit^ même en cette vie, lorsqu'il est étroitement lié au corps, dont le
poids pèse sur lui, a la faculté de parcourir rapidement tout l'univers et la,
série des siècles passés et futurs. Il se montre égal à l'infini de l'espace et
du, temps 2, Sa pensée s'attache à l'étude des forces divines disséminées dans,
le monde et surtout à l'observation du ciel eit des astres, et cette application
est pour lui une source intarissable de délectation ^ ; car la nature n'a rien
produit de plus grand et de plus splendide que le firmament, dont l'âme, qui
en est une particule détachée, est la contemplatrice et l'admiratrice^. Il est
l'objet le plus digne de solliciter les recherches de la raison. Il détourne
celle-ci de tout ce qui est médiocre et vil et lui procure à la fois les plaisirs
les plus purs et l'élévation la plus sublime ^ Avant même qu'elle soit délivrée
de sa prison charnelle, elle peut, dans le ravissement de l'extase, s'élever jus-
qu'aux hauteurs célestes'^. Mais lorsque le trépas l'aura libérée de la nécessité
de se servir de ses organes corporels, jouissant du spectacle merveilleux que
lui offre le chœur des étoiles ^, elle comprendra pleinement les causes de
leu.r course ininterrompue et pénétrera les secrets les plus intimes de la
nature. La contemplation des astres, au milieu desquels elle vivra, comme, du
haut de son observatoire, la vue de la terre qu'elle a quittée^, lui vaudront
ujie jouissance toujours renouvelée.
II y a ainsi Ujn parallélisme parfait entre l'activité intellectuelle du sage
ici-bas, et celle des bienheureux dans les sphères étoilées ^ ; les joies que
1. Quaest N., Prol. 17 ; Consol. ad Eelvîam, VIII, 6 (Cf. Manilius, II, 115); E-pist.^
93, 9 5 De Provid.., 1. 5. Sur la cognatio de l'homme et de Dieu, cf. Consol. ad Helviam,
II, 7 ; Epist., 108, 17.
2. Ad Helviam, 20, z ; Efist., 102, 20, 22 3 Cf. Cicéron, Hortensius, fr. 50 Mûller.
3. Ad Helviam, 20, 2 ; Epist., 102, 27-28 ; Quaest nat., Prol., 17; De Beneficîis, IV, 23.
4. Cons. ad Helviam, 8, 4 : « Animus oontemplator admiratorque mundi » ; Epist., %
56. Idées de Posidonius : cf. Myst. astral., 268, note i.
5. Quaest Nat., IV, 4, 2 ; De Benef., IV, 23 ; cf. Barth, op. cit., p. 155 ss.
6. Epist., 79, 12. Cf. Consol. ad Helviam, VIII, 6 : L'idée d'une extase, qui ravit l'es-
prit et le transporte au milieu des constellations, est beaucoup moins accusée chez Sénèque
que chez d'autres auteurs (ci. supra, p. 160). Un tel mysticisme répugnait à l'esprit romain,
et Sénèque, qui a dû en trouver l'indication dans ses sources, n'y fait allusion qu'en
passant et à mots couverts.
7. Consol. ad Marciam, 25 ; Consol. ad Pol., 9, 3 ; 9, 8 ; Quaest nat. I, Prol. 7-12;
Epist., g^, 9.
8. Consol. ad Marc, 25, 4 ; Consol. ad Polyb. 9, 3 5 cf. Symbol., p. 123, n, 3.
9. L'idée est platonicienne, cf. Epinomis, pp. 896 c et 992 b. Même idée dans les tois,
X ; "Cimée, 90 bd. Cf. Ed. des Places, A. C., 1942, XI, p. 97.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 169
procure aux esprits studieux la recherche de la vérité sont une anticipation
de la félicité que l'âme, dégagée de tout contact avec le corps, éprouvera
dans une autre vie^, au moins jusqu'au jour lointain de la conflagration uni-
verselle 2. Ainsi la mort n'est pas pour nous un châtiment, et il est dérai-
sonnable de. l<a redouter comme le fait le vulgaire. Sénèque ne se contente
pas de reprendre pêle-mêle les considérations traditionnelles chez les philo-
sophes pour combattre cette crainte. Il répétera avec les Épicuriens, nous
l'avons vu-'', que l'on retombe après le décès dans l'inconscience qui a précédé
la naissance, avec les Stoïciens que cette nécessité, inhérente à la condition
humaine, est conforme aux lois divines de la nature, que la mort nous délivre
de tous les maux, y compris l'appréhension même de cette- mort. Il repro-
duira inlassablement tous les arguments propres à faire accepter, sans rébellion,
la soumission à un sort inéluctable. Mais ce n'est plus seulement la rési-
gnation que prêche le philosophe : il fait luire ime grande espérance.
Il oppose à la bassesse et à l'étroîtesse de notre demeure présente l'élévation
et l'immensité de son séjour céleste^, à l'obscurité qui offusque notre vue
ici- bas, la splendeur éclatante des sphères éthérées, où toutes les ténèbres
seront dissipées ^, au trouble et à la confusion de notre existen^ce agitée le repos
dont nous jouirons dans la sérénité de la lumière supérieure, quand, après
avoir été ballottés par les orages de la vie, nous atteindrons le havre tranquille
des cieux^, à la brièveté enfin de notre passage en ce bas monde la pérennité
de notr3 béatitude dans un monde meilleur'. Ainsi notre vie humaine est un
simple prélude, une préparation à une autre vie plus longue et plus heureuse,
qui commence au moment du décès s. La première est comparable à la gestation
du foetus dans le sein de sa mère : de même que l'enfant vient au monde
dans la douleur et se dépouille des membranes qui l'enveloppent, ainsi notre
1. Quaest Nat., I, Prol. 6-7.
2. Cons. ad Marc, 26, . 6-7.
3. Argument épicurien, cf. supra, p. 125. Episf., 92, 34, reprend la pensée de Lucrèce
(Cf. supra, ch. I, p. 16) qu'il impoite peu que le feu détruise le corps, que la terre le
recouvre, que les carnassiers le dévorent. Sur ces exhortations à mépriser la mort, dont
Sénèqùe a donné le meilleur exemple par sa propre fin, cf. Barth., op. cit. [supra,
p. 165, n. i], p. 176 ss.
4. Consol. ad Polyb., IX, 8 ; Epist., 92, 31 ; 120, 15 ; Quaest nat., I, Prol. 8-13.
5. Epist., 79, 12 ; 102, 28.
6. Consol. ad Marciam, 24, 5 ; Consol. ad Polyb., 9, 6. Cf. sur ce repos dans la
lumière céleste, Symhol., p. 374 ss.
7. Consol. ad Polyb., 9, 6 ; Cons. ad Marciam, 26, 7.
8- Epist., 102, 22 ss. ■ I .
170 LUX PERPETUA
existence terrestre mûrit une seconde parturition, pénible comme la précédente,
qui nous débarrassera des téguments corporels où nous sommes enserrés '.
« Le jour crucial que nous redoutons comme le dernier est celui de notre
naissance pour l'éternité » ^.
Ainsi la prédication de Sénèque en arrive à répandre des idées toutes
proches des croyances chrétiennes, à u,ser même parfois d'utn langage qui
pourrait être celui d"un apologiste. L'on comprend qu'on l'ait regardé
comme secrètement conquis à la foi nouvelle — malgré son suicide —
et admis l'authenticité de la prétendue correspondance échangée entre lui
et saint Paul. Sa propagande morale, en effet, recommande des exercices
spirituels qui pourraient être ceux d'un chrétien. C'est ainsi qu'il exhorte
à la méditation de la mort, pour se préparer à celle-ci et se rendre digne de
l'obtenir en épurant sa pensée par cette concentration de l'esprit su,r un tel
objet. Mais il ne fait ici qu,e suivre Platon^. Sans doute si les œuvres des
prédécesseurs grecs du moraliste romain n'avaient pas péri, y trouverions-nous
développées déjà les mêmes idées que chez lui, et il apparaîtrait que ce direc-
teur de conscience n'a fait que les transposer en latin et les vulgariser en
leur prêtant l'attrait de son éloquence pittoresque, incisive et pressante.
1. Cf. N. C. VI.
2. Efist., io2j 28-29 : « Dies iste quem tanquam extremum reformidas aeterni na-
talis est ».
3. C'est la ^tkivT\ 9avàTou de Platon, Phédon, 81 A, à laquelle Sénèque fait direc-
tement allusion dans la Consolatio ad Marciam, 23, 2. Cf. Symbol., p. 365.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 171
III. — Formes de l'immortalité céleste 1.
Nous avons marqué les voies par lesquelles la foi en l'immortalité astrale
se propagea dans le monde antique et rappelé quels furent les principaux
défenseurs de cette croyance, dans la mesure où nous les connaissons. Mais
il s'en f au^t . que nous puissions en suivre le développement à travers la litté-
rature religieuse et philosophique et indiquer la part qui revient dans ses trans-
formations à chacun de ses adhérents. Nous devons nous contenter d'exposer
brièvement ici, pour terminer ce chapitre, quelles furent les diverses formes
que prit successivement cette grande doctrine çschatologique.
Des croyances répandues chez beaucoup de peuples par le monde mettent
la survie de l'âme en relation avec les astres. Longtemps on se figura
naïvement qu'un nouveau soleil était créé chaque matin 2 ou du moins chaque
hiver, qu'une « nouvelle lune » naissait chaque mois , et des traces de cette
idée primitive ont survécu dans les religions de l'antiquité et jusque dans
notre langage moderne. Mais lorsqu'on se rendit compte que les mêmes
luminaires célestes, après avoir amorti leurs feux et perdu leur éclat, réap-
paraissaient pour recouvrer bientôt leur splendeur, que les étoiles qui s'allu-
maient au, crépuscule étaient les mêmes qui s'étaient éteintes à l'aurore, leurs
vicissitudes furent mises en rapport avec la destinée de l'homme, qui devait,
comme eux, renaître à une vie nouvelle 3. Diverses tribus sauvages associent
ainsi les astres et spécialement la lune à la résurrection des morts. Le disque
blafard, qui verse dans les ténèbres nocturnes sa lueur indécise, faisait
apparaître les fantômes qui hantaient les songes et les veilles. Il était la
puissance qui présidait à la vie d'outre-tombe. Chez les Grecs, dès les temps
les plus anciens, Hécate est à la fois la déesse lunaire, l'évocatrice des
revenants et la reine des Enfers. En Orient des idées astrologiques se
mêlaient à cette mythologie ; on enseigna que les rayons froids et humides
de l'astre des nuits corrompaient la chair des morts et en détachaient ainsi
1. Pfeiffer, Studien zum antihen Sternglauben,'Z-zoiy(zia, II, 1915 ; P. CapeUe, De luna,
stellis, lacteo orbe animarum sedibus (Diss. Halle), 1917. Goindel dans Roscher, s. v.
« Sternbilder », p. 1065 ss.
2. C'était encore l'opinion des Épicuriens, cf. Symbol., p. 60, infra, ch. IV, p. 195.
3. Symbol., p. 218, n. i ; p. 211, n. 6.
172 LUX PERPETUA
l'âme, qui abandonnait progressivement le cadavre. Aux jours critiques où ils
exerçaient une influence plus active sur cette dissociation, les Syriens offraient
des sacrifices sur les tombeaux et la triple commémoration des trépassés dans
l'Eglise byzantine a pour origine première ces offrandes des cultes sidéraux * .
C'était aussi une opinion très répandue, et qui a survécu dans le folklore
européen, que chaque homme a son étoile au ciel^. Elle est éclatante, s'il
a un sort brillant ; pâle, s'il est de condition modeste. Elle s'allume à sa
naissance, et à sa mort elle tombe, La chute d'une étoile filante indique donc
un décès. Cette idée vulgaire était courante dans l'antiquité. Pline l'a rapporte
en lui déniant toute vérité *, et elle est encore combattue au V^ siècle, par
Eusèbe d'Alexandrie^ : « Il n'y avait donc que deux étoiles au temps d'Adam
et d'Eve, interroge l'évêque, et huit après le déluge, quand Noé et sept
autres personnes furent sauvés dans l'arche » ? Les formules des épitaphes
et l'usage même de la langue indiquent combien était triviale la croyance
que chacun naissait, comme nous le disons encore, sous une bonne ou mau-
vaise, étoile. AstnosiÂs en latin est l'équivalent de notre « malchanceux » ^
Cette doctrine d'une astrologie rudimentaire fut incorporée dans le système
de la généthlialogie savante. Bien que celle-ci attribuât aux planètes et
aux signes du zodiaque une influence prédominante, elle enseignait aussi,
comme le vou,lait l'opinion populaire, que chacune des étoiles les plus bril-
lantes (Àa[j.Tïpol àa'T£peç),si elle était dans une position favorable, assurait au
nouveau-né richesse, puissance et gloire .
Une autre croyance largement admise à travers le monde était celle que
les esprits des morts allaient habiter la lune ^ . En Orient, elle conserva une
forme grossière, qui remonte certainement à un paganisme très primitif.
Nous la trouvons dans l'Inde comme dans le manichéisme, né en Mésopo-
tamie au lil^ siècle, mais qui admit dans ses spéculations souvent extrava-
gantes beaucoup d'anciennes traditions. Tous ceux qui abandonnent cette
1. C. R. acad. inscr., 1918, p. 278 ss. Cf. Freistedt, Altchristl. Gedâchnisstage tind
ihre Beziehung zum J enseitsglauben der Antike, 1928. Cf. sufra, ch. I, p. 28.
2. Capelle, o-p. cit., p. 19 ss.; Mani «né sous une étoile brillante dans la race des
maîtres » : Scheftelowitz, Entstehung der Mani-Religîon, Giessen, 1926, p. 15.
3. Pline, N. H., II, 8, 28.
4. Euseb. Alex., De Astronomia, i (P. G. LXXXVI, i, p. 453) ; cf. Bouche-Leclercq,
Astrol. grecque, p. 386, n. 2.
5 Xlhes. l. Z,., s. V.
6 C. C. A. G., V, pars, i, p. 196 ss.
7. Capelle, of. cit., p. i ss.
CHAPITRE m. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 173
terre, dit 'un Upanishad, vont dans la lune ; l'haleine de ces morts l'enfle
pendant la première moitié du mois. De même selon les Manichéens, durant
le croissant, le disque de la lune se gonfle d'âmes, conçues comme lumi-
neuses, qu'il puise sur la terre, et, pendant le décours, il les transvase dans
le soleil. Ou bien, usant d,^ime image bien antérieure à lui, Mani disait encore
que la barque de la lune, qui vogue dans le ciel, se chargeait d'âmes qu'elle
transbordait chaqu,e mois su,r le vaisseau , plus grand du soleil ' .
La connexion qu'on établissait entre la lune et l'idée d'immortalité dans
les religions syro -puniques se manifeste en Afrique par l'abondance extraor-
dinaire des monuments funéraires qui portent le symbole du croissant, soit
seul, soit associé au disque solaire et à la planète Vénus ^ : ces symboles
astraux sont identiques à ceux dont se servaient déjà les Babyloniens, créateurs
de la triade Sîn, Shamash, Ishtar. Mais ce n'est pas seulement chez les peuples
sémitiques que nous trouvons sur les tombeaux le croissant, soit isolé, soit
accompagné d'autres figures : il est d'une fréquence particulière en pays
celtique, et l'on a démontré que cet emblème de la lunule n'y est ni d'impoar-
tation romaine, ni d'origine germanique, mais appartient au vieux fonds de la
religion indigène. Il est possible que les Druides aient placé dans la lune
l'autie monde, V or bis alms\ on les hommes poursuivaient une existence que
la mort n'interrompait point; mais l'examen des monuments montre qu'aux
traditions autochtones se sont probablement mêlées en Gaule les doctrines
orientales des mystères de la Grande Mère, et peut-être aussi celles du pytha-
gorisme.
Pour le soleil, rme croyance fort ancienne voulait que les morts l'accompa-
gnassent dans sa cou,rse et descendissent avec lui des confins occidentaux de
la terre dans le monde souterrain '. C'est là que l'astre affaibli recouvrait ses
forces pendant la nuit, c'est là aussi que les défunts devaient être revivifiés.
On sait quelle fut la puissance de cette foi dans l'ancienne Egypte '' : lés
âmes montaient dans la barque de Râ et, après avoir parcouru avec lui le cercle
à,u ciel, s'enfonçaient avec lui dans la région inférieure par une fente de la
1. Symbol., p. 178 ss.. Transformation morale de cette croyance dans le mazdéisme :
Darmesteter, Zend-Avesta, Yasht VII, t. II, p. 408, n. 4.
2. Symbol., p. 209 ss.
3. Lucain, I, 456 ss.. Cf. Symbol., p. 213 .^s.
4. Persistance de cette vieille idée, attestée à propos de Constance Chlore, cf. infra,
en. VI, p. 292.
S- Breasted, Development of religion in ancient Egyft, p. loo ss.
174 LUX PERPETUA
terre ou par delà l'Océan. C'est l'origine première du rôle de psychopompe
que nous verrons attribué au dieu solaire.
Enfin beaucoup de peuples ont cru que les âmes, après s'être envolées à
travers les airs, circulaient ensuite dans les cieux sous la forme d'étoiles
brillantes'. La multitude des astres qui scintillent au firmament est celle des
morts innombrables qui ont quitté la terre. Leur foule serrée se presse surtout
dans la longue traînée lumineuse de la Voie lactée, qui est par excellence le
séjour des trépassés^. Une autre croyance reconnaissait dans l'anneau blan-
châtre de cette nébuleuse, qui traverse la voûte céleste, la grand'route que
suivaient les défunts pour monter au sommet du monde, et une survivance
verbale de cette vieille idée s'est conservée dans le nom même de Voie lactée.
Certaines de ces opinions très diverses sur le sort des âmes après la mort,
qu'oii trouve répandues parmi mainte population non civilisée, peuvent aussi
avoir eu cours dans le folklore des anciens Grecs, mais nous n'en avons aucune
preuve. De même que les Hellènes n'ont accordé aux astres qu'une place
restreinte et secondaire dans leur religion anthropomorphique, ils n'ont pas
ou n'ont guère cru primitivement que les âmes montaient vers le ciel étoile.
Cette doctrine est même absoliunent étrangère aux premiers penseurs ioniens '.
* *
L'immortalité astrale, dont nous avons suivi la propagation de la Perse et de
la Babylonie jusqu'aux Pythagoriciens, se distingue nettement des idées vul-
gaires que nous venons de passer rapidement en revue : ce fut une doctrine
savante qui était liée à une cosmologie et à une astronomie relativement
avancées, ec qui se modifia à mesure que progressait la science. Nous allons
• tâcher de définir les divers aspects sous lesquels elle se présenta, en parlant
successivement de l'immortalité lunaire, solaire et stellaire.
La première étape que l'âme doit franchir pour s'élever vers les cieux est
la traversée de l'atmosphère. Nous avons vu précédemment (p. 78) que l'âme
est souvent conçue comme im souffle, qui, exhalé par le moribond, flotte
dans l'air ambiant, mêlé aux vents. L'antique conception que l'air est l'élément
1. Pfeiffer, o-p. cit., p. 113 ss. j Capelle, of. cit., p. 19 ss.
2. Capelle, p. 37 ss. ; Boyancé, Songe, p. 133 ss.; cf. Gundel, R. E., s. v. raXâ^wî
Sur cette route des âmes cf. infra, ch. VI, p. 280.
3. Pfeiffer, o-p. cit., p. 113.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 17 5
où se meuvent les esprits des morts prit une force nouvelle et une signification
plus profond,e lorsque fut admise la doctrine de l!immortalité astrale ; car
l'atmosphère, que les âmes devront nécessairement franchir pour atteindre les
sphères célestes, ne sera plus pour elles qu'un séjour transitoire, un lieu de
passage jusqu'à l'astre le plus proche de notre globe, la lune.
Pour les Pythagoriciens l'espace compris entre la terre et la lune est
« rempli d'âmes » \ Il est constamment parcouru par le va et vient d'une
foule d'entre elles, dont les unes descendent ici-bas, saisies du désir de
s'incarner dans un corps, d'autres, le cycle de leurs épreuves terrestres révolu,
remontent vers les sphères supérieures. Ces philosophes enseignaient, — comme
l'avait fait déjà le mazdéisme — que les Vents, conçus comme des divinités,
peuvent favoriser ou contrarier l'ascension des esprits des morts et, en les
secouant dans leurs tourbillons, les châtier et les alléger du poids de leurs
fautes 2'. Ou encore ils admettaient qu'un dieu psychopompe conduisait ces
âmes vers leur demeure céleste et les protégeait contre les attaques des démons
aériens qui tentaient de s'opposer à leur vol'. Nious aurons à reparler de
ces idées mythologiques à propos des peines des Enfers *, car pour les défen-
seurs de l'immortalité céleste, ces inferi sont la zone inférieure du monde,
remplie du trouble des éléments, qui s'étend à proximité de notre terre, et oii
les éîd'ôla restent exposés à de cruels tourments.
Les Pythagoriciens admirent qu'après avoir été purifiées dans les airs,
les âmes allaient se fixer dans la lune. A la question : « Que sont les îles
des Bienheureux ? » la doctrine orthodoxe de la secte, nous l'avons vu (p. 146)
répondait : « le soleil et la lune » ^. Ces astres étaient pour eux des îles mou-
vantes baignées dans un fluide lumineux, que leur révolution rapide faisait
bruire autour d'elles. Ces penseurs, qui agitèrent toutes les hypothèses scien-
tifiques, admettaient la pluralité des mondes, opinion que Fontenelle défen-
dait encore en 1686, non sans ingéniosité. Les astres étaient d'autres terres,
entourées d'air, qui roulaient dans l'éther infini. La lune en particulier devenait
la « terre éthérée », la « terre olympique >> s, et c'était là que se trouvaient
I. Diogène Laërce, VIII, 32 : ETvai uâvra tôv àspa i|/u)(^â)v è[ji.-j:).swv. Cf. A. Delatte, Vie
de Pythagore, 1922, p. 129, n. 12, p. 226 ss.
2. Cf. Symbol., p. 117,
3. Cf. infra, ch. VI, p. 300.
4. Cf. infra, ch. IV, p. 208.
5- Jamblique, J^. P., XVIII ; 2 = Diels, Vorsokr., 3, p. 358, 18. Cf. Plut., De genio
Socratîs, 22, p. 590 c ; Hiéroclès, In aur. carmen, fin.
6. Cf. Symbol., pp. 167, 184, 188 j su-pra, p. 146.
176 LUX PERPETUA
les Champs Elysées, les prairies de l'Hadès, où étaient admis les Elus. Dans
ce séjour sélénien, comme, selon Homère, dans les îles Fortunées, les héros
se reposaient à jamais, et Pythagore lui-même s'y réjouissait au milieu des
sages, avec Orphée et Platon*. Perséphone, assimilée à Artémis, régnait sur
ce royaume des ombres heureuses. La lune, comme cette déesse infernale,
ne se transportait- elle pas alternativement au-dessus et au-dessous de la terre ?,
Les planètes étaient les chiens de cette chasseresse toujours en course, qui
autour d'elle battaient en tout sens les champs de l'espace^.
A tous égards l'astre nocturne, destiné à recevoir les âmes les plus hautes,
était supérieur à notre globe terrestre "*. Les auteurs d'apocalypses pythago-
riciennes peuplèrent les montagnes et les vallées lunaires d'animaux fantas-
tiques, plus robustes que ceux de notre faune, y firent croître ydes plantes
étranges, plus vigoureuses que la flore d'ici-bas. Les séléniens, nourris des
vapeurs de l'atmosphère, n'étaient point, selon eux, soumis aux besoins humains.
Pans son Histoire Véritable, Lucien a parodié ces folles imaginations avec
une outrance comique et une obscénité bouffonne*.
A côté des Néopythagoriciens, les Stoïciens éclectiques, et en particulier
Posidonius, firent à l'eschatologie lunaire une place dans leur système, et ils
entreprirenr de la justifier par les doctrines physiques du Portique. Suivant
eux, nous l'avons vu (p. 114), les âmes, souffles ignés, s'élèvent en vertu de
leur légèreté même à travers notre atmosphère épaissie par les brouillards
et les nuages, vers les feux subtils du ciel ^. Leur ascension ne se fait point
sans obstacle : l'air, l'eau et le feu forment des zones concentriques, toujours
en mouvement autour de la terre pesante et stable. En traversant ces éléments
superposés, les âmes sont ventilées, lavées, brûlées, et ainsi purifiées et
délestées du poids de leurs souillures — nous aurons à revenir sur ce pur-
gatoire aérien®. Lorsqu'elles atteignent la région supérieure de l'atmosphère,
elles y trouvent, dans l'éther qui environne la lune, un gaz léger et chaud,
semblable à leur propre substance, et elles y demeurent en équilibre. Conçues
comme matérielles et de forme sphérique — car la sphère, la plus -parfaite
des formes, convient à la divinité^ — elles sont nourries, ainsi que les astres,
1. Cf. Ihîd., p. 184 s., 315.
2. Ihià., p. 185, n. 3.
3. Ettig, Acher., p. 400.
4. Symbol., pp. 182, 190.
5. Cf. supra, ch. II, p. 120 et p. 122.
6. Cf. Symbol., p. 132 ss., et infra, ch. IV, p. 208.
7. Symbol., p. i2Z, n. 4.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE i77
par les exhalaisons qui montent du sol et des eaux. Ces globes innombrables
d'un feu doué d'intelligence, forment un chœur animé, évoluant autour de
l'astre des nuits. Les Champs Elysées ne se trouvent pas, selon cette théorie,
sur la lune elle-même, qui cesse d'être l'habitat des héros, mais dans le fluide
ardent et pur qui environne celle-ci et où ne pénètrent que des âmes pures
comme lui'. A ces âmes d'élite, qu'ont divinisées leurs vertus, est réservée
une demeure sublime, « là où l'air obscur qui s'étend de la terre jusqu'au
cours de la lune, vient toucher les cercles étoiles ». C'est ici que Lucain fait
vivre les Mânes de Pompée^, promu au rang de demi-dieu, ici aussi que siège,
« sinon dans les astres, tout proche cependant des astres », le père de Trajan^ ;
et tout à la fin du paganisme, l'fempereur Julien, au début de sa satire des
Césars, se figure ceui-ci banquetant, comme il convient, à un niveau inférieur
au festin des dieux, qui se réunissent au sommet du ciel : « Il parut bon, dit-il,
qu'ils dînassent dans l'air supérieur, exactement sous la lune ; la légèreté du
corps dont ils étaient revêtus et aussi la révolution de cet astre les y, soute-
naient » *.
Cette zone, la plus basse des sept sphères planétaires, où l'éther serein
confine à notre atmosphère embrumée, est la frontière entre le monde des
dieux et celui des hommes, « l'isthme entre l'immortalité et la génération » s,
la ligne de démarcation entre la vie bienheureuse et cette mort qu'est en
réalité notre existence ici-bas. Aristote avait déjà fortement marqué la dis-
tinction entre les deux moitiés de l'univers, l'une active, l'autre passive, les
cieux que remplit un éther inaltérable, qui ne sont soumis ni au devenir ni
à la corruption^ et notre monde sublunaire composé de quatre éléments où
tout naît, se transforme et meurt. Néopythagoriciens et Néostoïciens, insistant
sur cette opposition, se plurent à faire saillir le contraste entre la splendeur et
I. Symbol., p. 192 ss.
2. Lucain, IX, 5 ss. : « Qua niger astriferis oonectitur axibus aer, / quodque patet
terras inter lunaeque meatus, / semidei Mânes habitant, quos ignea virtus / innocuos
vita patientes aetheris imi / fecit et aeternos animam collegit in orbes ». Dans un sys-
tème religieux de zones cosmiques, qui paraît avoir pénétré chez les Etrusques, entre
la lune et la terre habitent, dans la partie supérieure, les demi-adieux {hemithei), dans
la partie inférieure les héros ; cf. St. \Veinslx>ck, J. R. S. 1946, XXXVI, p. 104 ss.
3. Pline, Paneg., 89, 2 « Si non sidéra, proximam tamen sideribus obtines sedem»;
cf. Fragm., Stoic, 817, Arnim.
4. Julien, Césars, 307 G. La révolution de la lune qu'ils accompagnent, les soutient
eu vertu de la force centrifuge.
5 Ocellus Lucanus, II, 2 « 'Iar9p.oçà0ava(Tt'ai;xa'. Y^vÉereiuç. Ci. Symbol. y^. 194s. ; Immisch,
^gatharchidea, p. 73 ; Rougier, op. eit. {supra, p. 143, n. i], p. 34.
178 LUX PERPETUA
les ténèbres, la sérénité et le trouble, la paix et. la guerre, la constance et la
mutabilité, la vérité et l'erreur, la félicité et la misère qui régnent dans le
séjour des dieux et dans l'Tiabitat des humains où pénètrent les âmes descen-
dant ici-bas dès qu'elles ont franchi le cercle de la lune.
Le croissant, nous le rappelions plus haut (p. 173), apparaît souvent sur les
monuments funéraires de l'époque romaine, soit isolément, soit associé à divers
symboles et, en Afrique comme chez les Celtes, il exprime discrètement de
vieilles croyances indigènes, qu'il est difficile de définir exactement. Cet
emblème n'est figuré sur les épitaphes de Rome et de l'Italie que très excep-
tionnellement '. Toutefois certaines œuvres de la sculpture y révèlent, plus
clairement que les emblèmes astraux, quelle était dans les classes aisées —
celles qui pouvaient s'offrir de tels marbres — la diffusion de la croyance à
l'iimmortalitô lunaire. Pour ne citer qu'un exemple particulièrement révélateur,
un bas-relief romain du Musée de Copenhague nous montre les bustes accolés
d'un frère el d'une sœur, et l'effigie de la fillette est posée sur un large crois-
sant et entourée de sept étoiles, images des planètes^. Ce motif fait évidem-
ment allusion à la croyance que la lune est le séjour des âmes innocentes,
comme celle de cette enfant inconnue ^
Dans ce qui précède nous avons constaté comment la philosophie et la phy-
sique sont intervenues pour transformer la vieille croyance à l'ascension des
âmes vers la lune. L'action de théories qui prétendaient expliquer le
système du monde est plus sensible encore dans les autres doctrines de l'im-
mortalité astrale. Ce fut cette alliance qui leur donna la force de s'imposer
aux esprits cultivés. Par leur accord avec la science du temps elles satisfaisaient
en même temps la raison et la foi. Seulement, comme toute cette eschatologie
reposait en réalité sur une cosmographie erronée, son sort se trouva ,lié à celui
d'une conception fausse de l'univers, et elle s'écroula avec celle-ci.
La première de ces doctrines nous paraît la plus raisonnable, parce qu'elle
se fonde sur le rôle primordial du soleil dans notre monde planétaire. Sa
source lointaine doit être cherchée en Orient ; elle naquit après que les prêtres
« chaldéens », dépouillant la lune de la prééminence qu'ils lui attribuaient à
l'origine, reconnurent l'importance sans égale de l'astre du jour dans le cosmos.
Ces théologiens astronomes tirèrent de leur constatatipn un système où il y
1. Symbol., p. 240, p. 252.
2. Symbol., p. 241 et pi. XX, 2.
'3. Cf. infra, ch. VII sur les ôéwpot et N. C, Vil.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 179
a comme une anticipation de la gravitation universelle, et qui devait séduire
à la fois par sa grandeur et par sa logique. Il se répandit dans le monde
au ir- et au l^r siècle avant notre ère, et certains indices montrent que les Pytha-
goriciens, fort adonnés à l'astrologie, furent parmi les premiers à l'adopter 1.
Certainement il fut connu de Posidonius, et sans doute les écrits de celui-ci
contribuèrent-ils à lui assurer une large diffusion 2.
Le soleil, au quatrième rang, c'est-à-dire au milieu de la série « chal-
déenne » des planètes ^, ainsi qu'un roi entouré de ses gardes, attire et repousse
alternativement, par un double effet de son énergie, les autres corps célestes,
et il provoque leurs mouvements combinés, comme le coryphée dirige les
évolutions rythmiques du chœur*. Les Pythagoriciens reconnurent en lui
l'Apollon Musagète, celui qui conduit les Muses réparties dans les neuf cercles
du monde et dont les accords produisent l'harmonie des sphères ^ Or, les
astres étant regardés comme les auteurs de tous les phénomènes physiques et
moraux de cette terre, celui qui règle le jeu compliqué de leurs révolutions
sera l'arbitre des destins, le maître de toute la nature. Placé au centre du
grand organisme cosmique, il l'animera jusqu'à ses extrémités, et l'on se plaît
à le désigner comme « le cœur du Tout" », où son rayonnement distribue
la chaleur.
Mais cet univers si bien ordonné ne peut être conduit par une force aveugle :
le soleil sera donc une lumière intelligente («pco^ vospov) et les théologiens
le définiront comme la raison directrice du monde \ Par suite il deviendra
1. Boyancé, Songe, p. 61 ss., a rendu plausible, malgré la dénégation, de Hûltsch (cf.
"Chéol. solaire, p. 471) que l'ordre « chaldéen » eds planètes fût adopté déjà par Archi-
inède, et il ajoute foi à l'assertion de Théon que, plus anciennement, certains Pythagori-
ciens l'avaient admis.
2. Cf. infra, N. C, VIL
3. Cf. supra, p. 144. Ce qui suit résume ma "Chéol. solaire, p. 449 ss.
4. Pline, II, 59 ss. -, Vitruve, IX, i, 12; 'Ckéol. sol., p. 455.
5. R. Ph., 1919, XLIII, pp. 78-85 ss.
6. [CapStaxou -rcav-di; ; Théon Smyrn., III, 5 ; T2Jyéol. sol., p. 458. Pour les astrologues,
le soleil régit le cœur de l'homme : Porphyre. C. C. A. G., V, 4, p. 217, 12 ; Antio-
cnus, Mélanges Bidez, p. 155, 19.
7- Cic, Somn. Scif., 4 : « Mens mundi et temperatio » ; Pline, II, 5, 13 : « Totius
lïiundi animum ac planius mentem ; Vhéol. sol., p. 461, n. 3. Sur l'idée que le soleil
«st le Nous du monde, cf. R. Jones, Classical Philology, 1932, XXVII, p. 1 13-125 ;
Boyancé, Songe, p. 80 ss. Si VEpzcharme d'Ennius reproduit les idées du poète sicilien,
celui-ci pensait que, le soleil est la source du Nous : Varron, De l. lat., V, 59 : « Epi-
charmus de mente humana dixit : « Istic, est de sole sumptus ignis, isque totus mentis
l8o LUX PERPETUA
le créateur de la raison particulière qui commande au microcosme humain.
Auteur de la génération, il préside à la naissance des âmes, tandis que les
corps se développent sous l'influence de la lune. L'astre resplendissant fait
constamment descendre de son disque incandescent des étincelles dans les
êtres qu'il doue ainsi d'intelligence. Le principe vital qui nourrit et fait croître
notre enveloppe matérielle est lunaire, le soleil produit la raison.
Inversement, quand la mort a dissocié les éléments qui forment le composé
humain, que l'âme s'est libérée de la gangue terreuse oii elle était enfermée,
le soleil l'attire, de nouveau à lui. De même que son ardente chaleur fait
monter de la terre les vapeurs et les nuées, elle ramène aussi à lui l'essence
invisible qui anime le corps. Il exerce ici-bas une attraction à la fois physique
et psychique. La raison de l'homme remonte vers son principe originel et
retourne au foyer divin dont elle est issue. Les rayons du dieu sont les véhi-
cules des âmes dans leur ascension vers les régions supérieures. Il est Vana,-
gogue qui retire l'esprit de la matière qui le souille i.
Ainsi, de même qu'il écarte et ramène à lui les planètes, par une suite
d'émissions et d'absorptions, il projette, semeur infatigable, ses effluves ignés
dans les êtres qu'il appelle à la vie, et après le trépas il les attirera de nouveau
vers lui pour les recueillir dans son sein. Un cycle perpétuel de migrations
fait ainsi circuler les âmes entre le ciel et la terre, comme les astres s'éloignent
et se rapprochent tour à tour du foyer rayonnant, cœur et esprit du grand
Tout, qui provoque l'alternance de leur course étemelle. On comprend que
cette théologie cohérente et grandiose, fondée sur les découvertes de l'as-
tronomie antique à son apogée, ait imposé au paganisme romain le culte du
« Soleil invincible », maître de toute la nature, créateur et sauveur de l'homme 2'.
Une foule de témoignages littéraires et de monuments figurés prouvent
combien fut puissante, sous l'Empire, la croyance que le Soleil est le dieu
des morts. De vieilles traditions mythologiques se combinèrent, pour l'imposer,,
avec la théologie « chaldéenne » et se propagèrent par l'intermédiaire des
religions orientales. Nous aurons l'occasion de reparler du secours que l'on
attendait du plus puissant des astres pour parvenir à la félicité éternelle ^
Comment, dira-t-on, réussissait- on à concilier cette immortalité héliaque
avec la doctrine qui faisait de la lune la demeure des morts ? Rappelons-
I. X!,héol. soL, p. 464, n, 4.
a. Pour Hermès Trism. aussi le soleil, démiurge universel, gouverne le mionde (ci-
l'éd. Nock-Festugière, II, p. 229 ss.).
3. Cf. infra^ ch. VI, pp. 284 et 301.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE i8i
nous que suivant les religions de l'Inde et de la Perse, et selon le manichéisme
et le mandéisme, les âmes passent de quelque façon par les deux grands
luminaires célestes. Souvenons-nous aussi que déjà le vieil akousma pythago-
ricien associait le soleil et la lune, pour faire d'eux le double séjour des
défunts héroïsés (p. 146). Les Grecs, à la suite des Orientaux, avaient réussi
à constituer un calendrier luni-solaire ; ils construisirent aussi une eschato-
logie ot\ intervenaient les deux astres majeurs, qiii selon leurs prêtres sont les
divinités qui assistent ceux qui vont mourir * . Leur théologie savante imagina
de ces traditions sacrées une interprétation ou justification théoriques. Cette
doctrine se fonde d'une part sur le dogme astrologique exposé plus haut, que
l'astre nocturne préside à la vie physique, à la formation et à la décompo-
sition des corps, mais que le soleil est l'auteur de la vie intellectuelle, le
créateur de la raison. Elle met en œuvre d'autre part la vieille croyance que,
lorsque les âmes quittent la terre, elles sont encore entourées d'un fluide subtil
Veidôlon, qui garde l'apparence de la personne dont il s'est détaché 2. Les
théologiens admirent donc que les âmes qui descendaient sur la terre se revê-
taient, dans la sphère de la lune et dans l'atmosphère, de ces corps vaporeux,
que l'on regardait comme le siège du principe vital {^^yi^- Inversement, lors-
qu'elles remontaient vers le ciel, la fonction de la lune était de dissoudre et
de recueillir ces enveloppes légères, comme sur la terre ses rayons humides
provoquaient la corruption du cadavre. L'âme, devenue ainsi une pure raison,
allait s'absorber dans le soleil, source de toute intelligence.
Cette doctrine, qui est développée avec un grand luxe de détails pittores-
ques dans un mythe, souvent commenté, de Plutarque^, a trouvé une curieuse
expression figurée dans certains monuments funéraires, ce qui fournit la preuve
qu'elle a dû être assez largement adoptée. Ainsi un fragment de couvercle
d'un sarcophage conservé au Vatican représente, semble-t-il, une âme ailée
que Séléné, le front surmonté d'un croissant, amène au soleil radié, assis sur
son trône*. Un beau cippe romain du Musée du Louvre nous montre le buste
1. Commodjen, VIII, 10 : « Sacerdotes... numina qui dicunt aliquid morituro prodesse. »
2. Diogène Laërce, VIII, i, 31. Cf. A. Delatte, Vie de Pytbagore, p. 225 et supra,
et- I, IV, p. 90.
3. De facie in orbe lunae, p. 941 ss. Cf. Symbol., p. 196 ss. -, Guy Soury, La démono-
hgie de Plutarque, 1942, p. 177 ss. Sur la (Joctrine de JambUque, qui place l'Hadès entre
je soleil et la lune (Lydus, De mensib., IV, 148, p. 167 Wûnsch), cf. infra, ch. VIII.
ûes traces de l'eschatologie luni-solaire se t]y)uvent aussi dans les mystères de Mithra
«t dans les Oracles Chalddiques \ cf. infra, ch. VIII, p. 364,
4- Symbol., p. 245 et pi. XXII bis. ' ,
i82 LUX PERPETUA
d'une; enfant décédée à dix ans avec un croissant sur le sommet de la tête,
puis la même morte — car elle est seule nommée dans l'épitaphe — sous
les traits d'une femme, dont la chevelure est ceinte de la couronne héliaque,
aux sept rayons. L'artiste a manifestement voulu exprimer ainsi l'idée que,
l'enfant prématurément enlevée, après avoir mené dans la lime une existence
transitoire, était élevée vers l'astre, qui recueille les âmes quand leur purifi-
cation est achevée et leur destin révolu ' .
L'immortalité solaire ou luni-solaire est une doctrine savante, fruit de
théories scientifiques, qui firent de l'astre-roi le cœur et le maître de l'univers.
Elle put se faire accepter par les théologiens et les philosophes, être enseignée
par les mystères orientaux, adoptée par l'art funéraire. Mais elle ne réussit
jamais à éliminer ou à offusquer la vieille croyance populaire que les âmes
des morts habitent au milieu des constellations. On trouve une trace de cette
double conception dans l'école stoïcienne : pour certains de ses maîtres, la
raison directrice du monde (yiy£[j.ovr/<.6v} a son siège dans le soleil, pour
d'autres dans la sphère des fixes". De même les poètes, Lucain s'adressant
à Néron et Stace à Domitien, se demandent avec hésitation si ces empereurs
monteront sur le char flamboyant de Phébus ou s'ils prendront le sceptre de
Jupiter dans le ciel suprême 3. Les Néopythagoriciens admettaient que les
âmes peuvent s'élever jusqu'au Très-Haut ("T'>|/caToç) *, c'est-à-dire jusqu'au
Dieu suprême, qui trône au sommet du monde. C'était d'ailleurs une opinion
exprimée fort anciennement chez les Grecs, que l'Olympe n'est autre que le
cercle extérieur qui enveloppe l'univers", et jusqu'à la fin de l'antiquité certains
théologiens transportèrent les Champs Élysées dans la zone des constellations
et en particulier dans la Voie Lactée 6. Cicéron, dans le Songe de Scipion,
assure que cet orbe d'une blancheur resplendissante est la demeure de ceux
qui pendant leur vie ont cultivé la justice et la piété'.
1. Symbol., p. 243 et pi. XXI.
2. Cf. supra, p. 161.
3. Lucain, Phars., I, 45 ss, ; Stace, 'Chéb., I, 27 ss. ; cf. Silves, IV, i, avec la note de
Vollmer, Cf. Etudes syr., p. 97 ss.
4. Diogène Laërce, VIII, 31 ; cf. A. Delatte, Vie de Pythagore, p. 226.
5. Cf. Pfeiffer, op. cit., p. 117, à propos de Parménide. Sur la lune, terre oly^m-
pique, cf. supra, p. 175. Cf. Inscriptions du Pont, 86 (Néoclaudiopolis) : 'AcjxpàffW
oùpavî'oi?.. HXuciotç ; R. Ph., 1909, XXXIII, p. 6 ss., et înjra, note.
' 6. Cf. injra, ch. VI, p. 280 ; Relig. Orient., p. 301, n. 28 ; et Herzog, Xlrierer Zeit-
schrift, 1938, XIII, p. 115 ss.
7. Cicéron, Somn. Scip., III, 6; cf. Macrobe, Comm. s. Se, I, ir, 8.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE , 183
La vieille idée populaire, admise par de très anciens Pythagoriciens, que
l'âme devenait une étoile, ne fut jamais éliminée. Selon la mythologie c'était là
le sort bienheureux réservé aux héros. Nous avons des livres entiers qui nous
racontent comment ceux-ci à la fin de leur carrière furent transformés en
astres brillants en récompense de leurs exploits. Le « catastérisme » donna
une conclusion morale à de vieilles légendes mythologiques, Hercule, Castor
et Pollux, Persée et Andromède et bien d'autres avaient mérité par leurs
exploits d'être ainsi métamorphosés. Aussi ne paraissait-il pas téméraire d'assi-
gner au>; hommes éminents du présent le même destin qu'aux héros du passé.
Si une forme fréquente d'immortalité était, croyait-on, l'assimilation à une
divinité ^, personne ne trouvait choquante la supposition que des esprits supé-
rieurs accrussent le nombre des « dieux visibles »i". C'était en particulier un
sort digne des princes qui avaient mérité l'apothéose, A la mort de Jules César
appanit une comète que l'on crut être l'âme du dictateur reçue parmi les
Immortels^ ; et Ovide n'hésite pas à nous montrer Vénus descendant invisible
dans le Sénat, arrachant cette âme du corps inanimé et l'emportant au ciel,
où elle la sent s'embraser et la voit s'échappant de son sein pour voler par
delà la lune et devenir un astre chevelu *. Hadrien, dans l'affliction que lui
causa la mort d'Antinous, se laissa de même persuader qu'un astre venait
d'apparaître, qui était l'âme déifiée de son favori^. Mais comme en Grèce
l'héroïsatioii finit par être décernée par la simple volonté des familles en
deuil aux parents dont elles pleuraient la perte, de même le catastérisme se
vulgarisa au point d'être accordé à des défunts d'im très modeste mérite.
Le ciel presque entier, observe à ce propos Cicéron, s'est recruté dans le genre
humain^. Danc une inscription d'Amorgos', un jeune homme, enlevé par
les Moires à l'âge de vingt ans, s'adresse ainsi à sa mère : « Ne pleure pas,
à quoi bon ? Vénère-moi plutôt, car je suis maintenant un astre divin qui se
I. Cf. Symbol., index, s. v. « Héroïsation ».
_ 2. Pour Chrysippe et ses successeurs, les âmes qui quittent le corps deviennent sphé-
wques parce que cest la plus parfaite des formes {Symbol., p. ij22, n. 4) ; cf. supra,
p. 177.
3. Pline, H. N., II, 25, 93 ; Suétone, Caes., 88 ; Servius, Ed., IX, 47 et En., VIII,
"pi. Auguste régnant est déjà un astre qui illumine la terre avant de briller dans le
ciel : Manilius, I, 385 ; cf. Kaibel, Epgr., 978.
4- Ovide, Metam, XV, 843-851 ; cf. R. E., Gundel, s. v. « Kometen », p. 1153.
5 Dion Cass., LXIX, 11, 4; Hist. Aug., Hadr., 14. Cf. Claudien, In Ruf., II, 3 :
«Auctior adiecto fulgebat sidère mundus ».
6. Cic, "Cusc, 1, 12, 28 : « Totum prope caelum nonne humano génère oompletum est ? »
7- Haussoullier, 22. Ph., igog, XXXIII, p. 6= I. G., XII, 7, n. 123. Cf. infra, ch. VIL
i84 LUX PERPETUA
montre ati crépuscule ». De même une stèle de marbre trouvée à Albano en
1935 nous montre tm bébé de deux ans emporté vers le ciel, où il siégera,
dit l'épitaphe, avec l'étoile du matin et du soir ; et il exhorte son père à ne
plus verser de larmes, mais à lui sacrifier 1. Et à Milet^ un enfant de huit
ans, qu'Hermès a conduit dans l'Olympe, contemple l'éther et brille au
milieu des astérismes « se levant chaque soir près de la Corne de la Chèvre ».
Par la faveur des dieux il protège les jeunes garçons ses compagnons de jeux
dans les rudes palestres.
Les inscriptions funéraires qui s'expriment avec cette précision sont excep-
tionnelles. Nombreux au contraire sont les textes épigraphiques et littéraires
qui affirment que l'âme du défunt est montée vers les astres pour y vivre avec
les Immortels, mais en laissant indécise la position qu'elle y occupe. On dira
qu'elle s'est envolée vers le vaste ciel ou vers l'Olympe 3, que l'éther l'a reçue,
qu'elle est au sommet du monde et suit les évolutions des armées célestes*,
mais le lieu où se réunissent ainsi les Bienheureux restera vague ; on ne pré-
cisera pas dans laquelle des sphères supérieures ou des constellations ils seront
accueillis. On savait que leur demeure se trouvait quelque part, très haut au-
dessus de nous, mais on ne se hasardait pas à fixer leur séjour exact.
Cependant, de très bonne heure, les théologiens voulurent mettre de l'ordre
et de la précision dans cette eschatologie astrale. Comme ils avaient combiné
les doctrines de l'immortalité lunaire et solaire, ils tentèrent de les concilier
toutes deux avec l'immortalité stellaire. Noiis avons noté au début de ce
chapitre que c'était une idée très répandue en Orient, et admise notamment
dans le mazdéisme et le manichéisme, que l'âme monte vers la lumière éter-
nelle par trois degrés. Le verset où saint Paul révèle aux Corinthiens qu'il
1. Galieti, Rôm. Mitteil., 1943, LVII, p. 70 ss. Cf. î»/r<î, ch. VI, planche II. Comparer les
vers attribués à Platon (Apulée, A'poL, 10 = Diog. Laërce, III, 23) : 'AcrxTip irpiv jxev eXa^-
iTîç èvl Çwolffiv 'Ewo;,/ vôv ôe ôavwv 'XàfX'Ttîtî "EffTCepoi; ev cpôt[;,évot<;. Vénus séjour des âmes bien-
heureuses : cf. Symbol., p. 84, n. 8|; p. 248.
2. HaussoTollier, Ibid., p. 8. Dans une curieuse épitaphe récemment découverte à
Mactar en Tunisie, une morte dit qu'elle habite les Champs Élysées, mais elle -place
ceux-ci au-dessus du Soleil et des étoiles; cf. G. Picard, C. R. Ac. Inscr., 20 sept. 1946.
3. P. ex. Virgile, Georg., IV, 226 « Nec morti esse locum sed viva volare / sideris
in numerum et alto succedere caelo ». Cf. les textes recueillis par Friedlânder, Sitteti-'
gesch., m, p. 308 ; Rohde, Psyché, 11^, p. 384 == tr. fr., p. 579, n. i. Cf. Lattimore,
p. 34 ss.,_p. 312 ss.
4. Maxime de Tyr XVI (X), 9 : Ssoïç xat ôswv Tratu! cîUYyiYvoji,ÉvT(, bràp axpav tou oùpavou
ài\iXSoi ffujjLTTsptTroXouffa xal ffuvT£TaY[i.îv/) axpaxi^ Geûv ; Kaibel, 650 [cf. infra] : -^ç orTpaTÎv); eT<; e'-jJ-'-
Cf. Philon, infra, p. 187, 2.\. ! ; . |. ; , \ i
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 185
a été ravi jusqu'au troisième cieli, indique combien cette conception surannée
était restée vivante. Lorsque Lucien, au début de son Icaroménippe, nous
montre son héros franchissant trois mille stades de la terre à la lune, où il
fait une première halte, de là parcourant cinq cents parasanges jusqu'au soleil
et s'élevant ensuite du soleil jusqu'au ciel, citadelle de Zeus, distance que
parcourt en une bonne journée un aigle au vol rapide, ce voyage burlesque par
dessus les nuages est une parodie de celui que certaiins croyants faisaient
accomplir aux âmes 2. Les Néoplatoniciens adoptèrent parfois la même divi-
sion ternaire et la combinèrent avec des idées psychologiques qui sont un
développement de celles que nous avons rappelées à propos de l'immortalité
solaire (p. 181). Lorsque l'âme descend sur la terre, elle reçoit d'abord un
corps éthéré d'une pureté presque immatérielle, puis la raison s'ajoute à
l'imagination, lorsqu'un corps solaire l'enveloppe, ensuite un tégument lunaire
la rend sujette aux passions, enfin le contact avec un corps charnel devient
une cause d'ignorance des vérités divines et la source d'un aveuglement insensé.
L'âme délivrée de cette gangue matérielle, perd successivement ces penchants
et ces facultés, lorsqu'après la mort elle regagne son lieu d'origine K
La doctrine de la triple ascension des âmes reposait sur une astronomie
rudimentaire, puisqu'elle confondait les cinq planètes mineures avec les étoiles
fixes, et ne distinguait de c;elles-ci que les deux grands luminaires du jour et
de la nuit (p. 143). Depuis longtemps s'était imposé non seulement aux hommes
de science, mais aux auteurs d'apocalyses * le système qui partageait les cieux
en sept sphères planétaires, qu'enveloppait une huitième, celle des fixes, limite
de l'univers. Le dogme eschatologique qui prédomina à la fin du paga-
nisme s'accordait avec cette théorie généralement admise par l'astronomie
de cette époque. Cette doctrine était sans doute déjà celle des Mages d'Asie
Mineure, qui combinèrent les croyances mazdéennes avec l'astrolâtrie chal-
déenne (p. 144). A partir du i" siècle de notre ère, les mystères de Mithra la
firent pénétrer dans la religion de l'Occident s, et au lie le Pythagoricien
1. II Cor., i2ly 2 : 'ApurayâvTa eux; -rpîtou oùpavoQ Sur les trois deux, et les sept cieux qui
leur succèdent, cf. Bousset, Himmelsreise der Seele [A. Religw., 1901, IV, p. 234 ss.) ;
Mages hellén., p. 230, et sufra, p. 144.
2. Lucien, Icaroménî'p'pe.
3. Porphyre, Sent, ad intell., 292 (p. 14, 11), avec les notes de Mommert, p. 13, 71,
qui cite notamment le npô; raOpov, XI, 3 ; Proclus, In Remp., I, p. 152, 17 (Kroll) ; In
t^imaeum, m (p. 234, 25 Diehl) citant les Orac. Chalddica, fr. 47. Cf. m/r«, ch. VIII..
4. Charleà, Book of the Secrets of Enoch, 1896, p. xxxi.
5. Cf. infra, ch. V, p. 260 ; et M. M. M., I, p. 309 ss.
i8é LUX PERPETUA •
Numénius l'introduisit dans la littérature philosophique i, tandis que le syncré-
tisme hermétique l'accueillait dans son pot pourri d'idées disparates 2.
Notre âme descend du haut du ciel vers ce monde sublunaire, en passant
à travers les sphères des planètes et ainsi, avant sa naissance ici-bas, elle
acquiert les dispositions et les qualités propres à chacun de ces astres. Après
la mort elle remonte vers sa patrie céleste par le même chemin. Alors, en
traversant les zones étagées des cieux, elle se dépouille, comme de vêtements ^,
des passions et des facultés qu'elle avait acquises en s'abaissant vers la terre.
Elle abandonne à la lune son énergie vitale et nourricière, à Mercure sa cupi-
dité avide, à Vénus ses penchants amoureux, au Soleil ses capacités intellec-
tuelles, à Mars son ardeur combative, à Jupiter ses aspirations ambitieuses,
à Saturne sa paresse nonchalante. Elle est nue, dépourvue de toute affection
des sens, quand elle atteint le huitième ciel pour y jouir, essence sublime,
dans l'éternelle lumière où vivent les dieux sidéraux, d'une béatitude sans fin.
Dans les mystères de Mithra une échelle composée de sept portes formées
de métaux différents et surmontées d'une huitième servait de symbole à ce
passage des âmes à travers les sphères jusqu'à celle des fixes,, chacune des
planètes étant mise. par l'astrologie en rapport avec un de ces métaux, l'or
avec le Soleil, l'argent avec la Lune, le plomb avec Saturne et ainsi de suite 4.
Mais opposés au panthéisme qui, identifiant la divinité avec l'univers,
plaçait le foyer principal de son énergie dans les sphères célestes et en par-
ticulier dans la plus élevée*, les sectateurs de Platon transportaient Dieu
hors des limites du monde et en faisaient un Être, non plus immaner^t, mais
transcendant, distinct de toute matière^. Cette conception prédomina de plus
I. Cf. infra, ch. VIII, p. 344.
Z. Sur l'ascension à travers les sphères planétaires jusqu'à l'ogcloade, cf. Poïmandrès,
I, 25 (t. I, p. 15 et p. 25, notes 62 ss. ) ; XII, 15 (p. 206 et 215, n. 65 Nock-
Festugière). Cf. Bousset, of. cit., [p. 185, n.i], p. 160 ss., et Relig. Orient., p. 205, n. 91;
p. 302, n. 28. Suivant Timée de Locres les âmes (^uj^a() seraient empruntées aux planètes,
qui se meuvent dans la région du divers, et le voû<; à l'essence du même, c'est-à-dire aux
fixes.
3. Relig. or., p. 282, n. 69 ; Cf. Plotin, I, 6-7 (p. 103 Bréhier).
4. Origène, Contra Celsum, VI, 22 (p. 92 Koetschau). Cf. R.H.Rel., 193 1, ClII,p.46ss.
Dans un mithréum d'Ostie une mosaïque figure ces sept portes, celle du milieu, qui
appartient au soleil, étant plus grande que les autres, cf. C. R. Ac. Inscr., 1945, p. 415-
Sur l'échelle, cf. infra, ch. VI, p. 282.
5 Macrobe, Comm. Somn. Sci-p., ï, 9, 10 : : « Hae autem animae in ultimam sphae-
ram recipi creduntur, quae à-nrXavYJç vocatur. » Cf. I, 11, 8.
é. "Chéol. sol. 21 [467]. Déjà les Pythagoriciens avaient été divisés sur ce point;
cf. A. Schmekel, Philoso-phie der Mittleren Stoa, 1942, p. 42g ss.
CHAPITRE III. — L'IMMORTALITÉ CÉLESTE 187
en plus dans la théologie païenne à mesure que le stoïcisme perdit de son
influence au profit du néoplatonisme. Ce Dieu « ultramondain et incorporel,
père et architecte de la création », siégeait, croyait-on, dans la lumière infinie
de l'Empyrée^ qui s'étend au-delà des sphères étoilées*. La religion le
nomme tantôt le Très Haut ("Til^icrToç), tantôt en latin Jupiter, mais en lui
accolant les épithètes de Sum^mus Exsiifer(intissimus^. C'est ce Père céleste
que les âmes d'élite aspirent à retrouver ; mais seules celles qui ont atteint la
perfection y parviennent. Les autres, suivant leur degré de pureté, s'arrêtent
à un étage inférieur des zones successives formées par l'atmosphère, domaine
des démons, par les cercles planétaires et le ciel des étoiles fixes, qui sont
des dieux visibles*.
Ce fut la dernière conception du paganisme, et elle devait s'imposer à l'esprit
humain durant de longs siècles ^. Déjà le judaïsme avait, fait des concessions
aux théories astronomiques des « Chaldéens » et il leur avait emprunté l'idée
de sept cieux superposés, que nous trouvons développée en particulier dans le
livre d'Hénoch^. Elle appartint aussi au christianisme presque dès son origine,
et les gnostiques lui firent une large place dans leurs spéculations ^. Mais
Origène, qui l'adopta par un emprunt direct aux philosophes grecs, prêta
l'autorité de sa grande éiaidition aux doctrines du paganisme à peine modi-
fiées ^ Selon lui, les âmes, après avoir séjourné dans le Paradis, qu'il localise
dans un endroit écarté, où elles s'instruisent des réalités de notre terre, s'élè-
vent dans la zone de l'air et elles comprennent alors le caractère des êtres
qui peuplent cet élément. Mais si elles se sont dégagées de toute pesanteur
matérielle, elles traversent rapidement l'atmosphère, et elles parviennent aux
1. Sur l'Empyrée, cf. N. C. IX.
2. Apulée, De dogm. Plat.^ I) n ; cf. Philon, De ofif., 23, § 71 : le voOç après avoir
évolué avec le choeur des astres, s'élève itpôi; x-r)v ay.pav àiî^tSa tûv vor,Twv [Cf. p. 184, n. 4]
et veut voir le Grand Roi.
3. A. Religiv., igo6, IX, p. 323 ss. Cf. Hermès Trism., II, p. 383, n. 228, éd. Nock-
Pestugière.
4. Plotin, III, 4, 6 et infra, ch. VIII ; Porphyre, De regr. animae, 2, 3, Bidez (infra,
ch. YIII, p. 368); Augustin, Sermo, CCXL (PL. XXXVIII), p. 1132, 38.
5- Selon Eusèbe, Vit. Const., IV, 69, l'empereur a été représenté siégeant uirlp oùpa-
v'.wv âi];!8a)v Èv a'Ospdp ôtaTpipfi Stavaitaudjj.evûv Cf. L'Orange, Domus Aurea (dans Serta
Eitremiana), 1942, p. 81.
6. Doctrine des sept cieux dans le judaïsme et le christianisme : Charles, o-p. cit.,
p- XXX ss. [p. 185, n. 4], Bousset, op. cit., \_su-pra, p. 185, n. i].
7. Cf. infrUy ch. V, p. 258.
b Cf. Denis, Origène, p. 363 ; Charles, op. cit., p, xliii ; de Paye, Origène (Bibl. éc.
hautes Et. 1923-1928).
i88 LUX PERPETUA
« demeures des cieux », qui sont les sphères étoilées, et elles saisissent la
nature des astres et les causes de leurs mouvements ; enfin lorsqu'elles auront
fait de tels progrès qu'elles seront devenues de pures intelligences, elles seront
admises à contempler face à face les essences rationnelles et verront les choses
invisibles, jouissant infiniment de leur perfection. Bien qu'Origène ait été
condamné par l'Église, ses idées ne devaient point être abolies. La conception
d'une lumière infinie, située au-delà des orbes du monde, où les âmes trouvent
le repos dans la lumière éternelle et obtiennent la contemplation de Dieu,
était à la fin de l'antiquité, commune aux philosophes et aux docteurs de
l'Église ' . Du moment que la science chrétienne adoptait la conception antique
de l'univers telle que l'avait formulée Ptolémée, elle devait naturellement
admettre que les âmes, si elles montaient vers le ciel, traversaient les sphères
planétaires pour parvenir à cette lumière supra-mondaine^, où elles trouvaient la
béatitude parfaite. Le Paradis de Dante avec ses chœurs d'anges et ses classes
de bienheureux répartis entre Les cercles successifs des cieux, fournit un témoi-
gnage éclatant de la force de la tradition que l'antiquité légua au moyen
âge. Il fallut pour la détruire que Copernic et Galilée eussent ruiné le sys-
tème de Ptolémée et que l'astronomie stellaire eût ouvert à l'imagination les
espaces infinis d'un univers sans limites.
1. Symbol., p. 385 ss.
2. Basile, Hexaem., II, 5 (PG. XXIX, 41) : 'Ev tû 67i;£pxoff|i.(t)> ^wtt.
CHAPITRE IV
TRANSFORMATIONS DES ENFERS
I. -— Où PLACER L'HADÈS ?
Nous avons indiqué précédemment comment les Pythagoriciens, en même
temps qu'ils s'initiaient aux conclusions qu'une étude persévérante du ciel avait
permis au clergé de Babylone de formuler, et recevaient de ces « Chaldéens »
les premières notions d'une astronomie scientifique, avaient accueilli aussi la
doctrine de l'immortalité céleste, qui pour les prêtres orientaux en était le
corollaire. Cette doctrine était en contraste flagrant avec les anciennes croyances
helléniques sur la descente des ombres dans un Hadès souterrain ; son adoption
par les philosophes de la Grande Grèce impliquait un bouleversement des idées
Courantes, une révolution dans toutes les traditions religieuses relatives au sort
des âmes. Si nous étions mieux informés de la vie intérieure de la secte, peut-
être verrions-nous que cette eschatologie savante fit d'abord partie de l'ensei-
gnement ésotérique réservé aux sages de l'école, aux [xa6"r]fji-ai;ixot. Sans doute
ne fut-elle pas admise sans résistance, mais aucun écho des discussions que
provoqua cette innovation radicale n'est parvenu jusqu'à nous. Elle choquait
les opinions généralement reçues, elle rompait avec des convictions ancestrales
et elle était en contradiction notamment avec la Nekyia de l'Odyssée, évocation
190 LUX PERPETUA
des morts de l'Erèbc pai* Ulysse, alors que les Pythagoriciens regardaient
Homère comme le Maître inspiré, révélateur de toute sagesse (p., 97).
Aussi n'cst-il pas surprenant qu'ils aient, selon leur coutume, cherché des
acconimodemouts qui leur permissent de maintenir les anciennes croyances, en
môme lemp.> qu'ils en introduisaient de nouvelles, et de ne pas refuser toute
créance au dogme traditionnel de la survie dans riiadès,, qu'on ne pouvait
rejeter sans renier toute la Nekyia homérique^. Une interpolation glissée
dans le texte de cet épisode de l'Odyssée nous révèle comment ils ont procédé 2.
Son apothéose a transporté Héraklès au ciel, où il festoie avec Zeus, mais son
ombre (siocoXov) habite les Enfers et est évoqviée par Ulysse. Aristarque, qui a
condamné ces vers, note qu'ils établissent dans l'homme une distinction en trois
éléments, le corps, l'âme et l'ombre (aco[jt.a/>|;u)(_r], £i.'ScoXov),qui est étrangère à
Homère 3. Mais Ennius dans ses Annales parlait de même de l'Achéron, où n.e
séjoiu-nenlninosâmes, ni nos corps, mais des « simulacres d'une étrange pâleur » ^^
et ce passage est manifestement d'inspiration pythagoricienne, puisque le vieux
poète latin y exprimait sa foi en la métempsycose. C'étaient ces simulacres,
formes légères sortant du sein de la terre, qui nous apparaissaient 'dans nos
rêves ei nous parlaient pendant le sommeil. On peut suivre jusqu'à la fin de
l'antiquité chez les écrivains et dans les inscriptions funéraires ^ la tradition
de la même division tripartite : Virgile paraît y faire allusion*^; Pline la formule
clairement ' ; Plotin s'en est encore souvenu ^ ; et l'érudition des scoliastes nous
fournit sur cette doctrine philosophique des indications précises". Après la
mon le corps est détruit dans la terre, l'âme, qui est une particule de l'éther,
1. Cf. R. Ph., 1920, XLIV, pp. 237 ss. ; Pascal, .Creiewze, t. I, p. 169.
2. Odyssée, XI, 601 ss. Sur cette interpolation, cf. Rohde, Nekyia {Rhein. Mus.,ï),
1895, p. 625 ss. == Kleine Schriften, II, p. 255 s., et Psyché 1\ p. 60 = trad. fr. p. 50.
On introduisit ainsi dans le texte homérique une contradiction que Lucien (Dial. mort.,
6) tourne en ridicule.
3. Schol. Odyss., XI, 602 :
4. Lucrèce, I, 122 s. « Quo neque permaneant animae neque corpora nostra, sed
quaedam simulacra modis pallentia miris ». Cf. Rohde, Psyché, tr. fr. p. 535, n. 2.
5. C. E. 1339.
6. Virg., Aen., Y, 81, avec la note du sooliaste de Vérone (Thtlo et Hagen, III,
p. 432) : « In tria hominem dividit, animam quae in caelum abit, umbram quae ad infe-
ros, corpus qu(od traditur) sepulturae. »
7 Pline, H. N. VII, 55 § 90.
8. Plotin, I, I, 12 ; VI, 4, 16 ; cf. R. Ph.^ l.c. [n. i], p. 238 et infra, ch. VIII, p. 347»
à propos de Plotin.
9. Servius, En., IV, 654; Pseudo-Probus, Comm. BucoL, p. 334, I; cf. Pascal, Ij
P- 170-
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 191
remonte au ciel ; mais l'ombre ou simulacre descend dans les Enfers. Cette
« polypsychie » ' permettait de conserver la foi en l'existence de ceux-ci ;
seulement le principe céleste, qui donnait à l'homme la raison, leur échappait.
Toutefois le subterfuge à l'aide duquel les Pythagoriciens tentèrent de
sauver la vieille croyance hellénique au royaume de Pluton, ne réussit à con-
vaincre qu'un petit nombre d'esprits. Il se heurtait aux objections qu'on avait
opposées à la mythologie infernale (p. 120) et il paraissait exclu que Veldôlon
pût s'enfoncer dans le sein de la terre au lieu de flotter dans les airs. Les
âmes des hommes de bien montaient au ciel ; mais que devenaient celles des
pécheurs ? Où se rendaient- elles si le Tartare n'existait pas plus que les Champs
Elysées ? Comme ni la philosophie, ni la religion ne voulaient abandonner l'idée
d'une rétribution posthume, il fallut chercher un autre Lieu où les coupables
subiraient le châtiment de leurs fautes, et ce problème eschatologique reçut
les solutions les plus diverses.
»
« »
Parmi les doctrines qui furent alors suggérées pour répondre à la fois aux
exigences de la raison et de la morale, la plus proche des croyances antérieures,
et qui en est pour ainsi dire un élargissement, est celle qui situe les Enfers,
non dans les cavités de la terre, trop étroites pour contenir la multitude infinie
des morts, mais dans l'hémisphère inférieur de l'univers.
Cette conception, étrangère à la Grèce ancienne, est étroitement liée au
système du monde qui se représente le ciel des étoiles comme une sphère solide,
entourant la terre pareillement sphérique, immobile au centre du cosmos. La
ligne de l'horizon partage le ciel en deux hémisphères ; l'un supra-terrestre
appartient à la vie, l'autre infra-terrestre à la mort. On ne se trompera pas
en rattachant la diffusion de cette doctrine dans le monde hellénique à l'in-
vasion de l'astrologie chaldéo- égyptienne, qui se propagea victorieusement à
partir du lie siècle av. J. C. L'astrologie, en effet, en a maintenu la tradition,
nous l'avons montré ailleurs^, dans quelques-unes de ses doctrines capitales
jusqu'à l'époque byzantine. Deux portes, l'une à l'horoscope, c'est-à-dire au
Levant, l'autre au Couchant, faisaient communiquer le monde des vivants avec
celui des défunts. Le point le plus bas de l'hémisphère inférieur, Vkypogeion
i.Cf. N. C. XIIL
2. Cf. Symbol.^ p. 36 ss., que résument les pages qui suivent. ;
192
LUX PERPETUA
ou culmination inférieure des astrologues, devint la partie du ciel où l'on
transporta le Styx, l'Achéron et la barque de Charon, dont on donna les noms
à des astérismes de la « Sphère barbare » .
Il semble que certains Pythagoriciens se soient constitués les défenseurs de
cette doctrine et l'aient propagée. Partageant les divinités par couples, ils assi-
gnèrent de chaque couple l'une à l'hémisphère supérieur, l'autre à l'hémisphère
Fig. I. — Dioscure, symbole des hémisphères, avec l'Océan et la Terre.
inférieur. A Jupiter céleste répond le Pluton inférieur, à Junon, Proserpine, et
ainsi de suite ' .
Ce sont encore les Pythagoriciens qui firent des Dioscures les symboles des
mêmes hémisphères. Castor et PoUux, qui selon la mythologie vivaient tour
à tour chacun de deux jours l'un, représentaient les moitiés du ciel qui,
dans sa rotation quotidienne passe alternativement du domaine de la vie à
celui de la mort, au-dessus et au-dessous de la terre ; et cette interprétation
I. Lactantius Placidus, 'Cheb., IV, 527. Sur la distinction pythagoricienne ' des deux
hémisphères, cf. Aristote, De caelo B, 2, p. 285 a 10 j Diels, Vorsokr. Pythag. 6,30,31'
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS ■ 193'
des deux héros jumeaux les a fait reproduire avec cette signification cosmique
sur un grand, nombre de sarcophages (Fig. 1)1,
Selon leur coutume ces philosophes cherchèrent dans la vieille poésie épique
des textes sacrés — j'allais dire scripturaires — qu'ils pussent invoquer à l'appui
de leurs spéculations. Homère et Hésiode 2, regardés comme les maîtres infail-
libles de toute science, concevaient le Tartare comme un gouffre ténébreux^,
aussi éloigné du disque terrestre, contenant l'Hadès dans son épaisseur,, que
le ciel l'est de celui-ci. « Une enclume d'airain, dit la Théogonie, tomberait
du ciel durant neuf jours et neuf nuits avant d'atteindre le dixième jour la
terre, et de même une enclume d'airain tomberait de la terre durant neuf jours
et neuf nuits avant d'atteindre le dixième jour le Tartare ». Telles étaient
les dimensions restreintes que l'on attribuait alors à l'univers. C'est, pour ces
vieux poètes, dans l'abîme glacial qui en occupe le tréfonds, que sont châtiés
les impies.
Cette conception de l'Hadès mythologique jouit d'un certain succès. Un
des dialogues, faussement attribués à Platon, mais qui est en réalité une
œuvre syncrétique du l^r siècle avant notre ère, VAxiochos^, prétend nous
apporter une révélation du mage Gobryès sur le séjour des morts. La terre^
pour lui, occupe, immobile, le centre de l'imivers, et du ciel sphérique se
mouvant autoui d'elle un des hémisphères appartient aux dieux célestes,
l'autre aux dieux infernaux. La description que l'auteur fait de ces Enfers
prétend adapter les traditions mythiques des Grecs aux enseignements de
l'astronomie. Aux Champs-Elysées, dont sont décrites les délices, est opposé
le « lieu des -impies ». Par un évident souvenir d'Hésiode, les méchants sont
conduits par les Érinnyes vers l'Erèbe et le Chaos à travers le Tartare. C'est
là, dans le creux le plus profond du monde, « que les âmes des réprouvéls
léchées par les bêtes sauvages, brûlées constamment par les torches des Peines,
exposées à tous les outrages, se consument dans des châtiments étemels ».
Des traces de l'idée que le Tartare se trouve dans l'espace diamétralement
opposé au sonunet du ciel peuvent être relevées, même à l'époque impériale,
jusque chez Virgile* et dans un mythe de Plutarque ", D'autres écrivains se
souvenant des vers d'Homère qui situent les Champs-Elysées par delà l'Océan
I. Cf. Symbol, p. 74 ss.
z. Homère, IL, VIII, 13 ss.; Hésiode, "Chéog., yzo ss. Cf. Symbol., p. 45.
3. Axîochos, p. 371 ; cf. SymboLj p. 47 ss.
4- Virgile, Georg., 242 ss. Cf. Symbol., p. 54.
5. Plut., De gen. Sôcratis, p. 590 F.
i3
194 LUX PERPETUA
aux extrémités de la Terre, voulaient que les Enfers fussent situés au revers du
monde habité par les hommes sur la face inférieure de notre globe, dans l'hé-
misphère austral \
Mais si l'on considère l'ensemble des témoignages assez pauvres que l'on
peut recueillir, on s'apercevra que ces doctrines n'obtinrent jamais une diffusion
comparable à d'autres croyances que nous examinerons dans la suite. Ces théo-
ries n'avaient jamais été qu'un essai d'adaptation des vieilles traditions hellé-
niques sur l'Hadès, discréditées par les attaques des incrédules, à un système
scientifique du monde. Mais les progrès mêmes de la cosmographie obligèrent
à rejeter une telle accommodation, comme incompatible avec la science.
Car tout d'abord, si l'on assignait comme domaine aux morts la moitié
inférieure du. globe terrestre, on se heurtait aux objections des géographes qui
y logeaient des êtres vivants : les Antipodes ^ Ces géographes étaient arrivés
à la conclusion que dans l'hémisphère austral devait exister une zone tempérée,
soumise aux mêmes conditions physiques que celle de l'hémisphère boréal et
qui, par suite, devait être habitée par des êtres semblables aux hommes. Cette
théorie, qui fait honneur à la perspicacité des' savants alexandrins, fut géné-
ralement admise jusqu'à l'époque de Cicéron, par les esprits cultivés ^ ; mais
elle était invérifiable, puisqu 'aucun marin grec ou romain n'avait pénétré
dans cette portion de la terre, et elle ne parvint jamais à se faire accepter du
grand public. Le bon sens vulgaire s'insurgeait contre l'idée paradoxale
d'hommes marchant la tête en bas, et la doctrine des Antipodes finit par être
abandonnée à l'époque chrétienne et même formellement condamnée comme
hérétique par le pape Zacharie*. Il fallut les découvertes de Magellan et de
ses émules pour qu'on se rendît à l'évidence des faits.
Si les mythologues qui avaient voulu — comme le fait encore le Purgatoire
de Dante — placer le séjour des morts ou de certains morts dans les eaux de
l'hémisphère austral, n'avaient eu pour adversaires que les partisans des Anti-
podes, ils auraient pu maintenir victorieusement contre eux leurs positions.
Mais les défenseurs d'un Hadès antarctique, furent mis en déroute par des
adversaires plus redoutables : les astronomes *. Une tradition constante depuis
1. Symbol., p. 53.
2. Symbol., p. 57 ss.
3. Cic, Rêp., VI, 20 = Songe de Se, 6. Cf. R. E., s. v. « Antipodes », « Antichtho-
nes ».
4. Lettre à S. Boniface, en 748.
i. Symbol., p. 59 ss.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 19 S
l'âge homérique voulait que le Tartare fût ténébreux, ou, pour parler plus exac-
tement, sans soleil {àvqkioi) Les premiers théologiens qui firent de l'hémisphère
inférieur le domaine de la mort le croyaient enténébré par une nuit ininter-
rompue, plongé dans une obscurité sinistre et glaciale (p. 193).
Mais lorsque l'astronomie enseigna que le luminaire radieux dont nous
suivons la route de l'Orient à l'Occident, accomplissait dans le ciel ime révo-
lution complète autour de la terre, dont il éclairait et échauffait successivement
toutes les parties, l'idée d'un Hadès obscur situé dans V hypogeion devint insou-
tenable. Pour ne pas abandonner cette foi, certains esprits obstinés soutinrent
que les physiciens se trompaient et que le soleil allumait ses feux chaque matin
pour les éteindre chaque soir. La tradition ancienne reçut un appui inespéré
d'Épicure^ qui, conformément aux principes de sa physique, admit que le
soleil était formé d'atomes, qui s'aggloméraient et s'enflammaient à l'aube pour
se disperser à la fin du jour. Ainsi, même des esprits instruits pouvaient
hésiter, et Virgile* n'ose prendre position : ou bien dans l'hémisphère inférieur
règne le silence d'une nuit perpétuelle, ou notre crépuscule est l'aurore de cette
moitié du monde, et inversement. La révolution nocturne du soleil n'était
qu'une théorie que ne corroborait, aucune preuve expérimentale, puisque per-
sonne n'avait encore pu suivre de ses regards la course de l'astre du jour dans
un ciel ignoré, lorsqu'au- delà de l'Océan lointain il s'abaissait sùus l'horizon.
L'opinion aventureuse qu'avait soutenue Êpicure fut réfutée victorieusement
par les hommes de science. Les astronomes en démontrèrent l'absurdité en
faisant observer que le soleil se lève et se couche, suivant les lieux, à des
heures différentes, et qu'il faudrait dès lors supposer une multitude d'embra-
sements et d'extinctions successives ^ Ptolémée repousse dédaigneusement,
comme étant le comble du ridicule, l'hypothèse que les astres s'enflamment
et s'obscurcissent chaque jour, à des moments variables sous les divers climats *.
Dès lors la doctrine d'un Hadès situé dans l'hémisphère inférieur, imaginée
pour mettre d'accord la vieille mythologie grecque avec les notions enseignées
par l'astronomie, était devenue insoutenable par suite des progrès de l'astro-
nomie elle-même, et pour la combattre, les apologistes chrétiens s'emparèrent
1. Servius, Georg., I, 247 ; É11., XV, 584 = Usener, Epicurea, fr. 346.
2. Virg., Georg., I, 247 ss. : « Aut intempesta silet nox/ semper et obtenta densentur
îiocte tenebrae ;/ aut redit a nobis aurora diemqLue reducit. » Cf. Servius, Georg., I, 243;
Probus, Georg., I, 23g et 244.
3. Cléomède, II, i.
4. Ptolémée, Synt., I, 3.
196 LUX PERPETUA
des armes que la science hellénique avait fourbies. Il n'en subsista- qu'une
croyance vague, populaire, anti-scientifique, qu'on peut suivre jusqu'à l'époque
byzantine, à l'existence d'un Tartare situé dans les ténèbres au lieu ' le plus
profond du monde*.
• *
Ainsi^ pas plus qu'à l'intérieur de la terre, les Enfers ne pouvaient se trouver
au-dessc-us, et l'on fut amené à les reporter sur la terre même où nous
vivons. Le globe terrestre n'étaii-il pas suspendu au-dessous des cercles super-
posés des cieux, et ne pouvait-on lui appliquer, comme im terme approprié,
le nom d'Inferi^ ? Mais alors il fallait que le séjour dans ce monde inférieur
fût conçu comme un châtiment, que les pécheurs fussent punis en étant soumis
à la conditioD humaine. Ce fut la doctrine de la métempsycose qui permit de
regarder comme une expiation la descente de l'âme ici-bas, et les souffrances
que faisait endurer à celle-ci sa réincarnation purent être substituées aux peines
de l'Hadès souterrain'.
D'où provenait la théorie de la transmigration*,, qui se propagea en Grèce
dès l'époque archaïque, quels en furent les auteurs et les premiers défenseurs,
ce sont là des questions encore mal élucidées. Ses antécédents remontent jus-
qu'aux brumes de la préhistoire, et elle est le développement d'idées familières
à la mentalité primitive. De nos jours encore l'esprit des sauvages ne distingue
pas, comme la classification de notre science, les trois règnes de la nature;
une même énergie anime tous les êtres qui nous environnent et qui sont suppo-
sés semblables à nous-mêmes. Les non-civilisés attribuent souvent aux bêtes
une intelligence humaine ou même divine. Aussi trouve-t-on répandue dans
les deux hémisphères la croyance que les esprits des morts peuvent s'incarner
dans les animaux et même se loger dans les plantes*. On s'abstient d'abattre
ou de déraciner certaines espèce, d'en consommer la chair ou les fruits, de
1. Symbol., p. 63.
2. ServiuSj En., VI, 127 ; cf. VI, 43g.
3. Cf. sur ce qui suit Lucrèce et le symbolisme -pythagoricien des Enfers (R. Ph-.
IQ20, XLIVj p. 229 ss.).
4. Sur la métempsycose, cf. Schmekel, Mittlere Stoa, 1892, p. 433 ss. ; G. F. Moore,
Metempsychosis (Harvard Univ. Press) 1914 ; Hopf, Antike Seelenwanderung-Vorstel-
btngen (Diss. Leipzig 1934) ; Stettner, Die Seelenwanderung bei Griechen und Rômern
(Tûbinger Beitrâge, XXII), Berlin, 1934 ; Hastings, EncycL, s. v. « Transmigration »■
5. Frazer, Spirits of the corn, II, 285 ss. Cf. Votemism and exogamy, IV, 45 ss. i
Wundt, Vôlkerpsychologie, III, p. 587.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 197
crainte do nuire à un chef ou bien à un parent qui sont allés y habiter. Cette
conception animiste de la nature, commune à une foule de peuplades diverses,
est une forme rudimentaire de la métempsycose.
Mais ce qui fait la grandeur ^ de cette théorie qui devait séduire une multi-
tude d'adeptes au cours des siècles et à travers le monde, c'est qu'elle a trans-
formé une illusion naïve, sans portée morale, en une doctrine de rétribution et
de libération. Revenir sur la terre s'enfermer dans un corps qui la souille et la
fait souffrir, devient un châtiment infligé à l'âme pécheresse. Celle-ci ne
peut atteindre la félicité suprême avant de s'être purifiée par de longues
épreuves et délivrée peu à peu des passions charnelles à travers un cycle de
renaissances .
Certains érudits ont supposé qu'en Grèce la théorie de la transmigration
avait eu un développement autochtone * et avait systématisé d'antiques croyances,
communes à presque tout le genre humain. Toutefois à cette opinion s'oppose
le fait que, si les Hellènes ont toujours pensé que les âmes humaines pouvaient
aller se loger dans un serpent, un cheval, un oiseau. Voire une abeille
ou un papillon*, la vraie métempsycose, liée au dogme d'une rétribution pos-
thume, est inconnue à Homère et n'apparaît dans la religion grecque qu'à
l'aube des temps historiques. Les anciens admettaient qu'elle était d'importation
étrangère : Hérodote ' voulait que la doctrine de la réincarnation dans des
corps xi'animaux terrestres, maritimes ou aériens fût venue d'Egypte, mais il
ne paraît pas qu'elle ait existé anciennement dans ce pays sous la forme d'une
succession régulière de transmigrations*. D'autre part la métempsycose hellé-
nique offre une. ressemblance frappante, jusque dans certains détails, avec
une conception fondamentale de la pensée religieuse de l'Inde, celle du
samsâm, qui y avait été formulée dès l'époque des anciens Upanishads, long-
temps avant la naissance du bouddhisme. Il est difficile de croire qu'une
telle analogie résulte simplement d'une parenté primitive sans communication
postérieure^. L'opinion la plus vraisemblable paraît être que cette croyance,
cheminant à travers l'empire perse, parvint ainsi jusqu'aux Orphiques et
1. Dieterich, INekyia, p. go ; Wûnsch, Das Frûhlingsfest der Insel Malta, 1902, p. 3 4 ss.
Hopf, Q-p, cit. [p. 196, n. 4].
2. Eitrem, R. E., s. v. « Tierdàmonen », ool. 987 ss.
3. Hérodote, II, 123^ cf. Enée de Gaza, 'Chéofhr., P. G. LXXXV, pp. 889, 892.
4. Maspero, Et. de mythol. êgyft., VIII, 1916, p. 77 ss. ; Wiedeman, Herodots zwei-
*es Buch, Leipzig, 1890, p. 457 ss.-, Plinders Pétrie dans Hastings, l. c, p. 431 s.
S- Cf. N. C, XIV.
I9S LUX PERPETUA
ensuite aux Pythagoriciens'. Il n'est pas impossible cependant que, comme
l'astrologie babylonienne, l'eschatologie hindoue ait été accueillie par une
partie du clergé égyptien dès le Vl^ siècle avant notre ère, et que le rensei-
gnement fourni par le Père de l'histoire puisse être au moins en partie exact,
l'Egypte ayant servi d'intermédiaire entre l'Inde et la Grèce.
Aussi bien nous n'avons pas ;\ discuter ici ce problème épineux de la genèse
de la métempsycose, ni h en suivre le développement dans la philosophie hellé-
nique, avant et après Platon. A l'époque qui nous occupe elle était devenue
depuis longtemps un thème rebattu, un sujet de controverses dans les écoles, et
Pythagore était généralement reconnu comme le Maître qui l'avait révélée aux
Grecs. Elle n'était pas seulement une théorie que discutaient les penseurs,
mais aussi im article de foi religieuse. Nous pouvons laisser indécise la question
de savoir si, comme l'affirment les anciens, les Druides y croyaient et si les
Étrusques l'avaient aussi adoptée". Mais il est certain qu'en Orient la trans-
migration fut acceptée par nombre de sectes gnostiques et par les Manichéens,
et elle devait s'y transmettre jusqu'à nos jours chez les Alaouites et les D^-uzes
du Liban, chez les Yézidis de Mésopotamie.
La descente de l'âme du ciel sur la terre est une déchéance ; le corps est
un tombeau où elle est ensevelie, une geôle où elle est captive. Ces vieilles
doctrines pythagoriciennes (p. 147) ne cessent d'être reprises et répétées
jusqu'à la fin de l'antiquité ■\ Mais l'idée orphique que cette déchéance
est le châtiment d'un péché originel, la suite d'un crime commis par les Titans,
auteurs de notre race, et que doivent expier leurs descendants, cette idée est
sinon tout à fait oubliée, du moins reléguée dans l'ombre*. Au contraire la
conception également ancienne qu'une amère et cruelle nécessité contraint les
âmes à s'incarner ° prend un relief nouveau par suite de la diffusion du fata-
lisme astrologique. L'alternance de leur descente et de leur montée est conçue
comme régie par une loi inflexible analogue à celle des progrès et rétrograda-
1. Métempsycose admise d'abord par les Orphiques : cf. Nilsson, Griech. Rel., Ij
p. 654 ss. ; Ziegler, R. E., XVIII, 1378 ss. s. v. « Orphische Dichtung ».
2. Druides : Dottin dans Hastings Enc, s. v. «Transmigration». Cf. supra, p. 153-
Etrusques : Furtwângler, l. c. [sufra, p. 61], p. 216 ; Thulin, /. c. [Libri Acheruntici]
3. Virgile, En., VI, 734 ; Macrobe, Comm. in Somn. Se, I, 18, 9. Autres textes =
C. R. Acad. Inscr., 1930, p. 102 ; Jos. Kroll, Hertnes 'Crismegîstos, 1914, p. 272.
4. Rohde, Psyché, II, p. 121 ss. = tr. fr. p. 359 ss.
5 Platon, Lois, 904 C5 Diog. Laërce, VIII, 14; Plotin, III, 4, 6 (p. 69, 33 Br.) j
I^î 8,5 (p. 222, II) ; Porphyre, V. Plotini, 225 Pa-p. magie. Par., 605. Cf. M.M.M., I»
p. 309, n. 4 ; Jos. Kroll, op. cit., p. 272 ss.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 199
tion des planètes'. Le cycle de la génération (xux/loç yevéoreojç), étemel comme les
révolutions des astres, enferme l'esprit dans la matière et replonge périodi-
quement l'âme dans la glaise qui la contamine'-.
Cependant pour les Orphiques et l'ancien pythagorisme la croyance à la
métempsycose n'excluait pas la foi en la descente des ombres dans l'Hadès''' :
suivant eux elle s'y associait. Nous l'avons vu précédemment (p. 67), le
criminel, plongé dans une mare de boue ou soumis à d'autres supplices, est à
la fois châtié et purifié dans le Tartare. Son âme y demeure jusqu'au moment
où elle remonte à la lumière pour être réintroduite dans un nouveau corps
d'homme ou d'animal. Certains anciens distinguaient la doctrine de la réin-
carnation ou, pour trsduire exactement le mot grec, de la « réincorporation »
(a£T;£Vo-ti)p,àTa)a-tç) et celle de la renaissance ou palingénésie [nyjki.yytvt'jia.]' .
Ce dernier mot n'est pas pris ici au sens stoïcien de retour éternel des choses,
d'une série de cycles cosmiques où se reproduisent exactement les mêmes
phénomènes (p. 114). Il désigne une suite de transmigrations séparées par des
intervalles. Dans la première espèce de métempsycose, il n'y a point à propre-
ment parler de renaissance, puisque l'âme ne quitte pas la terre, mais y accomplit
sans trêve sa marche ininterrompue à travers le monde vivant. Selon cette
seconde théorie au contraire, elle ne reprend pas immédiatement un corps.
Le processus est discontinu. Elle reste désincarnée durant une longue période
d'années — pour Virgile comme pour Platon, leur nombre est de mille* —
et elle mène ainsi une existence double, dont ses passages sur la terre n'occupent
qu'une faible portion. Elle n'échappera à cette suite de stations dans le
monde supérieur et de relégations dans les Enfers, à cette alternance de la
vie et de la mort, que lorsqu'elle aura été lavée de toutes ses souillures. Alors
seulement elle remontera vers la lumière céleste dont elle était primitivement
descendue, pour y jouir éternellement d'une félicité divine.
Si au contraire durant ses pérégrinations sur la terre l'homme s'adonne aux
plaisir des sens, son âme s'attache à son corps. Elle ne peut d'abord se séparer
1. Vhéol. solaire, p. 17 [463] ss. Cf. Sotion dans Sénèque, Epist., 108, ig : « Nec
tantum caelestia per certos circuitus verti, sed animalia quoque per vices ire et animos
per orbem agi ».
2. Cf. Rohdie, II, 123 ss. = tr. fr. p. 364 ss. ; Jos. Kroll, op. cit., p. 272.
3- Servius, En., III, 68. — Cf. Dieterich, Nekyia, p. 143 s. ; Rohde, tr. fr. p. 374,
J^' 3 j J- Dey, naXiYY£V£<îîa. Religions gesch. Bedeutiing von "Cit. 3, 5 (Neutest. Abhandl.,
XVII), Munster, 1937.
4. Platon, Républ. 615 ; Phèdre, 249, a ; Virgile, En., 748 ; cf. Chalcidius, 136. —
'^elon les Commenta Bern. Lucani, IX, i (p. 290, Usener"), 462 ans.
200 LUX PERPETUA
du cadavre et erre plaintive autour de lui, regrettant les jouissances qu'elle a
perdues. Elle désire rentrer dans cette chair qui a été pour elle l'instrument
de la volupté ; elle recherche cette demeure qui lui permettra de retrouver
ses habitudes sensuelles, devenues pour elle une seconde nature i. Aussi, quand
les temps sont accomplis, est- elle saisie d'un amour irrésistible pour ce corps
éjpais où elle doit s'enfermer. Une fascination semblable à un charme magique
l'attire vers cet objet de ses vœux, qui fera son, malheur 2. La fatalité qui la
pousse à s'incarner et à souffrir est regardée ici moins comme une loi iné-
luctable de l'univers que comme une nécessité interne, un destin que l'âme
s'est à elle-même créé. \Janankè n'est plus ici cosmique, mais psychique. Un
buste de Platon, trouvé à Tibur, porte cette sentence du Maître : « On est
responsable de son choix. Dieu en est innocent » 3.
Ainsi les maux que subissent les âmes ne sont pas imputables au créateur
mais à leur propre malice. Toute tendance vicieuse contractée pendant leur
existence corporelle a pour elles des conséquences redoutables par leur durée.
La perversion du caractère produit des effets funestes non seulement dans
cette vie mais dans plusieurs autres à travers les siècles. L'homme détermine
par ses dispositions acquises son propre avenir dans une suite de générations.
La corruption qui le gangrène lui interdira d'aspirer à une vie céleste et lui
fera préférer une renaissance terrestre. C'est à ces doctrines que fait allusion
Virgile lorsque dans l'Enéide il nous montre les ombres rassemblées dans un
lieu écarté des Champs-Elysées et nous révèle qu'un millénaire étant révolu, un
dieu les appelle vers le fleuve Léthé en grande troupe, afin qu'elles y boivent
l'oubli du passé et « recommencent à vouloir entrer dans des corps »'^.
Mais la combinaison des supplices du Tartare, maintenus par respect pour
la tradition, et des peines de cette vie, qui exilait l'âme de sa patrie céleste
pour la plonger' dans un monde sordide et douloureux, était en réalité super-
fétatoire. Les secondes suffisaient à sauvegarder les droits de la morale et
les règles de la justice, et elles rendaient superflus les premiers. Déjà Empé-
docle, qui fait passer les âmes coupables dans des formes d'hommes, d'animaux
1. Macrobe, Somti. Scip., I, g, 5 ; Porphyre, De Styge, dans Stobée, Ed. I, 445, 25;
De regr. anim., fr. 11 (p. 40, 5, Bidez) ; CI. Mamert., II, 3 = Philolaûs, fr. 22^ T^or-
so^r., P, p. 149, 3. Cf. Symbol., pp. 21, n. 4 ; 265, n. 2 ; 364, n. 4.
2. Plotin, IV, 3, 13; cf. C-R. Acad. /«5cr., 1930, p. 100, n. 6, et f»/y«, ch. VIII, p. 352-
3. I. G. XIV, 1196, Akîa kXop.îvqi, ô 6E0Î o..va!-io.', Cf. Platon, Réf., X, 617 C; Lois,
904.
4. Virgile, En., VI, 747.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 201
ou de planteSj ne mentionne pas les tourments et les terreurs de l'Hadès, tout
au moins dans les fragments conservés de ses poèmes, et la station sur la
terre paraît avoir déjà été pour lui le vér'itable enfer 1. Quand la critique philo-
sophique, en particul'ier celle des Épicuriens et des Stoïciens, eut rendu inac-
ceptable pour tout esprit cultivé la foi en l'Hadès mythologique (p. 127),
même des Pythagoriciens rejetèrent les fables qui avaient cours au sujet du
Tartare. Au premier siècle avant notre ère, nous voyons le Pseudo-Timée de
Locres déclarer que ces récits sont des fictions — salutaires il est vrai —
inventées par Homère pour détourner du mal ceux que la vérité n'aurait pas
suffi à maintenir dans la bonne voie 2. De même, dans le discours que les
M.ètam.or{phoses d'Ovide prêtent à Pythagore ^, celui-ci rassure les esprits
craintifs que hante la terreur de l'au-delà. « G genre humain, que consterne
l'effroi d'être glacé par la mort, pourquoi redoutez-vous le Styx ? pourquoi
des ténèbres infernales et des noms vides de sens, matière à poésie, et périls
d'un monde fictif ? Les âmes sont exemptes de la mort, et toujours abandonnant
leur siège antérieur, elles vivent dans de nouvelles demeures. Tout change,
rien ne périt, le souffle vital circule, il va et vient deci delà, et se saisit à
sa guise d'organes divers ; des bêtes il passe dans des corps humains, du
nôtre dans ceux des bêtes, et jamais il ne se perd »,
On reconnaît dans ce développement, où Ovide semble avoir mis en vers
la prose de Varron, l'influence du panthéisme stoïcien, qui insiste sur l'identité
des âmes particulières avec l'âme universelle dont elles sont des parcelles.
Dans cette forme de la métempsycose il est fait abstraction d'un empyrée, où
siège un Dieu transcendant, que les âmes aspirent à retrouver, comme d'un
Hadès obscur où elles doivent être reléguées*. Dans toute- la nature la vie
est éveillée par un même principe divin qui passe d'être en être en animant
leurs formes diverses*, et ce qu'on appelle mort n'est qu'tine migration. Le
nombre des âmes qui peuplent ainsi la terre est, selon certains théoriciens,
déterminé dès l'origine ^ ; lelles changent de résidence, mais non de caractère,
1. Cf. sur ces vers obscurs, Rohde, tr, fr. p. 409, n. 3 ; Tertullien, De anima, %%.
2. Tim. Locr,, 17, p. 104 A; cf. R. E., s. v. «Timaios», col. 1221. Idée analogue
ehes; Polybe, cf. sufra, p. log.
3. Ovide, Met., XV, 153 ss.
4. Cf. Schmekel, Philos, der \Mittleren Stoa, 189a, p. 434 ss.
5. Virg., En., VI, 721, ss. ; Sextus Emp., IX, 580 ; Sotion dans Sén., Efist., 108 ; Her-
mès Trism., npôç Târ, dans Stobée I, 49, 48 (p. 416, Wachsra.); Porphyre, î^ît. Py-
thag., 19,
6. Diels, Doxogr., p, 571, 18 ; Tertull., De anima, 30 ; Sali, philos., c. 19.
202 LUX PERPETUA
et restent toujours en quantité égale, semblables à elles-mêmes. A peine sont-
elles sorties d'un corps qu'elles pénétrent dans un autre. Ce voyage sans trêve
leur fait parcourir toutes les espèces du monde animal. Elles passeront suc-
cessivement dans des oiseaux, des quadrupèdes, des poissons, des reptiles pour
revenir ensuite à l'homme'. C'est pourquoi il est impie, de se nourrir de nos
congénères, de dévorer nos « semblables » *, et le sage doit pratiquer le végé-
tarisme. Mais certains, tirant les conséquences logiques des prémisses admises
et justifiant théoriquement une croyance qui remontait aux origines (p. 196),
affirmaient que la vie du règne végétal elle-même dérivait du même principe
que celle du règne animal et que la transmigration s'étendait jusqu'aux plantes ^
C'est à cette doctrine que songeait Sénèque lorsqu'il nommait Apocolokyntosis,
« transformation en citrouille », l'apothéose de l'empereur Claude, que sa
stupidité avait prédestiné à cette métamorphose^.
Cette doctrine eschatologique pouvait sembler difficilement conciliable avec
celle d'une rémunération éthique. Si, dans la nature, une chaîne ininterrompue
unit l'existence de toutes les espèces, si une fatalité inexorable veut que la vie
se propage de l'homme aux êtres inférieurs, cette nécessité semble en contra-
diction avec tout espoir d'une récompense posthume. Pour mettre d'accord
la croyance à la rétribution future avec celle du cercle inéluctable des migra-
tions, on établit tme échelle de valeur morale parmi les animaux eux-mêmes ;
les hommes injustes s'incorporaient dans les espèces sauvages, les justes dans
les espèces paisibles^'. Hermès Trismégiste prétend même savoir que les
meilleurs des hommes deviendront parmi les oiseaux des aigles, parmi lès
quadrupèdes des lions, parmi les reptiles des dragons, parmi les poissons dep
dauphms ^ On enseignait aussi que les philosophes éminents se transforrt\aient
en abeilles ou en rossignols : ceux qui avaient nourri le genre humain de
leurs discours, le charmaient encore par la douceur de leur miel ou la suavité
de leur chant.
1. Hermès Trism. dans Stob., I, 49, 48 (p. 416, Wachsm. ; cf. p. 465, 15). Enée de
Gaza, P. G. LXXXV, p. 889 ss. — C'est le genre de métempsycose qu'Hérodote, H, 123,
attribue aux Egyptiens, cf. supra, p. 197.
2. Jamblique, V. Pyth., 108 ; Ovide, Met., XV, 174 ss. ; Sénèque, Epist., 108, 19 ss.
3. Diogène Laërce, Vlll, i, 4 ; Pline, H. N., Vin, .30, 12 j Théodoret, Haeres.,
V, 297. Cf. Plotin, infra, ch. VHI, p. 354.
4. Cf. Birt, De Senecae Apocolok. (Prog. Marbourg), 1888, p. IV.
5. Platon, Rép., 620 d ; cf. TertulL, De anima, 33 ; Lucien, Pseudomantis, 40.
6 Hermès Trism. dans Stobée (I, 398, 3 Wachsm.) ; cf. Empédocle, fr. 127 Diels =
Ailien, Nat. anim., XII, 7 ; Timée de Locres 17, p. 104.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 203
Le sort même de ces privilégiés pouvait ne pas sembler fort enviable selon
la remarque des adversaires de la métempsycose 1. Aussi les moralistes firent-ils
fléchir la rigueui; du système et exemptèrent-ils les nobles esprits d'une dégra-
dation bestiale. Toutes les âmes ne furent plus condamnées à se loger dans
des corps d'animaux, mais seulement celles que la bassesse de leurs penchants
avait assimilées à la bi*ute. Elles étaient attirées par l'espèce dont l'instinct
était le plus conforme à leurs inclinations et â leur genre de vie 2. Tels les
débauchés, qui devenaient dans une autre existence des pourceaux, les peureux et
les paresseux des poissons, les personnes légères et frivoles des oiseaux ^.
Trouver pour chacun des personnages illustres du passé l'animal qui convenait
le mieux à son caractère était un jeu d'esprit divertissant, et le côté merveilleux
de ces métamorphoses zoologiques était propre à séduire l'imagination des
poètes*. De leur côté les théologiens interprétaient ingénieusement et labo-
rieusement le récit homérique de Circé changeant les compagnons d'Ulysse
en bêtes comme une allégorie de la métempsycose. Circé est le cercle des réin-
carnations que subissent ceux qui vident la coupe magique des plaisirs, mais
à laquelle échappe le sage Ulysse, grâce à Hermès, c'est-à-dire à la raison
qui le guide''.
Le passage dans le corps d'animaux cesse ainsi d'être une loi imposée au
genre humain pour devenir une punition infligée' seulement aux vicieux.
Certains penseurs rejetèrent même absolument cette forme de la métempsycose.
Un esprit raisonnable ne pouvait, suivant eux,, demeurer dans un être privé
de raison. La transmigration se faisait donc exclusivement d'homme à homme
et de bête à bête. Ce fut l'opinion défendue notamment par Porphyre et
Jamblique qui, pour écarter les textes de Platon contraires à leur doctrine,
soutinrent qu'il avait parlé au figuré et que les « ânes », les « loups », les
« lions » désignaient des gens qui ressemblaient à ces quadrupèdes par leur
ignorance ou leur férocité^-
1. Tertull. De anima, 33 ; Ambroise, De hono mortis, 10 (PL., XIV, p. 361).
2. Platon, Ré-p., 620 a ; Phédon, 8ie avec la note de Robin (p. 42).
3. Timée Locr. /. c. Cf. R. E., s. v. « Timaios », col. 1220.
4. Ovide, l. c. ; Ode, II, 20 ; TibuUe, IV, i [III, 7], 206 ss. ; Claudien, In Rufi-
num, II, 482 ss.
5 Pseudo-Plut., Vita Homeri, 126 5 Porphyre dans Stobée, Ed., I, 49, 60 (p. 445,
Wachsm.). Cf. Delatte. Etudes sur la littér. fythag., 1915, p^ 128.
6. Porphyre, ibid. et De regressu anim., fr. 11 Bidez = Aug., Civ. Deî, X, 30. —
Jamblique : cf. Enée de Gaza, V>héo-phraste, p. 12, 11 Boissonade ; Némésius, De natur.
hom., II, 29 (PG., XL, 584 a). Cf. Hermès Trism. dans Stobée, Ed. I, 49 (p. 417
Wachsm.) ; Zeller, Philos. Gr., III, i, pp. 713, et 768, et infra,ch.Yllî, pp. 358 et 376.
204 LUX PERPETUA
Dépouillée de, ce qu'elle pouvait offrir de choquant ou même de ridicule,
la métempsycose restait une conception de l'humanité et du monde qui pouvait
s'imposer aux esprits réfléchis par sa grandeur. Un même flux de vie circula
à travers la variété des êtres animés qui peuplent l'univers. Dans la suite des
générations une ascension progressive ou une régression ignomineuse ennoblit
ou avilit l'homme selon la conduite qu'il a tenue. Lfes défauts physiques, les
tares morales dont il est affligé dès sa venue ati monde, sont la conséquence
de fautes commises par lui dans le passé impénétrable d'une vie antérieure,
et la naissance même d'enfants infirmes ou vicieux peut être invoquée comme
un argument décisif en faveur de cette préexistence coupable*. Sans quitter
cette terre, les âmes passant immédiatement d'un corps dans un autre, s'élèvent
ou s'abaissent suivant leur mérite ou leur démérite. L'Hadès est ce bas monde
où nous expions les péchés d'une incarnation précédente dont nous avons
perdu le souvenir, et toute pensée, toute sensation, toute volition que nous
aurons pendant notre brève station sur la terre, sont grosses de conséquences
indéfinies, car elles influeront sur la condition morale et physique du genre
humain jusque dans un lointain avenir.
Pour les tenants d'un tel système les mythes infernaux imaginés par les
poètes devaient paraître inacceptables. Mais selon leur coutume les Pythago-
riciens ne rejetèrent pas comme erronées les traditions anciennes que leur
raison ou leur moralité les empêchaient d'admettre au sens littéral : ils les
interprétèrent allégoriquement *•
Les Enfers sont, nous le disions, notre terre parce qu'elle est le plus bas
des cercles cosmiques (p. 196); et nous, qui croyons vivre, sommes en réalité
des morts enfermés dans le tombeau du corps. Les quatre fleuves .infernatux
de la. Fable, le Pyriphlégéton, FAchéron, le Cocyte et le Styx sont la colère,
le remords, la tristesse et la haine. Le Léthé est l'oubli qui empêche l'homme
de se souvenir de sa vie antérieure '. Les Furies, qui brûlent les criminels
de leurs torches et les flagellent de leurs fouets, deviennent les vices qui les
torturent*; on spécifie même qu'elles représentent trois péchés capitaux :
1. Sallust. philos., 19 ; Jambl., De myst., IV, 4.
2. Cf. sur ce qui suit, R. Ph., 1920, XLIV, pp. 229-240. Les châtiments sont nos
vices personnifiés, douze en nombre pour Hermès Trism-, pp. 198 ; 203, 10 ; 205, 01 et
p. 212, note 37 Nock-Festugière.
3. Macrobe, Somn. Scip., I, 10, 7 s. ; cf. Servius, Êw., VI, 295, 134, 439; Vh.ïlon, Quaesf.
in Genesim, IV, 234.
4. Cicéron, Pro Roscio Amerino, 24, 67; De legibus, I, 14, 40.; Paradoxa, II, 18;
cf. Pascal, 12, p. 160.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 205
la colère, l'avarice et la llixure ' . Ou encore elles sont les reproches qui bour-
rèlent la conscience du méchant et qui le poursuivent ' . Oîi interprétera de
même les mythes des grands coupables suppliciés dans le Tartare, Sisyphe
poussant jusqu'au sommet d'une colline un bloc de pierre qui roule chaque
fois au bas de la pente, est l'ambitieux, qui s'épuise en vains efforts pour
atteindre la cime des honneurs ^ • Titye dont les vautours dévorent sans trêve
le foie, qui toujours se reconstitue, est le pécheur rongé par des remords sans
cesse renouvelés, ou l'amoureux que déchire l'angoisse de la jalousie. Tantale,
qu'épouvante un rocher suspendu au-dessus de sa tête, est l'homme qui vit
dans la crainte perpétuelle des malheurs dont le menace l'aveugle destin, et
•Ixion, lié à une roue, le malchanceux continuellement éprouvé par les vicissi-
tudes de la fortune. Les Danaïdes, qui remplissent éternellement un vase
dont l'eau fuit à mesure qu'elle y est versée, désignent les âmes insatiables
de jouissance, qui peinent en vain pour satisfaire leurs désirs toujours inas-
souvis*. L'ingéniosité des Pythagoriciens se plaisait ainsi à varier l'inter-
prétation moralisante de la mythologie infernale. Même les vieux dictons de
l'école furent détournés de leur sens pour devenir des allusions à la métem-
psycose s.
Un pareil symbolisme aboutissait en réalité à détruire les croyances qu'il
prétendait conserver, et les Épicuriens s'en emparèrent pour le mettre au
service de leur incrédulité ^ Il ne pouvait être question pour eux de réincar-
nation, puisque l'âme était détruite au moment du décès par la dispersion des
atomes. La transmigration qui, pour les Pythagoriciens, avait été la raison
d'être de tout cet allégorisme, fut passée sous silence, et seule subsista la
partie négative de la doctrine ; l'affirmation que les supplices du Tartare,
dénués de toute réalité, désignaient les tourments que les passions infligent
aux humains en cette vie. Lucrèce a pu ainsi introduire dans son poème une
digression qui concilie avec les principes de l'épicurisme l'antique mythologie
de l'Hadès.
L'adoption de ce symbolisme par les négateurs de l'immortalité était peu
1. R. Ph., /. c, p. 233.
2. Ltacrèce, III, 1014 ss. Cf. Juvênal, XXII, 191 ss.
3. Macrobe, /. c. Cf. R. Ph., /. c. ;Lucrèce, III, 978 ss.,
4. Lucrèce III, 1003 ss. Cf. Rohde, Psyché, tr. fr., Excursus, p. 603 ; Carcopino Basil.
Pythag., pp. 131 ss. ; 280 ss. ; Symbol, p. 30.
S- R. Ph., /. c, p. 232, n. 3.
6. Cf. Festugière, Éficure, pp. 109 ss.
2o6 LUX PERPETUA
propre à le recommander aux yeux des croyants. La rétribution future attendue
de la justice divine put paraître mal garantie par l'hypothèse d'un Enfer pure-
ment terrestre. Si la seule punition de la scélératesse était la renaissance dans
un corps où l'âme s'abandonnait aux pa.ssions, ce châtiment pouV(ait sembler
assez doux à la bassesse d'esprits médiocres. De fait, soutenir que les vdces
portent en eux-mêmes leur propre peine et qu'une vie de plaisirs devient
cruelle pour celui qui s'y livre, était un paradoxe que l'expérience quotidienne
suffisait à réfuter. L'hypothèse d'un Hadès terrestre ne fut jamais accueillie
par la majorité des esprits. L'on est frappé de ce fait que dans les milliers
d'inscriptions fiméraires, grecques ou latines, il n'en est aucune qui fasse clai-
rement allusion à la métempsycose i. On pourrait supposer qu'elle n'y est pas
mentionnée parce que la réincarnation étant conçue comme un châtiment,
les épitaphes évitent d'en parler, de même qu'elles se taisent sur les peines
que l'ombre peut subir dans les Enfers, et que dans l'immense production de
la sculpture funéraire on voit représentées très rarement des scènes du Tar-
tare". Mais si la croyance à la transmigration avait été largement répandue,
l'épigraphie funéraire nous apprendrait au moins que le défunt s'est soustrait
à la nécessité d'une renaissance pour gagner le ciel. En réalité la métem-
psycose impliquait une conception péjorative de la vie terrestre, regardée à la
fois comme une peine et une pollution Son séjour ici-bas soumettait néces-
sairement l'âme à la souffrance et à l'avilissement. Pourtant à ce pessimisme
foncier s'opposaient non seulement la recherche épicurienne du plaisir, mais
l'optimisme de la plus puissante des sectes philosophiques, le stoïcisme, qui
enseignait que la vie est un bienfait reçu des dieux, une fêté à laquelle nous
sommes tous conviés ; que les événements de ce monde et le destin de
l'humanité sont dirigés par une Providence d'une sagesse et d'une bonté
infinies. Cet optimisme, qui avait été aussi celui de la Grèce ancienne (p. 1 16),
continuait d'être partagé par l'opinion commune, pour laquelle la vie était un
don précieux qu'on craignait de perdre et dont les épitaphes ne cessent de
déplorer la privation. L'on peut croire aussi que le bon sens terre-à-terre
de la foule romaine répugna toriours à croire que l'intelligence humaine
pût êtie transférée dans des brutes obtuses et immondes. Les polémistes
se gaussent de ceux qui s'imaginent que l'âme raisonnable se cache dans les
1. Toutes les inscr. invoquées ont un sens doutjeux ; Kaibel, Epigr., 304 ; cf. Rohde,
tr. fr., p. 580, n. 4 ; Epitaphe de Panticapée : Symbol., p. 33, notje ; CIL, VI, 13528, =
C. E. 1550.
2. Symbol., p. 30.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 207
cavernes avec les serpents, porte des fardeaux comme les bêtes de somme
ou se nourrie de chair crue comme les carnassiers*. La doctrine de la trans-
migration faisait violence à la fois aux convictions de la majorité des penseurs
et aux sentiments instinctifs de la multitude. Tout porte à croire qu'elle fut
aux premiers siècles de l'Empire la doctrine de cercles restreints d'initiés
et d'une petite minorité de philosophes. Son côté pittoresque put plaire à
des poètes " et prêter à des développements littéraires. Mais la métempsycose
ne fut jamais dans le monde romain, commue dans l'Inde, la foi vivante qui
dominait les pensées et dirigeait les actions d'une large portion de la société.
Etrangère au judaïsme orthodoxe *, elle fut dès l'origine combattue par
l'Eglise* : elle était en contradiction avec le dogme de la résurrection de
la chair, suivant lequel l'âme, en se réunissant au corps, ne subit pas tme
épreuve transitoire et n'est pas placée dans un état misérable, mais trouve
au contraire l'accomplissement suprême de sa destinée. Origène, il est vrai,
avait donné de cette résurrection des morts une interprétation philosophique
qui en fait la supprimait^', et l'on conçoit qu'il ait pu rénover la doctrine
de la métempsycose en l'adaptant à son système de l'apocatastase ou réinté-
gration finale'. Suivant cette conception les âmes légères, qui accompagnaient
les révolutions des cieux, ont pu pencher vers le mal et être précipitées dans
un corps" humain, puis, s'alourdissant encore et privées de la raison, descendre
dans des animaux, enfin, perdant même leur sensibilité, participer de la vie
des plantes. Mais un mouvement inverse les fera plus tard remonter successi-
vement par les mêmes degrés jusqu'à leur séjour céleste. Ces spéculations
audacieuses ne purent survivre à la condamnation de l'origénisme, et la trans-
migration fut rayée du credo, de l'Europe chrétienne. Elle est redevenue au
Xixe siècle une doctrine cardinale des théosophes, qui se sont inspirés à la
fois du samsara hindou et des Néoplatoniciens.
«
« «
I. Grég. de Nysse, De anima (PG-, XL VI, p. iio B). Cf. Théodoret, Graec. aff.
curae (PG., LXXXIII, 1106 C).
z. Cf. sufra, p. 203, n. 4.
3. Schurer Gesch. Jûd Volkes im Zeitalter ]. C, II, p. 391. Admise par les Cabba-
listes : Hastings Enc. s. v. « Transmigratioa » (Jewish), p. 435.
4. Dict. de théol. cathol., s, v. « Métempsycose ».
5. Denis, La -philos. d'Origène, 1884, p. 309 ss. ; E. de Faye, Origène, III, p. 25 ss,
6. Origène, De princip., I, 8, 4 (p. 102, 13 ss., Koetschau). Cf. Denis, p. 190 ss..
Réfutation de Grégoire de Nysse, De anima, PG., XLVI, p. m c ss.
2o8 LUX PERPETUA
Une croyance beaucoup plus répandue, en rapport avec la doctrine de
l'immortalité céleste que nous avons exposée précédemment, place les Enfers
dans les airs. L'atmosphère est en effet l'espace redoutable que doivent tra-
verser les esprits des morts avant d'atteindre les sphères étoilées, où ils trou-J
veront le repos. Comme cet espace sublunaire est inférieur aux cieux que
l'on se figure superposés au-dessus de lui, on lui donne à bon droit le nom
d'Infen'^. Parfois la désignation est réservée à la partie la plus basse de
l'atmosphère, à l'air épais et humide qui enveloppe notre globe et que hantent
de préférence les démons malfaisants ^. Si l'on parle de l'obscurité des Enfers,
c'est que cet air est, par sa nature propre, lorsqu'il n'est pas éclairé, un élé-
ment ténébreux; et si on l'appelle Hadès ("AtSyjçj; c'est parce qu'il est (âsiSïjç)
« invisible » 3.
Si l'âme s'était épaissie par son contact avec le corps, si elle se trouvait
alourdie par les appétits matériels dont elle n'avait pu durant la vie se libérer,
son poids même l'obligeait à séjourner dans cet enfer atmosphérique, voisin
de la terre, jusqu'à ce que, purifiée, elle eût été délestée du fardeau de ses
fautes. Dans ces bas-fonds de l'atmosphère qui la recevaient d'abord, elle
errait plaintive, surprise des supplices qu'elle endurait *. Car si elle était tachée
et salie, les ouragans la saisissaient dans leurs trombes, les tempêtes la roulaient
et la secouaient et en arrachaient ainsi violemment les souillures qui s'étaient
incrustées en elle. Les Vents, divinités tantôt vengeresses et tantôt bienfai-
santes, savaient lui faire expier rudement ses crimes, mais ils pouvaient au
au contraire l'élever vers les hauteurs de l'éther. Si, exempte de fautes, elle
avait gardé sa pureté native, de douces brises la soulevaient et, l'échauffant
de leur haleine, la portaient jusqu'aux astres^. Ce pouvoir attribué aux Vents
sm* le sort des âmes les a fait souvent représenter sur les stèles funéraires
soufflant vers l'image du mort dont ils doivent faciliter l'ascension®.
Selon une croyance très répandue, les Enfers ne sont pas seulement cette zone^
voisine de ce bas monde, où s'exerce surtout la malfaisance des puissances
1. Macrobe, Somn. Scip., I, ii, 6 : « Inter lunam terrasque locum mortîs et infe-
rorum vocari ». Cf. Symbol., p. 117 ss.
2. Cic, Vusc, I, 42 ; Gornutus, 59 ; Aug., Civ. Dei, XIV, 3. Cf. Symbol., p. 124.
3. Symbol., p. 124 ss. Cf. Prudence, Cathem., X, 25 ss. et supra, p. s^.
4. Porphyre, dans Stobée, Eclog., I, 49, 60 ; cf. Syinbol., p. 128 ss.
5. Symbol., p. 129, p. 171.
6. Ibid., p. 153 ss. j cf. p. 210, fig. 2, et infra, ch. VI, p. 297.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 209
hostiles. Ils s'étendent, en;seigne-t-on aussi, sur tout l'espace compris entre
la terre et la lune, où commence le. séjour lumineux et paisible des dieux
et des Elus. Dès lors l'âme sera soumise, avant d'être purifiée, à d'autres
épreuves encore. Sans doute de vieilles idées orien,tales sur l'océan céleste
et le fleuve de feu furent-elles formulées avec une rigueur nouvelle par les:
philosophes qui exposèrent la doctrine de la purification par les éléments'.
L'air, l'eau et le feu forment, suivant les cosmographes, des zones concen-
triques, toujours en mouvement autour de la terre pesante et stable. L'âme
après s'être frayé un passage à travers l'air épais, qui est le plus proche de
nous, traveree nécessairement cette partie du ciel où les nuages se rassemblent
et d'oii tombent les pluiesi, laquelle est humide et embrumée à cause des
exhalaisons de la terre, et elle pénètre ensuite dans la région ignée qui s'étend
au-dessus. C'est à un triple châtiment par l'air, l'eau et le feu, qu'elle est
donc soumise, ce qu'après Cicéron, Virgile a ^exprimé dans des vers souvent
commentés 2. Parmi les âmes « Igs unes s'envolent légères suspendues aux
vents, pour d'autres le péché qui les infecte est lavé dans un gouffre
immense ou brûlé par le ficu ». Le stoïcisme voyait dans les tares qu'il fallait
effacer, des sortes d'excroissances, enracinées dans les âmes conçUtCs comme
matérielles, et qui y laissaient des cicatrices profondes ^.
Cette doctrine du passage au travers des éléments n'a pas été seulement
celle de théologiens spéculatifs. Elle a pénétré dans les mystères*, surtout
dans ceux de Bacchusi, où les mystes étaient soumis à des fumigations par
la torche et le soufre, à des ablutions, puis à une ventilation, afin que, puri-
fiés par le feu, par l'eau et par l'air, ils pussent éviter les épreuves semblables
Hans Une autre vie (Fig. 3)^. Dans le rituel, cette cathartique était rappelée aux
bacchants par l'emploi du van mystique (ATxvov). Le van agité par le mois-
sonneur nettoie le blé en le dépouillant de la baie qui l'enveloppe et des
pailles qu'emportent Ips souffles de l'air ; de même les vents enlevaient les
1. Ibid., p. 130 ss.
2. Cicéron, "Cusc, I, 18, 42 ; Virg., En., VI, 740 ss. : Aliae panduntur inanes / sus-
pensae ad ventes, alixs sub gurgite vasto / infectum eluitur scelus, aut exuritur igni » ;
cf. aussi Sénèque, Consol. ad Helv., XX, a ; Servius, Georg., I, 243.
3. Virg., En., VI, 735 ; Philon, De spec. legibus, I, 10^ (V, p. 26, 10, Cohn-Wendl.).
Cf. Symbol., p. 133, n. 3 ; p. 275, i;i. 2. Ces cicatrices de l'âme déjà dans Platon, Gor-
gias, 524 d.
4. Eitrem, Die vier Elemente in der Mysterîenweihe (dans Symbolae Osloenses IV),
1926, pp. 43-59.
5- Servius, En., VI, 741 j cf. Juvénal, 111,485; Rel.or,,ij^. 201 ss.; Symbol., p. 134SS.
\¥=^
Fig. 2. — Vents ; Tritons = eau ; Lions = feu. Passage au travers des éléments. Stèle de Walbersdofi
CHAPITRE IV.
TRANSFORMATIONS DES ENFERS
211
souillures adhérant aux âmesi. De son côté Hermès Trismégiste enseignait
que les âmes qui, après avoir enfreint les règles de la piété, se séparaient de
leurs corps, étaient livrées aux démons et, qu'emportées dans les airs elles
étaient lapidées et brûlé,es dans les zones de la grêle et du feu, que les poètes
appelaient le Tartare et le Pyriphlégéton. Ailleurs il nous montre ces âmes
coupables rejetées par l'Etre suprême du haut du ciel dans l'abîme et livrées
aux tempêtes et aux tourbillons de l'air, de l'eau et du feu en discorde * .
Fig. 3. — Purification bachique par les éléments
Cette doctrine du passage à travers les éléments obtint une large diffusion
et jouit d'une faveur durable. On en peut relever les traces dans les mystères
d'Isis et les papyrus magiques d'Egypte, dans les livres gnostiques et le
manichéisme. D'autre part elle s'est conservée dans les apocryphes chrétiens,
et les Byzantins n'en avaient pas perdu le souvenir. Celui-ci n'a même pas
entièrement disparu de nos jours : l'abbé Terrasson ayant introduit la puri-
fication par les éléments dans im roman qui connut im certain succès au
XViiie siècle, elle a passé dans le livret dje la Flûte enchantée de Mozart ^ .
Les souffrances que le trouble des éléments faisaient subir aux âmes dans
leur traversée de l'atmosphère n'étaient pas le seul danger qu'elles eussent à
1. Clément Alex,, EcL -pro-phet., 25 (III, p. 143 Stâhlin) ; Servius, Georg., I, 165 ;
Cf. Symbol., p. 135, n. i,
2. Lydus, De mens., IV, 149 (p. 167 Wûnsch) j et Pseudo-Apulée, Ascle-pîus 28 (p. 66
Thomas); cf. Symbol., p. 136.
3. Symbol. , p, 137 et pp. 130 ss. ; , 1 ; ,
21 a LUX PERPETUA
y redouter. Comme nous le verrons, ce Purgatoire aérien était peuplé de démons
qui les châtiaient, retardaient leur ascension et pouvaient les , précipiter dasns
les abîmes,, si elles n'étaient secourues par la protection de dieux psycho-
pompes * .
Dans les gouffres où tourbillonnent l'air, les vapeurs et le feu, dans cette
zone où la menacent des esprits hostiles, l'âme ne connaît pas de repos. Mais
à la sphère de la lune commence la région de l'univers où les mouvements
des astres déterminés par des lois éternelles., sont soumiis à un rythme harmo-
nieux. Aux changements et à l'inconstance du monde de la génération s'oppose
le calme et la régularité des sphères supérieures que parcourent les dieux
lumineux. C'est là qu'enfini, suivant l'opinion la plus accréditée, les âmes en
peine trouveront la tranquillité*.
Certaines théories aberrantes i^e faisaient commencer le séjour des justes
qu'au-dessus de la sphère des étoiles fixes, et étendaient jusque là les épreuves
purificatrices des âmes, soit que celles-ci fussent brûlées par les feux du
soleil et lavées par les eaux de la lune ^ ou bien qu'elles dussent passer à travers
les cercles planétaires, entre lesquels on répartissait les quatre éléments^; mais
ce sont là des variations secondairest, peut-être des imaginations personnelles
de quelque théologien païen, et elles sont restées sans influence étendue sur
les croyances eschatologiques.
La transformation opérée dans les croyances ancestrales par une théologie
qui transférait l'Hadès quelque part entre la terre et la lune, ne peut aujour-
d'hui être saisie nulle part mieux que dans le Vie livre de l'Enéide. En
racontant- la descente d'Enée aux Enfers;, Virgile s'est inspiré d'antiques « Cata-
bases »^, de récits poétiques des Grecs. 11 reste fidèle en apparence à la tra-
dition mythologique et littérairei, il garde le décor conventionnel, la géogra-
phie immuable du royaume des ombres ; mais il n'admet plus la vérité littérale
de ces idées d'autrefois. Il sait quelle signification figurée les philosophes
attribuent aux vieilles fables de l'Hadès^. Au risque de sembler se contre-
dire, ou pour mieux dire laissant, sans souci de précision, s'exprimer en
1. Cf. infra, ch. VI, p. 3oo.
2. Cf. su-pra, p. 146 ; Symbol., p. 94.
3. Jamblique, chez Lydus, De mensib., IV, 148 (p. 167, 25, Wûnsch) ; CommenU
Bern. Lucani, p. 47 ; Philopon, In Meteor. (Comment Arist. XIV), p. 117 ; Lactant. Pla-
cidius, Zbéb., VI, 860. Cf. Symbol., p. 139 ; Lods, C. R. Acad. Inscr. 1940, p. 448.
4. Macrobe, Somn. Scip., I, 2, 8 ss.; Proclus, In Vim., II, p. 48, 15, DieU. Cf. Sym-
bol., p. 140, n. I.
5. Cf. supra, ch. I, m, p. 71.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 215
vers harmonieux une pensée ondoyant©, il rappelle cette eschatologie savante,
la purification., l'ascension, la transmigration des âmes, à propos de ce
qui aurait pu être seulement le récit d'un voyage mferveilleux au pays des
morts. L'unité de la conception et de la composition pouvait ne point paraître
sérieusement compromise., puisque les anciens poètes, avaient déjà d]ans leurs
vers voulu indiquer, croyait-on, ces vérités philosophiques sous le voile de
l'allégorie. La descente aux Enfers prend donc., chez Virgile, une portée beau-
coup plus élevée que ne l'aurait eue un simple exercice littéraire. Elle est
l'expression d'une conviction ou du moins d'une espérance, et non une fan-
taisie brillante exécutée sur un vieux thème poétique^.
Les inscriptions!, comme les écrivains, prouvent que la croyance au séjour
des âmes dans l'atmosphère s'était largement répandue. Mais elle ne réussit
pas à éliminer complètement l'idée d'un enfer souterrain., et celle-ci devait
finir par s'imposer de nouveau;, à la fin du paganisme, en changeant il est
vrai de caractère.
Une foi qui a longtemps dominé les esprits ne disparaît qu'avec peine et
laisse derrière elle des traces persistantes dans les sentiments et dans les
usages. N'avons-nous pas vu se perpétuer jusqu'à nos jours dans l'ancienne
Gaule la coutume de placer dans la bouche ou la main du mort la pièce de
monnaie qui servait à payer à Charon le passage du Styx^f?
Si l'on parcourt les recueils d'épitaphes métriques, on verra qu'elles con-
tinuent en grand nombre à parler des Champs-Elysées et du Tartare^ et de
tous ces figurants du drame des Enfers que la poésie grecque avait popu-
larisés ; mais toute cette phraséologie de la langue versifiée, nous avons déjà
noté ce point, n'est pas autre chose que réminiscences littéraires ou métaphores
traditionnelles ■\ Cependant parfois cette mythologie infernale est curieuse-
ment développée. Ainsi la longue inscription d'un tombeau romain * nous
montre un jeune homme descendant de l'éther pour annoncer à ses proches
qu'il est devenu un héros céleste et ne s'est point rendu dans le royaume de
Huton. « Je ne m'enfoncerai pas tristement vers les ondes duTartare, je ne serai
pas l'ombre à qui l'on fait passer les flots de l'Achéron, et je ne repousserai
I- Cf. supra, p- 7i- ' 1
1- Symbol., p. 382, n, i ; sur le « sou du mort » cf. Van Geimep, I, p. 719 ss.,
3. Cf. su-pra, p. 93.
4. C. E. 1109, 1924; cf. I G, XII, 5, n° 62, 7 ss. et une épitaphe de la voie La-
Dicane, Athenaeum, 1926 (N. S., IV), p. 103.
214 LUX PERPETUA
pas de ma rame la barque noirâtre, je ne redouterai pas Charon au front menaçant,
et ne subirai pas la sentence du vieux Minosi, on ne me verra pas errant dans
un ténébreux séjour, ni retenu sur la rive de l'onde fatale ». Cette épitaphe
date du siècle d'Auguste, mais celui qui l'a rédigée croyait-il^ plus que les
poètes contemporains;, à la réalité des êtres dont /il peuplait l'Hadès ? Il pare
son discours d'une défroque littéraire dont devait hériter plus tard la poésie
chrétienne. Celle-ci n'hésita pas à employer ces clichés païens, si frustes à force
d'avoir servi, que leur signification première en était devenue indistincte. La
Renaissance et le xviie siècle devaient encore en user et en abuser dans les
temps modernes.
De même la sculpture funéraire continuait à répéter souvent les thèmes
traditionnels. Les sarcophages nous montrent parfois le défunt conduit par
Hermès psychopompe en présence de Pluton et de Proserpine. Les monu-
ments funéraires reproduisent aussi. Charon dans sa barque. Cerbère comme
gardien de l'Hadès^ Oknos et son âne, les supplices typiques des grands cri-
minels Tantale, Ixion, Sisyphe, et surtout celui des Danaïdes^. Mais ces
images traditionnelles étaient répétées sans que l'on crût à leur réalité^ et elles
n'avaient plus que la valeur de symboles. A considérer l'ensemble des
représentations funéraires'^ elles sont d'ailleurs extrêmement rares, nous avons
déjà insisté sur cette carence -.
Si nous n'avions que la poésie et l'art sépulcral pour attester la persistance
des croyances du passé, ce serait un témoignage très sujet à caution. Mais
d'autres indices plus probants nous donnent l'assurance que la foi populaire
demeurait attachée, avec cette ténacité qui la caractérise, à l'antique con-
ception des Inferi. L'on peut en fournir la preuve, même pour la ville de
Rome, où une plèbe métissée vit se mêler à l'ancienne foi italique toutes les
croyances de l'Orient ^ ; à plus forte raison dans les pays du Levant, où la
religion atavique continuait, à être celle de la population, indigène, ne
manquent pas les témoignages qui attestent la persistance de l'antique
conception d'un royaume obscur des dieux chthoniens^. Ainsi une épitaphe
d'Elaiousa en Cilicie adjure « le dieu céleste, le Soleil, la Lune et les dieux
souterrains qui nous reçoivent » ; et la mention de ces xa':a5(^G6vioi Geoi est
fréquente^. La croyance se maintient que les ombres peuvent n'être point
I. Cf. Symbol., p. 29 ss. ; Helbig, Fûhrer^, p. 42, n° 1207.
2. Cf. supra, ch, I, p. 74.
3. Cf. supra, p. 76.
4. Jahresh. hist. Inst. Wien, 1915, XXIII, Beibl., p. 45. Cf.. Roscher, Lex. s. v.
CHAPITRE IV. ~ TRANSFORMATIONS DES ENFERS 215
(admises dans les Enfers, et se voir condamnées à errer misérablement 1. Les
tablettes d'exécration, par lesquelles on voue un ennemi au malheur, font souvent
iriention du royaume infernal ou des divinités qui y régnent. Hadès y apparaît
'dans l'île de Chypre comme le roi « de toutes les Erinnyes » ou des « démons
silencieux » ^. Pareillement dans les papyrus magiques d'Egypte l'idée est sou-
vent exprimée que les défunts s'enfoncent dans des gouffres ténébreux, et y,
dev^iennent des démions, que le nécromant fait remonter à la surface par ses
incantations '. En Grèce miême, où la critique rationaliste avait pénétré beau-
coup plus avant dans le peuple, Plutarque, tout en assurant que peu de gens
redoutent encore Cerbère, le sort des Danaïdes et autres épouvantails de
l'Hadès, ajoute que par crainte de pareilles peines on a recours à des incan-
tations et à des initiations*^
Il faut en effet ten'ir qompte ici de l'influence conservatrice de certains
cultes et de certains mystères. Mèn le Grand, le dieu lunaire d'Anatolie, était
adoré comme céleste et souterrain Oùpàvioç et KaTaji^ôcvioç; il régnait au ciel
et sur le monde inférieur, et les Asiates qui émigrèrent à Rome ne cessèrent
évidemment pas de croire qu'il était le maître de l'empire des ombres^. Les
fresques des sectateurs de Sabazius près du cimetière de Prétextât nous mon-
trent la défunte V'ibia enlevée par Plu ton et descendant {discensio) dans la
demeure profonde où elle est admise au festin des âmes pieuses ^. Nous
montrerons plus loin (p. 236) comment les mystères, qui furent en général
conservateurs du passé, ne répudièrent que tardivement la vieille conception
d'un royaume souterrain des morts.
Cette croyance à l'existence des Inferi, qui se maintenait dans les couches
profondes du peuple, bien que battue en brèche et çn partie supplantée par
d'autres doctrines, devait recevoir une force nouvelle de la renaissance du
platonisme, qui considérait comme inspirés les écrits du divin Maître. Dans
plusieurs de ses dialogues Platon parlait avec tant de précision du transfert
des âmes dans les entrailles de la terre, que même la subtilité de ses interprètes
tardifs éprouvait quelque peine à donner au texte une autre portée, bien que
1. Dessau, 8190 : « Nec superis comprobetur, nec inferi recipiant » -, cf. 8184, et
N. C, III. Cf. Dittenberger 3, 1241.
2. AudoUent, Defixionutn tabellae, 1904. Index, p. 461 ss. ; A. Religws. XXIV, p. 178.
3. Cf. supra, ch. I, iv, p. 97.
4. Plutarque, Non fosse suav. vivi sec. E-pic.^ 27, p. 1105.
5. Symbol., p. 181, p. 22i.
6. Cf. injra, ch. V, p. 257, fig. 7.
2ié LUX PERPETUA
certains l'aient tenté. Les commentateurs s'attachèrent donc à défendre la doc-
trine du sage infaillible en réfutant les objections de ses adversaires. Les Stoï-
ciens, nous l'avons vu, avaient soutenu que l'âme, étant un « souffle ardent »,
avait une tendance naturelle à s'élever dans les airs et ne pouvait s'enfoncer
dans le sol. Mais Porphyre objecta qu'en s'abaissant à travers l'atmosphère
elle s'imprégnait de son humidité, et ainsi s'alourdissait ; et si pendant son
passage dans la glaise du corps elle s'était chargée d'une boue purement phy-
sique, si elle s'enveloppait d'une gangue matérielle, sa densité devenait telle
qu'elle pouvait être entraînée dans les abîmes ténébreux de la terre*. Pour
Proclus, qui se prétend le fidèle truchemient de Platon, l'âme après la mort
est jugée quelque part entre le ciel et notre globe. Si elle en est digne, elle
jouira dans les sphères célestes d'ime vie bienheureuse, ; si au contraire elle a
m'érité des peines, elle sera reléguée sous la terre) '^. Précisant ailleurs sa
pensée', il s'exprima ainsi : « Les divers lieux de l'Hadès et les tribunaux
souterrains et les fleuves dont Homère et Platon nous ont enseigné l'existenc.e,
ne doivent point être regardés c,omme de vaines imaginations ou des mer-
veilles fabuleuses. Mais de même que les âmes qui vont au ciel sont réparties
en des séjours divers et variés pour s'y reposer, de même il faut croire que
pour celles qui ont encore besoin d'un châtiment, s!ouvrent des lieux sou-
terrains où s'infiltrent en quantité les effluves des élémlents supra-terrestres.
Ce sont eux qu'on appelle « fleuves » ou « épurants ». Là aussi des classes
diverses de démions exercent leur empire, les uns vengeurs, d'autres punisseurs,
d'autres purificateurs ou enfin justiciers. Dans ce séjour, le plus éloigné de
celui des dieux, les rayons du soleil ne pénètrent pas, et il est rempli de tout
le désordre de la ra'atière. Là se trouve, gardée par les démons qui y assurent
la justice, la prison des âmes coupables, enfouies sous la terre ». Ces citations
suffiront à montrer comment les ultimes soutiens du paganisme revinrent aux
antiques croyances des Hellènes. En exposant les spéculations des Néoplato-
niciens nous aurons l'occasion de reparler de leur interprétation de l'Hadès
mythologique*.
Ce n'est point uniquement par leur fidélité aux doctrines de Platon, qu'en
réalité ils altèrent, ni par la seule logique de leur système, que les derniers
1. Porph,, Sentent, ad intellig.^ XXIX, 1-2 avec les notes de Mommert. Cf. Symbol-,
p. 20 r, n. 2; înfra, ch. VIII, p. 368, à propos de Porphyre j cf. ch. II, p. 126, 10 ss.
2. Proclus, In Remf. Plat., II, p. 131,20-132, 13 Kroll.
3. Ibid., I, p. 121, 23-122, 15 Kroll 5 cf. In V,imaeum, I, 113, 24 Diehl.
4. Cf. injra, ch. VIII, p. 354.
CHAPITRE IV, — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 217
philosophes grecs ont été conduits à admettre ce que leurs prédécesseurs reje-
taient. Ils subissent, parfois à leur insu, une influence religieuse. Le plato-
nicien Celse croyait aux peines éternelles de l'Enfer, mais il invoque pour
appuyer cet article de foi l'autorité de « mystagogues et de théologiens » 1.
L'opposition entre les obsqures retraites des Mânes et les demeures éclatantes
de l'Olympe est ancienne, et elle s'est naturellement accusée à mesure qu'on
crut davantage, d'abord que les héros, puis que tous les esprits vertueux s'éle-
vaient vers les espaces éthérés. Mais la religion qui formula avec un enchaî-
nement rigoureux la doctrine d'une antithèse absolue entre le royaume lumi-
neux, où siège l'Etre suprême avec, les divinités célestes, et le domaine téné-
breux de l'Esprit mauvais et de ses démons maléfiques, fut le mazdéisme perse.
L'empyrée, resplendissant de clarté, où trônaient les dieux, devait être le séjour
des fidèles qui les avaient pieusement servis. Au contraire les mécréants qui
avaient contribué à répandre le Mal sur la terre, devaient être précipités dans
les sombres abîmes où régnait Ahriman. Le dualisme iranien imposa cette
conception à une partie du judaïsme alexandrin, à plusieurs sectes gnostiques'
et plus tard au manichéisme ; et la démonologie des philosophes eux-mêmes
n'échappa pas à son action. Porphyre nous a conservé, d'après « certains Pla-
toniciens », un système où l'influence de la théologie perse est sensible*.
Au-dessous du Dieu suprême. Principe incorporel, indivisible, immuable, iau-
dessous des étoiles fixes et des planètes « dieux visibles », vivent d'innom-
brables démons. Les uns sont des esprits bienfaisants qui donnent la fécondité
aux animaux et aux plantes, la sérénité à la nature, l'industrie et la culture à
l'homme. Ils servent d'intermédiaires entre, les divinités et leurs adorateurs,
transmettant au ciel les hommages et les prières, et du ciel les présages .et
les conseils. Au contraire, les autres, les anti-dieux ( àvTÎÔeot ) sont des êtres
pernicieux, auteurs de tous les maux qui nous affligent. N''étant pas entourés
d'un corps solide, ils échappent aux perceptions de nos sens, mais peuvent
prendre des formes variables, apparaître et disparaître. A la fois violents et
rusés, ils multiplient leurs embûches et fondent soudain sur le monde pour
y provoquer les pestes, les famines, les tempêtes, les séismes. Ils allument
dans le cœur de l'homme les passions néfastes et les désirs coupables et pro-
voquent les guerres et les séditions. Habiles à tromper, ils se plaisent aux
I. Origène, C. Cels., VIII, 48 ss.
z. Cf. Relig. orient., p. 142, p. 280, n, 53 5 Mages hellén., I, 178 s,; II, 275 ss.j
Bousset, A. f. Religiv., 1915, XXIII, p. 134-172.
2i8 LUX PERPETUA " '
mensonges et aux impostures ; et tâchant de détourner vers eux-mêmes la
vénération que l'homme doit aux dieux, ils favorisent la fantasmagorie et les
mystifications des sorciers, et viennent se repaître des sacrifices sanglants que
les magiciens leur offrent à eux tous, et surtout à la puissance qui les com-
mande, c'est-à-dire à Ahriman.
Les mystères de Mithra, qui furent par excellence une religion de soldats,
ont dû surtout acclimater dans le paganisme la doctrine zoroastrienne que
les dieux ou génies bienfaisants et les esprits malins sont comme deux armées
luttant constamment entre elles sous la direction de chefs opposés, et que les
âmes des défunts deviennent semblables à l'une ou à l'autre de ces deux
phalanges antithétiques de déités et de démons : lorsqu'elles sont vertueuses
et pures, elles montent vers l'éther lumineux où résident les puissances divines.
Si au contraire elles sont vicieuses et souillées, elles descendent dans les pro-
fondeurs du sol, où commande le prince des Ténèbres, et elles subissent et
infligent la souffrance comme les dévas pervers, qui habitent les sombres
demeures de l'Esprit malin.
Ce fut à ce compromis que s''arrêta le paganisme au terme de son évolution.
Le dualisme oriental lui imposa sa formule définitive. Il n ''admit plus, comme
les anciens Grecs, que les ombres de tous les morts dussent descendre du
tombeau dans d'immenses cavernes creusées dans le sein de la terre ; il ne
fit plus de l'Elysée et du Tartare deux domaines contigus du royaume de
Pluton. Il ne les transporta pas non plus, comme l'avaient voulu la plupart
des théologiens du début de notre ère, tous deux côte à côte au-dessus de
nous, dans l'atmosphère et les sphères étoilées. Il les sépara radicalement et,
scindant en deux moitiés le séjour des âmes défuntes, il plaça l'une dans la
clarté du ciel, l'autre dans l'obscurité du sous-sol. Après quelque hésita.tion,
cette conception fut généralement acceptée par les docteurs de l'Eglise, et
elle devait devenir pour de longs siècles la foi commune de toute la chrétienté.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 219
IL — Les supplices de l'iEnfer.
En subordonnant toute sa théologie à l'idée maîtresse d'un dualisme nette-
ment formulé, en tirant de ce principe toutes les conséquences morales qu'il
impliquait, la religion de Zoroastre construisit un système qui à travers les
âges ne devait cesser de s'imposer à l'esprit des hommes et dont l'action se
prolongea, par l'intermédiaire du manichéisme, jusqu'aux Pauliciens et au
Cathares du Moyen- Age. Au cours de notre exposé nous avons vu comment
les Pythagoriciens avaient emprunté aux Mages du Levant la doctrine de
l'immortalité céleste des Elus, qui devait transformer toute l'eschatologie des
Grecs. Nous venons de constater comment le dualisme mazdéen agit sur la
croyance aux Enfers ténébreux et, en la modifiant, contribua à la faire revivre.
Mais en dehors de cette influence théologique sur certaines doctrines fonda-
mentales du paganisme, des recherches plus détaillées auraient pu montrer
combien largement l'Iran agit sur toutes les croyances relatives à Satan et
à ses suppôts, et comment les doctrines de la Perse alimentèrent la foi popu-
laire et les superstitions vulgaires. Pour prendre tm exemple typique, nous
voudrions indiquer ici comment une antique conception hellénique, celle des
tourments infligés aux damnés, fut modifiée par l'eschatologie mazdéenne, qui
fit sentir son ascendant dans le monde hellénistique et dajns l'empire romain.
Les vieilles croyances grecques, nous l'avons vu (p. 70), se représentant
l'Hadès comme une reproduction de la cité dans l'autre monde, les supplices
imaginés pour les pécheurs ressemblaient dans une lairge mesure à ceux que
le droit pénal appliquait aux délinquants. La justice infernale était comme une
cour d'appel, incorruptible et infaillible, des tribunaux terrestres. Mais la
législation criminelle prévoyant pour chaque espèce de délit une peine déter-
minée," le droit qui régissait les Enfers devait pareillement réserver à chaque
sorte de faute un châtiment approprié. Cette déduction logique conduisit à
un développement indéfini des pénalités d'outre-tombe. De même que les
moralistes et criminalistes détaillaient et classaient les infractions aux lois
divines et humaines, les théologiens s'attachèrent à énumérer les catégories
de coupables emprisonnés dans le Tartare. Sans doute personne, en Grèce,
n'a jamais formulé article par article un code pénal applicable au royaume
de Pluton. Une telle classification aurait impliqué utie multiplication de
220 LUX PERPETUA
»
tortures épouvantables qui offensaient à lai fois l'amour du beau et le sens
de la mesure qui caractérisent la; mentalité hellénique. La fantaisie légère des
anciens Grecs ne s'est pas appesantie lourdement sur l'horreur des malédic-
tions éternelles, et leur génie lumineux ne s'est point complu à en décrire
la sombre cruauté i. La littérature a évité de s'étendre sur ce sujet repoussant,
et Aristophane 2 ou Platon ^ n'y font allusion qu'en passant. Les Romains,
que leur esprit juridique aurait pu conduire à une systématisation des tortures
de l'Orcus, furent préservés de cette aberration par la sobriété de leur ima-
gination (p. 57). Il est caractéristique que même Virgile, quoique interprète
d'une tradition hellénique (p. 212), énumère une série de forfaits qui ont
conduit leurs auteurs dans le Tartare, mais, sauf pour les grands pénitents
mythologiques, ne fait allusion que par prétérition aux formes infiniment
diverses de supplices qu'ils ont à subir, évitant ainsi d'introduire dans son
tableau des atrocités qui répugnaient à son sens esthétique, plus délicat que
celui de Dante. Mais il ressort suffisamment de sa composition même qu'il
avait sous les yeux des modèles anciens, où péchés et peines étaient comme
enregistrés sur deux colonnes parallèles*. Le peu que nous apprennent les
écrivains suffit ainsi à nous prouver que ces visions hallucinantes n'étaient
pas étrangères au paganisme gréco-latin.
Celui-ci s'est souvent représenté le monde souterrain sous un aspect très
différent de celui que la tradition littéraire a consacré. A côté de l'Hadès
créé par les fables des poètes et les mythes des philosophes, un autres vivait
dans l'imagination populaire, qui a toujours affectionné les histoires d'ogres
et de croquemitaines et qui savait qu'entre le ciel et la terre, comme le veut
HamleL, et aussi dans les profondeurs de notre globe, il y avait une foule de
choses qu'ignorait la philosophie.
Dans la Grèce ancienne, le démon Eurynomos que Polygnote^ avait peint
à Delphes de couleur bleu-noire — celle des mouches de la putréfaction —
rongeant la chair des morts et ne leur laissant que les os, est certainement
une création de la croyance vulgaire. Plutarque*', parlant des esprits supers-
1. Cf. Rohde, tr. fr., p. 260. Cf. infra, p. 245.
2. Aristophane, Grenouilles, 143 ss., 273, 289.
3. Platon, Gorgias, 523 a, 525 a; Ré-publ., X, 6x6 a. — Cf. Axioçhos, 372 a.
4. Virgile, En.^ VI, 007SS. ; 6145623. — Cf. Norden, note aux vers 562-^6^ — Lucrèce,
III, 1016.
5. Pausanias, X, 28 ss. Cf. R. E., s. v. « Katabasis », col. 50 ss.
6. Plutarque, De su-perst., 3, p. 165 F.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 221
titieux, donr le sommeil même est troublé par des cauchemars, compare ceux-ci
à une vision du lieu des impies, avec des spectres à faire frissonner, des
apparitions monstrueuses, des Peines qui flagellent. C'était ainsi que la dévotion
d'une foule anxieuse se figurait l'Hadès, et Virgile, en plaçant à l'entrée du
monde souterrain comme à la porte du Tartare, des monstres, ou plutôt l'ombre
de monstres, pour en assurer la garde, est le. fidèle interprète d'une tradition
qui, par delà les vieux poètes, remonte au plus ancien folklore ^ .
Mais la peinture d'un séjour des damnés où des pécheurs de tout genre
étaient soumis à des expiations en rapport avec leurs forfaits paraît avoir été
surtout l'œuvre de oonventicules ésotériques, qui prétendaient révéler à leurs
adeptes les mystères de l'au-delà et insistaient fortement sur l'opposition d'une
élite, purifiée par les initiations et une vie austère,, et d'autre part une tourbe
scélérate adonnée à tous les vices". Les auteurs de « Catabases » (p. 65)
ou d'apocalypses imaginèrent les tortures les plus effroyables pour épouvanter
les âmes craintives et les pousser à chercher dans une cathartique et une dis-
cipline religieuses le moyen d'échapper à la menace qui pesait sur elles. Celse
reprochait aux chrétiens d'épouvanter les simples par des tableaux terrifiants
de l'autre monde, comme on le faisait dans les mystères de Bacchus^
Il s'est constitué ainsi, en marge dès œuvres littéraires que lisaient les
esprits cultivés, une autre littérature, qui s'adressait aux masses superstitieuses
et qui a disparu presque tout entière. Mais ses productions étaient abondantes,
et lorsque s'ouvre la période romaine, nous voyons qu'elles ont agi même sur
les compositions des poètes et des philosophes. Sous les Fia viens, Silius Italicus,
qui n'imite pas la réserve délicate de Virgile, son modèle (p. 72), accentue
dans sa description des Enfers la cruauté des supplices*. Un mythe que Plu-
tarque a introduit dans son livre sur la vengeance tardive des dieux ^, nous
montre les hypocrites, qui ont caché leur scélératesse sous les apparences de
la vertu, obligés de retourner du dedans au dehors l'intérieur de leur âme
« en se tortillant comme des scolopendres de mer accrochées à l'hameçon »,
les querelleurs haineux se dévorant l'uti l'autre entrelacés comme les vipères,
les avares insatiables plongés tour à tour dans des lacs d'or brûlant, de plomb
I. Virg., En., VI, 284-289, 575 avec les notes de Norden; Dieterich, A'ey^;yw, pp. 48 ss.,
54 s.j 195 n. I ; Gruppe-Pfister, dans Roscher, s. v. « Unterwelt », p. 77.
2. Cf. infra, « Orphisme », ch. V, p. 245.
3. Origène, C. Celsum, IV, g. Cf. Loisy, Mystères [infra, p. 235, n. i], p. 47.
4. Silius Ital., Punica, XIII, 396 ss., 609 ss. ; 835 ss. ; 870 ss.
j. Plut., De sera nuin. vina., p. 567 b, ss.
222 LUX PERPETUA
glacé et d'âpre fer, enfin, Néron, tyran matricide, le corps percé de clous
rougis au feu ' .
Lucien lui-même, dans son voyage, d'une outrance comique, aux « Iles des
impies » *, dont le sol est hérissé de couteaux et d'aiguillons et où coulent
des fleuves de fange, de sang et de feu, se fait raconter par ses guides la» vie
de chacun des suppliciés et le .motif de son châtiment. Ainsi Cinyras, le roi
de Chypre, coupable d'un inceste, est enveloppé d'une fumée aveuglante
et suspendu par les parties honteuses. Les pires tourments sont réservés aux
menteurs et aux historiens qui ont altéré la vérité, comme Ctésias et Hérodote,
crime dont, heureusement pour lui, Lucien se proclame exempt.
On se demandera à qui les auteurs d'apocalypses ont emprunté les fictions
effroyables de ces cauchemars de bourreaux. Il n'est pas douteux qu'à l'époque
hellénistique le fonds sous-jacent de la Grèce ancienne s'est accru d'un apport
de l'Orient. C'est là que les créations féroces de la théologie infernale ont
d'abord pris une ampleur et une netteté longtemps incoiînue en Europe. Les
Egyptiens ont longuement décrit dans leur « Livre des Morts » ^ et illustré
d'une imagerie fantastique les épreuves posthumes de ceux qui ont méprisé
les préceptes d'Osiris. On est tenté de retrouver aussi dans le catalogue des
fautes et de leur punition cet esprit classificateur des Babyloniens qui apparaît
dans la rédaction du code d'Hammourabi comme dans les recueils de prodiges
et de présages. Un livre mazdéen, l'Artâ-Virâf-Namak *, nous offre un dénom-
brement méthodique des pécheurs et de leurs supplices, d'une précision de
casuiste, que n'égale celle d'aucune des œuvres conservées en grec. Rédigé en
pehlvi, cet ouvrage est, à la vérité, d'époque tardive ; mais les antécédents
remontent certainement dans l'Iran à une époque fort ancienne". C'est pro-
bablement d'Asie Mineure que les Étrusques apportèrent en Italie la croyance
à un Orcus peuplé de démons hideux, où Charon et les Érinnyes prennent
un aspect farouche, qui rappelle celui des diables du Moyen-Age*. Le syn-
crétisme de la période alexandrine est un fleuve sans rives où divers affluents
ont mêlé leurs eaux. Si le naufrage de la littérature sacrée du paganisme gréco-
I Cf. sur le sort des parricides : Platon, Phédon 114 a j Sil. Ital., XIII, 835 ss. i €t
Ettig Acheruntica, p. 381.
2. Lucien, Vera hist., II, 30 ss.; cf. Cataplus 28; Dial. mort., 30, l.
3. Cf. infra, p. 276.
4. Trad. Barthélémy, Paris, 1887 ; cf . R . E., s. v. « Katabasis », col. 33 ss.
5. Mages hellén., I, p. 230.
6. Cf. supra, p. 60.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 223
romain ne nous permet pas d'y suivre pas à pas la transmission de cette fan-
tasmagorie horrifique, ni de mesurer la proportion des ingrédients qui sont
entrés dans sa composition, l'apocalyptique juive, qui s'est développée depuis
le IP siècle avant notre ère^, supplée en quelque mesure à ce manque d'in-
formations directes. Dans ce milieu oriental, où s'est introduite et fixée la
notion de l'Enfer au sens moderne du mot, l'énumération des châtiments
étemels s'associe, comme en Occident, à la description de monstres anima-
lesques, torturant férocement les damnés, 2 et chacune des peines corporelles'
infligées à ceux-ci y est déjà mise en relation avec une faute déterminée 3.
Certains apocryphes chrétiens forment le prolongement de cette littérature
de visionnaires. L'œuvre où apparaît d'abord une description impressionnante
des supplices de l'autre monde est le fragment de l'apocalypse de Pierre*,
que nous a rendu un parchemin d'Egypte. Elle est peut-être antérieure au
IF siècle de notre ère et la vision de l'Enfer, qui s'y oppose à celle du ciel,
est un musée des horreurs. Ce morceau énumère unte longue série de criminels
qui, punis par des anges vêtus de noir, subissent le châtiment que leur a
mérité le caractère de leurs fautes. Les blasphémateurs sont pendus par la
langue, les faux témoins ont du feu plein la bouche, les riches restés sans
pitié pour le pauvre se roulent vêtus de haillons sur des cailloux aigus et
brûlants. D'autres tortures paraissent être de simples jeux d'une fantaisie
macabre : les adultères sont pendus par les pieds, la tête plongée dans \m
bourbier brûlant ; les meurtriers sont jetés dans un cachot rempli de serpents,
tandis que les ombres de leurs victimes les contemplenti ; et ainsi de suite.
Cet apocryphe, longtemps admis comme authentique, et attribué au Prince
des Apôtres, était le premier ouvrage chrétien où les pénalités de l'au-delà
fussent formulées avec une telle abondance et une telle précision. Dans la
littérature païenne elle-même, il ne nous est parvenu aucune peinture aussi
effrayante des atrocités du Tartare. Il n'est pas surprenant que cette œuvre
1. Cf. Dict. de la Bible > Sw^^l. 1. 1 (1926), s. v. «Apocalyptique», pp. ^26-354.
2. Livre d'Hénoch, surtout la version slave, 10 (p. 13 Bonwetsch) ; Livre des secrets
d'Hénoch (Lods, C. R. Ac. Inscr., 1940, p. 445), avec sa traduction latine (DeBrùyne,
Revue bénédictine, 190S, p. 153) ; Apoc. de So-phonie {Ibid., p. 169), où l'influence du
mazdéisme est évidente (Lods, /. c. p. 449).
3. A propos des diverses peines de 1 Enfer, les écrits d'Ephrem le Syrien donnent
des indications précises sur les croyances de son milieu ; cf. Ephrem Syri Hymni et
Sertnones, éd. Lamy, Malines, 1889, t. IH, p. 128, avec les passages parallèles cités
p. 137.
4. Harnack, "Cexte u. Uni., IX, a; Dieterich, Nekyia^y 1913, p. i ss.
224 LUX PERPETUA
saisissante ait été suivie de beaucoup d'autres, imaginées sur le même modèle,
dont elles sont tributaires directement ou indirectement. Au ive siècle l'apo-
calypse de Paul renchérit sur l'horreur des tortures énumérées dans celle de
Pierre 1. Les auteurs de diableries dans l'antiquité ont dû se délecter à l'in-
vention de supplices inouïs, comme plus tard certains hagiographes ont pris
plaisir à décrire et le peintre de St-Etienne-le-Rond à représenter les souf-
frances invraisemblables infligées aux martyrs. Une lignée de visionnaires
cultiva au Moyen- Age, le genre dont l'Orient et Rome lui avaient légué la,
tradition^. Une longue série de descentes aux Enfers, de visites au Purga-
toire, d'ascensions au ciel relie l'apocalyptique romaine à la Divine Comédie.
Le génie de Dante, en s'émparant d'un thème repoussant pour en faire -un
chef-d'œuvre immortel, a relégué dans l'ombre tous ses prédécesseurs et décou-
ragé après lui les imitateurs.
Mais toutes ces œuvres, où s'est exercée la fantaisie individuelle, se sont
multipliées en. dehors de l'orthodoxie. C'est un fleuve trouble qui charrie beau-
coup de fange. Une autre conception devait l'emporter, et c'est celle où
l'influence mazdéenne se laisse le plus clairement, reconnaître.
Le feu a toujours servi, selon la mythologie des Grecs, à la punition des
pécheurs dans l'Hadès, et sans doute était-il naturel qu'un traitement infligé
aux criminels par les juges terrestres le fût aussi dans l'autre monde. Mais
parmi toutes les formes de supplices imaginées pour les réprouvés, celle-ci
devait prédominer sur toutes les autres, finir par s'imposer à la conscience
universelle, et susciter entre théologiens des controverses infinies. Nous voyons
naître ainsi dans l'antiquité une doctrine eschatologique dont l'action devait
se prolonger à travers les siècles, et des découvertes récentes ont permis de
préciser son origine et de mieux suivre son développement.
Les Érinnyes infligeaient aux impies, dans les Enfers, de cruelles brûlures
à l'aide de leurs torches ardentes 3, et le Pyriphlégéton, fleuve igné, appartenait
depuis l'Odyssée au décor traditionnel du royaume souterrain*. Il fut de
bonne heure regardé comme purifiant certains pécheurs de leurs souillureg.
Le pouvoir cathartique du feu dans le culte lui fit assigner la même valeur
I. A-poc. de Paul dans Tischendorf, Apoc. Apocryphae, i866, p. 57 ; James, Apo-
crypha anecdota, I, Cambridge, 1893.
a. Emimérées : Norden, Vergil Buch, VI, 29 ; Ganschinietz, R. E., s. v. « Kataba-
sis », p. 77 ss.
3. Eschine, In 'Cimarch., 190; Axîochos, p. 372 a.
4. Eitrem, R. E., s. v. « Phlegethon » ; Rohde, Psyché, tr. fr., p. 54.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 225
dans l'au-delà 1. Mais ce feu infernal est aussi conçu comme l'instrument d'un
châtiment éternel pour des criminels incurables, et il ne peut alors avoir une
fonction lustrale, puisque ceux qu'il fait souffrir restent à jamais coupables.
La torture qu'il inflige est purement punitive. A l'époque ancienne il n'ap-
paraît pas sous cet aspect, et il n'a pas alors sur les autres genres de peines
la prédominance qu'il obtin't plus tard. Une théorie scientifique peut y avoir
contribué. Les physiciens admettaient l'exis.tence d'une masse incandescente
occupant le centre du globe terrestre et produisant les éruptions volcaniques
et les sources thermales 2, Les Pythagoriciens adoptèrent cette supposition et
comme le Tartare était situé dans le tréfonds du monde souterrain, il le con-
çurent comme un vaste brasier où bouillonnaient pour le supplice des damnés
la poix et le bitume que vomisisaient lesvolcans^. Ce n''est pourtant pas la physique
qui exerça sur l'évolution des croyances une action décisive, mais l'intervention
d'une religion étrangère.
Une doctrine qui appartient au plus ancien zoroastrisme et resta toujours
dans la religion perse xm élément essentiel de l'eschatologie*, enseigne qu'à
la fin du monde les métaux contenus dans le siein de la terre entreront en
fusion et se répandront à sa Svurf ace. Tous les hommes devront traverser ce
fleuve en ignition-, mais il restera inoffensif pour les justes « aussi doux que
si c'était du lait chaud », et il fera sentir aux seuls impies sa morsure brûlante.
Tandis que dans les Gâthâ avestiques cette épreuve doit servir à distinguer
les bienheureux des damnés, plus tard ce déluge de feu est c.oriçu comme
purifiant de leurs pollutions ceux qui s'y plongent, et préparant la rénovation
de la terre*.
Une croyance aussi ancienne et aussi essentielle du mazdéisme ne pouvait
manquer d'être partagée par les Mages ou « Maguséens » répanfdus en Asie
Mineure et en Syrie. Lorsqu'àprès les conquêtes d'Alexandre ces colonies ira-
• niennes, dont un large syncrétisme caractérise la théologie, adoptèrent certaines
idées de la philosophie grecque, la conflagration de la terre fut rapprochée
de Vecpyrosis stoïcienne. La rivière ardente distinguant, selon la doctrine maz-
déenne, les bons qu'elle épargnait d'avec les méchantsi qu'elle torturait, devait
par suite être douée d'intelligence, et elle fut assimilée à ce feu raisorînable
1. Platon, Phédon, p. 114A ; cf. Dieterich, Nekyia, p. 197 ss. Cf. swpra, p. 20g.
2. Feu central : c£. Plésent, Le Culex, p. 158 ss.
3. Cf. à propos du Pyriphlégéton, Platon, Phédon, 113 B.
4. La fin du monde selon les Mages (R. H. Rel.i 193 1, CIII, p.' 39 ss.) — Cf. Sym-
°^-y P- 138» n. I j Heraclite, fr. 14 Diels, et Mages hellén., I, p. loa, n. i.
i5
226 LXJX PERPETUA
(uOp voepov) qui pour l'école de Zenon était l'énergie divine vivifiant et gou-
vernant toute la nature'.
Ce dogme capital de l'eschatologie iranienn'e, en faveur duquel la prédica-
tion d'un clergé influent s'accordait avec l'enseignement d'une puissante secte
philosophique, ne devait pas tarder à conquérir de nombreuses adhésions. Des
témoignages concordant nous fournissent la preuve qu'il "était devenu en Syrie
un article de foi à l'époque hellénistique. Dans la grande inscription votive
du roi Antiochus de Commagène (69-34 avant J. C), dont la religion
était un mazdéisme hellénisé, un passage important récemment restitué ^,
marque fortement l'opposition entre les pécheurs condamnés à un cruel sup-
plice et les justes qui recevront la récompense de leur piété. Ceux dont la
raison est restée pure, et qui ont marché dans les voies divines, peuvent espérer
une félicité bienheureuse ; leurs yeux verront de près la grande demeure
céleste de Zeus-Ormuzd, mais le "prêtre ou « stéganome » ^ impie qui a souillé
la terre de Dieu doit « être brûlé par un feu hostile » (■âoT.EfAtco iirupi (pXeyéaÔo)).
L'expression employée nous révèle comment le dogme mazdéen avait été
rattaché à la mythologie grecque par une assimilation du fleuve igné de l'Avesta
au Pyriphlégéton, de l'Hadès.
On trouve pour la première fois dans la littérature grecque une mention
explicite du feu infernal, à l'exclusion d'autres châtiments, chez un écrivain
contemporain du roi Antiochus, et cet écrivain est un Syrien, l'Épicurien Phi-
lodème de Gadara. Parlant de la crainte de la mort, qui fait frissonner les
hommes s'ils redoutent d'être condamnés par les dieux à des tortures éter-
nelles, le philosophe précise qu'ils s'attendent à être conduits dans l'Hadès
pour y être brûlés par le feu *.
Vers la même époque, la doctrine du feu infernal est acceptée par le
judaïsme. L'apocalypse apocryphe d'Hénoch et l'apocalypse d'Elie en font
mention^ en des termes qui ont cessé, pour la première fois, d'être ambigus,
1. Cf. R. H. Rel., Le, p. 41.
2. Jalabert et Mouterde, Inscr. de Syrie, n° i. Cf. pour le passage que nous tradui-
sons, Dôrnes-Naumann, Forschungen in Kommagene (Istambuler Forschungen X), Berlin,
1939' P- 32- , . . .
3. Le cTsyavùixo;, paraît être celui qui assure aux visiteurs un gîte et la nourri-
ture ; cf. Louis Robert, R. Ph., 1943, LIX, p. 172.
4. Diels, Philodem ûber die Gôtter, I (Abhandi., Akad. Berlin, 1915, VII), col. XIX,
15 ss.; cf. p. 80.; Hermès Trism., I, p. 133, n. 64, éd. Nock-Festugière.
5. Flammes dans VApoc. d'Hénoch., 108 (cf . Lods, Le, lsupra,p.222y^- 2], p- 443)"
Mer de feu dans VApoc. d'Elie., L c, p. 45, .etc.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 227
et les Oracles Sibyllins'^, qui expriment la croyance des Juifs alexandrins,
assurent que tous les hommes, après la résurrection, devront passer à travers
le « fleuve brûlant et la flamme inextinguible » qui assureront le salut des
justes, mais causeront à jamais la perte des impies. De telles précisions rendent
évidente l'origine mazdéenne de tout ce morceau 2.
Dès lors, chez les écrivains grecs et latins, l'idée du feu vengeur est fré-
quemment associée dans le paganisme à celle du séjour des mécljants. Elle
est même utilisée, comme une croyance communément reçue, dans l'histoire
I du voyage fantastique de circumnavigation qui, s'il faut en croire Lucien,
le conduisit successivement dans l'île des Bienheureux et dans celle des
réprouvés. En se dirigeant vers la seconde, il vit de loin la lueur d'un incendie
et bientôt il sentit l'odeur de l'asphalte, du soufre et de la poix qui brûlaient
et la puanteur des chairs qui rôtissaient. Un large fleuve igné bouillonnait
dans l'île, agité d'une houle comme la mer 3.
A l'époque romaine, la mention des criminels qui expient leurs forfaits
plongés dans le Pyriphlégéton ou un étang de feu est, dans le paganisme, un
motif habituel des descriptions de l'Enfer*. Lorsque les philosophes eurent
transporté dans l'atmosphère le lieu de la purgation des âmes, le fleuve de
feu que celles-ci devaient traverser fut transféré dans la zone ignée où s'allu-
maient les astres*.
Mais comme dans le paganisme les croyances périmées ne disparaissent
jamais entièrement, l'idée traditionnelle que le Tartare était un lieu glacial
s'associa à celle du feu de l'Enfer, et l'on enseigna que les âmes avaient à
pâtir tantôt du froid, tantôt de la chaleur ^ On concilia aussi la notion indes-
tructible de l'obscurité de l'Hadès avec la conception d'un brasier souterrain
en imaginant que le feu de la damnation brûlait, mais n'éclairait pas".
Des paroles formelles des Évangiles et de l'Apocalypse imposèrent, dès
l'origine, à l'Eglise le dogme du feu éternel et de la géhenne où seront jetés
1. Orac. Sibyll, II, 252 ; cf. II, 285 ; VIII, 411.
2. Cf. Bousset, Relig. des Judentiims im Neutest. Zeitalter, p. 270.
3- Lucien, Vera hist., Il, 27, 29, 30 ; cf. Cataphis^ 28 ; Dial. mori., 30.
4- Silius Ital., XIII, 835 ; 870 ; Plut., De sera num. vind. 567, b, 5 Dieterich, Nekyici,
?• 196 ; 201.
5- Cf. Symbol., p. 130, n. 3, et su-pra, p. 211.
. • Cf- Symbol.^ p. 46, n. 4; Plutarque, De sera niim. vîndicta, 22, p. 567 c; Olym-
Piod In Gorgiam, XL VII, 7 (p. 227 Norvin)j Salluste philos., 19 avec la note de
'^ock, p. XCI.
7' Vigouroux, Dict. de la Bible, s. v. « Feu de l'Enfer ».
228 LUX PERPETUA
les pécheurs, de l'étang de feu et de soufre préparé pour le diable et ses
anges ^, et les théologiens de toutes les époques ont consacré à ces versets
des commentaires infinis, qui formeraient toute une bibliothèque '^ Mais, même
chez certains écrivains ecclésiastiques, tel Lactance, et surtout dans les oeuvres
apocryphes se retrouve encore à l'époque chrétienne, l'idée d'un « fleuve de
feu », avec des détails qui sont manifestement empruntés à l'eschatologie
mazdéenne^
La même influence iranienne est manifeste dans la diffusion de la croyance
à des démono chargés d'exécuter les sentences prononcées contre les âmes
coupables : chez les Grecs, ce sont les Érinnyes qui brûlent ceux-ci de leurs
torches, ou les flagellent de leur fouet '\ Platon ne connaît pas de démons
pervers : créatures aériennes, ces génies sont pour lui les intermédiaires béné-
voles entre les dieux et les hommes, les « interprètes » à qui sont confiés les
messages entre le ciel et la terre ^ . Mais ils sont aussi les psychopompes chargés
de conduire l'âme de chacun dans l'Hadès^. Déjà Xénocrate, disciple de
Platon, admet l'existence de démons mauvais', comme l'étaient aussi certaines
âmes désincarnées (p. 88), et Chrysippe pensait que les dieux recouraient
à ces esprits pour appliquer les peines méritées par l'impiété ou l'injustice
des hommes ^ La conviction qu'un démon jaloux a ravi un mort enlevé pré-
maturément apparaît souvent dans les épitaphes^. L'esprit grec était ainsi
préparé à accepter l'idée de démons vengeurg opérant dans les Enfers, La
démonologie hellénique fut rapprochée de la théologie mazdéenne, peut-être
déjà par Xénocrate et au plus tard à l'époque hellénistique. Certains philosophes
pensaient que « les Mages disciples de Zoroastre » étaient les auteurs de toute
1. Math., XVIII, 9 5 cf. Marc, IX, 43-47; Luc, XVI, 24; Afocal., XXI, 8; XIX,
20 ; XX, 10.
2. Cf. Vigoureux, Dîct. de la Bible, l. c. ; et Dict. théol. cathoL, s. v. «Feu», t. IV|
p. 2196. Cf. Friedlânder, Sittengesch., III, p. 307. F
3. Lactance, Instit., Vil, 21, 3 ; cf. R. H. Rel., 1931, CIII, p. 88 ; Mages hellén.M
p. 373 ss. — Influence mazdéenne: R. H. Rel., l. c, p. 40 s.j Symbol.., p. 131, ii'3i
A-poc. de Paul, p. 56 ss. Tischendorf .
4. Cf. Dieterich, Nekyîa, p. 59 s.
5. Platon, Banquet, 202 d-303 a. Cf. Guy Soury, Démonologie de Plutarque, I94^i|
p. 20 ss,
6- Platon, Phédon, 107 d.
7. R. Heinze, Xenokrates, 1892 ; cf. Soury, o-p. cit., pp. 62, 64.
8. Plutarque, Quaest. rom.., 51, p. 277.
9. Aai[j.wv tpGovEpôî ou pcécx.ivo; : Lehrs, Pofulàre Aufsàtze, 1875, p. 40 ss. Cf. iw^^
ch. VII, p. 314.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 229
la doctrine qui enseignait l'existence de démons entre les dieux et les hommes ^ ;
des données éparses dans les oeuvres des écrivains grecs, surtout chez Plutarque^
et chez Porphyre s, permettent d'apercevoir sur quelles affinités s'est fondé
ce syncrétisme. Nous distinguons les grandes lignes du système et en appre-
nons même certains détails caractéristiques.
Les démons bienfaisants et les démons pernicieux sont opposés par un dua-
lisme fondamental, étranger à la religion comme à la philosophie helléniques.
Les premiers sont identifiés avec les yazatas, déités subordonnées à Ahoura-
Mazda et exécutrices de sa volonté. Ces génies étaient coniparables aux émis-
saires envoyés par le Grand Roi et qu'on appelait ses yeux et ses oreilles*,
ou pour mieux dire, ils ressemblaient aux satrapes à qui le monarque déléguait
ses pouvoirs pour gouverner la terre''. Ils favorisaient les justes et châtiaient
les impies ; en faisant souffrir leurs corps, ils atteignaient les âmes logées
dans cette enveloppe, comme chez les Perses l'on arrachait et l'on fouettait
les vêtements et la tiare des grands à qui une punition devait être infligée".
Les démons malveillants et malfaisants ne sont autres que les dévas soumis
à Ahriman. Celui-ci, presque égal en pouvoir à Ahoura Mazda, dont il forme
l'antithèse, peut être défini comme un dieu, ou pour mieux dire un anti-dieu
(àvTÎGsoç); mais il est appelé plus proprement démon''. Il est le chef des
hordes d'esprits pervers et trompeurs qui répandent une infinité de maux sur
la terre *,. Les sombres sacrifices nocturnes qu'on leur offre doivent les apaiser
et détourner les effets de leur hostilité ^ Mais les âmes coupables précipitées
dans l'Hadès deviennent les victimes de ces démons implacables qui habitent
le monde souterrain'". Leur malignité les prédestinait à devenir des tortionnaires.
1. Plut., De defectu orac, 10, p. 415 a. — Mages hellén., II, p. 16, B. 5.
2. G. Soury, of. cit., p. 45 ss. ; p. 61 ss.
3. Porph., De abstin., II, 37-43. Cf. supra, p. 35.
4. Philon, De Somn., I, 140 (III, p. 235, C. W.).
5- Démons et satrapes : Relig. orient., p. 209, n. 21; E. Peterson, Der Monotheismus
als -politisches Problem, 1935, pp. 16-25, ^^^ '■> Aman, Die Zeusrede des Ailios Arts -
teides, 193 1, p. 85 ; cf. Origène, Contra Celsum, VIII, 35, et Baden, Der 'Al-q^r^ç
Àôyoc; des Kelsos (Tubing. Beitrâge XIII), p. 200.
6 Plut., De sera num. vind., p. 565 a 5 Reg. afo-phtegm., p. 173 e ; De audiendis
poetis, 13, p. 35 e; Cf. Soury, op. cit., p. 214 ss.
7. Mages hellén., I, p. 58 ; p. 59, n. i ; II, p. 173, n. 3. Cf. infra, ch. VIII, p. 370.
8. Ibid., II, p. 280, n. 3.
9- Ibid., I, p. 60.
10. Aaîixoveç 6^5(^60^101 : Olympiod., In Phaed., C, III, 14 (p. 189, 20, Norvln); D, 96
(p- 230, 28). Cf. Timée de Locres, 17. — Cf. l'exorcisme, Delatte, Anecdota Athe-
niensia, I, p. 257, 13 j Grégoire Naz., Contra Mlian., 1, ^^, col. 577 ; Hopfner, Offen-
230 LUX PERPETUA
Une croyance très particulière des mazdéens qui s'est répandue en Europe
lest un emprunt certain qu'a fait l'Occident à leur démonologie i. Les Perses
s'imaginaient .que quand la nuit étendait ses voiles sur la terre, celle-ci était
envahie par des hordes de dévas sortis des abîmes infernaux. Mais lorsque le
soleil dardait ses premiers rayons, il mettait en fuite les esprits maléfiques,
qui se réfugiaient dans leurs repaires ténébreux, et il purifiait la création de
leur présence immonde. Le chant du coq, héraut de l'aurorfe, annonçait aux
hommes la fin de la malfaisance des puissances nocives, et la lumière de
Taube mettait un terme aux terreurs nocturnes des hommes. Vint le moment où,
par une extension de son pouvoir, T'oiseau à la voix sonore ne fut plus regardé
seiulement comme T'annonciateur de la déroute éperdue des dévas : son cocorico
éclatant frappait de terreur les suppôts d'Ahriman, qui se hâtaient de regagner
leur demeure profonde ; bien plus, il était l'adversaire victorieux de tous les
fantômes, que chassait sa seule présence. Ces croyances, adoptées par les Pytha-
goriciens, se propagèrent parmi les Grecs lorsqu'ils acclimatèrent chez eux
1': oiseau persique (opviç Trepcrixàç} que le mazdéisme regardait comme un
animal sacré, protecteur des fidèles contre les entreprises des démons. Elles
se répandirent plus tard dans l'empire romain, et l'on peut juger de leur popu-
larité par leur longue persistance. Après la chute du paganisme. Prudence
formule encore cette foi superstitieuse en des termes que n'aurait pas désavoués
un sectateur de Zoroastre. Elle était encore bien vivante vers l'an mille, à
l'époque où écrivait le canoniste Burchard de Worms, et Shakespeare, qui
l'a rappelée poétiquement dans la première scène d'Hamlet,. etopêchera
qu'elle s'éteigne jamais dans la mémoire des hommes cultivés. Elle s'est
conservée aussi dans les traditions populaires et se retrouve aujourd'hui eïncore
dans le folklore de bien des pays ^.
Aux démons on substitua ou associa souvent les messagers ou anges, (àyye^oi)
des cultes perso-syriens. La conception que se faisaient d'eux les Grecs avant
Alexandre fut modifiée à l'époque hellénistique, lorsqu'on se servit . de leur
■nom pour traduire les termes de mal'akh, des cultes sémitiques, et de yazata du
barungszauber [cf. supra, p. 97], I, p. 225, § 825 ; cf. Plotin, IV, 8, 5 (p. 223, 5, Bré-
hier) — Aa!|j.ov£(; xl[iwpot, cf. Hermès Trism., p. 24, n. ^j-, p. 233, n, 5; p. 223, ch. XXIj
p. 235, éd. Nock-Festugière. Proclus, cf. su-pra, page 34.
1. Cf. Le coq des mazdéens et les Pythagoriciens. (C R. Ac. Inscr., 1942, p. 288 ss.);
Gray, dans Hastings, Encycl., s. v. « Cock », p. 684 ss.
2. Cf. N. C. XV. — Chant des coqs à la naissance de Jeanne d'Arc : lettre de Per-
ceval de Balainvilliers, 21 juin 1429, dans Quicherat, Procès de ]. d'Arc, t. V, p. n^-
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 231
mazdéisme. L'influence juive sur le développement de l'angélologie a souvent
été mise en lumière ^, mais on a moins bien reconnu la part qu'eut la religion
des Mages dans la formation de ce syncrétisme 1. Elle est cependant indu-
bitable et attestée par des témoignages explicites^.
Les désignations d' « anges » et de « démons » furent longtemps regardées
comme synonymes, et le caractère de ces deux classes de créatures plus puis-
santes que l'homme était en effet semblable ^ Comme les démons, les anges
peuvent être bons ou mauvais*, aériens ou chthoniens. Déjà dans la Grèce
ancienne ce qualificatif s'appliquait de préférence à des dieux, comme Hermès
ou Hécate, qui avaient quelque relation avec l'Hadès'. Lorsque la notion de
l'Enfer s'orientalisa, ils devinrent naturellement les suppôts d'Ahriman ou,
chez les Juifs, de Satan ^. Conçus comme pernicieux ainsi que les dévas
du dualisme iranien, ils furent chargés d'infliger aux damnés les peines que
ceux-ci devaient subir ^.
Sous l'influence des Oracles Chaldaîques (p. 361) ces anges, création com-
plexe du syncrétisme oriental, furent même, à, la fin de l'antiquité, introduits
dans la philosophie platonicienne^ ; ils y interviennent comme im élément
de ses spéculations théologiques, occupant une place inférieure à celle de?
archanges et supérieure à celle des. démons^.
1. Anges du paganisme : R. H. Rel., 195, pp. 161-182; Andres, R. E., Suppl, III,
s. V. « Aiigelos ». Sur (ï«ge et diable, cf. Meillet, Linguist. histor., 1926, pp. 347-348.
2. Clément Alex., Strom., III, 6, 48 (p. ai8, 7, Stàhlin) : Mâyot XaTpEuo'jffiv ÔLy-filoK; xat
Sa!(j.otrw). — Anges et archanges dans la théologie d'Ostanès : Mages hellén., I, p. 187
ss.; II, p. 283, fr. 10 ss. ; p. 372, n. 5; Preisendans:, R. E., s. v, « Ostanès », col. 1618.
3. Anges du judaïsme équivalents aux démons grecs : Philon, De Gigant'.,6 (II, p. 43,
Wendl.) ; De somniis, I, 140 (III, p. 235) ; Bréhier, Idées-philos, de Philon d'Alex., igo%
P- 126 ss. ; AndreSj l. c, col. 107. Même assimilation dans l'hermétisme : Asclepius,
37 (p- 77, 4, Thomas) ; cf. Aug., Civ. Dei, IX, 19 5 Jos. KrolL, Lehren des H. 'Crismeg.,
P- 70 ss., 408. Cf. n. 4 ci-après.
4. Philon, De gigant., 16 (p. 45). Dans l'hermétisme ; Lactance, Divin. înst.,ïï,i^,2;
Asclefius, 25.
5- Dibelius, Die Geisterwelt im Glauben des Paulus, 1907, que suit Andres, /. c,
col. 1023.
6. Math. XXV, 41 : AiaSôXtp ^%\ xotc àYyÉXot; aùxoù ; cf. Barnab., Epist., i8 ; TertulL,
Ûe spectac.j 8. Cf. Dicf. de théol. cathol., s. v. « Angélologie ».
7- Apocal. de Pierre [cf. supra, p. 223], 21, 23. Cf. Dieterich, Nekyia, p. 60 ss. ;
Hénoch, LUI, 3 ; XX, 3 ; Hermas, Simil, VI, 3, 2 ; cf. VII, 2, 6.
Cf. Proclus, In Cratyl. 160 (p. 89, Pasquali).
8. Proclus, In Rempubl., I, p. 91, 21, Kroll ; II, p. 255, 21. Cf. KroU, De Orac.
Chaldaicis, 1894, pp. 44, 53, 60.
9- Cf. Jamblique, De myst., cité infra, ch. VIII, p. 374.
232 LUX PERPETUA
Nous venons de voir comment l'influence du mazdéisme avait, parmi les
châtiments infligés aux damnés, fait prédominer partout la peine du feu et)
d'autre part favorisé la croyance à des démons punisseurs. Mais le dualisme
iranien, que les « Maguséens » .avaient combiné avec des doctrines chaldéennes i,
avait produit dans la conception générale de l'Hadès grec une transformation
plus profonde en répandant la doctrine que le monde souterrain est la prison
des âmes perverses soumises à l'Esprit du mal, une géhenne où elles souf-
frent sous la domination d'un tyran féroce et de sa séquelle. Nous ne pouvons
poursuivre les méandres par lesquels ce nouveau courant d'idées a pénétré dans
la théologie populaire des peuples divers. Seul le judaïsme permet de suivre
dans une certaine mesure les phases de cette évolution. Mais nous apercevons
clairement l'aboutissement de ce mouvememt d'idées.
Dès l'instant que le séjour des Elus fut transporté au Ciel parmi les astres,
où l'on situa désormais les Champs-Elysées 2, Pluton ne devait plus régner
que sur les âmes à qui leur vertu n'avait pas valu un sort bienheureux. On
retrouve souvent dans les inscriptions funéraires l'expression de cette opposi-
tion nouvelle entre les deux parties du monde, auxquelles répond ime dis-
tinction parmi les défunts. « Je ne pénétrerai pas tristement, dit une épitaphe
métrique de Rome 3, jusqu'aux ondes du Tartare, mon ombre ne sera pas
transportée sur les flots de l'Achéron... car la sainte Vénus voulut que je
ne connusse pas le séjour des ombres silencieuses et me porta dans les temples
brillants du ciel » . Le même contraste, devenu un lieu oommim, est accusé
brièvement dans d'autres inscriptions^, ainsi celle que composa Lollius Bassus
pour Germanicus, décédé en l'an 19 à Antioche* : « C'est moi Hadès qui
le dis, Germanicus appartient aux astres : il n'est pas mien, l'Achéron ne
peut recevoir de barque assez grande pour lui ».
Sous l'influence du dualisme perse, le caractère des dieux chthoniens se
tr^ansforme : Pluton est conçu comme un être maléfique, hostile à Jupiter ;
ils deviennent l'im à l'autre, comme dans le mazdéisme des Maguséens, des
frères ennemis s. Dans les tragédies de Sénèque et dans la Thébaïde de Stace le
souverain de l'Hadès est un maître sauvage et impitoyable qui fait sentir son
1. Mages hellén., I, p. 35 ss.
2. Cf. sufra, p. 146.
3. CIL, VI, 21521 ; C. E., iiog ; cf. 1924.
4. Cf. Galieti, iîom. Mï«., 1943, LVIII, p. 70 ss., cité, ch. VI, p. 297; AnthoL, VU»
241, 12, etc.
5. AnthoL, VII, 39 j.
6. Mages hellén., I, p. 69 ; II, p. 87 ss.
CHAPITRE IV. — TRANSFORMATIONS DES ENFERS 233
courroux à toutes les ombres, et dont Minos cherche à modérer la cruauté*.
Mais le peuple des esprits infernaux lui-même est présenté comme foncièrement
mauvais. Les Enfers sont devenus diaboliques. La foule misérable qui y végète
est soumise à la tyrannie de la Mort, de Thanatos personnifié qui commande
avec Hadès aux trépassés dans les ténèbres inférieures 2.
On saisit cette transformation des idées eschatologiques dans les variations
des « Descentes » de dieux ou de héros aux Enfers, dont la transmission se
laisse suivre à travers les âges depuis l'ancien Orient jusqu'au moyen- âge
chrétien ^ La tradition littéraire ne nous offre probablement qu'un reflet
affaibli de récits populaires sur ces explorations merveilleuses du pays des
ombres. Hercule est le héros privilégié à qui fut réservé surtout une inter-
vention décisive pour le salut des âmes*. Chez les Grecs, l'histoire d'Héraklès
qui, sur l'ordre d'Eurysthée ramène Cerbère de l'Hadès, n'est qu'une aven-
ture qui termine la série des douze travaux que lui prête la mythologie.
Mais lisons les tragédies de Sénèque : lorsqu'apparaît le héros, les ombres
des Enfers et les dieux qui le gouvernent sont frappés d'épouvante ; sa victoire
est une défaite infligée aux puissances hostiles du monde souterrain. Il bris©
la domination de la Mort adverse, qui empêche notre race d© participer à
la durée sans fin des dieux bienfaisants. La loi fatale imposée aux hommes
cesse de régir leur destî(n. Sa vertu confère l'apothéose au vainqueur de
l'Hadès, sauveur du ^ genre humain, et la même immortalité est assurée à
tous ceux qui imiteront sa vaillance. Echappant au Trépas, puissance des
Ténèbres, ils monteront au ciel, séjour de la vie. La large diffusion de telles
croyances nous est révélée par la sculpture fxméraire, dont les tableaux et
les symboles évoquent souvent l'idée consolante du triomphe promis sur la
Mort.
Sans doute le succès d'une telle conception a-t-il pu être favorisé par
l'enseignement des mystères oh un dieu, après avoir péri, revenait à la vie et
par son salut assurait celui de ses fidèles^. Mais l'origine de cette doctrine
1. Sénèque, Herc. fur., 606 (cf. Jos. Kroll, o-p. cit. {infra, note 3], p. 429) ; Oedipus,
610 ; Staoe, Z:héb., VIII, début (cf. Kroll, p. 451).
2. Cf. Kroll, p. 491 ; Symbol., p. 479.
3. Cf. Jos. Kroll, Gott und Hôlle, Der Mythos vom Descensus Kampfe (Stud. Bibl.
Warburg, XX) Leipzig, 1932. Sur le thème de la xaxâSaffiç et les Mages, cf. Mages
hell.^ I, p. 112 ss,; II, p. 158 ss.
4. Kroll, pp. 364 ss., 399 ss. Cf. Rohde, tr. fr., p. 250, n. i ; Symbol., p. 457 ;
479 ss.
5. Cf. infra, ch. V, p. 237.
234 LUX PERPETUA
nous fait remonter jusqu'aux mythes de l'ancienne Babylone, auxquels le
dualisme mazdéen a, plus tard, prêté une signification plus profonde qui l"a
fait accepter du judaïsme i.
Obscurcie dans l'eschatologie de la Grèce antique, l'idée d'une défaite de
la Mort hideuse a été développée ' dans la littérature de l'Empire, et lorsque
les écrivains chrétiens voulurent dépeindre la Descente du Christ aux Enfers,
ils en empruntèrent le coloris violent à leurs prédécesseurs païens. Elle
devient un drame grandiose qui s'associe à la perturbation de tout l'univers
produite pai' la mort du Sauveur, et l'émotion que faisaient éprouver aux
âmes pieuses les péripéties du combat triomphal livré par le Libérateur aux
puissances infernales, assura la transmission jusqu'aux mystères du moyen-âge
d'un thème scénique éminemment propre à impressionner l'imagination des
foules 2.
1, Mages helL, II, p. loz : « La vie appartient à Ormuzd, la mort à Ahriman ».
2. KroU, p. 4 ss.. Cf. Prudence, Hymne I, 63 ss. ; IX, 70 ss. Cf. dans la séquence de
Pâques au rit romain, première moitié du xi^ s. : Mors et vita duello / conflixere
mirando : / dux vitae mortuiis régnât vivus/.
CHAPITRE V
LES MYSTERES
(1)
Les cultes grecs.
La doctrine de l'immortalité céleste, nous l'avons vu précédemment (p. 143),
fut d'abord une croyance d'astronomes. Elle fut formulée et répandue en
Grèce et en Italie surtout par des philosophes : Pythagoriciens, Stoïciens, Pla-
toniciens s'en firent successivement les défenseurs. Elle appartint d'abord à
une théologie de savants. On se demandera quelle fut son action sur la religion
positive, et si celle-ci réagit sur elle. La question se pose en particulier pour
les Mystères qui, précisém,ent, avaient la prétention d'assurer le salut de leurs
initiés dans une autre vie. Les anciens cultes officiels des cités helléniques
ou romaines voulaient avant tout conserver la prospérité de l'Etat. Ils ne se
préoccupaient guère de la perfection spirituelle des individus et de leur avenir
étemel. Au contraire les Mystères promettaient, par la participation à des céré-
236 LUX PERPETUA
monies occultes, ou par la connaissance de vérités ésotériques, ou par la sou-^
mission à certains préceptes de conduite, d'assurer à leurs adeptes la sainteté
en cette vie et la félicité dans l'autre. Au lieu des opinions contradictoires
et toujours discutables des philosophes sur la destinée dans l'au-delà, les cultes
secrets apportaient une certitude fondée sur une révélation divine et confirmée
par la foi des générations innombrables qui s'y étaient attachées. Cette vérité,
que les penseurs cherchaient à découvrir par le raisonnement, ou certains mys-
tiques à atteindre par une communication directe avec le ciel, était ici garantie
par une tradition séculaire et par les manifestations quotidiennes des dieux
qu'on adorait.
Leur antiquité même devait rendre l'action des mystères conservatrice
du passé. Mythes et rites remontaient — du moins ils le prétendaietiit
— à une époque reculée : il est naturel qu'ils aient continué à trans-
mettre leurs vieilles croyances. Mais d'autre part la considération qu'accor-
daient à ces cultes les esprits éclairés ne pouvait se maintenir si leur ensei-
gnement paraissait suranné, s'ils semblaient se faire les prédicateurs obstinés
de vieilleries périmées. Ainsi l'évolution des croyances eschato logiques imposa
au clergé même de modifier ses révélations. Si la liturgie, dans les diverses
sectes, était d'ordinaire transmise avec une fidélité scrupuleuse, l'interprétation
qui en était fournie varia considérablement dans le cours du temps. Au respect
du rite s'allia toujours dans le paganisme, qui ne connaissait point d'orthodoxie
théologique, une grande liberté doctrinale. Elle était d'autant moins dan-
gereuse que la signification profonde qu'on prétendait attribuer aux traditions
sacrées n'était dévoilée qu'à une élite d' « époptes » '. Ces « sages » ne
partageaient pas la foi naïve du vulgaire admis aux grades inférieurs. L'^allé-
gorie- permettait par des explications ingénieuses de concilier des fables
amorales ou des pratiques grossières avec la plus haute spiritualité et d'ac-
corder avec des mythes inintelligibles les conquêtes de la science la plus avancée.
Qu'ils soient grecs ou orientaux, les mystères prétendent tous atteindre le
même but : obtenir pour l'initié une vie bienheureuse dans un autre monde ;» et
malgré la diversité de leur origine, les moyens par lesquels ils espèrent y
atteindre offrent de nombreuses ressemblances, dues souvent à ce que les plus
récents se sont organisés d'après le modèle d^s plus anciens. Avant tout,
l'ordinand doit s'engager par des serments, dont la violation serait pour lui
1. Cf. Macrobe, Sat., I, 7, i8.
2. Sur l'allégorie, cf. Symbolisme, p. 16 ss.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 237
redoutablCj à garder secrètes toutes les révélations qui lui seront faites ^, tout
ce qu'il verra et entendra dans les cérémonies auxquelles il sera admis à par-
ticiper. Il recevra alors communication du « discours sacré »(î£pbç Xôyoç),
qui raconte la légende de la divinité adorée par la communauté. Cette légende
ne sera plus, comme les fables des poètes, un récit n'ayant qu'une valeur mytho-
logique : elle sera mise en relation directe avec la destinée de l'initié. Il se
peut que la légende même soit de notoriété publique, mais l'interprétation qui
en est fournie, le rapport symbolique établi entre cette allégorie et la vie future
des fidèles, reste toujours ésotérique. Plusieurs de ces mythes racontent comment
le dieu est né, a souffert, est mort, puis ressuscité, a obtenu xme vie immortelle ;
et son propre sort doit garantir le salut des dévots qui se sont unis à lui par
un lien mystique et qui, comme lui, renaîtront après leur trépas. La vie ou
la passion du dieu était reproduite par un drame liturgique (xà oocoaeva), qui
montrait comment le dieu, après des épreuves terrestres, était parvenu à l'apo-
théose ; et les mystes s'associaient à ses tribulations pathétiques, à sa fin tra-
gique, à son triomphe. Ce n'est pas, comme l'a déjà noté Aristote, à leur
intelligence que ce spectacle fait appel, mais à leur^émotivité. Ils n'y reçoivent
pas une instruction ([xaGETv) mais une impression (Tcaôsïv)^. A cette représen-
tation sacrée, répétée à des intervalles réguliers dans des fêtes solennelles,
l'ensemble des adeptes du culte assistait ; chacun d'eux en particulier devait
accomplir d'autres actes rituels ou subir certaines épreuves pour atteindre les
grades successifs de l'initiation. Il avait à prononcer des paroles (xà 'kzyoïJ.eva)
qui assuraient l'efficacité sacramentelle de la cérémonie, formules qui pouvaient
aussi servir de mots de passe, permettant à l'étranger de se faire reconnaître
de ses coreligionnaires^. On montrait aussi au myste certains objets sacrés, les
symboles (au fjt.^oÀa), auxquels on attachait une signification occulte, et qui étaient
employés dans les initiations : le dévot pouvait emporter dans sa demeure cer-
tains de ces « symboles », dont la vue; devait être celée aux profanes, mais
qui attestaient, le cas échéant, son affiliation à la secte*.
Dans plusieurs mystères païens, à l'obtention du degré supérieur d'initiation
était liée l'admission à un banquet, pratique essentielle, qui se trouve dans
1. Harvard theol. revîew, 1933, XXVI, p. 151 ss.. Cf. Realenc. f. Ant. und Chr.,
I, 667 ss., s. V. « Arkandisziplin ».
2. Bidez, A -pro-pos d'un fragment d' Aristote (Bull. Acad. Belgiqiae, 1942, XXVIII),
p. 201 ss. — Esch. Agam. vv. 177-178 : Z-^va... tov Ttâôsi |JLâ6o(;/6évxa zoplco; l'5(^£iv.
3. Firm. Mat., De err. prof, reî., 18, i.
4. Apulée, De magia, ss > ^^- Boyancé, Mélanges Ernout, 1940, p. 39 ss.
238 LUX PERPETUA
les bacchanales helléniques comme dans les cultes orientaux '■. L'origine de ce
festin sacré remonte à une antiquité immémoriale. Dans les sociétés primi-
tives l'étranger est l'ennemi, mais souvent il est regardé comme un membre
de la famille dès qu'il a mangé et bu avec elle. De même dans les associations
cultuelles, celui qui a pris part au repas de la communauté y devient un frère
parmi les frères. Il est désormais le commensal des autres mystes et aussi du
dieu présent à leur foi dans leurs assemblées. Telle est dans ses grandes lignes,
abstraction faite de certaines variations particulières, l'économie générale de
toutes les religions païennes de salut. Leur eschatologie a pu se diversifier
d'après la théologie des clergés qui l'ont enseignée, mais du moins aux origines
elle offre un caractère commun. Nous avons vu (p. 68) que le genre d'exis-
tence des ombres dans l'Hadès était primitivement conçu comme un prolon-
gement de celui que chacun avait aimé avant sa mort. Les joies qu'obtiennent
comme récompense les Elus sont une répétition indéfinie des divertissements
auxquels ils se plaisaient pendant la vie humaine. Ces jouissances purenient
matérielles sont celles de simulacres de l'homme, qui continuent à être affectés
par les sensations d'êtres de chair et d'os, non celles qu'auraient pu rechercher
des âmes spirituelles dont les perceptions ne dépendraient pas d'organes cor-
porels. Le sort imaginé pour les initiés aux Mystères reste conforme à cette
conception naïve ; ils n'échappaient pas à la règle commune, mais leur béa-
titude reproduisait à jamais les émotions les plus profondes qui les eussent
enchantés pendant leur vie passée, celles qu'ils avaient éprouvées dans ce
ravissement passager, qui les avait transportés lorsqu'ils participaient aux céré-
monies troublantes des cultes secrets. Cette allégresse, parfois extatique, qu'ils
obtenaient vivants pendant des heures trop brèves devait, après leur mort,
leur être accordée à perpétuité par la reproduction des spectacles ou des actes
liturgiques qui l'avaient jadis éveillée dans leur âme. Nous allons voir l'ap-
plication que reçut ce principe dans les diverses religions grecques ou orien-
tales.
Nombreux furent les temples de la Grèce où des mystères furent institués
et plusieurs d'entre eux remontent à une antiquité très reculée '^. Mystères de
Zeus en Crète dans l'antre de l'Ida, mystères d'Hécate à Êgine", mais surtout
mystères de Déméter célébrés dans maint sanctuaire, la déesse de la Terre
I. Relig. orient., p. 219, n. 43 ; p. 256, n. 52 ; Syria, 1941, XXII, p. 294.
1. Kern, R. E., /. c, col. 1263 ss.
3. Dessau, 1259 ; 1260 j Kern, /. c, col. 1272.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 239
ayant été constamment mise en relation avec les morts, et le secret angoissant
que cachait le royaume souterrain inclinant les esprits à chercher ime révéla-
tion pour l'éclaircir. La plupart de ces cultes ésotériques n'ont qu'une impor-
tance locale, mais quelques-uns ont, jusqu'à la fin du paganisme, accueilli des
dévots venus de lointains pays. Les Cabires de l'île solitaire de Samothrace,
ces dieux énigmatiques de la mer, devenus les protecteurs des navigateurs,
acquirent sou? les Diadoques, dont les flottes sillonnaient la Mer Egée, un
prestige qu'ils ne perdirent pas entièrement à l'époque impériale, où les listes
d'initiés, conservées jusqu'au me siècle, mentionnent de nombreux noms
romains ' . Quelques-uns de ces mystères helléniques nous ont livré des docu-
ments d'un haut intérêt, telle la fameuse inscription d'Andanie en Messénie ^
Mais nous savons très peu de chose de leur contenu religieux ; et spécialement
pour la question qui nous occupe ici, nous sommes dans une ignorance presque
absolue des promesses d'immortalité qu'ils pouvaient offrir aux époptes. Nous
avons peu d'indications sur leurs cérémonies rituelles, moins encore sur leur
valeur spirituelle. C'est seulement à Eleusis que se laissent entrevoir certaines
clartés ^.
ELEUSIS. — Parmi les mystères antiques, il n'en est point dont l'histoire,
s'étendant sur la longue durée d'un millénaire, nous soit aussi bien connue que
celle des Êleusinies. Nées de l'humble culte agraire rendu à Déméter et
Koré par deux familles sacerdotales d'un canton de l'Attique, ces fêtes partici-
pèrent plus tard de la primauté intellectuelle et politique d'Athènes, et la
Grèce entière s'associa à leur célébration. Leur prestige incomparable se main-
tint même sous la domination de Rome. De tous les cultes secrets de l'Hellade,
ce sont les seuls dont le renom fut alors non seulement panhellénique mais
universel. Parmi les Romains, beaucoup de nobles esprits, comme Cicéron,
subirent l'impression ineffaçable de leurs cérémonies et y trouvèrent un réconfort
moral. Plusieurs empereiu:s vinrent à Eleusis se faire initier^. Les Césars
1. Kern, E. E., s. v. « Kabeiros », (t. X, 1398 ss.) et s. v. « Mysterien » (t. XVI,
ool. 1275 ss.) ; cf. IG., XII, 8, 38 s. — Cf. ma note, R. H. Rel., CXXVII, 1944,
?• 57-
2. IG., V, I, i390 = Dittenberger, Syll., ÏP, 736.
3. Rohde, Psyché, tr. fr., pp. 229-247; Paul Foucart, Les mystères d'Eleusis \ Wila-
inowitz, Glaube der Hellenen, t. II, 475-480 (sur l'époque romaine) ; Roussel, L'ini-
tiation préalable et le symbole éleusinie7i, B. C. H. 1930, LIV, pp. 50-74 ; Nilsson,
Griech, Rel., I, p. 619 où l'on trouvera (p. 620, n. i), une bibliogr. plus complète;
^usson, Die Eleusin. Kulte der Demen (Ei-anos, XLII), 1944, pp. 70-76.
4- Wilamowitz, of. cit., II, p. 475 ; Kern, R. E., s. v. « Mysteriea », ool. 1254 ss.
240 LUX PERPETUA
qui, comme l'indiquent leurs monnaies, prétendaient assurer la félicité du
genre humain, rendaient ainsi hommage à la déesse qui, aux origines, avait
élevé l'Attique à une vie plus civilisée. Mais, bien qu'tme multitude de mystes
aient pénétré à l'intérieur des hauts murs du sanctuaire et aient même été
admis dans l'enceinte réservée du télestérion pour assister au drame ésotérique
qui y était représenté, la défense d'en rien révéler fut rigoureusement observée
par eux durant de longs siècles, et l'histoire entrevoit à peine par quels arti-
fices liturgiques était fortifiée leur foi en un bonheur futur que dispensaient
« les deux déesses ».
Cicéron' pensait qu'Athènes, parmi tous ses mérites, n'avait rien produit
de meilleur pour l'existence humaine que ces mystères qui donnaient une raison
de vivre dans la joie et de mourir avec un « bon espoir », et cette expression
(àyaÔ-r] èXtcîç) qui est traditionnelle chez les écrivains grecs, paraît empruntée
au rituel même d'Eleusis ". L'assurance d'une immortalité bienheureuse, obtenue
par la participation aux cérémonies occultes, était le bénéfice essentiel que
l'on en attendait. Cette conviction ne résultait pas d'un enseignement dog-
matique qui aurait éclairé l'ordinand sur la destinée de l'âme après le décès,
d'une sagesse théologique dont on lui aurait révélé les arcanes. Elle a pu être
fortifiée par l'émotion religieuse éprouvée par lui, par la vue d'un drame
sacré reproduisant le mythe de Déméter, qui faisait passer le spectateur de
l'inquiétude à la confiance, des ténèbres à la lumière, de l'effroi à ^allégresse^
Mais la condition indispensable pour être sauvé était d'avoir été soumis à
une purification sacramentelle. Cette cathartique était l'acte essentiel qui,
en faisant du myste un être « pur et saint » (xaOapoç, ôcrtoç), lui conciliait la
faveur des divinités qui devaient le recevoir dans le royaume des ombres,
Précisément pour ce motif que les ablutions rituelles et autres lustrations déli-
vraient de toute pollution celui qui s'y soumettait, aucun pécheur n'était exclu
de cette rédemption, et la religion d'Eleusis a pu paraître indifférente au
mérite ou au démérite de ceux qu'elle accueillait. La seule exception était
l'exclusion des assassins, sans doute parce qu'une souillure aussi grave paraissait
indélébile ou que la présence même de ces criminels eût attiré dans U
temple celle des esprits vengeurs du meurtre*. L'interdiction s'étendait aussi
aux barbares, leur ignorance du grec les rendant incapables de prononcer
1. Cicéron, De legib., II, 14, 36.
2. Cf. infra, N. C, IX.
3. Plutarque, cité ibid.
4. Cf. infra, ch. VII, pp. 306 ss., sur les SiaioôavaToi.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 241
correctement les formules sacrées. Mais tout Hellène pouvait être . admis 1,
même l'esclave, et les Romains le furent aussi, sans doute à la condition d'en-
tendre la langue du culte. A l'origine aucune condition de moralité n'était
requise, et l'on ne voit pas que la conduite du néophyte en ce monde ait influé
sur soa sort dans l'autre. C'est tardivement que s'est introduite dans la religion
éleusinienne, sans jamais y prédominer, l'exigence d'une pureté à la fois rituelle et
spirituelle'''. ;Ainsi à Eleusis, au moins primitivement, toute idée d'une rétri-
bution future proportionnée à la moralité de l'initié était absente de la piété.
L'hiérophante n'instruisait pas les mystes d'une doctrine eschatologique " éla-
borée par des théologiens ; il ne leur détaillait pas les châtiments réservés aux
impies et les joies qui attendaient les initiés dans les Enfers ; il ne leur com-
muniquait pas une révélation semblable à certaines apocalypses ou « , Des-
centes dans l'Hadès », qui aurait pu les guider dans leurs pérégrinations pos-
thumes. A Eleusis, comme l'a justement noté Rohde^, la survivance consciente
de l'âme n'était pas enseignée, mais présupposée et la conception de la vie
future que se faisait, le clergé restait conforme à celle qui, dès une époque
ancienne, s'était vulgarisée en Grèce, et qui se représentait la vie d'outre-tombe
comme Une prolongation, de celle de cette terre avec ses joies ou ses peines.
La foule profane et scélérate était plongée « dans un bourbier et une fange
intarissable » *, châtiment probablement emprunté aux Orphiques ; les initiés
étaient admis dans les, prés fleuris d'un jardin lumineux où, couronnés de
myrte, chantaient et dansaient au son des flûtes les chœurs des ombres
pieuses. Mais ce qui paraît être propr;ement éleusinien, c'est l'idée que les
bienheureux reproduisaient éternellement aussi dans les Enfers, à la lueur
des torches, les cérémonies de la nuit sacrée ^ . Ainsi ce saint émoi, cette
jouissance spirituelle, cette élévation de l'âme que la participation au drame
nocturne célébré dans le temple procurait aux mystes, devaient, dans l'autre
monde, leur être réservés à jamais, et le spectacle dont se repaissait la piété
des assistants était la préfiguration des jeux enivrants qui leur vaudraient
dans les Champs-Elysées une jubilation perpétuelle. La vieille idée que
l'ombre poursuivait dans l'Hadès le genre de vie que l'homme avait pratiqué
I. Hérodote, VIH, 65, 4.
2- Celse dans Origène, C. Cels.^ HI, 59.
3. Rohde, tr.fr., p. 242.
4- Aristoph.j Grenouilles, 146 : Bopêopov Ttolùv xai axwo àeîvwv ; cf. Plutardue, De
"^«ima, fr. VI, 5, p. 725.
S' Aristoph., l.c, et 237, 449 ss,, 613 ; Plut., /. c; Axiochos, p. 371 D.
16
2^2 LUX PERPETUA
sur la terre (p. 68), s'était transformée en l'attente d'une répétition indéfinie
des joies les plus élevées auxquelles le croyant pût atteindre.
Les mystères d'Eleusis n'avaient donc pas apporté aux Hellènes une concep-
tion nouvelle du sombre royaume où régnaient Pluton et Proserpine ; mais
l'absence même, dans leur économie, de toute affirmation théologique qui
aurait formulé une doctrine précise sur les Enfers, l'adhésion tacite aux idées
reçues chez les contemporains, devaient faciliter leur évolution, quand se modi-
fièrent les croyances sur la vie future. Aucime dogmatique rigide ne s'opposait
à ce que la spéculation philosophique interprétât librement les traditions
sacrées. Il ne paraît pas douteux que de bomie heure la foi en l'immortalité
céleste transforma, dans l'esprit même du clergé, les croyances à la survie
dans l'Hadès primitivement admises. Les fouilles d'Eleusis nous ont rendu
l'épitaphe métrique d'une hiérophantide qui avait « couronné des mystes »
illustres, Antonin le Pieux et Commode. Comme récompense de sa piété,
Déméter l'a conduite, désormais exempte de souffrance, vers les îles des Bien-
heureux * . Sans doute interprétait-on ces îles homériques, avec les Pythago-
riciens, comme le soleil et la lune baignant dans l'éther (p. 146). La mort
de cette prêtresse a été plus douce que le sommeil sans réveil de Cléobis et
de Biton*, car le mystère que révèlent les dieux est que le trépas doit être
pour les mortels, non un mal, mais un biesn ', tant l'on est maintenant per-
suadé de là béatitude ineffable accordée aux initiés dans l'autre monde.
Sans doute les rites d'Eleusis, dans leur ensemble, se transmirent-ils fidè-
lement de génération en génération, et l'on garda jusqu'à la fin du paganisme
le souci de les reproduire « selon les anciens usages » hérités des ancêtres*.
Mais le « bon espoir »• qu'ils faisaient luire changea de sens avec les convic-
tions intimes des participants. Chacun des philosophes le comprenait selon
son système^. Après son initiation Marc Aurèle ne cessa pas de croire que
l'âme était absorbée à la mort dans les éléments de l'univers ^, et pour
Épictète, qui niait absolument toute survie personnelle (p. 116), les Éleusinies
I. 'E(j>ï)[i. àpiaiol., 1885, p. 150, v. 9 ss. (= Dittenberger, Syll. 3,869,872,873); cf. 1883,
p. 70 (= Cougny, Anthol. Pal., suppl., III, 115 b). — Sur les Iles Bienheureuses, ci.
l'élégie sur la mort de Philiskos, Wilamowitz, Sitzb. Ak. 5., 1912, p. 547.
2. Cf. Symbol., p. 250 ss.; p. 413 ss.
3. Dittenberger, Syll.^, l.c.= Cougny, l, c, III, 138 b.
4. Cf. le décret de 220 ap. J.-C. : IG., II 2, 1078 = Dittenberger, Syll. 3, 885.
5. Wilamowitz, op. cit., p. 478 ss. Interprétation stoïcienne, Cicéron, Nat. deor., l,^-
6. Cf. supra, ch. II, pp. 117-118.
CHAPITRE V. ^ LES . MYSTÈRES 243
avaient été établies par les anciens pour l'éducation et le redressement de la
vie présente, et telle était leur seule utilité ' . Selon les disciples de Plotin, les
cérémonies saintes garantissaient aux mystes, non un séjour délicieux dans
l'Hadès souterrain, mais une heureuse ascension vers les astres et la région
supra-mondaine des essences intelligibles*. Lorsque Maxime pressait Julien
l'Apostat de se faire instruire par l'hiérophante ^ il savait certainement que
les vues de ce prélat n'étaient pas opposées à celles des théurges platoniciens.
Le clergé d'Eleusis n'a donc point guidé les esprits dans les voies nouvelles
que se fraya l'eschatologie ; il n'en a point dirigé l'évolution, il l'a suivie ;
et si l'on considère l'action qu'à cet égard il a pu exercer dans l'empire
romain, elle apparaîtra très restreinte. Le culte secret des deux déesses,
privilège d'antiques familles sacerdotales, resta toujours attaché à la glèbe
de l'Attique et inséparable de la religion officielle de l'Etat athénien. Sa
célébrité sans égale put engager les fondateurs de nouveaux mystères à s'ins-
pirer de ses rites *, et l'étendue de sa renommée favorisa ainsi son action indi-
recte. Mais le télestérion d'Eleusis ne possédait pas de succursales^ ; il ne fut
transplanté ni à AlexandriCj ni à Pergame, et il ne put pas davantage être
transféré à Rome, bien que Claude y ait songé '^. Les dévots, pour obtenir
l'initiation, devaient se rendre en pèlerinage à Athènes, et même les Césars
n'en furent pas dispensés. Ces mystères, restés exclusivement helléniques, ne
pouvaient faire concurrence à des religions dont les sectateurs, animés d'un
ardent esprit de prosélytism,e, bâtissaient leurs temples ou ouvraient leurs cha-
pelles dans toutes les provinces de l'empire, et dont les communautés essai-
maient et proliféraient de l'Orient à l'Occident et aspiraient à la conversion
de tout le genre humain.
Orphisme. — Pausanias^ parlant de la raison secrète qui veut que 1
on
I. Epict., III, 21, 15.
a. Julien, p. 173 a-h ; cf. Salluste phil., 4. ; Bidez, Vie de Porphyre, Gand, 1913,
P- 22.
3. Eunape, V. sofh., p. 475, 40 ss.; pp. 476, 29 ss. Didot 5 cf. Bidez, La vie de l'em-
fereur Julien, Paris, 1930.
4- Cf. N. C. IX.
5- Kern, R. E., s. v. « Mysterien », col. 1250.
6. Suétone, Claude, XXV, 13.
7- Pausanias, I, 37, 4.
244 LUX PERPETUA
s'abstienne de fèves, ajoute : « quiconque a vu les initiations d'Eleusis, ou lu
les écrits appelés orphiques, sait ce que je veux dire » . Le Périégète marque
ainsi nettement la différence essentielle qui sépare les mystères athéniens de
la secte orphique i. D'une part des idées sont suggérées, des sentiments éveillés
par le spectacle de cérémonies liturgiques, de l'autre une doctrine est révélée,
ime éthique formulée dans des livres. Cette littérature orphique était vaste :
elle commença d'être mise en circulation dès le VF siècle avant notre ère,
et se prolongea jusqu'à l'époque romaine. Le nom célèbre du musicien et poète
thrace sen'it, comme ceux d'Hermès Trismégiste ou de Zoroastre, à recom-
mander des compositions de date souvent incertaine et de valeur très inégale.
Un même drapeau couvrait une marchandise très diverse. Le sujet de ces
écrits s'étend de la cosmogonie et de la théologie jusqu'aux sciences occultes ^ ;
livres sacrés sans doute, mais dont le texte n'avait aucune fixité canonique
garantie pai une autorité ecclésiastique, et qui paraissent avoir été soumis à
des remaniements continuels. De la plupart de ces ouvrages, et surtout des
plus anciens, nous n'avons conservé que des citations fragmentaires, parfois
défigurées par une interprétation tendancieuse. Il n'est pas surprenant que
réduits à utiliser des sources aussi troubles et aussi intermittentes, les érudits
aient différé d'avis sur presque toutes les questions qui se posent à propos de
l'orphisme. Quoi capita, tôt sententiae.
Cependant certains points essentiels sont assez fermement établis, et l'on
peut se faire au moins une idée générale de ce que fut la religion cathartique
et mystique des conventicules orphiques ^ .
L'orphisme, religion de salut fondée sur des livres, a une doctrine aux,
contours plus fermes que celle qu'enseignait ou que présupposait la tradition
liturgique d'Eleusis. Il a élaboré une théologie cohérente où la nature et 1^
destinée de l'âme sont déduites de prémisses mythologiques. Dionysos enfant
a été dépecé et dévoré par les Titans, que Zeus, pour les châtier, a frappés
de sa foudre. De leurs cendres a été formé l'homme, qui unit ainsi en lui
un élément pervers provenant des Titans et im principe divin reçu de Dionysos
1. O. Kern, Orphiconim fragmenta, 1922, avec bibliographie, p. 345 ss. ; reprise et
cx>mplétée jusqu'en 1938 par Ziegler, R. E., s. v. « Orpheus », col. 1042, 40 ss.. Ont
paru depuis : Nilsson, Griech. Rel. I (1940), p. 643-662 ; Boulanger, Le salut selon
rOrphisme (dans Mémorial Lagrange), Pans, 1940. — Littérature orphique : Keydell et
Ziegler, R. E., s. v. « Orphische Dichtung ».
2. Cf. infra, p. 248. Festugière, Hermès, I, p. 345.
3. Cf. N. C, X.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 245
qu'ils ont absorbé. Le genre humain est par suite entaché, dès son origine,
d'une contamination « titanique », qui éveille en lui des instincts brutaux
et lui inflige ici-bas une série ininterrompue de maux*. Il doit se laver de
cette souillure héréditaire pour que son âme, égalée aux dieux, puisse un jour
retounier vivre auprès d'eux. Ainsi une conception foncièrement pessimiste
de notre vie présente un contraste très net avec l'optimisme d'Eleusis, qui
promettait à ses mystes le bonheur en ce monde comme dans l'autre. A cette
allégresse, dont un peuple amoureux de la vie se plaisait à jouir sous un ciel
lumineux, l'orphisme opposa l'amer sentiment d'une déchéance, dont chaque
individu doit par ses efforts persévérants chercher à se relever. Son passage
sur cette terre est à la fois pour lui une peine et une épreuve. En punition
d'un crime ancestral dont elle continue à porter la tare, l'âme est enfermée
dans un corps (g&iicx.) comme dans un tombeau (ayjp-a), et notre vie corpo-
relle est en réalité une mort, la mort le commencement de la vie véritable".
Après le décès, cette âme descendra dans l'Hadès où, suivant ses fautes
ou ses mérites, elle sera ou châtiée ou récompensée. L'idée d'une rétribution
future en vertu d'un jugement posthume, est ici nettement affirmée '. Les
coupables sont condamnés à de longues souffrances. Plongés dans un bourbier,
ils se verront infliger un supplice approprié à leur pollution morale*, comme
des pourceaux aiment à se vautrer dans la fange ^, ou bien ils s'épuiseront en
vains efforts pour remplir un tonneau percé ou pour porter de l'eau dans xm
crible'', image, suivant Platon, des insensés qui s'abandonnent insatiables à
des passions toujours inassouvies, en réalité peut-être punition de ceux qui, ne
s'étant pas soumis aux ablutions cathartiques, doivent, dans l'Hadès, apporter
constamment, mais en vain, l'eau du bain purificateur'. Alors que les révé-
lations d'Eleusis n'insistent pas sur les tourments des réprouvés, l'orphisme
s'est plu à décrire les « maux infinis réservés aux damnés ». L'on a dit de'
1. Platon, Lois, III, 16, p. 701 b-c ; Plutarque, De esu camium, I, 7, p, 996 c (=
Kern, fr, aïo).
2. Platon, Cratyle, p. 400 c (= Kern, fr. 8) ; cf. Philolaos, fr, 14, Diels ; Boyancé,
R- E, G., 1941, LIV, p. 160 ss.
3. Platon, Epst., VII, p. 335 a.
4. Bdpêopoç : Platon, Réf., 363 d; cf. 365 a; Phédon, 69 c (cf. Kern, fr. 4 et 5).
Allusion déjà chez Asius {Poet. lyr. gr. \ t. II, p. 406) ; souvent mentionné plus tard ;
cf. Symbol., Index, s. v.
5. Cf. Plotin, I, 6, 6 (p. 102, Br.).
6. Platon, Gorgias, 493 b ; Rép., 363 e.
7- Nilsson, Gr. Rel., I, p. 653.
246 LUX PERPETUA ;
lui qu'il avait; été le premier à créer l'Enfer^!. Il est au moins à l'origine de
cette littérature hallucinante qui, imaginant pour chaque espèce de faute une
torture raffinée, pourrait nous conduire, en passant par les mythes de Plu-
tarque et de l'Apocalypse de Pierre, jusqu'à la Divine Comédie de Dante l
Si, durant sa vie, l'âme s'est efforcée de résister aux instincts bestiaux que
lui inspirent son union avec le corps et son origine titanique, si elle s'est
purifiée en se soumettant aux lustrations qu'enseigne une cathartique minu-
tieuse, si elle s'est imposé le rigoureux ascétisme qu'exige une vie sainte^,
elle obtiendra les plaisirs que les dieux accordent aux justes : elle aura accès
« aux prairies sacrées et aux bosquets de Perséphone » * et y passera tout son
temps en festins où des convives, couronnés de fleurs, s'abandonnent à la joie
d'une ébriété perpétuelle, comme si, ,dit Platon lion sans ironie, la plus belle
récompense de la vertu était une ivresse étemelle^.
Mais les châtiments du Tartare, sauf pour des crimes irrémissibles, ne
dureront pas à jamais, et de même le bonheur accordé dans les Champs-
Elysées ne sera que temporaire. La descente dans l'Hadès se place dans l'in-
tervalle entre deux vies terrestres, car l'âme doit se réincarner pour poursuivre
sa destinée, soit qu'elle se dégrade davantage en se logeant dans des animaux
immondes, soit qu'elle passe dans des êtres de plus en plus parfaits. Lorsque
dans les demeures successives que cette transmigration lui impose, étapes sur
la voie de la délivrance, elle aura évité toute association et commerce avec
le corps et aura réussi à répudier tout attachement pour son ^enveloppe char- .
nelle, et à s'attacher au divin, elle échappera au cycle fatal des générations
pour s'élever au séjour des dieux®.
De ces doctrines de l'orphisme grec que subsistait- t-il à l'époque romaine ?i
Certains érudits ont singulièrement exagéré l'action qu'elles auraient exercée
sur la religion, l'art et la littérature de cette période. Orphique serait la qua-
trième églogue de Virgile, orphique l'Apocalypse de Pierre, orphiques les
1. Cf. Kern, R. E.,s. v. « Mysterien », col. 1287.
2. Cf. su-pra, ch. IV, p. 21Q ss.
3. Sur la « vie orphique » (Platon, Lois, VI, 782 c) ; ef. Boulanger, l. c, [sufïdi
p. 244, n. i], p. 76.
4. LameUe de Thurium, înfra, N. C. XI.
5. Platon, Réf., 363 d \ cf. Plut., Compar. Cimonis et LuculU, i, p. 521 ; Nilssoflj
Gr. Rel., I, p. 651 ss.
6. Platon, 70 c (avec le 00mm. d'Olympiodore); Lois IX, p. 870 d; Ménon, 81 a, ss.
Sur la métempsycose, cf. su-pra, ch. IV, p. 197 ss. Sur le retour au divin, Méautis,
Mélanges Glotz, 1932^ t. II, p. 579 ss.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 247
peintures de la « Villa des Mystères » à Pompéi, orphiques les stucs de la
basilique souterraine de la Porta Maggiore. Le courant ascétique et cathar-
tique qui émut et troubla si profondément la religion grecque au vi^ siècle
avant notre ère, s'est-il propagé depuis ce passé lointain jusqu'à l'époque des
Césars ? Si l'on entend par là que les théologies orphiques, avec les puri-
fications qu'elles comportaient, se sont transmises de mystagogue à mystagogue
à travers les siècles, comme le rituel d'Eleusis l'a été par les Eumolpides,
il faut le nier absolument. On ne peut alléguer la moindre preuve qu'il ait
subsisté eu Italie à la fin de la République ou sous l'Empire une communauté
orphique avec ses dogmes et ses cérémonies propres. Ni la littérature si abon-
dante de cette période, ni les inscriptions si nombreuses ne mentionnent
jamais le nom de dévots s'étant réunis — ou s'étant isolés — pour pratiquer
un culte ou une vie orphiques. Nous possédons, il est vrai, un recueil
d'hymnes dits orphiques, datant du lie qu me siècle de notre ère, que l'on
admet généralement avoir appartenu à une association religieuse d'Asie
Mineure ' . Mais ils fournissent la preuve la plus décisive de la disparition
du véritable orphisme. Car on a relevé dans ces poésies composites, fruit
du syncrétisme de leur âge, une influence stoïcienne très sensible, presque
prédominante. Notamment pour la question qui nous intéresse ici, l'attitude
de leur rédacteur est conforme à la réserve généralement observée par le Por-
tique (p. 123) : c'est à peine si subsiste quelque allusion fugitive à l'im-
mortalité de l'âme, et les souhaits exprimés se rapportent presque toujours
à la prospérité et à la moralité de cette existence terrestre^. Du pessimisme
orphique et de sa dépréciation de la vie humaine, aucune trace.
Est-ce à dire que l'orphisme avait entièrement disparu et que le vieux
levain qui, dans la Grèce archaïque, avait produit une si active fermentation
religieuse, fût alors privé de toute vertu ? Nullement, car tout d'abord la
doctrine orphique s'appuyait sur des écrits dont une tradition littéraire avait
assuré la conservation ; et ils obtinrent un regain de faveur et jouirent d'une
considération accrue, lorsque se répandit la conviction que les sages d'un
lointain passé avaient été les interprètes d'ime révélation divine à l'aurore de
l'humanité (p. 136). On lut avec une ferveur nouvelle les poèmes attribués
au chantre légendaire de la Thrace ; on les remania pour les mieux accorder
avec l'esprit du jour ; des faussaires en composèrent d'apocryphes jusqu'à la
1. Guil. Quandt, Or-pheî hymni (édition critique), Berlin, 1941, p. 44*.
2. Ziegler, R. E., s. v. « Orphische Dichtung », col. 1328, 13 ss.
248 LUX PERPETUA
fin du paganisme ^ et même après la chute des idoles, les Néoplatoniciens
citèrent et commentèrent ces vieux vers, qu'ils détournaient de leur sens pour
les accommoder à leurs propres spéculations. Orphée devint ainsi un docteur
es sciences occultes, auteur d'un lapidaire et d'un fatras astrologique. Déjà
Varron cite un livre intitulé Lyra, qui passait pour être de ce citharède mythique.
L'instrument heptacorde y était mis en relation avec l'ascension de l'âme à
travers les sept sphères planétaires^.
En outre, de très bonne heure, d'étroites relations avaient uni, en Italie
l'orphisme et l'ancien pythagorisme. Dans leurs conceptions doctrinales et
leurs préceptes pratiques ils offraient de nombreuses affinités : croyance à
la métempsycose, châtiments dans l'Hadès et retour de l'âme au ciel, souci
de pureté et vie ascétique, abstinence de toute nourriture carnée, sont communs
à tous deux, sans qu'on puisse toujours déterminer sûrement à qui revient
la priorité. Souvent ce qui est attribué à l'un s'applique aussi à l'autre, et il
est impossible de discerner ce qui appartient en propre à chacun, tant \t^xi
interpénétration a. été intime. S'il faut en croire Epigène, source de Clément
d'Alexandrie et de Suidas, plusieurs écrits orphiques seraient l'œuvre de vieux
Pythagoriciens. L'hésitation est permise notamment pour ces lamelles d'or
trouvées dans les tombeaux de Grèce et de Crète, guides qui devaient empêcher
le mort de s'égarer dans " le royaume des ombres, et lui enseigner les mots
de passe capables de lui concilier les puissances du monde souterrain^. On
les a mises en relation avec cette « Descente dans l'Hadès » _où Orphée
racontait ce qu'il avait vu lorsqu'il s'y était aventuré à la recherche d'Eury-
dice. Mais l'origine même de ce poème est incertaine, et Epigène lui assignait
pour auteur le Pythagoricien Kerkops*. Ainsi l'iécole du sage de Crotone s'était
assimilé bon nombre d'idées orphiques et les avaient converties en sa propre
substance. Certaines d'entre elles purent donc être remises en valeur quand
le néopythagorisme reprit de la force et, par son intermédiaire, être trans-
mises jusqu'à l'époque impériale^.
Une longue persistance a pu être assurée à des doctrines orphiques, non
seulement par la philosophie, mais par la religion. Que la secte ascétique ait
I. Ihiâ,.^ cx)I. 1400 ss.
2. Cf. Symbol., p. 499, add. à la p. 18, n. 4 ; Ziegler, /. c, p. 1412.
3. Kern, Orfhic. fragm., 1922, p. 32; Dieis-Kranz, Vorsokr^, I, i, B., p. 17 ss..
Cf. N. C, XI.
4. Epigène chez Clém. Alex., Strom, I, 21, 131, 5 = Kern, fr. 222.
5. Lamelle d'or du ii^ siècle à Rome, infra, N. C, XI.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 249
ou n'ait pas pratiqué dès l'origine en Grèce un culte secret réservé aux seuls
initiés, il est certain qu'elle a influé sur la théologie de certains mystères.
Une dédicace, récemment découverte à Rome, nous a révélé que les fidèles
de Mithra avaient identifié leur dieu perse avec le Phanès orphique . La
raison de cette assimilation est sans doute que l'un et l'autre, lorsqu'ils étaient
apparus, avait fait briller la lumière dans le monde. Un bas -relief qui repré-
sente dans le cercle du zodiaque ce Phanès mithriaque sortant de l'œuf cos-
mique, d'où jaillissent , des flammes, nous montre qu'un syncrétisme intem-
pérant avait combiné dan's la composition de cette figure divine des éléments
hétérogènes. Sans doute la quadruple combinaison Zeus-Hélios-Mithra-Phanès
qu'atteste l'inscription romaine n'est-elle pas antérieure à la syncrasie radicale
qui, sous l'Empire, prétendait reconnaître dans le panthéon entier des divinités
solaires. Cependant peut-être les Mages d'Asie Mineure, que nous savons
avoir subi après les conquêtes d'Alexandre une influence profonde de l'hellé-
nisme, ont-ils déjà rapproché les antiques poèmes orphiques de leur système
zervaniste, et assimilé leur premier Principe, le Temps infini, dont était issu
l'esprit du Bien et celui du Mal, au Chronos soustrait à la vieillesse (àyrjpaoç)
des rhapsodies et de la théogonie attribuée à Hellanikos*. Les spéculations
des clergés orientaux sont une mer sans rivages.
Beaucoup plus anciens et plus intimes furent les rapports établis entre
l'orphisme et les mystères de Dionysos, Celui-ci était depuis l'époque archaïque
le dieu principal de la secte, qui voyait dans son démembrement par les
Titans l'acte primordial dont on tirait toute l'anthropogonie et la cathartique.
Les Orphiques sont parfois appelés bacchants, et Orphée est souvent donné
comme le fondateur des mystères bachiques 3. De la sorte ceux-ci, dont la
diffusion fut immense, ont pu servir de propagateurs à des croyances ou des
rites qu'ils avaient dès leur origine adoptés. Dans leurs initiations l'œuf cos-
mique des orphiques, principe de vie, continuait à servir- de symbole *. Au
point de vue de l'eschatologie, la religion dionysiaque partageait avec les
1. Patriarca, BmW. arch. comun., 1932, LX, p. 3 ss.
2. Cf. Mithra et l'orphisme, R. H. Rel., 1934, CIX, pp. 63-72 ; et Ziegler, /. c, ool.
1349' 52 ss. ; 1352, 10 ss.
3. Ziegler, R. E., s. v. « Orpheus », ool. 1264 ss.j Kern, R. E., s. v. « Mysterieti »,
ool. 1289.
4. Boyaiicé, Mélanges Ec. fr. de Rome, 1935, LI, p. 95 ss. — Les termes orphiques,
relevés dans Plutarque par Méautis {Mélanges, Glotz, 1932, II, p. 79) lui sont parvenus
par l'intermédiaire des mystères de Bacchus, clairement désignés Consol. ad uxorem,
p. 6n.
248 LUX PERPETUA
fin du paganisme^, et même après la chute des idoles, les Néoplatoniciens
citèrent et commentèrent ces vieux vers, qu'ils détournaient de leur sens pour
les accommoder à leurs propres spéculations. Orphée devint ainsi un docteur
es sciences occultes, auteur d'un lapidaire et d'un fatras astrologique. Déjà
Varronciteun livre intitulé Lyra, qui passait pour être de ce citharède mythique.
L'instrument heptacorde y était mis en relation avec l'ascension de l'âme à
travers les sept sphères planétaires^.
En outre, de très bonne heure, d'étroites relations avaient uni, en Italie
l'orphisme et l'ancien pythagorisme. Dans leurs conceptions doctrinales et
leurs préceptes pratiques ils offraient de nombreuses affinités : croyance à
la métempsycose, châtiments dans l'Hadès et retour de l'âme au ciel, souci
de pureté et vie ascétique, abstinence de toute nourriture carnée, sont communs
à tous deux, sans qu'on puisse toujours déterminer sûrement à qui revient
la priorité. Souvent ce qui est attribué à l'un s'applique aussi à l'autre, et il
est impossible de discerner ce qui appartient en propre à chacun, tant leuij
interpénétration a. été intime. S'il faut en croire Epigène, source de Clément
d'Alexandrie et de Suidas, plusieurs écrits orphiques seraient l'œuvre de vieux
Pythagoriciens. L'hésitation est permise notamment pour ces lamelles d'or
trouvées dans les tombeaux de Grèce et de Crète, guides qui devaient empêcher
le mort de s'égarer dans le royaume des ombres, et lui enseigner les mots
de passe capables de lui concilier les puissances du monde souterrain'. On
les a mises en relation avec cette « Descente dans l'Hadès » joù Orphée
racontait ce qu'il avait vu lorsqu'il s'y était aventuré à la recherche d'Eury-
dice. Mais l'origine même de ce poème est incertaine, et Epigène lui assignait
pour auteur le Pythagoricien Kerkops*. Ainsi l'école du sage de Crotone s'était
assimilé bon nombre d'idées orphiques et les avaient converties en sa propre
substance. Certaines d'entre elles purent donc être remises en valeur quand
le néopythagorisme reprit de la force et, par son intermédiaire, être trans-
mises jusqu'à l'époque impériale^.
Une longue persistance a pu être assurée à des doctrines orphiques, non
seulement par la philosophie, mais par la religion. Que la secte ascétique ait
I. Ihid.^ col. 1400 ss,
a. Cf. Symbol.^ p. 499, add. à la p. 18, n. 4 ; Ziegler, /. c, p. 1412.
3. Kern, Orphie, fragm., igzz, p. 32 j Diels-Kranz, Forsokr^, 1, i, B., p. 17 ss..
Cf. N. C, XI.
4. Epigène chez Clém. Alex., Strom, I, 21, 131, 5 = Kern, fr. 222.
5. Lamelle d'or du ii^ siècle à Rome, infra, N. C, XL
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 249
ou n'ait pas pratiqué dès l'origine en Grèce un culte secret réservé aux seuls
initiés, il est certain qu'elle a influé sur la théologie de certains mystères.
Une dédicace, récemment découverte à Rome, nous a révélé que les fidèles
de Mithra avaient identifié leur dieu perse avec le Phanès orphique . La
raison de cette assimilation est sans doute que l'un et l'autre, lorsqu'ils étaient
apparus, avait fait briller la lumière dans le monde. Un bas-relief qui repré-
sente dans le cercle du zodiaque ce Phanès mithriaque sortant de l'œuf cos-
mique, d'où jaillissent des flammes, nous montre qu'un syncrétisme intem-
pérant avait combiné dans la composition de cette figure divine des éléments
hétérogènes. Sans doute la quadruple combinaison Zeus-Hélios-Mithra-Phanès
qu'atteste l'inscription romaine n'est-elle pas antérieure à la syncrasie radicale
qui, sous l'Empire, prétendait reconnaître dans le panthéon entier des divinités
solaires. Cependant peut-être les Mages d'Asie Mineure, que nous savons
avoir subi après les conquêtes d'Alexandre une influence profonde de l'hellé-
nisme, ont-ils déjà rapproché les antiques poèmes orphiques de leur système
zervaniste, et assimilé leur premier Principe, le Temps infini, dont était issu
l'esprit du Bien et celui du Mal, au Chrpnos soustrait à la vieillesse (àyYjpaoç)
des rhapsodies et de la théogonie attribuée à Hellanikos*. Les spéculations
des clergés orientaux sont une mer sans rivages.
Beaucoup plus anciens et plus intimes furent lés rapports établis entre
l'orphisme et les mystères de Dionysos. Celui-ci était depuis l'époque archaïque
le dieu principal de la secte, qui voyait dans son démembrement par les
Titans l'acte primordial dont on tirait toute l'anthropogonie et la cathartique.
Les Orphiques sont parfois appelés bacchants, et Orphée est souvent donné
comme le fondateur des mystères bachiques 3. De la sorte ceux-ci, dont la
diffusion fut immense, ont pu servir de propagateurs à des croyances ou des
rites qu'ils avaient dès leur origine adoptés. Dans leurs initiations l'oeuf cos-
mique des orphiques, principe de vie, continuait à servir- de symbole*. Au
point de vue de l'eschatologie, la religion dionysiaque partageait avec les
1. 'Patriarca, Bull. arch. comun.^ 1932, LX, p. 3 ss.
2. Cf. Mithra et l'orfhisme, R. H. Rel., 1934, CIX, pp. 63-72 ; et Ziegler, l. c, ool.
1349, 52 ss. ; 1352, 10 ss.
3. Ziegler, R. E., s. v, « Orpheus », ool, 1264 ss.; Kern, R. E., s. v. « Mysterien »,
col. 1289.
4. Boyancé, Mélanges Ec. fr. de Rome, 1935, LI, p. 95 ss, — Les termes orphiques,
relevés dans Plutarque par Méautis {Mélanges, Glotz, 1932, II, p. 79) lui sont parvenus
par l'intermédiaire des mystères de Bacchus, clairement désignés Consol. ad uxorem,
p. 6n,
250 LUX PERPETUA
Orphiques la croyance au festin étemel réservé aux initiés : elle l'a répandue
dans tout le monde gréco-romain et, comme nous allons le voir,' elle l'a fait
vivre, sous des formes successives, jusqu'à la fin du paganisme, et même au-delà.
*
* *
Bacchus*. — Aucun des mystères de l'antiquité n'a été plus largement
répandu à l'époque romaine, que ceux de Bacchus. De même que, selon la
légende, Dionysos parcourut le monde en triomphateur, ainsi ses thiases
conquirent des adeptes dans toutes les régions de l'Empire. Parmi les religions
païennes de salut, nulle ne fut plus populaire, et par suite nulle n'a exercé
une action plus étendue sur la croyance à l'immortalité. Les sculptures des
sarcophages et des stèles sépulfcrales^, les peintures des caveaux funéraires^
reproduisent en quantité innombrable des scènes empruntées à la légende ou
au culte de Bacchus, les ébats des Satyres et des Ménades qui forment son
cortège, et des emblèmes dionysiaques tels que masques de théâtre ou
canthares d'où naissent la vigne et le lierre, consacrés à ce dieu de la végé-
tation * .
Le .culte de Dionysos originaire de Thrace et de Phrygie s'était répandu en
Grèce aux viii^" et vil^ siècles, et il avait introduit chez un peuple épris, même
dans sa religion, d'ordre, de mesure et de raison, une dévotion emportée, déli-
rante, extatique, qui s'y propagea, d'abord parmi les femmes, avec la violence
d'une épidémie. Ce dieu barbare fut longtemps adoré avec une frénésie
sauvage. Dans l'exaltation de leurs orgies nocturnes, les Ménades, après des
courses furibondes et des danses échevelées, étaient saisies d'une « folie sacrée » "
1. La bibliographie jusqu'à l'année 1935 est donnée par Kern, R. E., s. v. « Mys-
terien », col. 1314. Ajouter. Festugière, Revue biblique, 1935, XLIV, pp. 192 ss., 371 ss.;
Nilsson, Griech. Rel., I, 1941, p. 532-568, qui traite en détail de la période ancienne ;
Loisy, Mystères, pp. 213, 223. Pour l'époque romaine, cf. Relig. orient., pp. 195 ss. ;
303 ss.. Inscription de Torrenova : Am. J. A., 1933, XXXVII, pp. 215-261 ; cf. Wila-
mowitz, Glaube der Hellenen, II, p. 290. — Sur les (rûp-êoAa cf. swpra, p. 237, n. 4.
2. Scène d'initiation sur un sarc. de la villa Médicis, M. Cagiano di Azevedo {Istituto
d'archeol., opère d'arte, XIII), 1942 ; M. Lehman-Hartleben et Olsen, Dionysiac sarco-
■phagi in Baltimore, 1942 ; cf. Am. J. A., 1943, XLVII, p. 146.
3. Peintures de l'Isola^ sacra : Calza, Not. Scavi, 1928, p. 153 ss.. Cf. Carcopino,
Bull. Ant. France, 1928, p. 305 ; "Wilamowitz, Studi ital. filologia class., 1929, VIIIj
p. 89 ss.
4. Cf. Stèle d'Antibes, p. 5 ss.
5 . Platon, Phèdre, 265 a. L'analyse que Rohde a faite dans Psyché (II *, p. 15 ss.
= tr. fr. 280 ss.), de l'enthousiasme dionysiaque, compte parmi les pages les plus for-
tes de ce livre remarquable.
CHAPITRE V. -• LES MYSTÈRES 251
et déchiraient des chevreaux ou des faons, dont elles mangeaient crus les
morceaux sanglants, pensant s'assimiler ainsi les vertus divines de la bête
immolée. Ou bien elles se revêtaient de la dépouille fraîche de leur victime
pour s'identifier ainsi avec leur dieu. Ailleurs dans leurs « omophagies »
c'était un taureau, forme animale de Dionysos, dont les mystes dépeçaient
et dévoraient les chairs pantelantes ^ comme autrefois les Titans avaient mis
en pièces Zagreus enfant et consommé ses membres. Les sacrifices humains,
qui transformaient les banquets rituels en ripailles de cannibales, n'avaient
peut-être pas disparu partout, même à l'époque de la plus haute civilisation
hellénique *,
D'autre part le culte du phallus fut étroitement associé à celui de Dionysos^,
et il resta toujours un élément essentiel des cérémonies sacrées, soit que, dressé
et de dimensions énormes, il fût promené dans des processions accompagnées
de chansons grivoises, soit que, placé avec d'autres symboles dans le van
mystique, il fût découvert au cours de l'initiation. Si Bacchus lui-même n'est
pas ithyphallique, ses compagnons, Satyres et. Silènes, le sont démesurément,
et par suite les acteurs comiques furent, à l'origine, pourvus de ce membre
postiche. L'organe de la fécondation animale était censé favoriser aussi la
fertilité des champs, et il appartenait par là aux dieux de la végétation. Mais
on le trouve en outre placé sur les tombeaux, et cet emblème de la génération
y apparaît comme tm symbole de la vie nouvelle, qui doit renaître de la
mort*. Peut-être interprétait-on de même les rites d'initiation où il était mis
en contact avec le myste, auquel il aurait assuré l'immortalité ^ Elément
essentiel de la liturgie dionysiaque, le phallus n'en fut jamais éliminé : on
put réduire l'importance des « phallophories » et autres exhibitions provo-
cantes, non les supprimer. Ainsi les bacchanales ne perdirent jamais entiè-
rement leur caractère brutal et impudique, héritage d'un passé inculte.
Cependant lorsqu'elles furent introduites dans les cités grecques, quand,
plus tard, elles furent adoptées par les rois d'Egypte et de Pergame, les pou-
voirs publics s'efforcèrent de leur enlever ce qu'elles pouvaient avoir de cho-
1. Arnobe, X, 19 ; cf. Haussoullier, R. E. Gr., 1919, XXXII, p. 256 ss. ; Nilsson,
Gr. Rel., 1, pp. 145, 543.
2. Relig. orient., p. 307, n. 26 ; cf. Kern, l. c, p. 1305, 60.
3. Am. J. A., /. c.,\_su-pra, p. 250, n. i], p. 252 ; Nilsson, p-. ^^j ss.
4. Aux phallus funéraires a succédé Priape, qui est un phallus anthropomorphisé ;
CIL, VI, 30992 : « Custos sepulchri pêne destricto deus, ego siim mortis et vitai locus » ;
cf. Saglio-Pottier, Dict., s. v. « Priapus », col. 646.
5. Am. J. A., /. c, p. 252, n. 3 et pi. XXXII, 2.
252
LUX PERPETUA
quant et de répréhensible, en les soumettant à une stricte surveillance. Elles
furent peu à peu hellénisées et humanisées. Ptolémée IV Philopator, tatoué
lui-même de la feuille de lierre, qui marquait l'appartenance à la grande
confrérie dionysiaque, publia un édit enjoignant à tous ceux qui dans le pays
initiaient aux mystères de Bacchus de se présenter à Alexandrie devant un
fonctionnaire royal ^ : ils lui feront connaître par qui le culte leur a été
transmis depuis la troisième génération, et il lui remettront sous pli scellé la
teneur de leur tradition sacrée. Manifestement Philopator voulait soumettre au
contrôle de l'Etat une religion qu'il avait officiellement reconnue ; mais le
décret lui-même fournit la preuve de la variété des pratiques et des écrits
Où Oéfjiiç Èv-
To09a XEiffô •
ai l [xè(= el [iT]) TÔv ^e-
« A nul n'est^permis
de reposer ici,
sinon à qui
fut fait bacchant ».
Tov|Kfëpr?0 î
Fig. 6. — Cimetière de Bacchants.
admis dans les thiases. Ceux-ci n'ont nulle part reproduit un type uniforme,
comme le prouve la diversité de la titulature mentionnée daris les inscriptions.
Ils ne s'astreignirent pas au conformisme des mystères orientaux ; ni leur
doctrine, ni leur organisation n'eurent jamais la même homogénéité. Dans
bien des cités des conventicules fondés par des particuliers subsistèrent à
côté du culte de l'Etat ; et des observances aberrantes s'y maintinrent ou y
naquirent. Protégés par le secret dont ils s'entouraient, ils pouvaient échapper
à toute réglementation policière, et la fureur des anciennes orgies s'y main-
tenait parfois dans des rites grossiers, délirants et même homicides, 2. Dans
les pays où l'extatisme était endémique, comme l'Asie Mineure et l'Afrique,
1. Rel. orient., p. 196, et 305, n. 12. — Cf. infra, N. C, XXV.
2. Plut., Quaest. gr., 38, p. 299 c j cf. Rohde, tr. fr., p. 300 ; Rel. orient., p. 198,
n. 26 ; Am. J. A., /. c, p. a6o.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 253
les magistrats des cités eux-mêmes participaient, sous les Césars, à la folie
publique des bacchanales ' .
Il est certain que les thiases furent introduits en Italie dès l'époque de la
plus ancienne colonisation grecque". Une inscriptibn de Cumes nous montre
qu'au début du V^ siècle ils avaient leurs cimetières particuliers (fig. 6), où.
seuls les initiés étaient admis ^ et d'autres indices nous montrent que le dieu
du vin était aussi dans la Grande Grèce le dieu des morts*.
Platon ^ fait dire à un Lacédémonien : « A Tarente chez nos colons, j'ai
vu toute la ville s'enivrer à l'occasion des Dionysies, mais rien de pareil ne
se passe chez nous ». On peut se figurer quels débordements provoquait
le carnaval bachique dans une ville opulente adonnée aux plaisirs. Or ce
sont probablement des captifs, ramenés à Rome après la prise de Tarente^,
qui y introduisirent ces mystères, que devait interdire rigoureusement le sénatus-
consulte des Bacchanales, en 192. Les beuveries bruyantes et violentes de
banquets, les libations capiteuses qui faisaient perdre la raison, le dévergon-
dage favorisé par un culte phallique dans des réunions nocturnes de mystes
des deux' sexes, devaient faire condamner par la stricte et froide moralité
romaine ces conventicules occultes, même si le meurtre de Dionysos enfant
déchiré par les Titans n'y était pas reproduit par l'immolation de victimes
humaines \ Sur l'ordre du Sénat les sociétés bachiques furent dissoutes et
leui's adeptes traqués dans toute la Grande Grèce comme à Rome. Après cette
répression impitoyable le silence règne sur la présence de thiases en Italie
pendant un siècle et demi. Mais la surveillance des autorités ne se relâcha pas.
En 139 des sectateurs de « Jupiter Sabazius » — proche parent de Dio-
nysos, — qui ideritifiaient leur dieu phrygien avec le lahvé Sabaoth des Juifs,
furent expulsés; par le préteur en même temps que les astrologues « chaldéens ^ » ,
1. Lucien De saltat., 79; Augustin, Epist., 17, 4; cf. Strabon, XI, p. 512; Am.
J. A., /. c, p. 234, n. 8.
2. Relig. or., p. 197; Kern, R. E., s. v, « Mysterien », col. 1304 ss.; Maiuri, La
villa dei Misteri, 193 1, p. 165 ss.
3. Relig. or., l. c, fig. 12. Cf. infra, N. C, X.
4. Relig. or., p. 305, n. 14 ss. ; Kern, l. c, col. 1313.
5- Platon, Lois, 637 b. Cf. Wuilleumier, Varente, 1939, p. 496 ss.
6. Relig. orient., p. 197.
7- Relig. or., p. 198 s.. Controverses sur le S, C. des Bacchanales, cf. Frânkel', Her-
mès, 1932, LXVII, p. 369 ss.; contesté par T. Keil, Ibid., 1933, LXVIII, p. 276. Cf.
Krause, ibid., 1936, LXXI, p. 214. — Au point de vue juridique, cf. Béquignon, R. A.,
194I) XVII, p. 184; au point de vue religieux, Méautis, R, E. A., 1940, XLII,
P- 476 ss.
8. Rel. or., p. 60 ss.; 306, n. 25. ; ; - : ! .
254 LUX PERPETUA ! ; ;
Une brève indication d'un scoliaste nous apprend que César « transporta
le premier à Rome » les cérémonies de Liber pater', c'est-à-dire qu'il y
réintroduisit le culte bachique et que celui-ci, qui y resta pratiqué, ' faisait
remonter son origine à un acte du dictateur. Sans doute César, pour donner
satisfaction à des tendances mystiques qui commençaient à s'affirmer dans la
population mêlée de l'Urbs, voulut-il y transférer des bacchanales assagies
et policées,, telles qu'on les célébrait à Alexandrie, alors la ville modèle dont
Rome aimait à s'inspirer. D'autre part la grande dédicace de Torrenova
nous a appris comment, sous les Antonins, de hauts fonctionnaires originaires
d'Asie Mineure purent instaurer dans la capitale un thiase nombreux, orga-
nisé comme ceux de leur patrie "^ Le culte romain de l'Empire apparaît ainsi
comme le successeur de ceux dont les excès avaient été bannis ou tempérés
dans les Etats bien ordonnés des Ptolémées et des Attalides. De même à
Athènes, sous les Antonins, les règlements des lobacches témoignent du souci
de maintenir la décence, d'éviter toute altercation dans des réunions où l'ébriété
pouvait favoriser le désordre ^
Cette transformation progressive de la religion dionysiaque affecta profon-
dément sa conception de l'immortalité. Aux origines lointaines des baccha-
nales, l'exaltation morbide qu'elles provoquaient était probablement, comme
dans les fêtes des tribus sauvages, la seule jouissance qu'on y recherchât, la
seule fin qu'on se proposât*. Cette folie collective secouait le joug qui pesait
sur la conscience de l'homme raisonnable, et elle semblait lui communiquer
une puissance surhumaine. La surexcitation pathologique produite par des
danses giratoires et des courses épuisantes, par une tension nerveuse de l'être
entier poussée jusqu'au paroxysme, provoquait des hallucinations où les mystes
se figuraient commander à toute la nature. Les bacchantes, lorsqu'elles étaient
possédées, faisaient couler des rui'sseaux de miel et de lait^. L'extase (^exaTacrtç)
est proprement la « sortie » de l'âme qui, quittant passagèrement sa demeure
corporelle, s'affranchit de toutes les limitations de sa condition normale. Cette
âme devient semblable à son dieu, ou pour niieux dire ce dieu la possède
(xaTÉyei) et il s'identifie avec elle. La participation aux orgies, l'enthousiasme
1. Servius, Ed., V, 29 : « Caesarem constat primum sacra Liberi patris Rotnant
transtulisse » .
2. Cf. supra, p. 250, n. i.
3. Dittenberger, Syll.^, aP 1109.
4. Cf. Rohde, l. c. Isupra, p. 250, n. 5]; Festugière, /. c. [p. 250, n,j], p. 196 ss.
5. Platon, Ion, p. 534^5 cf. Eurip., Bacch., 708 ss.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 255
qu'elles produisent, ont pour effet de faire du myste un bakkhos. Ainsi devait
grandir nécessairement l'idée qu'il partageait la vie impérissable de la divinité
à laquelle il s'était égalé, en laquelle son âme était absorbée. De même que
Dionysos avait eu sa passion, et après avoir péri était ressuscité, de même
ses serviteurs devaient après leur trépas renaître pour l'éternité.
Quand les bacchanales furent devenues, dans les villes grecques ou romaines,
une fête de citadins, le ménadisme n'y survécut guère que dans la persistance
d'une musique bruyante et de danses rituelles. Plus de courses folles à travers
la nuit, où l'ébranlement de l'organisme surexcité le faisait communier avec
toutes les forces animales et végétales de la nature. Pour élever l'homme
au-dessus de sa médiocrité quotidienne, pour qu'il s'évade de ses préoccupa-
tions ordinaires, il ne reste que le vin, et la possession divine devient unique-
ment celle que produit l'ivresse des repas sacré. Il en résulta une prépon-
dérance marquée donnée à cette forme de jouissance dans la conception de
la vie future, sans que cependant l'idée primitive ait disparu. Tous les trans-
ports religieux qui pouvaient ravir les mystes en ce monde nourrissaient leur
âme d'espérances, et leur faisaient attendre le renouvellement indéfini de
joies aussi profondes dans une autre vie.
Parfois on se représentait les initiés célébrant encore dans les Champs-
Elysées les cérémonies des bacchanales et les orgies tumultueuses des thiases,
transportés par le mouvement rythmique des danses et le son des flûtes et
des cymbales. « Ranimé, tu vis parmi les prés fleuris, où t'accueillent, dans
la troupe des , Satyres, les mystes de Bacchus marqués du sceau sacré et les
Naïades porteuses de corbeilles, afin que derrière les torches tu entraînes le
cortège en fête, » dit un père s'adressant à son fils dans une épitaphe de
Macédoine*. Les sarcophages représentent fréquemment les ébats des bien-
heureux avinés bondissant au son des cymbales et à la lueur dés torches dans
le paradis dionysiaque ^. Mais dans le culte romain de Bacchus, l'acte essentiel
était la participation à des repas rituels, parfois égayés par des danses et
accompagnés d'une musique qui, croyait-on, purifiait les âmes. Les convives,
puisant largement dans le cratère la liqueur que selon la légende la présence
de leur dieu avait suffi à faire jaillir, étaient bientôt échauffés par les vapeurs
du vin et s'abandonnaient à une joyeuse ébriété. Cette ivresse qui délivrait
I. CIL, m, 686 = C. £., 1233 ; cf. Perdrizet, Mythes et cultes du Rangée, 1910,
P- 96 ss. ; Symbol., p. 285. — Cortège semblable des mystes de Cybèle : Properce, IV
[V], 7, 60. — Cf. infra, N. C, XXV.
a. Symbol, pp. 339, 344, 372, 418.
2jé LUX PERPETUA i
l'esprit des soucis et donnait l'illusion d'une vie plus heureuse et plus intense,
était regardée, nous le disions, comme une possession divine. Elle était unie
anticipation de la béatitude d'outre-tombe qu'assurait aux mystes l'admission
à ces banquets liturgiques. Mollement étendus dans des prés parfumés de
senteurs exquises et éclairés d'une pure lumière, les initiés, couronnés de
fleurs, devaient prendre part à. tm festin étemel, où un vin inépuisable leur
verserait l'oubli de toutes les peines et les mettrait continuellement dans cet
état d'euphorie dont ils avaient eu un avant-goût sur la terre*.
Les Orphiques et les Pythagoriciens avaient aussi imaginé la félicité d'outre-
tombe sous la forme d'un banquet perpétuel", et il est difficile de savoir s'ils
'ont transmis cette conception aux mystères de Dionysos ou s'ils l'ont reçue
.d'eux. Ses origines se perdent dans la nuit de la préhistoire. La participation
à un repas a été un mode d'admission de l'étranger dans le clan, de la réception
de l'hôte dans la tribu, avant de devenir celui de l'introduction d'un profane
dans une famille religieuse'. Mais certainement aucun culte n'a autant contri-
bué que celui de Bacchus à la diffusion de la croyance eschatologique dérivée
de ce vieil usage. C'est lui surtout qui a inspiré la composition et' provoqué
la multiplication infinie de ces bas-reliefs funéraires représentant le mort
héroïsé et banquetant qui ont été reproduits sur toute l'étendue de l'empire
romain*. ^
Les plaisirs de la table promis aux bienheureux n'étaient pas d'une qualité
très relevée, et Platon en parlait déjà avec quelque dédain^. Les jouissances
matérielles attendues par les dévots pouvaient prendre dans leur esprit une
forme grossière et même équivoque lorsqu'ils étaient des hommes grossiers
et sensuels. Le culte du dieu de l'ivresse, où les rites phalliques restaient
essentiels, favorisait, avec les excès de la boisson, d'autres écarts d'un déver-
gondage religieux. Nous en trouvons la preuve dans un hypogée voisin de
la Catacombe de Prétextât, et qui servait à la sépulture des fidèles deSabazius",
dieu thraco-phrygien proche parent de Dionysos, si même il ne faut pas
l'identifier avec lui. Les peintures fameuses, qui décorent un caveau, nous
I. Cf. Relig. or., p. 203 ; Symbol., p. 37a.
2. Orphiques, supra, p. 246. — Pythagoriciens : Diogène Laërce, VIII, 38 ; cf. Sym-
bol., p. 372, n. 3.
3. Cf. sufra, p. 237 ss.
4. Cf. Symbol., p. 419 ; et swpra, p. 253.
5. Cf. su-pra, p. 246, n. 5.
6. Relig. or., p. 60 ; p. 228, n. 62 ; Symbol., pp. 102, 418.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES
257
montrent la défunte Vibia emportée par Pluton et conduite dans le monde sou-
terrain (fig. 7). Son « bon ange » y introduit son ombre voilée dans le jardin
de délices où sept « prêtres pieux » sont attablés. Mais leur piété s'accommoda,it
d'une morale complaisante. Les inscriptions de cet hypogée recommandent de
manger, de boire et de se donner du bon temps tant que l'on vit ; et les
divertissements qu'elles préconisent ont une saveur erotique très accusée ^
Parmi les populations barbares de l'Anatolie, d'où Sabazius est originaire,
Fig. 7. — Introduction, de Vibia au banquet des bienheureux.
les vieilles dévotions aux divinités agraires de la fécondité, comme l'était
Priape en Mysie, avaient gardé un naturalisme btutal, et l'on voit s'exprimer
crûment dans certaines épitaphes le souhait d'obtenir encore dans l'autre vie
les plaisirs amoureux que l'on s'est accordés sans vergogne et sans retenue
sur la terre ^. Parfois des époux donnent à ce même désir l'apparence de la
légitimité en formulant le vœu de se retrouver dans leur lit conjugale
1. CIL, VI, 142 = C. E., 317, « Manduca, [b]ibe, lude et veni ad me. Cum vives
benefac, hoc tecum feres... qui basia, voluptatem, iocum alumnis suis dédit » ; cf. Rel.
orient., 198 et 306, n. 25.
2. Cf. Une pierre tonibale erotique de Rome (A. C, 1940, IX, p. i ss.). Repré-
sentatipns lobscènes sur les sarcophages : Carmina Salmas., 319 (Riese, Anthol. lat.,
I> p. 263). Cf. Friedlânder, Sittengesch., III, p. 305, n. 5 ; Fris Johansen, Front the
collections of. the Ny-Carlsberg Glyptothek, III, 1942, p. 133.
3. Cf. Symbol., p. 87, n. 3 ; 84, n. i ; Reclus, La survie des ombres, Paris, 1908,
P- 174 8S.
«7
258 LUX PERPETUA
Les croyances traditionnelles de la religion dionysiaque furent purifiées,
tout au moins pour les dévots éclairés, lorsque la philosophie, qui fut souvent
l'éducatrice des mystères, fit prévaloir la doctrine de l'immortalité astrale.
Le symposion de l'Hadès fut transporté au ciel. Sans doute les Pythagoriciens
furent-ils les premiers à opérer ce transfert. Usant d'une allégorie, ils ensei-
gnaient que celui qui a suivi la route escarpée de la vertu, arrivé au sommet
de la rude montée, pouvait se délasser de ses peines et obtenir le salaire de
son labeur . Il prenait part dans la clarté sereine de l'éther au festin dès
bienheureux. A leur exemple Platon, dans un mythe du Phèdre 2, parle des
âmes immortelles qui gravissent la pente ardue du firmament pour devenir,
au sommet de la voûte céleste, les commensaux des dieux. De telles interpré-
tations pouvaient être acceptées d'autant plus aisément par la religion diony-
siaque que selon la mythologie certains mortels, parmi lesquels Bacchus,
avaient par une apothéose obtenu d'être admis à la table des Olympiens et
de s'y désaltérer avec eux de nectar, breuvage d'immortalité. Mais dans les
mystères tout initié parfait devenait un bakkhos et par suite devait partager
le sort de son dieu. L'admission au banquet olympique, qui avait été longtemps
le privilège exceptionnel de quelques héros, devint ainsi le prix accordé à la
vertu de toutes les âmes pieuses. Une quantité de stèles fiméraires, qui opposent
au labeur terrestre du défunt, figuré à la partie inférieure de la pierre tombale,
le repas qui en orne la partie supérieure, mettent ainsi en relation les mérites
que s'est acquis l'homme de bien avec la jouissance paisible qui en sera la
rétribution^'.
Le mythe du Phèdre assura la persistance de la notion du festin céleste
chez les derniers Néoplatoniciens. Mais ceux-ci donnaient nécessairement de
l'ivresse des âmes qui y étaient conviées, une interprétation spirituelle et
l'expliquaient comme le ravissement de la raison pénétrée par l'intelligence
divine*. Le christianisme devait hériter de la conception païenne ainsi épurée,
et se figurer le festin céleste dans la quiétude constante de la lumière éternelle.
Une allégresse perpétuelle y réjouissait des convives immortels dans la douce
splendeur du jardin des béatitudes^.
I. Cf. Symbol., pp. 37 j, 421 ss.
a. Platon» Phèdre, 247 a.
3,. Symbol.^ p. 432 ss.. Cf. Schrôder, Bonner Jahrbûcher, 1902, CVni, p. 47 ss.
4. Symbol., p. 378, n. 4 \ cf. Plotin, VI, 7, 35.
^. Infra,. p. ;jo2 et note 4.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES , 359
IL — Les cultes orientaux V
Aux mystères depuis longtemps célébrés dans les cités helléniques ou hellé-
niséeSj et dont l'influence s'étendit sous l'Empiré aUx pays latins, vint s'ajouter
celle des religions orientales., successivement propagées en Occident et qui
devaient profondément transformer le paganisme romain.
L'Asie Mineure, la première, lui fit accueillir ses dieux. Vers la fin de
la deuxième guerre punique, en 205, Cybèle et soft pârèdre Attis furent offi-
ciellement adoptés par le peuple romain. Dès lors la pierre noire, symbole
de la déesse de Pessinonte, fut adorée dans un temple qu'on lui construisit
sur le Palatin. Mais le clergé exotique et équivoque qui le desservait fut soumis
à une étroite surveillance. C'est seulement sous le règne de Claude que les
fêtes de la Magn-a Mater acquirent une soleimité impressionnante ; et des céré-
monies barbares prirent alors une signification spirituelle qui fit désormais
leur valeur»
Dès le temps de Sylla, les mystères d'Isis et dé Sérapis, venus d'Alexandrie
et déjà répandus dans le midi de l'Italie, s'introduisirent dans la capitale.
Malgré ' l'opposition persistante du Sénat et les persécutions violentes qu'ils
subirent jusqu'au règne de Tibère, ils ne cessèreiit de conquérir de nouV<eaux
fidèles dans la péninsule et dans les provinces. Depuis Caligula, le culte égyp-
tien, non seulement toléré, mais favorisé par les Césars, déploya à Rome dans
des temples magnifiques la pompe émouvante de sa liturgie, et il compta une
foule de dévots dans le monde grec et latin. Récemment encore on a exploré
sur la pente de l'Aventin des salles oii se réunissait un collège modeste,
composé de petites gens, qui prouve combien la dévotion égyptisante s'était
répandue dans la plèbe romaine 2.
Un peu plus tard arrivèrent les dieux sémitiques : l'Atargâtis, ou « déesse
Syrienne » d'Hiérapolis, l'Adonis ou Tammouz phénicien, le Jupiter ou Hadad
d'Héliopolis, les Baals de Damas et de Dolichè en Commagène, le Bel et
le Malachbèî palmyriens, le Dusarès arabe, d'autres déités encore furent trans-
portées en Occident par les marchands, les esclaves, les soldats orientaux. La
1- Diffusion des mystères orientaux : cf. Relig. (yrienhi p, i8 as.
2- Cf. C.-R. Acad. Inscr., 1945, p. 396.
26o LUX PERPETUA !
propagande de divers clergés s'intensifia à partir du premier siècle, et ils
atteignirent l'apogée de leur puissance à l'époque des Sévères. La théologie
qu'ils enseignaient, liée à l'astrologie, avait conçu de la divinité une idée
beaucoup plus élevée et plus scientifique que celle de l'ancien anthropomor-
phisme, et ce fut surtout à cet égard qu'ils furent les prédicateurs d'une
vérité nouvelle.
Enfin les mystères de Mithra firent connaître en Europe le mazdéisme
hellénisé que professaient les Mages établis en Asie Mineure. Introduits dans
la plèbe romaine par les prisonniers ramenés du Levant par Pompée, ils
virent grandir leur puissance jusqu'au IIF siècle, où cette religion perse parut
un moment balancer la victoire du christianisme. Elle comptait à Rome, à Ostie
et en Italie un nombre impressionnant de spelaea, cryptes souterraines où les
mystes prenaient part à des repas sacrés, et elle s'était propagée à la péri-
phérie de l'Empire sur toutes les frontières, enseignant aux soldats une morale
impérative et virile, fruit du dualisme iranien.
Quelle fut, sur les idées eschatologiques, l'action, de cette foule disparate de
sectes hétérogènes qui apportèrent en Europe des croyances originaires de
toutes les régions du Levant, il serait impossible, avec les pauvres documents
dont nous disposons, de le définir pour chacune ; mais certains faits essentiels
peuvent être reconnus avec certitude.
Une première observation s'impose. Tous ces cultes barbares, lorsqu'ils
arrivèrent à Rome, avaient été plus ou moins profondément hellénisés. Leurs
dieux avaient été assimilés aux Olympiens, leur langue liturgique était en
général le grec *, leurs doctrines trahissent une influence sensible de la, philo-
sophie hellénique, en particulier du stoïcisme ou du pythagorisme. Point
plus important pour le sujet qui nous occupe, la plupart avaient pris la forme
de mystères, c'est-à-dire qu'ils prétendaient assurer le salut de leurs fidèles
par des cérémonies occultes, que l'initié s'engageait sous serment à ne pas
révéler^. Le prestige sans égal dont jouissaient les mystères d'Eleusis rend
probable qu'ils aient été imités dans l'organisation de ces nouvelles dévotions.
Une double tradition veut que l'Eumolpide Timothée soit intervenu à l'époque
de Ptolémée, lors de la fondation du culte de Sérapis, et qu'il ait écrit sur
la légende de la Grande Mère, probablement comme interprète des promesses
1. Même dans le culte romanisé de la. Magna mater : Servius, Georg., II, 394 : « Hynuii
Libero apud Graecos graeca, apud Latinos latina voce dicuntur. Hynmi vero Matris
deum ubique propriam, i. e. graecam, linguam requirunt ».
2. Cf. supra, p. 237, n. i. Voir N. C, XII. ; ^
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 261
d'immortalité qu'on voulait y reconnaître \ De même que dans la Grèce
ancienne les Éleusinies étaient accessibles à tous les Hellènes (p. 241), dans
le monde cosmopolite issu des conquêtes d'Alexandre les mystères voulurent
être universels. Les fonctions religieuses, qui étaient auparavant particulières
à un peuple ou réservées à une caste,, purent désormais être remplies par tous
les hommes, quelles que fussent leur race et leur origine ; mais il fallut que
la parenté spirituelle créée par une initiation remplaçât le lien du sang, qui
unissait jadis les membres d'un clergé héréditaire ou les fidèles d'une même
nation.
Le rituel est souvent plus conservateur que la mythologie, et celui des cultes
orientaux a gardé certaines formes qui doivent remonter à l'époque lointain)e
où une religion animique se figurait les arbres de la forêt doués d'une vie
divine comme les plantes des champs cultivés. De même que les autres essence
à feuillage persistant, le pin passait pour receler une chaleur interne, qui le
soustrayait à la caducité et lui permettait de rester verdoyant pendant la
morte saison. Il devint ainsi un emblème d'immortalité^. Nulle part cette
croyance d'une antiquité immémoriale ne se manifeste plus clairement que
dans les grandes fêtes annuelles du culte, phrygien^. Le 22 mars, Arbor intrat,
le pin, qu'on identifiait avec Attis, était porté jusqu'au temple du Palatin
par les « dendrophores », couronné de violettes et enveloppé de bandelettes
de laine comme un cadavre : c'était le cortège de funérailles du dieu mort.
Le 23, jour lugubre, se passait en lamentations funèbres autour de l'arbre
défunt, .et le 24 {Sanguis) le sang des assistants, qui se flagellaient ou se
mutilaient, était la liqueur dont on faisait des libations aux morts pour leur
rendre la vitalité (p. 32). Enfin, après l'équinoxe, dans la nuit du 24 au 25,
le prêtre annonçait la résurrection d' Attis*, et aux manifestations de désespoir
succédait une longue et bruyante jubilation.
Des rites, à l'origine agraires et saisormiers, ont pareillement inspiré la
grande fête d'Isis, qui durait, selon le calendrier romain, du 26 octobre au
3 novembre^. Elles se rattache directement à. des cérémonies en partie secrètes.
1. Relig. orient., p. z^z, n. 4. ■
2. Stèle d' Amibes, p. 13 ss.
3. Relig. orient., p. 53 et 225 ss.
4- Hrm. Mat., De err. -prof, rel., 3. Cf. Rel. orient., p. 46, et supra, p. 45 sur le
»2es violae.
5- Cf. Rel. orient., p. 90 ss. et p. 243 ss.. Cette fête était encore célébrée le 3 no-
vembre au temps de Rutilius Namatianus, en 417 ap. J.-C. (I, 375).
262 LUX PERPETUA
célébrées en Egypte dès une époque reculée!. Isis, accablée de douleur, partait
en quête des membres dispersés d'Osiris mis en pièces par Typhon, et le corps,
les divers morceaux retrouvés, était reconstitué et ranimé. Les fidèles s'asso-
ciaient par leurs plaintes désolées aux angoisses de la déesse et par une explo-
sion de joie à son allégresse finale. La vieille coutume de modeler un Osiris
végétant, c'est-à-dire une image formée d'humus et de graines dont la ger-
mination devait favoriser celle des champs, témoigne encore du caractère
agraire de la fête égyptienne^.
L'Adonis ou Tammouz phénicien était aussi un dieu de la végétation, un
« esprit du blé » et ses fêtes, qui se plaçaient au début de l'année sothiaque
marquée par le lever de Sirius et fixée au 19 juillet du calendrier julien-,
indiquent encore clairement sa signification. Adonis aussi avait péri tragi-
quement, puis était revenu 'à la vie, et ses fidèles pleuraient son trépas avec
son amante Salambô et participaient à l'exaltation de la déesse, lorsqu'elle
l'avait retrouvé. On avait coutume de placer sur la terrasse, des maisons lai
statuette d'Adonis mort, étendu sur sa couche, et l'on disposait près de lui
de menus jardins, des pots remplis de terreau où l'on semait du froment, de
l'orge, du fenouil, de la laitue. Ces plantes, largement arrosées, levaient et
verdissaient rapidement sous l'action de la chaleur ^ estivale, et ce rite de
magie sympathique favorisait, croyait-on, la fertilité de l'année qui s'ouvrait*.
Dans tous ces mystères phrygiens, égyptiens, phéniciens, le sort du dieu
mort et ressuscité était le prototype et le garant de celui de l'initié. Cette assi-
milation est déjà établie dans l'ancienne Egypte entre Osiris et le défunt
inhumé selon les rites. « Aussi vrai qu'Osiris vit, dit un texte funéraire, lui
aussi vivra ; aussi vrai qu'Osiris n'est pas anéanti, lui non plus ne sera pas
anéanti » *•. De même, lorsque pendant la veillée où l'on pleurait Attis — ou
i. Cf. Moret, Mystères égyptiens, 2? éd., 11927, p. 3 ss, et Mélanges Capart, p. 316 ss. ;
Loisy, Mystères, p. 136 ss., Cf. infra, N. C, XII,
2. Relig. orient., p. 244, n, 104 ; et Wolters, Die goldene Aehren dans pestschr. /•
James Loeb, 1929, p. 12 ss.
3. Syrîa, 1927, VIII, p. 324 ss. ; et 1935, XVI, p. 46 ss.; Mélanges Glotz, I, i<)P>
p. 275 ss. Sur le triduum des Adonies : Glotz, R. E. G., 1920, XXIII, p. 168 ss.,
dont les conclusions sont contestées par le P. de Vawx, R^vue biblique, 1933, XLII,
p. 31 ss.
4. Jardins d'Adonis : Rel. orient., p. 252, n. 23. La ha^te antiquité des croyance
phéniciennes à la ttiort et à la résurrection d'Adonis, dieu agraire, a été démontrée par
les tablettes de Ras-Shamra, cf. Dussaud, R. H. Rel. CIV, p. 389 ss.
5 . Erman, Religion der Aegypter, . 3« éd., 1934 ; cf. RealUyi. f. Ant. lund Christ., s. v.
« Auferstehung ».
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 363
Adonis — étendu sur sa couche funèbre, une lumière était introduite, le prêtre
murmurait lentement : « Ayez confiance, le dieu est sauvé ; pour vous aussi
des peines viendra le salut » \
Ainsi, la liturgie même des mystères orientaux le prouve, l'idée de l'im-
mortalité de l'âme est chez eux un héritage de la vieille religion de la
nature. Mais comment chacun de ces cultes concevait-il la vie future à l'époque
romaine ? Quelle interprétation secrète donnait-il de la légende de son dieu,
il n'est pas aisé de le découvrir et de retracer l'évolution de ces croyances
eschatologiques.
Si les grandes fêtes de la religion phrygienne, célébrées au mois de Mars,
vers l'équinoxe, commémoraient la mort et la résurrection d'Attis, emblème
de la végétation qui, après s'être flétrie, renaît au printemps, si lès fidèles
paraissent, dès une haute antiquité, avoir associé au sort de leur dieu leur
propre destin, et cru qu'après avoir péri ils renaîtraient à une vie nouvelle,
l'idée qu'ils se faisaient de cette vie d'outre-tombe semble s'être profondément
transformée au cours des siècles. Aucun des cultes orientaux transportés en
Occident n'a évolué davantage, parce qu'aucun n'était à l'origine plus fonciè-
rement barbare.
Primitivement, en Anatolie, Cybèle est la divinité des morts parce que la)
Terre, qu'elle personnifie, les reçoit dans son sein*. Le tombeau phrygien
est souvent un sanctuaire, et l'épitaphe une dédicace 3; fréquemment ils portent
l'image de la déesse ou celle du lion, son substitut. On aime à donner au
tombeau l'aspect d'une porte, celle du monde souterrain où descendent les
morts*. L'on croyait, ce semble, que ceux-ci s'absorbaient dans le sein de la
Grande Mère qui leur avait donné naissance, et participaient ainsi à sa divi-
nité". L'assimilation à la Terre, qui s'accomplissait complètement après la
mort, était préparée par le repas sacré, acte essentiel de l'initiation. Cybèle
assurait le salut de ses serviteurs. Elle produisait le blé et le raisin, le pain
et le vin qui sustentent les hommes. La nourriture prise dans le tambourin et
le breuvage bu dans la cymbale® accomplissent cette union mystique avec la
1. Firmicus Maternus, De err. prof, rel., zz, i. Rapports du itôvoç avec l'immortalité,
cf. Symbol., 425 ss.
2. Graillot, Culte de Cybèle, Paris, 1912, p. 207.
3. M. A. M. A., V, p. XXXIV ss. ; p. 175 ss.
4. Cf. su-pra, pp. 15, 21, 24, 58.
5- Ramsay, J. H. S., V, 1884, p. $^. Cf. Jacxjbsen, Mânes, I, p. 30 ss. ; Dieterich,
Mut fer Erde, Leipzig, 1905, p. 26 ss.
6. Firm, Mat., De err. fr. rel., 18 ; cf. Dietrich, Nekyia, p. 216.
264 LUX PERPETUA
déesse qui s'achèvera et deviendra parfaite après le trépas. « Tu nous donnes,
dit une prière à la Terre', les aliments de la vie avec une constance infail-
lible, e^ quand notre âme se retirera, nous nous réfugierons en toi. Ainsi tout
ce que tu accordes retombe en toi. On t'appelle à juste titre Mère des dieux,
toi dont la piété surpasse celle de toutes les divinités. » Il n'est pas douteux
qu'en Asie Mineure la majorité de la population resta toujours' fidèle à la
vieille croyance que les ombres des morts descendaient dans le sein de la
Terre divinisée ^«
Mais dès l'époque des Achéménides, des Mages émigrés de l'Iran, avaient
allumé leurs pyrées à côté des temples phrygiens et lydiens ^ ; le clergé iranien
voisina pendant des siècles avec celui des dieux indigènes, et il était inévitable
que les croyances plus avancées des conquérants perses vinssent modifier
celles des cultes autochtones. L'on a pu relever plusieurs indices de ce syn-
crétisme*. L'eschatologie si fortement constituée du mazdéisme, transforma
celle des mystères de la Grande Mère. C'est au ciel, enseignèrent désormais
ceuxrci, dans l'éther lumineux, au milieu des astres que montent les âmes
pieuses", et le monde souterrain n'est plus que le séjour des réprouvés*. L'évo-
lution s'acheva à la fin 'du paganisme par la transformation d'Attis en une
■ grande divinité solaire' que l'on conçut comme le créateur et le sauveur des
âmes, ainsi que le voulait l'héliolatrie de l'époque romaine.
Aucun peuple n'a été plus préoccupé que les Égyptiens par le souci d'as-
surer le bonheur de sa vie future. Aucun ne s'est fait construire des tom-
beaux aussi grandioses, ni plus somptueusement décorés ; nulle part la reli-
gion n'a pris des précautions plus minutieuses pour assurer la survivance
et la félicité des morts, et la littérature funéraire est ici d'une richesse qui
n'a d'égale en aucim autre pays.
De cette vaste production littéraire du temps des Pharaons, quelle portion
n'était pas périmée sous les Césars ? Quels textes relatifs aux funérailles ou
I. Precatio terme dans Riese, Anthol. lat., I, p. 26.
a. Nombreuses épitaphes mentionnant les Kara/^Gjvioi 6eoî ; cf. supra, ch. IV, p. 214,
n. 4. Hypogée des Sabaziastes, supra, p. 257.
3. Mages hellén., I, p. 5 ss., 90 s.
4. Cf. Rel. orient., p. 229, notes 63, 66 ; Deubner, J. A. I., 1929, XIV, 132 s., sur les
Dumopireti.
5. Symbol., p. 88 s. ; Julien, Or., V, fin. Cf. CE. 513, 11 : « Sacra cymbala concrepui,
securus morte quiesco ».
6. Damascius dans Photius, cod. 242 (PG., CIII, 1282).
7. Arnobe, V, 42 -, Macrobe Sat., l, 21, 9 ; Mart. Cap., II, 192 j Julien, Or., V,
p, 168 c ; Proclus, Hymne au soleil, 25 (p. 136 Ludwich).
I CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 265
au culte des défunts avaient été traduits en grec et étaient employés en
Europe dans la liturgie des mystères d'Isis ? Il est impossible de le préciser.
Nous pouvons seulement affirmer que le culte des dieux alexandrins pratiqué
à l'époque romaine était profondément hellénisé ; et une tradition digne de foi,
nous l'avons dit (p. 260), veut que Ptolémée Soter ait consulté un Eumol-
pide ■d'Eleusis, Timothée, au moment de fonder celui de Sérapis^. L'on
doit toujours se souvenir que le culte ne prit la forme de mystères qu'à
l'époque ptolémaïque qui témoigne d'un grand scepticisme à l'égard de la
vie future (p. 236), et Isis fut ainsi longtemps regardée comme la dispen-
satrice des biens de cette terre plutôt que comme la garante d'une béatitude
d'outre-tombe 2.
D'autre part nous possédons sur les mystères isiaques tm témoignage élo-
quent de la piété de leurs adeptes. C'est le récit coloré de la triple initiation
à laquelle se soumet Lucius, le héros des Métamorphoses d'Apulée. Mais pour
suggestives que soient ces pages, où se révèle la ferveur ardente des prosé-
lytes de la religion égyptienne, le romancier africain éveille notre curiosité
plus qu''il ne la satisfait. Car s'il décrit la pompe des processions, la
solennité des cérémonies publiques, il reste muet sur ce qui se disait ou
se faisait dans l'initiation 3, et s'il est certain que ie myste en attendait son
salut, on peut hésiter sur la forme d'immortalité qu'il espérait obtenir.
Cependant, en écrivant quelques lignes qui ont été indéfiniment com-
mentées*, Apulée a soulevé un coin du voile d'Isis. Le nouvel initié y
indique en termes sibyllins ce qui s'est passé pour lui dans le télestérion :
« J'ai atteint la frontière de la mort et franchi le seuil de Proserpine, puis
je suis revenu porté à travers tous les éléments. Au milieu de la nuit j'ai vu
le soleil rayonnant d'une blanche lumière, je me suis approché jusqu'en face
des dieux des Enfers et des dieux supérieurs et je les ai adorés de près. Voici
que je t'ai rapporté ce qu'après l'avoir entendu il te faut pourtant ignorer. »
Ainsi l'initiation offre le simulacre d'une mort suivie d'un retour à la vie ^ .
Le myste descend dans l'Hadès pour remonter au ciel après s'être purifié en
passant à travers les éléments ^ Il serait vain de rechercher par quelles.
1. Plut., Be Iside, 28 ; cf. Rel. or., p. 23a, n. 4.
2. Cf. N. C, XII.
3. Apulée, Met., XI, 23.
4. Sur les multiples commentaires de ce texte énigmatique, cf. Relîg. or., p. 245,
n> 106. Ajouter Willy Wittman, Das Isisbuch des A-puleius, 1939.
5- Cf. Apul., Met., XI, 21 ; « Ad instar voluntariae mortis et precariae salutis ».
6. Passage à travers les éléments, cf. su-pra, p. 209.
aéé LUX PERPETUA
incantations, opérations ou apparitions ce voyage était suggéré dans le céré-
monial secret des mystères. IJ suffit que le néophyte, disposé par un long
jeûne à toutes les illusions des sens, ait obtenu la vision de ces pérégrinations
à travers le monde entier. Les mots essentiels, au point de vue de l'escha-
tologie, sont les derniers. Lucius s'est cru en présence des dieux des Enfers
et de ceux du ciel : il les a adorés face à face. La vue de lai .'divinité est le
bénéfice essentiel obtenu dans l'initiation. Car cette vue déifie celui à qui
elle est accordée*', et c'est pourquoi, après avoir dans la liturgie nocturne,
où l'on faisait succéder aux ténèbres tme vive lumière, aperçu le soleil res-
plendissant, le néophyte est devenu lui-même un dieu solaire, dont au sortir
du sanctuaire il revêt la « robe olympique » et porte les insignes pour se
présenter à l'admiration de l'assemblée des fidèles.
L'Egypte est le pays d'oii la dévotion contemplative a pénétré en Europe.
Dans les temples, dès l'aube, les images des dieux étaient offertes à l'ado-
ration muette des dévots". Car ces statues n'étaient pas de^ froides effigies
de pierre ou de métal. Dès qu'elles avaient été consacrées selon les rites ^,
la divinité était venue les habiter ; elle s'était incorporée dans leur matière
et l'animait d'une vie mystérieuse, et le fidèle qUi s'absorbait dans leur con-
templation fervente se sentait pénétré d'une « inexprimable volupté » *.
Mais cette jouissance que donne la vue de simulacres n'est point compa-
rable à celle que le myste ressent lorsque, dans Vadyton, il se trouve en pré-
sence de la divinité elle-même ; les statues qu'il a aperçues dans le temple
deviennent alors pour lui un spectacle de second ordre. Une extase le transporte
quand cette vision béatifique lui est accordée^. Et lorsque sera accomplie
la durée de sa vie terrestre, il retrouvera la reine des Enfers dans son
royaume souterrain. L'adoration qu'il a pu rendre aux dieux pendant les
brèves heures de l'initiation se prolongera alors à jamais *, et la béatitude
d'une nuit se transformera en un perpétuel ravissement.
I. Vue de Dieu divinise : cf. supra, pp. 149 et 155.
Z. Apulée, Mei., XI, 24 ; cf. Hermès Trism., Poimandrès, IV, fin ; Rel. orient. ^ p. 89;
p. 242, n. 89.
3. C'est la notion d"(opucnç [L.C.]. — Cf. C. C. A. G., VIII, i, p. 150 ; VIII, 4, p. 252;
Ps. - Apulée, Asclef. 37 (p. 77 Thomas) ; Bidez, Vie de Porphyre, p. 25 ss.
4. Apulée, XI, 24 : « Inexplicabili voluptate divini simulacri perfruebar ». Cf. Da-
mascius dans Suidas, s. v. 'Hpaia-xo;
5. Cf. Le culte égyptien et Plotîn (Monuments Piot, XXV), 1921, p. 78 ss. et infrà,
ch. VIII, pp. 347 et 357.
6. Apulée, Met., XI, 6.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 267
Parmi ses multiples fonctions, Isis est conçue à l'époque romaine comme la
reine des Enfers, et suivant l'opinion commune c'est dans le monde sou-
terrain qu'elle continue à être adorée par ceux qui l'ont bien servie ' . De
même les prêtres enseignent qu''Osiris ou Sérapis règne sur les morts et
n'est autre que l'Hadès des Grecs. Ses fidèles restent persuadés qu'il habite
les entrailles de la terre ^. Mais un passage de Plutarque^ nous révèle comment
une interprétation platonicienne s'opposait à cette tradition sacerdotale. En
réalité le dieu siège très loin de la terre et n'est souillé par aucun contact
avec ce qui est sujet à la corruption et à la mort. Les âmes, tant qu'elles sont
enfermées dans les corps, n'ont point de commerce avec lui, et l'intelligence
philosophique même ne l'aperçoit que comme dans un rêve indistinct. Mais
lorsque ces -âmes désincarnées se transporteront dans l'Invisible*', le dieu
lui-même deviendra leur guide et leur roi, et, étroitement attachées à lui,
insatiables de sa vue, elles s'éprendront passionnément de sa beauté ineffable
et inconnue des hommes.
A côté de cette forme mystique d'une immortalité contemplative où des
croyances égyptiennes se combinent avec des idées platoniciennes, une autre
doctrine était conjointement admise, La théologie égyptienne ne s'est jamais
souciée d'établir un accord cohérent entre les notions qu'elle avait admises.
Le principe de contradiction n'existe pas pour elle, et des traditions opposées
y ont subsisté concurremment, sans qu'on se mît en peine de les harmoniser.
Le vague de l'esprit égyptien s'accommodait sans peine de telles divergences.
Ceci est vrai en particulier de l'eschatologie.
Selon le récit d'Apulée, son héros déjà initié à Isis, apprend à Rome
qu'il doit l'être aussi à Osiris, car si les cultes des deux divinités sont associés
au point de n'en former qu'un, leurs rites diffèrent grandement®. Lucius
voit alors en songe un membre du clergé, vêtu de lin, portant un thyrse, des
rameaux de lierre et des symboles secrets, qui l'invite à préparer un abon-
dant festin religieux. Le • lierre et le thyrse caractérisent Dionysos, à qui
Osiris ou Sérapis sont constamment assimilés ^ L'admission du néophyte
I, Plut., De Iside, 78, p. 383 a ; cf. l?e%. or.^ p. 245, n. 109.
a. Apulée, XI, 6 j X, 21 ; XI, 25. Cf. Papyr. magiques, V, 402 s. Preisendanz.
3. Plut., l. c.
4. Tô àeiSéï; = 'AiSr)? cf. supra, p. 208.
J. ApuL, Met., XI, 27.
6. Hérodote, II, 42 -, Diodore, I, 11, 23, 25 ; CIG, 4893 ; I. G., XIV, 1366. Cf. Sour-
dille, Hérodote et la religion de l'Egypte, Paris, 1910, p. 62 , Perdri^et, X2erres cuites
de la collection Bouquet, Paris, 1921, p. 81 ss.
268 LUX PERPETUA
se fera comme dans le culte bachique par la participation à tm repas sacré,
où le vin lui sera largement versé. Nous savons que ces banquets étaient
une partie essentielle du culte des dieux alexandrins ^ Sérapis en était à la
fois l'invité et l'amphitryon, le « symposiarque » (cruaTcoc-tâpyrjc;) des fidèles
qu'il rémiissait *, Evidemment, comme dans la religion des bacchanales, ce
banquet devait se reproduire dans l'autre monde et se transformer en une
frairie éternelle. Le grand ordonnateur des festins sacrés devait y traiter
perpétuellement ses sectateurs. L'indication d'Apulée nous permet de mieux
comprendre à la fois les représentations que nous offrent les monuments et
les formules que reproduisent les épitaphes. Beaucoup de bas-reliefs du
« banquet funéraire » nous montrent le mort héroïsé, le rhyton à la main,
coiffé du boisseau de Sérapis avec lequel il s'est identifié \ Ainsi la forme
de la félicité d'outre-tombe conçue par les sectateurs du dieu du vin comme
une perpétuelle beuverie dans les Champs Elysées, avait été adoptée par
l'eschatologie de la religion égyptienne. Elle s'y était combinée avec ime
vieille croyance de la vallée du Nil, celle que le mort dans ses pérégrinations
posthumes devait étancher sa soif à une source limpide. Sur les tombes
des fidèles des dieux alexandrins on trouve souvent- gravé le souhait :
« qu'Osiris te donne l'eau fraîche » *
A l'origine, c'est dans le sein de la terre que le juste devait se réjouir
éternellement avec les bienheureux ^. Mais la même transformation que dans
les autres mystères s'opéra dans les croyances des fidèles de Sérapis, sous
l'influence de l'héliolâtrie. Celui-ci devint urf grand dieu cosmique, identifié
à la fois avec Zeus et avec le Soleil, maître du monde, parce qu'il règle
les révolutions du ciel (p. 179) ^ où il fait monter ses serviteurs''. Par
suite, le rafraîchissement {refrigerium) que le dieu accorde à ceux qui l'ont
fidèlement servi se transformera en un festin céleste auquel participeront les
1. Relig. orient., p. 219, n. 43 ; Roussel, R. E. G., XXIX, p. 234.
2. Ailius Aristide, Or. XLV (= VIII), 27 (p. 360, Keil).
3. Relig. orient., p. 75 et 235, n. 22 ; p. 92 et 244, n. 5 ; cf. Symbol., p. 420, n. 5.
4. Relig. orient., p. 246, notes m, 112 -, Is. Lévy, Journal Asiatique, 1927, CXXI,
p. 300 ss. ; Petrarca, Bull, comunale, 1933, LXI, p. 211.
5. Diodore, I, 92. 1
6. Etç Zejî SàpaTci; "HXioî xoff[j.oxpàTwp àvetuTiTOf; ; cf. Canet, C.-R. Acad. Inscr., 1919»
p. 313 s.. Weinreich, JNeu^ Urkunden %ur Sarapisreligion, 1919, p. 24 s. ; Erich Peter-
son, liîç Oedi;, 1926, p. 237 ss. ; Festugière, Vrismégiste, I, p. 300.
7. Julien, Or., IV, p. 136 a.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES ,269
âmes pieuses, et il finira par désigner la béatitude et le réconfort spirituels
qui sont réservés aux Élus \
A défaut d'un livre contenant le « discours sacré » (iepoç Xoyo;) commu-
niqué aux mystes des dieux alexandrins, nous pouvons nous faire quelque idée
des spéculations auxquelles se livraient les prêtres égyptiens hellénisés, par
les débris de la littérature hermétique, celle dont Hermès-Thoth, Maître de
toute sagesse, passait pour être l'auteur ^. On y voit à quel point la philosophie,
une philosophie mal digérée, avait été appelée à nourrir le vieux mysticisme
du clergé indigène.
Ces œuvres n'appartiennent pas à une secte pratiquant un culte, imposant
à ses adeptes des initiations sacramentelles \ mais elles prétendent enseigner
une doctrine ésotérique révélée confidentiellement par un maître à quelques dis-
ciples qu'il en a jugés dignes *. Elles adoptent la forme de leçons orales, telles
que les philosophes en faisaient dans leurs écoles ". Elles ne font pas partie
d'une religion secrète où les actes liturgiques auraient une importante prépon-
jdérante, mais d'un enseignement doctrinal où le livre, transcription de la
parole vivante, est le mode de transmission de la vérité. Elles sont les pro-
duits de mystères littéraires. Toutefois, si l'on considérait ces écrits hermé-
tiques d'un point de vue uniquement philosophique, on ne pourrait leur accorder
qu'une valeur très médiocre. Un éclectisme confus et superficiel y amalgame
sans critique des doctrines hétérogènes. Le dualisme platonicien s'y combine
malaisément avec le panthéisme stoïcien et avec la religiosité du néopytha-
gorisme. Des contradictions choquantes pour notre mentalité y peuvent être
relevées, parfois à peu de lignes d'intervalle. C'est le défaut de clarté et de
logique habituel de l'esprit égyptien (p. 428). Mais ces œuvres abstruses'
s'imposenc à notre attention par la ferveur religieuse qui les anime. Elles ne
prêchent pas une philosophie, mais une théologie ; leur but. essentiel est d'as-
surer le salut par la science. Si elles prétendent inculquer une gnose, c'est
que connaître Dieu est le moyen de s'unir à lui s. L'âme humaine ou du moins
la raison est une parcelle détachée du Nous divin, et qui aspire à le rejoindre.
I. Relîg. orient., p. g/[ ; Symbol., p. 387.
a. Joseph Kroll, Die Lehren des Hermès Xlrismegistos, Munster, 1894 ; ^. Kroll, R,
E., s. V. « Hermès Trism. » ; et surtout Festugière, Hermès, I, 1944.
3. Festiigièrej op. cit., 1, p. 82 ss.
4. Sur cet ésotérisme, qui s'étend à toute la littérature occulte, cf. Eg. des Astrol.,
P- 152 ss.; Mages hellén., H, pp. 315, n. 8 ; 316, n. i ss.
5- Festugière, R. E. G., 1942, LV, p. yy ss.
6 Poimandrès, X, 15, cf. IX, 4.
270 LUX PERPETUA
Mais elle est enfermée dans" un corps qui la corrompt et la souille, et la faiblesse
de nos organes limite notre perception de la divinité. Les purs, les parfaits
(TiiXtioi) les religieux {religiosi), qui forment une élite restreinte, peuvent seuls
échapper à cette restriction spirituelle, et ils s'affranchissent en même temps de
l'esclavage où le Destin, déterminé par les astres, maintient le reste des hommss.
Après leur mort ces âmes pieuses retourneront à la source céleste dont elles
sont issues. Elles s'élèveront victorieusement à travers les airs peuplés de
démons, les uns bienveillants, les autres hostiles. Les impies y sont livrés
à la vindicte des esprits vengeurs, ou secoués sans trêve par les tourbillons
des éléments *. Seuls, les Élus qui l'ont mérité par leur piété, parviennent
aux sphères étoilées et, se dépouillant, comme de vêtements, de leurs passions,
ils iront, essences ignées, se réposer dans la clarté de l'éther (p. 146). Telles
sont, dessinés à gros traits, les thèmes que développe l'hermétisme, non sans
variations, même sur des points capitaux. Nulle part dans la littérature ancienne
l'alliance d'une philosophie triviale avec une théologie traditionnelle n'apparaît
plus crûment.
De l'Egypte, passons enfin aux peuples sémitiques et iraniens. Dans la
grande coopération de tout le monde ancien à la transformation du paganisme,
plus encore que les mystères grecs, anatoliques ou égyptiens, les religions de
la Syrie et de la Perse exercèrent une influence profonde et durable sur les
doctrines eschatologiques de l'Occident.
Le mazdéisme iranien a accordé dans sa théologie une valeur essentielle
à la vie future ^. Il a formulé sur le sort des âmes après la mort une doctrine
cohérente et détaillée, qui s'inspire du dualisme fondamental du système
zoroastrien. Il décrit le voyage des âmes, protégées par les dieux, attaquées
par les démons à travers l'atmosphère, l'ascension des justes de ciel en ciel
jusqu'à l'éternelle lumière de l'empyrée où siège Ahoura-Mazda, la chute des
impies dans les ténèbres souterraines où résident Ahriman et ses dévas. Elle
annonce pour la fin des temps la résurrection des morts, le jugement dernier,
la destruction du monde par un feu qui épargnera les bons et châtiera les
méchants. Mais le mazdéisme s'est introduit en Occident sous une forme très
éloignée du pur zorôastrisme. Un large syncrétisme en avait fait une religion
1. Cf. supra, ch. IV, p. 209.
2. Sôderblom, La vie future selon le mazdéisme, Paris, 1901 ; Cufsetjî Pairvi, "Che
zoroastrian doctrine of a future life from deafh to the individual judgment. (Ck>lumbia
University, Indo-Iranian séries, XI), New- York, 1926.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 271
étrangemenl mêlée, aussi distante de l'orthodoxie exclusive du clergé sassanide
que le judaïsme alexandrin le fut de celui du Talmud '.
Lorsque les conquêtes de Cyrus mirent les Mages en contact avec les
« Chaldéens » de la Mésopotamie, ils subirent fatalement l'ascendant d'im
corps sacerdotal qui se targuait d'être le plus savant du monde ancien. Baby-
lone était alors le foyer de culture scientifique le plus brillant de l'empire
ides Achéménides, et les prêtres perses adoptèrent cette astrolatrie et cette
astrologie qui paraissaient alors la forme la plus rationnelle de la religion.
Les colonies de Mages, ou « Maguséens » qui essaimèrent à travers l'Asie
Mineure jusqu'aux rivages de la Mer Egée, y transportèrent cette rhéologie
chaldéo-iranienne. Ils avaient pour langue liturgique un dialecte sémitique,
l'araméen. Sans doute ne lisaient-ils pas les écrits avestiques, et ils étaient, par
cette ignorance même plus encore que par leur éloignement, soustraits à l'action
directe de leurs congénères, les Mages authentiques de l'Iran.
Sous les successeurs d'Alexandre, ce fut l'hellénisme de conquérants plus
civilisés qui s'imposa à leur réflexion et provoqua leur imitation. Leur religion
prit la forme des mystères helléniques, mais avec une hiérarchie de sept
grades superposés, placés sous le patronage des planètes ^. Le dieu sauveur
y était Mithra, yazata mazdéen, assimilé au Soleil, Le grec fut adopté comme
langxie sacrée par ces mystères au lieu de l'araméen, et leur doctrine se combina
avec la philosophie hellénique, surtout avec le panthéisme stoïcien ^. Qui plus
est, de vieux mythes orphiques purent s'amalgamer aux traditions des Mages
(p. 249),
Pour être moins apparente que celle de l'hellénisme, la part que prit Rome
à la constitution définitive du mithraïsme n'en fut pas moins considérable.
Le seul fait que celui-ci devint par excellence une religion militaire, dont
les temples se retrouvent sur toutes les frontières, nous révèle à la fois une
des raisons de sa puissance et un des traits distinctifs de son caractère. Mais
les découvertes de spelaea du dieu perse se sont multipliées aussi au cœur
de l'empire, dans la ville de Rome et à Ostie. D'autre part les fouilles entre-
prises en Europe et en Asie ont montré que ce culte pratiqué par les soldats
était partout en Orient et en Occident semblable à lui-même. Or une religion
largement adoptée par l'armée n'a pu l'être sans la tolérance, mais aussi la
I. Relig. or., p. 132 ss.; Mages hell., I, p. i ss.
Z. C.-R. Acaâ, Inscr.) 1945, p. 416 ss.
3. Mages hell.y I, pp. 32 ss., 9a ss.
272 LUX PERPETUA
surveillance du pouvoir central, dont le contrôle a seul pu lui imposer un tel
conformisme. On est ainsi amené à le croire, c'est à Rome que la liturgie
et la doctrine de la secte exotique ont reçu leur aspect définitif : le mithraïsme,
en un mot, est la forme romaine du mazdéisme i. S'il jouit de la faveur
impériale, il dut en revanche être soumis à ime censure, qui élimina d'im culte
foncièrement barbare tout ce qui pouvait sembler immoral ou subversif.
Il est impossible de reconnaître aujourd'hui quels changements furent opérés
dans les mystères persiques devenus romains : nous sommes trop mal informés
de leur rituel et de leur doctrine. Nous savons seulement que l'acte essentiel
de la liturgie était un repas sacré où les participants ( p.£Téj(^ov'i:eç) recevaient
des serviteurs (ùuiqpe'vOuvteç) le pain et le vin dont l'absorption devait
leur conférer la force et la sagesse en cette vie, et dans l'autre une immortalité
glorieuse ^.
Cette immortalité céleste est un dogme cardinal du mithraïsme syncrétique
répandu en Occident, comme du zoroastrisme orthodoxe de l'Iran ; mais la
conception qu'on s'en faisait avait été modifiée par l'astrolâtrie babylonienne.
Une échelle symbolique formée de sept portes superposées surmontées d'une
huitième y représentait l'ascension de l'âme à travers , les sphères planétaires
jusqu'au ciel des fixes. Mais les théologiens enseignaient aussi que le soleil,
régulateur intelligent des phénomènes cosmiques, était aussi le créateur de la
raison humaine, qui remontait vers son auteur après s'être libérée de son corps \
Un syncrétisme religieux analogue caractérise la religion composite de la
Commagène, telle qu'elle se révèle dans les inscriptions et les sculptures du
roi Antiochus (69, 34 av. J.-C), qui descendait à la fois de Darius et des
Séleucides *. Ici aussi le culte perse se combine avec la pratique de l'astrologie,
et pareillement la langue grecque s'est substituée aux idiomes indigènes. Si
les prêtres doivent continuer à porter les vêtements sacerdotaux des Perses,
l'hellénisme a identifié les dieux avestiques avec les Olympiens. Fait essentiel, ,
la doctrine mazdéenne de l'immortalité est hautement affirmée : l'âme qui
abandonne le corps, si elle est aimée des dieux, s'élève « vers les trônes célestes
de Zeus-Oromasdès » (Ahoura-Mazda). La religion pratiquée dans ce petit
1. Cf. sur ce po'mt C.-R. Acad. Inscr., 1945, p. 419 et, à propos du bas relief de
Bàris, ibid., 25 avril 1947.
2. M. M. M., I, p. 320 ss. ; R. A., 1946, XXV, p. 184 ss.
3. Cf. sufra, ch. III, p. 180.
4. Jalabert et Mouterde, Inscr. de Syrie, n. i ss. ; M. M. M., I, pp. 233, 238 II5
pp. 89, 187 ss.; cf. ch. IV, p. 226.
CHAPITRE V. — LES MYSTÈRES 273
royaume devait plus tard être répandue par les fidèles de Jupiter Dolichénus
jusqu'aux confins occidentaux de l'Empire/.
Nous sommes très mal informés des doctrines théologiques admises en Syrie
dans ces grands sanctuaires où un clergé instruit méditait et dissertait sur la
nature des puissances divines et la signification de pratiques, parfois impu-
diques et cruelles, héritées de lointains aïeux 2. Même pour Hiérapolis l'opus-
cule très superficiel de Lucien nous rapporte seulement ce que pouvait observer
ou apprendre un touriste curieux et sceptique, qui ne s'inquiétait guère de
spéculations religieuses ^ Nous connaissons l'existence de mystèresi syriens*,
mais nous ignorons presque entièrement quelle sagesse supérieure on prétendait
y communiquer aux initiés. Le paganisme sémitique, comme celui de l'Asie
Mineure, subit successivement l'influence de l'astrolâtrie babylonienne, du
mazdéisme ides conquérants perses, et du polythéisme hellénique. Mais la civi-
lisation et la littérature de l'empire séleucide nous sont si mal connues que
nous distinguons avec peine les courants spirituels qui, dès l'époque alexandrine,
s'y rencontrèrent et s'y confondirent. Toutefois il est certain que les rapports
religieux restèrent ininterrompus entre la Babylonie et la S^ie. Les deux
moitiés du « croissant fertile » qui borde le désert, peuplées de races congé-
nères, s'étendaient de part et d'autre d'une frontière que n'avait pas marquée
la nature, et elles continuèrent toujours à se sentir unies malgré leur séparation
politique. L'astrolâtrie chaldéenne donnait au Soleil la prééminence sur tous
les autres dieux et elle aboutit à ce panthéisme solaire qui fut l'effort suprême
de la théologie païenne. Le triomphe de ce système amena une transformation
absolue de l'eschatologie : On ne crut plus que les morts descendaient dans
le sein de la. terre, pour y mener une morne et pâle existence ; le principe
igné qui nous anime remontait au ciel pour y vivre au milieu des étoilesj
divines. Cette immortalité astrale, nous l'avons vu (p. 147), peut êtr« conçue
sous diverses formes, elle peut être luni-solaire, planétaire, stellaire. Mais
toujours règne l'idée que les âmes pieuses échappent à l'oppression d'une
nécessité déterminée par les révolutions du ciel, participent à l'éternité des
dieux sidéraux auxquels elles sont égalées.
Un recueil de vers, les « Oracles chaldaïques » (Aoyia j^aXSaixà), est pour
1. A. H, Kan, Jiip-piter Dolichénus, Lciden, 1943 j c£, R. A., 1945, p. 174. M. Merlat
a. terminé la rédaction d'une thèse consacrée à ce culte avant tout mditaire.
2. Relig, or., p. 106 ss.
3. G. Goossens, Hiérapolis de Syrie, Louvain, 1943.
4. Relig. orient., p. 259, n. 63. Cf. N. C. XII.
18
274 LUX PERPETUA '
l'Orient ce que le Pàmèaiidrès hermétique est pour l'Egypte, c'est-à-dire que
les croyances indigènes y ont été relevées en les assaisoinnant d'une forte pro-
portion d'ingrédients philosophiques. Prétendue révélation probablement com-
posée au ne siècle de notre ère par Julien le Théurge, ces oracles furent le
livre sacré d'une secte que son adoration du Feu rapproche des Mages perses,
mais que la fantasmagorie des esprits qu'elle imagine, apparente au gnosticisme.
Ils devinrent la Bible des derniers théurges platoniciens et de leur culte secret',
et nous aurons à en reparler à leur propos. Ils nous révèlent les mêmes préoc-
cupations qui caractérisent l'hermétisme et elles y sont satisfaites d'une manière
analogue. Une philosophie syncrétique y est utilisée pour enseigner à l'homme
comment il peut purifier son âme de la pollution qu'elle contracte en s'unis-
sant à un corps. Elle apprend à se libérer par la théurgie de la tyrannie du
Fatum, montre comment échapper à la nécessité de la métempsycose pour
retourner, avec le secours du soleil, vers un Dieu transcendant.
Si l'on considère dans son ensemble ce dogme de l'immortalité astrale tel
qu'il fut propagé par les cultes iraniens et sémitiques, on sera frappé de sa
similitude avec les doctrines enseignées déjà dans la Grèce ancienne par le
pythagorisme. Ce n'est point là une rencontre fortuite. L'idée que les âmes
sont parentes du feu céleste, en descendent à la naissance et y remontent après
la mort, fut selon toute probabilité, nous l'avons montré précédemment (p. 144),
empruntée par les disciples de Pythagore à ces « Maguséens » d'Anatolie
qui furent les propagateurs d'un mazdéisme chaldaïsé. Les philosophes
grecs selon leur coutume précisèrent, justifièrent et développèrent cette doc-
trine orientale. Ils subirent une seconde fois l'ascendant de la religion scien-
tifique des « Chaldéens » à l'époqUe hellénistique, lorsqu'ils reçurent d'eux'
l'astrologie. Mais ils réagirent à leur tour sur les mystères orientaux quand
ceux-ci se répandirent dans le monde gréco-romain. Il se produisit ainsi ime
série d'actions et de réactions dont le détail nous échappe. Mais le fait essentiel
est que l'enseignement des écoles et celui des temples furent ici concordants et
concomitants, et que la prédication religieuse fut appuyée par une discipline
philosophique. Cette double propagande explique comment, au déclin du paga-
nisme, la croyance à l'immortalité céleste s'imposa irrésistiblement à la société
romaine. ' ;
I. Cf. sur ces Oracles, injra, ch. VIII, p. 361.
CHAPITRE VI
SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES
Le voyage vers l'au-delà.
Nous avons déjà eu L'occasion de le noter, dans le paganisme les doctrines
prêchées par les théologiens ou enseignées par les philosophes n'éliminèrent
pas les antiques croyances qui les avaient précédées, et les opinions archaïques
d'une mentalité primitive survécurent souvent aux systèmes qui prétendaient
les remplacer. On constate ainsi une concomitance ou plutôt une superposition
d'idées d'âges très différents, dont certaines peuvent ne plus obtenir l'adhésion
des esprits éclairés, mais s'imposent encore à la superstition vulgaire, qui est
le réceptacle des chimères désavouées par une religion évoluée. L'eschatologie
des anciens n'a jamais atteint ni même recherché aucune cohérence, et elle est
restée un amalgame d'espérances, de symboles, d'articles de foi contradictoires.
Cette coexistence de croyances hétérogènes et inconciliables paraîtra surtout
frappante si l'on considère les diverses façons d'imaginer le voyage des
ombres vers le séjour qui leur était assigné. En dépit des théories rationalistes
des philosophes, des opinions qui noWs reportent à l'aube de l'humanité, desl
■usages, hérités des temps nébuleux de civilisations encore dans l'enfance,
devaient se maintenir à travers toute l'antiguité et se transmettre même au
"loyen-âge chrétien.
276 LUX PERPETUA
Parlant de l'immortalité céleste et de la translation de l'Hadès dans les
airs, nous avons montré (p, 148) comment les penseurs avaient mis l'as-
cension de l'esprit des morts en relation avec la constitution physique de
l'univers. Les rayons du soleil, enseignaient-ils, étaient doués d'un pouvoir
alternatif de répulsion et d'attraction, qui faisait mouvoir les planètes, et qui
projetait à la naissance les âmes vers la terre et les ramenait, après la mort,
vers l'astre qui était « la raison du monde » (p, 179). Ou bien, selon
une autre doctrine, l'âme, souffle igné, s'élevait en vertu de sa légèreté à
travers l'air dense &t humide qui avoisine notre terre, pourvu qu'elle ne fût
pas alourdie par son contact avec le corps, et encrassée par sa sensualité. Si
elle était appesantie par la fange de passions sordides, elle se traînait dans
cet air épais et lourd, privée de la clarté d'en haut dans les Enfers brumeux
de l'atmosphère inférieur (p. 185). Ces théories établissaient une connexion
entre la destinée future de l'homme et l'ordre général de la nature ; l'eschato-
logie s'insérait dans une cosmologie savante.
Mais à côté de ces imaginations hardies d'esprits spéculatifs, qui embras-
saient à la fois dans une vaste synthèse le sort des défunts et toute l'économie
du cosmos, de très anciennes idées d"une mythologie naïve n'avaient pas cessé
d'avoir cours. Elles continuaient à alimenter la dévotion des foules, à inspirer
des rites funéraires, et à fournir à l'art, en peine de figurer le voyage pos-
thum-; d'un eldôlon vaporeux, des motifs traditionnels, parfois indéfiniment
reproduits" par le pinceau et le ciseau jusqu''à la fin de la civilisation païenne,
Dès que s''af f irma la foi en un séjour souterrain où se rassemblaient les
ombres détachées du cadavre et séparées du tombeau, naquit aussi l'idée d'un
périlleux voyage que le défunt devait accomplir pour gagner cette demeure
lointaine 1. On sait quelles prescriptions minutieuses contient en Egypte le
Lim\e des Morts, pour permettre à ceux-ci de se rendre en toute sûreté aux
Champs d'Aalou^, Ces textes écrits à l'intérieur des cercueils ou plus tard
1. La croyance à une longue route que doivent parcourir les défunts est commune
à beaucoup de peuples non-civilisés; cf. Dieterich, Mithrasliturgie^, 1943, p. 181 ss..
On la trouve dans le Nouveau comme dans l'Ancien Monde. Ainsi les Indiens Mojave
de Californie croient que les trépassés doivent trouver leur chemin à travers un laby-
rinthe compliqué à la recherche de giboyeux terrains de chasse, que seules les âmes
des justes peuvent atteindre, tandis que les méchants errent péniblement et intermina-
blement. Cf. John P. Harrington, Z^he mystic maze of the Mojave Indians (Publ. an
bureau d'ethnologie), Washington.
2. Livre des Morts : bibliographie dans Hastings, Enc, VIII, p. 96 ; Sethe, Die "Co-
tenliteratur der Aegypter {S.A.B., 1931, p. 520 ss.). Survivance en Abyssinie, bande-
lette avec formules pour trouver le chemin du ciel : Journal asiatique, 1928, p. 99-
CHAPITRE VI. ~ SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES 277
sur un rouleau de papyrus qui y était: déposé, étaient censés être lus par le
défunt. Ils devaient le garantir contre les danig'ers de la route hantée par*
des bêtes féroces, que représentent les vignettes de l'Illustration, et lui assurer
toutes les jouissances que l'Égyptien pouvait attendre d'une vie indéfiniment
prolongée.
Les lamelles d'or orphico-pythagoriciennes découvertes dans les tombeaux
du Midi de l'Italie, et qui datent du iv^ ou iiie siècle avant notre ère, nous
ont pareillement conservé des vers d"un guide des défunts dans l'au-delà.
Citons le plus caractéristique de ces morceaux ^ : « Tu trouveras à gauche de
la demeure de Pluton une source, et à côté d'elle se dresse un blanc cyprès.
Garde-toi bien d'approcher de cette source-là. Mais tu en trouveras ime autre
près du lac de Mémoire, d'où s'échappe une eau fraîche et devant elle sont
deux gardiens. Dis leur : « Je suis le Fils de la Terre et du Ciel étoile,
mais ma race est céleste et vous-mêmes le savez. Je suis altéré de soif et je
me meurs. Vite, donnez-moi l'eau fraîche qui coule du lac de Mémoire ».
Et eux-mêmes te donneront à boire de la source divine et désormais tu
régneias au milieu des autres héros. » Ces instructions qui accompagnaient le
membre de la secte dans sa tombe, — il les portait attachées au. cou comme
un phylactère — devaient T'empêcher de s'égarer sur la route des Champs
Élysées, et lui permettre d'accomplir exactement tous les actes nécessaires à son
salut. C'était une sorte de liturgie d'outre-tombe, qui devait assurer au myste
une immortalité glorieuse dans le royaume de Perséphone.
Les Étrusques avaient aussi des libri Acheruntici, des livres sur l'Achéron*,
qui étaient attribués au sage mythique Tagès et qui traitaient de la destinée
des morts. Ils faisaient connaître notamment par quels rites on pouvait trans-
former ces morts en dieux {di animahs). Leur titre même ô* Acheruntici,,
trahit une influence grecque, et l'on a des raisons de croire que l'enseignement
des Pythagoriciens n''était pas resté étranger à leur composition. Il n'est
guère douteux qu'ils s'occupaient du chemin que devaient parcourir les Mânes
pour parvenir aux demeures infernales. Les stèles^ les vases, les urnes ciné-
raires étrusques nous montrent fréquemment ce voyage vers l'Hadès ^. Selon
sa condition sociale^ le défunt se transporte à pied, à cheval ou en voiture,
I. Sur ces lamelles, cf. su-pra, ch. V, p. 248. Les vers traduits sont ceux de la tablette
de Petilia (Harrison-Murray, Prolegomena, Cambridge, 1903, p. 601 ss. ; IG, XIV,
038 ; Diels, l/orsokr., II, 66, n. 17 (113, p. 17^).
z. Libri Acheruntici ; cf. supra, en. I, pp. 9, 60, et 61.
3- Cf. De Ruyt, pp. 48-73 ; 144-153 ; 198 ss.
278 LUX PERPETUA
et celle-ci peut être, soit une modeste carriole, couverte d'une bâche ou abritée
sous un parasol, soit un char de combat, voire un quadrige où prennent place
des héros jugés dignes de T'apothéose *. Dans la plupart de ces représentations
funéraires,, rien n'indiquerait qu'il s'agit d'ime migration vers la ténébreuse
cité des ombres, si le voyageur n'était guidé par Charon, le bourreau qui
assomme les morts d"un coup de maillet^ ou escorté de démons hideux*, prêts
à le torturer^ ou si la présence d'une Furie, armée de sa torche vengeresse,
ne précisait le sens de la scène figurée.
Ainsi l'idée que les morts ont à cheminer longuement dans les profondeurs
de la terre avant d'atteindre le but mystérieux de leurs pérégrinations, était
admise depuis une époque très reculée en Italie comme en Grèce*. Comment
se représentait-on cette route ? La manière de se la figurer se rattache à tout
un ensemble de doctrines bien antérieures aux Romains. Des vers souvent
cités de la vieille poésie d'Hésiode* parlent déjà des deux routes de la vie,
dont l'une brève et plane, est celle du vice, et l'autre, celle de la vertu, est
d'abord un sentier abrupt et raboteuXj mais devient commode, dès qu'on
atteint la cime. Bien connue est l'application que, fit le sophiste Prodicos de
cette ancienne comparaison dans le mythe fameux d'Hercule au carrefour \
Deux femmes s'y présentent au héros adolescent : l'une cherche à l'attirer
sur le chemin des plaisirs décevants, l'autre réussit à l'engager sur celui des
labeurs austères, qui m'ènent à la vraie félicité. Cette même opposition, lieu
commun qui se transmet à travers toute la littérature gréco-latine^ inspira aux
Pythagoriciens le symbolisme de la lettre Yj formée d'Une haste verticale que
surmontent deux branches divergentes *. La haste figure la voie commune à
tous les hommes avant qu'à seize ans ils aient atteint l'âge de la raison et
de la responsabilité. Ils ont ensuite à choisir entre la branche de droite et
celle de gauche. La première, disent ces moralistes, escarpée et malaisée,
1. Char de bronze de Monteleone, cf. infra, p, 290.
2. Sur les démons qui accompagnent le mort, Ducati, Osservazionî sulla demonolo-
gia etrusca {Rendiconti Ace. Lîncei, 1915, p. 529)- Cf. Storia delV arte Etrusca, i()VJi
index, p. 578.
3. Chemin des morts dans les Enfers, cf. supra, ch. I, p. 68.
4. Hésiode, O. et D., 287 ss.
5. Xénophon, Mémor., II, i, 21 ; cf. Cicéron, De Offic, I, 32 ; Quîntilien, IX, 2, 3»
6 ; Maxime de Tyr, Diss., XX, p. 232 ss. ; Schol. Aristoph., Nub. 361 ; Justin Mar-
tyr, A-pol. II, II, etc.
6. Symbolisme pythagoricien del'Y. : Cf. Brinkmann, Rheinisches Muséum, igiijLXVI,
p. 618-625 ^* Symbol., p. 422 ss.
CHAPITRE VI. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES ï79
impose d'abord de dures fatigues (tuovoi)^ majs quand ceux qui la gravissent
parviennent au sommet, ils obtiennent un repos bien mérité. L'autre branche
au contraire est égale et douce, mais elle conduit à d'âpres rochers et aboutit
à un précipice, où roule le malheureux qui l'a suivie. Ce symbolisme de la
lettre Y fut populaire dans l'antiquité comme au moyen-âge i, et une preuve
curieuse de sa diffusion est venue récemment s'ajouter aux textes qui le
mentionnent. C'est un bas-relief^ datant du premier siècle de notre ère et
découvert à Philadelphie en Lydie, que nous avons déjà eu l'occasion de
décrire * Rappelons qu'il ornait la tombe d'un Pythagoricien et était divisé
en compartiments par des moulures, qui ont précisément la forme de l'Y. A
droite, on voit à la partie inférieure un enfant sous la garde d'une femme,
qui est désignée comme étant la Vertu ('ApeTY)); au-dessus, un laboureur con-
duisant sa charrue personnifie le travail ardu et persévérant de l'homme
vertueux ; plut haut encore, celui-ci est étendu sur une couche, comme le
sont les convives des « banquets funéraires » : il a obtenu la récom-
pense éternelle de ses peines. Du côté gauche, on aperçoit à la partie infé-
rieure une autre femme avec un adolescent, mais celle-ci est la Débauche
('Aa-œTEÎa); au-dessus d'elle, un personnage voluptueusement étendu sur un
lit, paraît caresser une compagne, mais à la partie supérieure il était,
la tête en. , bas, précipité dans un gouffre, juste châtiment de sa mollesse..
Ces scènes naïves décoraient^ nous le disions, ime sépulture. De bonn'e
heure Ict symbolisme de l'Y fut appliqué par les ^pythagoriciens au destin des
trépassés et ils transportèrent dans l'Hadès les routes qui représentaient le
cours d'une vie morale ou immorale. Des récits de Descentes aux Enfers
décrivaient d'une manière analogue le voyage des ombres, et c'est ainsi que
se le figure encore Virgile dans lei sixième livre de l'Énérde ^, Ces ombres
suivent d'abord une voie commune, et dans ce premier séjour sont rassemblées
celles dont le sort n'a pas encore été fixé, comme sur la terre les enfants
ne sont point séparés durant l'âge incertain, où ils n'ont point opté pour la
vertu ou pour le vice^. Au carrefour des Enfers (TpioSoç)^ siègent les juges
1. Pascal, I, p. 115.
2. Publié par J. Keil et A. von Premerstein {Ersle) Reîse in Lydien (dans Denkschr.
Akad. Wien, 1910, LUI, p. 34, n. ^^^ fig. 28) ; reproduit par Brinkmann, l. c. et Sym-
bol., pi. XLin, 3. Nous l'avons mentionné plus haut, ch. III, p. 153.
3. Sur cette division des Enfers, cf. Dieterich, Jslekyia, p, 191 ss. et sufra, ch. I, p. 68.
4. Cf. infra, ch. VII, p. 321.
S- Platon, Gorgias, 524 a; cf. Proclus, /;? Remp., I, p. 85 et II, p. ^132 ss., Kroli ;
Olympiod., In Phaed., p. 192, 21, Norvin.
28o LUX PERPETUA
des âmes. Ils envoient à droite celles qui par leurs miérites se sont rendues
dignes de pénétrer dans les Champs Elysées, ils chassent sur le chemin de
gauche les mécha;nts qui doivent être plongés dans le Tartare, car dans l'un et
l'autre monde^ pour les Pythagoriciens «.droite » est synonyme de bon et
«I gauche » de mauvais. Platon a exécuté des variations sur ce thème qu'il leur
emprunte 1, et ce sont eux encore qui ont transmis à Virgile ce motif tradi-
tionnel 2.
La conception originelle fut nécessairement modifiée lorsque le but assigné
au voyage des âmes pieuses ne fut plus localisé dans les Enfers, mais dans les
ciéux. Dès lors on ne prit plus au sens littéral les récits des anciens, mais
on leur donna une portée allégorique^ qui permît de les accorder avec les
nouvelles croyances. Le terme auquel aboutit la voie des bienheureux n'est
plus situé désormais dans les entrailles de la\ terre, mais auprès des dieux
célestes, et le chemin des pécheurs peut, après une période d'expiation, ramener
vers la terre par de longs détours les âmes impures qui accomplissent le
cycle de leurs pérégrinations et doivent se réincarner dans de nouveaux
corps. Un passage des Tnsculfines, qui s'inspire du Phfdon, est instructif
pour la transformation subie par les anciennes croyances : « Il y a deux
routes^ dit Cicéron, deux courses des âmes qui sortent des corps, car celles
qui sont co'ntaminées par les vices des hommes et se sont abandonnées aux
passions suivent un chemin détourné qui les exclut de l'assemblée des dieux.
Mais pour celles qui au contraire ont conservé leur innocence et leur pureté,
et qui dans un corps humain oïit imité la vie divine^ s-'^ouvre un accès aisé
auprès de ceux-ci^ afin qu'elles retournent là d'où elles sont parties » '*.
On prétendit même fixer avec précision l'itinéraire que les esprits des
morts devaient suivre pour gagner la cime du monde. La Voie lactée*, pri-
mitivement regardée comme la chaussée pavée d'étoiles par laquelle les
dieux montaient au palais de Zeus, devint le chemin qui conduisait les héros
défunts de le terre au zénith. Héraclide Pon tique paraît avoir le premier
1. Plat., Re-publ. 614 c ; cf. AristxDte, fr. 195 (p. 13 13 a 24). Deux ou trois routes des
ombres, cf. Rohde, Psyché, II, p. 220 = tr. fr., p. 444, n. 3 ; Ch. Picard, R. A., 1940,
XVI, p. 59 et 1945, XXIII, p. 154 ; Symbol., p. 427, fig. 85.
2. Virg., En., VI, 540 ss. ; avec les notes de Norden. Sur Virgile, c£. swpra, p. 68.
3. Cic, 'Cusc, I, 30, 72, cf. Consolatio, fr. 6 = Lactanoe, Inst., III, 19, 6 ; et Platon,
Phédon, 80.
4. Gundel, R. E., s. v. raXa^!aç (t. VII, p. 563 ss.). Voie lactée, séjour des morts : ci-
supra, ch. III, p. 174 ; Relig. or., p. 301, n. 28; Mages hell., I, p. 81 ss.; Boyancé, Songe,
p. 133 ss.
CHAPITRE' VI. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES 281
soutenu que les âmes parvenaient par cette route à la haute demeure des
bienheureux ^, et il en accrédita si bien l'opinion qu'elle se maintint jusqu'à
l'époque chrétienne. Paulin de Noie croit encore qu'Élie sur son char et
Hénoch, enlevé vivant, ont utilisé cette piste pour atteindre le Paradis "\ D'autres
mythographes pensèrent que le Styx, dont les méandres représentaient les
sphères célestes^ faisait communiquer notre bas mande avec Fempyrée ^
Sénèque parodie ces étranges imaginations dans sa satire sur l'apothéose de
Claude, et il assure que les empereurs se rendent chez les dieux en suivant
la Voie Appienne *. 1
Après avoir été populaire dans la société antique ^, l'image des deux chemins
dpposés du bien et du mal devait se transmettre aux écrivaiins ecclésiastiques.
Ils la reçurent du judaïsme hellénisé ", qui lui-même l'avait empruntée aux
moralistes païens. Elle apparaît dans les plus anciennes œuvrps de la litté-
rature chrétienne, la DMachè des Apôtres et VÊpître de Barnabe. La voie
du bien devient pour eux celle de la vie ou de la lumière, la route du mal,
celle de la mort ou des ténèbres. A l'une sont préposés des anges resplen-
dissants de Dieu, sur l'autre régnent les démons de Satan '. Les auteurs pos-
térieurs usent souvent de ces métaphores introduites dans le langage de
l'Eglise ^ Lactance en rapproche avec raisom l'Y pythagoricien^ qui est à
rorigine de. tout le symbolisme sub^^équent **.
Quand la croyance à xip voyage aux Enfers souterrains se fut aihsi trans-
formée en l'idée d'une traversée vers le ciel, comment s'expliqua-t-on que les
morts eussent le pouvoir de gagner la zone supérieure du monde ? Pour s'y
transférer ou y être transportés, à quel moyen eurent-ils recours ? Nous l'avons
vu (p. 277), selon les Étrusques on pouvait effectuer la longue course
vers l'Hadès souterrain à pifed, à cheval ou en voiture. Pour l'ascensiion vers
1. Cf. Bidez, Eôs, p. 54 ss.
2. Paulin de Noie, V, 37 ss.
3. Norden, p. vj. Cf. Plut., He deo Socr.,'2Z, p. 591 a-c ; Favonius Eulogius, p. 14, 5,
Holder.
4. Sénèque, A-pocol., I, 2.
5. Festugière, Idéal religieux des Grecs, 1932, p. 81, n. 9 ; Symbol., p. 424, n. i.
6. Noter Sap. Sirach (= Eccli.), 21, 11.
7' Cf. Symbol., p. 424.
8. Constit. Apost., VII, 2, avec les notes de Funck ; Prudence, Cathem., X, go ;
C. E. 1434 ; Courcelles, R. E. A., 1944, XL VI, p. 66ss.. Nombreux textes chrétiens avec
leur filiation -, C. Taylor, Journal of Philology, 1893, XXI, p. 243 ss.
9. Lactance, Inst., VI, 3, 4 ; Epit.^ 59.
282 , LUX PERPETUA
les espaces célestes^ on admit les mêmes modes de locomotion, en y ajoutant
Cincore la navigation et Taviati'bn.
Echelle. — Les anciens Êgyptïe;ps croyaient le firmament si proche deis
montagnes de notre monde, que des cimes terrestres il était possible d'y monter
à l'aide d'une échelle. Les textes des pyramides montrent les dieux aidant le
roi défunt à gravir les derniers échelons^ lorsqu'il . tentait l'escalade de leur
demeure sublime ^ Des idées pareilles se retrouvent ailleurs, aussi bien en
Chine qu'en Europe 2. Un prêtre-roi d'une peuplade Thrace, raconte un his-
torien, fit attacher l'une à l'autre de grandes échelles de bois pour aller se
plaindre à Héra du désordre de ses sujets 3. Quoique l'astronomie eût, à l'époque
romaine, relégué les étoiles à une distance incommensurable dans l'espace,
l'échelle survivait comme amulette ou comme symbole. Bien des gens conti-
nuaient à placer dans les tombeaux de petites échelles de bronze, qui rappei-
laient encore la foi naïve d'un âge d'ignorance. Ce moyen d'atteindre les
espaces supérieurs a été mis à la disposition du mort dans maint tombeau de
la frontière du Rhin*. Dans les mystères de Mithra, une échelle formée de
sept métaux différents, surmontée d'un huitième degré, était l'emblème de
l'ascension de l'âme à travers les sphères des planètes jusqu'à celle des étoiles
fixes, chacun de ces métaux étant mis en rapport avec un des astres errants &.
Philon d'Alexandrie et après lui Origène interprètent de même l'échelle que
Jacob aperçut en songe, comme étant l'atmosphère à travers laquelle montent
et descendent les âmes libérées de leurs corps ®, et le rêve biblique du patriarche
assura une longue persistance à la fonction eschatologique prêtée à un modeste
appareil domestique. D'après ce document insigne que sont les Actes de sainte
Perpétue, la première vision de la prisonnière fut celle d'une longue échelle
atteignant le ciel. Elle était garnie de glaives tranchants et gardée par un
dragon, qui empêchait la foule des âmes de l'approcher. La sainte y monte
et se trouve au sommet dans le jardin immense du paradis, où elle voit un
I. Breasted, Religion in ancient Egypte, 11912, p. 112 ss., 156 ss.
a. Cf. Nock, T. H. S., 1925, XLV, p. 94, n. 103 ; et surtout Erdsman, Le baptême
par le jeu, Upsaï, 1940, pp. 31 ss., 41 ss.
3. Polyaen., VII, 22.
4. M. M. M., II, mon. 223 bis, fig. 492; cf. R. A., 1917, V, p. loa ; Wuilleumier,
R. A., 1932, I, p. 52 ss. 5 et "Carente, 1939, p. 544, pi. XLV.
5. M. M. M., I, p. 118 ss., cf. supra, p. 272 ; R. H. Rel., 1931, CIII, p. 52 ss.. Echelle
dans le mandéisme : Symbol., p. 108, n. 3.
6. Gn. 28, 12, Philon, De somniis, I, 22 ; Origène, Contra Celsum, VI, 21.
CHAPITRE VI. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES 283
pasteur chenu trayant ses brebis pour des milliers d'Élus vêtus de blanc'. Le
symbolisme du moyen âge continua à regarder l'échelle comme une garantie
du salut qui conduira les justes au ciel, et l'art byzantin représenta cette échelle
allégorique avec un curieux réalisme ^. Le moine Jean Climaque, qui vivait au
VP siècle, doit son nom à im ouvrage où, s'inspirant du songe de Jacob, il
traite des trente échelons, vices à fuir, vertus à pratiquer, par lesquels le
chrétien peut parvenir au séjour des Élus, et les riianuscrits illustrés de cet écrit
ascétique nous montrent les moines grimpant à l'échelle mystique : un ange
tenant la couronne de gloire accueille ceux qui parviennent au sommet, tandis
que d'autres, arrachés à mi-hauteur par des démons ailés, sont précipités dans
la gueule ouverte d'un dragon, qui représente l'Enfer '. D'autre part, dès l'an-
tiquité cet emblème de salvation fut adopté comme phylactère par la magie,
qui le conserva à travers les siècles * et aujourd'hui encore une petite échelle
se vend à Naplès comme amulette contre la jettatura, le mauvais œil.
Barque. — La croyance que les trépassés voguent à travers la mer vers une
terre reculée où ils vivront désormais, est commune à beaucoup de peuples dans
les cinq parties du monde s. En Babylonie, pour aider les morts à accomplir
leur longue course vers l'Occident, où le soleil se couche, afin de pénétrer avec
lui dans les régions infernales, on leur donne une barque, des mets, des boissons,
un vêtement, des sandales ®. Il n'est pas surprenant qu'en Egypte où la plupart
des transports • se faisaient par la voie fluviale, on se soit imaginé que même
le dernier voyage s'effectuait en bateau. Les défunts parvenaient à la demeure
des dieux dans la harque de Râ, de même que les divinités traversaient les
espaces célestes montées sur un navire. C'est pourquoi de petites nacelles ou
même parfois de vrais vaisseaux ont été déposés dans les sépultures ou con-
sacrés dans les temples de la vieille terre des Pharaons'. Cette antique doctrine
I. Pio Franchi, La -passio Perfet. et Felic, 1896, p. iio. Echelle à l'époque chrétienne;
cf. Cabrol, s. v. « Echelle du ciel ».
a. Perdrizet, La Vierge de miséricorde, Paris, 1908, p. 208 ss.
3. Charles Morey, East-christian faintings in the Freer collection, New- York, 1914,
t>. 17 ss.
4. Disques de Tarentc et de Brindisi. Cf. supra, p. 282, note 4.
5- Hastings Enc, s. v. « Ships » ; Van Gennep, I, p. 797. Cf. Capelle, Elysium und
Insein der Seligen {A. Relgw., 1928, XXV), p. 245 ss.. Vaisseau sur un sarcophage de
Sidon : Contenau, Syria, 1920, I, p. 35 ss.. M. Fernand Benoît a rassemblé une abon-
dante documentation sur les barques représentées sur les monuments funéraires dans
les Mémoires de l'Institut d'histoire provençale, 1946, XXI, pp. 59-75.
6. Thureau-Dangin, Revue d'assyriol., 1921, XVIII, p. 184 ss.
7- Erman, Aegypt. Religion, p. 93 ss., p. 130 ; Paribeni, Monumenti antichi dei Lin'
cet, 1906, XIX, p. 24 ss.
a84 LUX PERPETUA
eschatologique ne paraît pas avoir passé dans les mystères d'Isis en Occident,
mais en Orient elle se conserva dans le manichéisme. La lune était pour lui
un bateau qui, tous les mois, se chargeait d'âmes lumineuses qu'elle transbor-
dait ensuite sur le grand navire du soleil'. En Grèce, la conception des îles
des Bienheureux situées par delà l'Océan, aux confins de la terre, où étaient
transportés des mortels favorisés des dieux pour mener une existence exempte
de soucis et de labeurs, est antérieure à la colonisation des Hellènes. Elle
appartient à l'époque minoënne^, et le célèbre sarcophage d'Haghia Triada,
peint pour un mort divinisé par une apothéose, nous montre un sacrificateur
offrant l'esquif à l'aide duquel s'opère le passage vers la terre marine des
héros ^ Née ou développée en Crète sous l'influence de l'Egypte, adoptée par
les Grecs, introduite dans l'Odyssée, cette idée ne devait plus être effacée du
credo de la religion hellénique : que les morts dussent naviguer vers les îles
Fortunées, ou passer simplement l'étang de l'Achéron, c'était toujours une
barque * qui les transportait. Grâce à ces croyances la coutume se vulgarisa
chez divers peuples de placer près du corps, dans la sépulture, des canots que
les fouilleurs y ont découverts en maint pays du bassin de la Méditerranée et
notamment en Italie ^.
Ce mode de locomotion posthume, admis depuis les âges les plus reculés,
ne disparut pas; de l'imagination des croyants lorsque le séjour des Élus fut
transféré au ciel et que les Pythagoriciens voulurent reconnaître dans le soleil
et la lune les îles des Bienheureux baignées par les flots de l'éther ". Des bar-
quettes sont toujours enfermées dans les tombeaux ou représentées par la
sculpture funéraire ; l'on voit des Erôs, figuration connue de l'âme héroïsée
conduisant des nacelles '. Mais la traversée que les âmes doivent accomplir
dans la barque du salut est désormais celle de l'atmosphère, et c'est dans
les cieux qu'elles atteindront le port où elles trouveront un mouillage tran-
I. Cf. Symbol., p. 179, n. 2 et supra, ch. III, p. 173 ; Pelliot tt Chavannes, 'Cexte mani-
chéen retrouvé en Chine, Paris, 1912, p. 35.
a. Nilssotij Griech. Rel., 1, p. 302 ss. ; TZhe minoan-mycenian religion, p. 544 ss.
3. Paribeni et von Dului, A. Relgw., 1909, XII, p. 178. Cf. Nilsson, /. c.
4. Bruao Leer, Philologus, 1903, LXII, p. 567 ; Usener, Sintflutsagen, 1899, p. 214
ss.. Cf. Platon, Phédon, 113 d.
5. Usener, of. cit., p. 218; Paribeni, /. c, p. 126; cf. Macchiono, p. 69 [61] ss..
Pagenstecher, Votenschiffe in a-pulischen Grâhern (Symbolae in honorem J. De Petra),
Naples, 191 1, p. 62 ss.. Chez les Celtes, cf. H. Hubert, Les Celtes, t. II, p. 298.
6. Cf. Symbol., p. 183, n. 2 et swpra, p. 146, n. 5.
7. Macchioro, p. 49, note 195.
CHAPITRE VI. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES
28 s
quille '. Une des particularités de l'art funéraire des Romains conforme
à leur esprit concret, est qu'il use de représentations empruntées à la réalité
pour exprimer des idées allégoriques '^. C'est ainsi qu'un sarcophage d'Ostie
D
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STERBMEVI
Fig. 6. — Barque portant une morte bienheureuse (Itala felix).
qui représente le port de Trajan avec son télèbre phare, paraît devoir s'appli-
quer à la navigation des âmes, qui, après avoir été ballotées sur les flots de
1. Symbol., p. 169 auquel est empruntée notre fig. 6. Les textes qui expriment cette
idée abondent ; cf. p. ex. le papyrus de Favorin, rispî cpuY-îj;, col. 25, 1. 20 ; Hermès
Trism., VII, i ; Sénèque, Consol. ad Polyb., VII, 6. Cf. supra, p. 169.
2. Cf. Symbol.^ pp. 348 ss., 460.
a86 LUX PERPETUA
l'atmosphère, parviennent jusqu'au havre céleste où elles trouveront la quiétude
et le délassement *.
Cette barque qui se transmet ainsi dans l'eschatologie païenne jusqu'à la
fin de l'Empire, continua durant l'époque chrétienne d'être le symbole d'une
heureuse navigation vers le rivage lumineux d'un Paradis lointain ^. Pour
Dante le Purgatoire est encore une haute montagne qui forme ime île dans
l'Océan austral, et où les âmes sont transportées par un ange dans tme barque.
Les sculpteurs des sarcophages ont fréquemment représenté la traversée
vers les îles Fortunées, mais ils ont préféré un autre symbolisme ^ Ils ont
figuré des Néréides voguant sur la croupe d'hippocampes ou d'autres monstres
marins, tandis que les Vents, qui favorisent leur périlleuse entreprise, enflent
autour d'elles leurs draperies comme des voiles gonflées par la brise *.
On peut chercher une expression abrégée du même symbolisme dans les
images de dauphins, si souvent reproduites sur les monuments funéraires.
Cétacés bienfaisants qui avaient sauvé Arion, Taras et d'autres héros mytho-
logiques et qu'on voyait s'ébattre joyeusement sur une mer paisible les jours
de borace, ils peuvent être devenus les emblèmes d'une navigation propice
vers le pays des morts ', même si ces sauveurs aquatiques n'ont pas transporté
sur leur dos les défunts dans l'autre monde ®,
Cheval. — L'art funéraire des Étrusques, nous l'avons vu (p. 277), figure
souvent un cavalier d'outre-tombe sur la route conduisant aux Enfers. Des
croyances qui remontent à l'âge préhistorique et se sont perpétuées jusque
dans le folklore de mainte population moderne, établissent une relation mys-
1. Guido Calza, La necrofoU del Porto, p. 203, fîg., 107, p. i6g. Cf. Am. ]. A.,
1944, XL VIII, p. 214.
2. Piper, Mythol. der christl. Kunst, I, p. 218 ss. ; Cabrol, Dict., s. v. « Lampes »,
t. VIII, p. 1212 ; Campbell Bomier, Xlhe shif of the soûl (dans les Proceedings of the
amer, -phîloso-phical Society, 1941, LXXXV, pp. 84-91. Cf. Am. J. A., 1942, XLVI, p. 269.
3. Symbol., p. 166, p. 306 ss.. Ch. Picard, R. H. Rel., 1931, CIII, p. i ss.
4. Rumpf, Die antiken Sarko-phagreliefs, V, i, Berlin, 1939 {Die Meerwesen) refuse
d'admettre cette interprétation symbolique des Néréides pour en revenir à l'id-ée d'un
motif purement décoratif (p. 31 ss.), mais ses arguments ne m'ont pas convaincu. Cf.
aussi Nock, Am. J. A., 1946, p. 167 ss. — Sur les Iles des bienheureux, cf. à propos du
poète Philiscos, Wilamowitz S. A. B., 1912, p. 547.
5 . Raoul Rochette, Deuxième mémoire Acad. Inscrift., t. XIII, p. 230 ; Cabrol, Dict.,
s. V. « Dauphin » ; Ch. Picard, Bull. soc. arch. Alexandrie, 1938, p. 17 ss.
6. Comme le voulait Usener, of. cit. [p. 284, n. 4], p. 138 ss. ; mais cf. Pfister, Reli-
quiencult {Rel. F., und V), p. 217.
CHAPITRE VI. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES 287
tique entre le cheval- et la Mort ou les morts *. Elles appartenaient probable-
ment aux Aryens lorsqu'ils introduisirent le cheval, domestiqué par eux, dans
les pays qu'ils conquirent ; et sous l'Empire' Artémidore enseigne encore que
si un malade aperçoit l'animal en songe, il succombera 3. L'origine de cette
association doit, ce semble, être cherchée dans la coutume d'enterrer ou de
brûler des chevaux et des chiens avec leur maître, afin que celui-ci prenne
plaisir à retrouver dans une autre vie ces fidèles compagnons de ses courses*.
On se souviendra du sacrifice de ces animaux aux funérailles de Patrocle ^.
Ces croyances archaïques eurent une persistance si durable qu'elles n'avaient
pas disparu sous les Césars. L'orateur Régulus, raconte Pline, fit immoler près
du bûcher de son • jeune fils ses poneys, ses oiseaux, ses toutous afin de
distraire encore l'enfant dans les Enfers *. Lucien atteste la fréquence de
cette pratique et en connaît encore la signification originelle''. L'usage a persisté
jusqu'à nos jours de faire suivre le cercueil d'un chef d'armée par son cheval
qui, originairement, était égorgé sur son tombeau.
Cette monture., que la mort même ne doit pas séparer de celui qui l'a pos-
sédée, peut avant tout lui rendre le service de le transporter jusqu'au monde
inférieur. En Grèce, on a retrouvé dans les sépultures, à côté de chaussures,
destinées à servir aux piétons, des chevaux de terre cuite, qui devaient faciliter
aux cavaliers leur • pénible voyage au pays d'où nul ne revient '. Leur desti-
nation est analogue à celle des nacelles mortuaires mises au jour ailleurs. Dans
une tombe de Pergame, l'on a même pris soin de 'déposer les éperons à côté
du cheval '.
Mais comment continuer à ajouter foi à une chevauchée posthume, si les
1. L. Malten, Das Pferd im Votenglauben (J. A. I., 1914, XXIX, pp. 179-255) ; Ducati,
Osserv. suîla demonologia etrusca {Rendic. Ac. Lincei), 1915, p. 515 s.. Comparaison du
mort avec un cheval rapide, encore dans un oracle d'Apollonius chez Philostrate, V. A.,
VIII, 31. _ N. C. XXL
2. Schrader-Nehring, I, s. v. « Bestatungs Beigaben » ; cf. supra, ch. I, p. 30; infra, N. C. II.
3. Artémidore, I, 56.
4. Symbol., p. 439 ss., cf. Frazer, Adonis, Attis, Osiris, p. 246 ss.
5- 11. XXIII, 170 ; Rohde, tr. fr., p. 12 ss.. Même coutume chez les Scythes, Héro-
dote, IV, 71 ss. ; cf. Minns, Scythians and Greeks, 1913, pp. 87 ss. ; 165 ss. ; 222 ss.
6 Pline, Efist., IV, 2, 23 ; cf. Saglio-Pottier, s. v. « Venatio », p. 688 ; Symbol.,
PP- 405, 439-
7- Lucien, De luctu, 14 ; cf. Cataplus, 21 ; C. E., 218 [Lethen incolis) ; Galletier,
P- 330 ss.
8. Malten, /. c, p. 222, n. i j Samter, Geburt, Hochzeit und 'Cod, p. .206, n. 5.
9- Jaoobsthal, Athen. Mitt., 1908, XXXIII, p. 435 ; cf. Wolters, J. A. I., 1899, XIV,
P- nS ss. 5 Maltea, l. c, p. aa8.
288 LUX PERPETUA
âmes doivent s'élever dans les airs ? Pour que l'équitation puisse conduire au
ciel, il faut que le coursier soit pourvu de robustes ailes. Dès le me siècle
avant notre ère, un Pégase funéraire, — nous lui conservons ce nom, bien
que ce monstre n'ait probablement rien de commun avec la légende de Bellé-
rophon — apparaît, prenant son essor, sur la panse d'une hydrie cinéraire
d'Alexandrie \ A l'époque romaine, le même Pégase continue à emporter
les trépassés, égalés aux dieux et qui ont mérité de gagner le ciel. Le grand
camée de Paris, dit de l'apothéose d'Auguste, nous montre un prince de la
maison impériale, Germanicus ou Marcellus, enlevé par un cheval ailé ^. Une
représentation semblable se voit sur une monnaie qui commémore la divini-
sation d'une princesse, sans doute celle de Faustine l Sur xm bas-relief
découvert à Cortospitum en Angleterre, le même destrier, pourvu de larges
ailes, est monté par un personnage — probablement un empereur — vêtu du
pahudamentum et la tête ceinte d'une couronne radiée, tandis qu'à gauche
et à droite se tiennent les Dioscures, emblèmes bien connus des deux hémis-
phères célestes *. Il n'est donc pas douteux que Pégase fût regardé comme
le psychopompe agile, qui, dans un vol audacieux, soulevait jusqu'à la hauteur
des voûtes étoilées les mortels privilégiés qui avaient obtenu d'y résider à
jamais. La mythologie consacrait Pégase au soleil et c'était vers cet astre qu'il
ramenait les âmes auxquelles celui-ci avait donné la vie et qu'il rappelait à lui ^
C'est pourquoi ce Pégase sauveur a été représenté seul, même sans cavalier^
comme un symbole d'immortalité. Il en est déjà ainsi sur l'hydrie d'Alexandrie.
A Rome, dans l'hypogée des Nasoni^, un Pégase occupe un médaillon dessiné
au sommer de la voûte, à la place la plus appropriée aux images symboliques,
rappelant l'ascension vers les cieux '.
Dans une des tombes de la voie Latine, un médaillon de stuc décore de
même le centre de la voûte ; mais la place de Pégase y est prise par un autre
I. 'Pégase et l'apothéose dans Bull. soc. archéol. Alexandrie, 1924, XX, p. 193. Sarc
avec cheval ailé : Notizie Scavi, 1886, p. 24 = CIL, VI, 2015a.
a. Babelon, Camées de la Bibl. Nat., 1897, P^- XXVIII, p. 122. Furtwângler, Ântike
Gemmen, pi. 60.
3. Cohen, 112, p. 39^^ n° 1185.
4. Haverfield, Archaeol. Aeliana, 1909, p. 7; cf. nos Et. syr., p. 92, fig. 41.
5. Et. syr., p. 94 ss.. Cf. supra, ch. III, p. 180. — Infra, N. C. XXI.
6. Bartoli (éd. de 1706), pi. 2 ; Montfaucon, Ant. expL, Y, p. 52, pi. 7. Cf. Mi-
chaelis, J. A. I., 1910, XXV, p. 108, Beil. 2. Rapprocher la légende musulmane de l'as-
cension de Mahomet emporté par Borak : Blochet, R. H. Rel., 1899, XL, pp. 203 ss.
7. Symbol., p. 97, n. 2 ; C.-R. Acad. Inscr., 1945, p. 394, n. 6.
CHAPITRE VI. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES 289
animai fabuleux ^ : un griffon porte sur sa croupe robuste une figure voilée,
enveloppée de longs vêtements, qui représente l'ombre du défunt *. Ce monstre,
d'origine orientale, était devenu l'animal sacré d'Apollon, et il a pu être subs-
titué à Pégase parce qu'il appartenait, comme lui, au dieu solaire'. Mais ce
n'est peut-être là qu'une interprétation tardive, car une relation était établie
dès l'époque minoënne eiitre le griffon et la mort, et le célèbre sarcophage
d'Haghia Triada figure l'apothéose d'un héros emporté sur un char traîné
par deux griffons ailés, tandis que vole au-dessus de ce bige un oiseau, qui
est sûrement, dans cette composition, un symbole de l'âme*,
Chur. — L'idée d'un trajet accompli dans un véhicule a évolué parallèlement
à celle de la chevauchée. Comme on enterrait ou incinérait avec un puissant
seigneur son cheval de chasse ou de bataille, on avait coutume, fort ancienne-
ment, d'inhumer à côté de lui son char de guerre ou d'apparat. Cet usage
remonte à la préhistoire et il était déjà pratiqué notamment par les Celtes de
l'époque de la Tène^. La croyance primitive était pareillement que ce char
pouvait être utilisé par son possesseur dans tme autre vie et elle s'est transmise
jusqu'à Virgile avec une curieuse fidélité \ Enée voit paître dans les Champs-
Elysées les attelages dételés de chars fantômes, car, note le poète, les héros
continuent à s'adonner dans le sein de la terre au plaisir captivant qu'ils ont
goûté de leur vivant. Si au temps de Pisistrate, lorsque mourut Cimon fils de
Miltiade, trois fois vainqueur aux jeux olympiques avec le même quadrige,
on enterra ses quatre juments en face de son tombeau au bord d'une route
d'Athènes, ce fut manifestement pour lui permettre de satisfaire encore dans
l'autre monde sa passion sportive ^ .
Mais tout d'abord ce même char, ainsi que le cheval, devaient conduire
le défunt jusqu'au royaume de Pluton\ De nobles personnages habitués à
rouler carrosse, ne pouvaient déchoir en faisant ce long trajet en un plus
modeste appareil. L'interprétation des représentations sépidcrales qui y voit un
I. Petersen, Ann. Istit., 1860, p. 348 ss. ; Monutn., VI, pi. 43-44 5 cf. Altmann,
P- 225 ss. ; nos Et. syr., p. 94, fig. 42.
a. Ombre voilée : Symbol., p. 102 ; p. 322, n. 3 ; De Ruyt, p. 19, n° 42.
3. Et. syr., l. c.
4. Paribeni, Monum. antichi Ace. Lincei, 1903, XIX, p. 59 j cf. Et. syr., p. 95, n. 2.
5. A. Grenier, Les Gaulois, 1945, p. 86 ; cf., p. 84.
6. Virg., En., VI, 656 : « Quae gratia currum / armorumque fuit vivis, quae cura
nitentes / pascere equos eadem sequitur tellure repostos ».
7- Hérodote, VII, 103.
8. Cf. Benndorf, Das Herdon von Giôlbaschi, Vienne, 1899, p- 31. i |
«9
290 LUX PERPETUA
voyage vers l'Hadès, est certaine pour les monuments Étrusques, où le véhicule
qui transporte le mort est accompagné de démons infernaux*. Les cippes
romains, fréquents dans la haute Italie, qui reproduisent le vieux motif étrusque,
n'ont point d'autre signification*. De même, lorsqu'on place dans les tombes
près du cadavre des réductions de chars en terre cuite, c'est certainement dans
l'intention de faciliter ainsi au défunt ses courses posthumes ', comme lorsqu'on
y dépose une petite barque on entend lui procurer une traversée rapide.
^Toutefois aux antiques croyances qui s'attachaient à un rite ancestral
s'étaient mêlées, en certaines régions, des idées mystiques encore mal élucidées.
L'exploration archéologique des tumulus a prouvé que l'inhumation de chars
a continué d'être pratiquée jusqu'à l'époque impériale, non seulement chez
les Thraces des Balkans et les Illyriens de Pannonie, mais parmi les popu-
lations indigènes de Germanie et de Belgique. Or M. Alfôldi a reconnu que
ces chars funéraires étaient décorés d'une profusion d'emblèmes dionysiaques,
et il a pensé, non sans raison, que ces symboles faisaient allusion aux joies
d'outre-tombe dont les mystères bachiques donnaient l'espoir aux initiés *j
Il est difficile de préciser le motif de la connexion établie entre les baccha-
nales et le bige ou le quadrige qu'on enterrait. Peut-être l'expédition triom-
phale de Dionysos dans l'Inde, où il avait conquis un pays merveilleux",
a-t-elle été mise en relation avec le voyage que les mystes, vainqueurs de la
mort, accomplissaient vers le séjour des Bienheureux.
On sera frappé de ce fait que les chevaux attelés à ces véhicules funéraires,
sont souvent ailés®. Déjà à l'époque minoënne, les griffons d'Haghia Triada
l'étaient pareillement'. Il en est de même au vi^ siècle de l'attelage figuré
sur le beau char de bronze de Monteleone en Ombrie, exécuté pour quelque
seigneur étrusque par un artiste ionien ou un indigène ayant été à l'école
des Grecs *. La même particularité se retrouve sur les stèles funéraires étrus-
1. De Ruyt, p. 129 ss. ; cf. Macchioro, p. 67 [59], n. 331 j Malten, /. c, p. 231, n. i.
2. Macchioro, /. c. ; Schrôder, Bonner Jahrbûcher, 1902, CVIII, p. 69 ; Et. syr.,p. 102,
n. 3. De même à Chypre : Perrot-Chipier, tome III, p. 620, fig. p. 410 ss,. Dans les
Balkans : Kazarov, Oesterr. Jahresb., 1930, XXVI (stèle de Mesembria). Tombe de
Kazanlik en Thrace avec représentation d'un quadrige : Am. ]. A., i945> XLIX, p. 402 ss.
3. Macchioro, p. 68 [60], note 336.
4. Alfôldi, A. C, 1939, VIII, p. 347 ss.
5. R. E., s. V. « Dionysos », col. 1039.
6. Et. syr., p. 92, n. 5. Cf. le « char ailé » de Zeus dans le mythe du Phèdre,
246 b.
7. Cf. supra, p. 289.
8. Furtwângler, Kleine Schriften, II, p. 314 ss., pi. XXX ss. ; Strong, 'Afotheosis,
CHAPITRE VI. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES 391
ques, spécialement sur les pierres tombales de Felsina'. Elle se reproduit
encore sur les plaques en terre cuite de Locres dans la Grande Grèce, qui
paraissent figurer l'enlèvement d'une femme par un démon de l'Hadès^, motif
inspiré par la. représentation fréquente du rapt de Proserpine par Pluton ;
c'est ainsi que dans la Catacombe de Sabazius à Rome se voit une simple
mortelle ravie par le dieu chthonien'. Enfin l'attelage ailé réapparaît encore
sur le plus ancien monument romain de l'apothéose d'un divus^.
L'on a expliqué les ailes dont sont munis ces animaux mythiques, ainsi repro-
duits à travers les siècles par l'art funéraire, comme symbolisant la rapidité
de leur course 6, et il se peut que parfois on leur ait donné ce sens terre à
terre. Mais dès l'époque préhellénique il est probable que l'artiste a voulu
exprimer ainsi l'idée d'une apothéose qui devait élever jusqu'au séjour des dieux
célestes un mort divinisé \ L'intention de figurer le transfert du défunt au ciel
apparaît clairement sur ime stèle de Felsina où Phosphores, l'étoile qui précède
le lever du soleil, indique à l'aurige la direction à suivre'', et aussi sur \me
ume cinéraire de Volterra où, sous les pieds des chevaux lancés au galop, est
couché un monstre marin ^, motif souvent reproduit pour indiquer que le char
porte ses occupants par-dessus l'océan loin de notre terre 9.
Lorsqu'une immortalité céleste devint le sort de tous les justes, cette inter-
prétation resta nécessairement seule admise ; et de même que Pégase fut regardé
comme un cheval solaire (p. 288), le char des morts fut identifié avec le
quadrige d'Hélios. L'idée que l'aurige divin conduit un attelage à travers les
champs . du ciel existait depuis une époque très reculée en Babylonie et en
Syrie, aussi bien qu'en Perse et en Grèce et elle est sans doute le développe-
p. 147 et pi. XV; Ducati, Renâic. Accaâ. Lînceî, 1915, p. 518 ss. ; Storia del arte
etrusca, 1927, p. 278 ss. ; ReinacH, R. R., II, p. 206, 1-8.
1. Ducati, Le -piètre funerarîe felsinee (Monum antichi. Lincei, XX), 191 1, p. 523 ss. ;
A. Greniei-, Bologne villanovienne et étrusque, 1912, p. 429, fig. 412 ; p. 154, fig. 150;
De Ruyt. of. cit.
2. Quagliati, Ausonia, 1909, III, pp. 136 ss. ; 152 ss. ; cf. Malten, A dif.,p. 230 s., fig. 22.
3. Symbol., p. 102.
4. Cf. infra, p. 292.
5. Ducati, /. c, p. 691.
6. A Haghia Triada, cf. Paribeni, op. cit. [p. 289, n. 4], Cf. Symbol., p. 27, fig. i,
Pl- 174 et pi. XVI.
7- De Ruyt, p. 125, n. 148, fig. 54. — Phosphoros devant le char de l'apothéose, cf.
Symbol., p. 338, note i ; Et. syr., p. 87, n. 4 ; et infra, p. 296.
8. De Ruyt, p. 70, n. 75, fig. 33.
9- Cf. M. M. M.y I, p. 177 ss.
29 i LUX PERPETUA
ment de cette croyance très répandue chez les peuples primitifs que le disque
radieux qui se meut chaque jour de l'Orient à l'Occident, est une roue courant
sur le firmament ' . Les chevaux de feu et le char de feu qui enlevèrent le
prophète Elie dans un tourbillon, sont très probablement ceux de Shamash,
le dieii solaire babylonien *. De même la légende sacrée de Mithra racontait
que ce dieu, sa mission terrestre accomplie, avait été emporté par le Soleil,
son allié; vers les sphères célestes, par-dessus l'océan ; et le sort triomphal qu'il
avait conquis pour lui-même, il l'accordait aussi à ses fidèles ^
Les empereurs surtout devaient devenir après leur mort les compagnons
du Soleil invincible, comme ils avaient été ses protégés durant leur vie, et
être conduits par lui vers les voûtes éternelles. Lucain et Stace prédisent ce
destin glorieux à Néron et Domitien*', Et ce ne sont pas là des flatteries
emphatiques, inspirées à des poètes de cour par une adulation servile. Un
papyrus, trouvé dans la Haute-Egypte, nous montre la foi en cette forme
d'apothéose répandue jusqu'aux extrémités de l'Empire. Phébus lui-même
annonce au peuple la mort de Trajan et l'avènement de son successeur. « Je
viens », dit le dieu en propres termes « de m'élever avec Trajan sur un char
attelé de chevaux blancs et j'arrive vers toi pour t'annoncer qu'un nouveau
prince, Hadrien, s'est soumis toutes choses grâce à sa vertu et à la Fortune
de son divin père » ^ . Cette déification, obtenue par l'entremise du Soleil,
faisant place au souverain sur son quadrige, resta un article de foi jusqu'à la
fin du paganisme. Un panég^'^riste de Constantin assure que, son père Constance,
qui mourut à York aux confins occidentaux du monde, avait partagé la course
nocturne de l'astre du jour pour remonter avec lui de l'Orient au zénith ",
et un oracle rendu à Julien l'Apostat lui prédisait qu'après avoir vaincu les
Perses il serait conduit vers l'Olympe sur un char flamboyant, secoué dans
les tourbillons de l'orage, pour atteindre le palais de son père dans la lumière
éthérée '. Julien se regardait en effet comme le fils spirituel du Soleil qu'il
espérait aller rejoindre*.
1. Cf. Et. syr., p. 96.
2. 11 Reg., 23, II.
3. Et. syr., p. 103.
4. Lucain, I, 45 ; Stace, "Chéb., 1, 27 ; cf. Silves, IV, i avec la note de VoUmer. Cf.
Symbol., p. 97.
5. Komemann, Klio, VII, p. 278 ss. ; Éi. syr., p. 98, n. 3.
é. Paneg. Yl (Maxim, et Const.), 14 (p. i6q Bâhrens).
7. Eunape, Hist., fr. 26 (F. H. G., IV, p. 25).
8. Cf. infra, ch. VILI, p. 380.
CHAPITRE VI. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES 293
Au témoignage des écrivains s'ajoute celui des monuments pour montrer la
vitalité qu'avaient conservée les vieilles idées mythologiques dont s'inspirait
le culte orientalisant des empereurs. Sans doute les théologiens n'y voyaient-ils
que des symboles ; et ils expliquaient avec les Néoplatoniciens le véhicule
(oyyjuLa) qui faisait remonter les âmes au Soleil, comme une attraction exercée
par les rayons de l'astre générateur et sauveur ou comme une enveloppe
astrale et aérienne que l'âme avait revêtue en s'abaissant vers la terre*.
Mais la crédulité des foules restait fidèle à une conception beaucoup plus
matérielle, celle que l'art n'a pas cessé de rendre sensible aux yeux, La plus
ancienne représentation plastique de l'apothéose à Rome, nous montre déjà
Jules César debout sur un char qu'enlèvent quatre chevaux ailés ^, et les mon-
naies de consécration, frappées pour commémorer l'ascension des divi vers
l'Olympe, figurent fréquemment au sommet du bûcher qui a consumé la
dépouille mortelle du souverain, un quadrige où celui-ci prend place pour
être porté vers le ciel'.
Etre entraîné vers les dieux sidéraux sur l'attelage rapide du Soleil ne
resta pas le privilège des Césars. On voit le quadrige figuré sur les tombes de
très modestes personnages*. On lit même ces mots révélateurs sur un autel
funéraire de Rome : Sol me rapuii^.
Oiseau. — Il était possible de gagner les astres avec une célérité encore
accrue en recourant à l'aviation. Chez tous les peuples du bassin oriental de
la Méditerranée était anciennement répandue l'idée que l'essence ou l'être qui
animait l'homme s'échappait du cadavre sous la forme d'un oiseau^ surtout
d'un oiseau de proie, car les âmes pour ne pas périr devaient se nourrir
de sang, principe de vie". Les Harpyes et les Sirènes ont été primitivement
ces esprits des morts devenus des vampires avides de sucer la .liqueur vivi-
fiante''. Les vas'cs et les stèles funéraires de la Grèce nous offrent une
multitude de représentations de l'âme-oiseau, et à l'époque romaine des
vestiges de cette antique conception subsistaient encore. En Syrie on voit
1. ÏÏt. syr., p. 105, n. I ; €t infra, ch. VIII, p. 355.
2. Cf. Et. syr., p. 99.
3. Ibid.
4. Esperandieu, II, n. 1510 ; Altmann, n. 76 ; cf. 208.
5- CIL, VI, 29954, cf. supra, ch. III, p. 180.
6- Weicker, Der Seelenvogel in der alten Lîteratur und Kunst, Leipzig, igo2 ; cf.
Roscher, Lexik,, s. v. « Seirenen » ; Et. syr., p. 56 ss.
7. Symbol., pp. 109, 327. Sur les volaticae muUeres qui sont des striges, cf. Wol-
ters, Akad. Munich, 1928, Abhandl. i, p. 14.
294 LUX PERPETUA
fréquemment un aigle prendre sur les tombeaux la place qu'occupe ailleurs
le portrait du défimt * ; c'est sous cette forme que celui-ci a quitté notre
bas-monde. La magie ramasse souvent les idées que l'évolution des croyances
a laissé tomber, et les sorciers prétendaient, s'il faut en croire Arnobe, pouvoir
munir d'ailes leurs dupes, lorsqu'elles se libéreraient de leurs corps, afin de leur
permettre de voler vers les cieux". Lorsque les écrivains nous disent ainsi
que l'âme pure « s'envole » vers les astres, cette expression si souvent
répétée à la suite de Platon ^ n'est pas une simple métaphore, ^mais plutôt
une façon de parler traditionnelle, prise d'abord au sens matériel et que le
langage avait conservée en lui donnant une signification figurée. Une épi-
gramme tardive composée pour le tombeau de Platon lui-même, est bien
caractéristique : « Aigle, pourquoi es- tu perché sur cette tombe, ou duquel des
dieux, dis-moi, regardes-tu de loin la demeure étoilée ? — Je suis», répond
l'oiseau, « l'image de l'âme de Platon qui s'est envolée vers l'Olympe. La
terre attique possède son corps, né de la terre » *. Lucien, dans son Icaro-
méftippe a raillé les prétentions des philosophes en montrant Ménippe s'atta-
chant des ailes aux épaules pour prendre son vol vers les astres et pénétrer
ainsi les secrets du monde ^. Le mythe de Dédale s'échappant du labyrinthe
de Crète par la voie des airs a été interprété même par des chrétiens comme
une image de l'âme gagnant les hauteurs du ciel ^.
L'idée primitive de l'âme-oiseau se transforma en celle de l'âme portée par
un oiseau. C'est en Syrie, semble-t-il, que s'opéra ce changement. Une croyance
très répandue à l'époque romaine voulait que l'âme fût enlevée par un aigle,
qui était dans ce pays le volatile du Soleil, celui-ci étant conçu comme un
disque ailé volant à travers les espaces célestes. Le roi des oiseaux était le
serviteur ou plutôt l'incarnation de l'astre-roi, et c'est vers lui qu'il transportait
sa charge psychique. C'est pourquoi un aigle prenant son essor et tenant la
couronne^ emblème de la victoire obtenue sur la mort, est un motif ordinaire
de décoration sépulcrale à Hiérapolis et dans toute la Syrie du Nord ' . Le
1. Et. syr., p. 45 ss.
2. Arnobe, II, 3^1 : « Cum primum soluti membrortim abieritis e nodis, alas vobis ad-
futuras putatis, quibus ad caelum pergere atque ad sidéra volare possitîs » ; cf. II, 62.
3. Platon, Phèdre, 146 b ; cf. Symbol., p. 109, n. 3 ; p. iio, n. i ; Horace, Odes,
III, 2, 23 {fugiente -penna) ; Kaibel, Efigr. 312, 3.
4. Diogène Laërce, III, 44 ; Anthol. Pal., VII, 62.
5. Lucien, Icarom., 2-3.
6. Courcelle, R.E.A., 1944, XL VI, p. 66 ss.
7. Et. syr., pp. 40 ss., 58 ss. ; Mouterde et Poidebard, Le limes de Chalets, 1945'
p. 213 et pi. CXVII. i ,
CHAPITRE VI. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES
295
vigoureux rapace lenlevait, non dans ses serres, comme il fait Ganymède,
mais sur son dos les mortels jugés dignes de monter vers le ciel. Ce
type n'est pas emprunté à la nature ; nul oiseau de proie^ dans aucun pays
du monde, n'a jamais soutenu ainsi im fardeau. Un motif aussi étrange s'inspire
manifestement d'une légende de la Fable^ peut-être du mythe babylonien
d'Elanai, L'ancien Testament nous fournit la preuve que le motif de l'aigle
transportant une charge sur le dos était courant dans les pays sémitiques 2.
Un récit qui apparaît d'abord dans le Pseudo-Callisthène, a utilisé ce vieux
thème oriental ^. Il raconte qu'Alexandre^ arrivé aux extrémités de la terre,
voulut entrer au séjour des Bienheureux, Dans cette région vivaient de grands
Fig. 7. — Apothéose d'Homère entre l'Iliade et l'Odyssée.
oiseaux blancs très familiers. Des soldats s'amusèrent à se hisser sur leur
échine et ces bêtes merveilleuses s'envolèrent aussitôt en les emportant.
Alexandre en captura deux, leur imposa un joug auquel il suspendit un sac
de cuir où il s'installa, puis il tendit au bout d'une longue lance un foie
de cheval comme appât aux rapaces qui, pour le dévorer, prirent leur essor et
élevèrent le conquérant jusqu'au ciel ; après quoi ils le ramenèrent sur la terre.
C'est là un conté oriental qui, au cours d'une longue vie, assuma des formes
variables et dont les héros sont des personnages divers. Les oiseaux blancs y
deviennent parfois des griffons ou des aigles.
C'est encore un aigle qui apparaît portant Homère assis sur son dos dans une
1. Et. syr., p. 82.
2. Exode, ig, 4; Deut., 32, 11. Cf. Éi. syr., p. 84.
3. Gabriel Millet, Syria, 1923, IV, p. 88-133.
296 ' LUX PERPETUA
représentation de l'apothéose du poète (fig. 7) qui décore une pièce d'orfèvrerie
d'Herculanum dans le style de la toreutique alexandrine ' . Le même type fut
ensuite largement reproduit pour figurer celle des empereurs sur les bas-
reliefs, pierres gravées ou médailles de consécration^. L'aigle, oiseau du dieu
solaire^ porte à son maître, les princes qui ont été les protégés et les représentants
du Sol invicius sur la terre. Le cérémonial des funérailles impériales à Rome,
réglées par un protocole traditionnel, montre combien était restée vivace cette
croyance d'origine asiatique. On lâchait toujours du sommet du bûcher, où
le cadavre devait être incinéré^ un aigle, qu'on supposait devoir emporter
l'âme du souverain vers les espaces éthérés ' .
L'aigle n'exerça pas en faveur des princes seuls la fonction qui lui était
dévolue. Le mode singulier d'aviation que les artistes n'hésitèrent pas à
imposer aux Césars, fut étendu par eux au commun des mortels. Ainsi
sur une stèle funéraire provenant de Rome'*^ on voit un jeune homme drapé
dans sa toge, dangereusement campé sur le dos d'un aigle lancé en plein vol.
A droite un enfant ailé tenant une torche semble lui montre la- route : c'est
Phosphoros^ l'étoile du matin, que la sculpture a souvent représenté sous cette
forme devant le quadrige du Soleil''. A terre, un autel rappelle le culte cjui
sera rendu à l'adolescent héroïsé et dans le fronton^ près de sa tête, une
couronne symbolise la victoire qu'il a remportée sur le trépas. La fantaisie
des artistes a même pu combiner l'enlèvement du défunt par un oiseau avec
le transport dans un char. Les charmantes fresques du tombeau d'Octavia
Paulina, sur la Voie Triomphale, figurent cette fillette conduite dans les
Champs Élysées par Érôs sur un bige attelé de deux colombes s.
Nous l'avons fait observer plusieurs fois, la mentalité des anciens admettait
la coexistence de traditions contradictoires sur la vie d'outre-tombe, et la
juxtaposition de croyances opposées ne la choquait ni dans la poésie ni
dans l'art funéraire. Les représentations du voyage dans le ciel nous en
offrent maint exemple. Les défunts pouvaient être conduits dans un char
ou portés par un cheval ou par un aigle, et l'on voit combinés ou rappelés
simultanément deux de ces modes d'ascension. Sur un diptyque consulaire
1. Et. syr., p. 78. I
2. Ibid.^ p. 75.
3. Comme l'affirme Hérodien, IV, 2, 11 ; cf. Dion Cassius, LVI, 42 ; LXXIV, 5 ; Et.
syr., p. 72, n. 3. . , ^
4. Bas-Relief du Musée National de Copenhague : Et. syr., p. 87, fig. 39..
5. Cf. supra, p. 291, note 7.
6. Tombeau d Octavia Paulina : Symbol. ^ p. 345, fig. 76.
Stèle d'albano Laziale.
Le mort emporté sur un cheval, dont un aigle tient la rêne dans son bec.
296 LUX PERPETUA
représentation de l'apothéose du poète (fig. 7) qui décore une pièce d'orfèvrerie
d'Herculanum dans le style de la toreutique alexandrine ' . Le même type fut
ensuite largement reproduit pour figurer celle des empereurs sur les bas-
reliefs, pierres gravées ou médailles de consécration". L'aigle, oiseau du dieu
solaire, porte à son maître, les princes qui ont été les protégés et les représentants
du Sol invictus sur la terre. Le cérémonial des funérailles impériales à Rome,
réglées par un protocole traditionnel, montre combien était restée vivace cette
croyance d'origine asiatique. On lâchait toujours du sommet du bûcher, où
le cadavre devait être incinéré, un aigle, qu'on supposait devoir emporter
l'âme du souverain vers les espaces éthérés ^ .
L'aiglo n'exerça pas en faveur des princes seuls la fonction qui lui était
dévolue. Le mode singulier d'aviation que les artistes n'hésitèrent pas à
imposer aux Césars, fut étendu par eux au commun des mortels. Ainsi
sur une stèle funéraire provenant de Rome'*, on voit un jeune homme drapé
dans sa toge, dangereusement campé sur le dos d'un aigle lancé en plein vol.
A droite un enfant ailé tenant une torche semble lui montre la-^ route : c'est
Phosphoros, l'étoile du matin, que la sculpture a souvent représenté sous cette
forme devant le quadrige du Soleil". A terre, un autel rappelle le culte (jui
sera rendu à l'adolescent héroïsé et dans le fronton, près de sa tête, une
couronne symbolise la victoire qu'il a remportée sur le trépas. La fantaisie
des artistes a même pu combiner l'enlèvement du défunt par un oiseau avec
le transport dans un char. Les charmantes fresques du tombeau d'Octavia
Paulina, sur la Voie Triomphale, figurent cette fillette conduite dans les
Champs Élysées par Érôs sur un bige attelé de deux colombes s.
Nous l'avons fait observer plusieurs fois, la mentalité des anciens admettait
la coexistence de traditions contradictoires sur la vie d'outre-tombe, et la
juxtaposition de croyances opposées ne la choquait ni dans la poésie ni
dans l'art funéraire. Les représentations du voyage dans le ciel nous en
offrent maint exemple. Les défunts pouvaient être conduits dans xm char
ou portés par im cheval ou par un aigle, et l'on voit combinés ou rappelés
simultanément deux de ces modes d'ascension. Sur un diptyque consulaire
1. Et. syr., p. 78.
2. Ibid., p. 75.
3. Comme l'affirme Hérodien, IV, 2, 11 ; cf. Dion Cassius, LVI, 42 ; LXXIV, 5 5 1^t.
syr., p. 72, n. 3.
4. Bas-Relief du Musée National de Copenhague : Éf. syr., p. 87, fig. 39.
5. Cf. supra, p. 291, note 7.
6 Tombeau d'Octavia Paulina : Symbol., p. 345, fig. 76.
Stèle d'albano Laziale.
Le mort emporté sur un cheval, dont un aigle tient la rêne dans son bec.
CHAPITRE VT. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES 297
du British Muséum, du sommet du bûcher qui a incinéré son corps un
empereur s'élève dans un quadrige, et deux aigles gigantesques, qui prennent
leur essor, le guident vers le séjour des dieux 1.
Un sarcophage de la villa Doria-Pamphili représente l'apothéose d'un ado-
lescent 2 : il est emporté au-dessus de la Terre étendue^ monté sur un char
que conduit Hermès psychopompe ; mais ce jeune homme, aurige d'outre-tombe,
s'appuie en même temps sur un aigle éployé prenant son vol^ qui l'aide à
monter dans les airs 3. Plus étrange est le sujet figuré sur une stèle trouvée
récemment à Albano près de Rome*. Elle porte l'épitaphe d'un enfant de
deux ans qui, ravi par l'aigle de Zeus, dit l'épitaphe, siégera comme parèdre
de l'étoile du matin et du soir ; et le bas-relief qui accompagne l'inscription
nous montre ce mort héroïsé le front surmonté d'un astre à sept rayons^ chevau-
chant un coursier lancé au galop, tandis qu'un aigle a saisi dans son bec
crochu la corde tressée d'un licol et dirige l'ascension de cette monture d'une
ombre.
L'ivoire du British Muséum n'associe pas seulement le char à l'aigle de
l'apothéose ,: à sa partie supérieure, l'empereur divinisé est soulevé sur les
bras de deux génies des Vents et porté vers les dieux, qui à côté du zodiaque
se préparent à l'accueillir. Cette forme de l'ascension est étroitement liée à
l'idée du vol des âmes ailées qui fendent les airs. La force des vents pouvait
être conçue comme l'intervention, dans l'eschatologie, d'im facteur purement
physique, et comme telle se recommander aux yeux des philosophes stoïciens ;
mais elle reposait sur un fond mythologique que réussissait mal à dissimuler
une interprétation rationnelle. Les Vents étaient pour un polythéisme naturiste
des divinités bienveillantes ou hostiles^ qui favorisaient ou contrariaient la
montée des esprits des morts. Leur souffle bénin et propice pouvait élever
doucement ceux-ci vers leur séjour céleste. Mais les ouragans pouvaient aussi
les saisir dans leurs tourbillons, les cyclones les entraîner dans leurs trombes
et en airacher violemment les souillures qui s'étaient attachées à eux et les
alourdissaient. Nous avons déjà signalé cette double fonction des Vents à
propos de la localisation des Enfers entre la terre et la lune^.
1. Et. syr., p. ICI ; Symbol., p. 176 et pi. XIV.
2. Symbol., p. 336 et pi. XXXVII ; Syria, 1929, X, p. 235, pi. XLIII.
3. Sur cette combinaison, cf. Deubner, Rom. Mîtteil., 1912, XVII, p. 10.
4. A. Galieti, Rom. Mitt., 1943, LVIII, p. 70 ss. et pi. III ; cf. supra, ch. III, p. 184;
jKeîl, Oesterr. Jahresb., XXXV, 1943; Année é-pigra-phique, 1945, XXIV, p. 174, n. 119.
5. Cf. supra, ch. IV, p. 208 ; Symbol., pp. 105, n, 3 ; 117 ; 149.
298 LUX PERPETUA
Echelle, navire, cheval, char, oiseau, et même vents, tous ces moyens
supposés d'atteindre le ciel, répondent aux conceptions naïves d'une époque
très reculée. Ils partent de la supposition qu'un poids doit être soulevé ; ils
impliquent à peine une séparation du corps et de l'âme et ont été imaginés
à une période primitive où les philosophes n'avaient pas encore fait prévaloir
une distinction tranchée entre les différentes parties de l'être humain. Ces
procédés divers pour s'élever vers la voûte étoilée nous reportent à un niveau
religieux extrêmement bas, et les théologiens éclairés ne les acceptaient plus
que comme des symboles ; mais ces survivances de très anciennes conceptions
continuaient à être reçues et comprises littéralement par la simplicité des
esprits vulgaires. L'antique croyance que les héros pouvaient être transportés,
tels qu'ils avaient vécu, soit dans les Iles des Bienheureux, soit dans l'Olympe ^
ne disparut jamais de la foi populaire, bien que la philosophie s'élevât contre
elle et affirmât que rien de ce qui est formé de la terre ne pouvait être admis
dans la zone éthérée * et que seul, Veidôlon, s'il était resté pur et léger, pouvait
s'y élever. Une épitaphe insiste sur cette idée que, le corps étant consumé,
l'âme restée vivante est divinisée ■\ Toutefois l'apothéose des empereurs, de
même que celle des monarques hellénistiques*, implique que, comrne les dieux,
dont c'est, suivant Platon, le caractère propre^', ils continuent à vivre corps et
âmes réunis. D'autres hommes privilégiés, immortalisés par une déification
semblable, passaient pour avoir continué dans un séjour divin, sans interruption,
ni désincarnation, l'existence qu'ils avaient commencée ici-bas, tels Antinous
ou Apollonius de Tyane*. Ces enlèvements exceptionnels furent toujours des
miracles acceptés par la crédulité des masses incultes.
Cependant cette ascension prodigieuse était seulement l'apanage glorieux
de quelques héros insignes. Pour la foule des esprits qui quittaient leur corps
terrestre, la route qui conduisait au ciel était semée d'obstacles. De vieilles
superstitions helléniques se mêlaient aux chimères de l'Orient pour l'encombrer
de résidus mythologiques, et la dernière étape du voyage des âmes n'était
pas la moins dangereuse.
Selon l'opinion commune l'air était peuplé de démons qui pouvaient être
1. Cf. supra, ch. III, p. 146.
2. Plutarque, V., Romulus, 28 ; cf. supra, p. 120.
3. CIL, VI, 30157 = CE. 975 : « Corpore oonsumpto, viva anima, deus sum ».
4. Wilcken, 5. A. J5., 1938, p. 318 ; et Symbol., p. 67, n. 2.
5. Platon, Phèdre, 246 c.
6. Immortalité psycho-corporelle : cf. Rohde, Psyché, II, p. 376 ss. =tr. fr., p. 568 ss.
CHAPITRE VI. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES 299
bienfaisants ou maléfiques. Nous avons déjà signalé en parlant des supplices
infernaux l'influence exercée sur cette croyance par le mazdéisme 1. Le dua-
lisme iranien accentua l'opposition entre ces géinies propices ou hostiles aux
esprits des morts *. Une partie de cette seconde classe était formée des âmes
coupables, que leurs fautes condamnaient à errer près de la surface de la
terre. Jalouses et cruelles, elles prenaient plaisir à infliger des tortures à leurs
congénères, quand celles-ci, par leur impiété, s'étaient exposées sans défense
à la malignité de ces tortionnaires. Mais des puissances secourables protégeaient
les justes contre leurs assauts. Celles-ci favorisaient leur ascension, que leurs
adversaires s'efforçaient d'empêcher ou de retarder 3. Ainsi l'atmosphère devint
le siège d'une lutte incessante entre les démons du bien et du mal, bataille dont
l'enjeu était le salut de celui qu'ils se disputaient. Le combat des dévas et des
yazatas pour la possession de l'âme exhalée par le mourant, est un des traits
caractéristiques de l'eschatologie mazdéenne et il devait devenir un thème
habituel des descriptions païennes ou chrétiennes du voyage posthume à
travers l'atmosphère *.
Suivant une opinion largement accréditée, les épreuves de cette âme cessaient
lorsqu'elle parvenait à la sphère de la lune, frontière entre le monde du
devenir, soumis à la mutabilité et à la corruption, et la région de l'univers
où les mouvements harmonieux des astres divins sont régis par des lois
éternelles. C'est là, qu'après des tribulations sans nombre, l'âme en peine
devait trouver à jamais le repos s. Mais les périls auxquels cette âme éta'it
exposée pouvaient ne point disparaître, lorsqu'après avoir franchi la zone dan-
gereuse de l'air, elle atteignait la lune. Ceux qui croyaient que les esprits des
défunts remontaient vers l'empyrée en traversant les sphères planétaires, se
représentaient celles-ci comme percées chacune d'une porte que gardait un poste
avec un commandant (àp)(^ojv)®, ou, comme on disait souvent aussi, un douanier
1. Cf. sufra, ch. IV, p. 219 ; infra, ch. VIII, p. 370.
2. Mages hellén., I, p. 178 a, II, p. 275 ss.
3. Tatien, 16, Mages hell., Il, p. 295, n. i ; Porphyre, De regressu animae, fr. 2,
Bideiz ; C.-R. Acad. Inscr., 1944, p. 113, p. 117 ss. ; Nock, Harvard theological review,
1941, XXXIV, p. 102 ss.
4. Cf. p. ex. Historia losephi Ugnarîi dans Tischendorf, Evang. a-pocrypha, 1876,
p. 127 : « Michael praebeat itineris mei socium, tisque dum ad te perduxerit... Ne
autem permittas ut daemones aspectu formidabiles accédant ad me in via qua iturus
sum donec ad te féliciter perveniam. Neque sinas ut ostiarii animam meam ingressu
paradisi prohibeant. — Symbol,, pp. 501 et 504.
5. Symbol., p. 138, p. 194, cf. supra, p. 177.
6. Anz, Znr Frage nach dem Ursprung des Gnostizismus j Bousset, Hauptprobleme
300 LUX PERPETUA
(Te^côvYjç}. Celui-ci était chargé de visiter le bagage moral de celui qui se
présentait, et d'exclure les indésirables ; pour donner le change à cet inqui-
siteur on usait parfois d'un subterfuge en imposant au mort un faux nom*.
Les mystères prétendaient fournir à leurs initiés des mots de passe qui flé-
chissaient ces gardiens incorruptibles ^. Ils enseignaient des prières ou des
incantations qui rendaient propices les puissances malveillantes ; contre les
coups de celles-ci ils immunisaient les fidèles par des tatouages (aTtyp-aTa),
des sceaux (appayiSeç) ou des onctions '. Les instructions qu'on donnait aupa-
ravant au mort pour lui faciliter la descente dans les Enfers (p. 248), servent
maintenant à lui rendre aisée l'ascension vers les sphères sidérales. Les pré-
tentions des magiciens rivalisaient à cet égard avec celles des prêtres orien-
taux. Ils se targuaient même de pouvoir transporter leurs clients au ciel durant
leur vie terrestre*. Le papyrus de Paris, faussement dénommé « Liturgie
mithriaque », offre l'exemple le plus caractéristique de cette littérature supers-
titieuse ^,
Toutefois le bienfait suprême qu'on espérait de la religion au moment de
la mort était qu'elle fournît à l'âme un guide pour la sauvegarder dans le
voyage accidenté à travers les tourbillons de l'air, de l'eau et du feu, et les
sphères mouvantes des cieux, dans cette région du monde que hantaient les
diables toujours aux aguets. Dans un mythe du Phédon*, Platon avait déjà
parlé du démon personnel de chacun des trépassés qui, après l'avoir accompagné
pendant sa vie, était chargé de lui servir de « conducteur » dans l'Hadès,
afin qu'il ne s'égarât pas sur cette voie souterraine coupée de bifurcations et
de carrefours. Le même mot (v^yeuLcôv) est appliqué plus tard au psychopompe,
qui mène les âmes vers le ciel, qu'il soit un démon'', un ange^ ou un
der Gnosis, 1907, p. 8 ss., p. 21 ss.. Cf. R.E., s. v. « Gnosis », col. 1510, § 6. ''Ap)(wv ;
Relig. Orient., p. 264, n. 88.
1. Symbol., p. 144, n. i et add. p. 502.
2. Dieterich, Mithrasliturgie, p. 6, p. 20 ss.
3. Cf. su-pra, ch. V, p. 237 ; Relig. orient., 215, 13 ; 261, 68. Lilliebjorn, Ueber reli-
giôse Signierung in der Antike, Diss. Upsal, 1933. — N. C. XXV.
4. Arnobe, II, 62. — Surpra, p. 294.
5. Dieterich, /. c.
6. Platon, Phédon, 107, d. Cf. Hiéroclès dans Photius, Bihl. p. 466 b, ; Boyancé, Les
deux démons -personnels (R. Phil., 1935), p. 190.
7. Démons psychopompes : Lucien, Demosth. encomium, 50 ; Olympiodore, In Phaed.
C. m, I (p. 192, 15 Norvin), et D, pt' (p. 233, 25).
8 Les anges du paganisme (R. H. Rel., 1915, p. 178 ss.) ; Andres, R. E. Suppl. III)
s. V. « Angelos », p. iio, 28 ss. j Pap. mapca, I, 178 ss. (p. 10, Preisendaniz). Ange-
CHAPITRE VI. — SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES 301
dieu^. Son intervention est signalée non seulement par les philosophes platoni-
ciens, mais aussi dans les inscriptions funéraires, telle la curieuse épitaphe
métrique d'un marin mort à Marseille 2 : « Parmi les morts il y a deux sociétés :
l'une se meut sur la terre et l'autre se mêle dans l'éther aux chœurs des étoiles.
J'appartiens à celle-ci, ayant obtenu un dieu pour guide ». Ce dieu psycho-
pompe qui escorte les morts conserve souvent le nom d'Hermès, car si celui-ci
était toujours l'introducteur des nouveaux venus dans le royaume des ombres,
il cumulait cette fonction avec celle de protecteur des justes dans leur trajet
aérien^ dont il assurait la sécurité '\ Une épitaphe du premier siècle de notre
ère s'adresse ainsi au défunt : « Hermès aux pieds ailés, te prenant par la
main, t'a conduit vers l'Olympe et t'a fait briller parmi les étoiles » *. Ce
messager n'a jamais été dépouillé de la charge qui lui appartenait tradition-
nellement, et les philosophes pouvaient justifier par une interprétation psycho-
logique la mission du dieu de la raison auprès des morts ^. Toutefois c'est à
Hélios que le rôle d' « anagogue » ■ est le plus souvent dévolu à la fin du
paganisme sous l'influence combinée d'un mazdéisme chaldaïsant" et de la
théologie solaire^. A la fin des Césars l'empereur Julien se dit convaincu que
Mithra, — le Sol inzJictus qu'il s'est rendu propice — sera le conducteur
(viyejxwv 6c6ç} qui lui permettra de quitter ce monde avec l'espoir d'un sort
meilleur 8 et nous avons vu (p. 288) qu'Hélios emportait les Élus sur son
quadrige rapide vers les hauteurs célestes.
Arrivées au terme de leurs pérégrinations et de leurs épreuves les âmes
pieuses viendront, aux confins supérieurs du monde ou au-delà de ses limites,
&s &o«Ms' dans la cataoombe des Sabaziates, iîe/. orient.^ -p. 64; cf . sw^ra, ch. V, p. 257. Cf.
Nock, Harvard theological review, 1941, XXXIV, p. 102 ss.. Anges psychopompes et
Vents : Pisciculi {Festschrift Dôlger), Munich, 1939, p. 70 ss.. Anges chrétiens psycha-
gogues : Cabrol., s. v. « Anges », 2no, ss.
1. Rel. orient., p. zz-j, n. 51 -, p. 264, n. 90.
2. IG. XIV, 2462 ; Kaibel, Epgr., 650.
3. Artemidore, IV, 72 ; Pétrone, 29, 5. Mercurius nuntius dans la cataoombe desSaba-
isiates, supra,-p.200iti.8. Hermès conduit les âmes el; -côv "ïij'taTov : Diog. Laërce, VIII, 31;
Julien, Or. Pli, p. 232 D ; Symbol.^ p. 116, n, 4; cf. su-pra, p. 300, n. 8.
4. Haussoulier, R. Ph., 1909, XXIII, p. 61. Hermès conduit le char de l'apothéose,
sitpra, p. 297. Hermès, dieu psychopompe en Syrie : Dussaud, Monuments Piot,
1929, XXX, p. 87; Seyrig, Helio-politanus {Bull. Musée Beyrouth, I, p. 924), et Antiquités
Syriennes, III, 1946, p. 145, n. 16. — N. C. XXVII.
5- Hermès Trism., Point., XII, 12 ; cf. Ammien Marc, XVI, 5, r.
6. M. M. M., I, p. 210 ; Mages hell., p. 285, n. 2.
7. Cf. su-pra, ch. III, m, p. 180.
8. Julien, Césars, p. 336 c 5 cf. N. C. IX.
302 LUX PERPETUA
rejoindre les héros et retrouver les dieux. Mais si l'on se demande quelles
idées avaient cours sur le séjour qu'habitaient ces âmes bienheureuses et sur
la félicité qui leur était réservée, on s'apercevra que de vieilles traditions
mythologiques continuaient jusqu'au bout à coexister avec les doctrines des phi-
losophes. Ceux-ci peuvent enseigner que les sages éprouveront dans l'autre
vie une joie indicible au spectacle de notre monde et des cieux étoiles, dont
leur raison pénétrera alors tous les mystères*. Ou bien, pour ces théologiens^
la béatitude céleste ou supra-céleste consistera à s'absorber dans la contem-
plation éternelle de l'Être suprême^. Mais jamais les esprits simples ne se
convertiront à un credo aussi abstrait, et ils continueront à attendre de l'existence
d'outre-tombe des jouissances beaucoup plus matérielles. Sans doute les masses
vulgaires ont-elles eu, à toutes les époques, une religion très différente de celle
que se forment les intelligences élevées, mais le fait caractéristique dans le paga-
nisme romain est que certains mystères persistaient à faire espérer à leurs initiés
les plaisirs les plus grossiers, telle une ébriété sans fin, ou un érotisme sempiter-
nel 3, et que le séjour céleste où doivent se réunir les élus ne cessa pas d'être
dépeint comme un jardin ombreux et fleuri et rappela toujours la pairi daeza
des anciens Perses, à qui ce lieu de récréation a dû son nom de « Paradis » *.
Tant il est vrai, comme ce chapitre achèvera, nous l'espérons, de le montrer,
que dans l'eschatologie païenne des idées contradictoires appartenant à des
âges différents et à dés stades successifs de la mentalité religieuse ont toujours
vécu côte à côte parmi les croyants jusqu'à souvent cohabiter dans le cerveau
d'un même individu^
1. Supra, p. i6o, ch. III.
2. Supra, ch, V, p. 266.
3. Supra, ch. V, p. 257 et note 2.
4. Supra, ch. I, p. 43 ss. Cf. Augustin, Contra Faustum, XV, 6 : « Invitât te doc-
trina daemoniorum ad fictas domos angelorum, ubi flat aura salubris et ad campos ubi
scatent aromata, cuius arbores et montes, maria et flumina dulce nectar fluunt par
omnia saecula ». — A comparer avec S. Ephrem Syrien, dans T. Andrae, Mahomet,
p. 87. — Pour l'Islam, cf. Qor. 37 39-« ; 55^«-'?8 ; 5610-3"; 76 "-23; dont il faut rap-
procher Bistâmî, que le paradis des hoûris ne saurait rassasier le cœur des élus (L.
Massignon, Essai sur les Origines du Lexique technique de la Mystique musulmane,
p. 252).
CHAPITRE VII
L'ASTROLOGIE
ET LES MORTS PRÉMATURÉES*
I. — • Doctrines astrologiques et opérations magiques.
Lorsque la. religion astrale se répandit dans le monde gréco-romain, elle y,
introduisit avec elle un principe qui logiquement aurait dû la détruire et
abolir la crpyance en une immortalité céleste accordée comme récompense à
la vertu 2. A la diffusion des cultes orientaux fut liée celle de l'astrologie,
et celle-ci enseigna que tous les phénomènes de la nature et les événements
de l'existence humaine étaient soumis à une fatalité inéluctable comme la loi
inflexible qui régit les révolutions des sphères étoilées,
Fata regunt orbem, certa statit omnia lege s.
_ I. Le contenu de ce chapitre a fait l'objet d'une conférence à l'Eoole Normale supé-
rieure en 1943, et la majeure partie en a été imprimée, sans les notes, dans les Publi-
cations de cette Ecole (Section des lettres, tome II), Paris, 1945.
2. Cf. su^ra, ch. III, p. 14a.
3' Maniliùs, IV, 14 ; Cf. Relig. orient., p. 165, û. 58.
304 LUX PERPETUA
Le stoïcisme, en adoptant l'apotélesmatique, conféra son autorité philoso-
phique au dogme d'une nécessité irrésistible déterminant, dès la naissance,
le cours de la vie de chacun et l'instant de sa mort'. Mais, si un Destin
inexorable règle avec une rigueur mathématique le sort qui nous est échu,
aucune prière ne peut modifier ses arrêts, et les supplications adressées aux
dieux étant impuissantes à obtenir d'eux quelque faveur ou à détourner, grâce
à eux, un malheur menaçant, le culte devient inefficace et déraisonnable. 11
se trouva en effet des adeptes éminents de l'astrologie qui proclamèrent cette
conviction et s'abstinrent de toute pratique religieuse. Suivant eux les céré-
monies sacrées étaient, pour parler comme Sénèque, « les consolations d'esprits
maladifs » ''.
C'est ail prix d'un illogisme flagrant que la souple dialectique des Grecs
s'efforça parfois de concilier l'antinomie d'une fatalité déclarée omnipotente
et de la foi en un secours obtenu des étoiles divines par la piété envers elles'^,
et que la religion même prétendit soustraire les âmes d'élite à la domination
de la Nécessité*.
En outre, la morale présupposant le libre arbitre, le déterminisme détruit
la responsabilité : c'est le reproche constamment adressé à l'astrologie par
ses adversaires '\ Si le caractère et les actions des individus dépendent fata-
lement de la position des étoiles, s'ils sont des héros ou des criminels nés,
il n'y a plus ni mérite, ni démérite, ni vertu, ni vice ; les récompenses et les
châtiments ne se justifient ni en cette vie ni en l'autre, et la doctrine d'une
rétribution posthume est dépourvue de fondement.
Aussi voyons-nous l'astrologie scientifique, telle que l'ont formulée les
Grecs, faire abstraction de la destinée d'outre-tombe et limiter ses prédictions
à la vie terrestre*. Elle élimine systématiquement toute indication sur le sort
que les influences astrales réservent aux défunts dans l'au-delà. Les théoriciens
1. Sénèque, De Provid., V, 7 : « Fata nos ducunt, et quantum cuique temporis res-
tât, prima hora disposuit ». Ci. Relig. or., p. 286, n. 18, et infra, p. 308, n. z.
2. Sén., Quaest nat., II, 35 « Expiationes et procurationes nihil aliud esse quamaegrae
mentis solatia. Fata inrevocabiliter ius suum peragunt, nec uUa oommoventur preoe » ;
Suétone, Tibère, 60 : « Circa deos ac religiones neglegentior, quippe addictus mathe-
maticae plenusque persuasionis cuncta fato agi ». Cf. Manéthon, I, 196 ss. ; Relig. or-,
p. 290, notes 65-66 ; Egypte astr., p. 205, n. 2.
3. Cf. Relig. or., p. 67 ; Bouché-Leclercq, Astrol. gr., p. 28 ss.
4. Cf. p. ex. les Oracles chaldaïqîies, infra, ch. VIII, p. 361. — N. C. XXII.
5. Sur cette polémique, cf. Bouché-Leclercq, of. cit., p. 593 ss., p. 620 ss.
6. Cf. sur ce qui suit l'Egypte astr., p. 205 ss.. L'abbé Drioton, R. A., 1988, p. 272»
note que déjà les présages égyptiens ne font aucune place à la destinée des morts.
. CHAPITRE VIL — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 305
qui ont formulé ses préceptes, partageaient le scepticisme scientiste des clercs
de l'âge hellénistique. Les espérances dont les vieilles religions avaient bercé
riiumanité étaient fallacieuses. C'était de leur vivant que ceux qui contem-
plaient avec une ferveur intense le ciel étoile, pouvaient être transportés, dans
le ravissement de T'extase, au milieu des divinités sidérales qui leur révélaient
leur natuie et la cause de leurs mouvements harmonieux ^. Ptolémée a iraduit
cette conviction en des vers expressifs^ :
/e ne viîs, je le sais, qu'un seul jour et je meurs
Mdis lorsque mon esprit des astres suit les chœurs,
Mes pas quittent la terre, et je me rassasie,
Festoyant avec Zeus, de divine ambroisie.
Le mysticisme astral se suffisait à ''■■ lui-même, et il pouvait se combiner
avec une philosophie qui limitait toute certitude à la vie présente.
Si telle a été l'attitude de l'astrologie érudite à l'égard de la vie future,
cependant en une doctrine aberrante, qui n'a pas été transmise dans les traités
des doctes généthlialogues, s'est maintenue la croyance à des peines pos-
thumes. Des souffrances n'y sont pas infligées aux ombres des trépassés comme
un châtiment de leurs fautes ; elles sont indépendantes de leur innocence ou
de leur culpabilité et sont la conséquence du moment où s'est produit le décès.
Cette malédiction s'attache aux morts prématurées.
*
* *
Virgile, on s'en souviendra, décrivant dans le sixième livre de l'Enéide la
descente de son héros aux Enfers, lui fait rencontrer d'abord en deçà du Styx
la foule suppliante des morts à qui Charon refuse le passage ^ Ce sont <:eux
qui n'ont pas été inhumés ; ils sont condamnés à errer pendant cent ans et
à voltiger sur les bords du fleuve infernal. La croyance que certains rites
doivent être accomplis sur la tombe pour que le défunt puisse être reçu dans
1. Cf. supra, ch. III, p. 160.
2. Anthol. Pal., IX, 577 ; cf. Egypte asfr., p. zo6, n. 4..
Oto oTt ovïjxo; stpuv jcat ecpa[i.epoc, aÀÀ oxav aa-cpwv
lyyEiui xatà voOv ii[/.cpt8pô(JiQU<; 'é).ixa<;,
qôjcst' s7ch|/kÛ(o yoiir^^ TTOffi'v, àXXà itap' aixtj)
Zr,vt ÔEOTpecpéoç •rttp.'ii^.ajfcai à|j,6po(îtTji;. '
3- Sn., VT, 313 ss.
3o6 LUX PERPETUA
le séjotir des ombres, est générale dans l'antiquité, et l'exclusion prononcée
contre les insepulti n'offre donc rien d'insolite i.
Puis, sm l'autre rive de l'Achéron, mais avant d'entrer dans l'Hadès, Énée
trouve les âmes des enfants morts en bas âge, les « ahores » àcopoi ou àipocot
des Grecs, ec il entend l'immense vagissement de ceux qui, au seuil de leur
brève existence, furent privés de la douceur de vivre et qu'un jour funeste
arracha du seir; de leur mère et plongea dans l'amertume des funérailles
(v. 426 ss,) :
C<anUimo méditae voces, vagitus et ingens,
Infantumque animae fientes, in limine primo,
çu^os dulcis vitae exsortes et ab ubere raptos
abstulit atra dies et funere nmrsit acerbe'^.
A proximité de celles-ci, Énée rencontre successivement quatre groupes
d'ombres ,qui ont péri d'une mort violente, les « biothanates » j^tatoôàvaTot des
Grecs : d'abord les condamnés à mort sur une fausse accusation (v. 430),
puis les suicidés, qui, sans être criminels, ont haï la lumière et, de leur propre
main, mis fin à leurs jours (v. 435), les amoureux qu'un cruel souci a con-
duits à leur perte, enfin les guerriers qui sont tombés dans les combats (v. 479).
Entrant enfin dans le Tartare, le héros voit les supplices des grands cou-
pables condamnés à des peines ' perpétuelles ; puis il passe dans les Champs
Élysées où les Bienheureux jouissent d'une béatitude éternelle, et enfin il
parcourt les bois du Léthé, qu'habitent les âmes qui seront appelées à une
nouvelle naissance en vertu de la métempsycose.
Dans sou recensement du peuple des ombres, le poète latin associe donc aux
enfants enlevés avant d'être sevrés quatre espèces de défunts qui ont péri tragi-
quement, et il les exclut ensemble de l'Hadès, aussi bien que les insepulti
précédemment nommés par lui. Notons immédiatement que les quatre classes
de Virgile se réduisent presque à trois, car les victimes de l'amour sont,
d'après les personnages mêmes dont le poète rappelle les malheurs (v. 440-
476), soit ceux qui se sont tués de leur propre main, soit ceux qui l'ont été
par une vengeance d'autrui ; c'est-à-dire qu'ils rentrent en partie dans la
catégorie des suicidés. L'on a accordé une mention spéciale aux amants à
cause de la fréquence des drames provoqués par leur passion, et si Virgile
1. Cf. supra, ch. I, p. 22.
2. Cf. Norden, p. ii ss. ; Mages hellén., t. I, p. 180
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 307
a; accueilli ce classement, c'est, on peut le croire, pour avoir l'ocdasion de
décrire la rencontre aux Enfers d'Énée et de Didon. Son énumération n'est
d'ailleurs pas exhaustive, mais éclectique, car beaucoup d'autres espèces de
morts violentes, ont été passées sous silence afin d'éviter une monotonie fas-
tidieuse.
De la description poétique de Virgile on a depuis longtemps rapproché un
passage de Tertullien' qui, combattant les erreurs païennes, cite pareillement,
après avoir parlé des insepulti, les inmaturi (acopotl et innupti (àya[j.ot), puis
mentionne les suppliciés, la première des quatre subdivisions de Virgile.
L'apologiste latin ne pousse pas plus loin son dénombrement, mais ses indi-
cations partielles suffisent à montrer que ses données remontent à la même
source qu'a utilisée Virgile. Seulement il nous apprend — ce que le poète
a omis de nous dire, — la raison pour laquelle ces uhori et hiothanati
demeurent exclus des Enfers : victimes d'une mort prématurée, les uns et
les autres sont obligés d'errer sur la terre jusqu'à ce que se soit écoulé le
nombre des années qu'aurait dû atteindre leur vie, si un accident fatal n'en
avait interrompu le cours. Servius confirme la précieuse indication du polé-
miste africain et attribue cette doctrine aux Physici ' . Les érudits ont relevé
encore de? analogies entre la classification de Virgile et la nomenclature des
diverses espèces de mort que donnent Lucien dans son Cataplus ^ et Olympio-
dore dans ses notes sur le Phédon^. Norden a conclu de ces recherches
que Virgile a adopté dans sa descente aux Enfers un système « théologique »
pré-existant, qu'il a tant bien que mal combiné avec la tradition mytholo-
gique s. Pouvons-nous retrouver l'inventeur et les élaborateurs ou du moins
les propagateurs de ce système ?:
Beaucoup de peuples ont cru que les enfants morts en bas âge avaient
dans l'au-delà une condition différente de celle des adultes, et ils ont observé.
I- TertuU., De anima, S5, 4 ss. ; 56, 6. Cf. Mages helL, II, p. 287 (Ostanès, fr. 13).
i- Servins, Aen., IV, 386 ; VI, 545.
3- Lucien, Cataplus, 5 ss.
4- Olympiodore, In Phaed., D, pjj.6' (p. 242, Norvin).
5- Norden s'est certainement fourvoyé en cherchant dans lellepî (jLavci/.ïii; de Posidonius
cette source théologique. Il a cédé ici aux idées exagérées de son temps sur le rôle de
Posidonius (cf. supra, p. 157). . , , >
îo8 LUX PERPETUA
comme les Romains, des rites particuliers pour leur inhumation.', mais le
trait caractéristique de la croyance qui nous occupe est une prolongation sup-
posée de la vie terrestre jusqu'à un terme déterminé pour ceux qui en ont été
privés prématurément, et c'est cette idée qu'il importe d'éclaircir.
Si l'on considère l'ensemble de cette théorie, on sera frappé du fait qu'elle
ne tient nul compte de la culpabilité ou de l'innocence des morts qu'elle
condamne à de longues souffrances. Son auteur n'a aucun soupçon d'une
rétribution dans l'au-delà. L'idée qui domine son classement est que le
moment de la mort est fixé par le Fatum, qui gouverne la vie de chacun. Un
déterminisme rigoureux excluait chez lui l'idée d'une responsabilité morale,
l'admission d'un mérite ou d'un démérite dont dépendrait le sort des âmes.
De plus, son esprit systématique lui a fait soumettre au même traitement
des enfants, encore dépourvus d'intelligence, et des hommes faits, responsables
de leurs actes. L'inclusion dans sa liste de guerriers morts en combattant nous
fournit un indice que cette doctrine n'a pas été imaginée en Grèce, car les
Grecs, nous le verrons (p. 332), n'ont pas rédxiit à une condition misérable,
mais ont au contraire héroïsé et vénéré ceux qui défendaient leur cité les
armes à la main.
On ne se trompera pas, pensons-nous, en mettant la diffusion de cette doc-
trine eschatologique en rapport avec la propagation dans le monde hellénique
de l'astrologie orientale ; car cette pseudo -science a toujours prétendu pouvoir
prédire h^. moment du décès d'après la position des astres au moment de la
naissance,
Nascentes morimur, finis que ab origine pendet^.
Les mathematici multiplièrent les observations et les procédés pour arriver
à fixer l'instant fatal que présageait la géniture. « Le calcul de la durée de
la vie avec l'indication du genre de mort préfixé par les astres est le grand
œuvre de l'astrologie, l'opération jugée la plus difficile par ses adeptes, la
plus dangereuse et condamnable, par ses ennemis » ^. Les docteurs de la divi-
nation sidérale s'en sont beaucoup préoccupés et ils ont écrit de longs cha-
1. J. A. King, Infant hurial (Classical Review, 1903, XVII), p. 83 ss.. Van GemieP)
Rites de -passage, 1909, p. 218 ss. — Pour les Juifs, cf. Ad. Lods, C.-R. Ac. Inscr.,
1940, p. 436 ; 1943, p. 271 ss.
2. Manilius, IV, 16 ; cf. Relig. or., p. 286, n. 8 ; Sénèque, De prov., V, 7 : (sufra,
p. 304, n. i).
3. Bouché-Leclercq, Astrol. gr., p. 404.
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 309
pitres sur ce sujet (Tcepl y povwv ^w^ç)*- La fin naturelle peut être hâtée par
l'intervention d'un astre meurtrier (àvatp£TYiç), c'est-à-dire de Saturne' ou de
Mars, qui, dans certaines conditions, provoquent de brusques décès. Parfois ils
ravissent les bébés à la mamelle, avant qu'une révolution du soleil soit
accomplie : ce sont les aTpoç)ot ou non nutriti, auxquels fait allusion Virgile,
Et l'énorme proportion de La mortalité infantile dans le monde romain don-
nait un intérêt toujours brûlant au sort des « ahores » ^ Parfois les planètes
maléfiques n'accordent au nouveau-né qu'une brève existence bientôt tranchée
(àypovot) ou bien enlèvent des adolescents avant qu'un mariage ait pu leur
assurer une postérité : les àya^o-oi ou innupti de Tertullien ; ou encore elles pro-
voquent des accidents qui brusquement mettent fin à une carrière inachevée.
Les traités d'astrologie consacrent ainsi des prédictions aux enfants morts en
bas âge en même temps qu'à toutes les espèces de « biothanates », dont ils se
plaisent à détailler la variété. Les mots mêmes de biueothanati , dont se sert
Tertullien, ou par contraction biothanati, en grec [3tato0àvaTot ou [3toQàvaTot,
sont des termes techniques, appartenant d''abord en propre au langage des astro-
logues et qui ont été introduits par eux dans l'usage grec et latine La
présence, parmi ces accidents, des victimes de l'amour est due à l'intervention
de Vénus dans une conjonction maléfique, comme celle des victimes de la
guerre à l'influence de Mars dans un lieu défavorable ''^ .
On trouvera une double confirmation de l'origine orientale que nous assi-
gnons à ces idées superstitieuses, si l'on examine d'une part les textes cunéi-
formes, de l'autre les écrits des astrologues grecs. Les Babyloniens nous ont
laissé un grand nombre de conjurations des esprits des morts où sont énumérées
les diverses espèces de spectres qui apparaissent aux vivants ^ On y distingue
1. Ptolémée, Z^éirab., III, 11 ; Vettius Valens, IX, 8 ss. ; Héphaistion, II, 11, etc.
2. Sur les 200 inscriptions du cimetière de l'Isola sacra, environ 25 mentionnent des
morts en bas âge, soit environ 12 pour cent ; cf. Cabsa La Necropoli del Porto di Roma,
^9403 P- 269. Enorme mortalité infantile en Egypte : cf. Hombert-Préaux, Chronique
^'Egypte, 1945, p. 139 ss.
3- Cf. Liddell-Scottj s. v. PiatoÔâvaxo!;, piato6avaxETv. Z!,hes. l. Z., s. v. « Biaeothanatus »,
« biothanatus ». Le substantif composé paraît avoir été encore inusité au temps d'Aris-
tote, qui dit de Socrate (fr. 32, Rose) : Màyov Ttvà ÈX9ôvxa èv. Suptaç eiç 'AO/|Vai; xata-^vCivai
plaiov è'aEaOai ttiv teXeutyiv aùxiL. Mais cf. Lampride, Héliogabale, 33, 2 : « Praedictum
eidem erat a sacerdotibus Syris biothanatum se futurum. »
4- Cf. p. ex. Firm. Mat., III, 4, 36 -, III, 11, 9.
5- Cf. Erich Ebeling, T,od und Leben nach den Porstellungen der Babylonier, Berlin,
^93^5 Ij p. 131 ss. ; p. 145 ss. ; cf. G. Çontenau, La médecine en Babylonie, Paris, 1938,
P- 83 j Thureau-Dangin, Revue assyriol., 1921, XVIII, p. 187.
3Ï0 LUX PERPETUA
d'abord les revenants de la famille — ceux qui surtout hantent leur ancienne
demeure : ils reposent dans la terre, et leurs proches leur offrent des sacri-
fices funèbres en invoquant leur secours. A ceux-ci s'opposent les spectres
d'étrangers, connus ou inconnus, dont souvent on ignore le nom ; ils n'ont
pas été enterrés, gisent dans, le bled ou au fond de l'eau, et personne ne
s'occupe d'eux et ne leur rend un culte : ce sont des âmes errantes, toujours
nocives, qui s'introduisent dans le corps du patient et sont les auteurs de
toutes les maladies. Ces esprits ressemblent comme des frères aux àTa(pot ou
insepulti des Grecs et des Romains. Mais à côté d'eux sont énUmérées diverses
espèces de biothanati, qu'ils aient péri par l'eau ou par le feu, noyés ou
brûlés, qu'ils aient succombé à la faim ou à la soif, soient morts par les
armes dans un massacre sanglant, ou aient été condaninés pour quelque offense
envers une divinité ou un roi. On trouve mentionnés aussi les hommes et les
femmes morts vierges à l'âge nubile, les àYafji,ot ou innupti. Cette multiplicité
d' « ahores » ou de « biothanates » rappelle " absolument celle que les Grecs
ont été amenés à citer d'après les influences combinées des étoiles.
D'autre part, si on lit les textes rédigés sous l'Empire par les maîtres de
la divination astrale, on sera frappé de leur ressemblance avec les vers de
Virgile. Il est tel passage de la Tétrabible de Ptolémée où l'on trouve associés
trois des quatre classes de biothanati que nous avons rencontrées dans l'Enéide :
les guerriers, les suicidés et les victimes des femmes 'c
Si l'on reconnaît dans l'astrologie la source d'aussi étranges aberrations, on
comprendra comment elles ont pu naître dans l'esprit de ceux qui pratiquaient
cette mantique savante. Le nombre des années de chacun est déterminé par
son horoscope, et les doctes généthlialogues assuraient pouvoir en supputer le
total. Mais souvent l'expérience ne confirmait pas leurs pronostics. La mor-
talité infantile emportait fréquemment un nouveau-né qui s'était vu promettre
une longue existence. Ayant perdu un enfant de quatre ans à qui une brillante
carrière avait été prédite, des parents stigmatisent dans son épitaphe « l'astro-
logue menteur dont le grand renom les a abusés tous deux » *. D'autres
clients des pseudo-prophètes, au lieu de jouir de la longue existence qu'on leur
avait fait espérer, la voyaient écourtée par quelque malheur fortuit. Mais
les démentis que la réalité infligeait aux prédictions des observateurs du
1. Ptolémée, Xlétrah.^ IV, g, 12 (p. 202, 18 ss. Boll-Boer) : ^ ôiro itoXEjjtfwv (Tça^o(j:.évoo;,
f, aÙT6j(£ipa; Èa'jTWV y'vojjlîvo'ji; 8ià yjvatxac; f] ■^x^-^iv/m'^ (povéai;.
2. CIL, VI, 27140 = G. E., 1163 : « Decepit utrosque maxima mendacis f ama mathe-
matici ».
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 311
ciel n "ébranlaient pas plus leur confiance dans la valeur de leur discipline
que des diagnostics trompeurs ne détruisaient la foi des médecins en l'efficacité
de leur art. Convaincus à la fois de l'irrévocabilité des arrêts du destin
et de l'infaillibilité de leurs méthodes, les astrologues se persuadèrent que la
puissance irrésistible de la Fatalité s'exerçait, même quand elle semblait
inopérante. Des théoriciens s'efforcèrent de rétablir l'ordre inflexible de la
nature, qui paraissait ainsi troublé par des accidents fortuits, par des actions
individuelles et déréglées. L'infraction aux lois de l'univers n'était qu'appa-
rente : celui qui, par un effet du hasard, ou par un acte de malveillance,
succombait avant que fût atteinte la somme des jours que lui avaient con-
cédée les étoiles, ne quittait pas en réalité la société humaine. Il continuait
à hanter la terre, jusqu'à ce que fût accomplie la durée, voulue par le
Fat'um, de son séjour ici bas. Alors seulement, le cycle de sa vie étant révolu,
il était admis dans le séjour paisible des ombres heureuses.
*
Nous croyons pouvoir nommer l'auteur qui, selon toute apparence, fut, sinon
l'inventeur de cette doctrine, du moins son plus ancien propagateur dans le
monde hellénique.
Parmi let successeurs immédiats de Bérose, Critodème fut un des premiers
auteurs qui révélèrent aux Grecs les arcanes de l'astrologie babylonieniae ^. On
lisait de lui un livre intitulé « Vision » ("Opaaic;), dont le début nous a été
conservé 2. « Après avoir parcouru les mers et traversé de vastes déserts, je
fus jugé digne par les dieux d'bbtenir un havre sans danger et un mouillage
très sûr », Le refuge où Critodème a trouvé un abri contre les orages de ce
inonde, est la foi en la puissance des astres divinisés, dont dépendent tous les
événements de notre terre. Son œuvre n'était pas un traité didactique for-
mulant sèchement les théorèmes de la divination sidérale des Chaldéens, mais
■un écrit diffus, qui s'abandonnait à des spéculations mystiques et qui, impo-
sant au lecteur par des serments redoutables le silence sur son contenu, lui
indiquait divers moyens d'atteindre l'immortalité 3. Critodème s'était plu à
exposer des révélations obscures en tm style sibyllin et son ouvrage devait être
1. Cf. Boll, R. E., s. V. « Kritodemos », t. XI, p. iaa8 j C. C. A. G. VIII, i, p. 257.
2. Vett. Val., p. 150, II, KroU ; cf. p. 329, 20.
3. Ibid., p. 150, 16 ; cf. Mages hell., Il, p. 315, n. 3.
312 LUX PERPETUA
un recueil d'oracles mêlés à une abstruse mathématique, qui seule nous a été
partiellement transmise. Ce vieil auteur, les citations des astrologues posté-
rieurs le prouvent, s'était particulièrement attaché au calcul des années de
la vie ' ; il avait aussi disserté longuement sur les lieux climatériques ^, c'est-
à-dire les moments critiques qui mettaient l'existence en péril. D'autre part
il avait consacré des chapitres aux enfants décédés en bas-âge ^ et enfin aux
victimes de morts violentes. Or l'on constate que certains gei^res de biotkanati,
qui selon Critodème doivent leur sort à l'influence des astres, se retrouvent
invoqués dans les textes babyloniens comme des revenants qui survivent après
le trépas *.
Faut-il supposer que dans ce livre ésotérique, à demi religieux, à demi
astronomique, Critodème parlait déjà des" âmes attendant, dans des sortes de
limbes à la porte de l'Hadès le moment d'y entrer, le cours normal de leur vie
parcouru ? Ou bien Virgile a-t-il emprunté cette localisation des ombres,
provisoirement exclues du royaume de Pluton, à quelque « Descente aux
Enfers » de Tépoque hellénistique ? Ou enfin est-ce le poète lui-même qui a
adapté la doctrine astrologique formulée en Orient à la topographie mytholo-
gique du monde souterrain, telle qu'il l'avait reçue des Grecs ? Les documents
dont nous disposons ne nous permettent pas d'élucider ce point, mais on
notera qu'à Rome, longtemps avant Virgile, Plante savait déjà qu'Orcus ne
recevait pas sur les bords de l'Achéron ceux qui avaient été privés prématu-
rément de la vie ^■■.
La théorie propagée par Critodème mettait en œuvre et systématisait des
croyances bien antérieures à lui, comme c'est le cas pour beaucoup de postulats
astrologiques, gui sont de la mythologie formulée en axiomes. Nous en
trouvons la preuve chez Platon ® qui, dans le mythe d'Er, où il expose des
idées empruntées à l'Orient, fait ime allusion rapide à des croyances trop
futiles, selon lui, pour être répétées, relatives au sort des enfants décédés en
naissant ou après une brève existence.
A travers toute l'antiquité on trouve établie une opposition entre la mort
1. Vett, Val., p. 348, 8 ss.
2. Ibid.^ p. 143, 15 ss. ; cf. 234, 31 ss,
3. Héphaistion, II, 10 = C. C, A. G., VIII, 2, p. 64, 24 ss.
4. C. C. A. G., VIII, 4, p. 199, 15. Rapprocher (p. 200) sur Saturne dans le VIII"
lieu d'Ebeling, op. cit., p. 145.
5. Plaute, Mostellarîa, 499 : Nam me Acheruntem recipere Orcus noluit quia praema-
ture vita careo ; cf. L. Banti, Studi ital. di filologia classîca, N. S., III, 1930, p. 67 ss.
6. Platon, Ré-p., bi$ c j cf. Mages hellén., I, p. 185, n. 5.
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 315
naturelle ou fatale et la mort accidentelle, provoquée par quelque intervention
perturbatrice 1. La première, pour parler comme les physiciens, est celle qui
est promise à chacun par sa nature, soumise à des lois rigoureuses ou, pour
s'exprimer comme les mythographes, par les décisions sans appel des Parques,
ou, si l'on en croit les astrologues, par le jeu compliqué des étoiles. A tout
individu, dès sa naissance, est assignée une certaine durée de vie : celui qui
prolonge celle-ci jusqu'au terme qui lui a été fixé, meurt selon son destin
(jtaTa p.oTpay), à son jour {sua die), de sa mort {sua morte) — nous dirions
de sa belle mort 2. Mais les théoriciens eurent beau affirmer que cette fatalité
ne souffrait pas d'exceptions et s'imposait inexorablement, la foi naïve de la
foule ne partageait pas ce sentiment. De même que, tout en iadmettant avec
les astrologues et les Stoïciens qu'une nécessité inéluctable gouvernait le
monde, l'iiommc du peuple continua de prier les dieux dans les temples de
détourner les maux dont il se voyait menacé, pareillement il consentit, en
dépit de la logique, que la longueur de la vie accordée par le Fatum
fût raccourcie par l'interposition arbitraire d'une volonté humaine troublant
l'ordre du cosmos. L'astrologie prétendait calculer exactement le nombre des
années qu'un thème de géniture promettait au nouveau-né, mais, malgré le
déterminisme absolu qu'impliquait ses postulats, elle ne réussit pas à éliminer,
imême chez ses adhérents, l'idée que certaines personnes mouraient « avant leur
heure {ante horarn) ou leur jour « {ante diem), « avant leur destin » (upb
Le pythagorisme, qui subit l'ascendant de l'astrologie, s'empara de ces idées
et les adapta à ses spéculations. Selon cette philosophie une même harmonie
préside à tous les phénomènes physiques, et cette harmonie, comme la musique,
est soumise à des lois numériques*. Ces lois s'appliquaient donc à la durée
de la grossesse, et une arithmétique compliquée était mise en œuvre pour
prouver, par la somme obtenue, que l'enfant naissait viable à sept ou neuf mois,
mais non S huit — car telle était la doctrine de la secte et elle s'est perpétuée
dans le folklore jusqu'à nos jours. La gestation devenait ainsi une mélodie
dont l'avortement était une fausse note. La nature, disait-on, ressemble à un
artiste qui parfois brise l'instrument dont il tend trop les cordes et parfois,
1. Schulze, Der "Cod des Kambyses, S. A. B., 1912, p. 685-703.
2. Sénèque, Epist., 69, 6 ; Plutarque, Consol. ad Apoll., 25, p. 114 D. ; cf. Schuke,
p. 693 ss.
3. Cf. p. ex., C. E., Suppl. 1948 ; Tertull., De anima, 52.
4. Cf. L'Opuscule de Pediasimos Dsp'. lirTaiiT^vcov, R. B. Ph., 1923, II, pp. 5-ai.
314 LUX PERPETUA
ne les tendant pas assez, ne peut les faire résonner. Or ces lois harmoniques
réglaient nécessairement non seulement la formation de l'homme, mais sa
dissolution : « C'est un rapport fixe et déterminé de nombres, dit un philo-
sophe i, qui unit les âmes aux corps, et, tant qu'il subsiste, ce corps continue
d'être animé, mais dès qu'il fait défaut, l'énergie cachée qui maintenait cette
union, se dissout — et c'est ce que nous appelons destin et temps fatal de la vie » ,
Or, quand le terme voulu par la nature est atteint, l'âme se détache sans
effort du corps où son office ne peut plus s"exercer, mais lorsqu'elle en est
chassée brutalement et que le lien qui les joignait est brisé par la force, elle
en est troublée et subit un mal qui la corrompt.
Ces idées avaient pénétré profondément dans la conscience populaire. La
distinction entre une fin naturelle où s'accomplit sans résistance et sans peine
notre destinée, et celle que provoque brusquement une intervention étrangère,
est fréquemment marquée, non seulement dans la littérature^, mais dans les
inscriptions funéraires 2. Ainsi l'épitaphe d'une jeune femme de vingt-huit ans,
victime supposée d'un sortilège, dit : « Son esprit fut arraché par la violence
plutôt que rendu à la nature » — qui le lui avait prêté ; — « de ce forfait les
Mânes et les dieux célestes seront les vengeurs ^ ». Parmi beaucoup d''autres
je choisirai encore une inscription métrique de Capri dont la prière trahit la
crainte qu'éprouve une jeune morte de ne pouvoir pénétrer dans le séjour des
Bienheureux : « Vous qui habitez la contrée du Styx, démons bienfaisants,
accueillez-moi aussi dans THadès, malheureuse qui n'ai point été emportée par
un arrêt des Moires, mais par une mort violente et soudaine par suite d'un
courroux injuste » ^. Plus pittoresque est une épitaphe gauloise d'un jeune
homme de dix-neuf ans : « Les choses humaines sont comme les citrons qui
tombent quand ils sont mûrs, ou non mûrs sont cueillis » ^.
Nous en avons dit assez pour définir exactement ce que les anciens, enteti-
daient par tin décès prématuré.
■te ■)>
1. Macirabe, Comm. Somn. Scif., I, 13, 10, probablement d'après un commentaire de
Plotin, I, 9 (p. 133, 4, Br.) par Porphyre. Cf. infra, ch. VIII, p. 366, et N. C. XVIII.
— Cf. sur cette harmonie, Cic, Z^usc, I, 19 ; Philon, De somniis, I, 22, § 139 ; Hermès
Trism. dans Stobée IV, 52, 47. Ps. Asclefius, 27.
2. Aulu-Gelle, 13, i ; Justin, 9, 8, etc.
3. C. E., 1604.
4. Kaibel, Epgr., 624 = IG., XIV, 902. Autres textes cités par Schuke, /. c, p. 696 ss.
5. CIL, XII, 533 ; cf. H. Wuilleumier, R. H. Rel., 1944, II, p. 40.
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 315
Reprenons le texte de Virgile. Il noiis montre la foule des enfants, ravis
par la mort au seuil de la vie, qui exhalent leur douleur à la porte des Enfers
par de longs gémissements. De même, suivant un mythe que Plutarque a intro-
duit dans son traité sur le démon de Socrate ', un voyageur dans l'au-delà
plonge ses regards au fond d'un gouffre ténébreux, où se lamentent les
réprouvés, et il perçoit, comme dans l'Enéide, les voix plaintives d'une multi-
tude d'enfants qui, à peine nés, ont péri, et qui s'efforcent, sans y parvenir, de
gagner le ciel. Ainsi le poète et le philosophe s'accordent à représenter comme
pitoyable le sort des enfants décédés en bas âge et bannis du séjour des Élus,
et tous deux leur font proférer une plainte sempiternelle. On a cherché le
motif pour lequel, fait surprenant, ces êtres inoffensifs furent tenus pour
malfaisants. Hopfner, qui s'est surtout occupé de cette question, est d'avis
que « ces âmes qui n'ont pas goûté l'es joies de la vie, qui sont mortes sans
connaître l'amour ni laisser de postérité, gardent le désir passionné de l'exis-
tence où elles n'ont pu réaliser leur destinée. Elles sont remplies d'envie et
d'aiiimosité envers les vivants et, les haïssant, s'efforcent de leur nuire » '^. Cette
explication contient sans doute une part de vérité, mais elle n'est pas suffisante.
Si, comme nous l'avons indiqué en commençant, la source lointaine de cet
ensemble de superstitions macabres doit être cherchée en Orient, on songera
surtout à ces atroces immolations d'enfants qui furent si longtemps pratiquées
dans le paganisme sémitique : sacrifice des premiers nés qui, analogue à
l'offrande des prémices des fruits et des troupeaux pour protéger la récolte
ou le bétail, devait pareillement garantir l'existence de la famille ^ ; sacrifice
de fondation, où un nouveau-né était enterré sous le seuil ou aux angles de
la construction pour assurer sa solidité et surtout la sécurité de ses habitants * ;
sacrifice d'un fils ou d'une fille pour détourner des maux menaçant ses
parents ou la communauté entière s. Des inscriptions récemment découvertes en
Afrique, mentionnent le sacrifice nocturne d'un agneau offert « âme pour
âme, sang pour sang, vie pour vie » et cette formule se retrouvant dans des
I. Plut., De genio Socratis, 22, p. 590 f ; cf. 591 c ; Symbol., p. 56.
a. Hopfner, Offenbarungszauber, § 334 ss., 348 ss., résumé par l'auteur, R. E., s. v.
« Necromantie », cx>l.,22i9. Cf. Tertull. De anima, ^y.
3. Exode, XIII, 13; cf. Loisy, Sacrifice, p. 233SS.; Hastings, 5«c.,s. v.' «Firstborn».
4. Hugues Vincent, Canaan, à' açths l'exploration récente, 1907 ; et Loisy, of. cit.,
p. 369.
5- Roscher, Lex,, s. v. « Kronos », p. 1501 ; Dussaud, Origines cananéennes du sacri-
fice Israélite, 1921, p. 163 ss.; Loisy, Sacrifice, ^p. 112, 232 ss. ; Goossens, Hier a-po-
lis de Syrie, 1943.
3 lé LUX PERPETUA
textes syriaques, doit avoir appartenu au rituel commun de plusieurs peuples
sémitiques ^ Une victime propitiatoire est livrée dans les ténèbres de la nuit
au cruel dieu des morts, avide de vies et de sang, auquel on immolait primi-
tivement un rejeton humain, plus tard le petit d'un animal, afin que, satisfait
de cette tendre victime qu'on lui abandonnait, il renonçât à celles qu'il
menaçait d'exiger et que fût préservé le reste de la famille, de la tribu ou
de la cité.
Mais comment n'eût-on pas craint les représailles posthumes de ces inno-
cents ainsi condamnés injustement à périr ? Ces chétives créatures, qui n'étaient
apparues qu'un instant sur la terre pour être aussitôt privées de la lumière du
jour, devaient être révoltées du traitement atroce qu'elles avaient subi et,
outrées de colère, chercher à nuire aux auteurs ou complices de ce crime abo-
minable. Elles faisaient partie désormais de l'armée des esprits maléfiques,
isoumises au maître du monde souterrain auquel on les avait livrées.
Lorsque, sous Tibère, la loi romaine prohiba dans le culte les meurtres
rituels d'enfants, ils se perpétuèrent dans la magie, qui est souvent le refuge
des pratiques abandonnées dans les temples ou même une religion à rebours,
dont les rites nocturnes forment l'effrayante liturgie des puissances infernales
et — nous y reviendrons dans un instant (p. 320) — Timmolation d'enfants
continua à être accomplie dans l'ombre par les nécromants qui voulaient
exposer un ennemi à la malignité des démons.
Sous l'Empire romain, quand des agneaux eurent été substitués aux nou-
veaux-nés dans les sacrifices sémitiques, une autre pratique dut perpétuer la
crainte que provoquaient les ombres nocives des « ahores », celle de l'expo-
sition qui, dans la plupart des cas, devenait un infanticide cruel. Nous savons
notamment par les astrologues que l'enfant jeté à la voirie était souvent
dévoré par les chiens errants (xuvoÇpcoToç) Les parents qui, poussés par la
misère, les mères qui, pour échapper au déshonneur, avaient ainsi abandonné
leur bébé, ont dû souvent être obsédés par le souvenir de la fin affreuse qu'ils
lui avaient imposée, et le remords a naturellement provoqué la terreur d'un
châtiment de la part de leur victime.
Ceux-là mêmes dont le séjour sur la terre se prolongeait davantage, mais
qui ne parvenaient pas à l'âge mûr, faisaient redouter les maux qu'ils pou-
1. Carœpino, R. H. R., 1932, CIV, p. 59a ; Gey, Mél. Ec. fr. de Rome, 1937, LVIII,
p. 88 ss. ; Mages hell., II, p. 342, n. i ; p. 352.
2. Critodème, C. G. A. G., VIII, 2, p. 64, 31 j cf. Egypte astrol., p. 187, n. 2.
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 317
valent causer. Les Grecs croyaient que ces esprits brutalement désincarnés
devenaient semblables aux démons subtils et pernicieux dont l'air était rempli.
Comme eux, ils faisaient partie de la suite d'Hécate, déesse des enchantements,
et comme eux^ ils étaient soumis au pouvoir des magiciens 1. 'Dans l'île de
Lesbos, Gello, vierge enlevée avant l'âge, devient un fantôme qui tue les
enfants et cause les décès précoces. Il suffisait qu'un adolescen,t, qu'une jeune
fille eussent succombé prématurément pour qu'on soupçonnât le poison, un
maléfice ou quelque machination impie d'avoir causé leur perte. Nous avons
conservé une quantité de sépultures de ces morts, privés de la lumière avant
leur maturité, sur lesquelles ont été sculptées deux mains dressées la paume
en avant, tendues vers le ciel par un geste de prière : Ces « mains Supines »
supplient les dieux et spécialement le Soleil justicier, « qui voit tout », à qui
aucun crime ne reste caché, de puniri l'assassin inconnu qui a fait périr un
innocent 2. Ainsi ceux qui meurent à la fleur de l'âge sont fréquemment
regardés comme les victifnes d'un attentat, et l'on s'explique dès lors que ces
« ahoies » soient souvent associés aux « biothanates » et '-que leurs destinées
soient pareilles.
Voyons donc comment l'on se figure l'action malfaisante de ces derniers.
Frazer, étudiant à travers le monde entier les croyances qui s'attachent à ces
biothanati^, constate que parmi les esprits des morts, qui tous éveillent Teff roi,
ils sont jugés particulièrement redoutables. En les privant de la vie, on leur
a causé un mal dont ils cherchent à tirer vengeance ; ils poursuivent le meurtrier,
s'ils peuvent le découvrir, soit qu'ils aient été tués à la guerre ou qu'ils aient suc-
combé à un assassinat. Mais comme dans leur courroux ils confondent souvent
les innocents et les coupables, ils deviennent dangereux pour toute la commu-
nauté, et il importe de multiplier contre eux les précautions. Frazer, selon sa
cout-ume, a accumulé une foule de témoignages qui prouvent l'existence de
telles croyances chez les peuples , des deux hémisphères et il a montré qu'on
recourait aux opérations ou cérémonies les plus étranges et les plus compli-
quées pour se protéger contre la fureur de ces terribles démons en les dépis-
tant ou en se prémunissant contre leurs coups. Les mêmes conceptions provoquant
des réactions semblables, on peut faire des rapprochements curieux entre les
1. Rohde, tr. fr., appendice, p. 611.
2. Cf. H sole vindîce dei delitti (Memorie Accad. pontif . romana archeologia, série
m, vol. I, 1923, p. 65-80). Additions : Rendiconti de la même académie, V, 1927,
P- 69 ss., et Syria, 1933, XIV, p. 385 ss. ; S. E. G., IV, 123 j VI, 803.
3. Frazer, Crainte des morts, t. fil, p. 82 ss.
3i8 LUX PERPETUA
imaginations de certains sauvages et les doctrines des théologiens du paga-
nisme. Comme l'indiquent les rapports des ethnographes, certains non-civilisés
sont persuadés que les morts par violence ne peuvent être admis dans le
royaume des esprits, mais continuent à rôder sur la terre à la recherche des
ennemis qui les ont abattus dans la fleur de leur jeunesse. Si on se les figure
dans la demeure des morts, ils y habitent — comme dans l'Enéide ■ — un
séjour particulier * . Par ses rites magiques l'homicide espère non seulement
rendre inoffensif l'esprit de sa victime, mais l'obliger à être son serviteur
dans l'autre monde. Si l'on néglige d'accomplir exactement les actes qui
doivent garantir contre l'animosité du spectre errant, celui-ci s'introduira dans
votre corps et l'accablera de maladies, ou bien il troublera votre intelligence
et causera la démence, et même il réussira à provoquer votre mort. Ainsi de
frappantes similitudes entre les croyances de régions fort éloignées de la terre
montrent que celles qui continuaient à avoir cours à l'époque historique chez
les peuples les plus civilisés, remontaient à ime origine lointaine et appar-
tenaient à la mentalité la plus primitive.
Les Grecs ont déjà partagé la conviction que la victime d'un meurtre,
devenu?- un esprit vagabond, s'efforçait de nuire à son meurtrier ; Rohde en a
réuni des preuves multiples 2. Nous nous bornerons à citer un témoignage,
particulièrement caractéristique, de Platon \ Il invoque l'autorité d'un mythe,
« vieux parmi les anciens », probablement orphique. « Celui qui a été mis
violemment à mort, s'irrite de son décès contre l'auteur de ce crime. Rempli
d'effroi et d'épouvante à cause de cette violence qu'il a subie, et voyant son
meurtrier fréquenter le séjour auquel lui-même était accoutumé, il s'en effraie,
et, troublé, il trouble de tout son pouvoir l'homicide ». C'est pourquoi celui-ci
doit absolument éviter les lieux où il court le risque de rencontrer le spectre
courroucé. Les âmes, dit Tertullien*, qu'une fin cruelle et prématurée a arra-
chées à leur corps par la violence et l'injustice, sont elles-mêmes portées à la
violence et à l'injustice pour tirer vengeance de l'offense qu'elles ont subie.
Une croyance, dont encore à l'époque romaine les philosophes se sont faits
les interprètes, voulait que ces âmes demeurassent près .du cadavre ou autour
1. Frazer, p. 92.
2. Rohde, tr. fr., p. 217; cf. 'Pra.zer,ip. xoy.,Banti, op. cit., \supra, p. 312, n. 5], p. 75 ss.
3. Platon, Lois, IX, 865 d. Cf. Xénoph., Cyrop., VIII, 7, 18; Boyancé, Revue études
latines, 191 5, XIII, p. 107 ss.
4. Tertull., De anima, ^y : « Bas potisslmum animas ad vim et iniuriam facere, quas
per vim et iniuriam saevus et immaturus finis extorsit ».
CHAPITRE VU. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 319
du tombeau ou près du lieu où l'attentat avait été perpétré'. Suétone rapporte
gravement que la maison où Caligula avait été assassiné, fut hantée toutes les
nuits d'apparitions terribles, jusqu'au moment où elle fut détruite par un
incendie * . Le meurtrier, obsédé par ses remords, voyait dans ses cauchemars
réapparaître menaçante l'ombre de sa victime ; de là la croyance que celle-ci^
sortie du sépulcre, poursuivait celui qui lui avait ravi la vie*. « Dès que
condamné par vous à périr, j'aurai expiré », dit chez Horace*, l'enfant
immolé par les sorcières, « je hanterai vos nuits comme une furie, je déchi-
rerai vos visages de mes ongles crochus, comme le peuvent les dieux Mânes,
et pesant sur vos cœurs angoissés, je vous enlèverai le sommeil par cette épou-
vante ». Après l'assassinat d'Agrippine, Néron, de son propre aveu, fut
souvent troublé par l'apparition du spectre de sa mère et tenta de calmer son
ressentiment par un sacrifice et une évocation qu'il fit faire par des magiciens ^.
Un scoliaste définit les Lémures nocturnes : « les ombres errantes des hommes
morts avant le jour normal, et par suite redoutables 6. » Elles étaient condam-
nées à flotter çà et là, misérables et vagabondes près de la terre ou à la
surface des flots, transformées, comme celles des défunts laissés sans sépul-
ture en démons voletant dans les airs. De même que les insepulti n'obtenaient
pas le repos dans la tombe avant que les rites funèbres eussent été accomplis
sur leurs restes ', pareillement pour que les biothanati trouvassent le repos,
il fallait que leurs Mânes fussent apaisées par le châtiment des assassins *.
Cette assimilation des deujf: catégories d'âmes en peine, devenues démoniaques,
que nous trouvons rapprochées par Virgile et par TertuUien remonte, nous
l'avons vu (p. 309), à l'ancienne Babylone où les unes et les autres étaient
mises simultanément au service des sorciers. C'est en Orient qu'on continue
à les trouver le plus fréquemment unies ,dans les textes magiques jusqu'à
l'époque romaine. Ainsi, pour prendre cet exemple, une série de conjurations,
datant du m^ siècle de notre ère, découvertes dans l'île de Chypre, fait appel
1. Cf. injra, p. 320.
2. Suétone, Calig.^ 59.
■ 3. Cf. C. Pascal, I, p. 156 ss.
4. Horace, Efodes, V, 92.
5. Suétone, Néron, 34; cf. Tacite, Ann., XIV, 10.
6. Porphyrien, Scol. Hor., II, 2, 209 : « Nocturnas Lémures umbras vagantes homi-
îium ante diem mortuorum et ideo metuendas... Lémures umbras terribiles biothana-
torum ».
7. Cf. supra, pp. 22 et 84.
8. Cf. Tite Livcj III, 58, 11 ; Suét., Aug., 15.
320 LUX PERPETUA
à la fois aux esprits des morts jetés dans la fosse commune, à ceux qui ont
péri par violence ou avant l'âge, ou qui sont privés de sépulture'.
Les nécromants s'attribuaient la puissance de faire surgir des Enfers les
fantômes de tous les défunts, mais ils évoquaient de préférence les ombres
de ceux qui avaient succombé à ime mort violente ou prématurée. Les papyrus
magiques, pour nombreux qu'ils soient, ne forment qu'une partie secondaire
de la littérature consacrée autrefois à ces pratiques néfastes. Nous apprenons
notamment par Tertullien * qu'Ostanès le Mage perse, Nectabis l'Egyptien et
d'autres théoriciens illustres des sciences occultes s'étaient occupés longuement
des évocations des « ahores » et des « biothanates ».
Par des cérémonies occultes, où persiste la tradition d'antiques croyances,
ils pensaient se rendre maîtres de l'âme en agissant sur le corps. L'idée
primitive que celui-ci reste lié de quelque façon à l'esprit désincarné, qui avait
été son hôte temporaire, inspire les pratiques de cette magie noire.
Nous avons parlé de ces évocations à propos des nécromants (p. 107), et
rappelé comment ceux-ci s'efforçaient d'obtenir quelque portion du cadavre,
ou, à défaut de restes corporels, quelque objet ayant appartenu au défunt,
et comment ils n'hésitaient pas, pour se les procurer, à violer les tombeaux,
ou même à mettre à mort des enfants pour faire servir leur sang et leurs
entrailles à des pratiques scélérates. Cicéron, Horace, Pétrone, d'autres auteurs
encore, décrivent ou mentionnent ces assassinats des nécromants et il n'est
pas douteux qu'ils aient été parfois perpétrés, bien que les papyrus magiques
taisent prudemment ces crimes que punissait la sévérité des lois répressives.
L'on voit par le détail de ces opérations néfastes que les ombres des morts
privés trop tôt ou violemment de l'existence étaient particulièrement aptes,
par leur nature malveillante et leur caractère vindicatif, à satisfaire la haine
qu'on nourrissait contre un ennemi, en l'accablant de maux physiques ou
moraux, voire en hâtant sa fin, si l'on voulait se défaire de lui.
De Virgile nous sommes descendus dans les bas-fonds les plus sombres
de la superstition orientale. Nous allons remonter vers la lumière en prenant
pour guides les philosophes.
1. Audollent, Defix. tabellae, 22, 31 ; 24, 17 ; 26, 30 ; 28, 21, etc.
2. Tertull., De anima, $^ ; Mages hell., I, p. 184 ; II, p. 288.
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 321
II. — La réaction morale.
Nous avony essayé jusqu'ici de montrer comment un ensemble logique de
croyances désolantes avait été poussé jusqu'à ses dernières conséquences : au
moment de la naissance, le destin fixait la carrière que chacun avait à par-
courir ; si cette carrière était prématurément interrompue, l'âme en peine
devait l'achever sur la terre sans trouver de repos, et, devenue un esprit mal-
faisant, elle prêtait son secours aux devins et aux nécromants. Cette conviction,
qu'appuyaient l'astrologie et la magie orientales, s'imposa à beaucoup d'esprits.
Mais elle était si inique qu'elle devait nécessairement soulever les objections
des philosophes, comme la réprobation des adversaires du paganisme. Ter-
tullien lui reproche avec raison de confondre dans une même infortune les
malfaiteurs que la justice avait condamnés au dernier supplice et les « ahores »,
enfants que leur âge même préservait de tout péché 1. Le sentiment et la
raison protestaient à la fois contre cette sorte de damnation qui vouait des
innocents à de longues tortures. Quand un accident ou une maladie ravissait
un fils chéri à leur amour, ses parents pouvaient-ils se résoud're à croire qu'il
subirait un châtiment immérité ?
Des doctrines plus humaines s'opposaient à ces superstitions cruelles. Les
Pythagoriciens reculaient jusqu'à seize ans, c'est-à-dire jusqu'à la puberté, l'âge
de raison, où l'homme, capable de choisir entre la vertu et le vice, pouvait
être rendu responsable de ses fautes^. Jusqu'alors l'âme restait nue, exempte
du bien et du mal qu'elle devait plus tard revêtir^ des mérites ou démérites
qui devaient s'attacher à elle. D'autres penseurs fixaient à sept ans la durée
de l'état incertain où cette âme était semblable à la cire molle dans laquelle
aucun caractère ne reste gravé ^. Mais précisément pour ce motif, selon les
vues des moralistes, ces esprits que n'appesantissait pas leur pollution devaient
s'envoler plus facilement vers les astres. « La route du ciel, écrit Sénèque*,
est infiniment plus facile aux âmes qui quittent de bonne heure le commerce
I. TertuU., De anima, c^.
2- Servius, Aen. VI, 136 ; Schol. Perse, III, 56 ; ci. supra, ch. VI, p. 278.
3- Philon, Quis rer. div. hères, 294 (III, p. 67, 5. Cohn-Wendl.) ; Leg alleg., II, 53
(I) p. 100, 29).
4- Sénèque, Cons, ad Marciam, 23, i.
21
322 LUX PERPETUA
des humains, elles sont alourdies de moins de fange. Libérées avant de s'être
mêlées de trop de matière et imprégnées de trop d'éléments terrestres, elles
remontent d'un vol plus léger vers leur première patrie et se dégagent plus
aisément de tout ce qui les souille et les altère. » De même Plutarque^ déve-
loppe l'idée que l'esprit qui s'est rapidement débarrassé du corps et des affec-
tions terrestres que celui-ci inspire, s'élèvera sans peine à un état plus parfait
et plus heureux d'ans un monde me^illeur.
Il est difficile de savoir jusqu'à quel point les espérances conçues par
l'éthique des philosophes, étaient partagées par la conscience du plus grand
nombre. Souvent la réaction contre les croyances désavouées aboutissait à une
pure négation, qu'il s'agît d'impubères ou d'adultes. Ceux qui pensaient que
le trépas abolissait tout sentiment, se contentent d'affirmer que l'enfant qu'ils
pleurent s'est enfoncé dans la nuit éternelle et qu'il n'en reste que cendre et
poussière 2. Ailleurs on se figure qu'un garçonnet de douze ans est descendu
dans l'obscurité de l'Hadès, où il ne voit plus briller les astres ^ Une épitaphe
souhaite que les os d'un fils reposent doucement dans le tombeau^ « si ses
Mânes éprouvent encore quelque sensation » *. Mais l'amour maternel ne
pouvait se satisfaire de cette assurance négative ou se résigner à un doute
angoissant ; car la doctrine astrologique et magique avait fait naître dans
bien des esprits une appréhension irraisonnée des , maux qui attendaient les
« ahores » et de ceux qu'il fallait attendre d'eux.
Les croyances empruntées à l'Orient étaient venues raviver les craintes que
l'orphisme avait anciennement répandues en Grèce : tm crime ancestral —
le meurtre de Zagreus par les Titans — rendait coupable^ dès sa naissance,
toute l'humanité, et ce péché héréditaire devait être effacé par des purifica-
tions '\ Mais la religion offrait un remède aux maux qu'elle-même avait créés.
La coutume d'initier les enfants aux mystères qui, au moins à Eleusis, se
rattache primitivement au culte familial ou gentilice, devint un moyen d'écarter
la menace qui pesait sur eux et d'assurer leur félicité dans une autre vie. On
voit en effet des bambins des deux sexes admis dès l'âge le plus tendre parmi
I. Plut., Consol. ad uxorem, ii, p. 6ii E. Cf. TertuU., De anima, 56 fin « Animas
immaturas et innuptas et pro conditione aetatis puras et innocuas ; C. E., 1233, i5'
a. C. E., 395; 397 ss.; 12325 cf. Galletier, p. 46. !
3. J. R. S., 1927, XVII, p. 49 ; C. E., 398, 428 ; CIL, XI, 6435; cf. Symbol, p. 55 i
S.E.G., IV, I.
4. C. E., 428 : « Si sapiunt aliquid post funera Mânes » ; cf. Ibid., 1147.
5. Cf. su-pra, p. 244.
CHAPITRE VU. -- L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 323
les adeptes des cultes secrets^ qu'ils soient grecs, comme celui de Bacchus,
ou orientaux^ comme ceux d'Isis, de Cybèle, de Mithra, de la Caelestis afri-
caine ^ Peut-être même des oblats étaient-ils consacrés à la divinité aussitôt
après leur naissance. On se les représente dès lors jouissant dans l'au-delà
des joies que ces mystères promettaient à ceux dont ils assuraient le salut.
L'influence des cultes astraux s 'ajoutant à celle de la philosophie persuada à
des parents enclins à le croire que ces créatures innocentes montaient vers le
ciel étoile. Ainsi, pour prendre cet exemple, une épigramme de Thasos ^ parle
d'une vierge anthophore, — probablement de Déméter et Koré — qui fut
enlevée par les Moires inexorables, mais résidant parmi les astres par la
volonté des immortels, elle a pris place dans le séjour sacré des Bienheureux.
Chose curieuse, une épitaphe d'Afrique qui reprend l'expression même de
Virgile^,, affirme contrairement au poète qu'un bébé « emporté au seuil de
la vie », ne s'est point dirigé vers les lyiânes, mais vers la lumière céleste.
On pourrait allonger la liste de semblables inscriptions. Un bas-relief romain
du Musée de Copenhague figure le buste d'une petite fille posé dans un grand
croissant qu'entourent sept étoiles, rappelant ainsi qu'elle s'est élevée vers la
lune, séjour des Élus *. Les enfants qui ont pris part aux cérémonies de Bacchus
vivent doués d'une jeunesse éternelle dans les prés fleuris des Champs-Elysées,
au milieu du cortège des Satyres et des Naïades, et ils participent à de nou-
velles orgies qui renouvellent la divine ébriété des bacchanales terrestres^.
Sur les sarcophages de ces enfants, im groupe souvent reproduit nous montre,
au centre de la composition, le jeune myste que la liqueur capiteuse fait tituber,
soutenu par ses compagnons dans ce thiase élyséen. Ainsi s'appliquent aux
« ahores » les diverses formes de la vie future que les mystères avaient
imaginées pour les adultes. Le sort des uns n'est ni pire ni meilleur que
celui des autres.
i- Initiation des enfants, cf. Symbolisme, p. 282 ss. — Elle paraît avoir été souvent
accordée à sept ans, l'âge de la raison (su-pra, p. 321) : Kaibel, Efigr., 153 = Cou-
gny, Anthol. suppl. II, 316; CIG, 6206; Symbol.^ p. 282, n. 5.
2- Symbol., p. 282, n, 3.
3- CIL, VIII, 8567 = C. E., 569 : « Puer parvus vitae e limine raptus / non ta-
î^en ad Mânes, sed caeli ad Iximina pergis ; cf. CIL, VI, 10764 = C. E., 1535 ; VT,
12087 = C. E.j 611, et 1061 : « An superas . convisit luminis auras, innocua aeternis
oondita sideribus ».
4- Symbol., p. 242 et pL XX; Immortalité lunisolaire d'une enfant de dix ans : Ibid.,
P- 243 ss., pi. XXI.
5- Cf. su-pra, p. 255 ; Symbol., p. 284 ss.
324 LUX PERPETUA
Du délire des bacchants la philosophie rapproche, depuis Platon, l'inspi-
ration des poètes et plus tard l'exaltation intellectuelle du savant. Suivant cette
doctrine l'âme n'a plus besoin, pour atteindre l'immortalité, de subir une ini-
tiation életisinienne ou dionysiaque. Le sage, dont la pensée se détache des
soucis matériels pour cultiver la science et qui laisse la seule raison gouverner
sa vie, devenu après sa mort ime pure intelligence, va vivre avec les dieux
et obtient la révélation intégrale de toute vérité. Mais il est surprenant que
même des .écoliers aient été jugés dignes d'être héroïsés pour leur modeste
savoir d'élèves appliqués. Les inscriptions et les sculptures funéraires ne laissent
subsister à cet égard aucun doute i. La douleur des parents qui avaient suivi
avec admiration l'éveil d'une intelligence précoce chez un fils trop tôt enlevé
à leur adoration, cherchait un réconfort dans la pensée que les études où il
s'était distingué lui assuraient un sort favorable dans l'au-delà. Une série de
sarcophages, qui reproduisent la brève carrière d'un enfant jusqu'à sa mort
prématurée, nous le montrent d'une part instruit par son pédagogue et, à
l'autre extrémité de la cuve, élevé au rang de héros ou emporté vers le ciel
sur le char de l'apothéose^. Ailleurs, au groupe de la leçon donnée par un
magister répond, sur une autre face du tombeau, la représentation de cet
adolescent transporté dans le séjour des Bienheureux et prenant part aux
ébats des Êros ailés qui figurent les âmes héroïsés. Une lettre de condo-
léances de Pline le Jeune à son ami Fundanus fait l'éloge d'une fille de
celui-ci emportée dans sa treizième année, et loue l'intelligence de cette
écolière studieuse. Sa tombe a été retrouvée à Rome : elle porte à son sommet
l'aigle éployé de l'apothéose 3. Si un père était accablé de douleur par la
perte d'un fils, il cherchait une consolation dans la pensée que ce mort était
déifié, et il rendait un culte à son image ^. Les charmantes fresques qui déco-
rent le tombeau d'une enfant de six ans, découvert sur la Voie Triomphale,
noUs font voir une prairie constellée de roses que cueillent à l'envi garçonnets
et fillettes. Un char attelé de colombes a enlevé la petite morte vers ces
Champs-Elysées transférés au ciel'^
1. Cf. Symbol., p. 264 ss. ; p. 285 ss.
2. Symbol., p. 334 ss. Cf. ch. VI, p. 296.
3. Pline, E-p., V, 16 ; CIL, VI, 16331, reproduction par Shov^rerman. Rome and the
Romans, p. 428. Sur l'aigle, cf. supra, ch. VI, p. 294.
4. La Sagesse de Salomon, XIV, 15, qui date peut-être die l'époque hellénistique, dorme
déjà cette origine aux apothéoses précoces.
5. Symbol., p. 345, cf. p. 189, n. i. Cf. supra, p. 296.
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 325
*
* *
On pourrait multiplier les exemples de ces apothéoses précoces. Nous indi-
quons seulement, en invoquant un cas caractéristique, comment les préjugés
populaires ont pu se combiner pour les « ahores » avec la doctrine de l'im-
mortalité astrale. Une croyance répandue chez des peuples divers veut que
les retraites des bois ou la profondeur des eaux soient peuplées de génies fémi-
nins, qui s'éprennent de la beauté des jeunes gens et les enlèvent pour les
associer à leur vie. En Gaule, comme chez les Celtes d'Ecosse et d'Irlande,
de nombreuses légendes gardent le souvenir de fées qui hantent les grottes
sylvestres^ les sources fraîches ou les rivières transparentes 1. Suivant le folklore
celtique la mort n'est naturelle que pour les vieillards ; lorsqu'on périt à la
fleur de l'âge, c'est qu'on a été aimé par une fée 2, De même les anciens
attribuaient aux Nymphes rustiques des pouvoirs étranges que le paysan grec
d'aujourd'hui reconnaît encore aux Naraîdes^. Parfois ces déités fantasques
s'emparaient de l'esprit des hommes et les transformaient en voyants ou en
déments (vufji.(p6AY]TCTot) *. Mais surtout elles avaient une passion pour les jolis
enfants et les dérobaient à leurs parents, non pour leur nuire, mais pour les
emporter dans leurs retraites oii ils jouissaient avec elles d'une vie immortelle^.
La Fable racontait que le bel Hylas avait été ainsi ravi à Cius, et la sculpture
funéraire s'est plu à figurer ce mythe, en particulier sur les tombeaux d'en-
fants ^ L'adolescent dont l'amour des Nymphes avait fait un bienheureux^
était le prototype du destin réservé aux défunts dont la sépulture portait son
image. Sans doute à l'origine était-ce au fond des bois, dans les antres des
montagnes, près des sources limpides que les Nymphes entraînaient ceux dont
elles faisaient les compagnons ou les compagnes de leurs ébats divins ^ ;
1. Sébillot, Folklore de France,!, p. 439 ss.; II, pp. 192 ss.; p. 344. — Cf. Abeghian,
ûie armenische Volksglaube, p. 105 ss., p. 108.
2. Le Braz, Légende de la mort chez les Bretons^, 1902, Introd., p. XXII.
3. Lawson, pp. 140 ss.
4. Aristote, Eth. E-udem., 1214 a, 23; Roscher, I,e.\-., s. v. Nuu/ftilr.TtTot, p. 514, 48 ss.
Pfister, R. E., Suppl. VII, s. v. « Daimonismos », p. 104.
5 Callimaque, Epigr., 2/^. ; Rohde, I, p. 374 = tr. fr. p. 570, n. 3. — Cf. Plut., De
^efectu orac, 21, p. 421.
6. Robert, Sarkophagrel., III, i, pp. 163 ss., pi. XLIII, no 139 ; Reinach, R. R., III,
P- 167, 298, 483; Espérandieu, VI, 5268 ; Roscher, s. v. « Hylas », col. 2706, 3.
7- Théocrite, XIII, 72, avec la scholie.
8. IG, XIV, 2067 ; Kaibel, Ep., 571.
32é LUX PERPETUA
ou bien c'était dans les eaux profondes des fleuves que l'enfant devait être
soustrait à la mort : Isidora, noyée dans le Nil, est divinisée, et les Nymphes
qui l'ont ravie lui ont construit le temple où lui sera rendu un culte différent
selon les saisons ^ ; ou encore on se le figurait, quittant la terre et se mêlant
au cortège des Naïades dans les prés fleuris des Champs-Elysées 2'. Mais il
se produisit aussi une combinaison entre cette croyance populaire et celle des
vents ravisseurs qui saisissent les âmes aériennes (p. 208). Les Nymphes ou
Néréïdes provoquent dans l'air des tourbillons, et cette trornbe qui passe enlève
les enfants qui n'ont pas été gardés avec assez de soin les jours de tempête s.
Ainsi paraît être née l'idée que, comme le souffle des Vents élève les âmes à
travers l'atmosphère, c'est vers le ciel que les Nymphes emportent les enfants
dont elles se sont emparées. Une épitaphe latine dit qu'un bambin de huit ans
raptus a Nymphis est une anima boita superis réédita^, et suivant une épi-
gramme grecque c'est dans « les demeures immortelles de l'éther » que les
Naïades ont placé une fillette de cinq ans dont le charme les avait séduites ^
Transférés au ciel, ces êtres chéris furent érigés par la tendresse de
leurs proches en protecteurs de la famille où vivait leur souvenir, des amis
qui partageaient les mêmes regrets. La religion adopta donc une opinion tout
opposée à celle de la magie, pour laquelle les « ahores » sont des esprits malé-
fiques. Qu'ils soient appelés en Grèce héros ^ ou ailleurs dieux "', qu'ils soient
identifiés avec Cupidon ^ ou avec quelque autre divinité, ils sont toujours conçus
comme des puissances tutélaires, qui reconnaissent par les bienfaits qu'ils
répandent le culte qui leur est rendu par leurs proches^. Ainsi, au inilieu du
ne siècle, la familia d'un proconsul d'Asie, C. Julius Quadratus, honore comme
1. SE G, VIII, 473, 474. — Ceux qui pieurent dans le Nil sont divinisés (Héro-
dote II, 90) ; sur cette croyance égyptienne, cf. Griffith, Zeitschr. f. aegyft. Sfrache,
1909, XLVI, p. 132 ss.; Kees, Ibid., 1913, LI, p. 127 ss., et Studies presented to Grif-
fith, 1932, p. 402.
2. CIL, m, 686 = C E, 1233, cf. su-pra, p. 255 ; Staoe, Silves, II, 6, 10. Cf. C. E.,
1143. — En Grèce : enfant, joie de la demeure de Perséphone, AnthoL, VII, 483.
3. A. B. Cook, Zeus, III, p. 163 ss. — Abeghian, op. cit. y p. 105 ss.
4. CIL, VI, 29195 = Dessau, 8482.
5. IG., XIV, 2040 ; Kaibel, Epig., 570, Cf. Symbol., p. 402.
6. Poucart, Le culte des héros chez les Grecs [Mém. Acad. Inscr., XLII), 1918, p. 163 ss.
7. J. G. C. Anderson, J. H. S., 1899, XIX, p. 127, n° 142.
8. Schroder, Bonner Jahrb., 1902, CVIII, p. 165 ; Eitrem, Symbol. Osloenses, 1932,
XI, p. 29 ss. ; Suétone, Calig., 7, et Ernst Hohl, Klio, 1938, XIII, p. 269 ss.. Cf. Symbol-,
V- 346-
9. IG., III, 1460 (Attique) : "Hpwa xt)? (juyyevsi'aç.
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 327
héros un enfant de huit ans à la prière de son père et de sa mèrei ; et à
Srayrne des parents élèvent un tombeau à un bébé de quatre ans, doucement
chéri, leur dieu secourable lOebç èitYixooç)^. C'est à quatre ans que mourut
aussi, en 309, le fils de Maxence, Romulus, à qui son père fit consacrer un
temple {divo Ro-mulo) dans le cirque de la Voie Appienne*.
Ces illusions du sentiment sont éternelles. Rien de plus fréquent dans nos
cimetières que de lire sur des tombes des invocations comme « Cher ange,
au ciel prie pour nous », ou d'y voir figurer un bébé s'envolant avec des
putti ailés. Cette foi est peut-être touchante, mais son orthodoxie est douteuse,
car, sauf Origène*, les docteurs de l'Église n'ont jamais adopté, pensons-nous,
la doctrine que des âmes humaines puissent se transformer en esprits angé-
liques, équivalents des héros grecs. Mais sur les plus vieilles épitaphes chré-
tiennes se trouve déjà exprimée & la conviction que les enfants, étant sans
péché, sont conduits par les anges au séjour des Élus, et y intercèdent en
faveur de leurs parents : « Sois reçue, ma fille, au nombre des âmes pieuses,
parce que ta vie fut exempte de toute faute, car tu ne recherchais que les
jeux de ton jeune âge » dit une inscription métrique qui se lisait autrefois
sous le portique de Saint-Pierre*. Une autre, plus ancienne, est ainsi conçue :
« Eusebius, enfant sans péché à cause de son âge, admis au séjour des saints,
y repose en paix ^. » L'on pourrait citer beaucoup de textes analogues dont
certains se terminent par l'invocation « pete pro nobis ». La pureté de ces
âmes sans tache méritait que Dieu exauçât leur intercession *.
Toutefois les idées superstitieuses qu'avaient largement répandues l'astro-
logie et la magie sur les tourments que subissaient les « ahores », ne devaient
pas être rapidement rejetées, ni disparaître entièrement. Les craintes que l'on
avait pour les âmes exclues des Champs-Elysées, furent transportées aux
enfants morts sans baptême. Des controverses infinies divisèrent les théologiens
i.LG.R., IV, 1377. : ;
2. Kaibel, B-pig., 314. !
3. CIL, VI, II 38 = Dessau, 673.
4'. Bréhier, Doctrines -philos, de Philon, 1908, p. ia8 ss.. Cf. Dôlger, A. C, II, 36 ss.
5- Diehl, 3354 ; cf. 3355 ; Cabrol, s. v. « Aiiges », p. 2125 ; p. 2130. Cf. Peterson,
^om. Quartalschr., 1934, p. 176.
6- CE., 1439 ; cf. 1400. Am. J. Arch., 1932, XXXVI, p. 460, n° 18.
7- Cabiiol et Leclercq, Reliquiae liturgicae vetustissimae, I, 1912, n" 2917 ; cf. 2974,
3153-
8. Diehl, 2335 ss., 2345 A. Cf. Assemani, S. E-phrem Syri opéra, VI, 1743, p. 299 :
*^ Parvulis pueris sedes in caelo super astra dabis ; illos pro nobis oro... puras enim
scitnus esse puerorum preces ».
328 LUX PERPETUA
à propos de ces créatures innocentes et cependant condamnées. Privées de la
vision béatifique de Dieu, elles furent reléguées hors du Paradis '. Toute une
littérature apocryphe servit de véhicule aux vieilles croyances pour les faire
passer de l'antiquité au moyen-âge. Le document le plus ancien qui favorisa
la transmission est cette Apocalypse de Pierre, dont nous avons parlé à
propos des supplices des danmés (p. 223). Des fragments conservés de cette
œuvre étrange nous révèlent que les enfants qui étaient le fruit d'un avorte-
ment, ou avaie*nt été exposés, étaient confiés aux soins d'un ange qui les ins-
truisait, et leurs âmes vivaient la même vie que si elles étaient restées jointes
à leurs corps ; puis, au bout de cent ans, elles obtenaient d'être réunies à celles
des fidèles^. Cent ans est, selon une doctrine très accréditée, la durée normale
de l'existence humaine 3. Ces âmes, privées de leur séjour sur la terre, accom-
plissaient donc, avant d'être admises au ciel, le cycle entier des années qu'elles
auraient dû passer ici-bas. Il y a là un souvenir manifeste de la condition
transitoire, de la vie complémentaire que le paganisme attribuait aux « ahores »,
avant de leur ouvrir l'accès de l'Hadès.
Mais ce sont là des doctrines aberrantes, résidus d'un système périmé. Dans
le paganisme finissant, comme dans le christianisme grandissant, s'affirme et
s'impose la conviction que, comme disait Ménandre en un autre sens-*^, celui
qu'aiment les dieux meurt jeune.
*
* *
Les hommes dont les jours étaient écourtés par un accident brutal ne for-
maient pas comme les « ahores » une classe uniforme, et l'on voulut par
suite les soumettre à des traitements différents. Les théoriciens distinguaient
en effet plusieurs catégories de « biothanates », dont quatre sont énumérées
par Virgile. Cette classification semble bien, nous l'avons vu (p. 308), avoir
pour auteurs les astrologues qui prétendirent dénombrer, selon la position des
étoiles, les genres de mort réservés aux victimes des planètes meurtrières et
1. Cf. Diction, de théologie cathol., s. v. «Baptême», p, 364 ss, ; Norden, p. 14, n. !•
2. Clément Alex., Eclog. ex Pro2>Â., 41 et 48 ; Méthode, 5;ym^05., II, 6 (P. G., XVIII, 58)-
3. Varron, L. lat., VI, 11 ; Servius, Aen., VI, 325 ; cf. Platon, Républ., X, 616 a;
Schulze, l. c. '[supra, p. 313, note i], p. 702 et ch. I.
4. Ménandre (fr. 125, Kock) est traduit en latin CIL, VI, 19716 = Dessau, « Quaffl
di amaverunt, haec moritur infa(n)s », Cf. Riese, Anthol. lat., I, i (Cod. Salmas. 92.) '•
l'enfant chrétien est mort précocement parce qti'il a pliu à Dieu. Cf. S. Cyprien, De mot-
talitate, 23 (I, p. 311, 20).
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PREMATUREES 329
prédire si ces malheureux seraient noyés, brûlés, écrasés, empoisonnés, pendus,
décapités, crucifiés, empalés, tués à la guerre, dévorés par les bêtes, ou subi-
raient quelque torture plus atroce encore*'. Ce sont aussi les défenseurs du
fatalisme sidéral et les adeptes de la magie qui enseignaient qu'un destin
inexorable soumettait encore tous ces infortunés à de longues souffrances
après leur trépas. Mais ni la religion ni la philosophie n'acceptèrent jamais
cette condamnation en bloc de réprouvés dont le caractère et la culpabilité
étaient très variables.
Une antique croyance voulait que parmi les morts violentes, il en fût une
qui, loin de présager des maux posthumes pour celui qui y succombait, pouvait
lui assurer une existence divine. C'était celle des personnes frappées de la
foudre*. Les effets extraordinaires produits par le feu du ciel dans le fracas
des orages émouvaient l'imagination populaire, et ils ont dorme naissance à
d'étranges préjugés'. On racontait que la foudre épargnait les dormeurs et
ne tuait personne pendant son sommeil. Le corps du foudroyé étant parfois
retrouvé intact sans que l'on comprît pourquoi la vie l'avait abandonné, l'on se
figura, que ce corps ne pouvait être réduit en cendres et qu'il se conservait à
jamais sans se corrompre*. A Rome où la discipline étrusque des libri fulgii-
fales avait minutieusement traité de tout ce qui concernait l'éclair et le ton-
nerre, d'antiques prescriptions avaient réglé les cérémonies à accomplir là où
était tombée la foudre^ : le sol noirci par celle-ci devait être enfoui par les
haruspices {fnlmen condituni) dans ce bid\ental que la divinité elle-même
avait voulu lui être consacré. Pareillement si quelqu'un avait péri foudroyé,
une loi attribuée à Numa défend de le transporter ailleurs, de le soulever
même sur les genoux, et d'observer pour lui les rites funèbres". Il devait être
inhumé à l'endroit même où il avait été tué. Il y était abandonné, dans ce
lieu interdit qu'entourait une clôture, et où nul ne pouvait plus entrer ''.
Des pratiques semblables se retrouvent en Grèce. Les lieux que l'éclair
1. Cf. p. ex., C.C.A.G., VIII, 4, p. 199 ss.
2. Usener, Rhein. Mus., 1905, LX, p. 9 ss. = Kleine Schriften, IV, p. 478 ss. ; Rohde,
I, p. 320 (tr. fr., p. 346, n. i), p. 597.
3. Plutarque, Quaest. conviv., IVj 2, 3, p. 665 ss. ; Pline, H. N., II, 145.
4. Tertull., A-polog.y 48 ; Minutius Fel., 39 ; Plut., /. c, p. 665 c.
5. Festus, s. V. « FÛlgeriitum. », p. 82 Litidsay ; Ammiea Marc, XXIII, 5, 13.
6 Festus, s. y. « Occisum » (p. 190 Lindsay) ; Plutarque, Pompée, i j cf. Saglio-
Pottier, Dict., s. v. « Funus », p. 1396 è.
7. Pline, H. N., II, 145 ; Quintilien, Dédain., XIX, 6 (p. 341, 16, Lehnert) ;
Perse II, 27, avec le sooliaste.
330 LUX PERPETUA
avait frappés étaient consacrés désormais au Zeus Kataibates^, et rendus inac-
cessibles 2. Dans cet enclos sacré reposait celui qui avait trouvé là une mort
tragique et, s'il faut en croire Plutarque, on laissait son corps sans le brûler
ni l'inhumer pour qu'on pût voir qu'il ne se putréfiait point 3.
Un sentiment de crainte se manifeste dans ces prohibitions qui rendent
tabou le cadavre foudroyé : l'effroi des primitifs en présence d'une mort
terrifiante, qui semblait un effet du courroux céleste. La foudre était l'arme
du maître des cieux ; il s'en servait pour châtier les criminels, exterminer les
impies, comme il avait fait les Titans. Cette antique croyance n'était pas
éteinte sous l'Empire*, et elle est à l'origine des prescriptions tendant à
séparer un réprouvé de la société humaine en isolant sa dépouille.
Mais ime conception différente était née, qui s'opposa de bonne heure à
cette répulsion craintive pour tout contact avec les foudroyés. Le feu du
bûcher, croyait-on, purifiait l'âme en la délivrant de l'enveloppe charnelle
qui la souillait et en lui permettant de s'élever au séjour des Immortels. A
plus forte raison le feu divin descendu de l'Olympe devait-il produire cette
lustration ^. La fin prodigieuse qu'il réservait à des êtres exceptionnels, loin
d'être une punition exemplaire de grands coupables, pouvait témoigner d'une
faveur insigne de la divinité. Une tradition secrète enseignait que si la foudre
avait touché un roi ou le chef d'une cité et qu'il survécût, toute sa descendance
en devait être à jamais illustrée et glorifiée®.
Des légendes m.ythologiques qui remontent à une date reculée, racontaient
comment les héros frappés de la foudre lavaient par ce moyen obtenu l'apo-
théose. Tel avait été le sort bienheureux d'Asklépios, d'Héraklès, de Sémélé,
d'autres encore'. Le même genre de divinisation fut étendu au commun des
mortels^. La foudre descendue du ciel est regardée comme le véhicule dont
se sert Zeus pour transporter dans l'Olympe ceux qu'il veut enlever à la terre®.
1. A. B., Cook, Zeus, II, p. 13 ss. ; III, p. 1114SS.; N'ûsson, Griech. iîe/., I, p. 63 ss.
2. Hésychius, s. v. 'Bl6aiow ; Pollux, IX, 41 ; Artémidore, Oneirocr.y II, 9 (p. 95, 5
Herscher) ; cf. Euripide, Su-pfl., 933 ss.
3. Plut., /. c, p. 665 c. Cf. infra, N. C. I.
4. Cf. Quintilien, /. c, [p. 329, n. 7] sur le « tyrannus fulminatus ».
5. Cf. Rohde, /. c, [p. 329, n. 2] ; Anthol. Pal., VII, 49. — Supra, p. 17.
6. Servius, Aen., II, 649.
7. Rohde, /. c. — Sur Vanodos de Sémélé, cf. Boyancé, R. E. A., 1942, XLIV, p. 209 ss.
8 Charax, Anon. de incred., 16 (p. 325 West.) = F. H. G., III, p. 638, fr. 13 ;
cf. Artémidore, /. c, et l'article de Carcopino sur les lois royales (Mél. Ec. fr. Rome, 1937) •
9. Cf. p. ex. Aristide, I, p. 47, Dindorf ; Pseudo-Clément, Mages hell., II, p. 51.
CHAPITRE VIL — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PREMATUREES 531
Une étymologie arbitraire fit des Champs-Elysées un séjour appartenant en
propre aux foudroyés * . Toutes ces idées se sont répandues avec la propa-
gation de l'immortalité astrale par le pythagorisme. On en trouve la trace
dès le nie siècle avant notre ère dans les lamelles d'or exhumées des tombes
de Thurium*. Ennius introduisit cet élément dramatique dans la légende
de Romulus. Tandis qu'il passait une revue au Champ de Mars un orage
éclata, et au milieu des grondements du tonnerre le roi fut enveloppé d"un
nuage et disparut. Cicéron assure que Tullus Hostilius fut comme lui emporté
par la foudre '^ Sous l'Empire la croyance à ce mode de divinisation paraît
avoir été répandue dans tout l'Orient. Un oracle d'Alexandre d'Abonotichos *,
une épitaphe métrique de Thyatire^ une inscription de la Ledja syrienne^,
attestent sa diffusion. Le culte rendu au Feu par les Mages s'est combiné ici
avec la vénération pour la Foudre, auteur d'une vie éternelle. Les apocryphes
pseudo-Clémentins '', après avoir rapporté comment Zoroastre périt ainsi con-
sumé, ajoutent qu'on lui rendit un culte au lieu même où il avait été frappé,
et ils notent que l'on a conservé depuis lors la coutume d'enterrer, comme
amis de la divinité, ceux qui mouraient ainsi et de leur consacrer temples et
statues. De la notion du tabou l'on était passé, comme c'est souvent le cas,
à celle du sacré. Les écrivains chrétiens, qui mentionnent encore cette véné-
ration pour ceux que touchait la foudre, attestent la persistance tenace des
préjugés dont nous avons esquissé la longue histoire*. Ils devaient survivre
à l'écroulement du monde romain, et les voyageurs modernes en ont encore
iioté la sîurvivance dans les usages et les croyances des peuples du Caucase *.
*
* *
1. Cf. surpra, Hesych.j p. 330, n. 2.
2. IG.,* XIV, 641 ; Kern, Orph.fr., p. 106, n" 33 c.
3. Romulus : Cîïe Live, I, 16, i ; Tullus Hostilius : Cic, Rep., II, 32 ; August., Civ.
Oei, IIIj 15 ; cf. Bôhmer, Ahnencult, p. 69 ss. ; 86 ss.
4. Lucien, Pseudomantis, 40 ; cf. Boyancé, l. c. [p. 330, n. 7], p. 242.
5. CIG. 351 1 = Kaibel, Efigr., 320.
6 SEG., VII, 980 i Mages hell., p. 54, n. 7 -, cf. Cyrille de Jérusalem, Catech.,
XIII, 37 (PG. XXIII, 106).
7. Mages hell., p. 51. .
8. Cyrille, /. c; Vie de saint Hypatios citée par Usener, /. c, [p. 329, n. 2], p. 479.
9- Chez les Ossètes [Mages hell., P- 54) et les Circassiens (Cook, Zeus, III, p. 11 14
(^•ote à II, 12). Prosternations quand l'éclair briUe : Cyrille, Catech., VI, 34 (P G.
XXIII, 600) avec la note des Bénédictins.
3?2 LUX PERPETUA
Si certaines croyances religieuses s'opposaient à la doctrine qui obligeait tous
les « biothanates » indistinctement à devenir des esprits errants et pemicietix,
les moralistes devaient nécessairement s'insurger contre une théorie qui confon-
dait dans une même condamnation des innocents et des coupables. A côté
de ceux qui avaient mérité par leurs crimes le dernier supplice et qui avaient
,été exécutés par la main du bourreau, ou bien ceux qui s'étaient donné eux-
mêmes la rnort, et avaient ainsi encouru la réprobation publique, d'autres, irré-
prochables, avaient été einportés par un accident fortuit, avaient succombé
sous les coups d'assassins ou avaient péri en accomplissant un devoir sacré.
C'était le cas surtout pour les guerriers tombés en combattant ^. La logique
imposait de les ranger parmi les biothanati et l'on peut trouver dans les papyrus
magiques ^ des preuves qu'on les a parfois considérés comme des revenants
redoutables. Ceci est d'ailleurs conforme aux idées de la mentalité primitive,
qui redoute la menace de ceux qui ont péri dans les luttes entre tribus sau-
vages \ D'un bout à l'autre de l'antiquité apparaît sporadiquement l'idée que
les âmes des soldats qui ont succombé les armes à la main, se transforment
en esprits nocifs, qu'il faut chasser ou apaiser par des rites appropriés*. Nom-
breuses aussi sont les légendes de troupes de fantômes qui reviennent combattre
aux lieux où s'est livrée une bataille meurtrière : l'on entendait dans la nuit
le cliquetis de leurs épées et le hennissement de leurs chevaux * .
Mais la mort au champ d'honneur pouvait-elle être la source de maux infinis
en condamnant des braves à ne pas trouver le repos dans l'autre vie ? Une telle
supposition était contraire à la pure tradition grecque. De même que les Scan-
'dinaves réservaient à leurs guerriers les joies viriles de la Valhalla, chez les
Hellènes les défenseurs de leur patrie, qui s'étaient sacrifiés pour la sauver,
furent de tout temps honorés comme des héros". Depuis l'époque reculée de
Tyrtée et celle d'Heraclite \ s'exprime la conviction que ces 'hommes jouissent
1. Nommés par Virgile, JS«. VI, 477 ss., et par Lucien, Cataplus, 6} cf. TibuUe, I,
10, 37 ss.
2. Top. magie, IV, 1390 ss. (I, p. ii8, Preisendanz), où TjpwEc désigne ceux qui
ont été tués dans la mêlée ; cf. Hopfner, Offenbarungszauber, I, p. 251.
3. Cf. supra, p. 306.
4. A Cyzique : Verrius Flaccus, Argon., 424 ss. ; cf. Boyancé, Rev. et. latines, 1915,
XIII, p. 107 ss. — A Antioche sous Trajan : Malalas, p. 272.
5. A Marathon, Pausanias, I, 32, 4, avec le commentaire de Frazer. — Bataille d'Attila
contre Valentinien : Damascius, Vit. Isidori, 63 5 autres exemples : Nilsson, Griech. Rel.,
I, p. 169, n. 2.
6. Ronde, tr. fr., p. 549 ss. ; Louis Robert, Études anatoliennes, Paris, 1937, p. 97 ss.
7. Tyrtée, fr. 9 (12) (Diehl, Anthol., I, p. 13) ; Heraclite, fr. 24, Diels.
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PREMATUREES 335
de la faveur des dieux. On sait quel culte était rendu à Athènes aux dépouilles
des soldats réunis dans une sépulture commune de la nécropole du Céramique,
et comment chaque année, lors de la fête des Epîtaphia, un orateur officiel
était chargé de prononcer leur oraison funèbre. L'inscription que l'État fit
graver pour les Athéniens morts en 43 2 devant Potidée, affirme que l'éther
a recueilli leurs âmes, comme la terre leurs corps 1. Périclès^, célébrant ceux
qui étaient tombés au siège de Samos, assure qu'ils sont devenus immortels
ainsi que les dieux, et qu'invisibles comme eux, comme eux aussi ils se mani-
festent par leurs bienfaits. Hypéride, faisant l'éloge des victimes de la guerre
Lamiaque, (323), exprime la conviction que la divinité qui réside dans
l'Hadès leur témoigne une sollicitude infinie 3. Platon dans la République^
veut que ceux dont la vaillance dans les combats a hâté la fin, appartiennent
à la race d'or, c'est-à-dire soient devenus des démons favorables qui écartent
les maux des humains et veillent à leur conservation. On pourrait multiplier
les citations prouvant que depuis les temps les plus anciens ces idées ont été
traditionnelles chez les Grecs. Virgile lui-même, par une de ces contradictions
qu'explique l'emploi d'une double source, après avoir relégué les morts tués
à la guerre en dehors de l'Hadès comme le voulait la doctrine astrologique,
les a fait figurer dans les Champs-Elysées à côté des prêtres pieux, confor-
mément aux idées religieuses des Grecs '" .
La théorie stoïcienne de l'immortalité des héros s'opposa encore plus direc-
tement à la doctrine inique qui faisait subir des souffrances dans l'au-delà
aux soldats qui avaient péri en combattant s. L'Arétè, selon le Portique, déifie
celui qui la possède et lui ouvre les portes du ciel : Virtus recludens îmmeritis
mori caelum, selon l'expression d'Horace^. Josèphe met dans la bouche de
Titus haranguant ses troupes un discours qui traduit cette conviction stoïcienne**.
Seuls ceux qui tombent en braves obtiennent l'immortalité, les autres sont
voués à la destruction. « Qui ne sait », dit-il, « que les âmes courageuses
que, dans la bataille, le fer a délivrées de leur chair, vont habiter le plus pur
des éléments, l'éther, et se fixant au milieu des astres, se manifestent à leurs
1. IG., I, 142. Cf. su-pra, ch. III, p. 146.
2. Plut., Vericl.^ 8.
3. Hyper., E-pit. 43 (p. 94, Blass) ; cf. ïbiâ,.^ 35 (p. 91).
4. Plat., ké-p.^ V, p. 468 E ; cf. Clém. Alex., Strom., IV, 3, 16, i (p. 255, 30, Stâhlin).
5- Virg., En., VI, 660.
6. Cf. Symbol., p. 448 ss., 453.
7- Horace, Odes, III, 2, 21, avec les notes de Heinz e ; cf. IV, 8, 26.
8. Josèphe, Bell. lud., VI, 5, 47 ; cf. 54. Cf. Relig. or., p. 370.
334 LUX PERPETUA
descendants comme de bons génies et des héros bienveillants ? Au contraire
celles qui se sont éteintes avec tm corps malade, même si elles sont exemptes
de toute souillure, disparaissent dans les ténèbres souterraines et sont ense-
velies dans un oubli profond. »
Les monarchies militaires de l'Orient hellénistiques, comme l'Empire romain,
promettaient certainement la vie éternelle à ceux qui, fidèles à leur devoir de
soldats, avaient succombé les armes à la main. La même croyance, on le
sait, s'est transmise à l'Islam. Un musulman qui meurt en combattant « dans
la voie d'Allah », est un martyr {sahid), qui est assuré de jouir des joies du
Paradis 1. Les Juifs, depuis l'époque des Macchabées, associèrent aux guer-
riers ceux qui versaient leur sang pour rester fidèles à leur religion persécutée
et leur promirent une survie glorieuse 2. La foi en cette récompense céleste
devait plus tard faire affronter tous les supplices aux chrétiens qui conquirent
la palme du martyre.
*
* *
Ainsi la religion et la philosophie ont éliminé, dans une très large mesure,
la croyance à une survie malheureuse des morts par violence. Il n'en a pas
été de même pour les suicidés 3, Chez beaucoup de peuples le suicide a pro-
voqué l'effroi ou l'horreur. L'homme éprouve une répulsion instinctive pour
cette destruction volontaire de son être*. L'idée que les âmes des personnes
qui ont attenté à leur vie deviennent des esprits malfaisants est très répandue,
et les survivants prennent de multiples précautions pour se garantir contre
leur action nocive. Frazer en a cité de nombreux exemples^. Les plus curieux
sont ceux empruntés à la Chine, où il est de pratique courante, lorsqu'on veut
punir un ennemi qui vous a persécuté, d''aller se tuer à sa porte pour que
Tâme de la victime courroucée poursuive le coupable ; la crainte de cette
vengeance posthume y est très vive. On peut citer des preuves nombreuses de
la terreur que causaient en Grèce et à Rome de tels revenants exclus des
1. Cf. Encyclo-p. de l'Islam, s. v. « Sahid ». — N. C. XXXIV.
2. Bousset, Relig. des Jiidentums (1902), p. 168, 181, 256, n. i. Cf. Tacite, Hist., VfS-
3. Albert Bayet, Le suicide et la morale, Paris, 1922 ; R. E., s. v. « Selbstmord » j
Hastings, Enc, s. v. « Suicide » où l'on trouvera la bibliographie.
4. Cf. Pline, E-p., I, i2i„ i : « Luctujosissimum genus mortis, quae non ex natura nec
fatalis videtur. Cf. A. Bayet, p. iio ss.
5. Fraiser, La crainte des morts, III, p. 109 ss.
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 335
Enfers et condamnés à errer sur la terrée Ainsi à Athènes on avait coutume
d'enterrer à part du corps la main qui avait provoqué la mort de l'ocù'zôy^s.ip,
probablement pour l'empêcher de porter encore des coups aux survivants ^.
Platon dans ses Lois veut que le suicidé soit enterré dans un lieu écarté, loin
des autres défunts et sans qu'aucune stèle ou épitaphe marque son tombeau 3.
Si ces prescriptions du philosophe répondent à un usage réel, on a voulu
frapper d'une sorte d'atimie posthume et ensevelir dans l'oubli celui qui avait
écourté violemment le temps que le destin lui avait accordé. Mais peut-être
aussi a-t-on voiilu le séparer du reste des morts qu'il aurait pu molester. A
Rome une pareille fin était frappée d'une malédiction religieuse et punie
de châtiments. Le vieux droit pontifical refusait aux pendus une inhumation
rituelle' et, au lieu de sacrifices funèbres, on suspendait aux arbres des oscilla,
des figurines consacrées à leurs Mânes; rite de magie sympathique, explique-
t-on, qui devait purifier par l'ait l'âme errante du défunt, comme d'autres
l''étaient par l'eau et par le feu^^ou qui étaient des substituts du mort auxquels
on rendait ainsi les derniers devoirs". L'aspect horrible des morts par stran-
gulation fit naître la croyance que le souffle vital avait en vain fait effort
pour sortir de leur gorge serrée'. Une vieille inscription latine nous apprend
qu'un riche habitant de Sarsina en Ombrie a donné à ses concitoyens le
terram d'un cimetière, mais il en exclut ceux qui se sont loués comme gla-
diateurs, ou qui ont exercé une profession infamante, ou qui, de leur propre
main, ont péri par la corde. Une telle association, qui est une flétrissure,
prouve quelle réprobation superstitieuse s'attachait à ce dernier genre de
mort, qui passait pour le plus impur de tous s. La frayeur qu'il inspirait
faisait attribuer par les magiciens un pouvoir redoutable à la corde qui avait
causé la fin atroce du désespéré, et à toutes les parties de son corps"'. Des
collèges funéraires constitués sous l'Empire" introduisent dans leur règlement
1. Quiîitilien, Declam.^ X, 16 ; Virg., En., IV, 384 ss.
2. Eschine, Ctésifh., 244 ; cf. Frazer, p. 120, n. 90. — N. C. XXXIII.
3. Platon, Leg., IX, p. 873 d.
4. Servius, Aen., XII, 603 ; cf. Dig. III, 2, loi, 11, 3.
5- La signification des oscilla est controversée; cf. R. E., s.v. «Oscilla», pp. 1572,59;
^575) 31. Varron chez Servius, Ibid., et Servius, Georg., II, 389.
6. Virgile, En., XII, 603 ; Pline, H. N., II, 63, 156 ; cf. Le Braz, Légende de la mort
cÂez les Bretons^, p. 54.
7- CIL, I, 141 8 = Dessau, 7846.
8. Bayet, o-p. cit., p. 295 ss.
9. Lucain^ VI, 543 ss.. Fahz, of. cit., [supra, p. 97, n, 4].
10. Cultures Dianae à Lanuvium, CIL, XIV, 2112, b, 5 = Dessau, 721a.
33é LUX PERPETUA
un article disposant que celui qui, pour un motif quelconque, se sera occis
lui-même, perdra son droit à l'inhumation. Cette clause est-elle formulée pour
prévenir une fraude onéreuse pratiquée au détriment de cette sorte de société
d'assurance mutuelle contre l'abandon suprême ? peut-être ; mais elle est
inspirée aussi par la croyance que les honneurs funèbres ne peuvent détourner
la malédiction qui pèse sur le suicidé et rend sa compagnie indésirable, voire
dangereuse, pour les autres morts. Les Mânes repoussent sa société.
Quelle fut la réaction philosophique contre l'opinion vulgaire, que la nocivité
posthume des suicidés remplissait d'une crainte superstitieuse ? A vrai dire,
elle fut confuse et variable. Selon l'antique doctrine des Orphiques, bien que
l'âme soit enchaînée dans le corps pour y subir un châtiment, il lui est défendu
par Dieu de se débarrasser elle-même de ces liens sans encourir les peines
les plus graves de la part des maîtres de sa destinée, qui seuls peuvent la
délivrer'. Ce précepte, qui répond à l'opinion commune en Grèce, fut repris
par les Pythagoriciens et par Platon dans le Phédon^ et, grâce à lui, il fut
souvent reproduit dans les siècles postérieurs, notamment par Cicéron dans
le Songe de Scipion^ : « A tous les hommes pieux s'impose de garder leur
âme dans sa prison corporelle, et de ne pas émigrer de cette vie humaine
sans l'ordre de celui qui nous l'a donnée, pour ne pas sembler déserter le
poste que Dieu nous a assigné. »
Mais les Cyniques s'opposèrent ici au platonisme, et ils enseignèrent que
l'on pouvait, voire même devait, quitter volontairement cette vie, quand
ses conditions la rendaient indigne d'être vécue par un philosophe* ; et après
eux les Stoïciens propagèrent à Rome la même doctrine''. Cette secte puis-
sante fit prévaloir l'opinion que dans certains cas le suicide était recomman-
dable. Garantie suprême de la liberté du sage, il se justifiait moralement
lorsqu'il était le seul moyen pour l'homme de ne pas violer ses principes,
ni renier son idéal. Cette philosophie louait ceux qui s'étaient soustraits par
une mort volontaire à une vie intolérable, et les exemples abondent, au premier
siècle de notre ère, de Stoïciens qui préfèrent se tuer plutôt que de subir une
tyrannie odieuse et dégradante. Caton d'Utique, qui s'était suicidé pour ne
1. Rohde, tr. fr., p. 363, n. 3 ; Diels, Vorsokr.^, I, j>. 315 (Philolaos, 14).
2. Platon, Phédon, p. 62 b.
3. Cicéron, Somn. Scip., 3 ; cf. Cato, 20, 73.
4. R. E., s. V. « Peregrinus », p. 660, 60.
5. Benz, Das 'Codes-problem in der stoïschen Philoso-phie, 192g, p. SS *®- 5 Bonhôfer,
Epiktàt und die Stoa [supra, p. 115], pp. 38 ss. ; 188 ss.
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 337
pas survivre à la liberté, passa pour l'idéal du sage, aussi digne qu'Hercule
^Q l'apothéose 1, et lui-même, que Plutarque^ nous montre lisant et relisant
le Phédon avant de se percer de son ëpée, espérait certainement obtenir l'ïm-
niortalité promise aux âmes héroïques. La religion même pouvait ennoblir
certaines formes de suicide. Si Cléopâtre pour échapper à la honte d'une cap-
tivité se fit mordre par un aspic, c'est que ce reptile libérateur était le ministre
de Râ et élevait vers le Soleil, son maître, ceux qu'il privait de la vie terrestre 3.
Mais sur ce point comme à d'autres égards, les Néopythagoriciens et après
eux les Néoplatoniciens ramenèrent les esprits aux vieilles croyances religieuses.
Plotin, cédant à l'opinion qui prévalait de son temps, avait d'abord permis
au sage de se donner la mort en cas de nécessité absolue, pour échapper par
exemple à la folie ou à des souffrances intolérables*. Mais plus tard il
paraît s'y être opposé plus résolument, car ses exhortations détournèrent son
disciple Porphyre, saisi du dégoût de la vie, de mettre fin à ses jours ^. Les
discours par lesquels il l'avait convaincu amenèrent celui-ci à condamner,
par la suite, le suicide d'une manière absolue. Prêchant l'abstinence de la
chair des animaux égorgés. Porphyre nous indique incidemment l'argument
essentiel qui selon lui devait empêcher chacun d'attenter à sa vie 6. Si une
âme perverse et déraisonnable a rompu violemment le lien qui l'unissait à
son corps, elle reste attachée à ce corps, elle prend plaisir à demeurer près
du cadavre dont elle s'est brutalement séparée, et c'est pourquoi les magi-
ciens, en se servant de quelque partie de cette dépouille, s'assujettissent les
esprits qui y sont liés.
Les idées fondamentales qui inspirent cette argumentation, sont empruntées
à Platon dont l'idéalisme avait enseigné que la philosophie, en purifiant l'âme
de ses passions, la détache de son corps. L'âme, qui s'est concentrée en
elle-même et s'est préservée du contact avec la chair durant sa vie terrestre,
n'entraîne rien de corporel avec elle et' elle est préparée à vivre, comme on
le dit des initiés, dans la compagnie des dieux'. Mais si elle a vécu dans
1. Zeller, Philos. Gr., IV, p. 254, n. 3.
2. Plut., Cato, 68.
3- Spiegelberg, S.A.M,, 1925, II, n.° i ; cf. Tarn, Cambr. Ane. hist.,X, p. iio. — Com-
parer l'histoire de Zarmanos l'Indien, qui monta sur le bûcher à Athènes (Nicolas de
ûamas, fr. 91 = F. H. G., III, p. 420).
4' Plotin, I, 9, fin ; cf. I, 4, 8 ; I, 4, n6 ; et Bréhier, t. I, p. 78, n, 2.
5- R. E. G., 1919, XXXII, p. 53 ss. ; Bréhier, t. I, p. 132.
6- Porphyre, De Abstin., II, 47.
7- Platon, Phédon, p. 67 d ; 80 e, etc ; cf. Rohde, tr. fr., p. 494 ss.
338 LUX PERPETUA
une familiarité intime avec le corps, elle reste, après le décès, alourdie et
épaissie, elle ne peut entrer dans l'Invisible, et c'est pourquoi on peut voir
les spectres des méchants vaguer autour des tombeaux*. Les Néoplatoniciens
ont tiré de ces prémisses la conclusion que l'iiomicide de soi, acte désespéré
toujours accompli sous l'empire d'une passion, loin de relâcher lé lieu de
l'attachement corporel, le renforce et par là même enchaîne l'âme indisso-
lublement aux restes mortels du défunt.
Tout à la fin du paganisme ces vues ont encore été développées par
Macrobe^, qui plaide contre le suicide en invoquant l'autorité de Platon et
de Plotin, mais qui s'inspire surtout de Porphyre 3. « Il faut, dit-il, que l'âme
en quittant l'homme se trouve libre des passions corporelles. Si on l'expulse
violemment du corps, on ne permet point qu'elle soit libre, car celui qui, volon-
tairement, se donne la mort y est induit soit par dégoût ou par nécessité ou
par quelque crainte, ou par la haine, et tous ces sentiments sont des passions,
Ainsi même si l'âme était auparavant pure de telles pollutions, par là même
qu'elle fait effort pour s'échapper, elle se souille. Ensuite, dit Plotin, la mort
doit délier l'âme du corps, non l'y attacher, mais par un départ forcé l'âme
est de plus en plus enchaînée au cadavre, et de fait c''est pourquoi les âmes
ainsi arrachées errent longtemps autour du corps, ou de sa sépulture, ou du
lieu où l'attentat s'est produit. Au contraire, les âmes qui en cette vie se
libèrent des liens charnels par la mort philosophique, leur corps subsistant
encore ici-bas, pénètrent au ciel parmi les astres ». On voit ainsi que jusqu'au
crépuscule de la philosophie antique les vieilles croyances sur les spectres
des suicidés retenus sur la terre par leur méfait continuaient à être défendues
par des voix autorisées. La doctrine des philosophes sur la licéité ou la prohi-
bition du suicide avait singulièrement varié au cours des siècles, et par suite
de ces fluctuations mêmes elle n'a pu éliminer l'opinion populaire que les
âmes des suicidés, contraintes d'errer hors de l'Hadès, devenaient des esprits
maléfiques, que les nécromants obligeaient à servir leurs desseins.
*
* *
1. Platon, Phédon, p. 8i c-d.
2. Macrolje, Comm. Sotnn. Scip., ï, 13, 9. — La source de Macrobe est vraime"'
Plotin, d'après Paul Henry, Plotin et l'Occident, Louvain, 1934 ; mais Pierre Couroelles,
Les lettres grecques en Occident, Paris, 1943, p. 26 ss., rend indubitable l'emploi ou
De regressu animae de Porphyre.
3. Cf. Porphyre, De Abstin., Il, 47 ; Héliodore^ Ethiop., 11,5,2; Salluste Philos., ip.
CHAPITRE VIL — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PREMATUREES 339
A plus forte raison ceux qui avaient été condamnés au dernier supplice
paraissaient- ils voués à cette survie misérable' et devaient-ils subir les pires
châtiments réservés aux impies. Ces esprits pernicieux, transformés en démons^
continuaient à nuire au genre humain. L'un des personnages que Lucien
fait parler dans son Philopseudès ^ trouve . vraisemblable l'opinion que seules
vont et viennent les âmes de ceux qui ont péri violemment — ■ par exemple si
un homme s'est pendu, ou s'il a eu la tête tranchée, ou s'il a été empal^ —
mais qu'il n'en est point ainsi de ceux qui sont morts conformément à leur
destin. Même après le triomphe du christianisme, ces esprits désincarnés conti-
nuèrent à être redoutés. Au iv« siècle, saint Jean Chrysostome croit devoir
combattre à Antioche le préjugé des gens simples qui se figurent que les
âmes des victimes d'une mort violente deviennent des démons ^ : le diable,
selon l'orateur sacré, a répandu cette opinion fausse pour dépouiller de leur
gloire les martyrs. Les païens en effet appelaient par dérision biothanati les
chrétiens qui s'offraient volontairement au bourreau et se voyaient condamnés
au dernier supplice*. L'empereur Julien raille ces « athées » qui, poussés
par les démons, recherchent la mort et pensent s'envoler au ciel après avoir
expulsé violemment leur âme de leur corps &. Le divin Crucifié lui-même
n'avait-il pas subi une peine qui le rangeait parmi ces suppliciés à la fois
méprisables et dangereux ? ^ Sozomène raconte, légende significative, que
lorsque Jésus et les deux larrons eurent expiré, les soldats romains craignirent
de s'attarder le soir près des trois croix : les esprits de ces morts devaient
hanter le lieu de leur exécution''. Au vi^ siècle, Zacharie le Scholastique croit
devoir encore combattre l'opinion soutenue par les païens que les dieux
fuient le signe de la croix uniquement parce qu'il rappelle qu'un homme a
péri de mort violente ^
L'odieux qui s'attachait au nom des biothcmati finit ainsi par se concentrer
sur ces deux classes des suicidés et des exécutés. L'horreur commune que
toutes deux inspiraient se marqua par la privation d'une sépulture honorable.
1. Ascle-pius, 29 (p. 67, 7, Thomas).
2. Lucien, Philops., 29.
3. Jean Chrysost., Or. 2, In Lazarum, i (PG. XL VIII, 983). Les Perses massacrés
a Antioche sont devenus des esprits malfaisants, supra, p. 332, note i. ,
4. Du Cange, s, v. « Biothanati ».
S- Julien, Fragm. episf., 288 b (p. 128 Bidez-Cuniont) .
6. Martyre de S. Aréthas, Boissonade, Anecd., V, 23, 14.
7. Sozomène, II, i.
8. Zacharie le Schol., Vie ^e Sévère, p. 10, 1. 35 ss. ; cf. M. M. M., I, p. 361.
340 LUX PERPETUA
Déjà en bien des villes, au temps du paganisme, les lois sacrées ou civiles
avaient refusé les honneurs funèbres aux suicidés, — afin, dit un rhéteur,
que ceux qui n'avaient pas craint la mort craignissent quelque chose après
la mort ' — et surtout aux criminels, dont les cadavres n'étaient pas lavés,
mais enfouis sans aucune cérémonie dans un charnier commun (TcoXuàvSptov)".
A Rome ceux qui avaient été exécutés en prison étaient traînés par le bour-
reau à l'aide d'un croc jusqu'aux Gémonies, puis jetés dans le Tibre. La
carence des rites funèbres créait un second motif pour que ces condamnés
souffrissent dans l'au-delà 3. Aussi les familles s'efforçaient-elles d'éviter à
ceux qui leur étaient chers cette aggravation affreuse de leur peine, et elles
pouvaient obtenir des magistrats que les corps des suppliciés leur fussent
rendus. Mais les autorités réfusèrent souvent cette consolation suprême aux
chrétiens qui voulaient rendre les derniers devoirs à leurs frères martyrisés. En
dispersant le:' cendres de ces saints, les païens cherchaient à empêcher que
leurs restes devinssent l'objet d'un culte, et les fidèles craignaient que ceux
qui ne reposaient point en paix dans la tombe n'eussent point de part à la
résurrection ^.
La législation sacrée du judaïsme ne condamnait pas le suicide rigoureu-
semenc et absolument, et l'on ne voit pas que les premiers chrétiens l'aient
formellement interdit ; mais la discipline de l'Eglise, comme la tradition
païenne, ne tarda pas à prescrire, pour ceux qui attentaient à leur vie, la
privation des funérailles religieuses, et cette prohibition fut sanctionnée par les
conciles-'. Le droit civil en vigueur à l'époque chrétienne continua à appli-
quer le même traitement aux malfaiteurs punis de la peine capitale. On voit
encore à Byzance les cadavres des criminels portés à un charnier infamant.
Théophane^ raconte avec indignation qu'en 764 l'empereur iconoclaste Cons-
tantin Copronyme fit exécuter un ermite de Bithynie, et que les gardes traî-
nèrent du prétoire jusqu'au cimetière le corps du martyr où, après l'avoir rais
en pièces, ils jetèrent ses misérables restes « dans la fosse des biothanati ».
1. Sénèque, Suas, et controv., VIII, 4.
2. IloXuâvSpiov : Audollent, Dejixion. Z^abellae, , nP^ 22, 31, etc ; cf. p. 42 ; Rohdej,
II, p. 424 = tr. fr., p. 623. — Cf. Code Pénal français, article 14.
3. Mommsen, Strafrecht, p. 987 ss. = tr. fr., III, p. 337 ss. Cf. sufra, pp. 22, 84.
4. Cf. Leblant, Les supplices destructeurs des corfs \su-pra, ch. I, p. 24, n. 3].
5. Sur la privation de sépulture au moyen-âge, cf . A. Bayet, op. aï., [sM;prfl, p. 334, n. 3];
Dict.dethéol.cathol., s. v. « Suicide », p. 2743 Conciles d'Orléans (533) et de Braga (563)'
6. Théophane, p. 437, 3 ss.,de Boor; d'autres exemples aux années 743, 755, 764, etc.
CHAPITRE VII. — L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PRÉMATURÉES 341
Ce nom péjoratif finit au moyen-âge par signifier simplement gens de sac
et de corde, gibier de potence ^
Si le terme de biothanati a vu ainsi se spécialiseir sa signification, les
anciennes idées qu'il éveillait ont eu une singulière vitalité dans le folklore
des Grecs. Aujourd'hui encore ils croient que ceux qui ont succombé à un
trépas soudain et violent, en particulier les assassinés et les suicidés, devien-
nent des vrykblakes . Leur corps peut se ranimer, sortir du tombeau et par-
courir l'espace avec la rapidité de l'éclair, vampires malfaisants, si redoutables
que leur simple contact peut être mortel. C'était la coutume, si des soupçons
naissaient, de déterrer le cadavre, et si on le trouvait intact, ce qui fournissait
la preuve de son caractère supposé, de le mettre en pièces et de le brûler pour
l'empêcher de revenir nuire aux vivants^. Tant était restée vivace la croyance
que l'âme du biothanatus ne pouvait se détacher de son corps et que sa
vie, trop tôt interrompue, se prolongeait au-delà de son décès.
A plus forte raison la conviction que les âmes de ceux qui ont eu une
fin violente deviennent des djinns, a-t-elle survécu en Orient, d'où elle était
originaire. On l'a signalée en particulier en Palestine ^ ; et même en Europe
les Juifs l'oni; conservée dans la curieuse croyance au Dibbouk. Si quelqu'un
meurt avant son heure, son âme désincarnée revient ici-bas pour achever ses
actions, vivre le reste de ses jours, sentir les joies et les peines qu'elle aurait
dû éprouver. Ces âmes rriaudites et errantes sont tourmentées par les esprits
malfaisants, et elles cherchent un asile dans un nouveau corps d'homme ou
de femme. La personne qui est ainsi soumise au Dibbouk perd son individua-
lité, son caractère propre, pour acquérir celui de l'intrus, à qui elle reste
soumise jusqu'à ce que le temps de celui-ci sur la terre soit révolu. On trouve
ici transmise avec une remarquable fidélité, l'idée souvent exprimée dans l'anti-
quité que les esprits des morts peuvent s'emparer des vivants, les dominer
et se servir de leurs organes. C'est une forme de cette possession démo-
niaque dont on peut être délivré par le pouvoir magique des exorcismes^.
Dante a-t-il connu la croyance juive au Dibbouk ? Ou s'est-il inspiré de
quelque vision remontant à l'antiquité païenne ? Certainement il n'a pas
imaginé indépendamment de toute tradition une destinée si proche de celle
I. Du Cange, s. v. « Biothanati ».
%• Lawson, p. 408 ss. ; Schmidt, Volkslehen der Griechen, I, p. 169 ss.
3- Taufik, Canaan. Dàmonenglauhe, 1929, p. 6; p. 33 ; Curtiss, Primitive semitic reli-
gions of to day, p. 152.
4- Cf. infra, N. C, XVI.
342 LUX PERPETUA
des « biothanates », lorsqu'il nous montre les âmes des traîtres précipitées
dans un enfer glacial — comme le Tartare des Grecs — sans attendre le
moment de leur mort naturelle, tandis que les corps de ces criminels sont
gouvernés par un démon sur la terre, jusqu'à ce que soit accomplie la durée
de leur vie en ce monde i. Les préjugés populaires, en France comme en
Allemagne, gardent encore la tradition que ceux qui sont emportés par une
fin tragique restent sur la terre jusqu'au moment où se serait produit leur
décès naturel. Il faut qu'ils vivent dans l'armée des esprits vagabonds jusqu'à
ce que sonne l'heure de la mort que Dieu leur avait assignée*'.
Ainsi les vieilles idées que l'Orient avait répandues dans le monde romain
ne devaient pas périr avec celui-ci. Elles lui survécurent longtemps, transmises,
en s'altérant à peine, de génération en génération, et l'on peut en relever des
traces nombreuses dans le folklore de l'Europe moderne,
1. Dante, Inferno, XXXIII, 128 ss. — [Mais ici l'idée est différente de celle du Dih-
bouk. Dans le Dibbouk un vivant est possédé par l'âme d'un mort jusqu'à ce que soit
révolu le temps que celui-ci aurait dû vivre (Infra, N. C. XVI, p. 412). Chez Dante
au contraire une âme morte avant l'heure étant reléguée au profond de l'Enfer, son
corps reste sur la terre (134), niû par un démon (131) qui lui conserve les apparen-
ces de la vie (157) jusqu'à ce que soit révolu le temps qu'elle aurait dû vivre, 132 :
mentre che il tenvpo suo tutto sia volto. Ce sont bien deux cas de possession, mais
inverses l'un de l'autre : le terme en est celui qui était assigné à l'existence en ce
monde, dans le Dibbouk, du possédant, et chez Dante, du possédé. Aussi bien peut-
être ne s'agit-il dans le second cas que d'un artifice littéraire pour reléguer plus vite en
Enfer des ennemis encore vivants] [L. C.].
2. Le Braz, of. cit., [supra, p. 335, n. 6], t. II, p. i, et p. 253; Gciler von Kaisersberg
(1445-1510), cité par Weinreich, A. Relgw., 1906, IX, p. 220. Cf. A. Bayet, o-p. cit.,
p. 93 ss.
CHAPITRE Vin
LE NÉOPLATONISME
I. — Plotin
On se souviendra de l'apostrophe du prêtre de Sais à Solon, telle que la
rapporte le Timéei : « Vous autres, Grecs, vous êtes toujours des enfants. Vous
n'avez dans l'esprit aucune opinion ancienne provenant d'une vieille tradition,
aucune science blanchie par le temps ». L'anecdote est peut-être fictive, mais
elle exprime bien cette supériorité, souvent affichée 2, dont se targuaient les
clergés orientaux à l'égard de peuples jeunes et novices par comparaison avec
les leurs. L'orgueil que leur inspirait l'antiquité de leur culture, leur prétention
d'être les dépositaires d'une vérité transmise par de lointains ancêtres, les por-
taient à dédaigner la courte sagesse des Hellènes. Lorsque les cultes de l'Orient
triomphèrent dans l'Empire romain, ils y. apportèrent la conviction que, bien
avant le développement de la science hellénique, les pays dont ils étaient origi-
naires avaient, à l'aube de l'humanité, obtenu la communication d'une sagesse
divine, et cette opinion, ils la firent accepter des philosophes eux-mêmes. On vit
I- Platon, V.iméé, 22 b-c,
, 2. Cf. p. ex., Hérod., II, 142 ss. ; Festugière, Hermès Vrism., I, p. 20 ss. Cf. Festu-
gière, R. H. Rel., 1942, CXXV, p. 32-57 ; colloques supposés entre Grecs et Orientaux.
344 LUX PERPETUA
le rationalisme hellénique, s 'humiliant devant la théologie barbare, en recon-
naître la primauté et mettre sa dialectique au service de prétendues révélations
dont l'Asie aurait autrefois été favorisée. L'histoire du néoplatonisme nous
montrera jusqu'à Jamblique la pensée philosophique progressivement envahie
par la religiosité et les superstitions du Levant.
Cette prééminence souvent accordée à l'Orient est reconnue explicitement,
dès le IP- siècle de notre ère, par le Pythagoricien Numénius d'Apamée', pré-
curseur des Néoplatoniciens, qui utilisèrent largement ses écrits. Porphyre les
mit fréquemment à contribution, et déjà Plotin y cherchait des thèmes de dis-
cussions pour ses exercices scolaires. Ses ennemis l'accusèrent même de les
avoir plagiés, et il fallut que son disciple Amélius le défendît contre cette
calomnie". Or Numénius soutenait que Platon était le disciple de Pythagore,
mais que celui-ci s'était instruit chez les barbares. Il fallait donc, pour retrouver
dans toute sa pureté la sagesse primitive, remonter jusqu'à sa source chez les
« nations fameuses » qui, les premières, en avaient obtenu la connaissance,
et s'initier aux mystères des Brahmanes, des Juifs, des Mages, des Égyptiens,
qui, tous, s'accordaient avec Platon ^ Un syncrétisme aussi large ne pouvait
être obtenu qu'au prix d'interprétations toujours tendancieuses et parfois extra-
vagantes. De fait la valeur éminente que Numénius attribuait aux doctrines
de l'ancien Orient transparaît dans tout ce que nous connaissons de son système,
dont la cosmologie et la psychologie sont nettement dualistes*.
Nulle part elle ne se manifeste avec plus d'évidence que dans ses théories
sur la destinée des âmes. Il se fit le propagateur de la croyance d'origine
chaldéo-iranienne que ces âmes descendaient sur la terre et remontaient d'ici
bas en traversant les sphères astrales. Selon lui elles franchissaient, le ciel
des fixes par la porte du Cancer, puis les cercles des planètes, dont chacune
successivement leur communiquait les qualités et les passions qui leur étaient
propres ^ Leur vie terrestre accomplie, elles allaient d'abord se présenter
1. Leemans, Studie over Numénius van A-pamea (Mém. Acad. Belgique, XXXVII)i
1937; Bentler, R. E., Suppl. VII, c. 664 ss., s. v. «Numénius»; H. Ch. Puecb,
Numénius d'A-pamée et les théologies orientales au 11° siècle (dans Mélanges Bideii
Ann. Inst. orient, belge, II), 1934 ; cf. Henry, A. C, 1937, VI, p. 399 ss.
2. Porph., V. Plot., 17.
,3; Fr. 90, Leemans.
4. Puech, /. c, p. 748 ss.
5. Cf. Leemans, pp. 58 et 148. — Porph., De antro nymrph., 21, 28 ; Macrobe, ("
Somn. Scif., I, 12 ; Proclus, In Rempubl., II, p. 128 ss., Kroll, remontent tous trois
à Numénius. Cf. supra, ch. III, p. 186, et Symbol., p. 40, n. 4 ; p. 122, n. 4.
CHAPITRE VIIL — LE NÉOPLATONISME 345
devant les juges infernaux, qui siégeaient au centre du monde. Celles des justes
s'élevaient, en passant la porte du Capricorne, jusqu'à la Voie Lactée où
elles formaient la rnultitude innombrable des étoiles ; et ces âmes divinisées y
jouissaient d'une vie immortelle et bienheureuse. Les autres subissaient le
châtiment de leurs fautes dans les zones planétaires, car c'était là que coulaient
les fleuves infernaux et qu'il fallait placer le Tartare. Numénius interprétait
ainsi le mythe d'Er de la République avec plus d'ingéniosité que de bon sens.
Proclus qualifie ces élucubrations de « prodigieuses » et n'y voit qu'un centon,
où les phrases de Platon étaient cousues aux formules de l'astrologie et des
initiations ' . Mais, malgré l'absurdité de certaines de ses divagations, Numé-
nius, interprète goûté des traditions religieuses, prédicateur d'un ascétisme
orientalisant, réussit à inculquer à beaucoup d'esprits l'idée maîtresse de sa
doctrine, celle que la philosophie grecque était fille des théologies du Levant
— la région de la terre qu'éclaire d'abord le soleil.
Ce serait faire injure à Plotin que de le rapprocher de cet esprit sans cri-
tique et sans mesure 2. Mais le fondateur génial du Néoplatonisme paraît lui-
même s'être inspiré des doctrines du lointain Orient. Nous savons que, lorsqu'à
l'âge de trente-neuf ans il suivait assidûment les leçons d'Ammonius Sakkas à
Alexandrie, il voulut se joindre à l'expédition de Gordien en Orient (242 ap.
J. C.) afin d'approfondir sa connaissance de la philosophie cultivée par les
Perses et les Indiens^. Cette philosophie hindoue, dont il désirait s'instruire
au prix de tant de risques et de fatigues, a-t-elle influé sur sa pensée ? C'est
une question depuis longtemps controversée, et que nous ne pouvons discuter
ici *. Mais certainement des découvertes récentes ont achevé de montrer la
fréquence et la continuité des relations qui, pendant les premiers siècles de
notre ère, ont existé entre l'Inde et les pays méditerranéens. Les caravanes et
les navires marchands n'ont pas seulement importé des denrées précieuses dans
le monde romain ; elles ont pu faciliter aussi les échanges spirituels. A notre
avis il serait invraisemblable que Plotin, pendant son séjour dans le milieu
1. Proclus, In Remf., II, p. 228, 26 ss. ; Cf. Origène, C. Celsum, V, ^y (= fr. 31
Leemans).
2. Vacherot, Hist. de l'école d'Alexandrie. I, 1846, pp. 360-599 ; Zeller, Philos. Gr.,
III, 2, pp. A66-631 ; W. Ralph Inge, Côe -philos, of Plotinus, 2 vol., 3^ éd., 192B -,
résumé par 1 auteur, Hastings Encycl., s. v. « Neoplatonism », IX, 1917, pp- 309-318 ;
Emile Bréhier, La -philos, de Plotin, Parisi, 1928 ; Paul Henry, Plotin et l' Occident, Lou-
vain ];)934.
3. Porphyre, V. PL, 3.
4. Cf. N. C, XVII.
346 LUX PERPETUA
cosmopolite d'Alexandrie, n'eût pas en quelque connaissance des spéculations
brahmaniques. Une doctrine fondamentale de son système, celle de l'identité
de notre être particulier avec l'Être universel et de l'unification de notre
conscience individuelle avec cet Être, qui résorbe l'âme en lui, non parce qu'il
veut la sauver, mais par une nécessité de sa nature, l'idée aussi que nous
atteignons cet état bienheureux sans l'intervention d'un médiateur par une
communication directe avec l'Un, paraissent bien être d'origine hindoue'.
Étrangères à la philosophie grecque avant Plotin, elles offrent une similitude
frappante avec les conceptions développées dans les Upanishads.
Qu'elle ait accueilli certaines conceptions de la mystique de l'Inde ou soit
issue tout entière d'un développement autonome de la philosophie grecque,
dont l'évolution antérieure se dérobe en partie à nos recherches, la synthèse
de Plotin, bien qu'il la donnât pour une simple exégèse de Platon, fut en réalité
révolutionnaire. Après lui les vieilles écoles, déconsidérées par leurs contro-
verses interminables et inconcluantes, s'étiolèrent et disparurent. L'épicurisme et
le stoïcisme ne trouvèrent plus de maîtres écoutés ; la raison cessa d'être,
comme pour Aristote, le seul guide dans les recherches, et désormais la con-
viction s'appuya aussi sur une expérience intime de l'âme. Le scepticisme
même céda devant la mystique. Chez les païens un platonisme transformé et
systématisé régna seul sur les esprits de l'élite intellectuelle jusqu'au moment
où Justinien, en 529, ferma l'école d'Athènes. D'autre part Plotin, premier
défenseur d'un spiritualisme intégral, réfutateur pénétrant du matérialisme,
exerça sur l'élaboration de la théologie chrétienne une influence décisive qui
devait se prolonger pendant des siècles. Aussi tous ceux qui ont été attirés'
vers l'étude des Ennéades ont-ils reconnu dans l'auteur de ces notes de cours,
modeste directeur d'études, qui écrivait un grec fautif et ne se relisait pas,
un des puissants métaphysiciens dont l'œuvre marque un tournant dans la
direction suivie par la pensée humaine 2.
Nous ne tenterons pas d'étudier ici dans son ensemble la construction
imposante édifiée par le génie de Plotin ; notre propos se borne à exposer
brièvement les idées de ce grand novateur sur l'immortalité de l'âme, en par-
ticulier dans le chapitre qui porte ce titre, et dont nous possédons une double
recension^. Mais la cosmologie, la psychologie et la théologie sont, dans ce
I. Bréhier, Philos, de Plotin, pp. 106-133 et 186.
a. Cf. Bréhier, o-p. cit., p. VI, ss. ; W. R. Inge, Brit. Academy Proceedings, i^zg,
XV, p. 5 ss. Cf. infra, p. 383. — N. C. XXIV, XXVIII, XXIX.
3. Enn., IV, 7j Ttsp'. àOavaaiac <\i^x^'^} reproduit par Eusèbe {Pré-p. évang., XV-XVI), avec
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 347
système, inséparables : une conception originale de la nature et de la destinée
de l'âme y est en corrélation étroite avec celle de la structure de l'univers
et des rapports de celui-ci avec l'Être suprême. Il nous faut donc tout d'abord
rappeler en quelques mots les caractères de cet édifice métaphysique, dans la
mesure où notre sujet l'exige.
Plotin a probablement emprunté à ses prédécesseurs, les Platoniciens
d'Alexandrie, ce qui nous semble être le fondement même de sa philosophie,
l'ossature de ce grand corps où il a infusé un sang nouveau, la théorie des
trois hypostases : l'Un, le Nous ou Intellect, et l'Ame (-j-u^Y]). Ce serait, selon
lui, une erreur radicale de vouloir expliquer le supérieur par l'inférieur. Il
faut, pour comprendre la constitution du monde, partir du Premier Principe
d'où émane la vie répandue dans l'univers, « source qui n'a point d'origine et
donne son eau à toutes les rivières, et ne s'épuise pas en elles » ' .
Le premier Principe d'où dépend tout ce qui existe, est, comme chez Platon,
l'Un ou le Bien. Mesure de toutes choses, cette Unité est nécessairement trans-
cendante aux objets qu'elle mesure. Mais pour Platon le Bien restait dans
la sphère des Idées, modèles éternels des réalités sensibles ; pour Plotin, il
est au-dessus d'elles et échappe à toute définition rationnelle. L'Absolu ne
pense pas : il se connaît lui-même par une intuition directe 2. Il faut le placer
au-dessus de l'essence, de l'intelligence, de la vie et même de l'être. Comme
il n'est rien de déterminé, nous ne pouvons dire ce qu'il est, mais seulement
ce qu'il n'est pas. Nous n'approchons de Dieu ineffable et inconnaissable qu'en
obtenant un contact direct avec lui dans l'extase, où cesse toute activité ration-
nelle. Au moment de ce contact on n'a ni le loisir ni le pouvoir de rien
exprimer : c'est plus tard que l'on raisonne sur cette lumière soudainement
aperçue ^
Comment ce Premier Principe, qui est absolument simple, peut-il produire
l'infinie diversité des êtres, la multiplicité naître de cette unité ? Si l'Un n'avait
pas créé l'Intellect, son activité serait restée latente. Mais par cette émanation
il n'a rien perdu de lui-même. Il rayonne comme le soleil, qui répand par-
tout la lumière sans s'épuiser jamais. De même il ne pénètre pas seulement le
des variantes importantes. Cf. Paul Henry, La Préfar. évang. d'Eusèbe et l'édition fer-
»î«e des œuvres de Plotin par Eustochios (Bibl. éc. Hautes Etudes, se. religieuses, L.
Paris, 1935) ; Les états du texte de Plotin, Paris, 1938, pp. 77-124.
1. Enn.^ III, 8, 10.
2. Enn., V, 3, 13. Injra, p. 359.
3- IK V, 3, 17 (p. 73, Br.). - N. C. XXIV.
348 LUX PERPETUA
monde intelligible, mais aussi celui de l'âme jusqu'aux confins inférieurs de
la réalité ; car il y a, non pas cloisonnement, mais interpénétration constante
entre le Bien et le Nous, comme entre le Nous et l'Ame. La création n'est
pas un acte de la volonté divine accompli une fois à un moment donné —
ce qui impliquerait que l'univers n'a pas été parfait dès l'origine — mais une
fécondité éternelle et ininterrompue, ' qui ne trouble pas le repos inaltérable
de son auteur. Les êtres atteignant à la perfection ne peuvent rester stériles :
l'Être parfait engendre donc éternellement. Ce qu'il engendre est inférieur à
lui, mais ce qu'il y a de plus grand après lui : le Nous ou Intellect ^. Cette
intelligence suprême est d'une part l'archétype de l'ensemble des Idées,
modèles et formes de tout ce qui existe dans le monde sensible. Ainsi le
Nous renferme en soi dans une immobilité perpétuelle tous les êtres immor-
tels, tout dieu, toute âme ; il est la réunion de toutes les essences cosmiques,
une sublimation du monde sensible, soustraite à la matérialité qui implique
le changement. D'autre part, de même que la méditation intérieure est la plus
haute activité de l'intelligence humaine, le Nous se contemple lui-même. II
est la lumière suprême, qui se suffit pour voir : car ce qu'elle voit, c'est elle-
même^. «": Pour le Noi7s la vision se confond avec l'objet visible, l'objet
>^
3
visible est tel que la vision, et la vision telle que son objet
Le Nous, essence parfaite comme l'Un, doit pareillement être fécond. Il
a produit de toute éternité une image de lui-même : l'Ame universelle, troi-
sième hypostase. Occupant une position inte]*médiaire entré le monde intelli-
gible et le monde sensible, elle est en relation avec l'un et avec l'autre. D'une
part elle se rattache au Nous dont elle émane, et par suite elle appartient au
monde intelligible, et est divine. Comme telle, son activité propre est la con-
templation du Nous ; le reste lui vient du dehors. Car, placée aux confins de
la nature sensible, elle lui donne quelque chose d'elle-même et en reçoit
quelque chose en échange*. De même que la parole humaine est l'expression
de la raison qui est en- nous, l'âme est le verbe du Nous et l'énergie en
vertu de laquelle celui-ci projette la vie pour faire subsister les autres êtres,
conime le feu a une chaleur interne et répand cette chaleur autour de lui •
Ainsi l'âme anime et dirige l'univers, dont toutes les parties vivent grâce à
I. Bnn., V, 3, 6 (p. 23, 36, Br.)
2. Ih., V, 3, 8 (p. 59, 42, Br ).
3. Ih. y, 3, 8 (p. 59, I, Br.).
4. Ib., ly, 8, 7 (p. 224, Br.).
5. Ib., V, I, 13 .(p. 18 Br.).
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 349
elle, qui, par son unité et son omnipotence, est semblable au'^ Père qui l'a
engendrée 1. De son désir de créer d'après le modèle que lui offre le Nous
notre monde est né et a pris sa forme. Les astres, la terre même, sont pénétrés
pal" la Psyché aussi bien que les animaux et les plantes. Comme le Nous
embrasse la multitu'de des Idées, de même l'Ame totale, indivisible, contient la
variété infinie des âmes individuelles : celles-ci coexistent dans son sein, tout
en demeurant distinctes par leurs qualités, car elles subissent à des degrés
variables l'action de la Matière à laquelle elles se sont unies.
La Matière n'est pas pour Plotin cette substance pondérable et mesurable
dont s'occupe notre physique. Elle est dépourvue de toute forme et de toute
qualité ; c'est le non-être absolu, l'abstraction à laquelle on parvient en sup-
primant tout ce qui rend un objet connaissable. Toutefois, réceptacle des
formes supérieures, la matière, absente des réalités intelligibles, est dans les
choses sensibles la cause du mal, de la corruption, du désordre et de la
laideur. Une opposition radicale au matérialisme stoïcien et épicurien est un
dogme fondamental du système de Plotin.
Voilà donc les trois hypostases par lesquelles s'accomplit la procession de
l'Un, qui embrasse la totalité des choses dans son absolue simplicité, à travers
le Nous ou Intellect, qui contient les types ou formes de tous les êtres dis-
tincts jusqu'à l'Ame qui leur prête une vie individuelle et les disperse dans
le monde sensible. A ces trois degrés de l'Univers répond une division tri-
partite de l'homme en Intellect (voûç), Ame (^ux,/)) ^^ Corps (o-coaa). La dis-
tinction est traditionnelle dans la philosophie grecque. Mais Plotin l'insère
dans son système du monde. Le Nous appartient au' monde intelligible ; c'est
par lui que nous nous élevons à la contemplation des réalités spirituelles ;
les âmes de chacun de nous sont issues de l'Ame universelle à laquelle elles
continuent d'appartenir, et leur fonction intellectuelle est semblable. Les facultés
inférieures, raisonnement, mémoire, sensibilité, naissent graduellement d'une
déchéance de la vie spirituelle. Le corps enfin, participant de la matière, prin-
cipe du mal, rend l'âme vicieuse et éveille en elle les passions qui offusquent
sa vision du Noûs^-.
Plotin n'a jamais donné de cette vaste construction métaphysique un exposé
logiquement développé qui formerait un système en tout point cohérent et
homogène. Ce que nous offrent les Efinéades, c'est un recueil de sujets
I. 5«»., V, I, 2 (p. 17, 35 Br.).
2./è, I, 8, 4 (p.118, Br.).
350 LUX PERPETUA
divers, discutés dans l''école romaine, sans liaison méthodique entre eux, et
assez arbitrairement groupés d'après leut contenu dans l'édition de Porphyre.
Il n'est pas surprenant dès lors qu'elles nous offrent dans leurs divers
traités pour ainsi dire des états successifs de la pensée de Plotin, des vues
instantanées de son enseignement dans une leçon donnée, et que les opinions
qui y sont exprimées ne s'accordent pas toujours entre elles. C'est ce que nous
allons constater en abordant, après ce préambule, la doctrine plotinienne de
l'immortalité.
L'opinion de beaucoup la plus répandue pendant les premiers siècles de
l'Empire considérait comme matérielle l'essence de l'âme. La vieille croyance
que le double était formé d''une substance plus subtile que le corps humain,
dont il conservait la forme, était restée celle des masses populaires dans
tous les pays du monde ancien. Les Stoïciens ne s'en éloignaient guère lors-
qu'ils définissaient l'âme comme un souffle igné, analogue à l'éther.. Et pour
les Épicuriens elle était un éphémère composé d'atomes, qui ne tardait pas à
se désagréger. Il n'est pas étonnant que certains écrivains chrétiens, Ter-
tullien, par exemple, aient partagé une doctrine qui était celle de la plupart
de leurs contemporains i. Cette âme matérielle pouvait voyager comme les
astres à travers l'espace, descendre des sphères étoilées et y, remonter, venir
se loger dans un corps humain, et l'occuper tout entier.
Mais dès que l'on proclamait avec Plotin la spiritualité absolue du principe
qui nous anime, ce qui avait paru auparavant simple et naturel devenait
mystérieux. Si l'âme est un pur esprit, elle échappe aux limitations de l'espace :
elle est partout et nulle part '\ Comment peut-elle se transporter d'un séjour
céleste ou supra-céleste en ce bas monde ? Comme le fait observer M, Bréhier',
une aporie fondamentale de la pensée plotinienne a été de concilier le pro-
blème psychologique que pose la destinée de l'âme avec le problème philo-
sophique de la constitution de la réalité. On ne peut comprendre les spécu-
lations du subtil dialecticien si l'on ne tient compte de cette interprétation, ou
plutôt de cette interdépendance constante de so;n spiritualisme intégral et de
son mysticisme fervent avec les théories cosmologiques unanimement recoin-
nues de son temps. Il a cru résoudre la diftficulté en interprétant l'idée
mythique d'un transfert de l'âme, successivement localisée en des lieux diffé-
1. Tertullien, De anima, 5-9 et 22 ; De carne Christi, II ; cf. Dict. de théol. catho-
lique, s. V. « Ame », p. 987.
2. Bréhier, Phil. de Plotin, p. 23 ss. 5 cf. Porphyre, Sent, ad intell. y 1-4 ebc.
3. Cf. infra, p. 352 et p. 355.
CHAPITRE VIII, — LE NÉOPLATONISME 35 1
rents, comme une modification interne de cette âme dans son passage graduel
du monde intelligible au monde sensible, ou inversement cette transformation
l'adaptant à la structure rationnelle de l'univers. Mais, nous le verrons, cette
accommodation resta toujours imparfaite. Il y a dans le langage et même dans
la pensée. de Plotin des résidus persistants des vieilles croyances en l'immor-
talité astrale, consacrées par l'adhésion de Platon. Si nous pouvions suivre
depuis ses origines alexandrines, ce qui nous est refusé, le développement du
système élaboré par le rénovateur du spiritualisme, sans doute verrions-nous
que le point de départ en a été la doctrine eschatologique alors la plus
accréditée, mais que le métaphysicien ayant adopté par la suite une autre
conception de la nature de l'âme et de son union avec Dieu, il s'est efforcé
de la mettre d'accord avec la cosmologie et la psychologie traditionnelles.
Les discussions de l'école romaine, dont les Ennêades nous offrent la vivante
image, continuent à se référer souvent à des opinions courantes, difficilement
conciliables avec la pensée profonde de l'exégète audacieux de Platon * .
Un passage caractéristique entre tous montre que le Maître dans ses leçons,
ne se faisait pas faute d'invoquer les croyances vulgaires à l'appui de ses
doctrines. Dans le traité où il reprend et complète les arguments formulés
par ses prédécesseurs pour établir l'immortalité ou pour mieux dire, l'éternité
de l'âme, il ajoute une dernière preuve pour ceux que sa dialectique n'aurait
pas convaincus et qui demanderaient « une foi mêlée d'un élément sensible ,» . ^
Elle est tirée de l'existence partout répandue d'un culte des morts, destiné à
apaiser leur ressentiment et à s'assurer leurs bienfaits ; elle se fonde même
sur ces oracles, où les ombres des trépassés viennent éclairer et secourir les
consultants. La philosophie avait, depuis longtemps, fait état de l'antiquité
du culte funéraire pour étayer la croyance à l'immortalité ^ et cherché dans
les évocations des nécromants une preuve irréfutable de la survivance des
esprits désincarnés*. Ne soyons donc pas trop surpris que Plotin ait recouru
à de pareils arguments pour achever de convaincre ses auditeurs.
Suivant Plotin, exégète de Platon, avant de participer à la vie terrestre,
les âmes, nous l'avons vu, demeurent de toute éternité dans le monde supra-
sensible. Tant qu'elles restent dans cette situation, elles sont exemptes de
souffrances et vivent en dehors du temps, soustraites à toute mutabilité,
1. Cicéron, 'Cusc, I, 12, 27 ; cf. supra, ch. I, p. 13 j Aristote, Eudème, fr. 44, Rose.
2. Enn., IV, 8, fin : Iloôç xoùç Seopivouç it((txewi; at(j9ï|t;£i XExpa|xivfj(;.
3- Cf. su-pra, ch. III, p. 147 et ch. VU, p. 320.
4. Enn., IV, 8, i (p. 217, Br.).
3 52 LUX PERPETUA
n'exerçant nulle activité intellectuelle, car elles ne' doivent rechercher aucune
connaissance qu'elles ne possèdent déjà. De même qu'elles sont transparentes
l"une pour l'autre, elles peuvent par introspection voir en elles-mêmes l'in-
telligence et le bien absolus. Comprises dans l'âme universelle, elles domi-
nent le monde sensible sans y être elles-mêmes engagées. Pourquoi donc
les âmes renoncent-elles à cet état bienheureux pour venir s'incarner sur la
terre ? La question était ardue, et Plotin trahit ici sa perplexité, car Platon
n'était pas sur ce point resté d'accord avec lui-même i. D'une part il disait
l'âme enfermée dans le corps comme dans un tombeau ou une geôle, et
regardait l'incarnation comme une dégradation et le châtiment d'une faute.
D'autre part le Timée voulait que la bonté du Créateur eût envoyé l'âme
universelle et les âmes particulières dans le monde afin que ce don du
démiurge en fît le siège de l'intelligence et assurât sa perfection. L'incor-
poration était ici conçue comme un bien faisant partie de l'ordre nécessaire
du cosmos. Comment concilier cette nécessité avec le libre choix qu'impliquait
la culpabilité attribuée à l'ame ? Plotin s'est efforcé d'y parvenir, sans y
réussir complètement.
Selon lui, de même que le monde intelligible contient une multiplicité
d'intelligences engendrées par l'Un, de même le monde sensible doit renfermer
une pluralité d'âmes par individualisation de l'âme universelle 2. « La mul-
tiplication des âmes, à son dernier degré, aboutit à leur dispersion dans
la matière et à leur union avec les corps particuliers qu'elles font vivre. C'est
là l'effet nécessaire de la loi de procession, dissémination progressive de la
puissance universelle » 3. Ces âmes sont hiérarchiquement ordonnées afin que
par leur intermédiaire le principe supérieur puisse opérer sur les réalités
inférieures jusqu'aux plus basses. La descente des âmes fait ainsi partie de
l'harmonie du cosmos* et elle est par suite une nécessité. Chacune entrera
dans un corps d'homme ou d'animal dont la nature sera conforme à ses
dispositions individuelles, et quand viendra l'instant marqué par le destin,
elle s'incarnera de son plein gré, comme si, dans les jeux, elle répondait à
l'appel du héraut. Elle cédera à une puissance irrésistible, comme dominée
par l'action d'un charme magique s.
1. Cf. p. ex. Bnn., VI, 4, 16 (p. 197, Br.).
2. Bréhier, Philos, de Plotin, p. 54.
3. Enn., IV, 3, 12 (p. 79, Br.).
4. Ib., IV, 3, 13 (p. 80, Br.) ; IV, 3, 17 (p. 84, Br.).
5. Ib., III, 4, 3 .(p. 66, Br.).
(
. CHAPITRE VIII. ~ LE NÉOPLATONISME 355
L*^^incarjnation est due néanmoins à une décision spontanée des âmes. Comme
celles-di se trouvent à la limite du monde suprasensible, pour témoigner leur
sollicitude à ce qui est au-dessous d'elles, elles s'engagent fatalement dans
le sensible 1. Mais ce changement peut n'être pas délétère pour elles, car
elles restent capables de contemplation intellectuelle et gardent même ici-bas
le contact avec les idées. Mues par le désir louable de communiquer leur;S
dons à tous les degrés inférieurs de la réalité, elles trouvent ainsi l'occasion
d'exercer certaines facultés demeurées latentes dans l'intelligible 2, et l'expé-
rience du mal peut même leur faire mieux apprécier la valeur du bien
supérieur 3'. Toutefois la chute de l'âme est pour elle pleine de dangers. Si
pendant son passage sur cette terre elle ne recherche pas les beautés corporelles,
qui ne sont que des reflets et des ombres, mais continue à se tourner vers
la beauté véritable et s'efforce de se soustraire aux sortilèges qui l'entourent,
elle n'est point répréhensible, ni contaminée. Mais trompée par la ressemblance
qu'offrent les simulacres du monde des sens avec les réalités du monde des
idées, elle peut être séduite par leur attrait décevant et, cédant à une inclination
irraisonnée, se précipiter vers eux. Elle se plongera alors dans la matière,
de même que Narcisse, se penchant vers sa propre image aperçue dans le
miroir des eaux, fut englouti dans leurs profondeurs*. Ainsi fractionnées, les
âmes peuvent cesser de diriger leurs regards vers l'intelligible, s'affaiblir
en s'isolant davantage, et s'éloigner, de l'ensemble dont elles sont issues en se
liant plus étroitement au corps particulier qu'elles habitent. Enivrées de leur
indépendance, elles usent de leur spontanéité pour courir à l'opposé de Dieu :
arrivées au point le plus éloigné, elles ignorent même d'où elles viennent,
comme des enfants arrachés à leur père et élevés longtemps au loin le
méconnaissent, et eux-mêmes avec lui^. Celles qui se complaisent ainsi dans
leur nouvelle condition vivent au milieu des ombres comme si elles étaient
descendues dans l'Hadès ^. Elles deviennent passibles d'une peine et méritent
d'être tourmentées par les démons vengeurs \ Lorsqu'elles quittent leur enve-
loppe mortelle, si elles ont gardé un attachement insensé pour le corpo-
1. Enn., IV, 8, 5 (p. 223, Br.).
2. /&., IV, 8, 7 (p. 225, 3, Br.). Même idée chez Porphyre (infra, p. 358).
■S- Ib., I, 6, 8 (p. 104, 12, Br.) ; cf. V, 8, 35 (p. 137, 35). Cf. Bousset, Haupipro-
bietne der Gnosis, p. 205, note.
4- Ib., V, 8, 3 (p. 221, Br.).
S. Ib V, I, I (p. 15, Br.).
0- Ib., V, 8, 3 (p. 104, 13, Br.) ; rV, 3, 27 (p. 96, 8, Br.). Cf. Porph., infra, p. 362.
7- Ib., IV, 8, 5 (p. 223, 5). Cf. m, 4, 6; supra, ch. I, iv, p. 92.
Ï3
354 LUX PERPETUA
rel ', elles s'incarneront de nouveau, et si elles se sont abandonnées à la
sensualité ou à la violence, elles iront habiter des animaux dont le caractère
soit conforme à la passion qui les a dominées ; car la demeure qu'elles
choisissent répond toujours à leurs dispositions internes*. Si leur déchéance
est plus profonde, elles s'abaisseront jusqu'à s'enfermer dans une plante et
mener une vie végétative. La loi divine ne peut être évitée, et le pécheur reçoit
toujours un châtiment en rapport avec ses fautes^.
Lorsqu'à la suite de Platon, Plotin parle de l'Hadès et des démons, il use
d'expressions mythologiques, qui peuvent aisément s'interpréter symboliquement
comme signifiant ce bas monde matériel avec les souffrances que nous y
subissons.
Se demandant si l'âme peut être ptmie dans l'Hadès *', il suggère qu'elle ne
descend pas dans la matière, mais se borne à l'illuminer du dehors, et y
projette une image d'elle-même, un eidôlon, qui s'est joint à elle au moment
de la naissance. Il allègue à l'appui de cette thèse les vers de la Nékym
homérique 5 où il est dit qu'Héraklès festoie dans l'Olympe avec les dieux
tandis que son eidôlon surgit du fond de l'Hadès. On a soutenu que ce passage
des Ennéades, qui exclut tout contact entre la matière et l'âme supérieure
vouée à la contemplation, trahissait l'influence de la philosophie hindoue \
Mais l'emprunt paraît être fait à une école beaucoup plus proche du Platonisme.
Nous l'avons vu ailleurs', les Pythagoriciens, adoptant la doctrine de l'im-
mortalité céleste, voulurent la concilier avec la croyance traditionnelle aux
Enfers en dédoublant l'âme, dont une partie, la psyché, montait vers les
cieux, tandis que V eidôlon s' enionca.it dans le monde inférieur^ Et pour soutenir
cette théorie audacieuse, ils n'hésitèrent pas à interpoler dans l'Qdyssée, à
propos d'Héraklès, des vers qui la justifiaient. C'est à ces vieux philosophes
que Plotui a pris l'idée que l'âme était double, et que seule sa partie adventice,
ne lui appartenant pas en propre, descendait dans le monde matériel, qui
représentait l'Hadès. Les ,échos de cette doctrine devaient se répercuter dans
l'école néoplatonicienne, jusqu'à Proclus*.
1. Enn., IV, 3, 24 (p. 91).
2. Ib., III, 4, 2 ss. (pp. 65 ss.). Cf. VI, 7, 7 (p. 76) ; VI, 4, 16, p. 197) et siip^,
ch. IV, p. 202.
3. D'après Platon, Lois, X, 904 a ss. (Br. p. 92).
4. Enn., I, I, 12 (pp. 47 ss., Br.); cf. IV, 3, 28 (p. 97).
5. Hom., Od., XI, 601.
6. Cf. supra, p. 345, et N. C, XVII, p. 412. ^
7. Cf. supra, ch. IV, pp. igo-191.
8. Cf. Proclus, In Remp., I, p. I20, I2 ss. KroU ; p. 172, 12 ss..
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 355
Le flux de la prédication de Plotin est un torrent rapide, qui charrie ainsi
maint débris arraché à la montagne où il prend sa source. Mais si, dans les.
chapitres que nous citions, le sens allégorique se discerne sans peine, ailleurs
il est moins apparent. Ainsi lorsque nous lisons que l'âme, en sortant du
lieu intelligible, va d'abord dans le ciel, qui lui est contigu^ et y reçoit un
corps igné ou aérien^, lequel est invisible, et qu'elle passe ensuite dans un
corps terrestre ou, ce qui revient au même, qu'elle s'enveloppe, à mesure
qu'elle descend, de vêtements qu'elle dépouillera en remontant ^ ; ou encore
lorsque Plotin admet que l'âme commence par se loger au ciel dans un corps
sphérique comme les astres, qui s'allonge ensuite pour devenir un corps
terrestre*, ce ne sont pas là de pures métaphores, de simples réminiscences
verbales, mais des rappels d'opinions communes, répandues avec la doctrine de
l'immortalité astrale et auxquelles le philosophe n'a pas hésité à se référer dans
ses entretiens scolaires. Il avait pour principe d'accepter les thèses généralement
admises tant que leur fausseté n'était pas démontrée s. Mais l'aboutissement
de la pensée mystique de Plotin est l'affirmation que la descente de l'âme
(///GoSoç T^ç 4'^X^*') ^^ P^^* ^^^^ entendue comme un voyage effectif à
travers les sphères des étoiles fixes et des planètes jusqu'à notre terre, comme
elle l'était encore pour Nuniénius (p. 344). Il ne peut être question d'un
déplacement local pour une âme immatérielle. Sa chute est une transformation
purement psychique *. De la méditation intérieure à laquelle elle se livre
dans le monde intelligible, elle passe à l'état où elle reçoit des impressions et
subit des émotions dans le monde sensible \
Toutefois les âmes peuvent ne pas rester empêtrées dans les liens qui les
maintiennent dans un milieu inférieur, avilissant pour leur véritable nature,
I source pour elles de misères et de tribulations infinies. Il leur est donné
i au contraire de s'élever à un niveau supérieur en faisant prévaloir en elles-
mêmes le Nous. Bien que plongées sur notre terre dans l'abîme de la matière,
leur tête reste fixée au-dessus du ciel^. Leur père Zeus, prenant en pitié leur
I. Enn., IV, 3, 17 (p. 84, 3, Br.); cf. IV, 3, 32 (p. loi, n. iBr.).
2- Ib., IV, 3, 9 (p. 75 Br.). Cf. infr'a, p. 378, note 3.
3- Ib., I, 6, 7 (p. 103 Br.). Cf. infra, p. 358, note 4 -, N. C. XXVII.
4- ^b; IV, 4, 5. (p. 106, 15 Br.) et IV, 3, 15 (p. 82, i ss.). Cf. Symbol., p. 123,
''ote, et su-pra, p. 344.
5- Enn., IV, 4, 31 (p. 136, 30 Br.), à propos de l'astrologie.
6. /6.J VI, 4, 16 (p. 197, 12 ss'. Br) -, IV, 3,20 (p- 87) ; cf . Bréhier, ?hil. de Plotin,
P' 185, et infra, p. 369.
7. Enn., IV, 8 (p. 212 ss. Br.).
^- ^^-^ IV, 3» 12 (P- 79 Br.).
956 LUX PERPETUA
peine, a rendt! sujettes à la! mort les chaînes qui les font souffrir, et il leur
accorde, par intervalles, de venir retrouver l'Ame de l'univers, qui règne
éternellement sur le monde intelligible sans se tourner vers les choses d'ici-bas '.
Lorsque notre âme est sortie d'un corps, son sort est déterminé par les fonctions
qu'elle a le plus développées : c'est pourquoi il faut « fuir vers le haut »,
c'est-à-dire ne pas laisser s'imposer à nous les fonctions sensitives ou végé-
tatives, mais s'élever vers Dieu en accordant la prédominance à l'intellect 2.
Celui-ci est comme le bon conseiller qui, dans une assemblée tumultueuse où les
cris des factieux menacent de couvrir sa voix, arrive à imposer sa volonté'.
Toute âme, même incamée et envahie par les sensations et les impressions,
garde donc im côté supérieur tourné vers le Nous et la divinité*. Sa condition
ici-bas prépare son destin dans l'au-delà. En cette vie l'âme s'est sentie attirée
par la beauté des corps ; elle l'accueille comme s'accordant avec sa propre
essence, et s'y attacha; elle répudie la laideur comme une étrangère antipathi-
que 5. Mais si la beauté corporelle lui cause une sensation profonde et peut
l'enflammer d'amour, elle ressent une émotion bien plus intense lorsqu'elle
aperçoit en elle-même et chez autrui la beauté de la vertu ou de la science,
Elle est saisie d'étonnement et transportée d'allégresse quand, au lieu des
apparences, elle voit les réalités idéales : « L'étoile du soir et celle du matin
sont moins belles que la face de la justice et de la tempérance » *. Mais
cette ivresse amoureuse ne ravit l'âme que si sa propre nature la rend capable
d'une telle vision. Celle qui s'est inclinée vers les plaisirs impurs et salie
par ses vices, en sera privée, comme un homme plongé dans un bourbier,
et elle ne pourra éprouver la délectation esthétique que procurent les beautés
qui se révèlent en dehors des organes des sens '. Enfin ceux que leur
perfection en rend dignes éprouvent le désir de monter plus haut encore
vers cette Beauté absolue, d'où émanent toutes les autres, qui n'en sont que
les reflets. En celui qui la contemple s'éveille une passion ardente, qui le
remplit à la fois d'effroi et de jubilation, et lui cause une indicible félicité'.
S'il est impossible de définir ce que fait éprouver cette contemplation où la
I. Enn.^ IV, 3, 12 (p. 79 Br.).
a. Ihiâ,.^ III, 4, 2 (p. 65 Br.).
3. /&., IV, 4, i7.(P- 118 Br.)
4. /&., IV, 3, 8 (p. 225 ss. Br.) ; III, 4, 1 (p. 60 Br.).
5. Ih., I, 6, 2 (p. 97 Br.).
6. Ih., I, 6, 4 (p. 99 Br.).
7. Ih., I, 6, 5 (p. ICI Br,).
8. /è., I, 6, 9-10 (p. 105 ss. Br,).
CHAPITRE VIII. —LE NÉOPLATONISME 357
pensée est absolue, Plotin le suggère, on Ta noté ', avec une sorte de sensualité
idéale par des images ou allusions empruntées à ce qu'il y a de plus raffiné
et de plus subtil dans ce que perçoivent nos sens, jeux de lumière, transparences,
saveurs, parfums. Dans ce célèbre chapitre sur le Beau, vibrant d'une passion
contenue, Plotin systématise la pensée de Platon et la dépasse. Ces pages
ont toujours produit chez ceux qui les méditèrent, comme saint Augustin, une
impression ineffaçable.
Mais ne nous arrêtons pas à ce stade de l'illumination. Considérons au
delà du Beau, le Bien, auquel il est subordonné. Tous les êtres qui sont en
ce monde le désirent par une nécessité de leur nature, qui trouve accomplie
en lui sa propre perfection 2. Il n'est aucune âme qui ne tende vers lui et
chacune l'atteint suivant son pouvoir 3. Ce désir qui pénètre toutes choses
anime même les astres divins et leur imprime leurs mouvements harmonieux *.
Mais seuls s'élèvent jusqu'à l'objet de cette aspiration ceux que leur activité
y a préparés*. L'homme peut vivre d'une Vie purement matérielle, soumis à
ses instincts naturels, ou bien il peut, en obéissant à la raison, mener la vie
d'un être intelligent, ou enfin, à de rares instants, monter au-dessus de
l'intelligence même et participer à une vie divine®. Ceux qui, ayant dépouillé
dans leur ascension spirituelle tout ce qui est étranger à Dieu, ont le privilège
de contempler ce Souverain Bien qui est au delà de la beauté, de la vertu
et du savoir, ne font plus qu'un avec lui'=.
Plotin obtint quatre fois, pendant les années où Porphyre le connut, cette
grâce suprême de l'extase*. Pour y parvenir, enseigne-t-il, l'on doit arriver à
s'abstraire complètement du monde extérieur et à se concentrer en soi-même.
Il ne faut pas s'efforcer d'atteindre cette lumière d'en haut, mais dans
l'isolement et le silence, attendre qu'elle apparaisse. Elle se manifeste par une
1. Bréhier, Philos. Plotin, p. XII.
2. Enn., V, 5, iz (p. 104, 7 Br.); c£. I, 6, 7 (p. 103, i)j I, 8, i (p. 116); VI, 7,
20 (p. 93).
3- Ibid., III, 2, 3 j;p. 28 Br.).
4- Ihid. ; cf. IV, 4, 16 (p. 117 Br.).
5- IK I, 7, I (p. 103 Br.),
6- Ih., I, 8, 2 (p. 116); cf. I, 9, 10 (p. 186).
7 Ibid., I, 7, I (p. 108); V, I, 8 (p. 26); III, 9, 9 (p. 176).
o- Porphyre, V. Plot., 23. — W. R. Inge a noté que l'extase est pour Plotin, et
^ussi pour Porphyre, qui ne l'aurait obtenue qu'une seule fois à l'âge de soixante-huit
^s, une faveur très exceptionnelle. Au contraire chez certains mystiques chrétiens
cUe se présente comme un état fréquent et prolongé. Plotin n'eût pas approuvé les
iiMyens pratiqués délibérément par eux pour y atteindre. L'esprit helléniq_ue est en
général hostile à cette forme de l'ascétisme, et Plotin ne le renie pas entièrement.
358 LUX PERPETUA
illumination soudaine, qui nous envahit et nous comble de béatitude. Cette
joie inexprimable ne peut être comparée qu'à l'exaltation de l'ivresse ou aux
transports de l'amour. Toute activité sensitive ou rationnelle disparaît, la
pensée ne s'exerce plus, la conscience même est abolie, et l'âme jouit d'un
repos délicieux dans le sein de l'Être i.
Mais pourquoi l'âme ne se maintient-elle pas dà-haut dans cet état
bienheureux ? Parce qu'elle n'est pas entièrement sortie de ce bas monde
et que son corps la replonge bientôt dans la vie sensible. C'est seulement
lorsqu'elle aura cessé d'être en contact avec cette gangue délétère, après le
trépas, que la contemplation pourra être pour elle indéfinie et ininterrompue ^
La conception que se fait Plotin de l'ascension des âmes désincarnées
suggère la même observation que celle de leur descente. Il associe dans son
langage, et même dans sa pensée, la vieille doctrine de l'immortalité astrale,
que lui imposait l'adoption de celle-ci par Platon, avec un mysticisme qui
s'élève au-delà de l'intelligible. Les âmes qui sont là-haut, dit-il dans un
passage que nous suivons pas à pas, ^ sont, les unes dans le monde sensible,
les autres en dehors. Les premières séjournent soit dans le soleil ou une autre
planète, soit dans le ciel des fixes, chacune selon que sa raison s'est comportée
ici-bas. Car notre âme est unie non seulement au monde intelligible, mais
à l'Ame du monde, celle qui se distribue dans les astres selon la diversité de
ses puissances. Chacune des âmes humaines, lorsqu'elle est libérée, va dans
l'astre qui répond au caractère qu'elle s'est acquis par ses actions en cette vie.
Quant aux âmes supérieures, qui sont sorties du monde sensible^ « leur
nature dépasse celle des démons ; elles ont surmonté toute la fatalité des
naissances, et l'ordre entier des choses visibles ». Dans leur ascension elles
se dépouillent des vêtements dont elles s'étaient enveloppés dans leur descente*,
comme dans les mystères se dévêtent les initiés qui doivent se purifier, et ayant
abandonné tout ce qui est étranger à Dieu, chacune voit seule à seul, dans
sa simplicité et sa pureté l'Être dont tout dépend, principe de la vie et de
l'intelligence. A mesure que l'âme s'élève, si elle ne perd pas ses facultés
inférieures, celles-ci deviennent inactives et ne sont conservées que virtuellement,
en puissance. Lorsqu'elle quitte ce monde sensible, elle abandonne tout ce qui
1. Enn., VI, 7, 34 ss. (p. 108 Br.); cf. IV, .9, i (p. 216 Br.) ; et ZeUer, Philo^'
Griech., III, 2, p. 615 ss.
2. Enn., VI, 9, 10 (p. 186 Br.).
3. Ibid., m, 6, 4 .(p. 69 Br.).
4. Ibid., I, 6, 7 (p. 108 Br.) ; ci. supra, p. 355 ; infra, p. 364 ; et Relig. or., p. 2o2i
n. 69 ; Dodds, Proclus, Eléments of theology, pp. 183, 207.
(
CHAPITRE VIIL — LE NEOPLATONISME 359
dépendait de son union avec le corps : les perceptions des organes des sens,
les émotions et les passions provoquées par l'impression des objets extérieurs.
Toute sensibilité cesse au niveau de l'intelligible ; dans un calme immuable,
l'âme s'y livre à la contemplation des beautés qui l'environnent et à l'exercice
de sa pensée. La mémoire même des choses d'ici-bas s'oblitère en elle, et
plus elle se hâte vers le haut, plus elle les oublie i. Au plus haut degré de
la vie spirituelle, son intelligence même cesse de s'exercer ; elle perd toute
conscience de soi : « L'âme ne se meut plus parce que le Bien auquel elle
s'unit est immobile ; elle n'est même plus une âme, parce qu'il ne vit pas,
mais qu'il est au-dessus de la vie ; elle n'est pas non plus intelligente
parce que le Bien ne pense pas, et qu'elle doit être semblable à lui » 2.
Les dernières paroles adressées par Plotin sur son lit de mort à Eustochios
expriment l'aspiration profonde de toute sa vie : « Je tâche d'élever le
divin qui est en nous vers le divin qui est dans l'univers ' » . Une philosophie
qui regarde comme le but suprême de la vie humaine l'union avec un Dieu
transcendant, et qui espère l'obtenir par une purification progressive de l'âme,
est essentiellement religieuse. Elle est dominée par l'idée maîtresse que la
créature, soumise à l'esclavage de la matière corruptrice, peut garder un amour
ardent des vérités supérieures, et que l'élan qui porte la raison vers le Bien
et le Beau divins arrive déjà en cette vie à satisfaire cette passion incoercible.
L'étude théorique de la voie qui conduit au Priemier Principe est elle-même un
moyen de monter jusqu'à lui*. Un mysticisme fervent s'allie dans les spécu-
lations les plus abstruses du philosophe à une métaphysique subtile ; elle
la vivifie, lui prête une force émotive qui explique l'attirance qu'elle exerça
et la grande transformation qu'feUe opéra dans les esprits à la fin du
monde antique.
Plotin connaissait les cérémonies secrètes célébrées dans les temples de
sa patrie ; et il fait souvent allusion à ce qui s'accomplissait à l'ombre des'
sanctuaires. Il aime à emprunter des comparaisons aux mystères et à se servir
de leur langage ; en un certain sens la sublimité de son mysticisme est la
transposition philosophique de la dévotion contemplative et de l'adoration
muette des fidèles d'Isis ^ La conviction que la vue de la divinité divinise,
1. Enn.^ IV, 3, 1% (p. 100, 13 Br.V
2. Ibîd., VI, 7, 35 (p. iio, 4a Br.). Sufra, p. 347.
3- Porph., Pu. Pla,t.^ Z : '^i,<sa.<; TSipâaSai -rô Èv ■^[Ji.Tv ôeTov àvâyeiv Ttpôç TÔ èv Ttj!) TtâvTt Ôeîov.
4- Enn., III, 20, i (p. 62 Br.). Cf. Bréhier, V. de Plotin, p. 24 ss. ; et sufra, p. 347.
5- Cf. Le culte égyptien et le mysticisme de Plotin {^Monuments Piot, XXV), 1922,
PP- 77-92.
360 LUX PERPETUA
que celui à qui sur cette terre un dieu a daigné se manifester trouve dans
cette apparition lumineuse une garantie dé son bonheur dans l'au-delà, a
précédé dans le paganisme la doctrine néoplatonicienne que la vision béatifique
conduit à l'absorption libératrice dans le sein de Dieu. Comme tous ses
contemporains, Plotin croyait aux épiplianies des dieux, à F « autopsie » qui
dans les temples permet de les voir face à face, et lui-même en rapproche
la contemplation philosophique du Beau absolu \ Mais il n'est pas une sorte
d'hiérophante supérieur qui réaliserait pleinement ce que les cultes positifs
avaient fait pressentir par leur prédication. Il s'oppose résolument à eux
et s'émancipe de leur tutelle. La récompense idéale à laquelle peut aspirer le
sage est une intuition directe, où l'âme pénétrée d'amour s'identifie, inconsciente,
avec l'Un. Elle s'élève jusqu'à ces sommets spirituels par ses propres efforts ;
l'intervention d'un prêtre n'est pas nécessaire pour que l'extase la ravisse, ni
le secours d'un dieu psychopompe pour qu'elle atteigne et dépasse les limites
du monde sensible. De même que la raison échappe aux sortilèges de la
magie ^ aussi bien qu'à l'influence des étoiles ^ elle demeure indifférente aux
prières récitées dans les temples *. La spiritualité altière du grand métaphy-
sicien dédaigne tout cérémonial rituel. Elle reste intellectualiste et imbue de
rationalisme grec. Pour elle, le salut n'est pas obtenu par l'intercession d'un
médiateur, ni la vérité révélée par la bouche des mystagogues. Amélius,
qui célébrait dévotement chacune des fêtes du calendrier, voulut faire assis-
ter Plotin à quelque sacrifice : « C'est aux dieux de venir à moi, dit
fièremeni le Maître, non pas à moi d'aller vers eux », signifiant ainsi que
l'âme devait attendre dans une retraite solitaire et un recueillement silencieux
que la divinité vînt la visiter &.
1. Porphyre, P'. Plot., lo ; Enn., I, 6, 7 (p. 108 Br.).
2. Enn., IV, 4, 40 à 44 (p. 147 ss. Br.); cf. IV, 3, 15 (p. 82).
3. Enn., III, I ; II, 3 ; cf. Porph., V. Plot., 15 ; Firmicus Maternus, Mathes., I, 7,
18 ; Bouché-Leclercq, Astrol. gr., p. 600 ss ; Cari Schmidt, Plotins Stellung zum Gnos-
tizismus (Texte u. Unt, XX, 3), 1901, p. 44.
4. Les seuls dieux du paganisme dont Plotin admette l'existence réelle sont les as-
tres. Or ces astres n'entendent pas les prières qu'on leur adresse, et il n'y a pas en
eux de volonté de les exaucer. Elles n'agissent — comme les incantations magiques-;
que par une influence sympathique sur l'être que l'on supplie, en vertu des liens qui
unissent toutes les parties de la nature (Enn., IV, 4, 40 à 42, p. 148 ss. Br.).
5. Porph., V. Plot., 10. Le sens de cette hautaine réponse, qui surprit ceux qu'
l'entendirent, ne paraîtra pas douteux si on la rapproche d'Enn., V, 3, 17 (p. 73, 3°
Br.); VI, 7, 34 (p. 107, 8).
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME iét
II. — De Porphyre a la déchéance du paganisme
Les successeurs de Plotin n'observèrent pas sa réserve hautaine à l'égard
du culte sacerdotal. Son mysticisme laïc disparut avec lui. Le néoplatonisme,
dernier soutien dogmatique du paganisme moribond, contracta une alliance
de plus en plus étroite avec la religion et aussi avec la magie, et il se
rapprocha toujours davantage de la théologie et même de la pratique des
mystères orientaux. Cette altération progressive de son caractère primitif est
due pour une large part à la valeur démesurée qui fut reconnue dans
l'école depuis Porphyre au recueil des « Oracles chaldalques » * .
L'origine de ces oracles et les circonstances de leur composition restent
incertaines. Nous apprenons seulement qu'ils furent rendus à Julien le Théurge
qui, selon Suidas, vivait sous Marc Aurèle et était le fils d'un autre Julien,
« philosophe » chaldéen et auteur d'un livre sur les démons^. Le Théurge
lui-même avait composé, sur. ces hexamètres souvent ambigus, un livre d'exégèse,
qui paraît les avoir surtout mis en valeur. Il les présentait certainement comme
une révélation reçue d'une divinité. Mais, énigmes irritantes, où, quand,
comment cette révélation avait-elle été obtenue, nous l'ignorons. L'épithète
de « chaldaïque », indique qu'elle prétendait exprimer la sagesse présumée
de l'ancien clergé babylonien, et l'importance qu'elle accordait au culte du
Feu, qui caractérise le mazdéisme, semblerait indiquer pareillement une origine
iranienne, réelle ou fictive. C'est tout ce que l'on peut hasarder sur sa
provenance. On est ramené à la même origine par un dualisme opposant
les démons, qu'évoquent les impies, aux dieux, dont les théurges obtiennent
les théophanies '. i-i^:.J : -Iv;.,-! |\?;,|;?^
Cependant nous en apprenons assez pour pouvoir nous rendre compte
du caractère général de ces « oracles » mystérieux et, en quelque mesure,
des motifs de leur succès. A l'époque où ils se placent, la croyance au
pouvoir de la magie était générale : celle-ci prétendait évoquer les dieux
I. W. KroU, De orac, chaldaîcîs {Breslauer -philol. AbhandL, VII), Breslau, 1894,
et Rhein. Muséum, 1895, L, pp. 636 ss. ; Willy Theiler, Die chaldàîschen Orakel und
die Schriften des Synesios (Schriften der Kônigsberger Gelehrtenges., XVIII, i) j Bidez,
J^ie de l'empereur Julien, p. 73 ss.
a. Kroll, R. E., s, v. « Iulianos », n"» 8, 9.
3. Cf. Jambl., De myst.^ Hj 31 j et sur les àvrlGEot, su-pra, ch. IV, p. 217.
362 LUX PERPETUA
aussi bien que les esprits des morts i, mais c''était un art réprouvé dont
l'exercice était puni par le code pénal. Les théurges ^ se flattaient de produire
les mêmes prodiges, d'obtenir les mêmes apparitions par des pratiques pieuses ;
seule la pureté parfaite de leur âme leur valait de jouir de la vue des dieux
lumineux. Aussi bien, pour assurer la réussite d'une opération magique, est-il
souvent recommandé de se sanctifier (àyveuetv). Lorsque les sorciers
soumettaient ainsi à leur volonté une déité, un démon ou un fantôme, c'était
souvent pour les interroger, afin d'être éclairés par les réponses qu'ils en
obtenaient^. Les Oracles Chaldaîques sont un recueil de réponses du mênje
ordre données à Julien le Théurge par la divinité, surtout semble- t-il par
Hécate, déesse à la fois du ciel, de la terre et des enfers, conçue comme la
maîtresse de la nature entière*. La mantique resta toujours un des actes
essentiels du culte des théurges^. Lorsque les auteurs nous parlent de
« mystères » dont la connaissance aurait été révélée par Julien et transmise
aux philosophes néoplatoniciens ^, . ces mystères ne sont pas comparables à
ceux de l'ancien paganisme, auxquels participait une assemblée nombreuse
d'initiés. De telles réunions seraient inconcevables après l'interdiction légale du
culte païen. Par leurs incantations et opérations secrètes les thaumaturges
« chaldéens » se rapprochent des magiciens que nous connaissons par les
papyrus d'Egypte. C'est à l'écart, dans l'ombre, qu'ils se livraient à leurs
pratiques occultes. L'interrogateur en faveur de qui ils produisaient des
miracles conversait « seul à seul » avec le dieu qui se présentait à sa vue
éblouie^. Quelle était dans la vision ainsi obtenue la part de l'illusion et
celle de la supercherie, il est difficile de le discerner. Mais le point essentiel
est que la théurgie était une forme honorable de la magie, une sorcellerie
clarifiée, et elle ne se donnait pas pour autre chose «.
1. Cf. su-pra, ch. I, ly, p. 78 ss. ' ' \ \ ' ' \' ' ' ' \\ \ ; ""j ! ' ''ii^:':';;:!!
2. Le nom de « théurge » paraît avoir été pris d'abord par Julien, qui mit en circu-
lation les oracles ; il fut introduit par Porphyre dans le langage philosophique et s'op-
posa dès lors à celui de magicien (Porph., E-pist. Aneb., 46 ; Aug., Civ. Dei., X, 9-10;
Eunape, V. Sophist., Maxime, p. 474-58 Didot. — Cf. Èitrem, La théurgie chez les
Néoplatoniciens et dans les papyrus magiques {^Symbol. Osloenses, XXII, 1942, p. 49 ss.
3. Cf. supra, ch. I, p. 92.
4. Cf. Marines, V. Procli, 28.
5. Jambl., De myst., II, 31.
6. Cf. Bidez, Les mystères néoplatoniciens (R. B. Ph. H., 1928, VII, p. 1477 ss.);
Vie de l'empereur Julien, ch. XII, p. 73 (= tr. ail, 1940, p. 83 ss.).
7. Cf. supra, p. 360, et pour les théurges, Eunape, V. Soph., Jambl., p. 458, 29 Di-
dot ; Marinos, V. Procli, 28.
8. August., Civ. Dei, X, 9. — Cf. infra, p. 374.
CHAPITRE VIII. -- LE NÉOPLATONISME 3^3
Mais ce caractère des Oracles Chaldaîç'ues n'explique qu'imparfaitement les
raisons qui leur assurèrent un prestige merveilleux aux yeux des disciples
infidèiles de Plotin. Ceux-ci ne cessent d'invoquer leur témoignage, et ils
citent leurs vers à Tappui de leurs spéculations, à peu près comme les écrivains
chrétiens invoquent les versets de l'Ecriture. Porphyre et Jamblique en rédigent
des commentaires — celui-ci en vingt-huit livres au minimum ^ — et Proclus
allait jusqu'à dire que s'il en avait le pouvoir, il supprimerait tous les autres
ouvrages pour n'en conserver que deux : les Oracles chaldaîques et le Timée
de Platon 2. Les Néoplatoniciens vénèrent la sagesse « chaldéenne » à l'égal
de celle d'Homère ou d'Orphée. Jamais on n'avait vu auparavant une
révélation barbare agir à ce point sur le système d'une école philosophique
grecque et en inspirer les théories.
Ces Oracles ne s'exprimaient pas avec la précision cohérente d'un traité
métaphysique. Obscurs, ambigus comme tous les oracles, ils ont mis à l'épreuve
la sagacité de leurs interprètes. Ils parlent souvent un langage imagé où la
lumière physique est le symbole de l'illumination psychique. Comme dans les
écrits hermétiques, la démonologie et le mysticisme de l'Orient s'y combinent
avec un mélange disparate de doctrines philosophiques. Si nous en possédions
autre chose qu'une poussière de citations, nous pourrions sans doute distinguer
les éléments pythagoriciens, platoniciens, stoïciens qui sont entrés dans la
composition de cet amalgame et donnent parfois à ce recueil mystique l'appa-
rence d'un poème didactique. Mais comme dans la gnose, toute cette
construction théologique a pour effet principal d'indiquer dans quelles condi-
tions l'âme, exilée ici-bas, peut trouver la voie du salut, et c'est le point qui
nous intéresse surtout ici.
A la suite de Platon les théurges chaldéens opposaient nettement le monde
intelligible des Idées au monde sensible des apparences : ils avaient donc
de l'univers une conception dualiste. Au sommet de leur panthéon ils plaçaient
l'Intellect, qu'ils appelaient aussi le Père ( NoOç TcaTptxoç ). Ce dieu transcen-
dant qui s'enveloppe de silence, est déclaré impénétrable, et cependant il est
parfois représenté comme un Feu immatériel, d'où tout est issu. Au-dessous
de lui s'étagent les triades du monde intelligible, puis les dieux qui siègent
au-delà des sphères célestes ( à^covoi ) ou qui y président ( Çtovaioi ). Les
créatures inférieures : anges, héros, démons, qu'unit la chaîne d'une connexion
I. Bidei, Ilotes sUr Julien (Bull. Acad. Belg., 1904), p. 501. Cf. ibid., 1919, p. 418.
a. Marinos, T^. Procli, fia.
364 LUX PERPETUA
ininterrompue, s'abaissent par une continuelle dégénérescence jusqu'au règne
de la nature {futjn;) à laquelle l'homme est soumis.
.L'âme humaine d'essence divine, étincelle du Feu originel, descendant par
un acte de sa volonté les degrés de l'échelle des êtres, est venue s'enjfermer
dans la geôle d'un corps, et son contact avec la matière qui la souille lui fait
perdre le souvenir de sa préexistence supra-mondaine*. Dans le sombre séjour
où. elle s'est fourvoyée elle devient l'esclave du Destin qui gouverne toute
la nature, et seuls, grâce à leur piété, les théurges sont capables de se soustraire
à l'a domination de la Fatalité ' . Dans son abjection, la masse grégaire, « lie »
de la création, continuant à s'avilir, peut transmigrer même dans des corps
d'animaux '^'.
Mais la semence ignée qu'il renferme incite cet esprit déchu à remonter
vers sa source lumineuse. Cette ascension est quelquefois représentée comme
produite par des agents physiques. Les Vents sont les véhicules qui élèvent
les âmes légères vers le ciel<^, et celles-ci sont attirées aussi vers lui par les
éléments aériens, lunaires et solaires, dont elles se sont revêtues en descendant
sur cette terre ^. Le Soleil surtout, le dieu aux sept rayons avait, conformément
à une vieille doctrine des « Chaldéens », le pouvoir d'attirer jusqu'à lui
les âmes plongées dans l'abîme 6. Ailleurs au contraire, c'est la mythologie
qui doit expliquer cette montée de l'esprit des morts. L'âme a besoin d'un
dieu psychopompe qui lui serve de guide dans son voyage posthume ; il lui
faut l'aide d'anges et de démons secourables pour échapper aux puissances
hostiles qui la menacent, et im signe de reconnaissance (a-tjvOY][ji,a) lui est
donné pour qu'elle obtienne le libre passage. Tandis qu'elle s'élève glorifiée,
elle chante un péan triomphal'. Enfin, quand elle se sera dépouillée de toutes
les enveloppes matérielles dont elle s'était chargée, l'âme bienheureuse sera
accueillie dans le sein paternel du Dieu suprême. Cette félicité infinie des
Elus est opposée aux supplices de la tourbe des réprouvés, livrés aux châtiments
que leur infligent les démons du Tartare.
1. Cf. supra, p. 353.
2. Cf. Relig. Or., p. 291, n. 73 ; et Theiler, op. cit., [supra, p. 261, n. i], p. 33. —
Même prétention des théurges, infra, p. 375. — Jamblique, De myst..
3. Cf. supra, ch. IV, p. 197.
4. Cf. Symbol., p. 140, n. 5.
5. Ibid., p. 20I5 n. a.
6. Julien, Or., V, p. 172 D3 cf. Z^héol. solaire, p. 464 ss.
7. KroU, De orac. chald., p. 54; cf. Symbol., p. 262. Norden, note au vers VI,
657 de l'Enéide.
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 3^5
Ce sort là d'anciennes idées du paganisme oriental ^ et du gnosticisme, qui
ont été reprises par les mystagogues « chaldéens ». D'autre part l'ensemble
de la théologie qu'illustrent les vers imagés des oracles offre une similitude
frappante avec le système philosophique de Plotin ; et c'est certainement cette
analogie qui leur a valu le prestige incroyable dont ils jouirent chez les
Néoplatoniciens, après que Porphyre eut reconnu leur autorité et valorisé leur
témoignage. C'est donc à celui-ci qu'il faudra d'abord nous adresser pour
déceler leur influence.
S'il est vrai que l'attachement peut naître de contrastes entre esprits qui se
complètent l'un l'autre, on pourra trouver là l'explication des relations affec-
tueuses qui unirent Plotin à Porphyre, son élève préféré, à qui il confia la
publication de ses écrits. Plotin se souciait peu de l'élégance de la forme
et ne s'attachait qu'au sens. Chez lui, nul souci d'érudition : il nomme rarement
les auteurs des opinions qu'il accepte ou qu'il combat, de crainte sans doute
qu'un patronage illustre ne donnât une valeur fictive à une thèse dont le contenu
seul importait. Après s'être absorbé dans sa méditation, le philosophe rédigeait
d'un seul jet et ne se corrigeait pas^. Son orthographe était fautive, son grec
peu correct, sa concision extrême et parfois énigmatique ' . On y sent souvent
les hésitations d'une pensée qui se cherche. Par endroits le style des Ennéades
reste rocailleux et embarrassé, malgré la toilette que leur a faite un éditeur
scrupuleux, attentif même à la ponctuation *. Mais lorsque le professeur
développait oralement ses idées, l'ardeur d'une flamme intérieure transfigurait
son visage ^ ; et la conoentration de son esprit, la ferveur d'une émotion
mystique donnent à ses diatribes, où l'on croit entendre encore la parole d'un
maître passionné, une force singulière de persuasion s.
Au contraire Porphyre'' est un styliste formé à l'école de Longin, qui fut
le critique littéraire le plus célèbre de son temps, un polygraphe, qui s'est
essayé dans des genres très divers, philosophie, religion, histoire, rhétorique,
sciences exactes et sciences occultes, vaste production dont nous n'avons
conservé que Ja moindre part. Son érudition 'était immense, son savoir,
1. Cf. su-pra, ch. VI, p. 299.
2. Porphyre, V. Plot., 8.
3. Ibia., 13 ; cf. Eunape, V. Soph., Porphyre, p. 451, 51 Didot.
4. Ibid., 26.
S- Ibid., 13.
6. Ibid., 14.
7; Porphyre : Zeller, Philos. Gr., III, 2, p. 636 ss.5 J. Bidez, Vie de Porphyre (Re-
cueil de travaux Univ. Gand, fasc. 43), 1913.
366 LUX PERPETUA
encyclopédique*. L'aisance de son style contraste avec les phrases parfois
abj-uptes et heurtées des Ennéades, S'il contribua beaucoup à élucider
le système qu'avait construit Plotin, à en éclaircir, pour les intelligences
moyennes, les théorèmes souvent abstrus ^, ce grand vulgarisateur n'avait ni
la profondeur de sa pensée, ni sa puissance de synthèse. Il ne fut pas, le
créateur d'une métaphysique originale, La tournure de son esprit le portait
moins vers des effusions mystiques que vers une prédication morale. Le
philosophe est avant tout, pour lui, le médecin des âmes, celui qui les guérit
des passions qui les troublent ^ Sa mission est un sacerdoce. La sainteté de
sa vie exige qu'il se soumette aux lois sacrées que les dieux ont imposées
à leurs prêtres^ et qu'il donne l'exemple d'une abstinence totale de toute
nourriture carnée*. Déduisant les conséquences pratiques du spiritualisme
plotinien. Porphyre prêcha un ascétisme rigoureux que n'enseignaient pas
les Ennéades s.
L'opposition entre les deux fondateurs de la nouvelle école ne se. manifeste
nulle part plus nettement que dans leur foi religieuse. Porphyre n'a pas imité
la réserve dédaigneuse de son maître à l'égard des pratiques du culte et des
traditions sacrées. Originaire de Phénicie, il partagea d'abord la dévotion
crédule du milieu où il avait grandi. Il composa dans sa première jeunesse un
traité sur la Philosophie des oracles, où s'étale la plus grossière superstition/.
Lors même qu'il se fut életvé à une spiritualité plus haute, il continua à
interpréter les représentations des dieux, les légendes mythologiques, les rites
des cérémonies sacrées, cherchant un sens profond dans leur symbolisme. Ce
fut le premier philosophe, nous le disions, qui trouva une source d'inspiration
dans les Oracles des théurges chaldéens et les introduisit dans les spéculations
platoniciennes ^
Comment concilier une telle attitude mentale avec le pur idéalisme de
Plotin et sa doctrine du retour du Nous à Dieu ?
La chute de l'âme dans le monde matériel est pour celle-ci une redoutable
I. Eunape, V. So-ph., Porphyre, p. 457, 18 ss. Didot.
a. Ibid., p. 456, 51 ss.
3. Porph., E-p. ad Marcell., 31.
4. Porph. j De abstin., IV, 18 (p. 260, 15 Nauck).
5. Bidez, op. cit. [p. 365, n. 7], p. 107 ss.
6. Ibid., p. 17 ss.
7. Aug., Civ. Dei, X, 32 = De regressu animae, fr. i, Bidez ; cf. p. 83 ss. — La
connaissance que Martianus Capella et Claudianus Mamertus ont des Or. Chald. paraît
leur avoir été transmise par Porphyre : cf. Courcelle, Lettres grecques en Occident de
Macrobe à Cassiodore, Paris, 1943, p. 20a ss.
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 3^7
épreuve. L'homme ne peut s'élever sur le chemin ardu de la perfection, et
purifier son âme qu'en renonçant aux plaisirs des sens, en s 'affranchissant de
toutes les passions que suscitent en elle son union avec le corps. La mollesse
et la volupté s'opposent à l'effort nécessaire pour monter vers les cimes ^
L'âme n'y peut parvenir qu'en s'abstrayant par la force de sa volonté de tout
ce qui la ramène vers la terre. Elle atteindra la vertu parfaite en se livrant
assidûment à la contemplation intérieure, en se détournant des images sensibles
pour ne considérer que les réalités intelligibles. Le sage qui se sera ainsi
libéré de toutes ses attaches corporelles, peut, par ses seuls moyens, sans l'aide
des rites ou des initiations, parvenir jusqu'au Bien suprême'^'. Son Nous ira
rejoindre l'Être incorporel qui est partout et nulle part, et qui par son
omniprésence propage dans l'univers entier son irradiation inépuisable et
son énergie inlassable. La connaissance que la raison a acquise du mal pendant
son passage ici-bas le lui fait détester, et elle n'éprouvera plus le désir de se
réincarner ^ Essence purement spirituelle, ravie par une vision béatifique,
dont l'extase terrestre est une anticipation éphémère, elle jouira dans le sein
de Dieu d'une félicité éternelle*. Porphyre, en tout ceci, reste fidèle à
l'enseignement de Plotin qu'il s'est borné à développer et à préciser avec une
tendance ascétique plus caractérisée. Celle-ci résulte de l'opposition' radicale
établie par lui entre l'âme, qui aspire constamment au divin, et un corps
impur et corrupteur, A mesure que cette âme est descendue ici-bas, elle s'est
revêtue de tuniques successives, qui l'ont couverte d'une enveloppe subtile
de plus en plus épaisse. Proche encore de sa pureté originelle, elle a pris
im corps éthéré. Voisin de l'immatériel ; passant ensuite de la raison à
l'imagination, un corps solaire; puis en s'eff éminant, un corps lunaire^. Chacune
des sphères planétaires a contribué à former son tempérament ^. Tombée enfin
dans le monde sublunaire, l'atmosphère humide de vapeurs l'entoure de son
1. Porphyre, B-p. ad, Marc, 6 ss. — Cet opuscule, « testament spirituel du paga-
nisme », vient d'être traduit en français par le P. Festugière. — Cf. Vacherot, op. cit.
[supra, p. 345, n. 2], II, p. 53 ss.
2. De regres. anim., fr. 7 (p. 35, 13 ss. Bidez) = Aug., Civ. Dei, X, 27 ; cf. De
Abstin., II, 49 et 54.
3. De regr. an., fr. 11, i (p. 39, 5 B.) = Aug., C. D., X, 30 ; cf. fr. 11, 6 (p. 42,
2 B.). — Même idée chez Plotin, supra, p. 356.
4. Ibid., fr. II, 5 (p. 41, 30 Bidez) = Aug. C. D., XIII, 19.
S- Porph., Sent, ad intell., 29, 2, avec les passages parallèles cités par Moimnert. —
C/- Bidez, Fie de P., p. 89 ss.
6. Ibid., ,p. 13, 8 ; cf. Stobée, Ed., II, 388. Cf. Zeller, Ph. Gr., III, 2, p. 657, n.4.
~~ C'est la doctrine de Numénius (supra, p. 344) et des Oracles chaldaïques {supra,
P- 361).
568 LUX PERPETUA
eidôlon, comme d'un nuage. Ce vêtement vaporeux, progressivement épaissi, qui
est l'intermédiaire entre la matière et l'intellect, est pour Porphyre un souffle
( -ûveOixa ) ' analogue au corps astral des théosophes modernes. C'est grâce à
lui que l'âme acquiert ses diverses facultés, éprouve des sensations, sent
s'éveiller en elle les passions. Si elle s'y abandonne, et cède à son penchant
pour les jouissances terrestres en se détournant de la contemplation des intelli-
gibles, si elle renonce à l'activité rationnelle pour vivre de la vie des sens,
elle s'en trouve à la fois alourdie et souillée.
Le Nous échappe à l'action des purifications rituelles, mais celles-ci agissent
sur l'âme pneumatique. La cathartique des théurges peut l'aider à rega-
gner le ciel. Si les cérémonies du culte, les initiations aux mystères sont
superflues pour assurer le salut du sage, elles peuvent être nécessaires à la
foule des âmes appesanties par leur inclination vers la matière ^. Grâce à
la théurgie ces âmes, encore entourées d'un corps diaphane, 3 peuvent être
portées à travers les airs par un démon ami*, car l'atmosphère est l'habitat
des démons, qu'ils soient bienfaisants ou hostiles. L'âme qui a franchi ce
passage redoutable ira vivre dans les sphères astrales ou même au delà, dans
l'empyrée parmi les dieux et les anges qui y ont leur séjour". Mais elle ne
peut s'élever jusqu'à l'Être suprême, afin de s'unir à lui pour toujours. Son
bonheur ne sera pas éternel". Elle sera contrainte de redescendre sur la terre,
de s'y incarner dans un nouveau corps humain, bien que selon Porphyre, —
qui s'oppose ici à Plotin, — elle ne subisse jamais la déchéance d'habiter
celui d'un animai.
Porphyre réservait donc à une élite de penseurs contemplatifs la rédemption
définitive au sein du Bien absolu que Plotin assignait comme but à l'existence
humaine. Il maintenait pour la masse la nécessité du culte pratiqué dans les
temples, mais sans lui accorder d'autre vertu que l'efficace limitée d'un salut
imparfait et temporaire ».
1. Ce uveûi^a de Porphyre est l'équivalent de roxriiJ.a, du « véhicule » de Proclus,
cf. Mages hell., II, p. 276, n. 2. Augustin traduit 4'ux,'n itvEuiixxDCT^ par anima spi-
ritalis et l'oppose à l'anima intellectualis (voepà «l/ux*))-
2. De regr. an., fr. 2 (p. 28 Bidez, et p. 89, note i).
3. Cf. Mages hell., II, p. 78, n. 5.
4. De regr. an., fr. 2 (p. 29, 4 Bidez).
5. Ibid., fr. 6 (p. 34, 10 Bidez); fr. 4 (p- 3^» 23); fr. 2 (p. 29, 2).
6. Ibid., fr. 2 (p. 28, 20); fr. 3 (p. 31, 25).
7. Ibid., fr. II (p. 38, 13 ss. B.); cf. Bidez, V. de Por-ph., p. 93, 2; et sufra, ch.
IV, p. 203.
8. La doctrine de Porphyre se rapproche singulièrement de celle des Upanishads; ci.
Salet, Les U-pan., morceaux choisis, Paris, 1920, p. 19 (tiré du Mundaka Upanishad)-
CHAPITRE VIII. -- LE NÉOPLATONISME 369
Ainsi superposé aux théologies de la Grèce et de rOrient, le spiritua-
lisme plotinien y était par là même rattaché, et il pouvait paraître comme
leur complément. La foule même des dévots se tourna vers cette lumière
dont elle apercevait indistinctement l'éclat 1. La pensée intégrale de Plo-
tin ne pouvait être saisie que par les intelligences les plus hautes et, dans
son austère rigueur, elle ne devait séduire que les âmes les plus nobles.
Sans l'élargissement que lui imposa Porphyre, son action ne se fût exercée
que dans d'étroits conventicules de philosophes ; peut-être se serait-elle éteinte
avec eux et ne serait-elle pas parvenue jusqu'à nous. Grâce à son interprète
le plus éloquent, l'idéal qu'elle recommandait apparut comme le degré supérieur
de la perfection, comme le but suprême de la vertu que prêchaient tous les
cultes, où le syncrétisme ne voulait plus voir que des formes diverses de
rjadoration d'un même Dieu 2. La flamme allumée par Plotin « resta ardente
sur ses autels » 3. Sans doXite beaucoup de ses lecteurs ne comprenaient-ils
qu'imparfaitement le système du profond métaphysicien, et ses successeurs
s'écartèrent-ils souvent de la voie qu'il avait tracée ; mais ses disciples, même
infidèles, continuèrent à se réclamer de cette haute autorité. En développant
la doctrine de salut reçue de son maître, Porphyre lui rendit un service)
inappréciable pour l'extension et le prolongement de son prestige.
La même combinaison ou, pour mieux dire, juxtaposition du spiritualisme
plotinien et des croyances vulgaires caractérise les opinions que Porphyre
exprime sur les châtiments infligés aux réprouvés. Car d'une part il admet
que la relégation de l'âme dans l'Hadès ne peut pas signifier que son essence
se meut dans l'espace et change de lieu, mais seulement qu'elle est unie à
un eidôlon pesant et obscur *. Lorsqu'elle s'abandonne à des passions charnelles,
elle contracte les dispositions du corps matériel où elle est enfermée. Le
changement pour elle ne peut consister qu'en une altération de ses qualités
intimes produite par l'influence de l'enveloppe qui la renferme. L'Hadès
est ici interprété, à la façon de Plotin s, comme étant la matière mauvaise et
ténébreuse qui pollue et corrompt.
D'autre part Porphyre admet que lorsque l'âme quitte le corps, si elle
s'est constamment attachée aux œuvres de la Nature, qui est féconde grâce
1. Eunape, V. So-ph., Plotin, p. 455 Didot.
2. Relig. orient., p. 185 ss.
3- Eunape, l. c. : DXwxtvou Ospiaol pwp.o(.
4- Sent, ad intell., ag, ^ (p. 14, Mommert); cf. supra, ch. IV, p. 216.
5- Cf. su-pra, p. 353.
370 LUX PERPETUA
à son humidité, elle a attiré vers elle des vapeurs denses et troubles qui
l'entourent d'un eidôlon opaque, et celui-ci l'entraîne dans les abîmes souter-
rains, où son poids même tend à la précipiter *. L'explication est ici purement
physique et pourrait avoir été imaginée par un stoïcien.
Plotin ne fait que des allusions fugitives aux démons qui, comme le voulait
Platon, sont les bourreaux des âmes ^. La démonologie a pris chez Porphyre
une tout autre importance. Il rendait en général les démons responsables de
tout ce qui dans le polythéisme était incompatible avec sa conception philo-
sophique de la divinité. Il fait sienne en particulier une doctrine de « certains
platoniciens » qui mianifestement se sont inspirés du dualisme mazdéen^
Selon celui-ci les démons pernicieux, qui habitent les ténèbres souterraines,
sont soumis à un « antidieu », Ahriman, l'Esprit du Mal, opposé au Bien
suprême, Ahoura Mazda. Ils sont les auteurs de tous les maux qui ravagent
la terre et affligent l'humanité, de toutes les pensées mauvaises qui hantent
l'esprit des impies. Ce sont aussi ces dévas qui supplicient les âmes des
réprouvés au fond des Enfers. Nous sommes loin de la pure doctrine plo-
tinienne.
Le plus curieux de tous les fragments qui nous révèlent des idées de
Porphyre sur l'Hadès est tiré de son livre « Suîr le Styx », lequel, sui-
vant lui, est à la fois un fleuve souterrain et un démlon redoutable*. Homère
était pour les Néoplatoniciens un prophète inspiré dont les vers recelaient
une sagesse profonde, cachée sous le voile de l'allégorie. Ses vers sont,
pour parler oomlme le philosophe, « chargés de théosophié » s. Celui-ci
en a extrait une théorie singulière sur les âmes qui descendent dans l'Hadès.
Nous esquisserons ici quelques traits essentiels de ces spéculations, qui
paraissent avoir été empruntées au Pythagoricien Kronios^. Les âmes des
morts privés de sépulture et celles des impies qui ont mérité un châtiment,
1. Sent, ad, intellig.^ ag, 3 (p. 15, Momm.), cf. supra, ch. IV, p. 216. Cf. Symbol.,
p. 201, n. 2.
2. Cf. supra, p. 353.
3. Cf. supra, ch. IV, p. 229, Mages helL, I,p. 177; II, p. 275. — Le même dualisme
oppose dans l'épitre à Marcella (11, 16, ig ss.) l'âme du pécheur où se loge un mau-
vais démon, à l'âme du juste, habitacle de Dieu. Cf. aussi De Abstin., I, 31, II, 46-
4. Extraits du nspi STuyôç dans Stobée, Ed., 1006 à 1037.
5. Cf. supra, pp. 150, 190, 193, et Symbol..^ pi. 8 ss. ; Stobée, p. 1037 '• '^^"''^^^ ■tzo)^^'^
6E0CT0cp(aç Ye[;.ôvTu)v.
6. Cf. le fragment du nepl 2x0^0?, où les interprétations homériques de Kronios sont
mentionnées avec éloge; Stob., Ed., II, i, 19 (p. 18); cf. Porphyre, De Antro nyf^'
pharum, 2. ....
CHAPITRE Vin. — LE NÉOPLATONISME 37 1
restent en deçà de l'Achéron. Les tourments que subissent les coupables
viennent de leur imagination, qui leur représente sans cesse les forfaits qu'ils
otir perpétrés sur la terre ^. C'est par cette obsession toujours renouvelée qu'il
faut expliquer les mythes de Sisyphe et de Tantale, Héraklès suggère aussi
à ces impies des images terribles, comme s'il les frappait de sa massue ou
les perçait de ses flèches. Les justes à qui le jugement de Minos accorde
de passer le fleuve infernal perdent la mémoire, et dès lors sont délivrés
de la hantise de leur vie passée, obtenant ainsi le repos par la cessation de
leurs angoisses. Ils ne connaissent plus les hommes et ignorent ce qui se
passe dans leur société ; mais s'ils absorbent les vapeurs du sang chaud des
victimes, ils recouvrent l'intelligence des choses mortelles et, avec la permission
de Perséphone, ils leur est possible de remonter sur la terre et d'y faire des
prédictions. D'autre part les dieux eux-inêmes peuvent être punis pour leurs
fautes, car ils sont sujets à la colère, à la haine et, étant animés de passions.,
ils sont exposés à pécher. Comme ils .sont supérieurs à l'humanité, leurs
crimes méritent un châtiment plus douloureux, non point dans l'Hadès avec
les ombres pécheresses, mais au-dessous de l'Hadès dans les profondeurs
du Tartare, domaine de Kronos, où ont été précipités les Titans. Ce que
sont les Érynnies pour les âmes perverses, le démon inexorable du Styx l'est
pour les dieux déchus. Telles seraient les croyances enseignées par Homère.
Ce serait un miracle si un écrivain aussi abondant que Porphyre qui, au
cours d'une longue vie, écrivit sous des influences diverses, était resté toujours
d'accord avec lui-même. De fait sa pensée n'a cessé d'évoluer, et il y. a un
abîme entre ses premiers essais et les œuvres de sa maturité. Mais même dans
ses dernières productions, on constate qu'à côté du haut idéalisme que Plotin
lui a inculqué, il garde la foi en des croyances et même des superstitions de
la religion populaire 2. Il n'a jarnais renoncé à tenter de mettre d'accord avec
sa philosophie, à l'aide d'interprétations subtiles, les traditions les plus prodi-
gieuses et les plus extravagantes. Cependant, malgré toutes ces concessions
au polythéisme vulgaire, son esprit nous paraît doué d'une sobre lucidité, si
nous lui comparons la crédulité aveugle de Jamblique. Les anciens l'ont déjà
noté : parmi les néoplatoniciens « les uns comme Porphyre et Plotin accordent
^^ prééminence à la philosophie, les autres aux doctrines hiératiques, comme
Jamblique, Syrianus et Proclus » s.
Cf. infra, N. G. XXVI.
• Les insepulti ne trouvei
victimes d'ua meurtre ri .__
3- Olympiod., In Phaed., 170.
'■■ vji. tnfra, in. l;. AAVi.
2. Les insepulti ne trouvent point de repos dans l'Hadès {supra, p. 370), les âmes
^es victimes d'un meurtre restent près du cadavre (De Abstin., II, 47 ; supra, p. 318,
372 LUX PERPETUA
Jamblique^ fut le plus célèbre des disciples de Porphyre, et sa gloire
éclipsa la renommée de son maître. Ses parents étaient des bourgeois considérés
de Chalcis, et il professa de longues années dans la grande ville voisine,
Apamée de l'Oronte, chef-lieu de la Syrie seconde. Les fouilles belges, inter-
rompues par la guerre, ont révélé quelle fut la splendeur de cette cité
populeuse, que traversait, comme à Antioche, une large avenue pourvue de
portiques latéraux et bordée de monuments somptueux aux pavements de marbre
ou de mosaïque. Mais cette riche métropole ne se distinguait pas seulement
par son luxe architectural ; elle paraît avoir été un foyer rayonnant d'études
helléniques, et la philosophie y resta pendant des siècles en honneur. C'est
d'Apamée qu'était originaire Posidonius qui, au temps de Cicéron, se fixa
à Rhodes 2. C'est là qu'était né le pythagoricien Numénius, nous l'avons
vu, et il subit sans nul doute l'influence de ce milieu oriental 3. Amélius, un
pur Italien, s'y trouvait, en 270, au moment de la mort de Plotin, sans doute
pour s'y entretenir avec Jamblique, déjà célèbre*. Sopatros qui succéda à ce
maître fameux dans la direction de l'Ecole Syrienne, appartenait à une famille
de la ville 5. Cette école dut rester vivante jusqu'à la fin 'du paganistnei.
Libanius parle encore « du chœur des philosophes d'Apamée » dont le
coryphée Jamblique ressemblait aux dieux®.
La Syrie fut toujours à travers les âges un pays d'ardente dévotion.
L'exploration de Doura-Europos a révélé l'existence, dans cette petite cité
caravanière, d'un nombre incroyable de temples', qui y. voisinaient avec une
synagogue et une église. ,Le coin du monde habité par les Sémites entre le
Ti^re et la Mer Rouge a vu naître quatre grandes religions, le judaïsme, le
christianisme, le manichéisme et l'islam ; et les sectes gnostiques y. ont proliféré
« comme des champignons » ^. La ferveur des Syriens qui embrassait à la
fois les formes les plus hautes et les plus basses du mysticisme, leur fit
accepter avec une foi aveugle une foule de cultes et de superstitions. Il faut
1. Cf. Etinape, V. Sofh., Jamblique (p. 458 ss. Didot), biographie où des anecdote^
pittoresques ne compensent pas le manque de précisions essentielles. — Zeller, Philos.
Gr., III, 2, pp. 678-724; -R. E., IX, 646, s. V. « lamblichos » (superficiel); Bidez, Jam-
blique et son école (REG, 191 9, XXXII, pp. 30-40).
2. Cf. su-pra, ch. III, p. 157.
3. Cf. supra, p. 344. — H. Ch. Puech, Mélanges Bidez, p. 279.
4. Porph., V. Plot., 2.
5. Suidas, s. V. SiÔTTciTpoç ; c£. Ps. -Julien, Ep., 184, p. 245, 20 ss. de notre édition-
6. Libanius, Orat., 51, 21 Fôrster ; cf. Bidez, l. c, p. 32. n. 2.
7. Irénée, C. haeres., 1, 29 ; cf. Cambridge Ane. hist.^ XI, p. 643 ss., p. 647.
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 373
se représenter cette amib'iance où grandit Jamblique pour saisir l'origine du
caractère hiératique qu'il imprima au néoplatonisme.
Ce fut lui qui exalta la théurgie enseignée par les Oracles chalddiques —
et que Porphyre subordonnait encore à la philosophie^, — au point d'en faire
la source principale de la purification des âmes et le moyen le plus efficace
de parvenir à la béatitude éternelle dans le sein de Dieu, Les commentaires
qu'il consacra à ces prétendues révélations des Barbares achevèrent de les
transformer en un livre sacré du Néoplatonisme. A la « polymathie » de
Porphyre un oracle de la Pythie oppose l'enthousiasme de Jamblique 2. Celui-ci
ne fut pas seulement un mystique et un dialecticien comme Plotin, mais im
« hiérophante » * serviteur et confident des dieux, un thaumaturge qui faisait
apparaître des démons et pouvait s'élever, prétendait- on, jusqu'à dix coudées
du sol par ujn phénomène prodigiexix de lévitation*.
Sur les disciples qui accoururent de toute part pour s'instruire en écoutant
sa parole 'il exerça une étrange fascination. LeuT dévoueraient, ou plutôt leur
adoration s'exprime avec une exaltation lyrique dont l'outrance prête aujourd'hui
à sourire". Il apparut aux païens comme un nouvel Esculape, médecin des
âmes*', sauveur dé l'hellénisme menacé, qui devait guérir le genre humain
de l'aberration chrétienne ^ .
Cette vénération sans bornes pour un esprit qui fit prédominer dans ses,
spéculations la révélation théologique au détriment de la recherche philoso-
phique, s'explique précisément par ce caractère sacerdotal (UpaTixoç) que
revêt l'initiateur à des vérités supérieures. Le théurge, par la connaissance
des symboles occultes, commande aux choses de ce monde, non pas avec le
pouvoir limité d'une volonté humaine, mais comme s'il appartenait à la société
des dieux *. Ce n'est pas à l'aide de l'intelligence qu'il s'unit à ceux-ci, car
1. Sufra, p. 361, ss.
2. 'Ev0oOî ô 'Ià[ji6Xtj(o<;, ito).u(ji«0T]i; 6 *o"tvt? (Bidez, /. c, p. 37, n. i). — Cf. Olympiod.,
In Phaed., A, X, i (p. 157 Norvin).
3. Julien, fr. 161, p. 214, 21 (Bidez-Cumont) ; cf. E-p., 98 (p. 158, 18).
4. Eimape, V. So-ph., p. 458 ss. Didot. — Lévitation, attribuée paretUement aux Brah-
manes : Philostr., V. Apoll., m, 15, I ; XVII, 2.
5. Eunape, /. c, p. 458, 13 ss.
6. Ps. -JuHen, Ep., 184, p. 247, 17.
7- Ibid., p. 247, 5 ; Ep. 137, p. 255, 4SS.; Ep., 181, p. 238, B. — Cf. Julien, Ep., 12,
P- 15, H-
8- Cf. p. ex. Jamblique, De mysf., VI, 6. — L'on a dénié à Jamblique la pater-
nité de cet ouvrage, mais à tort, cf. Rascbe, De lamblichi librî qui inscribiiur « De
^ysterîis » auctore, Munster, 191 1, et Bidez, dans les Mélanges Desrousseaux, Paris,
Ï937. p. II ss.
374 LUX PERPETUA
dans ce cas les philosophes pourraient obtenir cette union théurgique par une
opération mentale. Or il n'en est pas ainsi i. On n'y parvient que par des
cérémonies occultes, des pratiques rituelles, des symboles inexprimables, quç
comprennent seules des pujissances supérieures à l'intelligence et qui agissent
sur elles 2.
Les secrets qui assurent la puissance du théurge lui sont confiés à l'occasion
des théophanies qu'il est capable de provoquer. L'extase n'est plus comme
pour Plotm et Porphyre u,n privilège rarement accordé, recherché dans une
retraite solitaire par la suppression de toute activité, par l'abolition de la
pensée dans une quiétude absolue. Elle est produite par des actes et des
formules liturgiques capables de susciter les apparitions divines dans l'irra-
diation d'une lumière surnaturelle. Les communications que le fidèle en reçoit
sont des oracles révélateurs de toute sagesse. Ces apparitions ont pour l'officiant
une telle importance que le Livre des mystères s'attache à déterminer avec
une prolixité d'une précision puérile à quels signes on reconnaît les divers
esprits de la hiérarchie que l'on peut évoquer, dieu, archange, ange, démon,
héros, ou âme d'un défunt 3. Jamblique assure aussi que si un dieu descend
sur la terre, la foule des puissances qui lui sont soumises le précèdent ou lui
font cortège. Il faut les honorer pour que le dieu lui-même daigne apparaître,
Mais seuls les théurges savent quelle forme de sacrifice doit leur être offerte,
afin qu'aucun ne soit négligé et que toute la cérémonie ne perde ainsi son
efficace merveilleuse*'.
La magie se flattait d'obtenir des effets semblables, mais la théurgie se
présente comme l'antithèse de cet art réprouvé s. Les « Chaldéëns » ne
recourent pas à la menace pour contraindre les dieux à une théophanie comme
le font les Egyptiens en conjurant les démons". Leurs prophètes ont enseigna
à Jamblique ce qui distingue les évocations des théurges pieux de celles des
sorciers maléfiques. Les dieux véritables, qui sont les seuls dispensateurs du
bien, ne conversent qu'avec des hommes vertueux et se rendent visibles
seulement à ceux qu'ont purifiés les cérémonies sacrées. Lorsque leur éclat
1. T>e myst., II, ii (p. 96, Parthey). ! i !
2. Cf. Eitrem, La théurgie chez les Néoplatoniciens et dans les pafyrus magîqii^
dans Symbol. Osloenses, 1940, XX, p. 49 ss.
3. De myst., II, 3 ss., répondant à Porphyre, Lettre à Anébon, 10.
4. De myst., V, 21.
5. Cf. supra, p. 362.
é. De myst., VI, 5 (p. 249, Parthey), III, 31 (p. 176, 2).
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 375
se manifeste, il détruit, en ceux qui les ont appelés, toujte méchanceté et toute
passion désordonnée, comme la lumière du soleil chasse l'obscurité. Les
célébrants sont ainsi élevés par eux à une piété parfaite, à une morailit-é
exempte de toute malice en même temps qu'ils obtiennent la plus haute
révélation pour l'intelligence. La «gnose » la plus infaillible ne devait-elle
pas être une instruction reçue directement de la bouche d'une puissance céleste
descendue sur la terre ?
Si au contraire des criminels, dont l'âme est souillée, cherchent à entrer
en communication avec la divinité, ils n'y peuvent parvenir. Au lieu de
dieux, ce sont des dénions imposteurs, des anti-dieux, qu'ils attirent, et
les effluves de ces lesprits pemicieiiix pénètrent en eux et achèvent de
les pervertir.
Les âmes pures sont soustraites à la puissance des démons trompeurs. La
Vérité, que le Feu divin fait descendre en elles, les remplit tout entières. En
se consacrant à son culte, elles obtiennent à la fois l'infaillibilité dans la
mantique et la perfection de la vertu. Grade à cel^les-ci il est concédé au
théurge de parvenir à cette ascension vers le dieu intelligible, qui doit être
proposée comme la fin à atteindre par toute prescience de l'avenir et toute
opération théurgique *'.
Ainsi la purification de l'âme, condition indispensable de la béatitude éter-
nelle, ne sera plus, comme dans le néoplatonisme antérieur, la récompense
d'une vie soumise aux préceptes de la l-aison, le fruit du renoncement aux
jouissances matérielles, l'effet d'une ascèse abstinente et continente. Elle ne
peut être accomplie qu'avec l'aide des puissances, supérieures : héros, démons,
anges, dieux ^. Seule la présence divine obtenue par des prières hiératiques
la réalisera dans sa plénitude. Cette théophanie fait entendre au visionnaire
des oracles qui lui révèlent des vérités ésotériques, elle fait pénétrer dans
son âme la divinité qui en élimine toute perversité, et elle apporte au théurge
l'assurance qu'il s'unira de même après sa mort au Dieu suprême.
Sur les conditions où se produisent, selon Jamblique, la descente de l'âme
à la naissance et son élévation vers le ciel après la mort, nous ne trouvons
que des indications éparses dans des extraits fragmentaires et dans le livre
« Sur les mystères » . L'ouvrage sur l'âme ( 7r£pl ^ujcj^ç ) aurait pu mieux
nous en instruire ; mais les passages étendus que Stobée en a reproduits ^
1. Ibid., p, 179, 5 ss.
2. Stob., Eclog., 1, 1058 ss.
3. Extraits du Ttspt 4''^X''i'^> Stob., Eclog. ^ 859 ss.; 1058-1061.
37é LUX PERPETUA
contiennent seulement ce qui répondait, le mieux au goût de ce grand collec-
tionneur de morceaux choisis, c'est-à-dire ceux où Jambique passait en revue
les opinions divergentes de ses prédécesseurs. Sans doute avait-il fail; suivre
cette partie doxographique, qui seule nous a été conservée, d'une discussion
où il défendait ses propres convictions sur chaque point controversé. Mais
cette partie est perdue, et nous ne pouvons, dans ces conditions, que réunir ici
quelques indications générales.
L'incorporation des âmes se produit en vertu d'une nécessité inéluctable,
qui détermine à la fois leur descente vers la terre et leur retour dans le
monde intelligible i. Mais, à la suite de Platon let de Plotin ^, Jamblique, à
côté de cette loi cosmique, attribua aussi à d'autres causes le désir éprouvé
par l'âme de se plonger dans la matière, soit qu'elle le fît pour contribuer à
l'élévation et à la purification des êtres d'ici-bas ^ — et elle-même échappait
dans ce cas à toute pollution, — soit qu'elle fût ramenée vers le corps par la
corruption de ses propres mœu;rs, — et elle ne pouvait alors le faire sans en
souffrir, — soit enfin qu'elle eût été entraînée en ce bas monde malgré elle, en
vertu d'un jugement qui l'y condamnait. En tout cas l'âme était soumise à une
alternance constante de la vie supérieure et de la vie inférieure, que lui impo-
saient ses transmigrations. Mais cette métempsycose, comme l'avait déjà affirmé
Porphyre*', se produisait seulement d'homme à homme et de bête à bête,
car tm principe doué de raison ne pouvait animer des créatures qui en sont
privées ou inversement ^.
La même idée maîtresse imposait à Jamblique de n'admettre qu'un passage
transitoire des pécheurs dans les Enfers. Les mythes de Platon obligeaient
ses interprètes tardifs à ne pas exclure que les réprouvés fussent condamnés
à expier leurs crimes au fond du Tartare, où ils étaient châtiés par les démons ;
et pour Jamblique, toujours enclin à s'accommoder des croyances du paganisme,
ce Tartare ne devait pas être expliqué symboliquiement à la manière de Plotin^:
il était vraiment le séjour souterrain des ombres coupables''. Mais le philosophe
1. De myst., X, 5 ss. ; VIII, 6 ss.
2. Cf. supra, p. 351 ss.
3. Comparer sufra, Plotin, p. 353.
4. Cf. su-pra, p. 368.
5. Nemes., Nat. hotnin., 2. Jamblique avait écrit un livre spécial sur ce sujet j cf.
Zeller, III, 2, p. 710, n. 2 ; 656, n. 3 ; 633.
6. Cf. supra, Plotin, p. 354.
7. Sur le Tartare et les démons souterrains selon les théurges, cf. Porphyre, Epit^^
à Annebon, 3. ; Olympiodore, In Phaed., p. 189, 18; 230,28; 241, 8, Norvin, et passitn;
Julien, Epist., 89, p. 140, 3 ss. Bidez-Cumont ; Proclus, supra, ch. IV, p. 216.
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 377
ne consentait pas que fussent éternels les supplices infligés aux âmes. Cette
pérennité aurait été contraire à leur nature supérieure, qui exigeait qu'après
un temps déterminé elles remontassent dans l'intelligible.
Comme tous les Néoplatoniciens, Jamblique admet que l'ascension de l'âme
après la mort dépend de sa conduite pendant sa vie terrestre et d'une
décision de sa volonté, qui doit être tournée vers le Bien. Porphyre avait
distingué quatre classes de vertus qui favorisaient cette élévation psychique :
la plus haute, dite paradigmatique, était celle où la raison ne contemplait
pas seulement le Nous du dehors, mais s'identifiait avec lui. Jamblique
renchérit sur son prédécesseur et ajoute une cinquième classe plus élevée
encore, celle des vertus hiératiques, grâce auxquelles l'âme, par sa partie
divine, dépasse le Nous pour atteindre l'Un. La fin où conduit la pos-
session de ces vertus sacerdotales est l'union mystique avec l'Être absolu i.
La condition indispensable, nous l'avons déjà dit'', pour se frayer un chemin
dans le monde supérieur, est d'avoir conservé ou recouvré une pureté parfaite.
Mais conformément à ses inclinations religieuses le philosophe syrien insiste
plus que ses prédécesseurs sur l'assistance que 'l'homme doit obtenir des
puissances célestes. Ce secours lui est indispensable à catisie de la faiblesse et
des tares de sa propre nature ^. Sans doute l'âme a-t-elle en elle-même un
principe propre qui, en se détournant du monde sensible pour s'attacher à
l'intelligible, peut aller se joindre à l'Etre divin. Les liens de la nécessité
qui l'enchaînent ici-bas ne sont pas indissolubles pour elle, 'mais les dieux
surtout ont le pouvoir de soustraire l'homme à la Fatalité qui l'cpprime, de
l'affranchir de la loi du devenir et des maux qui en résultent pour lui. C'est
comme êtres supérieurs au Destin et capables de le détourner qu'ils sont adorés
dans les temples ''■»
Voilà donc quelques idées essentielles adoptées par Jamblique à propos
du sort des âmes. Mais notre connaissance de son eschatologie reste très
incomplète, nous le répétons, par suite de la perte presque totale de son
livre irepi '^■oyr\c,^ dont les fragments conservés ne nous renseignent guère
sur ses idées personnelles. En revanche ces extraits nous font entrevoir quelles
discussions infinies fit naître parmi les Néoplatoniciens leur grande doctrine
de la descente et de la remontée des âmes. De quelle zone supraterrestre,
1. C£. Zeller, fhîl. Gr., III, 2, p. 711 ss.
2. Supra, p. 375.
3- Zeller, /, c, pp. 686, 711.
4. De myst.y VIII, 7 ss.; Stob., Eclog., I, 80, 184. Cf. Zeller, l. c. p. 686 ; 703 ss.
378 LUX PERPETUA '
étoilée ou lunaire, partaient-elles pour s'abaisser vers la terre ? S'y. rendaient-
elles volontairement ou entraînées par une force irrésistible ? ^ Etaient-elles
impassibles avant leur incorporation ou déjà sujettes aux passions délétères ?,2
En se logeant dans l'organisme humain, entraient- elles en contact direct avec
lui sans aucun intermédiaire, ou au contraire étaient-elles revêtues d'enveloppes
éthérées, célestes, aériennes qui s'interposaient entre elles et le corps matériel ? s.
Ce véhicule vaporeux survivait-il au décès ou la raison pure s'en dépouillait-
elle ? * Une purification dans l'au-delà était-elle nécessaire et comment
s'accomplissait-elle ? ^ Les âmes les plus parfaites en étaient-elles dispensées,
et étaient- elles reçues aussitôt dans la société des dieux, étant devenues déjà
divines pendant leur séjour ici-bas ? ^ Ou du moins pouvaient-elles s'élever
au rang des anges et coopérer avec eux ? ^ Etaient- elles dépourvues dans
l'au-delà de toute sensibilité, et même de toute connaissance, la raison
impassible survivant seule pour aller s'identifier avec l'Etre ? ^ Toutes ces
questions et d'autres encore ^ provoquèrent parmi les Néoplatoniciens d'inter-
minables controverses. Mais ce furent-là subtilités de casuistes, arguties de
théologiens où l'esprit grec et l'imagination orientale rivalisaient de raffine-
ment et de fantaisie, et qui n'éveillaient, en dehors de l'école, que de faibles
échos ; ces divergences dogmatiques n'eurent sur les croyances de la généralité
des esprits qu'une action très limitée. La variabilité même des opinions
enseignées par des maîtres successifs s'opposait à ce qu'elles pussent s'imposer
durablement comme un dogme traditionnel.
Au contraire la, théurgie à laquelle recourut Jamblique pour tenter de
rénover le culte des dieux influa profondément sur toute l'histoire religieuse
du IV'e siècle. Ce fut elle qui provoqua la tentative la plus audacieuse pour
rétablir le polythéisme dans sa puissance et sa dignité d'autrefois, celle de
Julien l'Apostat. Sans doute les raisons qui décidèrent l'empereur à renter
cette restauration d'une idolâtrie décadente sont-elles complexes, et des motifs
profanes purent sembler la conseiller'". Le prince qui, dès son adolescence,
1. Stob., Eclog., ibid. ; cf. supra, pp. 352-353.
2. Stob., Ed., p. 910, Uzp\ xafJcSou tj/'Jj(T;ç.
3. Stobée, I, p. 926 ; cf. supra, Plotin, p. 355, note 2.
4. Cf. Zeller, /. c, p. 709, n. 3 ; p. 814.
5. Stobée, Ed., I, 41, 65, p. 1061.
é. Ibid., p. 1064.
7. Ibid., p. 1064, 1068.
8. Ibid., 1058.
9. Cf. ibid., 924 ss., TTEpl 6avàT;ou.
10. Cf. J. Bidez, Vie de Julien, p. 57 ss. (= trad. allem. 36 éd. 1942, p. 65 ss.).
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 379
avait voulu se consacrer à l'étude des lettres et de la philosophie, s'érigea en
défenseur de l'hellénisme, qui, après avoir été menacé, faisait preuve alors
d'une vitalité nouyelle. Il voulut protéger cette culture civilisatrice du monde
contre la barbarie des « Galiléens » menaçant de détruire les biens spirituels
que la religion des aïeux avait créés et préservés. L'homme d'Etat put se
croire appelé à être le sauveur de l'Empire, que l'abandon de ses traditions
sacrées et la conversion à une foi subversive avaient accablé de maux. Mais
si la politique n'y fut pas étrangère, l'apostasie de Julien, ses propres paroles
en témoignent, fut avant tout le résultat d'une crise psychologique de son âme
inquiète. Il obéit à une vocation intime, à l'appel d'un tempérament mystique i.
Il raconte lui-même que dès son enfance l'attrait de la splendeur du
soleil, la contemplation du ciel étoile le plongeaient dans un ravissement
extatique 2. Lorsqu'à l'âge de vingt ans il 'entendit parler des prodiges
accomplis par le philosophe Maxime à Ephèse, il n'eut de cesse qu'il ne fût
allé le retrouver 3 et, initié par lui secrètement aux préceptes de la théurgie, il
accorda dès lors aux mystères platoniciens une adhésion enthousiaste. Nous
avons conservé de lui une lettre où il presse son ami Priscus de lui procurer
le commentaire de Jamblique sur les Oracles chaldmçues, et proclame ce
sage « le maître vraiment divin, le premier après Pythagore et Platon » *.
S'il renia le christianisme, ce fut avant tout l'œuvre des théurges platoniciens,
dont il se montre éperdument épris. Le rhéteur païen Libanius ^ note que
Julien fut sauvé « lorsqu'il eut rencontré des hommes imbus des doctrines de
Platon, qu'il eut entendu parler des di^*ux et des démons qui en vérité ont
fait cet univers et le conservent, qu'il eut appris d'eux ce qu'est l'âme, d'où
elle vient, où elle va, ce qui la fait déchoir, ce qui la relève, ce qui la déprime,
ce qui l'exalte, ce que sont pour elle la captivité et la libération, comment elle
peut éviter l'une et atteindre l'autre » . On trouve fortement marquée dans ce
passage la préoccupation essentielle d'assurer son salut avec l'aide des dieux,
que l'Apostat manifeste en maint passage de ses écrits.
Si nous nous demandons quelle forme avait prise dans ses convictions cette
foi en l'immortalité que devait lui valoir sa piété, nous verrons qu'elle est
conforme à cette théologie solaire qui avait pour premiers auteurs les
I. Bide^, op. cit., p. 83 ss.
a. Jul., Or., IV, p. 130 C ss.
3. Eunape, V. Sofh., p. 474, 25 ss. Didot.
4. Julien, Efist., 12 ; cf. Or., IV, p. 146 A.
5. Libanius, Or., XVIII, i8 ; cf. Bidez, o-p. cit., p. 80.
38o LUX PERPETUA i
« Chaldéens » et était enseignée dans les oracles de Julien le Théujrge comme
dans les mystères de Mithra i. Le Soleil, moteur des sphères célestes, était aussi
le créateur des âmes qu'à la naissance il envoyait ici-bas dans la matière et
faisait après la mort remonter dans son sein. Les purs rayons de l'astre
resplejadissant leur servaient de véhicule ( ojruKo. ) dans leur descente sur
la terre comme dans leur ascension vers les régions supérieures^. L'empereur,
par l'effet des initiations qu'il a obteriues, se croit uni à Hélios par unei
relation mystique'. Il se figure être le suivant fidèle ou le fils spirituel du
dieu invincible, qu'il ira rejoindre à l'heure fixée par le destin, et Mithra,
hypostase du soleil, sera le psychopompe qui le guidera vers les cieux, où
il jouira d'une vie divine*. Cette vie sera étemelle si ses mérites lui ont
valu cette récompense suprême ; sinon, elle durera de longs siècles avant
qu'une réincarnation ramène son âme ici-bas. On voit comment les indications
épai-ses dans les écrits du prince philosophe révèlent, malgré la réserve que le
secret des mystères lui impose, que sa foi confiante était celle de l'eschatologie
des théurges platoniciens.
L'échec de la réforme tentée par Julien marque la défaite définitive du
polythéisme, et par suite la déchéance désormais irrémédiable d'une philosophie
qui persistait à soutenir une cause perdue et était par là même condamnée. Mais
elle manifesta encore sa puissance par l'ascendant qu'elle prit sur ses adver-
saires. Fait significatif, la réaction passagère de l'Apostat fut suivie immédia-
tement, dans la seconde moitié du IV^ siècle, par la grande entreprise
intellectuelle des Pères cappadocier", Basile et les deux Grégoire, qui, à
l'exemple d'Origène, voulurent réaliser une fusion entre la théologie chrétienne
et la science de leur temps. Ils firent nécessairement de larges emprunts au
platonisme qui régnait alors en maître sur les esprits, et leurs écrits sont farcisi
d'idées plotiniennes sur l'essence strictement immatérielle de Dieu et de
l'âme, et la destinée de celle-ci s. Ces évêques, disciples des philosophes,
réussirent dans une large mesure à rallier les classes instruites à la cause
du christianisme.
1. Jtilien, Or., Y, p. 172 D3 cf. 'Chôol. sol., p. 18 (464), n. 4; M. M. M., I^p.40)
note 2.
2. Jtil., Or., ly, p. 152 B; Césars, p. 336 C ; Etudes syriennes, p. 203. Sur Voyr\^i.
dans le néoplatonisme, cf. E. R. Dodds, Proclus, Eléments of theology, Oxford, 1933)
texte, § 205 à § 2iOj et note. 209.
3. Jul., Or., IV, p. 130 C, p. 157 A ; Eunape, fr. 23 ; Julien, fr. 156. Cf. BideS:, Let-
tres de Julien, p. 203.
4. Or., VII, p. 234 C ; Or., IV, p. 158 B.
5. Jean Daniélou, Platonisme et théologie mystique ; Grégoire de Nysse, Paris, I944'
. CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 381
Nous ne suivrons pas l'école platonicienne dans son évolution postérieure,
qui devait encore durer deux siècles. Redevenue athénienne, elle tempéra les
excès d'une théurgie envahissante par un retour à la sobre logique de l'aristo-
télisme^. Elle fut encore, il est vrai, dirigée au V^ siècle par un maître
éminent, Proclus. A la fois dialecticien pénétrant, érudit d'une information
sûre, croyant zélé et crédule, il s'efforça de coordonner en un vaste système
tous les problèmes métaphysiques et religieux ^ dont ses prédécesseurs avaient
chejrché la solution, afin d'essayer de faire obstacle par cette vaste synthèse
à l'expansion incoercible de la propagande chrétienne. Mais le nombre des
« Hellènes » éclairés et influents allait toujours en décroissant. Ce n'est plus
par les révélations des mystères ou l'enseignement des philosophes que se
forment alors les convictions de l'immense majorité de la société romaine. La
résonance de la prédication païenne s'affaiblit progressivement. C'est à
l'Eglise que passe le magistère des croyances sur la vie future ; c'est à elle
qu'il appartiendra désormais de définir les dogmes qui s'imposeront à la cons-
cience universelle.
En outre les travaux des épigones du platonisme n'ont obtenu qu'une
diffusion tardive et très limitée dans l'Empire d'Occident. La fondation de
Constantinople eut nécessairement pour effet de réduire VUrbs au rang de capitale
de la seule latinité. Dans cette Rome qui, à l'époque des Antonins et des
Sévères, était une ville à demi-hellénisée ou, pour mieux dire, orientalisée, la
connaissance du grec se perd peu à peu du IV^ au VI^ siècle. Les Platonicien;s
dont on lit les œuvres dans la société lettrée à laquelle appartient Macrobe
sont ceux qui ont enseigné en Italie, Plotin et Porphyre ^ ; celles des
« scolarques » athéniens n'y sont jamais citées. A plus forte raison l'ignorance
du grec se généralise-t-elle en Gaule, en Espagne, en Afrique, où saint
Augustin lui-même n'en posséda qu'une connaissance tardive, péniblement
acquise *. Des causes générales amenèrent dans cette moitié du monde romain
l'abaissement de toutes les études. La désagrégation de l'Etat eut pour
conséquence fatale la décadence de l'instruction. Dans cette période dé
décomposition politique et sociale où des troubles sans cesse renouvelés entre-
tiennent un désordre permanent, où les invasions germaniques accumulent
1. ZeUer, Philos. Gr., III, i, p. 746 ss.
2. Dodds, vp. cit., p. XXV.
3- Pierre Courcelle; Les lettres grecques en Occident, 1943, p. 436.
4. H. J. Marrou, S. Augustin et la culture antique, Paris, 1938, p. 28 ss. ; 418 ss. ;
Gourcelle, of. cit.., p. 137 ss.
382 LUX PERPETUA
les ruines et étendent la désolation, tant de soucis angoissants obsèdent les
esprits qu'ils cessent de s'intéresser à de hautes spéculations qui exigent la
liberté paisible de la pensée. En outre une insécurité constante, en rendant
presque impossibles les communications entre les diverses parties de Vorbis
romanus, avait détruit les rapports intellectuels en même temps que les
relations d'affaires, et amené une régression spirituelle autant qu'économique.
Chaque région vivait dans un isolement où s'appauvrissait la tradition scien-
tifique, et les Latins des provinces soumises aux barbares ne connaissaient
plus les controverses qui se poursuivaient dans les écoles de l'Orient. Il est
significatif que l'œuvre de Proclus, dont l'autorité fut si grande chez les
Grecs, semble être restée inconnue en Occident pendant toute la durée de
sa vie, ec qu'elle ne paraisse pas avoir été traduite en latin avant qu'au
XII le siècle Guillaume de Moerbecke assumât cette tâche. Il fallut attendre
la renaissance éphémère de la culture hellénique dans l'Italie pacifiée de
Théodoric pour qu'on s'y adonnât à l'étude des derniers Platoniciens. Boëce
les mit à contribution, en particulier pour sa Consolation, * testament spirituel
qu'il écrivit ava,nt sa mort tragique (5/5), presque exactement à la date où
Justinien mit fin définitivement à l'existence millénaire de l'Académie athé-
nienne (529). Habent sua fata Ubelli : cette oeuvre pathétique, d'une grande
élévation morale, mais dépourvue d'originalité, jouit d'une vogue durable
pendant les âges suivants. Indéfiniment reproduite, commentée, imitée, elle
fut un des intermédiaires par lesquels les idées néoplatoniciennes pénétrèrent
dans la théologie médiévale.
C'est assurément un phénomène paradoxal de l'histoire intellectuelle de
l'Europe que celui du néoplatonisme se montrant impuissant dans son effort
pour revivifier le paganisme moribond, mais fourbissant les armes dont se
servit contre lui la religion qu'il combattait. Ni l'incrédulité épicurienne, ni
l'indécision péripatéticienne ne pouvaient se concilier avec les doctrines chré-
tiennes sur le salut de l'âme. Certains auteurs ecclésiastiques cherchèrent à
s'accommoder du matérialisme stoïcien 2, mais ce fut au néoplatonisme qu'il
appartint de contribuer à fixer les dogmes qu'adopta et que fit triompher la
théologie de l'Église.
De leur vivant Plotin et Porphyre avaient acquis leur réputation à Rome
et y, avaient joui de la faveur de l'aristocratie et de la cour. Longtemps après
I. Courcelle, op. cit., p. 278 ss.
a. Cf. supra, p. 350, n. I.
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 383
leur mort, leur prestige devait se maintenir dans les cercles intellectuels de
l'Europe latine 1. Sous l'influence de leurs idées il se forma en Occident une
école néoplatonicienne dont l'histoire n'a pas encore été suffisamment étudiée.
On continuait à lire au IV« siècle les œuvres du Maître génial qui avait
fondé une métaphysique nouvelle, et celles du clarificateur lucide de sa pensée.
C'est ainsi que saint Augustin, pendant son séjour à Milan, fut amené à en
prendre cormaissance. Dès avant sa conversion il lut dans les traductions de
Marius Victorinus des traités de Plotin, notamment le célèbre exposé « Sur
le beau » (p. 357) et parmi les œuvres de Porphyre, il connut le livre
Sur le retour de l'âme à Dieu, dont les théories le préoccupaient encore dans
sa vieillesse, à l'âge où il écrivait la Cité de Dieu^. Il a décrit lui-même,
en des pages émouvantes, l'effet profond que produisirent sur lui ses premières
lectures. Ce fut comme un éblouissement, une révélation soudaine qui illumina
son esprit. Il fut dès l'abord conquis par un spiritualisme intégral, et par
une conception optimiste de la création, qui le délivraient des doutes que
lui avaient laissés, le matérialisme et le dualisme manichéens 3. Les doctrines
plotiniennes de la transcendance de Dieu, du mal considéré comme une
privation, du Nous identifié avec le Verbe médiateur, lui paraissaient s'accorder
merveilleusement avec la foi chrétienne. Pour la question dont nous nous
préoccupons surtout ici, Augustin apprit dans ces livres que l'âme immatérielle
doit fuir tout contact avec le corps, que descendue du ciel dans le monda
terrestre, c'est en se délivrant de ses attaches charnelles qu'elle parviendra
au bonheur et obtiendra cette vision de Dieu dont jouissent perpétuellement
les Elus^.
La diffusion immense des œuvres d'Augustin dans le monde latin à travers
les siècles chrétiens ont fait d'elles le véhicule le plus puissant des idées
platoniciennes incorporées au christianisme. A la vérité, lui-même, lorsque
s'acheva son évolution intellectuelle, s'était déjà aperçu qu'à bien des égards
les idées qui l'avaient d'abord séduit, étaient inconciliables avec sa foi éclairée ^.
I- Augustin, E-p. CXVIII, V, 33 {Corp. scr. eccl. lat.^ p. 697) : « Plotini schola
Ronaae floruit ». Cf. Paul Henry, o-p. cit. [sufra, p. 345, n. 2], p. 234 ss.
2. Cf. N. C. XVIII.
3- Cf. Henry, of. cit., p. 140.
4. Aug., Civ. D., X, 29, 2 : « Omne corpus esse fugiendum ut (anima) beata posait
permanere cum Dec » ; cf. Henry, op, cit., p. 128, 237.
5- Cf. Rétractations, I, i, 3 ; sur la préexistence de l'âme, cf. Courcelle, p. 167 ss.;
et H. de Leusse, Le problème de la préexistence des âmes chez M. Victorinus Afer
Ulecherches de se. religieuse, XXIX), 1930, p. 236 ss. — Cf. N. C. XXIV, XXVIII,
■<»-XIX.
384 LUX PERPETUA
De fait, il y a entre le néoplatonisme et les dogmes de l'Église plus gue des
divergences secondaires, une antinomie fondamentale sur des points essentiels 1.
Leur conception du caractère et de l'opération de la divinité est radicalement
différente ; et l'idée de la rédemption assurée au genre humain par la souffrance
d'un Dieu fait homme est inconcevable pour le pur plotinisme. Néanmoins
l'idéalisme et le mysticisme, philosophiques des uns, religieux des autres, offraient
tant de points de contact que le grand évêque d'Hippone garda de sa fréquen-
tation de Plotin et de Porphyre des souvenirs indélébiles. Grâce à son
autorité sans égale, ces idées continuèrent à exercer sur les spéculations médié-
vales leur influence hétérodoxe dissimulée et, pour ainsi dire, filtrée. L'on a
dit, non sans quelque apparence de raison, que Plotin, bien que païen, a
influencé la théologie chrétienne plus qu'aucun autre penseur 2.
Plus tard les idées platoniciennes, même celles de Proclus et des repré-
sentants tardifs de l'École, se répandirent dans l'Europe latine par d'autres
truchements. B'oëce ne fut pas le seul intermédiaire chez qui le pavillon
chrétien couvrit une marchandise de contrebande. La dernière philosophie
hellénique s'infiltra dans le monde occidental dès que la connaissance des
Pères de l'Église grecque s'y répandit. Mais les œuvres qui eurent à cet
égard l'action la plus profonde furent celles du pseudo-Denys l'Aréopagite,
dont, on s'en souviendra, un exemplaire envoyé à Louis le Débonnaire par
Michel le Bègue fut traduit par Scor Erigène^ et lui inspira ces dangereuses
spéculations qui furent — tardivement il est vrai — répudiées par l'Église.
On peut suivre l'influence exercée par l'audacieux système de ces apocryphes
syriens attribués à Denys sur les mystiques du moyen-âge* jusqu'à Maître
Eckhart qui, au XIV^ siècle, puise encore abondanmient dans cette source
trouble. Mais préciser ici les voies par où cheminèrent ces infiltrations païennes
déborderait largement le cadre de ce livre, doctrines multiformes inclinant
volontier.^ vers le panthéisme, et qui frôlent souvent l'hérésie quand elles ne
s'y perdent pas. Le mysticisme des derniers païens se transmet ainsi comme
ces eau:; souterraines qui jaillissent et s'épanchent à la surface du sol loin des
hauteurs d'où elles sont descendues.
1. Comme l'a noté déjà Vacherot, o-p. cit. [sufra, p. 345, n. z\ en termes excellents,
t. m, p. 9. — N. C. xxviii.
2. Inge, Plotînus, Lecture of the Brit. Acad., loaç, p. 6.
3. Et déjà par Hilduin. — Cf. E. Gilson, La Philos, au M. A. ^, 1944, p. 80 ss.
4. Cf. Dodds, op. cii. [supra, p. 380, n. 2], p. XXVI ss. — N. C. XXIV.
CHAPITRE VIII. — LE NÉOPLATONISME 385
Éf *
Nous avons montré au début de ce livre comment le culte funéraire célébré
sur la tombe s'était en bien des pays maintenu immuable à travers la suite des
générations, et comment des rites et des convictions remontant à l'époque
reculée où les Aryens n'étaient pas encore séparés les uns des autres se sont
conservés jusqu'à nos jours dans les croyances et les pratiques des divers
peuples indo-européens. Aucune tradition ne fut, nous l'avons noté, plus
persistante que celles de la religion des morts, que l'on craignait d'offenser
si on ne les honorait pas avec la vénération scrupuleuse qui leur était due.
Cette foi populaire, dont le folklore conserve tant de manifestations ataviques,
n'est pas le seul héritage que l'homme moderne ait reçu de ses aïeux romains.
En même temps que cette dévotion naïve des foules, à l'autre pôle de la
société l'antiquité païenne a fait accepter aux esprits modernes quelques-uncis
des doctrines les plus élevées qu'ait élaborées l'élite de ses penseurs, et elles
s'imposent encore avec force aux croyants dans l'Europe chrétienne.
A la persuasion que les esprits des morts continuaient à habiter une étroite
sépulture ou bien descendaient dans les ténèbres d'un royaume souterrain,
s'était substituée d'abord celle qu'ils pouvaient, si leur piété l'avait mérité,
monter vers le ciel pour vivre au milieu des astres divins. De ces hau.;teurs'
éthérées ils pouvaient jouir du speotacle enivrant de la merveilleuse beauté du
monde, ouïr les accords de l'harmonie des sphères ; et la^ raison, libérée des
organes corporels, satisfaisant le désir insatiable de savoir, qui est inné en
elle, était pleinement instruite des causes éternelles de tous les phénomènes
de la nature.
Cette eschatologie donnait déjà le ciel pour patrie au principe igné qui
nous anime ; mais l'âme, qui continuait à habiter le cosmos, n'était pas conçue
comme incorporelle. Ce fut le néoplatonisme qui, transférant la demeure
des esprits vertueux au delà des limites de l'univers dans un séjour supra-
sensible, spiritualisa cette conception matérielle de la félicité dans l'au-delà.
L'extase de Plotin ne s'arrête pas aux dieux visibles du firmament : à ses yeux
l'âme qui a gardé sur la terre uiie pureté parfaite peut être emportée au
delà même du monde des idées et, dans un élan d'iaraour, atteindre l'Unité
divine où elle se plonge, affranchie de toute conscience et de toute forme.
Selon cette ardente spiritualité, la prisonnière enfermée ici-bas dans une gangue
terreuse, soumise aux épreuves que lui infligent ses appétits matériels, aspire
a5
386 LUX PERPETUA
à trouver une paix éternelle et une joie inexprimable dans l'immuable contem-
plation de l'Être suprême.
Vision béatifique de la splendeur de Dieu^, perception immédiate de toute
vérité, amour mystique de la Beauté ineffable, voilà les sublimes spéculations
qui devaient être indéfiniment reproduites et développées après la chute du
paganisme. Effort impuissant pour se représenter un état inconcevable à
toute imagination humaine, elles expriment la fervente aspiration des âmes
religieuses vers un idéal de perfection et de félicité.
I. N. C. XXIX.
NOTES COMPLÉMENTAIRES
I. — INHUMATION ET INCINÉRATION.
(Chapitre I, p. 15).
L'inhumation et l'incinération ont été pratiquées des milliers d'années avant notre
ère par des populations de races très diverses, et ces deux modes de sépulture se dis-
putèrent la prédominance depuis l'époque la plus primitive dans tous les pays occupés
par les Indo-européens (Schrader-Nehring, s. v. « Bestatung », t. I, p. 102 ; Hastings,
s. V. « Aryan religion », p. 16 ss.). Les historiens ont tenté d'expliquer l'existence de
l'un ou de l'autre usage par des raisons générales applicables à l'humanité entière et
iavoqué des motifs très différents de cette double coutume. On a supposé que la cré-
matioti avait été adoptée par des peuples sans demeure fixe, mus par le désir d'em-
porter dans leurs pérégrinations les cendres dp leurs ancêtres défunts, afin de sous-
traire les restes de ceux-ci aux injures de leurs ennemis (Rohde, Psyché, trad. fr.
p. 23 ss.). D'autre part les anciens ont déjà pensé que la crémation avait pour objet
d'obtenir une séparation rapide et complète du corps et de l'âme, afin que celle-ci
pût atteindre plus sûrement le pays des morts (Rohde, p. 23, n. i ; cf. infra, p. 390).
Ou bien l'on a allégué qu'en brûlant les corps on voulait détruire la puissance
nocive prêtée aux trépassés, opérer une destruction radicale qui séparât le défunt de
la société des vivants. Nilsson (Griech. Rel., I, p. 162 ss. ; p. 352 ss.), après avoir
passé en revue les théories qui ont été émises, constate qu'aucune d'elles ne rend
compte de l'ensemble des faits observés, et il s'abstient sagement d'en proposer ime
nouvelle dans l'état présent de nos connaissances.
Des circonstances locales, qui nous échappent entièrement, ont sans doute agi en
certaines régions déterminées dans un sens ou dans l'autre, et l'on ne peut formuler
de lois auxquelles aurait été soumise une même évolution sur toute l'étendue de
la terre. Parfois un changement dans la manière de traiter les morts est dû à l'arrivée
dun peuple nouveau. Les fouilles de Canaan ont prouvé que cette région était habitée
par une population d'incinérants depuis le iv^ millénaire et que celle-ci fut remplacée,
vers l'an 2500 par une popxilation sémitique d'inhumants (H. Vincent, Canaan d'après
l'Observation récente, Paris, 1907, p. 207 ss. ; cf. Dîct. de théologie catholique, s. v.
« Crémation »). Inversement, en Grèce, à l'époque minoënne et mycénienne les corps
étaient enterrés et non brûlés ; la crémation y apparaît depuis la période des vases
a dessins géométriques, et doit avoir été introduite par les tribus helléniques au temps
"e l'invasion dorienne (Nilsson, l. c). Mais de telles constatations ne résolvent pas le
388 LUX PERPETUA
problème général : elles en tendent au contraire plus malaisée la solution en le repor-
tant à la préhistoire.
La même cause a produit les mêmes effets à l'époque historique. Ainsi M. Jacques
Heurgon, étudiant les rites de la sépulture en Campanie, montre que ce pays était
attaché d'abord exclusivement au rite de Tinhumation. « A partir du milieu du vi^ siècle,
Îiendant une centaine d'années, l'influence commune des Grecs et des Ét:rusques fit préva-
oir l'habitude de brûler les cadavres ; mais la tradition, un moment contrariée, devait
reprendre ses droits, s'affirmer sous le règne des Samnites et ne cesser définitivement
à l'époque de Sylla qu'avec la complète romanisation du pays [Recherches sur Capoue
■préromaine, Paris, 1942, p. 394 ; cf. p. 414).
Pour revenir à Rome, l'on sait que, dans des passages parallèles souvent invoqués,
Cicéron [De leg. II, 22, 56) et Pline l'Ancien (VII, 54 § 187) assurent que le vieil
usage romain était d'enterrer les morts : « Cremarë apud Romanos non fuit veteris
instituti », dit ce dernier : « terra condebantur ; at postquam longinquis bellis obrutos
erui cognovere, tune institutum ; et tamen multae familiae priscos servare ritus, sicut in
Cornelia nemo ante Sullam dictatorem traditur crematus, idque voluisse veritum talionem
eruto C. Mari cadavere ». Selon le Naturaliste la cause du passage de l'inhumation à
la crémation serait donc la crainte de la violation du tombeau. L'antériorité de la
première sur la seconde paraît prouvée par la pratique de l'os resectum. Avant de livrer
le cadavre aux flammes, on lui coupait un doigt que l'on enterrait selon les rites, afin
de rendre ainsi au mort les derniers devoirs (Festus-Paul, s. v. « Membrum » p. 135
Lindsay). « Membrum abscidi mortuo dicebatur, cum digitus eius decidebatur, ad
quod servatum iusta fièrent reliquo corpore conbusto » (cf. Cic, De leg., II, 22 § 5$, 57).
C'est évidemment une survivance d'un mode traditionnel de funérailles que l'on ne
croyait pas pouvoir entièrement négliger. Il y a plus. A Rome les enfants morts avant
la première dentition, c'est-à-dire avant le septième mois, ne pouvaient être brûlés,
mais devaient être enterrés (Pline, H. N., VII, 16 § 68 et 72 ; cf. Fulgence, Sermones
antiqui 7 (p. 113 Helm) ; et Forcellini, s. v. « Subgrundarium »). Pline regarde cet usage
comme appartenant au mos gentium. On le retrouve en effet en Grèce (Nilsson,
of. cit., p. 161) ; et ailleurs encore il était largement répandu (Schrader-Nehring, s. v.
« Friedhof », p. 384), quelque' signification qu'on veuille, lui attribuer (Dieterich, Mutter
Erde, 1905, p. 21 ss.; cf. King, Infant btmal dans Classical Review, 1903, XVII, p. 83 ss.),
On a retrouvé souvent les restes de ces bébés dans des vases enfouis sous le sol de la
demeure. Primitivement les adultes mêmes étaient ensevelis à Rome dans les maisons
selon Servius {En. VI, 152) t « Apud maiores omnes in suis domibus sepeliebantur»;
(cf. V, 64) ; et cette notice paraît digne de créance, car on retrouve la même coutume
chez beaucoup de peuples non civilisés (Cf. Frazer, La Crainte des Morts, I, p. 36 ss.
et son commentaire d'Ovide, Fastes, II, 615, tome II, p. 467 ss. ; Pascal, Credenze,
12, p. 88, n. 3 ; Wiestrup, t. I, p. 47). LaJ loi dut intervenir pour interdire cette prati-
que, afin d'éviter la contagion provenant de miasmes fétides (Isidore, Origines, XY, Hj
I : « Prius quisque in domo sua sepeliebatur. Postea vetitum est legibus, ne foetore
ipso oorpora viventium contacta inficerentur.») Lorsqu'en 260, sous le consulat deDuilius,
le Sénat interdit d'ensevelir les morts dans l'intérieur de la ville (Servius, En., XI, 206),
l'enterrement domestique fut définitivement banni, bien qu'il pût encore être exception-
nellement pratiqué, s'il faut entendre ainsi les vers de l'épitaphe IG. XIV, 1853
= Kaibel, Ep. 682; Cougny, II, 456 : Toi^àp çyd) xooe a7j|j;,« ^(Xotç axaOjioïatv exsuda / ôcpp»
at xott véxuv biaav ifxoiî [XEXâGpotciv ôptjjrjv.
Mais le culte des Lares, c'est-à-dire des esprits des ancêtres, continua toujours à être
célébré au foyer familial où primitivement les aïeux avaient été inhumés (Frazer, /■ ^'i
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 15) 389
p. 464 ss., Samter, A. Relgw., 1907, X, p. 380 ; Boehm, R. E. s. v. « Lares », p.
821 ss. ; Marg. Waites, A. J. Arch., 1920, XXIV, p. 241 ss.).
C'est par le même attachement à une ancienne coutume, conservée, bien qu'eût disparu
le motif qui l'avait fait naître, qu'on brûlait avec le mort ou qu'on déposait près de ses
cendres, des armes, de la nourriture, des objets dont il s'était plu à se servir {supra,
ch. I, p- 26), comme on le faisait pour la dépouille qui était censée vivre encore dans sa
dernière demeure ; cf. von Duhn, op. cit., I, p. 425 ss. ; Nock, Amer. Journ. Philology,
1940, LXI, p. 92. ^
Ainsi un ensemble de témoignages littéraires et de constatations archéologiques sem-
blent appuyer la tradition que l'inhumation était le genre d'obsèques primitif des Romains.
Mais la découverte au Forum de tombes préhistoriques datant du xx^ au vi« siècle a
démontré la fausseté au moins partielle de cette opinion, car on y a trouvé à la fois
des urnes en forme de cabane déposées dans une petite fosse et contenant les cendres
de corps ayant subi la crémation, et les restes de cadavres inhumés dans des cercueils
de pierre ou de bois, sans qu'on puisse établir l'antériorité d'une pratique sur l'autre.
Plutôt que de deux époques chronologiques, cette nécropole témoigne de la coutume de
deux populations différentes : les anciens Latins établis sur les monts Albains, et qui
s'étaient fortifiés sur le Palatin incinéraient leurs morts ; les Sabins qui occupaient le
Quirinal les inhumaient, et le Forum était leur cimetière commun ; cf. G. Lugli, Roma
antica I, 1946, p. 222 ss. •, von Duhn, I, p. 431 et passim. La légende veut que Numa,
qui était d'origine sabine, ait défendu de livrer son corps au feu (Plut., Numa, 22). De
cette dualité primitive des inhumants et des incinérants l'on a même tiré les conséquen-
ces les plus étendues pour le développement de l'ensemble des institutions romaines (A.
Piganiol^ Essai sur les origines de Rome, Paris, 1917).
Il est certain qu'à l'époque historique les deux genres de funérailles ont été usités
concurrenunent à Rome, oii la Loi des XII tables les mentionne ensemble (X. I : « Horai-
nem mortuum in urbe ne sepelito, neve urito » ; cf. X. 8 ; Girard, Vextes de droit
romain^ p. ai), et aussi parmi les Etrusques, chez qui l'on a trouvé dans le même
mausolée des squelettes étendus sur des lits funéraires ou ensevelis dans des sarco-
phages à côté d'urnes cinéraires. La même juxtaposition des deux rites mortuaires est
fréquente dans une grande partie de l'Italie, particulièrement au centre de la péninsule.
Mais le texte de Pline contient néanmoins une paît de vérité, car peu à peu la cré-
ination devint prédominante dans VUrbs républicaine. Son usage se généralisa au point
qu'on la regardait comme la coutume proprement romaine, opposée à l'inhumation des
Grecs et des Orientaux (Tacite, Ann., XVI, ô : « Corpus (Poppaeae) non igni abolitum,
ut Romanus mos, sed regum extemorum consuetudine differtum odoribus conditur,
tumuloque luliorum infertur ». Cf. Pétrone, m, 2 ; Serv., En., III, 68 ; Lucien, De
hctu, 21). Des raisons économiques contribuèrent certainement à faire prévaloir l'inci-
nération.. Acquérir un terrain à proximité d'une route et y construire un caveau était
devenu une affaire très dispendieuse. De plus, le nombre des esclaves s'étant multiplié
dans toutes les familles riches, il devint impossible de bâtir des mausolées assez vastes
pour contenir les corps de tous les affranchis qui avaient le droit d'y être déposés.
La crémation permit de loger leurs cendres dans les columbaria. Dans la nécropole du
«"-iiie^ siècle qu'on vient de déblayer sous la basilique de St-Pierre, on a trouvé dans
J-es mêmes édicules des sarcophages luxueux et de modestes urnes cinéraires (cf. C.-R.
Acad. Inscr., 1945, p. 392). Au m^ siècle la pratique de la crémation fut progressive-
'i^ent abandonnée j elle disparut presque entièrement au cours du iv^. (Macrobe, Sat.,
7) 7 '■ « Licet urendi corpora defunctorum usus nostro saeculo nuUus sit ». Cf.
^wgham, Origines ecclesiasticae, Londres, 1878, t. II, p. 1239, et pour l'Afrique, Gsell,
390 LUX PERPETUA
Monuments antiques de l'Algérie, 1901, t. II, p. 39). Dans le cimetière de l'Isola Sacra
d'après les constations de Calza {La Necropoli del Porto di Roma, 1940, pp. ^n et
63), pour la période la plus ancienne, celle d'Hadrien, l'incinération est exclusivement
employée. Avec l'époque des Antonins commence la promiscuité des deux rites ; avec
celle des Sévères, si la crémation ne disparaît pas entièrement, l'inhumation prédomine
de plus en plus. Le retour à la coutume de l'inhumation est due surtout à l'influence
des religions orientales, soit que, comme les Égyptiens, on subordonnât la persistance de
l'âme à la conservation de la momie, ou que, comme les Perses, on craignît de souiller
le feu sacré en le mettant en contact avec un cadavre (Hérodote, III, 16 ; Dioscoride
Anth. Pal. VII, 162), soit qu'admettant la doctrine de la résurrection (judaïsme
mithraïsme, christianisme), on crût que pour y participer le corps devait reposer en
paix dans une sépulture inviolable [Symbol, p. 330 ; cf. Prudence, Cathem., Hymne X,
45 ss. j et supra p. 24, 340).
Les anciens et les modernes ont souvent opposé l'inhumation à la crémation au point
de vue eschatologique. A la première s'associe l'idée que le mort est rendu à la Terre
qui l'a formé (Cicéron, De legib., 11, 22, 56 ; cf. Lydus, De mens., IV 40 ; Xénoph,,
Cyrop., VIII, 7) ; et l'on se persuade que cette Mère féconde le fera renaître à une vie
nouvelle (Dieterich, Mutter Erde, 1905, p. 12 ss. ; p. 27 ss.). Nombreuses sont les
épitaphes exprimant la pensée que la terre a recueilli ceux qu'elle a engendrés (C. E,,
809 : « Mater terra genuit, materque recepit »; 11 29 : « Quaegenuit tellus, ossa teget
tumulo ». Cf. Dieterich op. cit., p. 75 ; Brehlich, p. 36 ss. ; Lattimore, p. 32 ss.,
p. 37). Mais au corps que recouvre la glèbe les inscriptions opposent souvent l'esprit
qui est monté vers les astres {supra p. 146 ; cf. Prudence, Hymne X, 10 ss.).
L'incinération détache l'âme de ce corps, qui est détruit, et facilite son ascension vers
le séjour céleste, d'où elle est descendue, ou sa réunion à l'élément igné dont elle
est formée ; Servius, En. III, 68 : « Romani comburentes cadavera, ut statim animae
ad suam generalitatem, id est naturam suam, redirent ». A cette conception se
rattache celle que le feu la purifie et la débarrasse de ce qui l'alourdit et la
corrompt ; Lydus, De mens. IV, 40, p. 97 Wûnsch : Kat aCi-o xô eïSwAov sx/aôaipeiv
Toù atifxaxoç t^ toù irupo; àytaxEfa -; cf. Dieterich, Uekyia, p. 197 ss. et la note de Rohde,
Psyché, p. 26, n. 2 ; cf. supra, p. 387). Les philosophes ont disserté sur ce sujet.
Ainsi les Stoïciens voyaient dans l'incinération des morts comme une anticipation
de Vecpyrosis qui devait détruire le monde entier par le feu; mais, comme le note
Lydus (/. c), l'idée d'une décomposition de l'organisme humain en ses éléments
( àva(jxoi)(EEwffi; ) est bien antérieure aux doctrines des philosophes. Que le feu
favorisât ou non la montée de l'âme vers les deux en l'allégeant et en la purifiant,
de toute antiquité il paraissait certain à l'opinion commune que l'ombre échaii-
pait victorieusement à la combustion du bûcher, let qu'un je ne sais quoi continuait
à vivre, qui n'était pas brûlé par les flammes, ni éteint avec les cendres, ni empri-
sonné dans l'urne ou le sépulcre; cf. Properce, IV, 7, 2 : « Sunt aliquid Mânes,
letum non omnia finit / luridaque evictos effugit umbra rogos » ; Quintilien, Declani;
X, I, 2 : >« Non totum mori hominem. Illud quod nec flammis uritur, nec cineribus
extinguitur, nec urnis sepulcrisque satis premitur » ; Suétone, Aug., 100 : « Delatus
(Augustus) in campum, crematusque : nec defuit vir praetorius, qui se ef figiem cremati
euntem in caelum vidisse iuraret ».
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 19) 391
II. — FUNÉRAILLES CHEZ LES INDO-EUROPÉENS
(Chapitre I, p. 19).
Un texte cité par Schrader-Nehring s. v. « Ahnencultus », p. 18, §2, montre d'une
manière frappante quelle étroite affinité unit les coutumes funéraires des Slaves et
Baltes <iu moyen-âge à celles des anciens Grecs et Romains. Il est tiré de Joh.
Lasicius De dits Samagitarum, Bâle, 1615, ch. 57, qui reproduit Jan Malecki (Johannes
Menecius, De sacrificiis et idolatria Borussorum, Lîvonum {Scri-pt. rerum Livon., II,
p. 389 ss.) : « Qui funus mortuo faciunt, nummos proiciunt in sepulcrum, futurum
mortui viaticum (i) ; panem quoque et lagenam cervisiae plenam ad caput cadaveris
in sepulcrum illati, ne anima vel sitiat vel esuriat, collocant (2). Uxor vero, tam oriente
quam occidente sole, super extincti coniugis sepulcrum seaens vel iacens lamentatur
diebus triginta (3). Ceterum cognati célébrant convivia die a funere tertio, sexto,
nono et quadragesimo ; ad quae animam , defuncti invitant precantes ante ianuam (4) :
Ubi tacite assident mensae tanquam muti (5), nec utuntur cultris (6) ministrantibus
duabus mulieribus, sed absque cultris, cibumque hospitibus apponentious. Singuli vero
de unoquoque ferculo aliquid infra mensam abiciunt, quo animam pasci credunt, eique
effundunt (7). Si quid forte décidât in terram de mensa, id non toUunt, sed desertis,
(1) Sur la coutume de mettre des pièces de monnaie dans la tombe comme « viatique » cf.
supra p. 213, ce qui est dit de l'obole de Charon, et Van Gennep, I, p. 719 ss., sur « le Sou
du mort ».
(2) Faim et surtout soif des morts : cf. supra, ch. I, p. 29.
(3) Sur les lamentations funèbres, cf. supra, p. 20. Des détails précis sur les lamentations
usitées chez les Russes sont donnés par Olearius ou Oelschûger qui fut ambassadeur du duc
de Holstein de 1633: à 1639, cf. Voyage en Moscovie, trad. Wicquefort, 2^ édition, 1727, t. I,
p. 375 ss. : Les parents, hommes et femmes se rangeaient autour de la couche du défunt et
pleuraient sa perte, en lui demandant pourquoi il s'était laissé mourir. Les femmes continuaient
à proférer ces plaintes pendant le cortège funèbre. Celles-ci étaient reprises encore sur la
sépulture et répétées certains jours de l'année.
(4) Banquets fimèbres à trois jours déterminés : cf. supra, p. 36. Olearius signale chez les
Russes un premier repas, arrosé d'hydromel et d'eau de vie dans la maison mortuaire, lors-
qu'on y rentre (p. 379 b.), et un deuil de quarante jours pendant lequel on fait trois festins,
les troisième, neuvième et vingtième jours.
(5) Silence observé de peur qu'une parole de mauvais augure irrite le mort : cf. supra, ch. I,
p. 36 et N.C. V, p. 396. Une légende voulait qu'Oreste, arrivant à Athènes encore souillé du
meurtre de sa mère, n'eût pas été reçu par les Aréopagites, mais qu'on lui eût servi un repas
sur une table séparée et sans lui adresser la parole (Euripide, Iphig. Taur. 943 ss.; Plutarque,
Quaest. conviv. 613 b ; 643 a). Peut-être est-ce là un mythe étiologique destiné à expliquer
le silence observé à une certaine époque pendant les théoxénies en l'honneur du héros Oreste
(cf. Deubner, Attische Veste, 1932, p. 93 ss.).
(6) Probablement à cause de la prohibition de se servir du fer pour un usage qui était!
antérieur à l'âge où fut introduit ce métal. Les exemples d'une telle défense sont nombreux ;
cf- Hastings, s. v. « Arval brothers », p. 8 b; et s. v. « Bridge », p. 855 a. Injra, N. C. XXV.
(7) Reliefs du festin jetés sous la table pour nourrir les morts, cf. Malten, R.E. Suppl.
IV, s. V. « Ker », p. 892 ; et supra, p. 36.
392 LUX PERPETUA
ut ipsi loquuntur, animis, quae nuUos habent vel cognatos vel amicos vivos, a quibus
excipiantur cpnvivio, relinquunt manducandum. Peracto prandio surgit a mensa sacri-
ficulus et scopis domum verrons animas mortuorum cum pulvere, tanquam pulices,
haec dicens eicit : « Bdistis », inquit, « bibistis, animae : ite foras, ite foras (i). Post
haec incipiunt convivae inter se oolloqui et certare poculis, mulieribus viris praebiben-
tibus et viris vicissim illis, seque invicem osculantibus ».
III. — LA RÉCEPTION DES MORTS PAR LES MÂNES.
(Chapitre I, p. 58).
Déjà Fustel de Coulanges {Cité antique, p. 112) a fait observer que les renseignements
qui nous sont transmis sur l'organisation de la gens datent d'une époque où celle-ci
« n'était plus que l'ombre d'elle-même. » Mais la persistance qui caractérise les cou-
tumes fiméraires permet de reconstituer dans une large mesure ce qu'a été, dès l'époque
aryenne, le culte gentilioe des morts (Schrader-Nehring, s.v. « Ahnencultus », p. 37,
§20. Cf. Westrup, Ancestor worshif, Copenhague, 1944, tomel; Schrader dans Hastings,
s.v. « Aryan religion », p. 28 ss.j. Ce culte est célébré par les descendants ou proches
parents du défimt, qui ont droit à l'héritage, et qui d'autre part ont l'obligation d'offrir
sur le tombeau les sacrifices rituels (Isée VI, 51 : ETvai xlr)pôvo|ji,ov jcal lit', -uà fxv/jfAaTa
levai )(^£Ô|j.Evov xal èvaYÎouvxa. Cf. Rohde, tr. fr., p. 207, n. I. A Rome : Festus, s. v.
« Sine sacris hereditas », p. 370 Lindsay) et aussi le devoir d'exercer la vendetta en
cas de meurtre (Rohde, p. 214, n. 2 ; 216 n. 2.). La crainte de cette vengeance de la
famille assurait à l'individu une protection que ne garantissaient pas encore les lois de
la cité. La tombe où l'on fait les oblations funèbres, est la propriété de la gens ;
elle est commune à ses membres ; mais le corps d'aucun étranger ne peut y être intro-
duit (Mommsen, Droit -pénal, tr. fr. III, p. 125). Sans doute appartenait-il à la gens
d'accueillir parmi ses morts ou d'exclure de leur société celui qui venait de décéder,
comme elle paraît avoir décidé en commun si l'enfant nouveau-né devait être agrégé au
groupe familial, ou si l'adoption pouvait y faire entrer, celui qui n'en faisait pas partie
par sa naissance. La cérémonie de cette adoption était un véritable rite d'initiation par
lequel un néophyte obtenait de participer au culte familial (Samter, Familienfeste der
Griechen und Rômer, Berlin, 1901, p. 9 ss. ; Roussel, R.E.A., 1943, XLV, p. 12 ss.).
Ces conceptions et institutions d'une antiquité extrême ne purent manquer d'influer
sur la croyance de la descente des ombres dans les Enfers, lorsqu'elle fut acceptée à
(1) Esprits des morts invités, puis expulsés : cf. supra, p. 82 et înjra N. C. V sur les Lemuria
p. 396. En Courlande, le maître de la maison préparait les mets pour les âmes, puis, quand
elles étaient rassasiées, il les expulsait et les empêchait de franchir de nouveau le seuil. (Deubner,
op. cit., p. ,113, n. 1). — L'idée qu'en balayant la chambre mortuaire on risquerait de pousser
dehor;, l'âme du défunt s'est conservée dans le folklore de France. On évite même en temps
ordinaire de balayer le soir, parce que c'est à ce moment que les âmes reviennent dans la maison.
Van Gennep, p. 670.
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 58) 393
côté de celle de la survie dans la tombe. L'admission dans l'Hadès est étroitement liée
à celle qui est accordée dans la sépulture commune de la gens. L'àracsoi;, Vinse-pultus,
n'est pas reçu dans le monde souterrain {sufra p. 84). Les esçrits des morts eux-
mêmes lui en interdisent l'accès. On trouve exprimée cette croyance depuis l'âge homé-
rique jusqu'à là fin du paganisme. (Cf. Homère, Iliade, XXIII, 71 ss. : Bà-TiTE p.£ or-ut
i;a7i(JT;« TcûXaç 'AJSao irEpr^ffor I ir^Xi jjls e'pyo'jac '^yyja.i, e'.'âwXa xajiôvtwv, / o05£ \xz irto ^'icy^n^ai ùirèp
iroTapto èûoiv, àXX' a'jTwi; àXâ\7)|j.ai àv' EÔpuTturEî ''A'i8oî 8w. Héliodore, II, 5 (p. 52 Budé) :
^iXxâti) i|"Jj(*(^ . . . suSrjXo; eT Ttep; y^v I'ti cp£po,uÉvr) tô [ji-ev toiouto'j ffW[/.aTO(; ou upôî ^!av £Çt|XxO-/j<;
àirosTaxElv où (çâpousa (cf. sufra p. 58) xo 81 8ià xô oîxacpov laioç ûirô vepxepfiov 8ai[j.6vtov clpYopivY).
Aussi voit-on souvent formulée dans les épitaphes l'affirmation que les Mânes ont
reçu ou le vœu qu'ils reçoivent celui dont les restes reposent dans la sépulture. CIL,
II, 8007 = Dessau, 8007 (de l'an ig av. J.-C, Cordoue) : « Dei Mânes receperint
AbuUiam N. libertam Nigellam » ; cf. Dessau, 8129 b : « Ossa Nicenis hic sita sunt.
Superi, valete. Inferi, recipite Nicenem »j C. E., 11 12 = CIL, XII, 4036 : « Excipient [au
lieu de excipiet) Manis ; cf. 1109, 33 ; 1165. En grec les 8a£(j.ove>; sont substitués
aux Mânes : Épitaphe d'une enfant de cinq ans (Capri), Kaibel, Ef. 624 = IG, XIV,
062 : O'i (TTuyiov j^wpov 67rova(£X£ o[aî]jJ!.ov[Ei;] âaOXol / Ss^affô' t\q 'A(5r)v v.à<.[xz xov O'y.xpôxaxov / oO
x.ptaEt èv Moipwv ■fjpTracrf/évov, àXXà piaîwi / a'tcpvtSttf) Gavàxwt [X'/jvioî è^ àSîxou. S. E. G., VIII, 799,
Egypte) : 'AXXà ■/.axaj(^6oviot, A-r\^r\(<C) o'i vaÎEXE ^ûpov 8aî(;i.ovst; ÏXeto. 'Eur^âpEi hb/^ziz. Inscription
du tribun Terentius trouvée à Doura-Europos {Excavations, Refort IX, 1944, p. 177) :
'lo'jXiov [Tejpévxtov jtkUpy^ov c'Ke.>.p(rj<;') v.' naÀjJ.(upTjVÛv)' Tôv ôpâcuv èv cxpaxtaïc, cxEvap'jv
TcoXéfjioiat, Oavôvxa, (ji,vvî)JtT,(; aÇtov avSpa AùpvjXt'a 'Appta Oâ^j/s Ttôaiv çtX'.ov, ov ij^u^ai 8éÇaa6at [sic)
Osai, èXaïfpà v.:à.''i<\io(.i xsyaïa — Les <|^ux'^'' ^^*'- ^ont probablement une traduction de dit
Mânes, comme la fin rend le souhait latin : sit tibi terra levis. Cf. CIL III 398g :
« Vos itaque inferi ad quos me praecipitem di superi coegerunt, minimo cum tor-
mento admittite ». En revanche on exprime le souhait que les Inferi ne reçoivent
pas un ennemi : Dessau, 8184 : « Cum mortuus fuerit, inferi eum non recipiant »;
8190 : « Nec superis oomprobetur, nec inferi recipiant »j cf. 8196. Suétone {Tlib. y^)
raconte qu'à la mort de Tibère les gens du peuple prièrent « Terram Matrem deos
que Mânes ne mortuo sedem ullam nisi inter impios darent ». M. C.B. Welles, qui a
donné de l'inscription de Doura-Europos un commentaire fort érudit {Harvard Xlheolo-
gîcal revieiv 1941, XXIV, P.79SS.) a réuni une série d'autres exemples de la réception
des défunts par les Mânes. Mais on notera que dans ces textes il est question des
Mânes en général comme décidant du sort de ceux qui se présentent à l'entrée des
Enfers, de même qu'ailleurs le droit de les recevoir ou non est reconnu à Orcus
(Plaute, Mostellaria, 499 : « Nam me Accheruntem recipere Orcus noluit, quia
praemature vita careo ». Cf. Pseudol, 795 : « Orcus recipere ad se hune noluit », et
Augustin, Civ. Dei, VII, 3 = Isidore, Etym. VIII, n, 42 : Orcus receftor mortium (dont
Mars est Veffector) ; ou d'une façon générale aux puissances infernales (cf. sufra
Jahresb. Inst. Wien, igi^, XVIII, Beibl. p. 45 : Toùi; irapc(Xaêôvxaç •r,(j.â(; y.a.iayBrMo\i<;
S"'j<;. S.E.G., VI, 402 (Salamine de Chypre) : [Jtr|xE <\i-jx'^,^ aùxcj ôno yOova TrpoffSi^otaOs.
Mais ces façons de s'exprimer datent d'une époque où les croyances de la société
gentilice étaient en voie de disparition, et l'on peut en citer d'autres où survit encore
l'idée que ce sont les proches parents, les ancêtres du défunt, qui sont appelés à
accueillir celui-ci dans son nouveau séjour. Dans l'Enéide (X, 819 ss.) lame de
Lausus mourant, exhalée dans les airs, s'en va chez les Mânes, et Énée précise
qu'il remet cette âme aux Mânes de ses parents. « Tum vita per auras concessitmaesta
ad Mânes ... Teque parentum manibus... remitto. » Selon Lucien, (Peregr., 36) le
cynique Pérégrinus se jeta sur le bûcher en s'écriant : (AaîjjiovEi; (AVjTpîjjot xal Tîaxpûoi
394 LUX PERPETUA
Sé^aaGI [AE EÔiJ.EV£~(;. En. se suicidant, Pérégrinus obéit aux préceptes du cynisme (R.E. s.v.
p. 660, 50) ; on a conjecturé qu'en invoquant les démons paternels et maternels, il
avait été influencé par les doctrines du brahmane Kalanos, mais il se fait plus proba-
blement l'écho d'une vieille croyance gréco-romaine (Holland, A. Relgw. 1926, XXIII,
p. 210). L'invocation adressée aux esprits des ancêtres remonte à la vieille religion
aryenne. Schrader-Nehring (s.v. « Ahnencultus », p. 22, B. 8) citent une prière
semblable des Slaves de la Russie blanche : « Grands-pères et grands-mères, petit père
et petite mère, oncles et tantes, recevez parmi vous notre père défunt ; vivez là avec
lui en amitié, ne vous querellez pas ». C'est un nouvel indice de la fidélité des Slaves
aux vieux rites funèbres que nous avons relevée plus haut (N. C. II, p. 391).
Aux témoignages littéraires que nous avons invoqués s'ajouterait celui, particulière-
ment évocateur, d'un monument figuré, si un beau sarcophage de Vulci représente
bien, comme on l'a supposé, le mort accueilli par ses proches à l'entrée des Enfers
(Fr. Poulsen, Dus Helbigmuseum der Gly-ptothek, 1927, pp. 130 et pi. 118; DeRuyt,
Charun, p. 78 et fig. 84).
Les Mânes ne se bornent pas à attendre l'ombre du parent qui doit se présenter à
eux dans le monde souterrain. De même que sur la terre les images des aïeux
{imagines maiorum), marchant en tête du cortège funèbre, conduisent le mort jusqu'à
sa dernière demeure (Saglio-Pottier, s. v. « Funus », p. 1399 ; R.E. s.v. « Bestat-
tung » p. 351, 30 SS.5 et en dernier lieu. Borner, Ahnencult, p. 104 ss.), pareillement
les Mânes servent de guides au défunt depuis la terre jusqu'aux fleuves infernaux (sup-a
p. 58). Lucrèce parlant de l'Averne, oii l'on plaçait une des portes de l'Orcus, dit (VI,
763) : « lanua ne forte his Orci regionibus iesse / credatur, post hinc animas Àcheruntis
in oras / ducere forte deos Manis inferne reamur » ; cf. C. E., 542 = CIL, II,
4427 (Tarragone) : « Mânes si superent miseram m^e abducerent coniugem ». Cf.
Haute, Mostell., 509 ; C. E., 1165 : « Animae piorum ... laudatae colitis quae loca
sancta Erebi / suèdes insontem Magnillam ducite vestras, / per nemora et campos
protinus Elysios ». De même dans le mazdéisme les Fravashis, qui sont les Mânes
iraniennes, vont à la rencontre du juste et l' aident dans son périlleux voyage (Sôderblom,
R.H.R., 1899, XXXIX, p. 383).
Les Mânes des parents, qui protègent en cette vie leur descendance, continuent à
exercer leur puissance tutélaire en sa faveur dans la vie d'outre-tombe. Une inscrip-
tion de l'époque républicaine exprime ce souhait à une femme de grand mérite
(Dessau, 8393, 79) : « Te di Mânes tui, ut quietam patiantur et ita tueantur opto ».
Il ne faut pas traduire, comme on l'a fait, « tes Mânes », les Mânes de ta personne,
ce qui rendrait la phrase peu intelligible, mais « les Mânes des tiens », ceux de tes
proches, et en particulier de tes ancêtres immédiats, père et grand-père. Dans l'ex-
pression Mânes tui, le possessif tui équivaut au sui de l'expression juridique sut
heredes, qui immédiatement après la mort du fater familias prennent l'administra-
tion de la propriété familiale (Westrup, op. cit. t. II, p. 64 ; III p. 266), les « di
inferi -parentum », (Dessau, 7999 et la note). Cf. CIL, VI, 9659 = C. E. 1583 :
« Diis parentalibus suis. Hune lapidem posuit supremum ut remanerent ossa etcineres
C. fratris sui et sua, ubi requiescerent. » CIL, VIII, 2185 : « Parentes Mânes estote
boni, ut Martis in pace bona quiescat. » En Orient, une inscription de Mopsueste
(Cilicie), épitaphe d'un soldat athénien (CIG, 4439= Dessau 8876 = IGR. III, 917))
associe les ' dieux chthoniens et les ancêtres du mort : OsoTç xaxaj(^6ov(oti; xaî toT; yovEusiv,
et dans la même région une autre épitaphe (Heberdey-Kalinska, Reise in Kilikien,
p. 33, n° 79) dit pareillement ôsotç xaTax,6ovtoi<;, xaî fïpuxnv l8(oti;, où les héros qui
appartiennent en propre au défunt répondent exactement aux « Mânes tui » du texte
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 64) 395
romain. Cf. Schol. Pind. Olytnp., II, 104 b : ô'xi ol àSixo'jjjiEvoi tùyjnç tow xaTa)(Oov(oti;
■'rp[ii7^ TTOiouvrai, '(va È7nxo'jp''j(7Wfftv aùrot;, oTov 'BXixToa t'Ï) 'AYaj/.^p'ovt.
La réception du mort dans les Enfers devint de bonne heure un motif recom-
mandé par la rhétorique pour ses « épicèdes » ou « consolations » ; mais les
littérateurs préférèrent faire recevoir le mort dans l'Hadès par des ombres illustres,
plutôt que par ses parents. Déjà Hypéride dit {Epit., XII, 10, p. 67 Blass) :
'!•>/ "AiSo'J XoyîtjaaGai àçcov tÎv£<; ol xôv i^yi^rJyx 8£|uoo-â[7,£Vot Totoûtov, x.t.X. Cf. Juvénal,
II5 153 ^^- ' ^* Holland, A. Relgw., XXIII, 11926, p. 209. Stace dans ses Silves a
plusieurs fois usé et abusé de ce lieu commun (II, i, 194 ss. ; III, 3, 22 ;
V, I, 253 ; V, 3, 284 ss. Cf. les notes de Vollmer, pp. 317, 354, et d'Henri Frère, t. II,
p. 183). Sénèque dans sa parodie de rApocolocyntose (ch. 13 ; cf. Weinreich,
Seneca's afoc, p. 122 ss.), s'il fait recevoir Claude par de grands personnages, n'oublie
pas cependant de mentionner ses proches parents. — Des vers (260 ss.) du Culex
virgilien sont interprétés généralement comme décrivant la réception triomphale du
moucheron dans l'Elysée. Plésent (Le Culex, p. 60) soutient au contraire que Proser-
pine lui en interdit l'entrée parce qu'il n'a pas été inhumé. Mais ce serait le seul texte
où il serait question de protéger les abords de l'Elysée.
La réception est transportée au ciel et attribuée au « caelicolorum chorus » C. E.
1109, ' 33 = CIL, VI, 21521. Dans un appendice à l'article de Welles cité plus haut,
M. Arthur Nock a traité de la croyance chrétienne à la réception de l'âme par les
anges, les martyrs et les saints jusqu'à VOrdo commendationis animae du Pontifical
romain. [Les textes célèbres : Suhvenite. {Studi e Vesti, 86, p. 280), Chorus angelorum
{îb. 281), In paradisum {ih. 87, p. 509), se trouvent déjà (M. Andrieu, ih. 86, p. 277)
dans le Pontifical romano-germanique du x« s., très importante compilation originaire
de St-Alban de Mayence, et qui est le lointain ancêtre du Pontifical romain (cf. Ord.
rom. I, in-8, Louvain, 1931, pp. 495 ss., et Pont. rom. du XIl^ s. (St. e C 86, pp. 4SS.).
M. A., par malheur, n'en a pas donné l'édition. Mais il a indiqué que les éléments s'en
trouvent dans Hittorp, T>e div. cath. Eccl. off., Martène, De ant. Eccl. rit. ; et Gerbert,
Mon. vet. Ut. alem. — Les textes ci-dessus mentionnés se lisent dans Martène (1788),
t. II, Subvenite, p. 387, Chorus angelorum, ib., In paradisum, p. 388. Mais ils sont cer-
tainement bien antérieurs au x^ siècle] [L. C.].
IV. — DESCENTES AUX ENFERS.
(Chapitre I, p. 64).
L'évolution de ce genre de récits a été exposée par Ettig, Acheruntica, p. 251-410.
Ganschinietz a donné sur ce sujet un article très érudit à la R.E., s.v. « Katabasis ».
Cf. Gruppe et Pfister dans Roscher, Lexik., s. v. « Unterwelt » ; Radermacher, Kom-
mentar zu den Froschen des Aristophanes {Sitzungsb. Akad. Wien, phil. KL, CXCVIII,
4) 1922, p. 37 ss.j Jos. KroU, Gott und Hôlle [cf. supra, ch. IV, 11, p. 233, n. 3],
P- 371 ss.
Certaines idesoentes aux Enfers appartiennent déjà à l'amcienne Egypte et à la Babylonie
396 LUX PERPETUA
(Islar, GilgameS ; cf. Ganschinietz, p. 29 ss. ; Gruppe-Pfîster, p. 35 ss.), et le
mazdéisme iranien ne les a pas ignorées. Le livre d'Arta-Virâf (traduction Barthé-
lémy, 1887) est d'époque tardive;, mais l'antiquité connaissait un voyage deZoroastre
dans l'Hadès (Mages hellénisés, I, p. 113 ; II, p. 158 ss.), et le mythe d'Er dans la
République de Platon est inspiré par les doctrines des Mages (Bidez, Eôs, p. 43 ss.).
Le judaïsme a traité aussi le thème de voyages au pays des morts ; cf. Ad. Lods,
C.-R. Ac. Inscr., 1940, 435-443. Dans la littérature grecque la série des xaraSâcrEK;
tU "AiSou commence avec la Nékyia de V Odyssée, qui est en réalité une scène de
nécromancie (cf. supra, p. 97), et l'ancienne poésie épique racontait celles d'autres héros
(Minyas, etc. Cf. Rohde, Psyché, tr. fr., p. 249). On attribuait à Orphée une
« Catabase ». Les tablettes orphico-pythago ri ciennes de la Grande Grèce nous transpor-
tent dans les Enfers (cf. supra, p. 248) et Pythagore lui-même s'y serait rendu (Isi-
doi-e Lévy, La légende de Pythagore, 1927, p. 79 ss.). Le mythe de l'épreuve imposée
à Héraklès, qui doit s'emparer de Cerbère, est très ancien (Gruppe-Pfister, p. 39),
Il devait être transformé plus tard par la philosophie religieuse {supra, p. 233). Ce
motif littéraire fut exploité par le théâtre grec ; mais des scènes qu'il avait imaginées
nous n'avons conservé que la parodie d'Aristophane dans les Grenouilles. Les mythes
de Platon dans le Gorgias (p. 523) et dans la République (X, 12, p. 14 ss.) se rattachent
directement aux révélations que prétendaient apporter les Catabases. Parmi les écrivains
postérieurs qui ont recouru à cette fiction, le plus remarquable est Héraclide Pontique
(Bidez, Eôs, p. 52 ss.); mais tout ce qu'avaient composé d'analogue les auteurs de
l'époque hellénistique a péri. Nous ne pouvons nous en faire quelque idée que par
leurs imitateurs latins, dont nous avons parlé pp. 212, 221.
V. — LES LEMURIA.
(Chapitre I, p. 82).
Wissowa (R.E. s. v. «Lemuria») a soutenu l'opinion que le nom de Lémures fut
imaginé par quelque antiquaire, qui l'aurait tiré de celui de la fête des Lemuria.
Mais d'où vient alors cette appellation de Lemuria ? Il faut admettre au contraire
que Lémures est un terme fort ancien, presque tombé en désuétude sous l'Empire ;
cf. Apulée, De deo Socr., 15 (p. 24 Thomas) : « Hune (l'esprit des morts) vetere latina
lingua reperio Lemurem dictitatum. » ; Varron chez Nonius, 135, s. v. « Lémures »
(I, p. 187 Lindsay) : « Quibus temporibus in sacris fabam iactant noctu et dicunt se
Lemurios domo extra ianuam eicere », d'où il ressort que c'était un terme rituel.
Tous les actes et les paroles des Lemuria indiquent une origine lointaine, où la reli-
gion et la magie se confondaient encore (cf. Ovide, Fastes, V, 410 ss. avec le commen-
taire de Erazer ; Jacobsen, Mânes, I, 39 ss.). Le pater familias se lève la nuit et, les
pieds nus, parcourt silencieusement la maison, écartant de sa personne les Lémures par
un geste apotropaïque des doigts, mimique obscène encore employée aujourd'hui con-
tre la «iettatura». Sur la nudité des pieds dans le culte funéraire, cf. Samter, Fest-
schrift fur Otto Hirschfeld, 1903, p. 253)5 dans la magie et la religion en général, ci
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 82) 397
Heckenbach, De nuditate sacra (V. u. V. IX), 191 1; et nos Fouilles de Doura,<p. 60 ss.
Le silence doit être observé pour ne pas éveiller la colère des esprits des morts par
quelque parole déplaisante (cf. supra, ch. I, p. 47 et N. C, II, p. 391). Le père de
famille se lave ensuite les mains et, sans se retoxirner, jette derrière lui, aux Lémures,
des fèves noires, dont il s'est rempli la bouche. Les fèves, à cause des flatuosités
qu'elles provoquent, passaient pour contenir les esprits aériens des défunts (Delatte,
Paba Pythagorae cognata dans Serta Leodensia, Bibl. fac. de Liège, XLIV, pp. 33-57)-
Elles ont été par suite mises naturellement en rapport avec les Lémures [Borner, p. 36,
11. 2 ; Schrader, l. c). Cette offrande appropriée devait apaiser les esprits (Schol. Perse,
V, 185 : « Lemuria autem dicuntur dies, quando Mânes placantur »), et en leur livrant
ces âmes contenues dans les fèves, on croyait se racheter soi-même et délivrer les siens
de la mort (Ovide, Fastes, V, 438 : « His, inquit, redimo me meosque fabis».) hepater
familias se relavait ensuite les mains pour se purifier, puis il faisait un grand vacarme
en frappant un bassin de bronze, et il répétait neuf fois la formule « Mânes exite
paterni ». Le son produit par un instrument de métal est un moyen souvent employé
pour chasser les démons et fantômes (Frazer, /. c. ; cf. Rohde, I, p. 56, n. 2 = tr. fr.
p. 46, n. 3 ; 224, n. I ; 326, n. i).
Les esprits, après avoir été nourris, sont expulsés sans cérémonie. Le rite se retrouve
aux Anthestéries athéniennes (OûpaÇe ■/-■^pEç, oôxet, 'AvOccruTjpta), dans l'Inde et chez les
Slaves (supra, N. C. II, p. 392), et il n'est pas douteux qu'il remonte à la vieille reli-
gion aryenne (Rohde, tr. fr. p. 196, n. 3 ; Malten, R. E., Suppl. IV, s. v. «Keres»,
p. 892 ; Schrader, dans Hastings, s. v. « Aryan religion », p. 26 b). Pendant les Lemu-
ria l'on tenait fermées les portes des temples (Ovide, Fastes, V, 485), de même que
ceux-ci étaient entourés d'une corde à Athènes aux Antesthéries, sans doute pour
empêcher les morts de les souiller de leur présence en y entrant (Deubner, Attische
Teste, 1932, p. 112).
Les érudits ont été embarrassés par l'existence à Rome d'une double fête générale
des morts, et peut-être n'ont-ils pas clairement aperçu le caractère fondamental qui
les distingue (cf. Warde Fowler, "Che roman festivals of the Republic, 1899, p. 106 ss.).
Les Parentalia, comme les Lemuria, remontent tous deux à la préhistoire, mais dès
rorigiue leur objet et leurs rites les différencient. Les Parentalia sont consacrés aux
Mânes des ancêtres, dont les restes sont ensevelis dans le tombeau : c'est sur le tom-
beau qu'est célébré le repas auquel ils doivent prendre part, et ils y demeurent en
repos, si les oblations qui doivent les rendre propices, leur sont offertes {supra, ch. I,
p- 29). Les Lefnuria au contraire, sont la fête des esprits qui se meuvent dans l'atmo-
sphère, des âmes aériennes qui à certains jours viennent visiter leurs demeures d'autre-
fois. C'est dans cette demeure que sont accomplis les rites qui doivent les apaiser. Ces
cérémonies sont nocturnes, celles des Parentalia, diurnes, et les calendriers indiquent
que les dates des Lemuria sont néfastes ; celles des Parentalia au contraire ne le
sont pas (cf. Bomer, p. 135).
Les indications éparses qui nous sont parvenues sur les Lémures romains ne leur
attribuent pas explicitement ce caractère d'esprits aériens, et il a été obscurci par une
accommodation à la croyance prédominante que les ombres sortent des Inferi, deve-
nus obligatoirement leur séjour, comme l'était en Grèce l'Hadès (Cf. Ovide, Fastes^
Y) 421 • « Inferias tacitis manibus illa dabunt » — Photius s. v. Mtapà -rijiépa. le dernier
jour des Antesthéries âv rv.c, Sov.ouaiv al <|;u)(a'. twv xtAeu'îT.càvxw; àviévat ; cf. Hésych.,
s. V. |xtapa'. •fjjj.épxi.
Mais à considérer l'ensemble des témoignages qui nous sont parvenus sur la fête
correspondante chez d'autres peuples indo-européens, l'on voit clairement que les âmes
qui envahissent à certains jours la maison familiale, sont des esprits vaporeux, qui
398 LUX PERPETUA
volent à travers l'espace, portés par les vents. En Perse la fête des Fravashis, le
Farvardigân, appartient à la plus ancienne religion des Iraniens (Sôderblom, Les Fra-
vashis, Paris, 1899, p. 231 ; Nyberg, Die Religion des Alten Irans, 1942, ch. III).
Or une précieuse notice d'Albirouni (Chronology of nations, trad. Sachau, Londres,
1879, p. 210 ss.) nous donne des précisions significatives sur cette fête. On déposait les
breuvages destinés aux âmes sur les terrasses des maisons, évidemment parce que les
esprits des morts y accédaient en traversant les airs. L'on voit aussi par le Yasht aves-
tique des Fravashis, dont Sôderblom a donné une analyse très poussée, que leur domaine
propre est le « Vayu », l'atmosphère. — Pour la survivance de la coutume païenne
dans la Perse islamique, cf. Massé, I, p. 108 et 112.
Chez les Russes, où l'on invite les âmes dans la maison pour les en chasser ensuite,
tout comme aux Antesthéries (N. C. II, sufra, p. 39 2j, c'est en volant, croit-on, que les
âmes arrivent et s'en vont. Les prières conservées le prouvent : « Heilige Vàter, ihr
seit hier geflogen ... fliegt jetzt zurûck » (Malten, R. E. Suppl. IV, s. v. « Ker »,
p. 894) ; « Kommt, flieget zu uns ... flieget jetzt wieder nach Hause (Schrader-Neh-
ring, /. c, p. 28, §12).
La coutume de préparer des aliments sur la table et de laisser une lampe alloimée
pour les morts le soir de la Toussaint existe encore en pays germanique, notamment
dans le Tyrol (Schrader-Nehring, I, p. 19, § 3), et l'on précise que «die Seelen fahren
imWinde durch die Luft » {Handwôrterbuch des deutschen Aberglaubens, s. v. « AUsee-
len», p. 271, n. 42).
Le folklore celtique a conservé avec une remarquable fidélité la croyance que le
jour des morts, ceux-ci viennent dans leurs anciennes demeures se chauffer au feu
allumé dans l'âtre, et goûter aux mets préparés pour eux, et ces esprits arrivent portés
par les vents (Frazer, Adonis, Attis, Osiris, IP, p. 81 ss.; et Symbolisme, p. .145).
Détail caractéristique, il est souvent spécifié qu'il faut laisser les fenêtres ouvertes,
pour que les âmes puissent entrer et sortir. C'est le cas en Perse, en Gaule, non seule-
ment en Bretagne, mais dans les Vosges (Frazer, op. cit., p. 310), chez les Slaxes {Ibid.
pp. 310, 313). L'indication transmise par Nicolas de Damas que les Celtes ne ferment
jamais leurs portes, s'explique par la même croyance : il faut que les esprits des morts
puissent pénétrer librement dans la maison ; cf. Perdrizet, R.E.A., 1905, VII, p. 30 ss.
Pour des superstitions germaniques analogues, cf. Samter, Die "Coten im Hause dans
les Neue Jahrb. fur das Klass. Altertum, 1908, XXI, p. 78 ss.
Les Lémures étaient donc des âmes qui hantaient les airs dans l'obscurité de la nuit,
et ces visiteurs nocturnes, qui voulaient une fois l'an être admis dans la maison fami-
liale^ n'y étaient pas reçus sans effroi. Ils passaient pour des hôtes dangereux, dont il
fallait subir la présence, mais qu'on congédiait dès qu'on les avait rassasiés. Ces reve-
nants étaient ainsi souvent conçus comme malfaisants, et le nom qui désignait d'abord
les Mânes en général (Ovide, Fastes, V, 483 : « Lémures animas dixere silentum » ;
Schol. Perse, 1. c. : « Lémures dicuntur dii Mânes ») prit de bonne heure une accep-
tion péjorative et devint synonyme de lama ; cf. Nonius, 135, s. v. « Lémures »,
(I, p. 187, Lindsay) : « Lémures larvae nocturnae et terrificationes imaginum (elStiXwv)
et bestiarum». On l'applique en particulier aux âmes errantes et pernicieuses des imma-
turi et des biothanati (Porphyrion, à Horace, É-p. II, 2, 209 : « timbras vagantes homi-
num ante diem mortuorum et ideo metuendas » ; Schol. Acr., Ibid. : « Umbras ter-
ribiles biothanatorum » (Cf. supra, ch. VII, p. 3i9). Cette acception défavorable
de « Lémures » prédominait déjà au temps d'Horace (Ép. II, 2, 209. Cf. Perse, V,
185 ; Apulée, Apol., 64, Augustin, Civ. Dei,lX, 11 ; Martianus Capella, II, 162).
NOTES COMPLÉMENTAIRES (pp. 170 et 178) 399
VI. — VIE HUMAINE ET GESTATION CHEZ SÉNÈQUE.
(Chapitre III, p. 170).
La comparaison de la vie humaine avec la gestation du foetus, et de la mort avec
la naissance, est développée par Sénèque, Efître 102, 23 ss. : « Quemadmodum decem
mensibus tenet nos maternus utérus, et préparât non sibi sed illi loco, in quem videmur
emitti iam idonei spiritum. trahere et in aperto durare, sic per hoc spatium, quod ab
infantia patet in senectutem, in alium maturescimus partum, alia origo nos expectat,
alius rerum status, nondum caelum nisi ex intervallo pati possumus. Proinde intrepi-
dus horam iUam decretiorem prospice. non est animo suprema sed corpori ... excutit
redeuntem natura sicut intrantem ... dies iste quem tanquam extremum reformidas,
aeterni natalis est ». Juste Lipse a déjà rapproché ce pasisiage de ce que Mégasthène
rapportait des Brahmanes selon Strabon fXV, i, 59, p. 712) : nleicToui; S'aûtoii;
sTvai lÔYOUç Tvspî Toi3 ôavocTou • vojjliÇsiv yàp bs tov êv6â8î p(ov coc; Sv à/.[/.'/)V zuo|xÉvtj)v
Eivat, TOV Se Oàvaxov yévEfftv £i<; tov ovxwç ptov xal tôv £i!i8at[j,ova xôv cptXoaoït'fiaatîi,
8iô cri à(i>tvîaei iirXsfarx^ ^^pYJo-Gat irpoç xov Ixoip-oOâvaxov. — Il n'est pas impossible que la
connaissance de ce parallèle hindou soit arrivé jusqu'aux Pythagoriciens, qui l'au-
raient introduit dans la philosophie grecque. Aristoxène de Tarente racontait, d'après
Eusèbe {Prae-p. ev., XI, 3, 8) qu'un Indien s'était entretenu de philosophie avecSocrate
et aurait soutenu que la connaissance des choses divines devait précéder l'étude
de la vie humaine (cf. Philostrate, V. Apoll., III, 18). Cette légende est certaine-
ment apocryphe, mais elle témoigne de la considération dont jouissait la sagesse des
Brahmanes, comme celle des Mages perses et des Chaldéens, aux yeux de ce Pytha-
goricien du iv° siècle, élève d'Aristote (Mages hellénisés, I, pp. 17, 33). Cf. Pausa-
nias, IV, 32, 4 ; et sftpra, p. 4. Il est certain que les découvertes de ces dernières
années tendent à rendre plus vraisemblable l'existence de rapports spirituels entre
l'Inde et le monde méditerranéen. La trouvaille d'un ivoire hindou delà déesse Laksmé
à Pompéï — donc importé avant l'année 79 de notre ère — est venu illustrer d'une
façon curieuse les rapports artistiques établis entre l'Italie et le lointain Orient (Maiuri,
Le Ariî, 1939, I, p. 112 ss.). Au point de vue philosophique, Emile Bréhier a recueilli
les preuves d'une conception correcte de la pensée hindoue chez les Grecs {Philoso-phie
de Plotin, 1928, p. 186 ss., cf. infra, N. C. XVII). Mais d'autre part, une des réflexions
de Marc Aurèle, IX, 3, 4 : 'il^ ^lït^i -n;Epi|j.îvet(; 7c6xe È'jjLSpuov Iy. i^c, yasToôi; \r\<:, Y'^''^'"''-'^';
'OU EçÉlOr), ovixioç èy.Sé^eaOai x-f|v t5ipav sv -^ xo i}/.uj(^âpt6v uou to'J èXuxpou xoûxou êxTCEusixat
(cf. supra, ch. II, p. 118) prouve que la comparaison du décès avec un accouchement
s'est offerte naturellement à l'esprit de plus d'un penseur.
VII. — IMMORTALITE LUNAIRE pT SOLAIRE
(Chapitre III, m, p. 178).
J'ai adopté autrefois l'opinion qu'tme inscription trouvée à Didymes pouvait servir
•^e commentaire au bas-relief de Copenhague cité p. 178 {Afterlife, p. 99), cf. Wie-
gaixd, Ahhandl. Akad. Berlin, iço8, Bericht,Yl,^. 46':
400 LUX PERPETUA (p. 187)
ETàç TipôcOe TU(i.6ou Sspxe x-^v avu(j.«pov
>CÔpT)V AtOyVT^TOlO VT|Tt(tjV Xopouv
TjV Oîjxev "^Sttjç èv /.ûxXotaiv lê8d[j.oi<;.
Le dernier vers indiquerait que Chorô a été placée dans le septième cercle, c'est-à-
dire celui de la lune, qui est la plus basse des sept planètes. Mais W. VoUgraff, Mne-
mosyne, 1922, L, p. 256, a , fait observer que âv nuxXotcv £6S6|jlo;; pouvait être dit
pour Èv ToTç èuxà >cr/:).oiî (cf. p. ex. Eschyle, Sept contre Vhèbes, 125 : iir'jXxii;
ÈoodîJia'.i; pour Éit-ià TtjXaiç), et l'expression poétique signifierait simplement « caelolocavit ».
Quand j'ai écrit la "Chéologie solaire, je croyais que le fondateur de l'héliolatrie
scientifique était, soit Posidonius, soit un théologien du paganisme subissant l'influence
immédiate de ses idées (p. 29 ,[475])) î^ais les études récentes tendent à faire remonter
ce système à une date plus ancienne. Boyancé, Songe de Sci-pion, p. 86 ss., s'attache
à démontrer qu'il était connu de Cléanthe, qui plaçait le i^■^^\J.o'^■.■/.6^ dans le Soleil
{Fr. Stoïc, I, fr. 499 Arnim), et qu'antérieurement à Cléanthe il avait eu pour pré-
curseurs Heraclite et les anciens Pythagoriciens. Mais si certaines idées mises en œuvre
dans cette construction eschatologique sont anciennes en Grèce, il n'en est pas de
même de l'ensemble de la théorie, et de la connexion établie entre les mouvements
alternatifs des planètes et les migrations des âmes.
VIII. — L'EMPYRÉE.
(Chapitre III, p. 187).
Le mot « Empyrée », to è[jt.iT:'jptov, pour désigner l'espace qui s'étend au-delà
de la sphère des étoiles -fixes, n'appartient pas à la vieille religion ou philosophie des
Grecs. Les Néoplatoniciens l'ont emprunté aux Oracles chaldaïques, pour lesquels un feu
suprasensible et ultramondain était la première émanation du Père inconnaissable (cf.
SiUpra, pp. 186 et 363). Ils ont distingué, d'après ces Oracles, le monde è|ji.Ttûpioç, le
monde éthéré (aiOépior;) et le monde matériel (ulaTo?) . Cet Empyrée est peuplé de
Ocot è[j.7tjptoi, qui sont les dieux intelligibles, parfois identifiés avec les Idées de Platon.
Cf. Proclus In Remp., II, p. ^y, 10 ss. Kroll : ^air, xiç av xwv èy. x-^ç ÔTOpopîoi) Geouocpla;
wojjLT)ja.évuv Aa.\ là îrâvxa StafpoujJ-évwv elç è[X.itupiov, a'Oépiov, ôXatov xaî (j.ôvov xo êiJLtpavsi; ôlatov xa-
Ào'jvTOJv, xà ÙTTÈp xov xôff|j.ov cJT£pE(ô|ji.axx xî OT^ffOjj.£v, e'îxe "OX'JjjiiTOV j^pY) y.aXetv, e'îxe éfjnt'iptov x.x.X. Cf.
p. 201, 21 : Tîpwxîaxou Sî Twv y.(vo'j|ji.£vwv ovtoî, xoù S|XTTUp!ou, 8'/)Xov'k'. xo tpwi; ùiûp xà TtOp xexay-
|;.£vov à/.tvTiXÔv ècjxt xa'. w^ ô alO-^p a'jvéyei Toùç uk'xiQ'J^ xdcjxoos v-»'- xov «îôéoa ouxwi; xa'. xo toux; Ttâvta.
Cf. ibid., II, 43, 10 ss. j 144, 28 ss. ; Proclus, De Platonis theologia (Hambourg, 1618),
IX, 39 ; Lydus, De mens., IV, 22 ; Jamblique, De mysteriis, VII, 2 (p. 251, 16 ss.)
— En latin. : August. Civ. Dei, X, 27 (contre Porphyre) : « Tu hoc didicisti non a
Platone, sed a Chaldaeis magistris, ut in aetherias vel empyrias mundi sublimitates et
firmamenta extolleres vitia humana. » Martianus Capella, II, 202 : « Deum non nes-
ciens ab ipsa deorum necessitate secessisse, quoniam extramundanas beatitudines eum
transcendisse oognoverat, empyrio quodam intellectualique mundo gaudentem. »
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 240) 401
IX. — ATABB. EAniS
(Chapitre V, p. 240).
L'hymne homérique de Déméter se termine déjà par la double promesse que les
initiés jouiront d'un sort privilégié dans l'Hadès ténébreux, et .qu'en cette vie ils seront
comblés des biens de la terre (i). De même Socrate (2) rappelle les deux bienfaits
que Déméter, au terme de ses courses errantes, accorda à î'Attique : l'agriculture,
qui élève l'homme au-dessus des animaux, et les mystères, qui inspirent à ceux qui y
participent « les . plus douces espérances pour la fin de leur vie et pour toute la durée
du temps ». Cicéron, qui dans sa jeunesse avait reçu à Eleusis l'initiation (3), parle
presque dans les mêmes ternies de ces mystères qui, en révélant à l'homme un degré
supérieur de culture, lui ont donné, non seulement une raison de vivre dans la joie,
mais aussi l'espoir d'une vie meilleure au moment de sa mort (4). Rohde a conjecturé (5)
que cette annonce d'un destin bienheureux dans une autre vie comme bénéfice suprême
de la participation aux cérémonies secrètes d'Eleusis, devait avoir été faite par l'hiéro-
phante aux époptes, en d'autres termes que les expressions dont se servent Isocrate
et Cicéron sont empruntées au rituel même des mystères, Hemsterhuis avait déjà
exprimé une opinion semblable, que Lobeck (Aglaophamtts, p. 69, note b) repoussa dédai-
gneusement « quasi dicas hoc nostrum gute Hoffnung haben e libris sacris fluxisse ».
Il est certain que l'expression àYaÔYjv èXirtSa lyzvi et d'autres analogues étaient
employées couramment, comme notre « avoir bon espoir », et il serait aisé d'allonger
la liste des exemples qu'en cite Lobeck (6). Mais le fait caractéristique est de trouver à
Eleusis cette formule appliquée à la mort et à la vie future.
(1) Hymne à Déméter, 480 ss. : "OXStoi; oç xàS' ourcoitev S'rci5(^6ov(wv ovGptÛTtwv./ ô'ç S'àTE^Y;?
Upwv, ô'c T'a[JLfiopo(; oô TTo6'ô(jLoîtov / attrav tjzi cp6îi;.£VG(; nep Onô Çôîftp EupG&Evxt. — 487 ; Mey'
(/)i6ioç ô'vttv' ixsîvai irpoeppovÉax; (ffXwviai littj^oovfwv àvGpwicwv — Cf. Sophocle, fragm. 753,
Nauck : ïp!i; oXStoi xeïvot ppottôv / ol xaùra Sspyâéwei; |j-ôXwc' è; "^8ou, toIç 8s y^P [Ji^votç
Èxs'ï Ç-^v Ictt!, Toïi; S'aXXoiai iravT' Iy.z~. xaxa. Cf. Foucart, Mystères d'Eleusis, p. 362 ss.
(2) Isocrate, Panêg., 28 : Ar,|r/|i:poc ...Souar,? SwpEài; ShTotç tou; ts xapiroùi; o'î xoù [xï) DïjptwSwç
vOv •^ij^àç a'ÎTTioi yEytJvacffiv v-nX Ttyi teXef/^v, ifi ol [iôxao^o'vcEç 'irepl te xy]; xou piou xe^euxtiç xal
xoij a'j|j.iTavTOi; alwvoç ■fjSiou? xà<; èXit(8aç Ej^ouatv. Imité par Ailius Aristide, Eleusîn.
I) 421, Dindorf : 'AXXà |at)v tÔ ye xîpSo; xfji; Ttav/jyôpEwç oû^ ocov ■?; uapoijffa EÙ6u[J.£a.., àXXà
v-v. Ttsp! xr^<; teXeux'?]? fjSîou; e^eiv xàç ÈX7c[8a<;.
(3) Kern, R.E., s. v. « Mysterien », col. 1254.
(4) Cicéron, De leg.j II, 14, 36 : « Mihi cum multa eximia divinaque videntur Athenae...
peperisse atque in vitam hominum attulisse, tum nihil melius istis mysteriis, quibus ex agresti
"nmanique (ou animalique ? cf. Isocrate), vita exculti ad humanitatem mitigati sumus, initiaque,
ut appellantur, ita rêvera principia vitae cognovimus, neque solum cum laetitia vivendi rationem
accepimus, sed etiam cum spe meliore moriendi.
(5) Rohde, Psyché, tr. fr. p. 245.
_^\°) Cf. p. ex. Lucien, J^era hist., II, 31 : Toûxou; (Ctésias et Hérodote) ôpwv Èyw ^(^pYjcrxài;
E-yov ta;; iXittoa; (parce qu'il n'a pas menti comme eux). Jamblique, V. Pyth.., XVII, 74 ;
'-ynlle, Contra lulîan., V. p. 163 E, et d'autres passages cités par Wyttenbach, Epistola critica
super nonnuUis locis luliani imperatoris, 1769, p. 32. — Philon d'Alexandrie emploie à plusieurs
cpt'ises des formules comme èXi:;ç ypriQxr, e'n; awxrjpîav, IXnlt; ffwxTjpfaç, èXixtSEç âyaOat,
26
402 LUX PERPETUA
Un argument très convaincant, nous semble-t-il, peut être invoqué à l'appui de la
suggestion de Rohde. Tout à la fin du paganisme Julien l'Apostat, étant étudiant
à Athènes, se fit secrètement initier. Il eut des entretiens avec « le plus divin des
hiérophantes » et il « absorba avidemment sa sagesse » (i). Il n'est pas surprenant
que l'impression profonde que ces révélations durent produire sur son esprit mystique
soit restée ineffaçable, et que le souvenir des paroles entendues à Eleusis lui soit
lorsqu'il écrivait, revenu souvent à l'esprit. L'enseignement des mystères qui, imis dans
la défense suprême d'une religion menacée, étaient alors animés d'un même esprit (2),
se résumait pour le dernier empereur païen dans la perspective d'un bon esjOoîV pour
le grand voyage posthume. C'est la grâce qu'il implore dans l'invocation qui termine
son discours sur la Grande Mère (3), c'est la conviction qu'il exprime en rappelant
que Mithra sera son guide, lorsqu'il devra quitter ce bas monde (4) et, s'adressant à
Théodore, nommé par lui grand prêtre d'Asie, il lui rappelle que s'il exerce pieuse-
ment son sacerdoce, il fera naître beaucoup^ d'allégresse ici-bas et un espoir meilleur
encore pour la vie future (5) — la ressemblance avec les termes dont se sert Cicéron
est frappante.
Si l'origine de cette formule de l'àyaO-^ è^tcîc réservée aux mystes doit être
cherchée dans la langue sacrée d'Eleusis, cet emploi liturgique nous permettra de
mieux saisir la portée d'un passage du Phédon. Dans tout le développement auquel ce
morceau appartient la philosophie est assimilée ou plutôt opposée à une initiation (6) :
le sage qui en cette vie a affranchi son âme de toute sujétion au corps qui la souille,
s'assure la béatitude future que les lustrations des mystères procurent à leurs adeptes.
Ainsi la mort dont Socrate est menacé est pour lui un voyage rempli d'un « bon
sans toutefois qu'il s'agisse du salut dans une autre vie ; cf. l'index de Leisegang, t. VII,
p. 243.
(1) Eunape, Vie des sofh., pp. 476, 16 ; 477, 41, Didot ; cf. Bidez. Vie de l'empereur Julien,
1930, p. 115 ss.
(2) Cf. nos Relig. Or., p. 189 ss.
(3) Julien, Orat., V, fin : AiSou to tou pîûu -reépai; a),uT:dv xz xa: eù3V.[p,oy fjiExà zr\c:
àystO-^i; ôÀirtSoç ty); ÈTt'. xïi Ttap' diaSi; Ttopciaç.
(4) Césars, fin : AéStuxs xov Ttarépa MîOpav ÈTttYvwvat. au o'aùxou iGt'i èvxoXwv è'jç^ou, ireïa-p.5!
v.ïl op[j.ov àfftpaXTÎ Çîôvxt aîaurfp TtapacjzeuiÇwv v,%\ ■i]v'.v.% av èvOévoî aKtsvxt Séyi jjLexà x'?ii;
âyaQïiç èXitiSoç vcEjx'va 6eÔv EÙp.£v7i xaOîaxa; asauxw Une relation intime s'établit à cette
date entre les mystères de Mithra et ceux d'Eleusis ; un Tcarrip xti; Miôptaxf,? TeXEXYJç devint
même hiérophante, et Prétextât était à la fois sacratus Eleusiniis, hierophanta et pater patrnni
de Mithra (CIL VI, 1778-9).
(5) Epist. 89, p. 452 C (= 124, 11 Bidez-Cumont) : S'j 8'el xaXûç aùxo (la grande-prêtrise)
fj.£Ta/£toîffato, TToXX'rjv fxÈv eûcppoff'JvrjV 'îaôi èvxaùGa Ttaoé^wv, èXirESa 8s àyaô*^ v (jisiÇova eîc; xo (xsA-
Xov (la suite prouve qu'il s'agit de la vie future) . — Cf. ibid., p. 298 D (= p. 139, 2) : Eu yàp 'lîOt
[xeyâXaç vipv o\ Seo! \xzzx xr,-v xsXeutyiv èX.7:î8aç, ÈirayysXXovxai. Orat., VII, p. 233 D : Le Soleil
s'adressant à Julien : 'AXX' 'i!6i, èW,, [i.£Tà àyaO-^; ÈXTt(8o; • ■i]\t.t1(; yàp aoi itwzy-joîj awriaôiie^^'
Epist. 136 (= ,p. 196, 23 Bidez-Cumont) : Ceux qui fréquentent les temples ô'ttwi; xàç àyaflài;
è),7rt8aç TTaoà QsCjv 3-êatw(Jotvxo.
(6) La comparaison est habituelle. Les platoniciens mirent en parallèle les actes successifs d^
la purification et de la révélation avec les progrès de la vertu et de l'instruction chez le sage»
l'époptie étant assimilée à la vision la plus haute des choses divines. Cf. Théon de Smyrfi^i
p. 14 Hiller ; Hermias, In Phaedr. 250 B (p. 178, éd. Couvreur) ; Olympiodore, In Phaed-,
165 (p. 121, 3 ss. Norvin) ; Plutarque, De prof, in virt. 10, p. 81 E.
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 240) 403
espoir », comme elle l'est pour quiconque s'y est préparé en purifiant sa pensée» (i).
De même dans la République Platon parle du philosophe q^ui, ayant vécu une vie
pure de toute injustice et impiété, la quittera saintement « avec un bel espoir » (2).
S'il y a, comme il paraît certain, dans ce.s paroles de Platon un souvenir des
promesses éleusiniennes, transportées au trépas du sage, on est en droit de conclure
que dans les mystères le bonheur posthume promis aux initiés était pareillement
regardé comme assuré surtout par les purifications qui leur étaient imposées (3). Ces
iustrations rituelles, en les débarrassant de toute souillure, écartaient d'eux les démons
malfaisants (4), et par là même leur conciliaient la bienveillance des divinités qui
devaient les accueillir dans le royaume des ombres, où ils retrouveraient des défunts,
saints et purs comme eux-mêmes (5). Cette cathartique est l'acte sacramentel essen-
tiel, dont dépend le salut du néophyte. Otto Kern a déjà fait observer que « si
les rites expiatoires occupaient une grande place dans tous les mystères, il en était
ainsi surtout dans ceux d'Eleusis ». (6).
On pourrait trouver un indice de l'origine éleusinienne de la formule qui nous
occupe dans d'autres textes qui associent à l'idée de la mort celle d'un « bon espoir »,
car plus apparaîtra étendue la diffusion de cette expression dans la langue religieuse
du paganisme, plus il sera probable qu'elle y a été introduite par ces antiques
mystères qui fournirent le modèle d'après lequel beaucoup d'autres plus récents furent
constitués ou réformés jusqu'à l'époque romaine (7). Nous pouvons invoquer encore
(1) Phêdon, 67 B : UoXXti è)vT:Î<; àcpixojj.ivtp 01 i^îù uopEuôfjiai, Ixeï Ixavax; Xf/^aanSat xoùxo,
ou E'/exa -f) irpaYti-atsia •fjjj.tv iv xti) TtapsXOôvxt ^icf) yâyovev, âuxe -î) à7ioSi^[j.îa •?) vOv irpoaxaTxoiJiévY)
liETà styaQTÎc; sXttîSoç ytveTxi, xac àXXtJ) avSpi ô'c ■^yeïxai o\ itapeuxeudtoQai xi^v Sidtvoiav tîx;
•-'.s/a9app.£V7)v.
(2) Ré-publ., VI, 496 E : Kaôapôç àSixîaç xe xa; àvoalwv È'oywv xôv xs èvOâSî p'ov ptaxrexat
•/.v. v^v à^xHay^v aùxoîj [;.£xà xaXYJç eXnrtSoc; 'iXeciç xz xa'. eij[/.ev^î aTcalX^^Exai. Cf. Hiéroclès,
commentaire sur les derniers Vers Dorés (70-71) (Mullach, Fr. Phil. Gr. I : Toùxo (l'immortalité
céleste) "reipa; xwv uôvwv xô xâXXtixov xoùto, Jji; DXâxcov cpvjalv, ô [iiya; àywv xa; èXir'ç yj (jieyaXv),
TO'jTO otXoffooîaç TcXEfkaxo? xapTtôç. Cf. Plutarque, De iranquill. animi, fin (p. 477 E) : Ilpoç
xô XoOT'jv "Xewv x/iV èXit'Sa xa; cpaiSpàv I'vovxeç.
(3) Sur ces Iustrations, cf. Foucart, op. cit., p. 57 ss. Elles sont figurées sur plusieurs bas-
reliefs ; cf. Roussel B.C.H., 1930, LIV, p. 57 ss. et pi. II. Il ressort de ces représentations
que le myste était purifié par l'eau (hydrie), par l'air (van) et par le feu (torches) exactement
comme dans les mystères de Bacchus (c£. Symbol., p. 135 ss. et supra, p. 211, fig. 3). Les
petits mystères sont Tcpoxâôapuit; xat irpoâyveuaiç xwv p,eyàXwv. Schol. Aristoph., Plutus, 846 ; cf.
Roussel, /. c. [supra, p. 239J note 3], p. 65.
(4) Cf. Philostrate, V. A., IV 18 : L'hiérophante refuse d'initier Apollonius parce qu'il
est un magicien et que, comme tel, il n'est pas xaOapcx; xà 8aipi.6vta, la magie faisant appel aux
démons malfaisants.
_ (5) Plutarque, De anima, fr. VI, S (p. 725) : DEpuwv èuxscpavwfjevoî ôpytdcÇEt xac aûvsaxiv
ooiot; xa; xaôxpoïç àvSpctcrt. Cf. Symbolisme, p. 475, n. 2. Les initiés sont par excellence
« les purs » dans ce monde et dans l'autre, cf. Rohde, Psyché, tr. fr., p. 237 ,n. 2.
(6) Kern, R. E., s. v. « Mysterien », col. 1248, 38.
.(7) En Argolide, notamment à Phliunte (Pausan., II, 14, 1) et surtout en Arcadie, de
vieilles divinités de la Terre furent assimilées à Déméter et leur culte rapproché des mystères
Eleusis (cf. Kern, /. c, col. 1269 ss.) ; mais pour ne pas remonter au-delà de l'époque
a exandrine, nous rappellerons seulement l'intervention de l'Eumolpide Timothée dans la
■reforme du culte de Cybèle {Relig. orient, p. 223, n. 16, 17) et dans la fondation de celui
404 LUX PERPETUA
d'autres exemples de l'emploi de cette locution : Firmicus Maternus décrit une scène
empruntée à des mystères, sans préciser lesquels (i) : après des lamentations nocturnes
autour de la statue du dieu couchée sur une litière la lumière est apportée et le
prêtre murmure : Sappetts fiûcTat toï5 Oeoù aEatoffjjiÉvou./l'ffTat y^p û[xTv h. irôvtov aiOTT^o'a.
Cette formule liturgique paraît bien s'être inspirée des Vers Dorés pythagoriciens
(63 ss.) : 'AXXà (î'j Oiouci i-Kil Oïïov yévoi; èffxt PpoxoTfffv... (j/u^-^v 3î tcôvwv aTto twvSs ffaiôast-.
(Sur le TTÔvoç, cf. Symbol., pp. 422, 425 ss.). Firmicus Maternus (C. 24) la commente en
ces termes : « Sacerdos... liberato deo suo bonam animam gerere socios fiduciam bojiae
spei habere persuadet. » D'où l'on peut inférer que la bona spes équivaut pour lui au
salut.
Porphyre enseigne dans son épitre à Marcella (2) que ce salut n'est obtenu que par
la conversion à Dieu. Celui qui s'est épris d'amour pour Lui, doit nourrir son âme
toute sa vie de « bons espoirs»; car c'est par eux que les hommes de bien l'emportent
sur les méchants. Ces « bons espoirs » qui durent jusqu'à la fin de notre existence
terrestre sont nécessairement ceux du bonheur dans l'au-delà.
Une curieuse épitaphe trouvée à Carnuntum (Dessau, 9093, cf. Symbol., p. 163)
est gravée « coniugi incomparabili, quae dum explesset fati sui laborem, meliora
sibi sferans, vitam functa est ». Nous y trouvons la même opposition que plus haut
entre le tcôvo; ou labor et le « meilleur espoir » (3). L'auteur de l'inscription était
probablement affilié aux mystères de Mithra : il parle en effet plus loin d'un
enfant que « dii nefandi vita privaverunt », expression qui trahit l'influence du dua-
lisme iranien (4).
L'sX-:; àyaSiri a pénétré jusque dans le judaïsme. Une épitaphe de Tell-el-Jahou-
dieh, en Egypte (5), est celle dune morte dont son destin a abrégé les jours, mais
qui nourrit un « bon espoir » de la miséricorde divine.
Les exemples cités prouvent à l'évidence que si râyaOï) sXit(<; peut s'appliquer aux
contingences de cette terre, elle est par excellence celle du bonheur dans l'autre vie.
Dans le même ordre d'idées, je citerai encore deux textes où la même espérance est
exprimée, mais où l'épithète qui lui est adjointe n'est pas àyaôVi ou y-aX-rî, Une épi-
de Sérapis (Jbid., p. 232, n. 4 ; supra,ch. V, p. 260). Dans la communauté bachique de Terre Nova
les titres de hiérophante et de dadouque, et peut-être celui Tcupcpôpoî, sont emjpruntés à la hié-
rarchie d'Eleusis {ci. A.]. Arch. 1933, XXXVII, p. 239 ss.).— Influence éleusienne dans la rédac-
tion des Hymnes orphiques, composés vers l'an 200 de notre ère en Asie Mineure (sMpra, p. 247;
cf. R.E., s. v. « Mysterien », col. 1251, 24 ss., et « Orphische Dichtung », col. 1330, 51 ss.).
Lorsque le faux prophète Alexandre d'Abonotichos institua le mystère de Glykon, il imita la
proclamation [■Kp6ppr,(j<.!;) de l'hiérophante dans la Stoa Poikilé et d'autres cérémonies
d'Eleusis (Lucien, Pseudomantis, 38).
(1) Firmicus, De err. prof. rel. 22. On a rapporté cette formule à la veillée nocturne {fM-
nychis) du culte d'Attis, ou à celui d'Adonis (cf., p. ex. Dieterich, Mithras Liturgie 2, p. 217) 1
Loisy penche pour Osiris {op. cit. [p. 236] p, 102).
(2) Porph., Epist. ad Marc, 24 : Môvr) (jwtTipfa f] Trpo; xov 9eov È.7cicn;potp-/, èpasôévra
S"î £)v7rt'atv àyaÔaTç" Tpécpeiv xT|V "I^/^tiv Sià toO ^fou ' èXirt(Tcv yàp àyaGaïc o\ àyaGoi tûv tpa'i/wv
ÔTCEpïyovTai.
(3) « Spes melior », cf. supra, Cicéron, pp. 240, 242 et 401, note 4.
(4) Cf. Relig. orient., p. 278, n. S, et Hésychius : Ae-jaç (les dévas) xaxoùç ôeoùi; p.*Y°'
Cf. Roscher s. v. « Dis pater » col. 1188, 22, appelé Vedius, « id est malus deus ».
(5) Edgar, Ann. du service des antiquités d'Egypte, 1922, XXII, p. 7 ss. : 'OXJyov Ç'»i5!"
ypi^vov X£xpt(j.évov, àXÀi èXéou; èXuîSa àyaOT|V irpoaSîj^o^ai.
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 244) 405
taphe, trouvée à Lyon, (i), est consacrée « Bonae memoria et spei aeternae spiri-
tuique incomparabili ». Parlant de l'apparition des esprits des morts, Jamblique (2)
assure que si ces spectres sont purs et appartiennent à l'ordre des anges, leur vue élève
l'âme et la sauve. Cette épiphanie se produit « pour une espérance sacrée », et elle
amène les biens auxquels aspire cette espérance ; les esprits impurs au contraire
détruisent les fruits de cet espoir et, abaissant l'âme, clouent ceux qui les aperçoivent
à leur corps.
Pour finir, mentionnons encore cette épitaphe chrétienne où l'espérance apparaît dans
une formule qui dérive de celles qu'employait déjà le paganisme (CE. 2099, Aqui-
taine) : « Dulcis vita fuit tecum, comes anxia lucem / aeternam sperans, nanc cupit
esse brevem. »
X. — CONVENTICULES ORPHIQUES.
(Chapitre V, p. 244).
L'existence même de ces conventiçules a été niée par certains érudits, en particulier
par M. Boulanger, dans un article d'ailleurs très digne de considération (supra p. 244,
n. i). La secte orphique, selon lui, aurait été formée « non de petites communautés,
mais d'ascètes isolés. L'orphisme est une religion livresque qui procure le salut de
l'âme par la pratique de l'ascétisme individuel ». Cf. dans le même sens Boyancé
R. E. A. 1938, XL, p. 167. Mais cette opinion nous paraît être contredite implicite-
ment par le plus ancien texte qui mentionne les orphiques, celui d'Hérodote, 11, 81,
où parlant de l'interdiction d'ensevelir les morts dans des vêtements de laine, il affirme
que l'usage orphique et bachique est en réalité égyptien et pythagoricien. De même
suivant Diodore (i, 92, 3), dont la source est Hécatée d'Abdère, Orphée aurait imité
les usages funéraires des Égyptiens. Il ressort au moins de ceci que les Orphiques
avaient des coutumes funéraires spéciales, analogues aux cérémonies compliquées pra-
tiquées lors du décès et de l'inhumation par les Pjrthagoriciens, qui les croyaient
nécessaires au salut de l'âme {Symbol., p. 167, n. 2; cf. C. R. Acad. Inscr., 1943,
P- 114 ss.). Conune le niort ne pouvait évidemment présider lui-même à ^es propres
funérailles, il faut que ces rites orphiques aient été accomplis par les survivants de la
même observance, ce qui suppose l'existence d'associations cultuelles soucieuses de
réserver à leurs membres un enterrement religieux. Elles avaient même vraisemblable-
ment des cimetières particuliers, comme les sectateurs de Bacchus ; cf. l'inscription de
(1) CIL. XIII, 1916 ; c£. Hirschfeld, , Kleitte Schriften, p. 173, n. 4. L'inscription a été
déclarée chrétienne à tort, mais peut-être faut-il y reconnaître une influence chrétienne.
(2) Jamblique, De mysterits, II, 6 (p. 83 Parthey) : 'H twv ^'JJC'^v Géa xwv fAïv ày^pâvccov
'-a'. Ev âyyi'Xujv xà^et ISpufjisvajv àvaYwydç èffxi xat 'l'^Yf? aojxr'ptoç èir' âXTrtot 8è lep^ Èv.cpaiveTa!,
J'*- W Tj ïhz.i; lepà àvxnrotîÏTat àyaôûv xouxwv uapéysi xy.v Sdffiv, t) Ss xwv exéptov xaTaYcoyôc
^^'- rr|V ylvETiv uixxp-^ei, cp8s(pti 8î tooî xïjc; èX'n:(Soi; xàp-ïïo'ji; xai TtaôtÔv TtX'f|po'î upoaY)Xo'jvTWv xobi;
4o6 LUX PERPETUA (p. 248)
Ctimes (v^ siècle), su-pra p. 252, fig. 6 ; Où 6s|xt; èvroOGa xeTcOat, []ù. (= d jx*^) t6v peêaxyeuuivov
{Relig. orient, p. 197, fig. 12, et en général sur les Confréries d'ôfji'ÎTacfot, W. VoU.
graff, L'inhumation en terre sacrée (Mém. sav. étrang., Acad. Inscr. 1946 ; cf,
Wilamowitz, Studi ital. di filologia class., 1929, VIII, p. 89SS. — Découverte présumée
d'un cimetière pythagoricien d'une centaine de tombes à Tarente, cf. "Wuilleumier
Viarente, 1939, p. 548.
XI. — LAMELLES ORPHIQUES OU PYTHAGORICIENNES.
(Chapitre V, p. 248)
L'origine orphique de ces lamelles d'or trouvées en Italie et en Crète, généralement
admise jusque-là, a été contestée par Wilamowitz, Glaube der Hellenen, II, p. 202 ss.;
et H. W. Thomas, 'E-reÉxEiva (Dissert, de Munich), 1938, a soutenu avec force que
les auteurs de ces tablettes, qui les avaient déposées dans les tombeaux, étaient les
membres d'une communauté pythagoricienne, cf. Bidez, Eôs, p. 158, n. i. De même
Boulanger, o-p. cit. [swpra p.244, n. i], p. 71, regarde comme difficilement conciliable avec
ce qu'on sait de l'orphisme la doctrine de l'au-delà que révèlent ces fragments d'un
« Livre des morts ». D'autre part l'argumentation de Thomas n'a pas réussi à con-
vaincre Boyancé R.E.A., 1942, XLIV, p. 211. La question a été reprise tout récemment
(1942) par Ziegler {R.É., l. c. [p. 249] col. 1386 ss.) qui, considérant qu'il est
vain de vouloir distinguer l'orphisme ancien du pythagorisme ancien, regarde ces
lamelles et la communauté des xaôapoî de Thurium comme orphico-pythagoricienne,
Cette opinion paraît être la plus vraisemblable. C'est tout ce qu'on peut affirmer, étant
donné la grande pénurie de documents authentiques dont nous pouvons disposer sur
les rapports de l'orphisme et du pythagorisme dans la Grande Grèce en général.
Cf. Gianelli, Culti e miti délia Magna Grecia, Florence, 1924, p. 230 ss. ; E. Ciaceri,
Storia délia Magna Grecia, II, 1927, p. 135 ss. Sur les circonstances de la découverte
des lamelles de Thurium, rapprochées de 1' « obole de Charon », cf. Margherita
Guarducci, Rendiconti Accad. -pont, romana d'archeol, 1939, XV, p. 87 ss. — La plupart
des lamelles d'or sont de l'époque hellénistique, mais l'une d'elles paraît avoir été
trouvée à Rome vers l'année 1899 dans une des tombes de la route d'Ostie et dater
du ii« siècle de notre ère. Elle commence, comme celles de Thurium, par les mots :
'Ex xaOxpwv xaGapà, et on lit à la dernière ligne le nom romain KaixtXîa XcxouvSstv»;
cf. Harrisson, Prolegomena to Greek religion, Cambridge, 1903, p. 673 ss. ; et M. Guar-
ducci, l. c.
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 260) AOl
XII. — MYSTÈRES DANS LES RELIGIONS ORIENTALES.
(Chapitre V, p. 260).
Il est souvent difficile de préciser quand furent institués dans les cultes du
Levant les mystères, tels que nous les trouvons organisés à l'époque romaine.
Nous ajoutons ici quelques indications à celles qui sont réunies dans nos Religions
Orientales.
1° Cultes d'Asie Mineure. — Cf. Relig. orient, p. 223, n. 17. — Un pcrTv^ptov d'Attis
à Sardes, cf. Buckler et Robinson, Sardis, t. VII, n° 17. — Mystères célébrés àPana-
mara : Roussel, B.C.H., 1927, LI, p. 123 ss. — Les initiations au culte de la Magna
Mater avaient lieu à Rome, le 28 mars, après les grandes fêtes de l'équinoxe ; Cf.
Graillot, Cybèle, p. 175 ss.
2° Culte d'Isis et de Sérapis. — L'ancienne religion égyptienne connaît déjà des
mystères d'Osiris à Abydos. Cf. Relig. or., p. 243, n. 98 ; Moret, Mystères égyp-
tiens, 2^ éd., 1927; supra ch. V, p. 262. Dans les Mélanges Capart {Annuaire Institut
d'Histoire Orientale III), Bruxelles, 1935, p. 316 ss., Moret a montré comment les
anciens cultes agraires, avec leurs rites « naturels », ont évolué vers une religion
morale de salut. Les « mystères » romains d'Isis et de Sérapis se rattachent proba-
blement à l'ancien ésotérisme égyptien, mais on n'a pas de preuve directe de leur
existence avant la période impériale ; cf. Relig. or. p. 232, n. 4. A l'époque hellénistique
le mot jj-oîT-r^ptov n'apparaît pas, que nous sachions, dans les documents du culte
isiaque ; cf. Roussel, R.E.G., 1929, XLII, p. 163 ss.; Brandy, Xlhe réception of the
Egyptian cuits hy the Greeks, 330-30 B. C. (Univ. of Missouri Studies, X), Columbia,
1935. Les hymnes à Isis, découverts par Vogliano à Mâdinet-Mâdi dans le Fayoum,
et qui datent de la fin de l'époque ptolémaïque, invoquent Isis comme la dispensatrice
des biens de cette terre, mais non comme la donatrice d'une félicité d'outre-tombe (Vo-
gliano, Primo rapporto degli scavi di Mâdinet-Mâdi (Pubblicazioni dell'Università di
Milano), Milan, 1936 ; cf. R.A., 1936, VIII, p. 236.
3° Mystères Syriens. — Les premiers qui se répandirent dans le monde grec furent ceux
d'Adonis {Rel. orient., p. 25g, n. 63 ; et Syria,i()\i, XXII, P.292SS.) ; et l'on pensait
que le mort pouvait participer dans l'autre vie aux jeux du jeune dieu (CE., 1109,
vers 22). — Des inscriptions importantes découvertes à Thouria en Messénie (Valmin,
Bull. Société des Sciences de Lund, 1929, p. 24 ss.) mentionnent dès le 11^ ou, au
plus tard, le i<='' siècle av. J.-C. des (i.'ja--rio!z de la déesse syrienne. Il se peut qu'ils
aient subi l'influence des mvstères d'Andanie réformés au i^r siècle ; cf. Real-lex.
f. Ant. tind Christ., p. 859, n. i. — Le « petit temple » de Baalbek, dit temple
de Bacchus, aurait servi aux initiations d'après Seyrig, Syria, 1929, X, p. 354 ss. —
Les mystères d'Aphrodite à Paphos sont en réalité ceux d'un culte sémitique, cf. Kern,
R- B., s. V. « Mysterien », col. 1274. — Sur les mystères des théurges néoplatoni-
ciens de Syrie, cf. supra, ch. VIII, Jamblique, p. 372 ss.
4° Mystères de Mithra. — Nous avons essayé en 1899 de montrer comment ils
s'étaient constitués (M. M. M., I, p. 239), mais des recherches postérieures ont permis
de préciser la part importante qu'eut dans leur formation l'influence grecque,; cf.
M.ages hellénisés, I, p. 92 ss.; p. 98 ; II, p. 142 ss. Le symbolisme enseigné dans les
spelaea romains remonte au temps des Mithradate du Pont. Cf. C.-R. Acad. Inscr.,
^945) V- 418 ss.
408 LUX PERPETUA (pp. 191 et 197)
XIII. — DISTINCTION. ENTRE L'AME ET L'OMBRE.
(Chapitre IV, p. 191).
Nous avons cru autrefois {R. PH., 1920, XLIV, p. 238), que cette « polypsychie »
avait été imaginée par les Pythagoriciens d'Alexandrie à limitation de la religion
égyptienne, qui connaît plusieurs espèces d'âmes, dont l'une, le kâ, a longtemps été
interprétée comme étant « le double » du défunt, opinion qui, abandonnée, a été
reprise et appuyée d'arguments nouveaux par }A^ Weynants-Ronday (Les statues
vivantes, Bruxelles, 1926). Mais les vers de l'Odyssée qui impliquent la distinction
entre l'âme et Veidôlon aoivent avoir été interpolés avant l'époque hellénistique, puis-
qu'ils sont déjà condamnés par Aristarque. Il semble donc que leur insertion dans la
Nékyia homérique est l'œuvre d'un Pythagoricien plus ancien, c'est-à-dire d'une
période où une influence égyptienne paraît devoir être exclue. L'idée d'une coexis-
tence dans l'homme de plusieurs âmes ayant des fonctions différentes appartient d'ail-
leurs à la religion primitive de la Grèce, comme à celle de beaucoup d'autres peuples;
cf. Nilsson, Griech. Relig., I, 179 ss. ; Élie Reclus, La survie des ombres, 1908,
p. 298 ss. , , , i '
XrV. — LE SAMSARA HINDOU ET LA MÉTEMPSYCOSE.
(Chapitre IV, p. 197).
Sur le développement de la doctrine du samsara, cf. Eric de Henseler, L'âme et
le dogme de la transmigration dans les livres sacrés de l'Inde ancienne, 19; Hastings,
Enc, s. V. « Transmigration (Indian) », p. 431. Cette doctrine est déjà formulée
dans les anciens Upanishads, qu'on date du viii^ au vi» siècle. L'hypothèse d'une origine
hindoue de la métempsycose grecque est ancienne (cf. par ex. Sôderblom, La vie
future selon le m.azdéisme, p. 58, n. 2). Elle a été soutenue en particulier par L. von
Schrôder [Pythagoras und die Inder, 1884), dont Furtwângler (Die Antihen Gemmen,
III, p. 262 ss.) adopte les conclusions. Gomperz, repoussant l'opinion d'une création
purement hellénique ou d'un emprunt à la Thrace, conclut dans le même sens (Pen-
seurs de la Grèce, tr. fr. I, p. 138 ss.) — Il est certain que les Grecs, à une date
qui reste à déterminer, ont connu la métempsycose hindoue et l'ont considérée comme
la source de la leur propre. Cf. Philostrate, V. Apoll. III, 19 : Les Indiens l'au-
raient révélée aux Égyptiens, et Pythagore aux Grecs ; VIII, 7, 15 : « Les Brahmanes
ont enseigné la métempsycose et le végétarisme aux gymnosophistes égyptiens, dont
Pythagore fut l'élève ».
On peut faire valoir en faveur d'une origine orientale de la doctrine de la métempsy-
cose deux arguments assez convaincants : l'un est qu'elle est toujours restée un dogme pour
de nombreuses sectes nées en Mésopotamie et en Syrie. Mystères deMithra : M.M.M.,1)
p. 40. — Sectes gnostiques : Basilide, Karpokrate, Pistis Sophia, etc. — Manichéisme ••
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 230) 409
Flûgel, Mani, p. 349. — Alaouites et Druaes du Liban : R. Dussaud, Les Nosaî-
rîs, 19) P- ^21 ; Silvestre de Sacy, Religion des Druzes, 1838, p. 1159. Faut-il croire
que ce dogme a été emprunté par tous ces cultes au pythagorisme ? Il paraît bien
plus probable que l'idée de la transmigration s'est |)ropagée de l'Inde en Babylonie et
en Syrie, qui furent, durant toute l'antiquité, en relation avec ce pays. Le second motif
qui peut être invoqué est que la métempsycose, dans la tradition grecque, est étroi-
tement liée à la foi en l'immortalité céleste (déjà chez Platon, Ornée, 900, ss.). Or celle-
ci est, selon toute probabilité, d'origine chaldéo-persique [supra, p. 143), il est vrai-
semblable que la première s'est propagée avec la seconde de l'Asie dans le monde
hellénique et qu'elles ont été admises ensemble par les Pythagoriciens. — La trans-
migration nous offrirait donc une preuve de l'influence de la pensée hindoue sur la
philosophie grecque, influence dont nous avons indiqué la possibilité pour un passage
de Sénèque (supra, p. 399, N.C. VI) et que nous retrouverons chez Plotin {infra, N.C.
XVII, p. 41a).
XV. — LE COQ ET LES DEMONS.
(Chapitre IV, p. 230).
Le coq était pour les mazdéens un animal sacré; et si l'on cherche quelles croyances
ont inspiré la vénération qu'ils avaient pour lui, on verra que les livres saints du zoroas-
trisme le célèbrent à un double titre. Il est le volatile bienfaisant qui arrache les
hommes à l'indolence paresseuse et à la torpeur du sommeil, et qui les appelle à la
prière matinale et au travail. Il est aussi l'oiseau apotropaïque dont le chant, annon-
ciateur du jour qui va poindre, met en fuite les démons qui hantent la surface de la
terre durant l'obscurité de la nuit et les fait redescendre dans les abîmes infernaux
(Cf. surtout Vendidad, Farg. XVIII, 15, t. II, p. 245 Darmesteter ; et t. III, p. 12 ;
Yasht VI, I ss., t. II, p. 104 Darmesteter ; et t. II, p. 314 ; Gray dans Hastings Enc,
s. V. « Cock » ; Nyberg, Relig. des alten Iran, 1932, p. 65 ss.).
Nous avons montré ailleurs qu'au vi^ siècle, quand l'oiseau persique (opvtç TtEpaixôi;)
fut acclimaté en Grèce, les idées religieuses qui s'attachaient à lui s'y propagèrent en
même temps que lui-même {Le coq blanc des mazdéens et les pythagoriciens dans
C.-R. Acad. Inscript. 1942, pp. 284-300). Elles devaient avoir en Occident une vie
durable. Les deux thèmes parallèles développés dans l'Avesta et les livres pehlvis,
celui du coq adversaire des esprits malins qui vaguent la nuit sur la terre, et du coq
héraut de l'aurore, quî ranime l'activité des dormeurs et les convie à la prière, sont
encore traités par les écrivains chrétiens du iv^ siècle, et sont rappelés notamment dans
les hymnes qui devaient se chanter à l'aube (Cf. G. Van der Leeuw, Gallicinium,
dans les Mededeelingen de l'Académie d'Amsterdam, Nouv. série, IV, np 19, 1941 ;
■O'ri. d'Archéol. chr., s. v. «Gallicinium»). On retrouve ces croyances d'origine maz-
déenne dans l'hymne célèbre Aeterne rerum conditor de saint Ambroise (PL. XVI,
hymne i) : « Praeco diei iam sonat noctis profundae pervigil ...hoc excitatus Lucifer
solvit polum caligine, hoc omnis erronum chorus vias mundi deserit ». (Cf. Ambroise,
Hexaemeron, V, 24, 88); et elles sont exposées avec une clarté parfaite dans l'hymne
410 LUX PERPETUA
ad Gallicînium du Cathemerinon de Prudence (I, i vers 37 ss. : « Ferunt vagantes
daemonas / laetos tenebris noctium / gallo canente exterritos / sparsim timere ac
cedere : / invisa namque vicinitas / lucis, salutis, numinis, / rupto tenebrarum situ, /
noctis fugat satellites ». Cette même croyance apparaît encore dans une hymne attri-
buée à saint Grégoire le Grand (Blume, Unsere liturgische Lieder, 1932, p. 90 (cité
par Van der Leeuw) : Aufer tenebras mentium, / fuga catervas daemonum, / expelle
somnolentiam, etc..
Les Constit. afostol. VIII, 34, imposent de prier à râXsx.xpuotpwvJa £i<; Èpyaalav twv toO
(owxoç Ëpvwv (Van der Leeuw, p. 10). La "Crad: arpost. d'Hippolyte, §21 (éd. Botte, Sour-
ces chrét. 1946, p. 21), spécifie que le baptême doit être donné hora gallicinii {d'aprh
Vest. Dni et Can. d'Hipfol.). Cette heure matinale pourrait avoir été choisie parce que
le chant du coq contribuait à l'efficacité des exorcismes et assurait l'effet de la renon-
ciation à Satan. Sur ce texte et son appartenance à Hippolyte, cf., Schwartz dans Schr.
der wîssensch. Gesellsch. in Strasburg, 6, 1910 ; et surtout ConnoUy, dans Zlexts and
Studies, VIII, 4, Cambridge, 1916.
Si nous recherchons des témoignages antérieurs au christianisme, il apparaîtra que
déjà les Pythagoriciens crurent au pouvoir de la voix du coq pour chasser les démons
et les revenants. Philostrate rapporte qu'Apollonius de Tyane évoqua l'ombre d'Achille
pour l'interroger ; mais quand les coqs se firent entendre, elle disparut en lançant un
faible éclair {V. ApolL, IV, 16 : TaOt' e'tcwv. . iTt-îiXOE crùv àarpaïf?! iJ^expia, za:
yàp 8yi xa: à)vEy.Tp'ovEî rJS'o ipSYJî r^^zov) . H était impossible à un fantôme de
demeurer sur la terre au-delà du chant matinal ; et les ombres ne pouvaient sortir des
Enfers qu'après la chute du jour (Properce, IV, 7, 89 : « Nox clausas libérât umbras ; /
errât et abiecta Cerberus ipse sera »). L'idée que les spectres ne supportent pas la
lumière du soleil est fréquemment exprimée ; cf. Énée de Gaza, Zlhéofhraste, p. 20,
p. 60, éd. Boissonnade ; Hopfner, Offenbarungszauber, I, p. 225, § 825 ; II, § 459.
Lucien {Philofseudès, 14) met en scène un magicien qui évoque l'ombre de Chrysès,
aimée par Glaukias et qui reste avec lui jusqu'à ce que les coqs se fassent entendre ;
à ce moment tous les fantômes s'évanouissent. Her2ig, Lukîan als Quelle fur die antike
Zauberei (Diss. Tûbingen, 1940), p. 48, a montré que Lucien dépend dans ce récit
d'une tradition bien antérieure à lui, et remontant peut-être jusqu'à Héraclide Pontique,
qui serait un des propagateurs de la doctrine iranienne. [Cf. Gn. 32 2^-^^].
En Occident la foi en la puissance du coq pour mettre en fuite les esprits des ténè-
bres était encore vivante au temps de l'évêque Burchard de Worms (f 1025), qui con-
damne cette superstition (Burchard, 19, PL. CXL, col. 971) : « Credidisti quod qui-
dam credere soient } Dum necesse habent, ante lucem aliorsum exire non audent, dicen-
tes quod periculosum sit, eo quod immundi spiritus ante gallicinium plus ad nocen-
dum potes tatis habent quam post, et gallus suo cantu plus valeat eos repellere et
sedare, quam illa divina mens, quae est in homine sua fide et crucis signaculo ». Cette
croyance superstitieuse s'est transmise jusqu'à Shakespeare, qui l'a mise en œuvre dans
la première scène d'Hamlet. En affirmant le pouvoir de la « trompette du matin »,
qui chasse les esprits errants à travers le monde, le grand dramaturge empêchera que
la vieille tradition mazdéenne s'éteigne jamais dans le souvenir des hommes {Hain-
let, I, i, V. 150 ss.). Le spectre d'Elseneur « faded on the crowing of the cock — The
oock, who is the trumpet of morn, / doth with his lofty and shriU sounding threat /
awake the god of day, and at his warningj, / w-ether in sea or fire, in earth or air /
the extravagant and erring spirit hies / to his confine ». Marcellus rappelle ensuite
qu'à la Noël le coq chante tout le long de la nuit et qu'alors aucun esprit n'ose se
montrer, aucune fée n'a de pouvoir. Il ne semble pas que les commentateurs aient réussi
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 230) 411
à retrouver la source dont dépend Shakespeare. Peut-être est-ce par une tradition orale
qu'il a connu ces légendes populaires.
La même croyance au pouvoir apotropaïque du coq s'est transmise aux Byzantins
comme le prouve une énigme de Basile Mégalomitès (Boissonade, Anecdota graeca, III,
p. 445 : Aûxoî) owv^o-avToç Ttàç 8a([i.'i)v cfeôyei. Un exorcisme tardif, attribué à Héliodore
(CCAG, III, p. 53), révèle qu'il faut appeler la nuit dans un carrefour les démons
dont les noms ont été inscrits sur le front d'un crâne. Au chant du coq, on empor-
tera le crâne chez soi et on le tiendra caché (ô'tav ap^wvxai xpâîlsw ol àXéxxops;, atteXâs y,'/'.
},a6î To jipâviov) ; mais la nuit, quand l'opérateur le voudra, il pourra réinterroger les
démons.
La conviction que les coqs chassent les esprits des ténèbres appartient encore de
nos jours au folklore de beaucoup de peuples. Elle s'est conservée notamment en Grèce.
Une croyance très répandue veut que les Callicoutzani, démons monstrueux qui vivent
dans le monde souterrain, apparaissent à la surface de la terre entre la Noël et l'Epi-
phanie. De l'aurore au crépuscule ils se dissimulent dans d'obscures cachettes et se
nourrissent d'animaux immondes (les créatures d'Ahriman selon le mazdéisme). La
nuit, ils se ruent, sauvagement à travers les campagnes qu'ils ravagent, molestent les
passants et pénètrent dans les maisons pour les dévaster. Mais au troisième chant du
ooq, surtout si celui-ci est noir, ils disparaissent et se réfugient dans leurs sombres
repaires (Lawson, p. 190 ss. Cf. aussi Grappe, Grîech. Mythologie, p. 795, n. 5 citant
Politis, Mel. I, jy ; Gray dans Hastings Enc, s. v. « Cock », p. 6g6). En Bulgarie,
pour tenir les spectres errants éloignés de leurs demeures, les paysans peignent avec
de la poix des croix à l'extérieur de leur porte, tandis qu'à l'intérieur ils y suspendent
un écheveau de fils emmêlés. L'esprit ne peut entrer qu'après les avoir comptés, mais
avant qu'il y soit parvenu, le coq chante, et le revenant doit regagner sa tombe (Fra-
zer. Golden Bough^, t. IX; Vhe Scafe goat, p. 153, n. i, citant Strauss, Die Bulgaren,
Leipzig 1898, p. 454). De nombreux témoignages attestent que dans divers pays d'Al-
lemagne l'on est persuadé que tous les diables, spectres et sorcières s'enfuient au pre-
mier chant du coq, qui est regardé comme un animal bienfaisant {Handwôrterbuch des
deutschen Aberglaubens, t. III, p. 1340 ss. s. v. « Hahnen krâhen»). On pourrait multi-
plier les citations. Des croyances analogues ont été signalées chez les Lituaniens (Gray,
l-c. p. 695), les Arméniens (Manuk Abeghian, Die Armenische Volksglaube, 1899, p- 27),
les Arabes, qui probablement ont pris cette idée aux Perses (Wellhausen, Reste Arabischen
Heidenfutns^,i8gj,ip. i5i),ietmême, en dehors des peuples indo-européens, chez les Chinois
[P.C.]. — [Et jusque chez les Coréens. Cf. C. Haguenauer, Le Ki-Kouei de Yi-'Csing et le Kye-
Rim de l'histoire (dans Mélanges offerts au prof. Kano, de l'Université de Kyoto), p. 16:
« La Corée antique adorait non seulement les astres, mais aussi les hautes montagnes
dont la cime se perd dans les nuées. L'existence de pareils cultes amène naturellement
à se demander si le coq blanc de la légende — l'épithète prend ici toute sa valeur —
n'est pas en relation avec l'astre solaire ». C'est là une autre idée, mais qui pourrait
venir de la même source, puisque si le coq en général a été l'oiseau de Sin et deMèn,
dieux lunaires, l'un de Babylone et l'autre d'Anatolie, le coq blanc appartient à Ahou-
ra-Mazda, dieu de lumière, et à Mithra, dieu solaire, le second adoré dans des antres
(Porphyre, Antr. Nym-ph., 5), le premier, sans statue, autel ni temple, sur les plus hautes
cimes (Hérodote, I, 131). Et nous rejoignons ici, avec l'antique tradition coréenne, la
question du Trône vide sur laquelle nous espérons revenir ailleurs] [L.C.].
412 LUX PERPETUA (p. 341)
XVI. — LE DIBBOUK.
(Chapitre VII, p. 341).
Les exégètes du judaïsme et les commentateurs de la Cabale ont tous, si je ne
fais erreur, mis la superstition du Dibbouk en relation avec la doctrine de la métem-
psycose (cf. Jetvish Encyclof., s. v. « Dibbukim » et « Transmigration of soûls »).
Mais celle-ci enseigne la réincarnation des âmes, soit immédiatement après la mort, soit
après un intervalle, mais toujours dès la naissance de ceux qu'elles doivent animer (cf.
su-pra, ch. IV, p. 198). Ces âmes viennent donner la vie à un nouveau-né. Le Dibbouk
est la prise de possession d'une personne déjà vivante et d'un adulte pourvu d'une
autre âme, que l'esprit du mort se soumet. L'idée est radicalement différente, et
elle dérive d'une autre croyance antique, celle de la possession. Les témoignages sur
les esprits des morts, qui envahissent les possédés, ont été réunis par Preisendanz, R.E.
s. V. « Nekydaimon », col. 2265. Cette superstition apparaît notamment dans la grande
conjuration judéo-grecque de Pibechès {Pafyr. mag. IV, 3007-3085). — Curtiss {of.
cit. [swpra, p. 341, n. 3], trad. allem. Ursemitische Religion, p. 173, n. 5) cite le
cas d'une femme qui fut exorcisée en Palestine d'un Dibbouk. Celui-ci était lame d'un
juif qui avait été tué à Nablous, douze ans auparavant. La croyance juive a fourni
le sujet d'un drame émouvant, qui a été représenté avec succès à Paris en 1927 et
repris depuis (Am Ski, Le Dibbouk, version française de M. T. Koerner, Paris, 1927).
"Lts communautés juives de l'Europe orientale ont ainsi conservé beaucoup de pratiques
et de traditions qui remontent à Tantiquité.
XVII. — PLOTIN ET L'INDE.
(Chapitre V p. 345).
Plotin a-t-il connu certaines doctrines de la philosophie hindoue ? Les meilleurs
interprètes de sa pensée ont exprimé sur ce point des opinions opposées : les uns, comme
Eucken, Inge, voient dans son système l'aboutissement d'un développement interne de
la philosophie grecque, et se refusent à y reconnaître les traces d'une influence orien-
tale. C'est la thèse encore défendue par K. H. Mûller, Orientalîsches bei Plôtinus dans
Hermès, 1914, p. 70 ss.; (cf. Emile Bréhier, o/>. «if., p. 119 ss.). D'autres historiens de
la philosophie ont au contraire soutenu que le mysticisme du londateur du néoplato-
nisme s'inspire de celui de l'Inde.
On peut faire valoir en faveur de la probabilité d'une telle influence, qu'il est
aujourd'hui bien certain que des relations régulières s'étaient établies par mer entre
l'Inde et l'Egypte à la suite de la découverte de la mousson par Hippalos, probable-
ment sous le règne de Tibère (Pline, VI, 100 ss.; Peripl. M. Ërythr., 57). Le déve-
loppement de ces relations a été exposé avec une solide érudition par Warmington,
Vhe commerce between the Roman Empire and India, Cambridge, 1928. Mais les fouilles
NOTES COMPLÉMENTAIRES (pp. 345 et 383) 413
entreprises à Palmyre dans ces dernières années ont achevé de démontrer l'impor-
tance du trafic par caravanes entre la ville du désert et les ports de la basse Méso-
potainie où abordaient les vaisseaux de l'Inde ; cî. Seyng, Syria, 1941, XXII, p. 252 ss.
De Palmyre les marchandises étaient transportées en Egypte et dans les ports de la
Méditerranée.
Toutefois ces découvertes ne peuvent établir qu'une possibilité, c'est-à-dire l'existence
de conditions favorables à une communication spirituelle entre Alexandrie et l'Inde. La
question de savoir si ces communications ont laissé leurs marques dans les doctrines plo-
tiniennes, ne peut être déterminée que par une critique serrée de ces théories. Nous
avons signalé des similitudes frappantes relevées par M. Bréhier (su-pra, p. 346, n. i).
La question d'une dépendance à l'égard de l'Inde se pose aussi pour la forme que prend,
dans un passage dePlotin, la croyance à une chute et à une ascension de l'âme, et ceci
touche plus directement à notre sujet (cf. Arpad Szabo, Scholastik, 1938, XIII, pp. 87-
96). Infidèle à la tradition platonicienne, qui croit que la qualité même de l'âme est
avilie par son incorporation, un chapitre des Ennéades (I, i, 12) formule une opinion
très différente : l'âme ne s'enfonce pas dans la matière, elle se borne à l'illuminer
(DAciiTTew), et ce qui s'incarne est une image ou un reflet (eïS-.oXovl, qu'elle projette
vers le J^as. M. Szabo retrouve la même doctrine dans la philosophie Samkhya, dont
la pierre angulaire est la différence essentielle de l'âme et de la matière. Mais la
théorie de Plotin semble bien lui avoir été suggérée par une théorie pythagoricienne
sur la dualité de l'âme, dontl'E'îSwXov seul descend dans les Enfers, comme nous l'avons
fait observer p. 354.
On pourrait invoquer en faveur de la vraisemblance d'un apport hindou dans la phi-
losophie grecque de l'époque impériale le passage de Numénius (Eusèbe, Pré-p. évang.
IX, 7 = fr. 9 Leemans) où il impose à celui qui veut traiter du problème de Dieu
l'obligation de connaître les vieilles doctrines des sacerdoces orientaux : or il nomme
en premier lieu les Brahmanes, avant les Juifs, les Mages et les Égyptiens. S'il n'est
pas douteux qu'il ait pu s^informer avec sûreté des doctrines de ces trois derniers
clergés, à plus forte raison doit-on croire qu'il avait des connaissances précises sur
celles du premier, qu'il nomme en tête de son énumération.
XVIII. — LES PLAZONICI DE SAINT AUGUSTIN.
(Chapitre VIII, p. 383).
On discute depuis longtemps sur le sens qu'il faut attribuer à l'expression Platoni-
corum libri employée par saint Augustin {Conf. VIII, 2, 3). Pour ne citer que les
auteurs les plus récents, le Père Henry soutient qu'elle désigne certains traités des
ennéades. Pour TheUer ce sont les oeuvres de Porphyre, à l'exclusion de Plotin. Cour-
celle (o;p. cit. [p. 381, n. 3] p. 167), a donné de bonnes raisons d'admettre que ces
mots s'appliquent aux deux philosophes conjointement, conclusion vers laquelle incli-
iiait déjà Charles Boyer, Christianisme et néoplatonisme dans la formation de saint
Augustin, Paris, 1920, p. 81. Si le P. Henry a prouvé que saint Augustin s'est servi du
414 LUX PERPETUA (p. 36)
chapitre itspi lou y.a'Xo'j de Plotin, CourceUe a démontré qu'il a déjà connu, avant sa
conversion, le De regressu animae de Porphyre.
Au point de vue psychologique, il paraît invraisemblable qu'Augustin, enflammé
d'un enthousiasme juvénile pour le platonisme, n'ait pas eu la curiosité de lire tous
les « livres platoniciens » qu'il pouvait se procurer. Il a certainement connu la version
latine des Ennéades composée par Marius Victorinus. Celle-ci doit nécessairement
avoir été une interprétation, comme toute traduction de cet ouvrage profond, d'une con-
cision souvent sibylline, et selon toute probabilité le rhéteur latin avait déjà mis à
profit les sommaires et commentaires aujourd'hui perdus, que Porphyre avait ajoutés
à son édition de traités plotiniens {Vita Plot. 26 ; cf. Bréhier, t. I p. XXIII). Boyer
(o/). cit. p. 83) note que nous avons conservé des fragments d'une traduction de
Vlsagoge de Porphyre faite par Victorinus. « Cette traduction tient de la paraphrase
et du commentaire. Parfois même le traducteur expose ses propres idées »v Telle a
dû. être aussi la version latine des Ennéades.
XIX. — FORMATION DU FOETUS EN QUARANTE JOURS
(Chapitre I, p. 36).
Ces idées sur les dates critiques de la décomposition du cadavre sont en relation
étroite avec une théorie de la formation du foetus qui est exposée dans Johannès
Lydus, De Mensibus, 4, 26, éd. Wûnsch (cf. C. R. de l'Acad. des Inscrîft.^ 1918,
pp. 278 ss. et Symbol., p. 180, note 2, qui renvoie en outre à Freistedt, AltchristUche
Gedàchtnistage und ihre Beziehung zum Jenseitsglauben âer Antiken, 1928 ; et pour
les musulmans du Turkestan oriental, à Menges dans Sitzungsb. Akad. Berlin, 1933,
pp. 1177 ss. et p. 1185, § 15).
Mais la théorie remonte bien au-delà de Johannès Lydus, et elle a longtemps après
lui laissé des traces persistantes (i). On la retrouve encore au xiv^ siècle, chez maître
Eckhart, sermon Elegi vos de mundo (éd. Gandillac, Paris, 1942, p. 231) : « Lorsque
l'enfant est conçu dans le sein de la mère, il a constitution, forme et figure : voilà
l'œuvre de la nature. L'enfant demeure ainsi quarante jours et quarante nuits ; mais au
quarantième jour Dieu crée l'âme bien plus vite qu'en un clin d'oeil, pour que l'âme
(1) C'est au même système que se rattache l'opinion, encore très vivante aujourd'hui, que l'en-
fant naît viable au septième mois, mais non pas au huitième, cf. Philon, Commentaire allégori-
que des saintes Lois, 1, 4, 9 (éd. E. Bréhier, collection Hemmer-Lejay, Paris, 1909, p. 8) '■
Ttç -^àp oùx otSsv oxt xtov Pp£(f>ôjv xà [Xiv kuTa(i.rjva yôvifxa, xà ok TrXsito ^pôvov irpooXaêdvxa, wç oxxw
fxvivai; Èvoic(tTr,6'^vai yaaTpt, xaxà xô TrXefaTov ayova ; cf. Aétius, Placita, 5, 18, 6, Diels Doxographi
graeci, 429, 13 ; Passio S. Perpetuae, 15 (T. and St. I, p. 84). Selon l'évangile arménien de l'en-
fance, ch. 2, 7 (éd. Peeters, coll. Hemmer-Lejay, 1914, p. 75) la Vierge MariC'est née à sept
mois : « Et quand la grossesse d'Anne en fut à deux cent dix jours, ce qui fait sept mois,
subitement à la septième heure, Anne mit au monde sa sainte enfant ». — Cf. Zoroastre d'après
Proclus, in Remp., 2, p. 34, 3 KroU (= Mages Hellénisés, II, p. 161-162).
NOTES COMPLÉMENTAIRES (pp. 36, 276, 288) 415
donne au corps forme et vie. ». Et qui plus est, chez Bérulle au début du xyii^ siècle,
j/ie de Jésus, ch. 26 (Œuvres, Migne, col. 484) : « Ce corps n'a eu besoin de qua-
rante jours pour être organisé. Le Saint-Esprit a fait cet œuvre en un moment » ;
ch. 24 (col- 477) •• « Il (== le corps du Christ) est formé, non en quarante jours, mais
en un jour choisi de la très sainte Trinité et révéré des Anges » ; ch. 25 (col. 483) :
« il n'occupe pas plus de place et. n'est plus sensible et remarquable que les enfants
des autres mères au bout des quarante jours de leur conception. »
Ces propos de Bérulle semblent empruntés à S. Thomas d'Aquin, S. Vhéol. 3, 33, i,
qui, à la vérité, ne parle pas des quarante jours, mais incontestablement les suppose.
S. Augustin ayant dit en effet, Div. quaest. LXXXIII, 56 (éd. bénédict. 1701, t. VI,
col. 19 C), qu'autant d'années (46) pour édifier le Temple, autant de jours (46) il a
fallu pour achever le corps du Christ,., ut quoi anni fuerunt m fabricatione templi, tôt
Mes fuerint in corporis dominici perfectione, S. Thomas estime au contraire qu'il a suffi
d'un instant pour que le Verbe s'incarnât, alors que chez le commun des hommes
(5. Vhéol. 3, 33, 2) successive cor-pus formatur et disponitur ad animam [L. C.].
XX. — SOMMEIL ET MORT
(Cha-pitre VI, p. 276).
Supra, pp. 42, 93. — Sommeil et mort, abandon, ici définitif, là passager, du corps
par l'âme. Cf. Symbol, pp. 360-367, et en outre Qor. 39*3 ; ^^ Dieu prend près de Lui
les âmes au moment de leur mort, et pendant leur sommeil ceux qui ne meurent pas :
Il garde ceux dont II a décrété la mort, et renvoie les autres jusqu'au terme fixé » ; et
chez les Juifs, Zohar, i, 130 A (Pauly, II, p. iio) : durant le sonuneil «l'âme du juste
parcourt l'espace sans être importunée par les esprits impurs j et quand elle est arrivée
parmi les anges supérieurs, ceux-ci lui font connaître l'avenir de manière véritable »
(cf. supra, pp. 88 et 94 sur l'incubation, p. 92 sur l'oniromancie).
s en séparent et la remettent entre les mains de Douma pour qu'il la jette dans l'en-
fer... et cette peine dure douze mois ». [L. C.].
XXI. — LE CHEVAL SANS CAVALIER
(Chapitre VI, p. 288).
« La mythologie consacrait Pégase au Soleil », et le cheval en général, lors même
qu il n'est pas ailé. C'est à ce titre que les Mages le promenaient en procession (Quinte-
^^°^) Sj 7) et qu'il figurait dans la suite de Darius, ibid. 3, 3, 11 : currum deinde
4ié LUX PERPETUA (p. 288)
]ovi sacratum vehebant equi : hos eximiae magnîiudinis equus, quant Solis appellabant
sequebatur [Symbol, p. 434, note 2 ; cf. Mages hellén. II, p. 121, note 6, et p. iaa^
note 2, qui rappelle que les Perses sacrifiaient des chevaux blancs au Soleil. Cf. aussi
Loisy, Sacrifice, p. 220, sacrifices de clievaux au Soleil chez les Parthes, les Massagètes
et les Spartiates).
Comme les morts accompagnaient Hélios dans sa course (supra, p. 173), le cheval
solaire, souvent ailé, mais non pas toujours, fut ainsi associé aux morts et devint sym-
bole d'immortalité. Cf. le Pégase de l'hydrie d'Alexandrie, m^ siècle avant J.-C, supra,
p. 288 ; mais il peut aussi, quand même il n'est pas ailé, représenter le défunt (bas-
reliefs de Béotie, dans Rohde, Psyché, trad. fr. p. 198, note 5).
D'autre part au nie-ii« siècle avant J.-C, le cheval sans cavalier est dans l'Inde, —
conune le siège vide, l'empreinte des pieds, le parasol — le symbole du Bouddha (Ph,
Stern dans Masson-Oursel, L'Inde antique et la civilisation indienne, p. 417), sans doute
parce que Çâkyamouni était déjà devenu un héros solaire ; cf. sur ce dernier point La
Vallée Poussin, Bouddhisme^ Paris, 1925, p. 214 : dès sa naissance -il portait les
marques du grand mâle, mahâpurusa — notamment entre les sourcils le rayonnant û.rj).â.
(p. 242) — qui le prédestinaient à être un « roi à là roue », çàkravartin (p. 241).
Devenu Seigneur [Bhagavai) par Tillumination [bodhi) (pp. 229-233), ses pieds portent
des roues aux milliers de rayons (p. 233) ; et au moment de sa mort il manifeste sa
gloire : « sa peau resplendit comme l'or vif, et le brocart dont Pukkura l'avait revêtu
en devint sombre » (Mahâparinibbâna, 4, 37, ibid. pp. 237-238) [cf. infra p. N. C.
XXVII, Vêtements des âmesl- Le Bouddha étant donc un héros solaire, le cheval qui le
représente est évidemment un cheval solaire : comme celui du sacrifice védique, que le
chant rituel assimile à Varuna {= oùpavôç <;*ofopavo(; <;*ofopfavoi;) et à Indra (Loisy,
Sacrifice, p. 398) ; et il s'identifie par là même à celui qui figurait dans le cortège de
Darius. Il est aussi le frère de ces chevaux d'Hercule (= Verethraghna ?) qui, chez les
Parthes, chassaient sans cavalier [Symbolisme, p. 434, note 2) ; de ceux que les Rho-
diens précipitaient chaque année dans la mer pour renouveler l'attelage du Soleil (Loisy,
Sacrifice, pp. 220 et 435) ; chez les Celtes, du dieu Rudiohus, cheval sans cavalier,
trouvé près d'Orléans à Neuvy en Sullias (H. Hubert, Les Celtes, II, p. 288) ; chez
les Germains, du cheval attelé au char qui porte le disque du Soleil (Ile de Seeland,
dans S. Reinach, Orpheus, éd. de 1925, p. T85), et du cheval blanc qui dans les expédi-
tions militaires servait de monture au dieu {ibid., p. 197) ; enfin dans le domaine slave,
de ceux de Svantovit à Rûgen {ibid., p. 211) ou de Triglav à Stettin {ibid., p. 212) (i).
Mais d'autre part si le culte du Bouddha se comporte aussi comme un culte funé-
raire, notamment par des offrandes de fleurs, de parfums, de lampes ardentes [cf.
supra, pp. 33, 45, 48] (2), il se peut que le cheval qui le représente ne soit pas seule-
ment celui du Soleil, mais encore et indivisément celui qui symbolise le défunt. Nous
retrouvons ainsi dans l'Inde une vieille croyance de l'Occident. Et dans les deux cas
le monde indo-iranien, le monde gréco-romain, le monde italo-celte et le monde ger-
mano-slave se rejoignent une fois de plus dans l'unité indo-européenne [L. C.].
(1) Cf. aussi, en dehors du domaine indo-européen, // Reg. 23 ^1 où il est question et des
chars du Soleil et des chevaux que les rois de Juda avaient dédiés au grand Luminaire à l'en-
trée de la maison de Yahweh. Enfin, sans parler du chariot de l'Arche, / Sam. 6 '' et // Sam.
6 3 qui était traîné par des vaches, Yahweh aussi avait un char, n^!D~lD) 1 Chron. 28 ^^ et Is. ôô^"-
(2) Et en outre Fr. Cumont, Cierges et lam-pes sur les tombeaux, dans Miscellanea Giovanni
Mercati, t. V, 1946. — Sur l'usage actuel dans les temples bouddhiques de Ceylan : A. Che-
vrillon. Dans l'Inde, 1891, p. 40 ; et Sanctuaires et Paysages d'Asie, p. 42 et p. 79.
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 321) 417
XXII. — DESTINÉE LIBREMENT CHOISIE AVANT LA NAISSANCE
(Chapitre VU, p. 321).
« Au moment de la naissance le destin fixait la carrière que chacun avait à parcou-
fir » (i). Il y avait aussi une doctrine (supra, p. 200) suivant laquelle ce destin résul-
tait d'un libre choix fait par l'âme avant sa venue ou son retour en ce monde. L'idée
est d'origine ma2;déenne (J. Bidez, Eds, pp. 45 et 169) : la daêna, dans VAvesta, opte
librement entre le bien et le mal (Lommel, die Religion TLarathustras, 1931, pp. 156 ss.;
T. Geffcken, Platon und dus Orient, N. J. K. A., 1929, p. 521). Elle a passé chez Pla-
ton — le rapprochement est de V. Pisani i^Riv. degli St. orient., XIV, 1934, p. 435) —
dans le mythe d'Er l'Arménien {Réf. X, 617 e et 620 de) dont l'origine iranienne ne fait
plus doute {Mages helléjtisês, I, p. i2 avec la note 2, et p. 185 ; Symbolisme, p. 377,
note 6), peut-être par l'entremise d'Eudoxe de Cnide (Bignone, L Aristotele perduto,
t. II, p. 84).
Réf. X,p. àiy e : oùj(^ 6|ji.5ç Sa'jjiwv Ir'^etai, àXX' û^z'ic; 8a!(jL0va alpr^uedGe. itpw'ïoi; os 6 Xcnjjiùv,
upwToî oàpBÎaQoi pîov & auvéd-cat IÇ àvaY^v)?. Le choix une fois fait, Lachésis donne à chaque
âme le génie qu'elle a préféré, p. 620^ : ov t'i'kt'zo 8at[j,ovo(, toûtov cpuXaxa Çufjuréfjiireiv.
Clotho confirme la décision prise, Atropos la rend irrévocable, et c'est alors seulement, que
l'âme passe sous le trône de la Nécessité : èvtEûôsv 81 8-?) àfAETacrxpeTtT'. utcô tov -lTiÇ 'AvâyxTiÇ ôpôvov.
Ce mythe tend à épargner à Dieu toute responsabilité dans le mécanisme de l'Anankè,
p. 617 e : atxîa kXopvou* ôeôç «valxioç (2). Et l'importance qu'on attachait à cet apho-
risme est attestée par le fait qu'il a été gravé sur un buste de Platon {supra, p. 200,
note 3). L'âme ayant librement choisi sa destinée sans que Dieu y soit pour rien, elle
la subit ensuite nécessairement, du fait, à ce qu'il semble, du déterminisme astrologique
tel qu'il est censé connu par l'horoscope.
Il n'est pas exclu qu'une trace de ce système se retrouve dans la Sagesse de Jésus
hen Sir a (= Eccli. 15I*) : « Au commencement II a créé l'homme, et II l'a remis
dans la main de sa propre délibération, âv jç^Etpi 8iaSou'X(ou aùxoû. Si tu le veux, tu
garderas les commandements » ; 151'^ : « L'homme a idevant lui la vie et la mort. Et
s'il s'y est complu (3), cela lui sera donné ». Ce texte s'inspire manifestement de Deut. 30^^ :
« J'ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction : choisis donc la
vie, afin que tu vives ». Mais l'accent en est différent. Dans le Deutéronome, c'est en ce
inonde que se fait le choix, et rien ne donne à penser que l'homme ne puisse plus se
détourner de la vie, bonne ou mauvaise, où il s'est une fois engagé. Chez le Siracide au
contraire il semble que le choix, une fois fait, doive être nécessairement subi :
e'vavxi àvôptiirtjùv ■?) Çwt) xal ô OàvaToç"
xal 8'iàv EÙSoXY^ar), SoÔTjaEtat ocùxtf).
(1) Cf. Festugière, Fatalité, et libre arbitre dans Corpus Hermet., Nock-Festugière, I, p. 193-195.
^ (2) Festugière, à propos de C. H. 4, 8 (Nock-Festugière I, p. 55) renvoie aussi à Rêp. 2, 379 b :
oux apa Tcâvxwv ys a'ixiov xô aYaâov (= Dieu), àXXà xwv [jiev eiS èj^ôvxwv aïxoov, xwv Se xaxwv àvafxiov,
^t encore 2, 379 c : y-oÙ xwv jjlÈv àyaôwv oôSéva aXXov aîxiaxéov, xwv 8e xaxwv aXX' axxa 8sï ÇitjxeTv
■^^f «'.Tia, àXX' o'j xôv Ôcdv. Cf. encore Tim. i2d, et en outre Geffcken, Zwei griech. Apologeten,
P- 103, note 4; etDieterich, Nekyia, p. 115, note 1. — A rapprocher, en ce qui concerne la
damnation, du ps.-Denys, Ep. 10 {PC, 3, col. 1117 6 : oûSs yàp èv xotî atwŒi xoï; impio\Liw>.(;
«rtioi; eotjd xwv è^ aùxoù Sixaiwv àcpoptfffxwv 6 Seoç, àXX' o\ xoù Osoû ■navxeX.Sx; sauxoù; àqjopCtravxE;.
(3) xai S'kàv eôSoxv^ur), So6i{(TETat aOxtJ). Hier, : quod placuerit^ei, dabitur illi,
27
4i8 LUX PERPETUA (p. 345)
Nous sommes ici très près du mythe d'Er et de l'Avesta : le choix paraît définitif •
il détermine une destinée qui s'imposera désormais à celui qui a opté pour elle, qui lui
sera donnée, ooer^aExxi aÔTw, Les deux systèmes ne diffèrent que par le moment où se
fait le choix, dans l'Avesta et le mythe d'Er, avant la venue de l'âme en ce monde •
chez le Siracide, lorsque l'homme est en âge de choisir. Encore n'est-ce pas sûr : car
il est dit, EccU., 15^^, que cela se passe dès le commencement, èS ctpyr\<;.
L'aphorisme platonicien se retrouve presque textuellement dans le Corpus Hermeticum
4, 8 (éd. Nock-FestUgière, I, p. 52) : sTte'. ô pv Osoç àvakioç, fjfXEÏi; 81 aiViot xwv xaxàiv,
Taùxa TcpoKpfvovxec xwv àyaGwv. Mais ici encore la perspective est autre : il ne s'agit plus
d'tme libre décision qui à notre origine nous engrènerait dans la nécessité. Ici, c'est
librement qu'à chaque instant nous préférons le mal au bien, encore que ce qui est de
Dieu non seulement ait été, mais demeure toujours mis à notre disposition : xà [x.èv uapà
xoù 6eoù •f]|j.ïv xE ÔTtTÎpSe xat ÛTTàpÇet. Ce n'est pas la perspective de Jésus ben Sira, mais
c'est exactement celle du Deutéronome [L. C.].
XXin. — OCCIDENT ET ORIENT
(Chapitre VIII, p. 345).
Ainsi, comme le monde iranien rejoint la Chine par le Turkestan (Pelliot), comme
le groupe celte s'apparente d'une part au groupe italique (H. Hubert), d'autre part au
monde indo-iranien (Vendryès) (i), de même le monde gréco-romain se rapproche du
monde hindou, non seulement quant à l'art (A. Foucher, L'art gréco-bouddhique du
Gandhara, Paris, 1 905-1 923), mais quant à la pensée : c'est ce que Th. Gomperz [Les
Penseurs de la Grèce, t. I, Lausanne, 1904) a montré pour le culte des Mânes, qui est
celui des Pères (-pitârali) (p. 33) ; pour le cycle de Pythagore, qui paraît être la roue
de l'hindouisme (p. 139) 5 pour la doctrine de Mélissos, qui se retrouve dans les
Védànta (p. 221). Cf. aussi Rohde, Psyché, éd. française, p. 364 sur les Orphiques,
le x'jxXoç ■zr\ci yeviffEwç (ô x?;; [jLoîpaç xpoj(^ô(;) = rota fati et gêner ationîs), l'àTtoxaxiiiTTadii;
xwv iitâvxwv ; p. 386 sur l'instabilité du complexe de l'âme chez Heraclite et les Jaïna ;
F. Cumont, Recherches sur le Symbolisme funéraire des Romains, Paris, 1942, pp. 104
et 177 sur l'ascension du souffle vital {prâna, âtman) au travers des airs vers la Lune,
pour finalement se fondre en Brahman, premier principe. Etre éternel; J. Bidez, Eôs, sur
Platon et le monde oriental ; cf. aussi René Berthelot, La -pensée de l'Asie et l'astroUo-
logie, Paris, 1938.
Mais — et c'est ce que n'ont pas su distinguer certains de ces auteurs, notamment
M. René Berthelot, — autant les conceptions philosophiques et religieuses des Grecs et
des Romains se rapprochent de celles de l'Inde, autant s'éloigne des unes et des autres
(1) Et aussi H. Hubert, notamment par l'interprétation du vase de Gundestrup (Jutland) a"
musée de Copenhague, qui serait un chaudron à cervoise sacrée, celle-ci étant considérée comfflc
équivalent du sôma = haôma, pour une cérémonie analogue au Yasna ; peut-être aussi du
xuxewv grec (//. 11, 624, 641; Od. 10, 234; "cf. Loisy, Mystères^, p. 69).
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 347) 419
et apparaît plus original le mouvement qui devait aboutir à la conception chrétienne de
la vie éternelle (cf. infra, N. G. XXVIII, ErÔs et Aga-pè) [L. G.].
XXIV. — GONNAISSANGE PAR NON-SAVOIR
(Chapitre VIII, p. 347).
« Comme il (= le premier Principe) n'est rien de déterminé, nous ne pouvons dire ce
qu'il est, mais seulement ce qu'il n'est pas », Plotin, Enn. 5, 3, 14 (Bréhier, p. 68) : xal
vào XéYO(i.£v ô' \x.■f^ èffttv. ô' 81 èaxtv ou \h[0\xz-i.,. 5, 3, 17 (p. 73) : tiw^ av ouv ToiJxo yévo'.TO ;
"hQzkz Trâvta [cf. infra, p. 430, note i, ps.-Denys]. Cette idée n'appartient pasen propre à Plo-
tin; elle est déjà chez Clément d'Alexandrie, Strom., s, ïi (Stâhlin, t. II, p. 374) : oùj^
î èaTtv, 8e inf\ laxi Yvtopbavteî. Quoique Stâhlin n'en indique pas la source, il est peu
probable qu'elle y soit originale, et il se peut qu'elle remonte à Philon (i) ou plus haut
encore.
D'où qu'elle vienne, elle était appelée à une immense fortune : c'est d'elle en effet
qu'est née la doctrine scolastique de l'inconnaissabilité de Dieu, qui devait un jour ébran-
ler, presque évincer le dogme paulinien et johannique que Dieu est essentiellement con-
naissable parce que son essence est l'Amour, non pas 'épt-oç, mais à^^âuri = caritas, c'est-
à-dire amour désintéressé, don de soi, dénué de toute convoitise {infra, N. G. XXVIII,
Erôs et Aga-pè). Et c'est la plus grande aventure qu'ait jamais courue le christianisme.
La théorie de la connaissance par non-savoir a été introduite dans l'Eglise chrétieime,
après Clément d'Alexandrie, par le ps.-Denys, Hier. cél. 2, 3 {PG. 3, col. 140 d) :
àopaiov aÙTr.v xa"; aTtsipov y.-jÙ xyéoriiov àTroxa).o'jvT:tov, xal xà è^ ûv ou xJ èax'.v, àXXà xt oùx èazl.
Dans l'Eglise orientale, où elle se présente sous la forme de l'àTtdtpaaiî, connaissance
par négation, ou, comme dira plus tard en Occident Nicolas deCuse(2), « docte igno-
rance », elle est pratiquement compensée par l.a doctrine de l'effusion des énergies
(Lossky, Essai sur la Zlhéologie mystique de l'Eglise d'Orient, in-i6°, Paris, 1944), sui-
vant laquelle Dieu n'étant pas seulement incompréhensible comme chez S. Augustin (3)
(1) Cf. Philon d'Alexandrie, De mutât, nom. 1 (10), sur Ex. 33^3^ o'ij/et xà o-rrt'ffw jjlou • xat x{
flï'jjj.aaxôv Et xô ov àvOp'ÔTroiç «xxxzXrj'rtxov, ÔTidxe xal 6 èv èxàaxtp voùç ayvtoaxo; T)p.Tv ; x£î yàp i^'.i-tr^<^
O'jcriav sTSev ; c'est l'idée qui dominera la théologie scolastique. E. Bréhier, Idées philos, et relig.
de Philon 2, 8°, 1925 : il faudrait, pour comprendre Dieu, devenir Dieu soi-même, fr. Man-
gey II, 651 ; car lui seul peut se comprendre. De praem. et poen. 6. — Cf. Oàes Salom. 26 ^2.
(2) Nicolas de Cuse, De docta ignorantia, 1440.
(3) S. Augustin, In ]oh. Ev. 63 : Quaeramus inveniendum, quaeramus inventum. Ut invenien-
'^"s quaeratur, occultus est ; ut inventus quaeratur, inimensus est... Et invenientem capaciorem
facit ut rursus quaerat impleri ubi plus capere coeperît... Hic autem semper quaeramus, et
puctus inquisitionis non sit finis inquisitionîs. — Cf. aussi S. Grégoire de Nj'sse, Vie de Moïse,
"■ rapprocher {Mages hellén. I, 229, à propos d'ayvwcyxoi; Oeôi;) de Lactantius Placidius et Recogn.
neme7it., en notant que «xaxdtXriirxoc; (= incomprehensibilis) et àyvwcrxoç (= incognitus) ne sont
pas^ synonymes : le Dieu àxaxàXï.Ttxoî n'est pas inconnu, mais à connaître progressivement et
indéfiniment, d'une connaissance qui ne sera jamais adéquate à son objet. L'anaphore de la
l'urgie byzantine de S. Jean Chrysost. appelle Dieu àxaxàlTjTrxo; : elle ne l'appelle pas ayvwdxoç.
420 LUX PERPETUA (p. 347)
mais radicalement inconnaissable en son essence fLossky, l. c. pp. 23, 29, 32, 83), est
cependant connu grâce aux énergies divines (p. 68) qui par leur rayonnement manifes-
tent aux créatures tô •y^'W'n^ôv xoù Geou {Rom. 1 1^), tout ce qui de Dieu leur peut être
connu (Lossky, le. pp. 83, 85, 159). Cette manifestation de Dieu par les énergies est
totale (p. 83). « Totalement inconnaissable dans son essence, Dieu se révèle donc totale-
ment dans ses énergies, qui ne divisent point sa nature en deux parties — connaissable et
inconnaissable, — mais signalent deux modes différents de l'existence divine, dans l'essence
et en dehors de l'essence »; ibid. : ainsi « la Trinité demeure en nous réellement par
ce qxi'EUe a de communicable, par les énergies communes aux trois hypostases, c'est-
à-dire par la grâce », en sorte qu'en fin de compte, chaque âme travaillant avec la
grâce à se dilater et à se transcender (p. 6) (i), le Saint-Esprit (p. 238) « supplée
à toutes les insuffisances, fait dépasser toutes les limitations, confère à la connais-
sance de rincognoscible la plénitude de l'expérience, transforme les ténèbres divines
en lumière dans laquelle nous communions avec Dieu ». Nous sommes ici plus près,
du moins en apparence, de Jamblique [su-pra, p. 377), que du pur intellectualisme
de Plotin qui n'attend aucun secours étranger à lui-même {supra, p. 360). Je dis :
du moins en apparence, parce qu'il y a loin de la théurgie de Jamblique — qui
est une magie divine sans doute, mais une magie tout de même (supra, p. 374), — à
l'action spirituelle de l'Esprit divin comme se la représente l'Eglise orientale ; Lossky,
le. p. 238 : sans le Saint-Esprit « les dogmes seraient des vérités abstraites, des auto-
rités extérieures imposées du dehors à une foi aveugle, des raisons contraires à la
raison reçues par obéissance et adaptées ensuite à notre mode d'entendement, au lieu
d'être des mystères révélés, des principes d'une connaissance nouvelle s'ouvrant en nous
et adaptant notre nature à la contemplation de réalités qui surpassent tout entende-
ment humain ».
En Occident au contraire, la notion d'apophase venue à la fois de S. Jean Damas-
cène et du ps.-Denys traduit d'abord par Huduin, Abbé de Saint-Denys, puis par Jean
Scot Erigène {supra, p, 384), s'aggrave non seulement par un retour délibéré à l'Aris-
totélisme, mais par une théorie de l'analogie qui réduit la connaissance des choses divi-
nes à n'être plus qu'un mimétisme de connaissance (2) et qui n'a de commun que le
nom avec celle qui fleurit chez S. Augustin et dont a peut-être abusé S. Bonaventure,
S. Thomas d'Aquin entend répondre à la question posée par Aristote, Anal. post. 2, i
(éd. Didot, I, p. 153) : Yvdvce; 8è ô'xt l'o-Tt {première question), xE êuxt Çrjxov)[j.ev {seconde
question). A cette seconde question S» Thomas fait deux réponses :
Première réponse : Si nous ne pouvons savoir, au sujet de Dieu, ce qu'il est, du
moins pouvons-nous savoir ce qu'il n'est pas, Contra Gent., i, 30 : Non enim de Deo
capere quid est, sed quod non est, et qualiter alia se habeant ad ipsum, ut ex prae-
dîctis patet ; ibid. i, 14 : et sic ipsam (= divinam substantiam) apprehendere non pos-
sumus cognoscendo quid est, sed aliquam habemus notitiam cognoscendo quod nonesi;
(1) Même idée dans l'Islam : c'est le s«r/i al sadr, dilatation de la poitrine, ouverture àa
cœur, Qor. 39^3 ; « Celui dont Dieu a dilaté le cœur pour l'Islam... ». Et aussi 6^25 et 94 ■
— Sur la grâce, Qor. 4172 ; « Ceux qui croient et qui font le bien, Il leur paiera exactement
leur salaire, et II y ajoutera de sa Grâce ». 4^''^ : « Ceux qui croient en Dieu et cherchent
protection auprès de Lui, Il les fera entrer dans sa Miséricorde et Grâce, et II les guidera
vers Lui par ^xn. droit chemin ».
(2) Cf. B. Desbuts [Bernard Landry] La notion d'analogie d'après S. Thomas d'Aquin, dans
Ann. de Philos, chrét., janvier 1906, p. 377 ; et Pierre Rousselot, L'intellectualisme de S. Tho-
mas, in-80, Paris, 1908, 3^ éd. 1936.
NOTES COMPLÉMENTAIRES (p. 347) 421
S, VheoL, I, 3 (début) : sed quia de Deo scîre non -possumus quid sit, sed qtiid non
sit non possumus considerare de Deo quomodo sit, sed -potius quomodo non sit. Pour
cette première réponse S. Thomas se réfère lui-même {S. X^heol. i, 2, 2) à S. Jean
Damascène, de Bide orthod. 14 (PC, 94, col. 797) : ô'^t pv ouv ïazi ôedç, S^Xov. Tl Si ia-ti
•/.xt' ûôffîav v.a.\ cpjîTiv, «y.axâXv)Tn:ov xoùto -izaMitkixx; v.%\ ayvwstov. Ibîd. Col. 8oo : "caùxa yàp oii
tô Tt icrtiv (rir)|jia(vEi, àXXà tô xî oùx suxf. C'est la pure tradition plotinienne du ps.-Denys.
Mais S. Thomas ne s'y tient pas dans l'autre réponse qu'il donne, empreinte, celle-ci, d'un
agnosticisme radical :
Seconde réponse : Dieu est inconnaissable. Non qu'il faille dire — S. Thomas rejette
expressément cette proposition — S. Zlheol. i, 12, i (éd. Vives, t. I, p. 182) : Deus est
secitndiim se ignotus ; mais Opusc. LXIX, super Boeth. de Zlrin. {Opusc. éd. Vives,
t, VII, p. 347) : ••. dicimur in finem nostrae conditionis Deum tanquam ignotutn cognos-
cere, quia tune maxime mens in Dei cognitione perfectissime invenitur quando cognos-
citur ejus essentiam esse supra omne id quod apprehendere potest in statu hujus vi<jt^ae,
et sic, quamvis maneat ignotum quid est, scitur tamen quia est ; (ce qui est à rappro-
cher de Maïmonide, Guide des Egarés, i, 58, trad. Munk, Paris, 1856, t. I, p. 241 :
« Nous ne saisissons de Lui autre chose sinon qu'il est, mais non pas ce qu'il est) 3
ignotum, ici, ne se rapporte pas directement à Dieu, mais à quid est (Deuis). C'est
aussi du même point de vue que C. Gent. 3, 49, 5, attribue au ps.-Denys, in libro de
Mystica Z^heologia, d'avoir dit que cum- Deo quasi ignoto conjungimur (i) ; cf. en outre
S. "Chéol. I, 12, II. Ce complet agnosticisme ne procède directement ni du ps.-Denys
ni de Plotin. La source éloignée paraît en être dans le Parménide de Platon, 142 A
(Diès, p. 78) : 0Ù8' apa ovo}ji.â èativ auttï) (= à l'Un), où8è ^ôyoi;, oùoâ xii; èittufi', [xt; , oùSs
a'.'!;0-r|(yi(;, o58È SoÇa. — ou cpatvexai. — Où8' ôvofxaÇexott apa, où8l XÉYExat, où8è 8o|âÇexai, oô8è
yiYvwT/Exai, où8é xt xiLv bvxiov aùxoO a'.aOâvexai.
Sous sa seconde forme, proprement agnostique, et associée à une théorie de l'analogie
{supra, p. 420) qui exclut toute ouverture de l'âme à la réalité qu'il faudrait attein-
dre, cette idée a pesé lourdement [supra, p. 384) sur la théologie chrétienne dans le
monde occidental. Et l'on en retrouve la trace, au moins en tant que formule verbale,
chez des esprits dont la propre expérience y était expressément contraire. C'est ainsi
que S. Jean de la Croix, pour qui le mariage mystique n'est pas une actuation, mais
l'union, de deux volontés, qui élève l'âme humaine à la divinité par participation, n'en
a pas moins écrit, Subida 3, 2 (Silv. t. II p. 241) : Y asl, siendo verdad, como lo es,
que a Dios el aima antes le ha de ir conociendo por lo que no es que por lo que es...
Et chez Pascal lui-même. Pensées, Brunschvicg, fr. 233 : « Ainsi on peut bien connaître
iqu'il y a un Dieu sans savoir ce qu'il est ». C'est de ce point qu'il faut partir pour
comprendre comment s'est contaminée et altérée, sous la double influence de Plotin et
d'Aristote, la notion paulinienne de là vision béatifique. Cf. infra N.C. XXIX, Piston
béatifique [L.C].
(1) Probablement PG. 3, col. 997 B : xal Trpoç t-^jv ëvwaiv, w; ètpixxôv, àY^tioTOuç àvaxà67)xi xou
tJTtep Ttàcrav oùalav xal Yvûtriv.
422 LUX PERPETUA (pp. 265 et 357)
XXV. — CEREMONIES DU J3APTEME CHRETIEN
(Chapitres V et VIII).
Sufra, pp. 265 et 357 sur V illumination dans les Mystères et selon Plotin (i). i\
n'est pas exclu que cette idée de l'illumination ait exercé quelque influence sur les
cérémonies du baptême chrétien. Déjà VE-pitre aux Hébreux, 6 *, 10 ^^ applique aux
baptisés le titre de «wTiffQévTcç, peut-être par référence à // Cor. 4 ^ : t&v ocoxtariaèv xoù
eùayyEXtou... Tcpoç tpwxidfjiov tt); yvj'jjîw; xr^^ So^'^ç t'jO Oôoô sv Tzorxsémi^ yptcy-oij. Et aussi
Ephés. 5 1^ : Hat àvctora èx xwv vexcwv / xal suKpa'joei aot ô ypioxdç (cf. Loisy, Lfl naissance
du Christianisme, Paris, 1933, pp. 285, ss.). Chez Clément d'Alexandrie, Paedag. I
6, 26, I (Stâhlin, t. I, p. 105) cpwxta[jLa signifie baptême : paitx'.ÇôjjLEvoi <ptuTiÇô|jieOa, îb. 26, 2
cpi&xiff[x.a 8è 8t' ou x6 ayiov èxeïvo cpwç xo t7tux/|pcov £7ro7rTej£x«t (cette allusion à l'ETtoTnxetx est très
significative, surtout si on la rapproche de Protrept. 12 ; Strom. 5, 11 ; cf. déjà II
Petr.f I-*-^); Paedag. 30, I : [i-îa yjor., aux-r, to\5 tffoxîtriJiaxoç xo \x}, xôv aùxov eTvai xw irolv -i]
XoôaïcyOat xov xpôitov. Il en est de même chez le ps.-Denys, qui s'en explique comme suit
dans Hier. eccl. 3, I (PG. 3, col. 425 A) : ouko Bt, xa: xr,v 'lepàv xv]? Qzo-(Z\tala.ç xeXex/v,
È~£i8r, Trpwxou tfwxcx; (aexaoiSioat, xa! TtïTÔv icxtv àpj^r, twv Ostfov (pojxaywyiwv, Èx xoù TEXoujjiévou xï|V
àXTiÔTj xoO (pwxtfffiaxoi; l7riov'j(i.tav li[Ji.voÛ[Xsv.
Les mots mêmes de cpu)xiff[i.ôç et de tpcixtfffia sont restés chez les Grecs synonymes de
pâTtxiff|xa. Et dans le rit romain, lors de la célébration solennelle du baptême pen-
dant la nuit pascale, il est dit dans la préface de bénédiction du cierge : et nox ilhi-
minatio mea in deliciis meis (cf. Ps. 139 11-12). Ces expressions sont à rapprocher de
ce que dit Lucius de son initiation aux mystères d'Isis (Apulée, Métam. 11) : ... diein
qui dies ex ista nocte nascetur... (2).
D'autres ressemblances sont aussi frappantes : « Le « compétent », qui s'est, comme
le myste {supra, p. 358), entièrement dépouillé de ses vêtements pour son initiation (3),
reçoit après l'immersion une robe blanche : accipe vestem candidam (4), et un cierge :
accipe lampadem ardentem... : ainsi Lucius était porteur d'un flambeau : at manu
dextra gerebam flammis adultam jacem, et tout de blanc vêtu : sume jam vultum lae-
tiorem, candido isto habitu tua congruentem. Tel était aussi, comme celui du clergé
(1) Comparez Asclepius 32 (C.H. Nock-Festugière, p. 341) : Sed tîbi, deus summe, gratias
ago, gui me videndae divinitatis luminasti lumine. Cf. Bousset, Kyrios Christos, pp. 108-203.
(2) Dans la même Préface de bénédiction du cierge pascal, a vitiis saeculi et calîgine fecca-
torum segregatos rappelle étrangement Lactance, Institut. 78, se référant à Hystaspe : descrrpta
iniquitate saeculi hu-jus extremi pios ac fidèles a nocentibtts segregatos {Mages hellén., t. Hj
p. 370 et Fin du Monde, pp. 84, note 2, et 85).
(3) Le baptizand se dépouille non seulement parce qu'il va se baigner, mais aussi pour prou-
ver qu'il ne conserve sur lui aucun amulette. C'est une garantie ajoutée aux exorcismes. Très
significatif est à ce point de vue le texte d'Hippolyte, Trad. apost. 21 (p. 49 Botte) : « Qu'ils
se déshabillent... Qu'on baptise ensuite les hommes adultes, et enfin les femmes, après que celles-
ci ont délié leurs cheveux et déposé leurs bijoux d'or : que personne ne descende dans l'eau
avec quelque chose d'étranger ».
(4) Au rite byzantin, pendant qu'on revêt de sa robe blanche le nouveau baptisé, le chœut
chante : ^txwvà [ioi Tt%pics-j(ou (ftûXEiv'v, ô àvaêaXXôjxevos fwî ^c l|j.àTiov (EùyoXoytov xô (J--'y*i
çd. de Venise, 1891).
NOTES COMPLÉMENTAIRES (pp. 265 et 357) 423
chrétien, le vêtement de l'hiérophante (i). Enfin il n'est pas jusqu'à la forme du congé
qui ne soît, de part et d'autre, sensiblement la même : XaoT; atpsdtç chez Apulée, Ite,
Plissa (= missio) est dans l'Église chrétienne (2).
Mais là ne se bornent pas les analogies rituelles de l'initiation dans le Christianisme
et dans les Mystères. La catéchèse, la « tradition » du Pater et du Symbole de la
foi sont comparables à la communication du discours sacré, Upôç Xô'^o^ (sufrap. 237) (3);
la renonciation à Satan et la « reddition » du Symbole, aux XeyojjLeva [ibla.) (4).
L'initiation, comme le baptême, comportait des onctions, qui de part et d'autre s'appe-
laient également ffcfpayTSeç (supra, p. 300) comme dit S. Athanase à propos de l'Esprit,
ad Seraf. I, 23 (PG. 26, col. 585 AB) : XP'''^(^^ ''^^- <^'?9<^'{'< (5- H y avait aussi dans les
Mystères une imposition de tatouages, ax^Yii-axa (supra, p. 255 et p. 300 ; et Relîg.
orient. \ p. 215) (6), par exemple une feuille de lierre pour les mystes de Bacchus
(1) Plutarque, De Iside, 3, p. 352 C ; 4, p. 352 D ; cf. Fouilles de Doura-Eurofos, p. 58 ; et
Egypte des Âstrol., p. 118, avec la note 4. L'on ne peut s'empêcher de relever à ce propos
l'étrange phrase où TertuUien assimile au vêtement d'Osiris le linge dont le Christ johannique
se ceint pour laver les pieds de ses apôtres, De cor. 8 {PL. 2, col. 88) : et cum linteo circutn-
stringitur, proprîa Osiridis veste.
(2) A rapprocher aussi de la vieille formule romaine ilicet, cf. Donat sur Phorm. 208 :
« Semper ilicet finem rei significat, ut actum est. Sic judices de concilio dimittebantur, suprema
dicta cum praeco pronuntiasset ilicet, quod significat ire licet ».
(3) Déjà Philon d'Alexandrie employait la terminologie des Mystères : il appelle Moïse
à UpotpâvTTjc; (Comment, allêg. des saintes Lois, 3, 52, 151) et les livres de la Loi : ô lepàç Xoyo;
(ibid. 3, 56, 152).
(4) Le rituel byzantin du baptême encore en usage aujourd'hui indique que si le nouveau
baptisé est un barbare, c'est son parrain qui, pour la triple renonciation à Satan, répond à sa
place : y.cd àTcox.pwetai irpoç cJcaoTov Y.ci.xr^jo'j[LZW(;. ^ ô àvàSojç^ot; aùxou, e? èffx'.v 6 Pxitx'.Çô[j.£vo(;
pàpêapoî ■»] TtatSEov, xaî X^yst ' àTcoxaff(TO[i.xt. Il n'a jamais certes été question de refuser le
baptême aux barbares comme on leur refusait l'initiation aux Mystères (supra, p. 240). Mais
l'on voit, à cette disposition du rituel byzantin, l'importance suprême qui s'attachait, dans le
Christianisme comme dans les Mystères, au lepoi; lôyo^ et aux X£YÔjj.£va (supra, p. 237). — On
pourrait aussi rapprocher des (rûfJiSQXa confiés au nouvel initié pour qu'il les emportât chez lui
[ibid.) l'usage qui permettait aux chrétiens de conserver chez eux l'eucharistie, s'il était sûr,
comme tend à le penser dom Botte (Trad. apost. d'Hippolyte, p. 23) que le vase que les bapti-
zands doivent « apporter pour l'eucharistie . » fût destiné à cet. usage (§ 20, p. 49). Mais le
point est au moins douteux. Il s'agit vraisemblablement des ampoules contenant vin, lait, miel,
« huile d'eucharistie » (ou d'action de grâces) (§ 21, p. 49), pour l'oblation qui est expressé-
ment prévue de la part des nouveaux baptisés au § 20 (p. 49) : « car il est convenable que
celui qui en est digne offre alors l'oblation ».
(5) Voici le texte d'Athanase : eî8è xô Ttveùpi.a j^pîcjjLa xai (Tcppayi? èaxtv... rj Se acspa-j'iç xr.v
HoptsTjV j^ptaxoO xoù ŒcppaytÇo'noç ïyzi. xaî xa^xT)? ol caipaYi^ôjjiEvoi pLsxé^ouat, p.opcpo'jjAsvoi xax'
"'-'xvjv... ofixto 8s ff?)paYiÇô(ji.evot, s'xdxwç y.y.\ xoivtovo'. ôsîac; tp'jc7£W!; yivdfJtEOa îix; eTtcev 6 Fléxpoç
(// Pair. 1 4), xaî ouxw \KexijEi Tcâda -fj xxtat; xovj X^dyou £v xqj irvE'jfjiaxi. — En faisant les onctions
de chrême (jj.upov) pour la confirmation du nouveau baptisé, le prêtre byzantin dit : CTopayiç
owpeà:; Ttve'jfxaxo; àyi'ou, àpiy^v. Sur ces termes, ctepayt'î etc. Cf. G. Wobbermin, Relîgionsgeschichtliche
Studien, Berlin, 1891.
(6) Cf. aussi Perdrizet, Rev. des Et. aitc, XII, 1910, pp. 236 ss. ; A. Relgiv., XIV, 1911,
'PP- 54, à 129 ; Graillot, Cybêle, p. 182 et 297-
424 LUX PERPETUA (pp. 265 et 357)
(supra, p. 252 et Stèle du danseur d'Aniibes,-^. 31) (1). Or la même pratique se retrouve
chez les Jacobites et chez les Abyssins, qui impriment au fer chaud une croix sur le
front ou le bras de l'enfant, les premiers avant, les seconds après le baptême ( J. B. Thiers
Vraité des su-perstitions, 1697, t. II, pp. 95-96). Les Syriens catholiques portent encore
aujourd'hui ces signes ; mais, si je les ai bien vus, tatoués à l'aiguille et non pas au
fer chaud (2). Ce tatouage est dans les deux cas, comme chez les primitifs (Chante-
pie, Manuel d'hist. des relig., pp. 18 et 31) et les Hindous Ramânwjas {ibid. p. 425), la
marque de l'appartenance au dieu (3). La tradition en est ancienne dans le paganisme:
Hérodote, 2, 113, raconte qu'il y avait aux bouches du Nil un temple d'Héraklès où
les esclaves en fuite pouvaient trouver asile et même obtenir l'affranchissement s'ils
acceptaient de recevoir les marques sacrées du dieu : t,v Se ItzX Tîje; Tiidvoî, xô xal vîîv
èsTi, UpaxXfOi; Ipôv, è? tô 9)V xaTaouycov olxéxri; ô'xeo uiv àvOpiiTrwv îTciêaX'fjxat ffxtyiJiaxa loi èwu-fjv
5i8où<; xû Osïf), oôx è'^Eaxt xouxou à't|/aaOai.
La messe qui suit le baptême achève, comme le banquet des Mystères [supra, p. 237-
238) d'incorporer le néophyte à la communauté ; Ps.-Denys, de Eccles. Hier. 2, i, 7
(JPG. 3, col. 296 D) : ô 61 x^ ÔEoupYt/.wxàxt}) [i.'-jptp xôv avSpa (jcppaYi(i(i|Ji.evoi;, jxïxo^ov à-Ttocpalvci
Xoiitôv xî)? UpoxeXetTxixwxâTr,? £Ôj(^apt(TTÎaî. Et dans ces circonstances il n'est pas aussi cer-
tain que l'avait cru Duchesne {Origines du culte chrétien^, p. 354, note 4, contre Use-
ner, Milch und Honig, dans Rheinisches Muséum, t. LVII, p. 177 = Kleine SchriftenïY,
p. 413 ss.), que le [AEXÎxpaxov qui était administré aux nouveaux chrétiens après leur
première communion (TertuUien, Adv. Marc. I, 14 ; Hippolyte, Z!rad. apost. § 23, p. 54
(1) Cf. Perdrizet, Cultes et mythes du Pangée dans Annales de l'Est, XXIV, 1 ; et Wila-
mowitz, Nordische Steîne dans Abhandl. Akad. Berlin, 1909.
(2) Sur le tatouage à l'aiguille rougie au feu, cf. Loisy, Mystères 2 p. 104, d'après Prudence,
Peristefh. 10, 1076 à 1085, pour les prêtres de Cybèle et d'Attis : quid, cum sacrandus accipi
sphragitidas ? / Acus minutas îngerunt fornacibus, etc.
(3) Cette appartenance s'exprimait chez les Juifs par la circoncision (Loisy, Religion d'Israël^,
p. 107 et Sacrifice, p. 386 ; et pour la circoncision des esclaves goim, cas particulièrement signi-
ficatif, A. Cohen, Le Talmud, Paris, 1933, p. 256). Il se peut toutefois que tel n'ait pas été
le sens primitif de ce rite. On pourrait y voir initialement un simulacre de castration. Cf. l'em-
ploi de part et d'autre d'un couteau de silex, Ex. 9 24=_26 avec le commentaire de Loisy, Relig.
d'Israël 3 p. 91 pour la circoncision ; à rapprocher, pour la castration, de Clément d'Alexan-
drie, Protrept. 2, 15 ; cf. aussi Graillot, Cybèle, p. 296. Pour l'élimination du métal, cf. supra,
p. 391, note 6. — L'appartenance au dieu pouvait aussi, dans les temples égyptiens, se marquer
par le port de chaînes (Egypte des Astrologues, p. 150, avec la note; 3 et Ps. de Salom. 2 ^, ed,
Viteau, avec la note). Cette coutume s'est perpétuée, ou plutôt sporadiquement renouvelée, dans
le christianisme. On sait que Pascal et le diacre Paris, entre autres, portaient sur la peau une
ceinture en mailles de fer. D'autre part BéruUe refuse aux carmélites françaises l'autorisation de
s'enchaîner à l'exemple de certaines confréries espagnoles (Dagens, Correspondance de BérulU,
I, p. 194, pièce 109) : « Je ne désire pas autoriser cette charge des chaînes que vous m'avez
envoyées ». Et, preuve que la coutume était ancienne, il se réclame de l'autorité de S. Gré-
goire le Grand, Dial. 3, 16, qui rapporte qme S. Benoît avait dit à S. Marcius : Si servus
Dei es, non teneat te catena ferri (BéruUe haec catena fabri) sed catena Christi. Cf. encore
pièce 295, lettre du P. Bertin à Michel de MariUac (Dagens, t. II, p. 155) : « Et il y »
quelque temps qu'on demanda ici [« Rome"] l'approbation de sa Sainteté d'une confrérie ou
congrégation des Esclaves de la Vierge, lesquels, pour marque, portent une chaîne au col et une
au bras ; et sa Sainteté les a renvoyés et n'a voulu donner l'approbation ».
NOTES COMPLÉMENTAIRES (pp. 265 et 357) 425
Botte) (i), ne trahisse aticune influence, aucune réminiscence des Mystères. Sans doute
dérive-t-il, — le texte de sa bénédiction en fait foi (2) — des ruisseaux de la Terre
promise ^Ex. 3 ^'', etc). Mais il peut aussi néanmoins, sans être à proprement parler
un emprunt aux bacchanales (cf. supra, p. 254), appartenir au fonds commun des ban-
quets sacrés. Le concile de Constantinople in Trullo (692), canon 57 (Mansi, 11, col.
069) interdit d'apporter en offrande à la messe du lait et du miel : 6'Tt où ypr, èv toïç
euTi'-tffTrjpioii; [;iXi xaî yiiXoL -irpofftsÉpETOai. Ici la défense est absolue. Le troisième concile
de Carthage au contraire (397), canon 37 (Mansi, 3, col. 734), autorisait cette obla-
tion, mais le jour de Pâques seulement, et sous la condition qu'elle fît l'objet d'une
bénédiction particulière (cf. supra, p. 423, note 4) distincte de l'eucharistie : tit in
sacramentîs corporis et sanguinis Domini nihil offeratur quant quod ipse Dominus ira-
didit, hoc est partis et vinum aqua mixtum. Primitlae vero, seu lac et mel quod uno
die solemnissimo in infantum mysterio solet offerri, quamvis in altari offeranttir, suam
tamen haheant 'propriani benedictionem, ut a sacramento Domini corporis et sanguinis
distinguantur (3). L'importance de ce canon apparaîtra clairement à qui voudra bien se
(1) Barn. 6 ; Tert. De Cor. 3 ; Adv. Marc. 1, 14. — C'est un rite propre à Rome et Alexan-
drie (Duchesne, p. 359) qui survit encore aujourd'hui chez les Coptes et les Ethiopiens (Du-
chesne le, p. 349, et H. Denzinger, Ritus Orientalium, in-8, 1863, t. I, p. 37). Il a disparu de
bonne heure à Rome, peut-être supprimé par S. Grégoire le Grand (Duchesne, le. p. 333, note 2,
d'après Usener, le). Mais l'oraison pour la bénédiction du lait miellé [c£. la note suivante] a
subsisté au cérémonial du Samedi-saint de Pâques dans le Pontifical romano-germanique (Hittorp,
De div. cath. Eccl. offic, éd. de 1610, col. 87 CD) ; dans le Pontifical romain du XII^ s. (éd..
Andrieu, Studi e Testi 86, p. 262) ; dans le Pontifical de la curie romaine au XIII^ s. (id. St.
e T. 87, p. 453) ; et jusqu'au xivs siècle dans le Pontifical de Guillaume Durand (id. St. e T.
88, p. 539), ancêtre immédiat de l'actuel Pontifical romain, d'où elle a été éliminée. — Moléon,
Voyages liturgiques de France, Paris, 1752, p. 30, dit que de son temps à Saint-Maurice de
Vienne, le lundi de Pâques, avant les vêpres, le clergé se réunissait à l'archevêché, où il trou-
vait « des tables garnies de miel et d'autres choses avec du vin », ce qui est en rapport avec
l'introït de la messe du jour : introduxit vos in terram fluentem lac et mel.
(2) Sacramentaire lêonien, éd. Feltoe, p. 15, messe du samedi de Pentecôte pour les nouveaux
baptisés (= Muratori, t. I, col. 318).
(3) C'est de ce canon 37 du troisième concile de Carthage que provient la lettre apocryphe
adressée « à tous les orthodoxes » par le pape Alexandre 1er, « cinquième successeur de
S. Pierre », Mansi, t. I, col. 638 : « In sacramentorum quoque oblationibus qui inter missarum
solemnia Domino offerantur, passio [col. 639] Domini miscenda est, ut ejus cujus corpus et
sanguis conficitur, passio celebretur, ita ut, refulsis opinionibus superstitionum, punis tantum et
vinum aqua permixtum in sacrificiis offerantur. Non débet enim (ut a patribus accepimus et
ipsa ratio docet) in calice Domini aut vinum solum, aut aqua sola offerri, sed utrumque per-
mixtum, quia utrumque ex latere ejus in passione sua profluxisse legitur ». Mais le sens primitif
s'en est à peu près effacé. L'auteur ne pense plus ici (sauf en ce qui concerne l'eau pure) à
l'ancienne coutume (qui pourtant explique l'incise repulsis opinionibus superstitionum) de con-
sacrer autre chose que du pain et du vin, mais seulement à celle qui avait persisté, qui persiste
encore aujourd'hui chez les Arméniens grégoriens, de consacrer du vin pur au lieu de vin trempé.
G est avec ce sens rétréci que le texte du ps.-Alexandre I« est passé d'une part au xi^ siècle
chez Bernon de Constance, Micrologue, ch. 10 (PL. 151, col. 983) : « sanctus Alexander, Papa
quintus a beato Petro, constituit ut panis tantum et vinum aqua mixtum in sacrificio Domini
offeratur, quia de latere Domini sanguis et aqua simul profluxerunt » ; et d'autre part dans la
buUe Exultate Deo du 22 novembre 1439 {Decretum pro Armenis) (Denzinger 1°, 1908, n" 698,
426 LUX PERPETUA (pp. 265 et 357)
rappeler la lettre de Jean Diacre à Sénaire {PL. 59, col. 405 CD) : quod autem quae-
sistis, ciir in sacratissimum calicem lac mittatur et mel, et Paschae sabbato cum sacri-
f iciis of f eratur, illtid in causa est quia scriptum est in V. C (Lev. 20 ^'^) : ... Introdu-
cam vos in ierram ... fluentem lac et rnel ... Baptizatis ergo hoc sacramenti gsnits
offertur, ut intelligant quia non alii, ■ sed ipsi, qui participes fiuni corporis et sanguinis
Doniini terram repromissionis accipient ... [^06 A) : ut nutriti talibus sacramentis incor-
ruptionis perpetuae mysteriis consecrentur . Là est peut-être l'explication de ce canon
du III" concile de Braga (Mansi 11, col. .154) qui, en 675 interdit de substituer le
lait au vin dans la célébration de l'eucharistie : lac pro vino in divinis sacrificîis dedi-
care... Cesset ergo lac in sacrificando offerri (i). Cf. à ce propos l'écrit gnostique Lf^re
de la prière d'Azeneth, où un ange substitue au pain que celle-ci apporte pour le
sacrifice, un rayon de miel qu'il qualifie «pain de vie» (Batiffol, L'Eucharistie^, 1913^
p. 190, note 3).
Jean Diacre semble dire que l'on mêlait le lait et le miel dans le calice avec le vin'
et l'eau lors de la cérémonie de la nuit pascale. Un tel mélange est connu de Virgile,
Géorg. I, 344 : « Cui tu lacté favos et miti dilue Baccho ». Saint Jérôme connaît aussi
de semblables mixtures, mais il parle tantôt de lait et de miel, tantôt de vin et de lait,
Contra Lucifer., 8 (PL. 23, col. 164) : « ...velut in lavacro ter caput mergitur, deinde
egressos lactis et mellis praegustare concordiam ad infantiae significationem die domi-
nico et omni Pentecoste » ; In Is. proph. (PL. 24, col. 529 C) : « Et ut non solum
vinuni emamus, sed et lac, quod significat innocentiam parvulorum, qui mos ac typus
pp. 239-240). — Sur la consécration d'eau pure au lieu de vin trempé, cf. A. Harnack, Brot
und Wasser (T. U. VII, 1892) contredit par Batiffol en ce qui concerne Justin, Dict. d'Arch.
chr. s. v. « Aquariens » ; sur la consécration de pain et de fromage (ou peut-être de lait),
Philastre, Haer. 74 {PL. 12, col. 1186) et Epiphane, Haer. 49, « Artotyrites » ; et Passio S.
Perpetuae, 4 (Robinson, p. 68) : « Et clamavit (Pastor ovium) me, et de caseo (sx. ■ïoù TupoC)
quod mulgebat dédit mihi quasi buccellam {ihiû <\iMiiioy) ; et ego accepi junctis manibus et
manducavi. Et universi circumstantes dixerunt Amen ».
(1) Il est interdit par le même canon pro vino botrutn offerre, et de donner au peuple eucba-
ristiam vino madidam pro conrplemento communionis. Cf. sur le même sujet Conc. in TruUo
(692) [supra p. 425] canon 28 (Mansi, 11, col. 956). — Peut-être faut-il voir dans cet usage du
lait, qui représente le fruit des mamelles divines — « pour qu'ils boivent mon lait saint », dit
le Père éternel dans Odes Salom. 8 ^i', « et qu'ils en vivent » — un rite d'adoption par lequel
le baptisé devient, dans le Christ, fils de Dieu et par là même héritier de la vie éternelle
{Gai. 4 6-7). Pour éclairer cette idée, l'on peut comparer — mutatis mutandis — ce que leBayan,
trad. Fagnan, Alger, 1901 (dans E. F. Gautier, Siècles obscurs du Maghreb, Paris, 1927, p. 251)
rapporte de l'adoption de Khaled par la Kahéna. Elle lui dit : « je veux te donner de mon
lait pour qu'ainsi tu deviennes le frère de mes deux fils ; ... chez nous tous Berbères, la parenté
de lait confère un droit réciproque d'hérédité ». Alors elle fit avec de l'huile et de la farine
d'orge une pâte qu'elle se mit sur les seins, et elle la fit manger ensemble à ses fils et à Kha-
led. Et elle leur dit : « Vous êtes devenus frères ». — Sur ces équivalences et substitutions,
cf. supra, pp. 25, 27, 33 ; et en outre Jaussen, Coutumes des Arabes, 1908, p. 101 : à côté du
tombeau de Qoftân, on dispose un tas de terre et l'on dit : « Ceci, c'est le riz » ; une pierre
que l'on a brisée, et l'on dit : « Ceci, c'est la viande pour le mort » ; et l'on dessine, à son
usage, un sabre, un fusil et un pistolet. Cf. aussi le bouc émissaire substitué au peuple {Lev.
16 20.22) ou le rachat du premier-né de la femme dû comme tous les autres à Yahweh {Ex-
22 29.30)^ puis obligatoirement racheté {Ex. 13^3 et 34^9) moyennant cinq sicles d'argent
{Nu 18 16). — Sur le lait, cf. Salluste philos., De dits et mundo, 4.
NOTES COMPLÉMENTAIRES (pp. 265 et 357) 427
in occidentis Ecclesia hodie usque servatur ut renatis in Christo vinum lacque tribua-
tur ». C'est aussi ce qui ressort clairement du témoignage de Clément d'Alexandrie,
paed. I, 6, qui s'explique longuement, non seulement sur le mélange d'eau, de lait et
de miel (i, 6, 52 ; i, 6, ^o, 4) mais sur l'addition de ce lait au vin, i, 6, 51, i (Stâh-'
lin I, p- 120) : va'. [).i\w iTZiixiyyox'Xi th ydtXa xa'. oïvqi xïr^y vXuxcï, èitwoîXïiC 8è i\ [xîÇtç...
È^oppoStai Y«? iJTîô "fî^ o'-'vou to -(%\a, •/.%<. (rjrîÇexxi. Quant à Hippolyte, il dit expressément
qu'il y avait durant la nuit pascale quatre oblations distinctes, qu'il énumère dans cet
ordre (§ 23, pp. 53-55) : « panem... calicem vino mixtum... lac et mel mixta simul...
aquam ». L'ordre de présentation est ensuite inversé lorsqu'il énumère les diacres
porteurs des coupes : « primus qui tenet aquam, secundus qui lac, tertius qui vinum ».
— Cf. Odes de Salomon 19 ^ ; 4''^*' j 8 i'' ; 30 ^ ; 40^, lait, miel, eau, le Fils étant la
coupe.
Des traces de l'ancien état de choses ont longtemps subsisté : une de mes grands-
mères, née en 1825, m'a raconté que dans son enfance, donc vers 1835, le curé de
Crézancy (Aisne), son village natal, un jour de l'année que je crois être le 6 août,
fête de saint Sixte et de la Transfiguration, pressait dans le calice une grappe de raisin.
J'avais cru comprendre que c'était avant l'offertoire ; en ce sens, Beleth, Rational, 144
[PL. 202, col. 147) : « Et notemus quidem Christi sanguinem eadem die {6 août) con-
fia ex novo vino, si inveniri possit, aut aliquant-uluTn ex matura uva in calicem expressa,
et quod racemi benedicantur unde homines communioent » ; d'où Durand de Mende,
Rational, 7, 22. Mais il se pourrait que ce fût plutôt à la fin du canon, comme il est
fait du ÇÉov dans la liturgie byzantine. Quoique ma grand-mère ne m'ait pas parlé
de raisins bénits, il s'agit sans doute ici de la même cérémonie que Moléon (Zc.,p. 132)
signale à Saint-Martin de Tours où, le 6 août, « à la grande messe le célébrant, après
ces paroles du canon : sed veniae, quaesumus, largitor admitte, bénit les raisins nou-
veaux présentés sur l'autel par les marilliers, par l'oraison Benedic, Domine et hos
novos frucfus uvae [Muratori, t. I, col. 746], et après avoir dit in nomine Domini
nostri ]esu Christi, il presse un grain ou deux de raisin dont il fait couler le jus dans
le calice avec le précieux sang en disant : -per quem haec omnia... Ensuite les maril-
liers vont distribuer les raisins bénits à tous ceux qui sont au chœur. » Il y a dans
cette cérémonie deux rites différents :
1° Offrande et distribution, à titre d'eulogie, -pro comrplem-ento communionis, de grains
de raisins nouveaux; cela se retrouve ailleurs : St-Maurice d'Angers (p. 10 1), S te
Croix d'Orléans (p. 206, le 14 septembre, jour de l'Exaltation de la Croix), Chartres,
Toul (p. 434) ; Amiens, Lyon, abbaye de Cluny (De Vert, Cérémonies de l'Eglise,
1720, t. IV, p. 236) ; Reims, Saintes (Jb.^ p. 238) ; St Vincent de Metz (cf. Amalaire,
T)e ecclesiast. officiis, i, 12, PL. 105, col. ici 3 1«, à propos de la bénédiction de l'huile
des infirmes, in eo loco ubi solemus uvas benedicere) ; et en Orient (Moléon, p. 447,
d'après Goar, pp. 694 à 696) ; cf. Rahmani, Les Liturgies orientales et occidentales,
Beyrouth, 1929, p. 257 : « Dans les eucolqges syriens et grecs se trouvent des prières que
le prêtre récite en bénissant le raisin et les fruits aux deux fêtes de la Transfiguration
et de l'Assomption. Leur teneur indique que les susdits fruits étaient distribués pour le
repos des âmes des trépassés et donnés en aumône aux pauvres » (i).
(1) Et un peu plus haut {ib. p. 257) : « quelques chrétiens d'Alep [encore aujourd'hui] se
î^endent au cimetière le jour de la fête de l'Assomption, s'assoient sur les tombes de leurs
•norts, y mangent des raisins et en distribuent aux pauvres ». Ici apparaît un nouvel aspect
°e ces rites, qui les met en relation directe avec le culte des morts. Vers 1870, les enfants de
Çnoeur de Saint-Germain sur Bresle (Somme) quêtaient de maison en maison, disant ; « DoO'
428 LUX PERPETUA (p. 371)
2° Immixtion, de jtis de raisins dans le calice avant la communion : c'est le rite qui
déjà conjoint avec le précédent, est condamné et interdit en 675 par le troisième con-
cile de Braga, en même temps que la substitution du lait au vin dans la célébration de
l'eucharistie, comm:e il a été rapporté plus haut (p. 426).
Il est manifeste que nous sommes en tout cela fort loin de l'eucharistie paulinienne
et synoptique. Et il est vraiment difficile de n'y pas soupçonner quelque influence des
milieux orientaux où se développait le christianisme. Il ne s'ensuit pourtant pas qu'il
faille expliquer le christianisme par les Mystères, en le ramenant, en l'assimilant aux
Mystères, ou penser, avec Casaubon, De reb. sacr. et eccles. exercitat., Londres, 1644, que
ses rites ont pu leur être empruntés. La ressemblance des cérémonies, parfois peut-être
l'identité des formules, n'impliquent nécessairement aucune communauté de ï^eltan-
schmtung. Et il y a, comme il a été dit plus haut (p. 384), entre le néoplatonisme et le
christianisme, une antinomie fondamentale (Cf. infra, N. C, XXVIII, Erôs et Aga-pé).
Mais réciproquement cette antinomie n'empêche pas que des convertis aient pu introduire
dans le christianisme des coutumes et même des formes de pensée qui venaient d'ail-
leurs. Cf. Relig. orienta, p. X. Les chrétiens eux-mêmes avaient le sentiment que le bap-
tême leur donnait la vraie lumière, xô tpwi; tô àXriOtvôv (/o. i^), comme le chante encore
aujourd'hui après la communion la liturgie de S. Jean Chrysostome : s'i8o|jiev xo tpûx; xà akri-
61VÔV que les mystères chrétiens étaient les vrais Mystères, donc aussi des Mystères, mais
dont les autres ne devaient être considérés, selon les uns que comme une très fâcheuse
préfigure — c'est le cas, semble-t-il, de Clément d'Alexandrie (Protrept. 11, 112, i
(Stàhlin, I, p. 79) ; cf. Cl. Mondésert, Cl. A. Paris, 1944, pp. 208 ss., 227) — selon
les autres, comme une parodie démoniaque : ainsi pense Justin lorsqu'il constate des
ressemblances un peu troublantes entre la cène mithriaque et la cène chrétienne, Afol. I,
66 {PG. 6 col. 429), à propos de la consécration du pain et de la coupe : Sirep xa'. èv -coTî
xoù Mi6pa fjL'jffxripfotç TrapsSwxav ybECTÔai [jit[jLY)(ïà(jievoi ol TrovYjpot 8a£[iovEç" oxi yo^p apxoç xal
TTOxrjptov uSaxoi; xfOexat èv xaïç xoû (jluoujjisvou ■vzkt'iixi^ [iEx' èTttXoycov Ttvwv. •■?] ÈTcdixaiTÔs, i\ (JiaQEiv
SûvauGe. Ainsi encore Tertullien, ^e Cor 15 ; De fraescr. haeret. 40. [L. C.].
XXVI. — SUR LA PUNITION DES REPROUVES.
(Chapitre VIII, p. 371).
Porphyre dit dans le irspl STuyéc, probablement d'après Kronios le pythagoricien que
« les tourments que subissent les coupables [inse-pulti et impies] viennent de leur ima-
nez-vous à trépassés » ? On leur remettait, qui une miche entière, qui un quignon de pain. Le
tout était béni le dimanche suivant au cours de la messe, et vendu aux enchères à l'issue de
la cérémonie, pour le produit être affecté à la célébration d'un Requiem : c'est du moins ce
que mon père me racontait quand j'étais enfant. Il y a encore quelque intérêt à lire sur ces
questions et sur les cérémonies des funérailles (infra N. C. XXXI), l'essai de Jean-Baptiste
Thiers, De la sainteté de l'offrande du pain et du vin aux messes des morts, non confondus
avec le pain et le vin qu'on portait sur les tombeaux, in 16°, Paris, 1781, à la suite du Traite
des cloches.
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 371) 4*9
gination » (i). A rapprocher de l'enseignement des Vijnânavâdîns = CîUamâtravâdins,
suivant lequel c'est par leurs propres actes, non par les démons, que les damnés sont
poursuivis : les démons sont des hallucinations des damnés (La Vallée-Poussin, La
morale bouddhique, Paris, 1927, p. 199)- — Us n'en sont pas moins réels, car Vacte
est conçu comme une réalité objective, distincte de celui qui l'a produite : « C'est toi
seul qui as fait ces mauvaises actions. Seul tu dois en manger le fruit ». (Majjhima, 3,
118, ibid. p. 195). « L'acte de personne ne périt : c'est le maître de l'acte qui le prend»
(Suttanipâia, 666, ibid. p. 202). Ce qu'on nomme le destin (daiva)^ c'est Va.ct& ancien»
[Bodhicarya, 8, 81 ; Yâjnavalkya, I, 348, ibid. p. 202). « L'acte poursuit celui qui
l'a fait comme le veau cherche la vache » {Mahâbhârata, 12, 181, 16, ibid. p. 203).
« Les êtres ont pour propriété leur acte, sont les héritiers de leur acte, ont pour matrice
leur acte, ont pour parent et refuge leur acte » (Maffhima, 3, 203 ; Anguttara, 5, 288,
ibid. p. 203).
C'est en un sens analogue que le Qoran dit que toute âme est l'otage (peut-être plu-
tôt : le gage ou la caution) de ses actes {Qor. 52 ^\ 74*^)- Mais l'idée est pourtant
assez différente. Selon le Qoran l'homme est récompensé pour ses bonnes actions, et
puni pour ses mauvaises ; d'où certains théologiens de l'Islam tireront que la rétribu-
tion est immanente à l'acte ; cf. Wohayb ibn al Ward, mort en 153/770 (dans Mas-
signon. Passion d'al Hallâf, p. 697) : « Le Paradis, c'est louer Dieu, savoir Dieu ; l'en-
fer, c'est pécher, se satisfaire de sa concupiscence ». Cf. dans le christianisme, Julienne
de Norwich, Révélations of divine Love, ch. 76 (trad. Meunier, 1910, p. 328) : « Pour
l'âme qui voit la bonté de notre Seigneur Jésus, il n'y a selon moi d'autre enfer que
le péché » ; et Ruysbroeck, Se-pt degrés, ch. 12 {Œuvres, trad. des Bénédictins d'Oos-
terhout, t. I, p. 249) : « l'amour vit de soi, et est à soi-même sa propre récompense».
Dans le monde indo-iranien au contraire l'acte est objectif, extérieur, on dirait pres-
que transcendant à son auteur, qui en devient le prisonnier et la victime, tel Oreste en
proie aux Furies à la fin des Choé-phores : v. 1053 : oûx zW: Sô|at twvSs irTipLâTijùv i\in'\..
V. 1061 : u[XgÎ<; |i.Èv 0Ù7 ôpxxe xàffS'- Èyw 8'ôpw. Dans le même esprit il est dit dans VAscle-
fius 28 (C. H. II, Nock-Festugière, p. 335) : -praescia etenim omnium rerum divinitate
reddentur, -perinde ut sunt, pro delictoruni qualitatibus poenae. [L. C.].
XXVII. — VETEMENTS DES AMES
(Chapitre VIII, p. 355)
Supra, pp. 293, 355, 358, 364, 378. — La notion à'eidôlon a laissé des traces dans
le Zohar, i, 7A (Pauly, t. I, p. 38) : « ...le paradis inférieur où tous les justes accè-
dent, leurs âmes revêtues d'enveloppes éthérées ayant la ressemblance avec les corps
qu'ils possédaient en ce bas monde » 51,38 B (Pauly, 1. 1, p. 236) : « Car dans
l'Eden inférieur les âmes sont enveloppées de vêtements dont l'essence correspond au
(1) Cf. aussi Corpus Hermet., 10, 20, avec la note de Cumont (Nock-Festugière, t. I, p. 133)
qui renvoie à Rev. de Philol., 1920, pp. 230 ss. sur Lucrèce et le symbolisme pythagoricien des
Enfer\s.
430 LUX PERPETUA (p. 355)
lieu ; les âmes jouissent de ces enveloppes dont elles sont entourées, aussi longtemps
que dure leur séjour dans ces palais. Mais dès qu'arrive le moment de monter à une
région supérieure, elles sont dépouillées de leur enveloppe ». Ici va apparaître une idée
toute différente, qui est celle du vêtement de lumière ou du «corps glorieux» (i); ibid.
(p. 237) : « Malgré cette enveloppe, les âmes peuvent voir les formes célestes et con-
templer la gloire de leur Maître. Dans ce palais les âmes peuvent également contem-
pler la lumière qui se dégage des âmes des convertis qui montent et descendent; chaque
fois, avant de monter, ces âmes s'entourent d'une enveloppe de lumière éclatante, mais
à peine accessible à l'œil des autres âmes ». De même chez les chrétiens, Aphraate,
Demonstr. XXII, De morte et novissimis tem-poribus 11 {Patrol. Syr., t. I, col. 1014) :
« In luniine enim habitabunt in mansionibus sanctorum. Textilis vestis non indigebunt ;
nam aeterno lumine vestientur ». — Cf. Odes Salom. 11 1".
Ce vêtement de lumière scintille déjà dans les récits de la transfiguration du Christ,
Me. 9^ : xaî [Xïxeii,op<DwOr, è'iJiTcpoaOîv aùxtov, xat ta IjjtitTia aùtou èyé^/eiro attXêovxa Xtuxz )a'av,
Lc.()^^ : xat È-févETo Iv xîï) upoïE'j^^EffOat aùxèv tô eTooç ttoù -KpoiéTcou txùzou Exepov, xal 6 liJiaxtapç
aùxoù Xeuxoi; ÈÇaffTpàirxwv. Mt. 172 ; xal (jiEXE(j.op(ptjf)9Tr) à'jiTtpoffÔEV aùxSjv, xal è'Xajji(j;EV xô Ttpoffwirov
aùxoij w; ô rjXio;, xà 8'e ljj.àxia aùxoù i^évzxo Xsuxà Jjç xô tfwç. Ainsi avait-il été dit que
dans l'au-delà (Plut. De facie, 82, p. 943 D) les âmes délivrées de leur corps ont
l'apparence d'un rayon, àxxTvt xt,v o(j/iv sor/ulat [cf. Et. Syr., p. 106, note 2], ou devien-
nent semblables aux astres, Da. 12^ 0' : xal ol ffuvtévxeç cpavoutjt wç cpwtJTYjpEç xoù oùpavoO,
xat ol xaxtcTj^^'jovxî,; xoùî "ki^ouç (jiou was'. xà aaxpa xoù oùpotvoù etç xov a'a)va xoù alwvoç, ou
d'après 6 : xat ol cruviÉvxeç èxXàu,'^o'j3(v w; -^ Xaixitpôxv]!; tou (TX£pE(jL)[ji.axoî, xal âirô xwv Sixafwv
xùv TToXXwv (L; ol àjxîpEç ëIç xoùç alwvaî xaî Ext. [Cf. aussi Mt. 13*8 et stcpra, p. 174 et
{>. 301] (2). Mais surtout la transfiguration dès ce monde apparaît dans Ex. 34 2^-^",
orsqu' après la grande théophanie Moïse • redescend de la montagne : où/. tIoei ô'xi SeSo-
^acrOa: -f, od/t; ttj ^p 'j[ji.axoç xoù upodiÔTc /u sv x^p XsXsîv aùxôv aùxtû. De cette scène grandiose
il est impossible de ne pas rapprocher la théophanie zoroastrienne que rapporte Dion
Chrysostome, Or. 36, ch. 40 (dans Mages hellén. t. II, p. 28 [cf. aussi, t. I, p. 29]) :
"Ov llÉpaat lÉYO'Jffiv sotoxi aocpix; /.a: Stxaiojjvr,? àTcoywpv'ffavxa tI)v àXXwv /.aO' auxov Èv ôpEi v.r.
Çï,v • ETE'.xa à'i>Oï,va'. xô. 0:0; uopôî avwÔE"^ tîo'XXoù xaxaax,ï'v|^3ivxoç, auvEywî te xâEdOau Tbv oùv
PaaiXia uav xot? ÈXXoytafiJT'TO'.i; népiT'jûv àcptxvEÏcrOcc. 7cXy,!T'!ov, pouXôfxsvov E'j^aaOat xîjj ÔEqf» • xa!
xov àvSpa [== Zoroastre] e^eXOew Èx xoù Tupoî â^raOri. oavivxa Se aùxoîc; "Cktwi 6appETv XEXEÙaai
xat Oùffat G'jCTÎaç xivà:;. à; t'Xovxo; eU xov t6t:ov xou ôeoù. De part et d'autre l'illumination est
le signe sensible d'une communication de la vie divine.
Ainsi en est-il encore aujourd'hui selon la théorie mystique de l'Eglise orientale. Il
est à remarquer en effet que si la mystique occidentale, fondée principalement sur la
méditation de la vie de Jésus et r;effort pour s'y conformer, tend à se manifester par
la stigmatisation, la mystique orientale au contraire, qui se présente comme une asso-
ciation de plus en plus intime à la vie de la Trinité, se traduit plutôt par la glorifi-
cation du corps, qui se revêt de lumière [remarque de M^i^ G. Fays"] ; cf. Lossky, /. c.
[su-pra, p. 419], p. 213, et tout le ch. 11, pp. 215 à 234). Cette lumière n'est perceptible
qu'à ceux qui en sont eux-mêmes pénétrés (pp. 221 et 226 [cf. supra, Zohar, 1. 9]) ;
(1) Cette notion du corps glorieux n'est, pas à confondre — encore qu'elle y soit peut-être
apparentée — avec celle du corps de feu, (Jcf)[/.ato; Truptvou Xaêôjjievoç {Corp. Hermet. 10, 16)
Nock-Festugière, t. I, p. 121).
(2) Cf. Plut., De Is. et Osir. 21. Sur le tombeau d'Osiris : où [i.6vov Se xo'jxou ol lEpeil
XÉyoutnv, àXXà xaî x(ï)v aXXwv ÔEtov, oaot fxrj à.'^i-^vc);zo\. \in\K àtfôapxoi, xà \ù» ffcôfxaxa itap' auxo'.C
XEÎaSstt, xafA(5vxa xac BEpairEUEuÔai, xàç 8e <|''Jj(à; èv oùpavif XajjntEiv auxpa.
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 386) 431
pp. 217-218 : « Ce sont les énergies divines, les « rayons de divinité » dont parle Denys
rAréopagite (i), vertus créatrices qui pénètrent l'univers et se font connaître, en dehors
des créatures, comme la lumière inaccessible dans laquelle habite la Trinité». Cette trans-
figuration, reflet de celle du Thabor, n'est pourtant pas totalement inconnue du monde
occidental : il est raconté dans la Vie de Ruysbroeck^ ch. 15 {Œuvres, t. VI, pp. 295-296)
qu'étant un jour demeuré plus longtemps que de coutume dans les bois où il s'était retiré,
les religieux allèrent à sa recherche. « TJn frère, qui lui était assez intime, [sMpra, p. 430],
remarqua de loin un arbre qui semblait par en haut tout enveloppé d'un rayon de
feu. S'approchant alors en silence, il trouva l'homme de Dieu assis sous cet arbre, pncore
tout ravi hors de lui par la grande douceur de la ferveur divine. De ceci il apparaît
clairement de quelle ferveur intérieure d'esprit et de quelle splendeur il était enflammé
en même temps qu'illuminé, alors que le rayonnement en paraissait au dehors d'une
façon si manifeste » (2) [L. C.].
XXVIII. — ÉROS ET AGAPÈ
(Chapitre VIII, p. 386).
« Vision béatifique de la splendeur de Dieu, perception immédiate de toute vérité,
amour mystique de la Beauté ineffable, voilà les sublimes spéculations qui devaient
être indéfiniment reproduites et développées après la chute du paganisme ». Il ne faut
pourtant pas se dissimuler que, comme il a été dit plus haut {supra, p. 384), il y avait
«entre le néoplatonisme et les dogmes de l'Eglise plus que des divergences secondaires,
une antinomie fondamentale sur des points essentiels », qui peut-être se ramènent à
un seul : l'irréductible opposition entre Erôs et Agapè. L'on pourra consulter sur ce
sujet, en faisant la part des positions propres à la théologie luthérienne, Anders Nygren,
den kristna karlekstankengenom tiderna, 1930-1936, dont la première partie a été tra-
duite en français par P. Jundt, sous le titre Erôs eu Agapè, in-i2°, Paris, 1944.
La notion à' Agapè, amour désintéressé, don de soi par générosité ou charité, paraît
être la grande innovation spécifiquement chrétienne, / lo. 4^ : oTt o ^zhc, k-^é-T^r^ èctw.
Elle exclut radicalement l'idée à' Erôs, aspiration, appétit, désir de posséder, seule forme
d'anaour qu'ait connue Platon (3) (Nygrén, le. p. 94. Cf. Festugière, Contemplation et
col. 1000 A : ... -Kohi Tr,v ÛTCEpo'jatov toij Osîou œkôxo'jç àxTÏva. -rcâvxa àips^iiv [c£. supra, p. 419,
Plotin], -/.aï èx Ttâvxwv àTroXuGs'ç àvayOr^ff-/!. — A rapprocher de C. H. X, 22 (Nock-Festugière,
'• I) p. 124) : xa; xoù [J.ÏV Oeoû y.aÔàTrsp àxxïveç al svipYstai, tou 8è x()cr(i.ou àxxïveç al tocrîiç'j.
(2) A rapprocher, pour la stigmatisation de S. François d'Assise, de // Cel., 211, éd. Edouard
û'Alençon, Rome, 1906, p. 328 : Et ideo stigmata exierius fulgehant in carne, quia intus radix
fltissima {crucis) excrescebat in mente.
(3) Cette notion, si complètement étrangère au Christianisme, se maintiendra indéfiniment à
travers le moyen âge. C'est elle qui fait dire à maître Eckhart {Pourquoi la connaissance est-
432 LUX PERPETUA
vie contemplative selon Platon, p. 275, note 4 ; p. 33g ; p. 356) : et c'est pourquoi il
pense que les dieux, n'ayant besoin de rien, n'éprouvent pas l'érôs {Banquet, 200-201),
Plotin admettra au contraire {Enn. 6, 8, 13) que Dieu est_ Èpâffj,iiov y-aî Epu); aÙToç y,^[
autoù è'pw;, curieuse formule qui, quoique symétrique à la formule chrétienne ô Oeôi; àyâTt,]
Èaxîv, a un sens diamétralement opposé.
La contradiction entre è'pwi; et à-^à.-K-r\ est telle que le mot même d'è'pw; est étranger
au Nouveau Testament. Autant que nous sachions, il apparaît pour la première fois
dans la littérature chrétienne chez Ignace d'Antioche, Ep. aux Romains, 72 : ô t\xhc^ èpon;
ÈffTaupcoOrj, qui s'entend — le contexte l'exige, aussi bien qu'une référence implicite
à Rom. 6 6 (2) — : « Mon désir a été mis à mal », ou : « Ma concupiscence a été
matée »(3), mais qu'Origène, par un contresens volontaire, selon l'esprit de l'exégèse
alexandrine, s'est plu à interpréter : « Mon Amour (= le Christ) a été crucifié » (/«
Cant. prologue, trad. Rufin, PG, 13, col. 70 D); et quelques précautions qu'il ait prises
pour expliquer comment, quand il s'agit de Dieu, les deux mots peuvent être pris l'un
pour l'autre (4), imais en ramenant, si je l'entends bien, epwç au sens d'àYâirT) précisément
parce qu'il est dit, / lo. 4^, ô'xi ô Ôeoç àyânT] èjt'v, l'usage du mot finit par impo-
ser la chose, en sorte que la notion d'Ëpiuç, non contente de contaminer celle d'i^(iivr\,
tendit à se subistituier à elle et y réussit presque entièrement. Cette transformation est
due au ps.-Denys, qui est le canal par où les idées plotiniennes s'insinuèrent dans le
christianisme et finirent par s'imposer à lui [supra, p. 384). C'est ainsi que lorsque la
citation d'Ignace se retrouve dans Div. Nom., 4, 12 {PG. 3, col. 709 B), nous sommes,
cette fois, beaucoup plus loin partis : epioç n'est plus interprété comme synonyme d'àyâTtr).
L'auteur le proclame vénérable et laisse clairement entendre qu'il lui donne la préférence.
A la vérité, il n'ignore pas — et cet aveu est d'un grand intérêt — que le mot est com-
battu comme contraire à la parole divine, 4, 11, col. 709 A : itXv '{va \i.r\ -caùTa skelv
8ox(ï)|ji£V tbî xà Oîïa Xdyta •7Tapa>civo'jvx£;, àxousxtoaav aùxwv ol xr,v eptoxoç £Triovu[j,'!av SiaêaXXovTsç'
èpâcrO-/)x'. aùxïjç (=Ta Sagesse), ÇiQ^î, y-*' x-r,pr'(7£t ae {Prov. 4^-^)- Mais il proclame qu'il y a
un autre parti, auquel il se rattache délibérément, qui considère le nom de l'È'pwi;
comme plus divin que celui de VàjiTzt], 4, 12, col. 709 B : xafxoi l'oo^s xktï xwv xa6' •fip.ài;
lepoXdywv xaî ôîtôxepov sTvai xô xou epwxoi; ovo[j[.a xoO xYt; àyàity,?. Ici c'est nettement la tendance
plotinienne qui prévaut. Mais la lutte montre bien qu'il s'agit d'orientations différentes
et inverses, et que des deux mots, c'est àyâirr, qui exprime authentiquement la notion
chrétienne de l'Amour. (Cf. Div. Nom. 4, 15, col. 713 AB, la définition de rè'pwi; dans
l'hymne du prétendu Hiérothée).
Plus tard, particulièrement au xiii^ siècle, l'aristotélisme se combinant avec le ploti-
elle mieux que l'amour ? dans Schulze-Maizier, Meisters Eckhart deutsche Predigten und Trak-
tate, Leipzig, 1938, p. 375) : « La pierre aussi a de l'amour » parce qu'elle a tendance à
tomber. L'amour se voit ainsi, chose incroyable, assimilé à la pesanteur. Mais déjà S. Augus-
tin avait écrit, Civ. Deî, 11, 28 : « Nam velut amores corporum momenta sunt ponderum, sive
deorsum gravitate, sive sursum levitate nitentur. Ita enim corpus pondère sicut animus amore
fertur quocumque fertur ».
(1) Rom. 6^ : xouxo yiviocxovxeç, ô'xi ô TiaXaiôç tjjjlwv avOpoJno; 5uve<7xaupu)0rj , '(va xaxapyvi"'{l
XO <ïû[jia x-Tjç àpiapxîai;, xoù \s.t^yÀxi SouXe'jeiv -fjpiài; xfi à.\}.c».^x[c}. Cf. Gai. 5^4 : ol 8e xoù 5(pw^°"
'l7)(Joù xTjV ffdtpxa Èaxa'jpwirav dùv xoTç TuaOn'itJiafftv xa! xaïç èiri6uia.(ati;..
(2) Cf. Harnack dans Sitzungsber. Berl. Akad., 1918, p. 81.
(3) « Sic ergo quaecumque de caritate scripta sunt, quasi de amore dicta suscipe, nihil de
nominibus curans ; eadem namque in utroque virtus ostenditur» (éd. de l'Acad^ de Berlin, t. VIII)
p. 70, Leipzig, 19.25),
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 386) 433
nisme (cf . J. Durantel, S. "Chômas et le ?>5.-Z)e«y5,in.-8o, Paris, 1919), et la notion d'actua-
tion ou d'information brochant sur le thème de l'^ptoç, la Charité en Dieu en vint à être
considérée comme un aOtoO Iptoç, tel que Dieu ne puisse aimer que soi, ou, s'il aime
autrui, que pour soi ; d'où l'on conclut que de la part de l'homme la charité ne peut
être qu'une vertu (c'est-à-dire une propriété, une aptitude, 'CaugUchkeit) infuse en lui du
dehors comme une information s'imposant à une matière, une actuation à une puissance,
de telle sorte que l'homme est censé aimer Dieu, comme par un phénomène mécanique,
du même amour dont Dieu s'aime lui-même, et non par le libre don de soi qui est la
caractéristique propre de l'àYaTtr,. La position initiale du christianisme était ainsi entiè-
rement tournée.
Un mouvement analogue s'était déjà produit dans l'Islam, où il faut sans doute cher-
cher l'explication de cette prière d'Al Hallâj (L. Massignon, Passion d'Al Hallâf, p. 790,
d'après Kalâbâdhï, Va'arrof, n» 29) : « O mon Dieu ! Tu sais mon impuissance à
T'offrir l'action de grâces qui Te conviendrait. Viens donc en moi Te remercier Toi-
même. Voilà la véritable action de grâces : d'autre, il n'en est point ». La position de
Ghazzâlî est particulièrement nette, et a été fort bien exprimée dans ce passage de Ihya,
4,296,5, Mahabba, bayân, 10 (A. J. Wensinck, i« -pensée de Ghazzàlï, Paris, 1940, pp. 20-
21) : « En Dieu il n'y a pas de considération d'autrui comme tel : Il ne considère que
soa propre être et ses propres actions, parce que seuls existent son être et ses actions.
Aussi comprend-on qu'Abfl Sa'ïd al-Mïhani, entendant quelqu'un réciter en sa présence
les paroles du Qoran (5 s») : « Dieu les aime et ils aiment Dieu », ait dit : « En vérité
Il les aime. Lui qui n'aime que Lui-même, car II est tout, et rien n'existe hors Lui, et
quiconque n'aime que son être, ses propres actions et ses propres oeuvres, son amour
ne dépasse guère son être ni ce qui en dépend. En sonune. Dieu n'aime que Lui-même,
et les termes désignant son amour pour l'homme doivent être compris dans le sens que
Dieu ôte le voile qui couvre le cœur de l'homme, afin qu'il voie Dieu avec son cœur,
ou dans le sens que Dieu lui permet de s'approcher de Lui, selon Sa volonté de toute
éternité... »
Tous ces auteurs, tant musulmans que chrétiens, tendent, quoi qu'ils en aient et si
inconsciemment que ce soit, à revenir à la position plotinienne (supra, p. 346) : L'Etre
« résorbe l'âme en lui, non parce qu'il veut la sauver, mais par une nécessité de sa
nature ». C'est en quoi Plotin se montre étranger et opposé au christianisme, exacte-
ment comme à'pojç l'est à àfii^-q. Et c'est l'influence de son esprit sur celui des doc-
teurs chrétiens qui a détourné le christianisme de son orientation première, par l'entre-
mise d'abord du ps.-Denys, puis de la scolastique aristotélo-plotinienne {supra p. 384)
[L-C.].
XXIX. — VISION BEATIFIQUE
(Chapitre VIII, p. 386).
« Vision béatifique de la splendeur de Dieu... ». De la substitution de rè'pwç à ràyâirr),
et surtout du retour au Dieu d'Aristote, Acte pur actuant des puissances, résulte la con-
ception d'une vision béatifique agissant par fascination de Dieu sur les Elus et tendant
28
434 LUX PERPETUA
à obnubiler en eux toute conscience personnelle. C'est alors le triomphe de l'intellec-
tualisme plotinien {supra, p. 360), qui s'épanouira, plus tard encore, dans le quiétistne,
Vahandon {de famiento), des Ammbrados {i). Supra, p. 357: «ceux qui, ayant dépouillé
dans leur ascension spirituelle tout ce qui est étranger à Dieu, ont le privilège de con-
templer ce souverain Bien, qui est au-delà de la beauté, de la vertu et du savoir, ne font
plus qu'un avec lui », Enn. I, 7, i (Bréhier, p. 108); V, i, 8 (p. 26); III, g, 9 (p. 176),
non pas en ce sens que les deux personnalités contracteraient une union d'amour, mais
en ce sens que la personnalité humaine s'évanouirait dans l'Unité divine, disparaîtrait
dans l'immensité de l'Un, îmmensum pelagus, suivant l'expression que S. Thomas d'Aquin
{S. theol. I, 13, II) emprunte à S. Jean Damascène {De fide orthod., I, 9, PG. 94, col.
836) : oTov Ti irâlayos oùffîai; àiteipov xai àôpiatov. C'est ainsi que tout ce qu'implique
à la fois de révérence et de tendresse la contemplation paulinienne (/ Cor. 13 ■'^^) a dis-
paru chez l'Aquinate : S. théol. i, 12, 2 : ita divîna essentia unitur intellectui creato
ut întellectum in actu \ Comp. ad fr. Reginaldum, 10^ : Ad hoc igitur quod îpse Deus
per essentiam cognoscatur, oportet quod ipse Deus fiât forma întellectus ipsius (l'éd.
Vives, 1856, porte ipsum qui n'offre aucun sens) et confungatur ei, non ad unam natu-
ram constituendam, sed slcut specîes intelUgibilis intelligenti ; c'est à dire que l'essence
divine informe l'âme comme une matière, l'actue comme une puissance, en sorte que
celle-ci n'a plus de vie propre. Et c'est en cette vision fascinatrice que consiste selon
S. Thomas d'Aquin la béatitude, ibid. 106 : et quîn ultimum finem hominîs dîcimus bea-
titudînem, in hoc consista hominîs félicitas sîve beatiiudo, quod Deum videat per essen-
tiam. Nous sommes ici très près du mysticisme intellectualiste plotinien {supra pp. 360
et 384) auquel V. Lossky, l. c. [supra, p. 419] (pp. 63-64) oppose la permanence de
la tradition paulinienne : « L'idée même de la béatitude recevra en Occident un accent
quelque peu intellectuel, se présentant comme une vision de l'essence de Dieu... Dans la
tradition de l'Eglise d'Orient il n'y a pas de place pour une théologie et, encore moins,
pour une mystique, de l'essence divine. Pour cette spiritualité la fin dernière, la béati-
tude du Royaume céleste n'est pas la vision de l'essence, mais avant tout la partici-
pation à la vie divine de la sainte Trinité, l'état déifié des « cohéritiers de la nature
divine » [77 Petr. i *, Rom. 8 i''], dieux créés après le Dieu incréé, possédant par la grâce
tout ce que la sainte Trinité possède par nature ». Et si, en dehors de la théologie
orthodoxe et des mystiques augustiniens, nous cherchons à retrouver l'accent des écrits
pauliniens, c'est, plutôt qu'aux scolastiques occidentaux, à vm spirituel musulman que nous
devrons nous adresser, 'Atiyah Dârânï (ap. Massignon, Essai sur les origines du lexique
technique de la mystique musulmane, p. 199) : « Pourquoi tolérerais-Je un châtiment
pour ceux qui à la nuit pleine cherchent à Me complaire ? Par Moi-même ! Je l'ai juré :
(1) Sur le dejamiento, cf. J. Baruzi, S. Jean de la Croix, in-80, Paris, 1924, p. 258 avec la
note 1. Sur l'union mystique conçue comme absorption en Dieu {ib. p. 262), cf. ibid. p. 261,
note 4, la citation de Melchor Cano, Censura... sobre... Carranza : ...pusieron una union per-
manente sine ullo medio inter Deum et vires animae nostrae, ut forma materiae et anima
corpori ». Ce que Cano reproche aux Alumbrados, ce n'est pas de concevoir une union directe,
sine ullo medio, entre Dieu et les puissances de l'âme comme entre l'âme et le corps : car
c'est précisément ainsi que S. Thomas d'Aquin s'était représenté la Vision béatifique en l'autre
monde {infra, 1. 13), mais c'est de concevoir cette union comme pouvant, dès ce monde, exis-
ter de façon permanente, una union permanente. Cano ne verrait aucune difficulté à l'union
directe, même en ce monde, s'il ne s'agissait que d'un état transitoire comme l'extase aristotéli-
cienne ou plotinienne {supra, pp. 347 et 357),
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 83) 435
lorsqu'ils comparaîtront au Jugement, Je leur découvrirai mon visage miséricordieux
(mihl al karlm) afin qu'ils Me contemplent et que Je les contemple » (i) [L. C.].
XXX. — PARENTALIA CHEZ LES CHRETIENS
(Chapitre I, p. 83) (2)
Outre les parentalia générales, qui se célébraient du 13 au 21 février, il y en avait
de particulières à chaque famille, dont la date variait suivant les anniversaires (Rohde,
Psyché, trad. fr. p. 194, note i), et qui cornportaient le repas funéraire appelé cara
cogiiatio. Ce n'est pas aux -parentalia générales, comme l'a cru P. de LabrioUe (Aug.
Conf. 1. 1, p. 118) que S. Augustin, Conf. 6, 2, rattache le rinfresco {refrigerium) auquel
se livraient les chrétiens dans leurs cimetières sur les tombeaux des martyrs {infra,
p. 453, note i), mais aux parentalia familiales : guia illa quasi parentalia superstitioni
gentiliiim essent simillima {supra, pp. 30 et 40 ; cf. en outre Aug. Bp. 29 à Alypius,
évêque de Thagaste).
En revanche la fête du 22 février, Cathedra Pétri, loin de se référer, comme il est
advenu ensuite, au magistère du Prince des Apôtres, était primitivement un banquet
funéraire — cathedra, entre autres sens, a celui-là (3) — célébré sur son tombeau le
lendemain des parentalia qui venaient de s'achever. C'est à ce souvenir que se rattache
la mention du calendrier de Polemius Silvius : VIII Kal. Mart. depositio sancti Pétri
et failli cara cognatîo. Une autre trace s'en retrouve au second concile de Tours (567),
canon XXII (Mansi, t. IX, col. 803) : Suntenimqui in festivitate cathedrae domni Pétri
afostoli cibos mortuis offerunt, et post missas, redeuntes ad domos proprias, ad gen-
tîlium revértuntur errores (cf. Delehaye, note au Martyrol. hier., AA. SS. nov. 11^,
P' 129). Ce texte ne se rapporte pas directemient à la cathedra entendue au sens àecara
cognatio. Il ne signifie pas que, faute d'avoir à leur portée le tombeau de l'Apôtre,
, les fidèles festoyaient chez eux en son honneur. Mais il signifie qu'après être allés
I célébrer sa fête à l'église, ils revenaient chez eux et, parce que c'était le 22 février,
' s acquittaient des rites des parentalia. Il atteste donc la persistance de la cara cognatio
(1) Cf. aussi Riwâyât XIV (ap. Massignon, La Passion d'Al Hallâj, p. 89S) : « Quiconque
"Connaît ce monde périssable ne Me connaît point. Quiconque se familiarise avec les créatures
"S peut être mon ami. Celui qui est mon ami ne connaît ni l'agrément ni la peine que ce monde
procure. Quand Je regarde mon serviteur fidèle, Je le vois une lumière comme un de mes
anges»; Ibd Adham (mort en 160/777) (ap. Massignon, Essai sur les origines... p. 226) :
* Tourne vers Dieu ton visage, et Dieu tournera son visage vers toi et te comblera de sa
grâce » [comparer la bénédiction d'Aaron, Num. 6 2*-26]. « Et quand il viendra à Moi, je lève-
1^1 les voiles entre lui et Moi, et il Me considérera tout à son aise. Puis Je dirai : « Reçois
j * bonne nouvelle (absir) ». Quel mal vous ont fait vos ennemis, puisque Me voici votre Paix» ?
(2) Cette note se réfère en outre à N. C. V, Les Lemuria, supra, p. 396.
mri ^^' ^^'P'''^' P- ^^' ^'^^^ ^^ ^°*^ ^' ^* "^^ Klauser, Die Cathedra im TotenkuU, Munster,
436 LUX PERPETUA (p. 22)
le 22 février, et par suite, mais indirectement, le caractère primitif de la cathedra Pétri.
La même conclusion se tire des sermons 190 et 191 du ps. -Augustin (i) (dans l'appendice
aux sermons de S. Augustin) qui font en outre une allusion précise à la pratique du
refrigerium : serm. 190 : « Miror cur afud quosdam [in]fideles hodie tam 'perniciosus
error increverit, ut sufer tumulos defunctorum cîhos et vina conférant quasi egressae
de corporîbus animae carnales cibos requirant » ; serm. 191 : Haec sunt (= les priè-
res, mortifications, aumônes, actes de charité) quae caros vestros juvare -possunt, haec
sunt refrigeria quiescentium, haec remédia defunctorum. (Cf. Klauser, le. ; Liet^manij
Petrus urid Paulus in Rom^, Berlin, 1927; Parrot, Le « Refrigerium » dans l'au-delà
171 pp. in-80 Paris, 1937, pp. 135 ss. ; et supra, pp. 37 à 40). [L., C.].
XXXI. — ANIMAE CONDITIO, "fAPïSIS, ET BEKINAH
(Chapitre I, p. 22).
« Sans doute les formules liturgiques qu'on prononçait (aux funérailles) avaient-ellej
le pouvoir de fixer l'ombre dans le tombeau », qui allait être à jamais sa demeure,
domus aeterna {supra, p. 25, infrà, p. 446). Il peut en être ainsi même quand, faute de
restes à ensevelir, on doit se contenter d'un funus im.aginarium {supra, p. 24) : tel fut
le cas aux funérailles de Polydore, Virgile, En. 3, 67 : « animamque sepulcro/condimus »,
Il s'agit, à proprement parler, d'une installation du défunt dans sa nouvelle résidence,
dont le rite principal semble être une conclamatio solennelle (2). Le scholiaste de
Térence, p. 59, 10 (dans V,hes. l. L., s. v. « conclamo ») dit que l'on veillait le cadavre
pendant huit jours, et que le neuvième on criait : « plus ne vit ». C'est alors qu'on
le portait au bûcher. Il semble ne s'agir ici que de s'assurer du décès. Servius est d'ac-
cord sur le délai de huit jours {En. 6, 218). Mais la conclamatio qui se fait à ce moment,
et paraît précéder l'incinération, est selon lui «la dernière». Il y en avait donc eu une
ou plusieurs autres auparavant, mais Servius ne dit pas en quelles circonstances. Il dit
seulement, en se référant à Pline, Hist. Nat., qu'elles se faisaient par intervalles, et que
c'était pour s'assurer que la vie avait cessé. Il est donc ici d'accord avec le scholiaste
de Térence.
Il n'ignore pourtant pas qu'il y en avait une autre raison, En. i, 223 : « Umbrae
ad-sepulcra vocabantur ». Une fois le sépulcre préparé, on appelait, pour la troisième
fois, le défunt par son nom (3), et par trois fois on lui disait : vale : « post enim
(1) On peut se demander, encore que dom Morin n'y ait pas songé, s'ils ne seraient pas w
saint Césaire d'Arles.
(2) Cette conclamatio se faisait aussi, dit Servius {En. 1, 223 et 3, 67-68) pour ceux li"
avaient péri en terre étrangère, et elle était triple, comme on le voit dans En. 6, SOS : « TuflC
egomet tumulum Rhoeteo in litore inanem / constitui, et magna Mânes ter voce vocavi »•
(3) Il subsiste quelque chose de cette cérémonie à la mort du Pape où, avant de faïf'
dresser l'acte de décès, le cardinal camerlingue, frappant d'un marteau d'argent le pontife a
front, l'appelle trois fois par son nom de baptême. N'ayant pas obtenu de réponse, il *"
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. az) 437
nomen defimcti tertio vocatum, dioebatur : voie, vale, vale ». Contrairement à ce qui a
été dit pliis haut, il semble que cet adieu se faisait, non pas ayant l'incinération, mais au
moment où le tombeau se refermait sur les cendres et sur l'ombre (i). C'est ce qui
résulte non seulement à' En. 3, 66-68 : « Inf erimus tepido spumantia cymbia lacté, san-
guinis et sacri pateras, animamque sepulcro, condimus, et magna supremum voce ciemus »,
mais aussi du commentaire que Servius donne de ces vers : « Est autem hoc loco quod
dicimus more solemni, id est tertio : vale ». Après quoi tout est fini, 6, 510 : « Omnia
Delphobo solvisti et funeris umbris », ce que Servius explique « quia, constituto tumulo,
mânes vocavit ».
Sacrifice ou offrandes, appel, salut, cette cérémonie a tous les caractères de T'iSpuatç
par laquelle im dieu est incorporé à sa statue (^ôavov, a^aX^-a), à son autel (pu>ix6î), ou ins-
tallé dans son sanctuaire ( vaoç ) ou son enclos sacré ( téfievoî ) (sufra, pp. 23, 26 et
^29 ; cf. en outre Ch. Picard, Manuel d' Archéologie grecque, Sctxlpture, période archaï-
que, I, p. 50 j E. Reisch, Entstehung und Wandel griech. Gôttergestalten (2) ; et
Weynants-Ronday, Les statues vivantes) (3).
Le détail de la cérémonie ne nous est pas connu. En Egypte elle comportait, pour la
statue d'un mort, un baiser du célébrant, identifié à Horus, qui lui transmettait le fluide
vital, à moins que ce ne fût l'âme elle-même qu'U. avait reçue du mourant dans un der-
nier baiser (supra, p. 78 et Symbolisme, p. 119) : « Je viens pour te baiser, moi,
Horus, je te presse la bouche, moi, ton fils qui t'aime » (Ph. Virey, Zlombeau de
Rekhmarâ, p. 139) ; pour les statues divines comme pour les momies, un rite de « l'ou-
verture de la bouche, des yeux et des oreilles », àf ro, ou oun ro (A. Moret, Rituel
alors : « vere Papa mortuus est » (Lucius Lector [Mgr Guthlin], Le Conclave, Paris, s. d.,
p. 147).
(1) Ces cérémonies sont à rapprocher de ce qui se passe dans les funérailles chinoises, Wey-
nants-Ronday, Les statues vivantes, Bruxelles, 1926, p. 185 : Le prêtre lit une lettre adressée au
mort : « Cette lettre annonce d'abord au défunt qu'on a dressé une tablette pour son âme
et qu'elle peut aller y habiter pour le temps à venir ; ensuite qu'im repas a été déposé devant
la tablette à son intention. En conséquence le prêtre invite par trois fois l'âme à venir prendre
possession du nouveau siège préparé pour la recevoir » ... « Lorsque le couvercle du cercueil
est sur le point d'être rabattu sur le corps, ... la tablette est placée sur la poitrine du mort, et
le fils aîné s'agenouille à côté du cercueil en disant : « Père (ou mère), lève-toi ! » Après quoi
on ferme le cercueil tandis que le fils du mort va mettre avec respect la tablette sur la table »
(d'après J. J. M. de Groot, The religions System of China, I, Leyde 1892, pp. 71-74 et 94). En
fin de compte on rapporte la tablette à la maison, et l'âme du défunt est réputée y habiter doré-
navant : il n'y a pas animae conditio dans le sépulcre, mais retour à la maison familiale.
(2) Vortrag gehalten in der feierlichen Sitzung der Kaiserl. Akad. der Wissensch., 27 mai 1909,
*1 pp., Vienne 1909. Je n'ai pu, à mon grand regret, trouver cette brochure à Paris.
(3) A la notion d"{8puotç a succédé celle d'inauguration, de dédicace, èyxatvtÇetv, qui corres-
pond pour le sens à hébr. 'IJH) ancien égypt. hnk, lequel signifie préparer, au sens d'offrir,
"lais aussi d'accoutumer, d'allécher (Prov. 22**). On aurait pu croire que quelque chose de ce
Qernier sens était passé dans ÈYxaivîÇstv, car les anciennes éditions du Lexique de Pollux don-
nent ; tô 81 ctYctXjJia l8p'jiTx<î9ai èpe'ïç xaî (Jtv5<Ta(j8at, ÈvstT^aaaOai, àvaffxïjffat, xa618pû<Tai, iYA.%Qi^p6-
'wOai. [Èy/.aivîaat -utj) Oeîf)], lyx.a.Qlc'Xi xt^i ve'L, x,a9aj(îiwïxi, xxOiepwaai, èv-£iJ.sv{tjat. Mais précisément
^s mots que nous avons mis entre crochets sont, d'après E. Bethe, Pollucis Onomasticon, Leip-
'^% 1900, t. I, p. 3, une interpolation byzantine qui ne se trouve que dans les mss. BPS,
438 LUX PERPETUA
divin journalier en Egypte, p. 52), qui provenait peut-être, en ce qui concerne la statue
divine, de son parallèle babylonien « l'ablution et ouverture de la bouche » (Zinunern
146-151, dans Loisy, Sacrifice, pp. 27^~'i77) i^)'
Toujours est-il que le dieu était si expressément censé résider dans sa statue qu'au
dire de Diogène Laërce (2, 11, 5, Stil-po), pour avoir soutenu que la Pallas Athèné de
èÇslOs'îv f2i. Pausanias (3, 7) savait aussi que si la Victoire aptère était sans ailes, c'était
pour qu'elle n'eût pas moyen d'abandonner le camp d'Athènes, 'A9T|Vctîwv 8è ff|v nîxt|V
aÛTôOi àeî jiévstv, oùx ovtwv tcteowv. et qu'à Sparte la vieille statue d'Ares Enyalios avait
les pieds entravés TtsSai; èox'.v è'j^wv 'Evuàlioç, à^aXjia àpjç^a'ïov, afin, pensaient les Lacédémo-
niens, qu'elle ne. pût s'enfuir : outtote xôv 'EvjàXiov cpô'jyovxa, oi)(^ï;ffeo9a£ oiptaiv, htjfx^i^m
Taïç TréSatç ( 3 ) .
La notion d"t8pu<n(; n'était pas, on vient de le dire, propre aux Indo-Européens.
Elle existe chez les Sémites, suivant lesquels il y a une présence, une inliabitation
(hebr. sekinah, arabe sakinat, cf. ass. sakânu) du dieu dans son trône (môtab) ou
(1) Cf. Ph. Virey, op. cit. pp. 130-154, et La religion de l'ancienne Egypte, Paris, 1910,
pp. 261 ss. — De cette ouverture de la bouche, soit égyptienne, soit babylonienne, on ne peut
guère éviter de rapprocher le rite du baptême romain par lequel au dernier scrutin, immédia-
tement avant la renonciation à Satan (supra, p. 423, note 4) le célébrant, en touchant de son
doigt humecté de salive les oreilles et les narines du baptizand, dit : Ephpheta, quod est ada-
perire [Les narines sont substituées à la bouche à cause du baptême des femmes, De Sacrant, 1,
3 : quia mulieres baptizantur']. Ce rite est emprunté à l'histoire de la guérison du sourd-muet
dans Me. 7 ^^. Mais il n'est pas exclu qu'il s'y trouve, précisément à l'occasion de la nou-
velle naissance, une vague réminiscence de l'animation de la statue divine. Comparer l'animation
d'Adam, Gn. 2 "^ ; l'animation d'une figurine de terre, Ev. de l'enf., armén. et arabe, éd.
Peeters (coll. Hemmer-Lejay) pp. 44 et 200, et Qor. 3 *3 ; et la réanimation, par Elle, de
l'enfant de la veuve de Sarepta, / Reg. 17 21-22. — L'on pourrait encore se demander si, lors
de la création des cardinaux, il n'en est pas de même de la double cérémonie de Vocclusio
et de Vaperitio arts (V. Martin, Les cardinaux et la curie, Paris, 1930, in 12°, p. 32) : le pape
en ouvrant le consistoire, déclare fermer la bouche aux nouveaux cardinaux, afin qu'ils ne puis-
sent émettre leur avis ; puis au cours de la cérémonie, s'adressant de nouveau à eux, il leur
dit : « Nous vous ouvrons la bouche, de sorte qu'en consistoire, dans les congrégations et dans
les autres fonctions cardinalices, vous puissiez émettre votre avis » . Sans doute veut-on expri-
mer ainsi l'étroite dépendance ovi ils sont placés à son égard ; mais peut-être aussi demeure-t-il
au fond de tout cela le relent d'une très vieille idée : c'est que le pape substitue chez le car-
dinal qu'il vient de « créer » une personnalité nouvelle à l'ancienne, au vieil homme, un
homme nouveau.
(2) L'histoire n'est pas tout à fait claire : il y a aussi dans la querelle une question du
double genre, masculin et féminin, de Oeôç . Mais cet élément paraît secondaire par rapport a"
premier.
(3) Il pouvait arriver en d'autres cas que l'intention fût différente : il y avait aussi une
statue encapuchonnée de Alorphô (:= Aphrodite) : y.-/6f,xa'. 51 xaXûit-cpav te E^ouaa, à laquelle)
après coup, on avait lié les pieds, ...xal TtiSaç rep'. to'ji; TtoaL. Les hommes espéraient ainsi s as-
surer la fidélité de leurs femmes (Pausanias, 3, 11). — Cf. encore Hésych. s. v. KXrjtSsc;.
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 22) 439
dans son autel (niHTQ) (i) Gn. 3320, 35'i' ; Ex. 17I6, 324.5 . ^«^. 524 . dans son sanc-
tuaire ( ID^n) Am. 56 ; Gn. 351-7 . dans son enclos sacré (ni;^, arabe bayt (2) Din»
arabe b^ram etc.); dans son idole (hébr. ;02, Ql^. arabe sanam), Ex. 32 *-^ et
Lagrange, Etudes sur les religions sémitiques 2, pp. 92-93 sur le taureau, image du dieu
babylonien Hadad, et son rapport avec Yahweh) ; dans son arbre sacré, {Gn. 21 33), ou
pieu divin iHl'ffi'H). Deut. 1621. Cf. A. "Vincent, La religion des Judéo-Aràméens d'Elé-
■phantine, in-80, Paris, 1937, pp- 562 à 621 5 et Râbi'ah. al Idawïah, mort en 185/801
(dans Massignoa, La Passion d'al Hallâj, p. 276) : « La Ka'ba est l'idole {sanam) de
Dieu sur cette terre. Il n'y est pas enclos, mais il n'en est pas absent ».
Cette notion de la sekinah apparaît clairement dans le Qoran 2 2^^-^*^, fondation, de
la Ka'ba par Abraham et Ismaël, et déjà dans la Bible à propos de l'Arche dans le
Tabernacle {Nu. 10 35-36 ; Ps. 132), et en ce qui concerne le Temple de Salomon, les
deux récits parallèles de la dédicace, 7 Reg. 8 et // Chron. ^-y, où il est aisé de
retrouver, dans le second surtout, sous les remaniements du rédacteur deutéronomiste,
les éléments primitifs, notamment Va-p-pel de Nu. 10 35.36 = Ps, 1338 = ps, 68 2. Dieu
est appelé pour qu'il vienne, qu'il s'arrête, qu'il s'installe, qu'il se fixe, / Reg. 8 ^3
pu/ ;. qu'Aquila traduit par toù axYjvûjai, d'où dans 0' la leçon particulière à l'Alexan-
drimis.
A cet appel, pour manifester l'agrément qu'Abraham et Ismaël, selon Qor. 2*^^
avaient déjà demandé pour la Ka'ba, Yahweh répond, // Chron. 7 1-3, non seulement par
un embrasement spontané de l'autel, // Chron. 7 ^ (= Ex. 40 2*), mais par une théophanie
(qui se trouve une première fois avant la prière de Salomon, donc trop tôt, dans / Reg.
8 10.11 et II Chron. 51*), // Chron. 7I : « Et la gloire de Yahweh em-plit la maison »
y.x! 80^'/ xupEou IsCkt^isi {'isTù) '^""'^ oTxov Le mot est significatif : N ;53 comme ass.
malû., qui veut dire em-plir, indique la prise de possession (cf. Is. ô^ dans O' ; Ex. 2922;
Ex. 28 3). Trois notions sont à distinguer ici : 1° TT^U/, installer ou introniser, einsetzen
(hiph. '2M}'\, setzen lassen) ; 20î^;Q, emplir, fiillen, qui suppose que Dieu vient occu-
per la maison ; 30 njn. dédier, vouer, widmen, qui est offrir le temple à celui pour
qui on l'a construit. Ces trois notions concourent et s'unissent dans l'idée plus générale
de consécration, "C/"[p, Einweihung, ou d'appropriation, qui leur est commune et permet
de passer de l'une à l'autre.
Ainsi obtient-on que Yahweh soit parmi son peuple, / Reg. 8 ^'^ : ysvoito (Tl'') >"JptO(;
ô Oîdî :?) [j.(ov [X-eO' -^iiJLtôv (^JQÎJ) xa6ù); ^v [/.età xwv iraTiptov •^.jjlwv, et Ps. 132^* : « C'est ici le
lieu de mon repos pour toujours. / Ici je résiderai, car je l'ai désiré ». Infra p. 441,
n. I.
C'est bien, à l'égard de Dieu, l'équivalent de l"(5puini; grecque : mais on retrouve
(1) Porphyre, De Abst. 2, 56 (dans Eusèbe, Trêp. êv., 156) dit de l'autel des Aoufiaxïjvot d*Ara-
l^ie : à ypûvrat wç ^oâvw (Lagrange, Relig. sémit. pp. 191 et 261).
(2) Suivant Lammens (Vincent, /. c. p. 609), arabe bayt, à l'origine, ne signifie pas une
"laison, mais une enceinte de pierres circulaire (comme le bidental des Romains), au centre de
laquelle était une pierre levée, d'oiï chez les Cananéophéniciens beth-el ]>■ bétyle. Le sens de
maison proviendrait de la tente de cuir {qobba) qui était habituellement dressée près du bétyle,
cf. Gn. 28 22. _ Infra, p. 440, n. 3.
440 LUX PERPETUA
aussi dans cette cérémonie les traits qui caractérisent la constitution de la domus aeterna,
lorsque, réunissant les restes dans le tombeau, on y fixe l'ombre avec eux : animamque
sepulcro condimus {En. 3, 67-68). Et le parallélisme est rigoureux puisque, de même
qu'on appelle Yahweh pour qu'il vienne prendre possession du Tabernacle ou du Tem-
f»le {Nu. 10 35-36 ; Ps. 132^ j Ps. 68 2), de même une dernière fois — précisément pour
'attirer dans sa domus aeterna — on adresse au mort un suprême appel : et magna,
sufremum voce ciemus {En. 3, 68). C'est à cette conception de la survie, non dans les
espaces célestes ni dans l'Hadès, mais d^ns la sépulture elle-même, que se rattache le
culte des Parentalia (cf. sufra, N. C. V, p. 396 et XXX, p. 434).
Il est passé quelque chose de ces idées dans le christianisme. Non pas peut-être dès
l'origine, où l'inhabitation du Seigneur dans l'Eglise est d'ordre proprement, strictement
spirituel, Mt. 18^0 ; « car où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis là au
milieu d'eux ». Texte qui apparaît capital à qui veut bien se souvenir de l'assimilation
que le Christ selon Matthieu fait de lui-même à l'Auteur de la Loi, 5 21 : « Vous avez
entendu qu'il a été dit aux anciens... Et moi, je vous dis... » ; 5 i'? : car « je ne suis
pas venu abroger, mais accomplir » ; de telle sorte que, pour comprendre en sa pléni-
tude le sens du « je suis là au milieu d'eux », il n'est que de le rapprocher de son
parallèle talmudique, Pirqé Aboth, 3, 8 : « Et d'où vient que lorsque dix hommes s'as-
semblent pour prier [c'est le minian\ la sekînah est au milieu d'eux ?... Et d'où vient
que lorsque deux s'assemblent pour étudier la Loi, la sekinah est au milieu d'eux ? ... »
D'où il résulte que dès l'origine le Christ glorifié a été considéré par les chrétiens
comme la réalité spirituelle dont la sekinah avait été la forme impersonnelle et abstraite.
Et c'est sans doute ainsi que s'est concrétisée plus tard, sous les influences conjuguées
du sémitisme et de l'aryanisme, l'idée que sa présence résidait dans l'autel, De Sacra-
mentis, 5, 2, 7 {PL. 16, col. 447) : « Qtuid est autem altare nisi forma corporis
Christi ? » (i) et aujourd'hui encore dans la monition adressée par l'évêque à l'ordi-
nand sous-diacre dans le Pontifical romain : « Altare quidem sanctae Ecclesiae Christus
est » ; qu'il y avait donc lieu, lorsqu'on érigeait un autel, de l'oindre de baume et
d'huile (2), comme l'antique Jacob avait fait la pierre levée de Louz qu'il appela Béthel,
c'est à dire « maison de Dieu » {Gn. 28 ^''-i^) (3). De là aussi l'antienne qui se chante
encore aujourd'hui en la circonstance, selon le Pontifical romain : « Mane surgens
Jacob erigebat lapidem in titulum, fundens oleum desuper ; votum vovit Domino ; vere
ïocus iste sanctus est, et ego nesciebam » (d'après Gn. 28 ^''-22).
De là aussi cette trace d"i8pu(j'.<; qui demeure dans le même livre liturgique à Vordo
pour la consécration d'une église : « ut domus haec, quae tua subsistit dedicatione
solemnis, tua fiât habîtatione sublimis ». La nuance était encore plus marquée dans la
collecte de la messe de consécration qui est passée du pontifical romano-germanique aa
pontifical romain du xii^ s. (4), St. e C 86, p. 193 : « Deus, qui invisibiliter omnia
(1) Cf. De Sacrant. 4, 2, 7 {PL. 16, col. 437) : « Forma corporis altare est, et corpus Christi
est in altari ».
(2) Déjà au ive siècle, S. Ephrem Syrien, Hymni de Virginitate, éd. Rahmani, p. 13 : « pa"^
elle {=^ l'huile) les autels sont oints et deviennent dignes du sacrifice ».
(3) Sous réserve de ce qui est dit supra, p. 439, note 2. Sur Béthel considéré comme nom d'un
dieu distinct de Yahweh, cf. R. Dussaud, Origines cananéennes du sacrifice israélite, Paris,
1921, pp. 231 ss.j comme identifié à Yahweh après avoir été temple divinisé, dieu-temple, cf.
A. Vincent, le, p. 577 ss.
(4) M. Andrieu, Les Ordines romani, Louvain, 1931, t. I, p. 186.
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 22) 441
cotitines et tamen. pro sainte generis hutnani signa tuae potetitiae visibiliter ostendis,
templum hoc, <;quaesumus>, majestatis tuae înhabitatîone illustra, et concède ut omnes
qui hue deprecaturi conveniunt, ex quacumque ad te tribulatione clamaverint, consola-
tionis tuae bénéficia consequantur ».
Pour ce qui touche aux morts, il n'en subsiste presque aucun vestige, si nette est dans
le christianisme la distinction entre le corps qui retourne à la terre, et l'âme qui entre-
prend, assaillie par les démons et les vents, mais assistée par les anges et les saints
{Symbolisme, pp. 129, 143, 37g ss., 502, 504), le périlleux voyage vers l'au-delà que décrit,
selon les religions antiques, le chapitre VII ci-dessus. Il n'est pourtant pas exclu qu'il en
reste quelque chose dans la cérémonie de la bénédiction d'un cimetière au Pontifical
romain, où, quoique la distinction de l'âme et du corps y soit toujours scrupuleuse-
ment observée, le soin que l'on prend cependant de « purifier, bénir, sanctifier, consa-
crer » le cimetière afin de le préserver de l'incursion des esprits mauvais, atteste
suffisamment qu'il s'agit d'établir, non pas un -pudridero, mais un lieu de repos, quietis
sedem, tm dortoir, didcis requies et pausalio (i) mortuorum, où attendre en paix l'heure
de la résurrection. L'idée est encore plus nettement exprimée dans deux prières pour la
bénédiction du loculus, de la tombe individuelle. Pontifical romano-germanique, puis
Pontifical romain du xii^ s. {St. e V. 86, p. 288) : « Rogamus te. Domine, sancte Pater,
omnipotens aeterne Deus, ut digneris benedicere et sanctificare hoc sepulcrum et loculum
in eo collocatum, ut sit remedium salutare in eo quiescentium, et redemptio animarum,
atque tutela et munimen contra saeva jacula inimici ». — « Sanctificetur illud habita-
culum, Domine Deus, per nostram supplicationem, et fugatur ab eo spiritus immundus
per virtutem Dni nostri J.-C, ut sit placita requies corporum fidelium quae post
modum in eo collocabxmtur » (2). La même note est encore donnée par deux oraisons
de l'Ordo sefeliendi clericos romanae fraternitatis, Pontif. de la curie rom. au xiii° s.
{St. e C 87, p. 509) : « Respice, Domine, super hanc fabricam sepulturae ; descendat
ad eam, Domine, Spiritus tuus sanctus ut, te jubente, sit in hoc loco famulo tuo quieta
dormitio ; et tempore judicii cum sanctis omnibus vera resuscitatio ». — p. 512 :
« famulis et famulabus tuis omnibus, hic et ubique in Christo quiescentibus, da propi-
tius veniam delictorum, ut a cunctis reatibus absoluti, tecum sine fine laetentur ». Ici
nulle distinction de corps et d'âme -, nulle survie consciente, ni dans la tombe, ni dans
le se'ôl ou l'Hadès, ni dans les espaces célestes. Un sommeil total, où rien ne luit. Mais
une promesse pour l'avenir. Cf. infra, N. C. XXXV, p. 450.
Peut-être ces textes se rattachent-ils à un ancien état de la pensée judéo-chrétienne
qui se retrouve encore dans le Qoran, 50 ^'^^ et 75^" (3) selon lequel l'âme, n'ayant pas
(1) Cette halte, pausatio, paraît bien être celle de Ps. 132 1* : au-rr) -Jj xaxâ-irautjtç iiou, que
la Vulgate hiéronymienne traduit par haec requies mea. De là vient l'antienne Haec requies mea,
du ps. Mémento, Domine, David dans Vordo pour la bénédiction d'un cimetière au Pontif. rom.
3-u xne s., éd. M. Andrieu, St. e T. 86, p. 287. Et l'on voit ainsi appliquer aux morts ce verset
14 du Ps. 132, qui est un psaume d'intronisation de Yahweh (S. Mowinkel, Psalmenstudien, 1921-
1924). La halte (nn^JQ) ou déposition de l'Arche est devenue symbole du repos du défunt
{supra, p. 439) : Haec requies mea in saeculum saeculi : hic habitabo, quoniam elegi eam.
(2) C'est une idée bien différente de celle de S. Augustin, qui affirme, De Civ. I, 12 = De
cura pro mortuis, 2 (4) que « nuUus sensus est in corpore occiso ».
(^) Qor. 50 1* : « Avons-Nous été fatigué par la première création ? Et ils sont dans le doute
quant à la nouvelle ! » — 75*0 : « N'est-Il donc pas capable de ressusciter les morts ? »
Rapprocher S. Augustin — qui pourtant çrçit à la survie dç l'âme en attendant le jugement,
442 LUX PERPETUA
de vie indépendante du corps, le défunt s'endormait tout entier du sommeil de la terre
jusqu'au jour où il serait ressuscité pour les grandes assises du Jugement, comme par
ime création nouvelle. Ecce nunc in -pulvere âormiam, dit Job 721. Et cette poussière
n'est pas celle du se'ôl ou de Varallou où survivent à demi-conscientes les ombres exté-
nuées des morts, non : c'est la poussière de terre en laquelle il a été dit que nous
devions retourner, Gii. 3 ^^ : quia -pulvis es et in fulverem reverteris. Ansi parle Job
lui-même, 10 ^ : et in -pulverem reduces me. Mais viendra le jour où cette poussière
reprendra vie, 19 25 : et in novissimo die de terra surrecturus sum... et in carne mea
victebo Deiim meuni [selon la Vulgate 5 le sens de l'hébreu est autre]. C'est l'idée sous-
jacente au vœu dont sont encore aujourd'hui gravées tant de stèles chrétiennes : in s-peni
beatae resurrectionis . . . Aussi n'avons-nous nulle part rien rencontré dans les textes chré-
tiens qui rappelle le animant sepulcro condimus de Virgile. Comment en serait-il autre-
ment ? Ces textes oscillent entre deux conceptions : ou la vie de l'âme séparée, en voyage
vers l'au-delà, donc absente du tombeau ; ou, dans le tombeau même, un sommeil si
profond de tout l'être qu'il n'est point d'âme vagabonde qu'il y ait lieu d'y fixer.
Il y a oepiendant un cas, un seul, où se retrouve quelque chose de Vanimae condUio
dans le sépulcre : c'est celui de l'érection d'un autel sur le tombeau d'un martyr ou,
ce qui revient au même, de l'ensevelissement d'un martyr sous l'autel, ou de l'inclusion
de ses reliques dans la cavité — qu'on appelle sé-pidcre — dont est creusée la pierre
de l'autel.
Le salut du martyr étant assuré par sa mort, et plus généralement celui du confesseur
de la foi étant attesté par le consensus omnium, sa présence peut être appelée du ciel en
terre, dans le lieu saint de sa sépulture. L'autel, ainsi qu'il a été dit plus liaut (p. 440),
est assimilé au Christ. Mais tous les saints reposent en Christ, omnibus in Christo quies-
centibiis (canon de la messe romaine), et Dieu habite parmi ses saints : ainsi l'autel
peut-il être le lieu d'une double inhabitation du Christ et de ses témoins : « Deus, dit
une oraison de Vordo pour la conséci-ation d'un autel, qui ex omnium cohabitatione
sanctorum aeternum maf estait tuae condis habitaculum... ». D'où la coutume de l'Eglise
de Rome, à laquelle fait allusion S. Ambroise, Ef. 22 à sa sœur Marcellina, PL. 16,
col. 1019, sur l'invention des corps saints de Gervais et Protais, qui lui permit, comme
le réclamait le peuple, de dédier une basilique à la romaine : — « Sicut romanam
basilicam dedices !» — « Faciam si martyrum reliquias invenero ».
Mais encore fallait-il que l'esprit de ces saints suivît leurs reliques. Et c'est ici que
réapparaissent très clairement — dans les ordines -çoMt la consécration de l'autel stable
et de l'autel portatif [lapis ou altare itinerarii) — les deux notions conjointes et con-
fondues de r'îSpuff'.c; d'un dieu et de Vanimae conditio : « Surgite sancti Dei de man-
sionibus vestris... Ambulate, sancti Dei, ad locum praedestinatum qui vobis praeparatuffl
est ». C'est l'appel que nous avons entendu retentir et aux funérailles (supra, p. 436)
et à la consécration du lieu saint {supra, p. 439). Et l'on suppose, aussitôt après, qu'il
a été entendu, qu'il est exaucé : « Sub altare Dei sedes accepistis... Exsultabunt sancti
in gloria, et laetabuntur in cubilibus suis » {Ps. 149^) (i).
— Civ. I, 12 = De cura pro mortuis 2 (4) : « terra ... quam totam implet praesentia sui
(Deus) qui novit unde resuscitet quod creavit ». Cf. infra, p. 458, note 2.
(1) Cf. S. Ambroise, Ep. 22, à sa sœur Marcellina (PL. 16, col. 1023 B) : « Sed ïHe
(= Christus) super altare, qui pro omnibus passus est ; isti sub altari, qui illius redempti sunt
passione ». S. Augustin, Serm. 318, de martyre Stephano, V : « Non aram fecimus StephanOj
sed de reliquiis Stephani aram Deo » (éd. des Bénédictins, t. V, col. 886). — Duchesne, Ori-
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 328) 443
Tant il est vrai que les idées, en se transformant, se perpétuent, et que les plus loin-
taines traditions des civilisations antiques, soit indo-européenne, soit sémitique, à
moins qu'elles ne remontent au delà de l'une et de l'autre, se survivent dans un jour
nouveau et avec une vertu nouvelle dans la religion qui, sans s'y asservir — elle n'en
est pas absente, mais elle n'y est pas enclose ( 1 ) — en a recueilli l'archaïque héritage
[L. C.].
XXXII. — SALUT DES « AHORES » BAPTISÉS
(Chapitre VII, p. 328, note 4)
Le Rituel romain, dans VOrdo sepeliendi farvulos, prescrit que les enfants qui sont
morts avant l'âge de raison soient couronnés de fleurs ou d'herbes aromatiques ou
odoriférantes en signe de l'intégrité de leur chair et de leur virginité.
Nous sommes ici tout à fait à l'opposé de la malédiction qui pesait sur les « ahores ».
Les enfants baptisés, morts en bas âge, ont maintenant un sort privilégié. On leur appli-
que les paroles du Ps. 24 ^-^ : « Quis ascendet in montem Domini ? aut quis stabit in
loco sancto ejus ? — Innocens manibus et mundo corde, qui non accepit in vano ani-
mam suam, nec juravit in dolo proximo suo ». Ce que le Rituel d'Alet^, 1677, explique
ainsi : « Il faut traiter les corps de ces petits enfants comme des temples dans lesquels
le saint Esprit a toujours fait sa demeure : c'est pourquoi il est bon de les enterrer
séparément des autres chrétiens ». C'est peut-être ici la tardive interprétation chrétienne
d'une coutume qui avait' primitivement la signification contraire, et qui a survécu, avec
son sens primitif en ce qui concerne les enfants morts sans baptême, sur qui s'est con-
centrée l'antique malédiction qui avait d'abord frappé l'ensemble des « ahores » {sufra,
pp. 327-328) [L. C.].
gines du culte 5, 1920, p. 427 a bien vu que « ce rituel est exclusivement funéraire. On pré-
pare le tombeau du saint, on l'y transporte, on l'y enferme, on répand un parfum à l'intérieur
«t à l'extérieur du sépulcre ». Et plus loin, p. 435 : « De ces deux rituels \le romain et le
gallicanl, ^^ premier, le rituel de type funéraire, est certainement et purement romain, comme
on le voit et par ses documents et par son accord avec ce que nous savons des anciens usages
romains en ce genre de choses ». L'antienne Sub altare Domini sedes accepistis se trouve
déjà dans VOrdo de Saint-Amand (Duchesne /. c. pp. 498-499), dont le ms. {Paris. 974), qui est
du ixo s., reproduit im exemplaire bien plus ancien (M. Andrieu, Les Ordines romani, t. I,
pp. 492-493). Et dans la première messe de la Dédicace au Sacram. Léonien (Muratori, I, col.
308) : « Qui ut in omni loco dominationis tuae beati Pétri apostoU magnifiées potestatem, non
solum ubi venerabiles ejus reliquiae conquîescunt, sed ubicumque pretiosa reverentia fuerit invo-
cata, tribuis esse -praesentem, nunc etiam perseverare demonstres. . . ».
(1) Cf. supra, p. 439.
440 LUX PERPETUA
aussi dans cette cérémonie les traits qui caractérisent la constitution de la dontus aeterna,
lorsque, réunissant les restes dans le tombeau, on y fixe l'ombre avec eux : animamque
sepulcro conditnus (En. 3, 67-68). Et le parallélisme est rigoureux puisque, de même
qu'on appelle Yahweh pour qu'il vienne prendre possession du Tabernacle ou du Tem-
f»le {Nu. 10 35-30; Ps. 1328; ^5. 68 2), de même une dernière fois — précisément pour
'attirer dans sa domus aeterna — on adresse au mort un suprême appel : et magna
sn-premum voce ciemus {En. 3, 68). C'est à cette conception de la survie, non dans les
espaces célestes ni dans l'Hadès, mais dans la sépulture elle-même, que se rattache le
culte des Parentalia (cf. su-pra, N. C. V, p. 396 et XXX, p. 434).
Il est passé quelque chose de ces idées dans le christianisme. Non pas peut-être dès
l'origine, où l'inhabitation du Seigneur dans l'Eglise est d'ordre proprement, strictement
spirituel, Mt. 18^0 : « car où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis là au
milieu d'eux ». Texte qui apparaît capital à qui veut bien se souvenir de l'assimilation
que le Christ selon Matthieu fait de lui-même à l'Auteur de la Loi, 5 21 : « Vous avez
entendu qu'il a été dit aux anciens... Et moi, je vous dis... » -, 5" : car « je ne suis
pas venu abroger, mais accomplir » ; de telle sorte que, pour comprendre en sa pléni-
tude le sens du « je suis là au milieu d'eux », il n'est que de le rapprocher de son
parallèle talmudique, Pirqé Aboth, 3, 8 : « Et d'où vient que lorsque dix hommes s'as-
semblent pour prier [c'est le minian\ la sskinah est au milieu d'eux ?... Et d'où vient
que lorsque deux s'assemblent pour étudier la Loi, la sekinah est au milieu d'eux ? ... »
D'où il résulte que dès l'origine le Christ glorifié a été considéré par les chrétiens
comme la réalité spirituelle dont la sekinah avait été la forme impersonnelle et abstraite.
Et c'est sans doute ainsi que s'est concrétisée plus tard, sous les influences conjuguées
du sémitisme et de l'aryanisme, l'idée que sa présence résidait dans l'autel, De Sacra-
mentis, 5, 2, 7 {PL. 16, col. 447) : « Q"uid est autem altare nisi forma corporis
Christi ? » (i) et aujourd'hui encore dans la monition adressée par l'évêque à l'ordi-
nand sons-diacre dans le Pontifical romain : « Altare quidem sanctae Ecclesiae Christus
est » ; qu'il y avait donc lieu, lorsqu'on érigeait un autel, de l'oindre de baume et
d'huile (2), comme l'antique Jacob avait fait la pierre levée de Louz qu'il appela Béthel,
c'est à dire « maison de Dieu » {Gn. 28 ^''-i^) (3). De là aussi l'antienne qui se chante
encore aujourd'hui en la circonstance, selon le Pontifical romain : « Mane surgens
Jacob erigebat lapidem in titulum, fundens oleum desuper ; votum vovit Domino ; vere
locus iste sanctus est, et ego nesciebam » (d'après Gn. 28 ^''-22).
De là aussi cette trace d"i8pu(T!; qui demeure dans le même livre liturgique à Vordo
pour la consécration d'ime église : « ut domus haec, quae tua subsistit dedicatione
solemnis, tua fiât habitatione sublimis ». La nuance était encore plus marquée dans la
collecte de la messe de consécration qui est passée du pontifical romano-germanique au
pontifical romain du xii^ s. (4), St. e C 86, p. 193 : « Deus, qui invisibiliter omnia
(1) Cf. De Sacram. 4, 2, 7 {PL. 16, col. 437) : « Forma corporis altare est, et corpus Christi
est in altari ».
(2) Déjà au iv^ siècle, S. Ephrem Syrien, Hymni de Virginitate, éd. Rahmani, p. 13 : « par
elle (= l'huile) les autels sont oints et deviennent dignes du sacrifice ».
(3) Sous réserve de ce qui est dit supra, p. 439, note 2. Sur Béthel considéré comme nom d'un
dieu distinct de Yahweh, cf. R. Dussaud, Origines cana7jêe7ines du sacrifice israêlite, Paris,
1921, pp. 231 ss.; comme identifié à Yahweh après avoir été temple divinisé, dieu-temple, cf.
A. Vincent, le, p. 577 ss.
(4) M. Andrieu, Les Ordines romani, Louvain, 1931, t. I, p. 186.
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. zz) 441
contines et tamen. pro salute generis humani signa tuae potentiae visibiliter ostendis,
templum hoc, <;quaesumus>, majestatis tuae inhabitatione illustra, et concède ut omnes
qui hue deprecaturi conveniunt, ex quacumque ad te tribulatione clamaverint, consola-
tionis tuae bénéficia consequantur ».
Pour ce qui touche aux morts, il n'en subsiste presque aucun vestige, si nette est dans
le christianisme la distinction entre le corps qui retourne à la terre, et l'âme qui entre-
prend, assaillie par les démons et les vents, mais assistée par les anges et les saints
(Symbolisme, pp. 129, 143, 379 ss., 502, 504), le périlleux voyage vers l'au-delà que décrit,
selon les religions antiques, le chapitre VII ci-dessus. Il n'est pourtant pas exclu qu'il en
reste quelque chose dans la cérémonie de la bénédiction d'xm cimetière au Pontifical
romain, où, quoique la distinction de l'âme et du corps y soit toujours scrupuleuse-
ment observée, le soin que l'on prend cependant de « purifier, bénir, sanctifier, consa-
crer » le cimetière afin de le préserver de l'incursion des esprits mauvais, atteste
suffisamment qu'il s'agit d'établir, non pas un -pudrîdero, mais un lieu de repos, quîetis
sedem, un dortoir, didcis requies et -pausatio (i) mortuorum, où attendre en paix l'heure
de la résurrection. L'idée est encore plus nettement exprimée dans deux prières pour la
bénédiction du loculus, de la tombe individuelle. Pontifical romano-germanique, puis
Pontifical romain du xii« s. {St. e C 86, p. 288) : « Rogamus te, Domine, sancte Pater,
omnipotens aeterne Deus, ut digneris benedicere et sanctificare hoc sepulcrum et loculum
in eo collocatum, ut sit remedium salutare in eo quiescentium, et redemptio animarum,
atque tutela et munimen contra saeva jacula inimici ». — « Sanctificetur illud habita-
culum. Domine Deus, per nostram supplicationem, et fugatur ab eo spiritus immundus
per virtutem Dni nostri J.-C, ut sit placita requies corporum fidelium quae post
modum in eo collocabtmtur » (2). La même note est encore donnée par deux oraisons
de XOrdo sefeliendi clericos romanae fraternitatis, Pontif. de la curie rom. au xiii° s.
{St. e C 87, p. 509) : « Respice, Domine, super hanc fabricam sepulturae ; descendat
ad eam, Domine, Spiritus tuus sanctus ut, te jubente, sit in hoc loco famulo tuo quieta
dormitio ; et tempore judicii cum sanctis omnibus vera resuscitatio ». — p. 512 :
« famulis et famulabus tuis omnibus, hic et ubique in Christo quiescentibus, da propi-
tius veniam delictorum, ut a cunctis reatibus absoluti, tecum sine fine laetentur ». Ici
nuUe distinction de corps et d'âme ; nulle survie consciente, ni dans la tombe, ni dans
le se'ôl ou l'Hadès, ni dans les espaces célestes. ITn sommeil total, où rien ne luit. Mais
une promesse pour l'avenir. Cf. infra, N. C. XXXV, p. 450.
Peut-être ces textes se rattachent-ils à un ancien état de la pensée judéo-chrétienne
qui se retrouve encore dans le Qoran, 50 ^'^ et j^ *o ( 3) selon lequel l'âme, n'ayant pas
(1) Cette halte, pausatio, paraît bien être celle de Ps. 132 '^'^ : «utt) •?) xaxâiïaucf!; u-ou, que
la Vulgate hiéronymienne traduit par haec requies mea. De là vient l'antienne Haec requies mea,
du ps. Mémento, Domine, David dans Vordo pour la bénédiction d'un cimetière au Pontif. rom.
au xiie s., éd. M. Andrieu, St. e T. 86, p. 287. Et l'on voit ainsi appliquer aux morts ce verset
14 du Ps. 132, qui est un psaume d'intronisation de Yahweh (S. Mowinkel, Psalmenstudien, 1921-
1924). La halte (nn^JD) ou déposition de l'Arche est devenue symbole du repos du défunt
{supra, p. 439) : Haec requies mea in saeculum saeculi : hic habitabo, quo7iiam elegi eam.
(2) C'est une idée bien différente de celle de S. Augustin, qui affirme, De Civ. I, 12 = De
cura pro mortuis, 2 (4) que « nullus sensus est in corpore occiso ».
(3) Qor. 50 1* : « Avons-Nous été fatigué par la première création f Et ils sont dans le doute
quant à la nouvelle ! » — 75*0 : « N'est-Il donc pas capable de ressusciter les morts f »
Rapprocher S. Augustin — qui pourtant çrpit à la survie de l'âme en attendant le jugement,
442 LUX PERPETUA
de vie indépendante du corps, le défunt s'endormait tout entier du sommeil de la terre
jusqu'au jour où il serait ressuscité pour les grandes assises du Jugement, comme par
une création nouvelle. Ecce nunc in -pulvere dormiam, dit Job 7 21. Et cette poussière
n'est pas celle du se'dl ou de Varallou où survivent à demi-conscientes les ombres exté-
nuées des morts, non : c'est la poussière de terre en laquelle il a été dit que nous
devions retourner. G». 3 ^^ ; quia -pulvis es et in -pulverem reverteris. Ansi parle Job
lui-même, 10 ^ : et in ■pulverem reduces me. Mais viendra le jour où cette poussière
reprendra vie, 19 25 .- et in novissimo die de terra surrecturus sum. . . et in carne mea
victebo Deum meum [selon la Vulgate ; le sens de l'hébreu est autre]. C'est l'idée sous-
jacente au vœu dont sont encore aujourd'hui gravées tant de stèles chrétiennes : in spem
beatae resurrectionis... Aussi n'avons-nous nulle part rien rencontré dans les textes chré-
tiens qui rappelle le animam sepulcro condimus de Virgile. Comment en serait-il autre-
ment ? Ces textes oscillent entre deux conceptions : ou la vie de l'âme séparée, en voyage
vers l'au-delà, donc absente du tombeau ; ou, dans le tombeau même, un sommeil si
profond de tout l'être qu'il n'est point d'âme vagabonde qu'il y ait lieu d'y fixer.
n y a cependant im cas, un seul, où se retrouve quelque chose de Vanimae conditio
dans le sépulcre : c'est celui de l'érection d'un autel sur le tombeau d'un martyr ou,
ce qui revient au même, de l'ensevelissement d'un martyr sous l'autel, ou de l'inclusion
de ses reliques dans la cavité — qu'on appelle sépulcre — dont est creusée la pierre
de l'autel.
Le salut du martyr étant assuré par sa mort, et plus généralement celui du confesseur
de la foi étant attesté par le consensus omnium, sa présence peut être appelée du ciel en
terre, dans le lieu saint de sa sépulture. L'autel, ainsi qu'il a été dit plus haut (p. 440),
est assimilé au Christ. Mais tous les saints reposent en Christ, omnibus in Christo quies-
centibus (canon de la messe romaine), et Dieu habite parmi ses saints : ainsi l'autel
peut-il être le lieu d'une double inhabitation du Christ et de ses témoins : « Deus, dit
une oraison de Vordo pour la consécration d'un autel, qui ex omnium cohabitatione
sanctorum aeternum majestati tuae candis habitaculum... ». D'où la coutume de l'Eglise
de Rome, à laquelle fait allusion S. Ambroise, Ep. 22 à sa sœur Marcellina, PL. 16,
col. 1019, sur l'invention des corps saints de Gervais et Protais, qui lui permit, comme
le réclamait le peuple, de dédier une basilique à la romaine : — « Sicut romanam
basilicam dedices !» — « Paciam si martyrum reliquias invenero ».
Mais encore fallait-il que l'esprit de ces saints suivît leurs reliques. Et c'est ici que
réapparaissent très clairement — dans les ordines pont la consécration de l'autel stable
et de l'autel portatif {lapis ou altare itinerarii) — les deux notions conjointes et con-
fondues de r'îSpucrti; d'un dieu et de Vanimae conditio : « Surgite sancti Dei de man-
sionibus vestris... Ambulate, sancti Dei, ad locum praedestinatum qui vobis praeparatum
est ». C'est V appel que nous avons entendu retentir et aux funérailles {supra, p. 436)
et à la consécration du lieu saint {supra, p. 439). Et l'on suppose, aussitôt après, qu'il
a été entendu, qu'il est exaucé : « Sub altare Dei sedes accepistis... Exsultabunt sancti
in gloria, et laetabuntur in cubilibus suis » {Ps. 149^) (i).
— Civ. 1, 12 = De cura pro mortuis 2 (4) : « terra ... quam totam implet praesentia sui
{Deus) qui novit unde resuscitet quod creavit ». Cf. infra^ p. 458, note 2.
(1) Cf. S. Ambroise, Ep. 22, à sa sœur Marcellina {PL. 16, col. 1023 B) : « Sed ille
(= Christus) super altare, qui pro omnibus passus est ; isti sub altari, qui illius redempti sunt
passione ». S. Augustin, Serm. 318, de martyre Stéphane, V : « Non aram fecimus Stephano,
sed de reliquiis Stephani aram Dec » (éd. des Bénédictins, t. V, col. 886). — Duchesne, Ori-
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 328) 443
Tant il est vrai que les idées, en se transformant, se perpétuent, et que les plus loin-
taines traditions des civilisations antiques, soit indo-européenne, soit sémitique, à
moins qu'elles ne remontent au delà de l'une et de l'autre, se survivent dans un jour
nouveau et avec une vertu nouvelle dans la religion qui, sans s'y asservir — elle n'en
est pas absente, mais elle n'y est pas enclose (1) — en a recueilli l'archaïque héritage
[L. C.].
XXXII. — SALUT DES « AHORES » BAPTISÉS
(Chapitre VII, p. 328, note 4)
Le Rituel romain, dans VOrdo sepeliendi -parvulos, prescrit que les enfants qui sont
morts avant l'âge de raison soient couronnés de fleurs ou d'herbes aromatiques ou
odoriférantes en signe de l'intégrité de leur chair et de leur virginité.
Nous sommes ici tout à fait à l'opposé de la malédiction qui pesait sur les « ahores ».
Les enfants baptisés, morts en bas âge, ont maintenant un sort privilégié. On leur appli-
que les paroles du Ps. 248-4 -. « Quis ascendet in montera Domini ? aut quis stabit in
loco sancto ejus ? — Innocens manibus et mundo corde, qui non accepit in vano ani-
mam suam, nec juravit in dolo proximo suo ». Ce que le Rituel d'Alet^, 1677, explique
ainsi : « Il faut traiter les corps de ces petits enfants comme des temples dans lesquels
le saint Esprit a toujours fait sa demeure : c'est pourquoi il est bon de les enterrer
séparément des autres chrétiens ». C'est peut-être ici la tardive interprétation chrétienne
d'une coutume qui avait- primitivement la signification contraire, et qui a survécu, avec
son sens primitif en ce qui concerne les enfants morts sans baptême, sur qui s'est con-
centrée l'antique malédiction qui avait d'abord frappé l'ensemble des « ahores » {sufra,
pp. 327-328) [L. C.].
gines du culte 6, 1920, p. 427 a bien vu que « ce rituel est exclusivement funéraire. On pré-
pare le tombeau du saint, on l'y transporte, on l'y enferme, on répand un parfum à l'intérieur
et à l'extérieur du sépulcre ». Et plus loin, p. 435 : « De ces deux rituels \le romain et le
gallicanl, le premier, le rituel de type funéraire, est certainement et purement romain, comme
on le voit et par ses documents et par son accord avec ce que nous savons des anciens usages
romains en ce genre de choses ». L'antienne Sub altare Domini sedes accepistis se trouve
déjà dans YOrdo de Saint-Amand (Duchesne /. c. pp. 498-499), dont le ms. {Paris. 974), qui est
du ix° s., reproduit un exemplaire bien plus ancien (M. Andrieu, Les Ordines romani, t. I,
pp. 492-493). Et dans la première messe de la Dédicace au Sacram. Léonien (Muratori, I, col.
308) : « Qui ut in omni loco dominationis tuae beati Pétri apostoU magnifiées potestatem, non
solum ubi venerabiles ejus reliquiae conquîescunt, sed ubicumque pretiosa reverentia fuerit invo-
cata, tribuis esse praesentem, nunc etiam perseverare demonstres. , . ».
(1) Cf. supra, p. 439.
444 LUX PERPETUA (pp. 335 et 340)
XXXIII. — POING COUPÉ ET SÉPULTURE INFAME
(Chapitre VII, p. 335)
La main du suicide ( aùxoxeîp ) est tranchée pour être enfouie à part. II semble
qu'il faille rapprocher de ce rite le supplice du parricide à qui, selon le code pénal
français de 18 10, le bourreau coupait le poing avant de le mettre à mort : cet usage a
persisté jusqu'à la promulgation de la loi du 28 avril 1832 qui en a ordonné l'abolition.
Mais encore aujourd'hui le parricide est exécuté en chemise et la tête couverte d'un voile
noir {Code pénal, art. 13). Ce voile est sans doute emprunté à la loi romaine des
Décemvirs qui ordonnait que le parricide fût cousu, la tête voilée, dans un sac et jeté
à la rivière. En France, avant 1791, en vertu, non d'une loi écrite, mais d'une coutume
séculaire, après avoir eu le poing coupé (et voilà l'origine de l'article 13 de 18 10), il
était rompu vif, puis ses restes brûlés, et les cendres jetées au vent {sufra, pp. 22 et
34°)-
On a vu plus haut (p. 340) qu'à Rome le cadavre du supplicié était, à l'aide d'un
croc, traîné par le bourreau jusqu'aux Gémonies pour y être exposé, et ensuite jeté au
Tibre ; qu'à Athènes il était, sans cérémonies, envoyé à la fosse commune, TtoluâvSpiov
{ibid.). Des usages analogues se pratiquaient dans le monde sémitique, (i), notamment à
Jérusalem où le cadavre était abandonné sans sépulture au val de Hinnom (2), lieu maudit,
autrefois souillé par les sacrifices humains du haut-lieu de Topheth {]er. 7 31-33 et 19^),
qu'à cause de cela le pieux roi Josias avait proclamé infâme (// Reg. 23 ^o), et d'où est
venue dans l'Evangile la géhenne (hébr. Ge-hinnom) « où le ver ne finit ni ne
s'éteint le feu » (Me. 9 *8 -^Js. bb 2^) ; ou bien encore il était, dans les mêmes parages,
enfoui sans appareil dans un charnier de biothanates, comme fut peut-être le Hakeldama
de l'Evangile {Mt. 27''-^), champ d'un potier devenu « champ du sang », ce sang
n'étant pas celui de Judas comme il est dit dans Act. 1 1^^ mais plutôt des enfants qui
avaient été si longtemps dans le voisinage jetés au four de Topheth (Loisy, Synoptiques II,
p. 627, note 4), en holocauste à Baal, à moins que ce ne fût à Yahweh (Dussaud,
Sacrif. israélite, pp. 171-172).
A l'heure actuelle le Code pénal français dispose, à son article 14, que les corps des
suppliciés seront délivrés à leurs familles si elles les réclament, « à la charge par elles
de les faire inhumer sans aucun appareil » {supra, pp. 22 et 340) ; à défaut, ils sont
enterrés dans un quartier spécial du cimetière, et leurs tombes ne doivent être mar-
quées d'aucun signe ou monument.
Tous ces usages sont des survivances des traditions antiques qui font l'objet du pré-
sent ouvrage {supra, pp. 23, 339-340). Et ils ont leur commune origine dans l'idée que
les Biothanati sont rejetés de la communauté des morts, et par suite exclus de l'Hadès
{supra, p. 339). [L. C.].
(1) Cf. par exemple Deut. 28 26 ; / Reg. lé" ; ]ér. 7 33 j Ps. 53 6; 792; I4i 7 . Ps. Sal. 4 21.
(2) Dans la banlieue sud, au sortir de la porte aux Tessons.
NOTES COMPLEMENTAIRES (pp. 334 et 232) 44J
XXXIV. — SORT DES CROISÉS MORTS EN GUERRE
(Chapitre VII, p. 334, note i)
Même doctrine chez les chrétiens en ce qui concerne la guerre contre l'Infidèle :
l'archevêque Turpin dans la Chanson de Roland, v. 11 34 :
Se vos murez, esterez seinz ntartirs (i)
Le thème est repris et élargi par le cardinal Mercier, primat de Belgique, dans une
lettre pastorale — Fer crucem ad lucem, p. 45 — de Noël 1914 : le Christ couronne
la valeur militaire, et la mort chrétiennement acceptée assure au soldat le salut de son
âme (2).
Il semble y avoir un certain relent des idées anciennes dans la vision du moine Vul-
ferius à l'abbatiale de S. Jean de Réome (Yonne), Raoul Glaber, Hisf. 2, 9, Prou, p. 45 :
passent en troupe les âmes de soldats morts en guerre contre les SarrasLas, et messagers
de guerre et de mort. Ce ne sont pourtant pas des âmes errantes et malfaisantes : de
blanc vêtues et portant la stola de pourpre, elles sont en chemin vers le paradis : « Pro-
fessionem, inquiunt, christianitatis gestamus ; sed ob tutelam patriae catholicaeque plebis
defensionem gladius nos in bello Saracenorum separavit ab humanorum corporum habi-
tatione. Idcirco nos omnes pariter divina vocatio nunc transfert in sortem beatorum ;
sed ideo per hanc provinciam nobis contigit habere transitum, quoniam plures ex hac
regione infra brève temporis spacium nostro sunt addendi coUegio » [L. C.].
XXXV. — IMMORTALITE ET RESURRECTION
(Chapitres I, p. 24, et IV, p. 232).
Le présent ouvrage a montré que toute l'antiquité, aussi bien indo-européenne que
sémitique, a cru que les morts conservaient une vie amenuisée et débile, soit dans
leur tombeau individuel familial ou collégial (supra, pp. 24 et 223) soit dans un
royaume d'Hadès, Orcus, se'ôl, aralloîi, etc, conçu d'abord comme souterrain [supra,
p. ,55), puis transféré à la surface de la terre dans l'hémisphère austral [supra p. 191),
ou dans l'atmosphère au-dessous de la lune [sttpra, p. 208).
(1) Nous prenons le vers dans la perspective du poème, qui suppose une campagne contre les
Infidèles. M. Robert Fawtier [La Chanson de Roland, in-12o, Paris, 1933), a montré qu'en réa-
lité la Chanson de Roland a pour origine une retraite désastreuse de l'armée Caroline et un
combat du 15 août 778 où l'arrière-garde, commandée par Roland, succomba sous les coups de
chrétiens Basques et Navarrais.
(2) La thèse du cardinal Mercier fut censurée par son confrère le cardinal Billot le 25 mars
1915, La France catholique à Rome, p. 26 : « Dire que le seul fait de tomber consciemment
pour la cause juste de la patrie « suffit à assurer le salut », ce serait « substituer la patrie
à Dieu... oublier ce qu'est Dieu, ce qu'est le péché, ce qu'est le pardon de Dieu ».
446 LUX PERPETUA
Il arrivait que cette précaire survivaace se présentât comme un sommeil si pro-
fond que le défunt ignorait tout, même sa propre mort, Eccl. 96 :
xaî ol v£>cpol oux Etfftv YW^'>'0VTe(; oùSsv (l).
Hén. loo^ : « Et si les justes dorment d'im long sommeil, ils n'auront rien à crain-
dre ». « Peut-être, dit à ce propos Lagrange [Le Judaïsme avant Jésus-Christ, p. 265),
s'agit-il ici des âmes des morts, qui sont comme endormies » (2). Une survie si réduite
tendait à se confondre avec l'anéantissement ; et c'était, au temps de Jésus, l'opinion
des Sadducéens {Me. ïz^^, Mt. 22^^, Le. zo^', Act. 238), qui, niant la résurrection, sans
peut-être se prononcer sur l'immortalité de l'âme, s'en tenaient à l'ancienne conception
du èe'ôl.
Dès lors la protestation contre la mort, qui est au cœur de chaque être humain
{supra, pp. I et 139) avait le choix entre deux moyens d'affirmer sa volonté de persévérer
dans l'être : c'était ou, distinguant nettement l'âme du corps, de proclamer l'immor-
talité de l'âme, ou d'imaginer qu'un jour viendrait où, les corps ressuscitant, les
êtres humains, rétablis dans leur intégrité première, retrouveraient dans un monde
renouvelé ou trouveraient dans un autre monde, la plénitude de la vie.
Les chapitres qui précèdent ont expliqué comment s'était développé et petit à petit
imposé le premier système. Il a fleuri même chez les Juife, notamment dans les
œuvres de Philon d'Alexandrie qui admet que l'âme, à la mort, s'en retourne là d'où
elle était venue, &'0£v f.XOïv àrtio jotjç, c'est-à-dire à Dieu {De Abrah. 258) et ignore la
résurrection (3). Néanmoins l'opinion générale s'y montra plutôt favorable au second.
Celui-ci n'y était pourtant pas traditionnel. Il était même récent. Israël avait long-
temps gardé la croyance archaïque à la vie souterraine de la tombe ou du se'ôl, domus
aeterna, maison d'éternité, D;2ï 11)2 {supra,, p. 25) (4), Ps. 49 12 0' ;
(1) Cf. supra, p. 322 : « Si sapiunt aliquid post funera Mânes ». Il reste ici un espoir que
rejette l'amère négation de Qoheleth.
(2) Cf. infra, pp. 447-450.
(3) Il semble en être de même dans Sap. 3 ^ ; S 15 ; 9 1^. _ Justin, Dial. 80, 4, a connu de
« prétendus chrétiens » qui pensaient ainsi -. et "fàp xat auv2êâ)iETe ûjjieïi; xiai XsYO[j.évoi<; ^(^ptcîxtavoïî...
o'i /.a; Xi^Quai'/ p.Y) sTvai vexowv àvKffxaatv, àXkà a[i.a tS) àiïoQvï^axEtv, xùç "l^u^àç aOxwv àvxXa[ii6âveff6at
eI; tÔv oùpavdv, |j.-r, ù-KoXiQr,xz aiixo'ji; ^ptdtiavoui;.
Encore est-il que l'on rencontre parfois dans les textes les plus authentiquement romains {Ordo
sepeliendi clericos romanae fralernitatîs dans Pontif. de la Curie rom. au XIIl^ s., éd. M. An-
drieu, St. e T. 87, p. 512), des traces d'une doctrine qui, sans nier la résurrection, ne la suppose
pourtant pas de nécessité : « Omnipotens sempiterne Deus, qui humano corpori animam ad
imaginem tuam inspirare dignatus es [G«.l 26, 2 '', infra, p. 457, n. 1] tu imaginera tuam cum
sanctis electis <^tuis> aeternis sedibus praecipias sociari ». (Il faut toutefois noter qu'il s'agit là
non de l'esprit impersonnel, voùç rouah, mais de l'âme, '\'^yj,, nêphes, qui doit conserver ici sa
personnalité, puisque l'on-demande qu'elle soit associée aux saints élus). Cf. infra, p. 455. — C'est
peut-être aussi — quoi qu'il fasse mention de la résurrection, Div. Nom. 6, 2 {PG. 3, col.
856£>), Eccl. hier. 7, 1, 1 (col. 553), 7, 3, 10 (col. 565) — le cas du ps.-Denys, Eccl. hier.
7, 1, 3 (col. 556 S), 7, 3, 4 (col. 560). Il y a dans ce chapitre 7 une triple répétition qui
donne à penser qu'il a été remanié et interpolé ; cf. Stiglmayr, Die Eschat. des ps. - D, dans
Ztschr. fiir. kathol. Théologie, 1899, pp. 1-21.
(4) Cf. Relig. orient. *, p. 247. — « Domus aeterna est ; hic sum situs ; hic ero semper »,
épitaphe païenne dans Olivieri, Marmara pîsaurentia, 1738, p. 33.. — Persistance de la notion
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 232) 447
Kat o\ râcpot aôxwv o!x(at aùtwv e'.t; tov aUova. JScc^. 126 ; ^'xt âTiopE'jô-/) ô avôpwTrot; eU olxov
aîwvot; aiJToij (i). Et la foi à la résurrection apparaît tard, comme la réalisation de ce
qui avait d'abord été une métaphore. Car ce n'était encore chez Ezéchiel 37 ^-i* qu'iine
image qui symbolisait la future renaissance du peuple d'Israël. Dans Is. 26 1^ l'image
tend à se réaliser et à se tourner en espérance :
Tes morts vivront, mes cadavres se lèveront,
Réveillez-vous et chantez, vous qui gisez en poussière.
Car ta rosée est rosée d'aurore (2)
Et la terre rendra les ombres (□"'i^D"!)-
Mais il faut attendre jusqu'à Daniel 12 1-^, c'est-à-dire vers l'an 160 avant Jésus-
Christ pour trouver une affirmation doctrinale de la résurrection :
Et nombre de ceux qui dorment en poussière de terre
se réveilleront.
Les uns pour la vie éternelle,
les autres pour l'opprobre et l'éternelle exécration.
Les sages brilleront
comme l'éclat du firmament
Et ceux qui en auront guidé beaucoup vers la justice,
comme les étoiles éternellement et pour jamais.
Encore ne s'agit-il pas alors de résurrection générale. La nouvelle doctrine ne sera
complète (3) qu avec Hénoch 51 1 : « En ces jours-là la terre rendra son dépôt (4),
chez les chrétiens : Dict. d'Arch. chrét. s. v. « Inscriptions grecques chrétiennes » col. 672 ;
inscription ombrienne de 373 {CIL, XI, 4629) : « aeternamque domum Cominienus Amantius
paravi, nobisque sancti \jjue\ tui Mânes nobis petentibus adsint » ; opinion combattue par
S. Augustin, supra, p. 26, note S. — La formule se christianise dans « In pace et in domo
aeterna Dei » {Dict. d'Archéol. chrét. s. v. « Défunt », col. 447). L'évolution s'en achèvera dans
le texte de la -préface des morts : « Tuis enim fidelibus, Domine, vita mutatur, non toUitur ;
et dissoluta terrestris hujus habitationis domo, aetei'na in caelis habitatio comparatur ».
(1) Sommeil dans le tombeau : Job, 3 13-15 ; 3 17 . séjour au se'ôl, Eccl. 9 ^ et 9 1*^ ; les deux
notions mêlées : Ps. 88 (87).
(2) D'/s. 26 19 sur la rosée d'aurore et de Ps. 68 (67) ^^ sur la pluie vivifiante, Israël a tiré
l'idée que la pluie et la rosée seraient les agents du grand réveil {P. Berak. 5, 2, 9 B, ap.
Bonsirven, Le Judaïsme palestinien au temps de J.-C, Paris 1935, t. I, p. 484). C'est pourquoi
les Juifs font mention de la résurrection des morts dans la bénédiction de la pluie. • — Cf.
Sacram. léonien. De siccitate temporis (Muratori, t. I, col. 448) : « Vere dignum etc. Ad cujus
immensam pertinet gloriam ut non solum mortalibus tua Deitate succurreris, sed de ipsa etiam
mortalitate nostra remedium provideris, et perditos, unde perierant inde salvaris ». — Qor,
35 10 : « C'est Dieu qui envoie les vents, et ils poussent un nuage, et avec lui Nous arrosons
un pays mort et Nous ranimons la terre morte. Ainsi la résurrection ! ». Cf. aussi 43 '^^ et
en outre 7 5f' ; 12^ ; 30*9; 50 9-11. jnfra, p. 456.
(3) Avec DiUmann et Fr. Martin, contre Charles qui croit que le texte ne s'applique qu'à
Israël. Cf. Lqisy, Relig. d'Israël'^, p. 285. — Il n'y a pas lieu de se référer à Job 19 25, dont
ie texte fort obscur ne concerne pas la résurrection, Dhorme, Le livre de Job, pp. 257-259.
(4) Cf. Qor. 84 * : « Lorsque la terre... aura rejeté ce qui est en elle, et sera vide » ; 99 ^ :
"^ qu'elle secouera sa charge » ; 100 9 : « Lorsque ce qui est dans les tombeaux sera boule-
versé » ; cf.. infra, p. 451, n. 3, IV Esdr. 4 «i et 7 32.
448 LUX PERPETUA
et le se'ôl ce qu'il a reçu, et les enfers ce qu'ils doivent » (éd. Fr. Martin, p. 103),
et mieux encore IV Esdr. i/\.^^ : « Judicium enim post mortem veniet, quando ite-
rum reviviscemus : et tune justorum nomen apparebit, et impiorum facta ostenden-
tur » (i).
Cette résurrection se produit à partir du sommeil « en poussière de terre », c'est-
à-dire, comme on l'a vu plus haut, d'un état voisin de l'anéantissement. Sans doute
la notion en était-elle particulièrement adaptée à l'esprit sémitique, car on la retrouve
nettement exprimée dans le Qoran.
A part quelques privilégiés {Qor. 3625-26)^ notamment les martyrs (2^^^), qui sont
vivants près de Dieu et à qui rien ne fait défaut (3, ^^3) (2), les morts sont dans leur
tombeau (22''), sans vie, séparés de leur âme comme pendant le sommeil (39^^) (3),
où « Dieu la prend » (4) (ib.), ce qui ne veut pas dire qu'elle subsiste en lui, mais
seulement que tout lien est rompu entre elle et le corps qu'elle avait animé, en sorte
qu'en ce qui le concerne, elle n'a plus de réalité. Qor., 80 21 : « Il le fait mourir et
l'ensevelit, / et quand il Lui plaira. Il le fera revivre ».
C'est pourquoi la résurrection sera comme une création nouvelle, Qor. 13 ^ : « Hé
quoi ! une fois devenus poussière, serons-nous pour de bon créés de nouveau ? » ;
17 53 : « Et qui nous fera revenir à la vie ? — ■ Dis : Celui qui vous a formés la
première fois » ; igeT.es . « L'homme dit : Quand je serai mort, rassortirai- je vivant ?
— Ne lui souvient-il pas que Nous l'avons formé alors qu'il n'était rien ? » ; 50 1* :
« Avons-Nous été fatigué par la première création ? Et les voilà dans le doute au
sujet de la seconde ! »
Telle est la position coranique touchant la période intermédiaire entre la mort et
la résurrection (5). Ce n'était pas une nouveauté : ainsi pensaient les Juifs au moins
(1) On distingue aujourd'hui dans le « quatrième livre d'Esdras » (éd. du texte, latin Bensly
et R. James, T. and St. III, 2) trois documents : 1° IF Esdr., qui sont les chapitress 3 à 14,
apocalypse juive éditée par vme main chrétienne, éd. en colonnes des diverses recensions, B.
Violet, die Ezra-Apokalypse, dans le Corpus de Berlin, 1910 ; restitution de l'archétype entrad.
fr., Gry, Les dires prophétiques d'Esdras, in 4°, Paris 1938 ; — 2° F Esdr., qui sont les ch. 1 et 2,
brève apocalypse chrétienne, trad. Labourt d'après le texte latin, Revue biblique, 1909, pp. 412 ss;
— 3° VI Esdr., qui sont les ch. 15 et 16 dans l'éd. Bensly et James déjà citée. — Gry, le.
p. 409 : « A la résurrection, pour les justes leur droiture sera révélée ; pour les impies <^ leurs
crimes^ seront dénoncés ». — IP Esdr. 7^12.113 . « Praesens saeculum non est finis, gloria
in eo <C. i^oti !> frequens manet : propter hoc oraverunt qui potuerunt pro invalidis. Dies enim
judicii erit finis temporis hujus <[ et initium ^ futuri immortalis temporis » ; Gry, le, pp. 215-
217 : « C'est que ce monde n'étant point <[ parvenu^ à son terme, <^ l'Ecriture du Seigneur >
y garde valeur constante ; voilà pourquoi (gens) pieux ont prié dans le monde pour des néces-
siteux. Mais le jour du jugement, ce monde <^ sera parvenu ]> à son terme, et le jour de la
Résurrection, le monde à venir, à ses débuts ».
(2) Cf. en Israël, Hénoch : Gn. 5 2^, Eccli. 44 16, Hebr. 11 6 ; Elle : II Reg. 2 il ; sur l'héroï-
sation des empereurs, d'Antinous, d'Apollonius de Tyane, supra, p. 298 ; sur l'immortalité psy-
cho-corporelle, Rohde, Psyché, trad. fr., pp. 64 et 568-573.
(3) Supra, p. 415. N. C. XX.
(4) Même formule en Israël : Berak. 60 B ; Pesiq. R 143 A ; et prière juive du matin dans
Bonsirven, le, p. 323.
(5) Cf. infra, p. 456. — C'est pourquoi le Qoran suppose que la géhenne, qui est conçue comme
une fournaise mobile [cf. IF Esdr. 4*8 .: « Et steti et vidi : et ecce fornax ardens transiit
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 232) 449
depuis le livre de Daniel {su-pra, p. 447) et aussi, pour une large part, les Sémites
chrétiens.
Eusèbe raconte en effet (Hist. eccl., 6, 37, éd. Schwartz, t. IJi, p. 592) qu'Origène
fut appelé à un Synode en Arabie pour discuter avec des chrétiens de ces parages
qui soutenaient que l'âme, au moment du trépas, meurt avec le corps et qu'elle est
détruite, mais qu'au moment de la résurrection, elle revivra avec lui : o'i klt-fav tyjv
àvijoiijicsîav (|/'jj(^r,7, této; [j.v/ y.'xxà. xôv zyiaxihvx xxtpov, Sjia T(i xe^suTfi auvaT:oOvY|{TX.£tv toÏ<;
stiàxïiv y-v. a-jvS'.x'pQîîpîdG-/'., a'jôtî oî tcoxe xocuz tov x'/jç àvajxâaîw; xatpov aùv aùxoT; àvaêtw-
ff£a05tt (i). Origène les fit revenir à des sentiments qui paraissent aujourd'hui plus
orthodoxes. Mais nonobstant son autorité, il n'en était pas partout de même à cette
époque. Et des idées analogues à celles des chrétiens arabes avaient cours en Syrie
/dans les milieux les plus autorisés. Aphraate, entre autres, — qui admet comme les Néo-
)latoniciens [swpra, p. 349) que l'homme est formé de trois éléments, esprit, âme et
;orps, — dit, Demonstr. 6, De monachis 14 (Patrol. Syr. t. I, col. 294) que si dès
e trépas l'esprit (= Hl") = ■>''^^^') remonte au ciel d'où il était descendu (2) l'âme
coram me ; et factura est, cum transisset, et flamma, et vidi, et ecce superavit fumus » la
jékenne ayant été préparée dès avant la création du monde (cf. /s. 30 33) Gry, le. pp. 42, 47,
155 et 179] actuellement vide, arrivera au Jour du Jugement pour happer et engloutir les damnés,
comme autrefois le Topheth de Hinnom, Qor. 89 ^^ : « Lorsque s'avancera la géhenne, alors on
réfléchira, mais à quoi bon ?... ». Ce verset du Qoran n'est pas sans rappeler Ps. 97 (96)3 .
« Ignis ante ipsum praecedet, et inflammabit in circuitu inimicos ejus », et surtout IV Esdr.,
7 '3 ; « Et quid habebunt dicere in judicio vel quomodo respondebunt in novissimis tempori-
)us ? » Gry, p. 183. — Certains chrétiens, Evode par exemple dans une lettre à laquelle répond
S. Augustin (Ep. 163), croyaient aussi que « depuis la résurrection du Seigneur jusqu'à l'époque
du Jugement, l'enfer est et restera vide ». Cf. infra, p. 451.
(1) Mansi I, col. 789. Ce synode aurait réuni quatorze évêques sous la présidence (î) d'Ori-
be. D'après Héféle-Leclercq, Hist. des Conc. t. 1 1, pp. 163-164, il aurait été tenu entre 244 et
249. Cf. S. Augustin, De haeres. 83, se référant au texte cité d'Eusèbe : « qui dixerunt animas
cum corporibus mori atque dissolvi, et in fine saecuU « utrumque resurgere » ; Niceph. Call.
Iccles. hist. 5, 23, sans indication de source {PG. 145, col. 1112) : .. o'î Sri sIcrrjYoûvxo xï,v
wOjjwitivfjV 4'^X'ô'>' <ï'jva|ji.a- xtij (T;ôfjiaTt xaî aùxT,v ttoÔ^ xô Ttapov àiîoOvï^a/.etv , y.ai. auv Ix.îîvtu
lif'.nctffOai xr|V tpOopâv o(|/6 §É ixoxe x-^^ âvaaxào'sioi; i(jo[j,îV7)4, àvaêtc&axstv auô'.i; xàxsfvaç crùv xoTç
TOEïépoi; Œ(i)[j.a(ri, xal xoù Xotito'j Èç àoGstpTtav oixxr,pe't(T6a(. — Même doctrine chez Tatien,
i Graec. 6 {PG col. 833 A) : où/, è'ffxiv àOâvxxoç... -fj <\i\i'/ri [xaô' èaux?)v] Dvr,xï, Se. 'AÀXà
Î'J''ï~xi f, aùxr, xat jj.r] à-rco6vV)(jXEiv • GvYÎa-xsi fxev yàp xai Xoexai p.£xà xoù ff!jL>iJi.axoi; p.-?)
■'mv.rro'soL X7)V àX-/,0£!av " àvlaxarai 8s eU uaxspov è%\ cruvxeXstqc xoù xdtTfjiou ff'Jv xû (rwjjiaxi,
•MKov Stà xt(jiwpîa<; èv àOavauîoi Xajxêxvousa • TtdtXtv 8e où ôvï^axet, xav irpôc xaipiJv Xu9-fi,
JV' ETCi'Yvwdiv Toû Oeo'j TrETtotfifjtévr,. - Et Athénagore en connaît l'existence, De Resurrectîone
vG. 6, col. 1013 : fîxoi yàp TïavxsX'rît; saxt oêécni; x-?;; Çojy)ç è Gàvaxoç ff'jvSiaXuo(xÉvT,(;
Il ïwjj.ax'. xr,!; i|'UJ(_y^i; xal (TuvSiatpOî'.pojjiÉvr,!; -r) jji.Év£i p.lv xaO' lauxTiV aXuxoi: -f) ^j'o^"?), âcJxéSaffXûî,
'JiïoOopo!;, cpOeîpExai Se xx'. StaXùsxat xà (7W[i.a, oùoÉ|i.'.av È'xt uiJbCov ouxs (jiv/jpiïjV xôjv EipYacr^Éviov,
"'^ oiw6-/)7(v xôjv eu' aùx'îi •rcaÔY) ixâxwv .
(2) Comme l'âme est reprise par Dieu dans Qor. 39^3 {supra p. 448), et déjà chez Philon
'^'exandrie, Abrah. 258, déjà cité {supra, p. 446) xôv Savaxov vojji,(Ç£'.v jjiri aSsaw i|/uj^-}^(;,
''?''«) note 1, Athénagore) àXXà jiùÇ)'.(5[xhi xal 8j«Çeu;iv àirô awjJLaxoç, ô'Ssv -îilGsv àTrioùcrfiÇ •
1^- ûÈ... irapà 6eoù. Ainsi pensait Qohéleth, Eccl. 12 '^ : « La poussière retourne à la terre,
"on ce qu'elle était : l'esprit (m^l)» à Dieu qui l'a donné » : il n'y a ici (je ne dis pas chez
29
450 LUX PERPETUA
(= "tt/iDJ = '\'^X^) ^^* ensevelie avec le corps [cf. supra, N. C. XXXI, Animae con-\
ditio, p. 441] : « cum ergo moriuntur ho mines, spiritus animalis absconditur cum
cor-pore quod sensu destituitur... Animalis autem spiritus in natura sua sepelitur sensés
que ab eo tollitur ». La mort du juste lui-même est un sommeil : « talis enim mors
somnus est ». Il n'est pas jusqu'aux scribes qui n'oublient leur science, Demonstr. 22
De morte et novissimis temporibus 11 {ibid. col. 1014) : « abducit (mors) secumscri-
bas sapientes, et quae didicerant delet oblivio usque ad tempus illud quo omnes justi
résurgent ». Aphraate dit bien, à la vérité, /. c. 6 {ibid. col. 1002) que les morts
« sedent in luctu et in umbra mortis (c'est le se'ôl, sans doutle ici réminiscence de
Le. I ''9), nec mundi hujus recordantur donec veniat finis et ad judicium resurgant »,
Mais il dit aussi — et ce semble être sa pensée personnelle — {ibid.) : et in pulve-
rem abeunt usque ad judicium ; et 7, (col. 1003) : « et in pulverem mutantur usque
ad judicium ». Lors de la résurrection, Demonstr. 6, De monachis {ibid. col. 295) 1
« Corpora et quod (= '^^yj, ) in eis (= sepulcris) sepultum est suscitabit (Spiritus), induet
que ea quam secum adduxerit gloria » (cf. supra, N. C. XXVII, Vêtements des âmes,
p. 430). Nous sommes ici tout près du Livre de Daniel et du Livre d'Hénoch, voire de
Tatien, des Chrétiens Arabes réfutés par Origène, et du Qoran.
Et il n'est pas interdit de penser qu'à une époque ancienne où les idées juives pré-
dominaient encore dans le christianisme, c'est ainsi que les chrétiens se représentaient
l'état des défunts dans l'attente de la résurrection, in spem beatae resurrectionis {supra,
p. 442). Dans Mt. 27^2 les morts qui se lèvent au moment où le Christ rend l'âme
sont appelés gisants, xal xà ^.vi]i>.iia àvsw^Grjaav xaî TtoXXà ffiofjiaxa twv xeKoi|j.T||j.îvt.ov {qui
dormierant) àyfwv ifiYépGriffav (i). L'idée est clairement exprimée dans une épitaphegau-
loise publiée par Le Blant, Inscr. chrét. de Gaule, no 478 : « Hic Dalmata, Christi
morte redemptus, quiescit in pace, et diem futuri judicii laetus spectit ». C'est sans
doute le même sens qui s'attache à plusieurs autres formules citées par Leclercq {Dict.
d'Arch. chrét. s. v. « Défunt », col. 447 et 452) : « In pace bene dormit » ; « quies-
cit in pace aeterna » ; « requiescit in pace » ; « in pace somni » -, « dormit in somno
pacis », dont aucune n'exclut nécessairement l'idée qui se fait jour ailleurs {ibid.) :
« in pace Domini dormias » ; e'.p/lvr, aoi âv Ôew, par où l'on rejoint l'oraison du
Mémento des morts au canon romain de la messe : « ...qui nos praecesserunt cum
signo fidei et dormiunt in somno pacis. Ipsis, Domine, et omnibus in Christo quiescen-
tibus locum refrigerii, lucis et pacis ut indulgeas deprecamur » (2). Enfin, comme il a
été dit plus haut (N. C. XXXI, Animae conditio, p. 441), il est resté des traces^ cer-
taines de la doctrine professée par Aphraate dans d'autres textes liturgiques de l'Église
occidentale.
Philon, mais seulement dans ce verset de l'Ecclésiaste) en Dieu aucune permanence de la person-
nalité humaine, dans la tombé aucune survie (cf. supra, p. 446).
(1) Cf. aussi II Petr. 3 ^ : àep' -i^î yàp o\ Traxépsc; l/.oijjii/0-/iaav, ex quo enim patres dorniienmt-
Et Ev. Pétri, 41 : xat cpiovr,!; fjxouov s-(t xiov oûpavwv X^y*^"*''')'?' £'<■'') p^J 5 «<; "ïoT? xoi|i.tofi.évoii; ', 42, -'
y.a! ÔTtaxo-?! T|XO.'Jexo àuo tôù axaupoû, 6'xr va£. — X£xoi[j(.r,(ji.£voi serait correctement traduit par
endormis, mais le sens propre en est gisants : il représente 13.]DU^ (par ex. Ps. 88 ^) qui signm^
l'un et l'autre ; '/jyîpGiQa-av y répond exactement puisqu'il veut dire tout ensemble s'éveillèrent e|
se levèrent ; le sens en est plus complexe que celui d'hébr. Dlp qii'il représente (cf. Me 5
taXi6à /.O'jfji = aram. ^Dlp i^fT^ltû) qui signifie seulement 5e /ever.
(2) Chose singulière : il ne suffit pas de reposer dans le Christ ; et c'est pour ceux qui r^P°"
sent en lui que l'on implore, comme s'ils ne l'avaient pas encore, le lieu du rafraîchissement,
la lumière et de la paix. Cf. supra, p. 441, ligne 28.
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 232) 4SI
Pourtant les deux systèmes de l'immortalité de l'âme et de la résurrection, qui
paraissaient opposés et rivaux (i), s'étaient probablement déjà combinés chez lesMaz-
déens (2), et tendaient, dès le temps des origines chrétiennes, à s'accorder en Israël.
Le sujet a été remarquablement étudié par Bonsirven, le. [supra, p. 447] qui résume
comme suit ses conclusions (t. I, p. 335) : « La conception n'est pas encore abandon-
née... du âe'ôl, séjour commun des morts (3). La croyance s'accrédite qu'après leur
mort les âmes des justes sont réunies dans un réceptacle particulier : là leur état est
diversement imaginé, depuis une existence amoindrie et un sommeil tranquille, jusqu'aux
joies de la récompense ; ordinairement cette récompense est envisagée comme une
préparation et une attente de la récompense définitive ; on incline à situer ces récep-
tacles des bienheureux dans le paradis terrestre ou dans le ciel (4).
« Pour ce qui touche aux impies les conceptions sont moins nettes : on assure géné-
ralement que les anges pervers sont déjà torturés dans un lieu de supplices ; on com-
mence à peiiïe à connaître un enfer où souffriraient déjà les pécheurs (5) 5 on les
laisse souvent dans le se'ôl, qui prend de plus en plus la figure du séjour des dam-
nés j -parfois aussi leur peine paraît différée jusqu'au jour du jugement (6).
« De toute façon, la théologie juive s'oriente nettement vers l'idée d'une rétribution
immédiatement consécutive à la mort ».
Le pas fut franchi par les chrétiens. Non qu'ils aient dès l'origine entièrement rejeté
la théorie juive des réceptacles : elle est nettement exprimée dans Irénée, 5, 31, 2 :
al i]/u^ai àitép^^ovxat etç tÔv •<[à6paT0v> tÔttov tov (î)pt<T[J.îvov aùxaiç à-n;ô toù Oôoù, xàxsl [i£)(pi
TTji; àvacfxacreax; cpoiTwat, 7t£pifi.£voucrai TTjV àvàotaaiv (7). Et Augustin la professe encore, Enchir.
ad Laurentium, ch. 109 (29) = De octo Dulcitii quaest. 2, 4 : « tempus autem
quod inter hominis mortem et ultimam resurrectionem interpositum est, animas abditis
(1) Act. 17 32.
(2) Croyance à la résurrection chez les Mazdéens dès l'époque des Gâthâ : Pin du monde,
p. 11 = 39, c'est-à-dire à la fin du vn^ siècle av. J. C. (A. Meillet, Les Gâthâ de l'Avesta,
Paris, 1925).
(3) Sufra, p. 66. — Se'ôl divisé en quatre compartiments, dont le dernier contient les dam-
nés qui ne ressusciteront pas, Hén. 22 (éd. Fr. Martin, pp. 58-62). Ces réceptacles semblent
avoir été mis en relation avec le texte obscur d'/s. 42 ^^ : « tous ont été confinés dans des
fosses et relégués dans des cachots », peut-être en raison du sens eschatologique qui était donné
un peu plus loin à Is. 43 2. — Cf. IT^ Esdr. 7 ^^ . « gt terra reddet quae in ea dormiunt, et
pulvis qui in eo silentio habitant, et -prom-ptuaria reddent quae eis commendatae sunt animae » ;
Gry, le. p. 151 : « Puis la terre dépose ceux qui dedans reposent, / et la poussière éveille ceux
qui dedans sommeillent, / puis les caveaux raniment ceux qu'en eux ils compriment ; / -«c;^ les
tombes multiplient ]> ceux qu'en elles on confie » ; et IV Esdr. 4 ^^ : « Et dixit ad me : in
inferno -prom-ptuaria animarum matrici adsimilatae sunt » ; Gry, le. p. 41 -. « Le se'ôl pour les
âmes est semblable au sein <:^ pour le foetus ^ » . — C'est à ce se'ôl compartimenté, mais encore
souterrain, que paraît se référer la descente du Christ aux enfers {supra, p. 234).
(4) Réceptacle des âmes dans l'Eden : Bonsirven, I, p. 339 ; dans le ciel : trésor des âmes
sous le trône de Dieu », ibid. p. 338 ; Gry, le. p. 209.
(5) Se'ô/ réservé aux impies par les rabbins, et se tournant en géhenne : Bonsirven, I, p. 340,
cf. supra, p. 332.
(6) Supra, p. 449. : '
(7) PG. 7, col. 1209. BC = Harvey, t. Il, p. 412, de qui est la restitution tov <àopaTov>
t(5tcov.
452 LUX PERPETUA
receftaculis continet, sicut unaquaeque digna est vel requie vel aerumna, pro eo quod
sortita est in carne cum viveret » (i). Après cette période d'attente il devait y avoir
selon Justin, Dial. 80,5 une première résurrection des saints pour le miUénium : xal
uapxàç àvâffxaTiv ^^tH-t,<st<s^i.\. è-ntaxxiji.£Ox, v.aC: '/jfd:f. etrj iv 'hpooaxkr^ix o;y.oSojj.rjO£Î3"f|, puis une
seconde, celle-là générale, pour l'universelle rétribution, ?è. 81,4: atwvt'av ôfjiofijfjiaôôv ajxa itiv-
xwv àvâctaaiv yEv/îaîaOai xaî )cp(atv. C'est alors, après le millénium, que s'ouvrira le jugement
y.aî y-ptsiv, et que, comme dans VAvesta chacun devra, pour trouver son sort définitif, passer
autravers dufeu. Alavérité il n'est question d'un //ea/z^e de feu que chez Lactance (2), qui le
tient de l'^î^oca/^'^se du ps. - Hystaspe, source proprement mazdéenne, Instit. 7, 21, 4 (dans
Mages hellén. II, p. 373) : « Sed est purus ac liquidus et in aquae modum fluidus...
Idem igitur divinus ignis una eademque vi ac potentia et cremabit impios et recreabit...
6 : sed et justos cum judicaverit Deus, etiam igni eos examinabit ; tum quorum peccata
vel pondère vel numéro praevaluerint, perstringentur igni atque amburentur ; quos au-
tem plena justitia et maturitas virtutis incoxerit, ignem illum non sentient : habent enim
aliquid in se Dei quod vim flammae repellat ac respuat. 7 : tanta est vis innocentiae ut
ab ea ignis ille réfugiât innoxius, quia accepit a Deo hanc potentiam ut impios urat,
justis temperet » (cf. Boundahisn, 30, 18, texte dans Fin du Monde, p. 12 = 40, note i).
S. Hilaire et S. Ambroise (3.) ne parlent que de feu, non d'un fleuve. Et ce feu, ils le
(1) Cf. De Civ. 12, 9 : « Cujus pars... ex mortalibus hominibus congregatur... vel in eis qui
morte obierunt secretis animarum receftaculis sedibusque requiescit ». ,
(2) Il s'agit en réalité d'un fleuve de métaux en fusion ; cf. Avesta, éd. Darmesteter, t. I,
p. 224, note 39 ; p. 227, note 15 ; et en outre Gall, Bstcrtlî'a toù.Geou, 1926, pp. 90 ss., 104 ss.,
144 ss. — Ici le mot fleuve n'est pas prononcé, mais Lactance se réfère lui-même au ps.-Hys-
taspe. D'ailleurs l'image est explicitée dans les Oracles sibyllins qui relèvent de la même source
(cf. Justin martyr, Afol. I, 20). Or. Sibyll. II, vers 196 (éd. Geffcken, p. 37) :
/.X'. xôxE Stj TtoTaji.'!? te 'fxkyxq TTupôç a'.6o(jiévoio / pzitjs: aTr' oùoavôOev xa; TCdtvta tôtiov SaTtav/iffei. /
ycttav t' d)HEîivôv TE ^zyo:'j yXauxr'v te UàÀac3'a-/v,/ ÀtfAvoc; xa! iroTafjioÙ!;, urjYàî xa? à(ji.£i'Xi5(^ov "Ai8r,v,/
xal Ttôlov oùpâv'.ov. Cf. ps.-HippoL De consummat. mttndi, 38 : ô irupivoç Ttoxau.oî £^cp)j^c.|X£VOi;
&<nzzç) àypia 6j:Aaffca, v.-v. xaxax.a'jffs! oprj xa' pouvoyç, xal xvv G;;Xajaav àosvÎGEi xal xôv atôépa
8:a)v'JiiEi £x x?;? irupcoaEwç .j'.^Tvep XYjpôv. Or. Sibyll. II, vers 252 (p. 40) :
xal xôx£ 8-^, TîsvxEî Sià aîxofjiévou Tcoxauoïo xa: / tfÀoyôi; àcrêiaxou SieIsÔgovÔ" o"xe oîxatoi /itâvxEî
ffii)0/,aovx'' sffcêcT^ S'ânri xoïatv 61ouvxai / s'c; a!(ï)va<; iXo'jî;.
Des précisions sont données sur l'action des anges qui châtient les réprouvés (II, vers 285,
p. 42) et guident les justes vers la lumière et la vie, II, vers 313 (p. 43) :
ayyEXot atpdjAîvot oi' al6o^évou TïoxafjLoto / e!; owî a^o'jcjtv /.a; eiç ^wr^v sjj.éptvov" / £v0à Tztkti xp'Soi;
àOâvaxo^ jjLEyàXcto ^Itulo j v.A xp'.ac-al •Kryx; o'ivo'j aôXixôi; xs yàXaxxoi; (cf. supra N. C. XXV, p. 426).
Et l'image du fleuve se retrouvera encore chez Bède le Vénérable, Hymne de die fudicii (PL.
94, col. 636 A) :
fluvius ignivotnus tniseros torquebit amare.
On la> verra même dans la représentation du Jugement dernier, par exemple à la sacristie
de la cathédrale de Trévise, où le fleuve de feu défend le Paradis contre les entreprises des
impies (Louis Bréhier, l'Art chrétien, Paris 1918, p. 327).
Sur l'Ecpyrosis et le jugement par le fleuve de feu, cf. supra, pp. 209 et 225 ; Pin du
monde ; Mages hellén., t. I, pp. 32 et 219 ; t. II, p. 143, note 5 ; p. 147, note 3 ; p. 149,
note 1 ; pp. 373 ss., fragments du ps.-Hystaspe conservés chez Lactance.
(3) S. Hilaire de Poitiers, Tract, in Ps. CXVIII, 3, 12 (PL. 9, col. 552) : « Diem judicii
concupiscemus in quo nobis est ille indefessus (= àxc(|a.axov ) ignis subeundus in quo subeunda
sunt gravia illa expiandae a peccatis animae supplicia ? ». — S. Ambroise, In Ps. CXÎ^III
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 232) 45 3
disent eux mêmes l'un et l'autre, à propos dePs. iig (118) est celui du glaive tournoyant
qui, après l'expulsion des premiers parents, gardait, pour leur en interdire l'entrée, le
jardin d'Eden où verdoyait l'arbre de vie(G«. 3 ^^). Mais il y a pourtant, sous-jacentes
à leur texte, plusieurs autres réminiscences, notamment / Cor. 3 ^^ : « Car le jour rendra
manifeste ce qui dans le feu se sera révélé. Et l'œuvre de chacun, de quelle sorte elle
est, le feu lui en fera l'épreuve... Quant à lui, il sera sauvé, mais comme au travers du
feu » ; Dan. 3 ^^-S" 0' 8 : « Et descendit l'Ange du Seigneur en la compagnie d'Azarias
dans la fournaise ; et du milieu de la fournaise il fit comme un souffle de rosée bruis-
sant au travers ; et point du tout ne les saisit le feu ; et il ne leur nuisit en rien ni ne
les inquiéta » ; et surtout 75. 43 2 : « Si tu traverses l'eau, je suis avec toi, et les fleu-
ves ne t'engloutiront pas ; et si tu passes par le feu, tu ne seras pas brûlé et point ne
te mordra la flamme », et Ps. 66 (65) ^^ : « Nous sommes passés par le feu et par
l'eau, et tu nous as conduits au rafraîchissement » (i).
Et c'est ici que les textes de S. Hilaire et de S. Ambroise trouvent leur point ou plu-
tôt leurs deux points d'attache à celui de Lactance. Le premier est un souvenir des métaux
qui subsiste chez S. Ambroise ; non qu'il s'agisse chez lui de métaux en fusion : c'est le
plomb de notre iniquité, le fer de notre péché qui seront consumés pour faire de nous
un or pur (2). Mais enfin, dans un autre contexte, l'image demeure. Le second est encore
plus significatif : c'est que tous, bons et mauvais, devront passer par le feu, Ambr. in
Ps. CXVIII Expositio, sermo 20, 2 {PL. 15, col. 1487) : « omnes oportet per ignem pro-
bari quicumque ad Paradisum redire desiderant ». S. Jean lui-même, le disciple bien-
aimé, a connu cette épreuve, ibîd. : « De morte ejus aliqui dubitaverunt : de transitu per
ignem dubitare.non possumus ». Tout cela est clairement explicité chez Epiphane, De
haeres. i, i, haer. XLVIII {PG. 41, col. 1152), à propos précisément de Ps. 6512 ;
OîOî TcavTO/.p'i-cwp ô aitivio;. ô Tcxtf.o to5 Xptjxo'j. Iv Tr, ■fjf^épqL aou oiaêâvri xh uôp àva^YTiX!, xxî tùv
68aT.-i)v e's T?,v xauarTi/."?)v [j.£xaS"AcO£vTSi; ^■'jutv. 6TT=^aA6Çavxt xàç ôpp.âî, At'^XOov Sià Ttupôç xa', uSaxoç,
y.x\ ÈÇ'(^yaYci; ;j.£ eIç àvâtj/u^tv. Sù yàp aoi;-.', xot^ cityxiTwci cô 'r\ ï-Ky.yyûJ.cn' eav Siaêai'vst; 81' uSatoç, [JiETà
aoù E^jjit,* v.a TtoTajJLo'. où ^xuyzXeîtïciuai ce. KSv otaêstvïjÇ S'.à itopô:;, où (j.?, "/.aTajcaûcat as {Is. 43 2) ^5^.
Expositio, sermo 3, 15 (PL. 15, col. 1227 C) : « Siquidem post consummationem saeculî missis
angelis qui résurgent bonos et malos, hoc futurum est baptisma : quando per caminum ignis
iniquitas exuretur », allusion aux trois jouvenceaux dans la fournaise, Dan. 3 <t9-50j infra, note 2.
(1) eU àvad/uyv'v, in refrigeriiim. Ici l'application aux morts s'imposait presque irrésistible-
ment du fait que refrigerium était souvent — Fr. Cumont, peut-être avec un peu trop de
rigueur, disait : toujours — entendu au sens d'it. rinfresco, goûter que l'on prenait sur un tom-
beau, et où l'on buvait frais pour rafraîchir le défunt. Cf. supra, pp. 30 et 268 ; N. C. V,
Les Lemuria, p. 396, et XXX, Parentalia chez les chrétiens ; Relig. orient. '^, p. 247 ; Parrot,
Le « Refrigerium » dans l'au delà, Paris, 1937 ; Dict. d'Archéol. chrét., s. v. « Inscriptions
grecques chrétiennes » col. 683. — Dans l'Inde on suspend quelquefois aux branches du
pipai, figuier sacré, un vase contenant de l'eau pour désaltérer les âmes des morts (E. Mackay,
La civilisation de Vlndiis, in-8", Paris, 1936, p. 76).
(2) S. Ambroise, le. sermo 3, 16 {J?L. 15, col. 1228) : « Veniat ergo ignis consumens,
exurat in nobis plumbum iniquitatis, ferrum peccali, faciat nos aurum sincerum. .. Qui ergo per
ignem transierit intrat in requiem. Transit a malerialibus atque mundanis ad illa incorruptibilia
atque perpétua ».
(3) Cette curieuse influence d'un texte mazdéen sur la pensée chrétienne est probablement
due à l'attente de la parousie (encore chez S. Grégoire le Grand, In Ev. hom. 1, 1) qui faisait
voir dans la même perspective, presque sang solution de continuité, — comme dans la pro-
4S4 LUX PERPETUA
De l'ensemble de ces témoignages il résulte que les âmes des morts, plus ou moins pro-
fondément endormies, ne sont pas immédiatement jugées. Elles demeurent (sauf les idées
des Arabes et celles de l'école d'Aphraate, supra, p. 449) en réserve jusqu'à la fin des
temps dans les réceptacles secrets d'un se'ôl compartimenté.
Il arrive cependant que ce lieu d'attente perde son caractère de prison ou de dépôtj
qu'il s'humanise en devenant, par combinaison avec Le. 16 22 le sein {sinus) ou le giron
(gremhim) d'Abralaam (i) : « Non ei dominentur umbrae mortis, nec tegat eum chaos
et caligo tenebrarum, sed exutus omnium criminum labe, in sinu Abrahae patriarchae
phétie de Zoroastre, — la première manifestation du Sauveur et son second avènement (cf.
déjà dans le même sens — à propos de Clément d'Alexandrie, Str. 5, 5, 43, 1, éd. Stahlin,
p. 443, 3 — Mages hellén. t. II, p. 363, note 2, et p. 372, note 3). Cela est très frappant
dans un fragment du Livj-e des Scholies de Théodore Bar Kônaï, que le R. P. Paul Peeters
a traduit du syriaque {Mages hellén., t. II, pp. 126-128). Les rapports en paraissent beau-
coup plus étroits encore (sans doute a-t-il été retouché par une main chrétienne, ibid. t. I,
p. 53, on dirait un centon de textes bibliques) que ne le dit le traducteur avec les Ecritures
chrétiennes, si on le rapproche aussi bien des traits qui se réfèrent à la parousie que de ceux
qui se réfèrent à la naissance du Sauveur victorieux {Sausyant = (Ttoxr'p = Salvator) : « Ils
se saisiront de lui et le tueront {Mt. 17^2) sur le gibet {Act. 5^0) ; la terre et le ciel porte-
ront le deuil de sa mort violente {Mt. 27^^)... Il ouvrira la descente vers les profondeurs de
la terre {Mt. 12^°); et de la profondeur il montera vers le haut. {Rom. 10^-7 ; E-ph. 4 9-1").,
Alors on le verra venir avec l'armée de la lumière {Mt. 25 3")^ porté sur les blanches nuées
{Mt. 24 30); car il est l'enfant conçu du Verbe générateur de toutes choses {lo. 1^^; Lc.l^^-^^)».
Et sur une interrogation d'Hystaspe, Zoroastre reprend : « Il surgira de ma famille et de ma
lignée {Le. 132). jg suis Lui et II est moi. Je suis en Lui et II est en moi. {lo. 14^1, sous
cette réserve qu'il ne s'y agit pas d'un ancêtre humain et de son descendant). Quand se mani-
festera le début de son avènement, de grands prodiges apparaîtront dans le ciel (Le 21 25 sur
la parousie). On verra une étoile brillante au milieu du ciel {Mt. 2 2-9 sur la naissance, se
référant implicitement à Nu. 2417). Sa lumière l'emportera sur celle du soleil {Protév. de Jac-
ques, 212; ign. Eph. 19 2; Diodore de Tarse dans Phot. Diblioth., PG. 103, col. 877; S. J.
Chrysost. in Mt. hom. 6, PG. 57, col. 64 ; Ps.-Alcuin, De div. off., PL. 101 col. 1178, dans
Mages hellén. .t. II, p. 48 ; Ev. arabe de l'Enf., éd. P. Peeters, coll. Hemmer-Lejay, p. IX, autre
version de la prophétie de Zoroastre d'après le ms. orient. 32 de la Biblioth. Laurentienne, et
aussi pp. 3 et 9). Il vous faudra être sur vos gardes et veiller {Me. 14 33_37 5^^- la parousie) à
ce que je vous ai dit et en attendre l'échéance {Le. 21 23 sur la parousie) parce que vous
connaîtrez à l'avance {ibid.) l'avènement du grand roi {Mt. 2 2 et ps.-Mt. ^9 1-2 sur la nais-
sance ; Orac. sibyll. 3,652 ; dans la mosaïque de Bethléem (1169) on lisait sous la Sibylle
d'Erythrée : E caelo rex adveniet, Mâle, XII^ siècle.^ p. 175) que les captifs attendent pour
être délivrés (/ Petr. 3^^ ; Hipp., Trad. apost., prière eucharistique : ut mortem solvat et vin-
cula diaboli dirumpat et infernum calcet et justos ilhtminet, éd. Botte, p. 32)... Ne le négli-i
gez pas, pour qu'il ne vous fasse pas périr par le glaive {Hebr. 113^,37); car il est le roi
des rois, et c'est de lui que tous reçoivent la couronne (// Tim. 4 8). Moi et Lui, nous sommes
un {lo. 10 30 sous la même réserve que plus haut lo. 14 H) » Si artificiels que soient ces
rapprochements, il n'en est pas moins vrai que des deux côtés une échéance, la même échéance,
est annoncée, celle du Jugement dernier, à laquelle les fidèles sont invités à prendre garde :
c'était assez pour que les chrétiens crussent reconnaître le Christ dans le Victorieux {Sau-
syant) annoncé par la prophétie de Zoroastre.
(1) IV Macc. 13 1'' : o'jToj; TraSôvraç r^t-iac, 'Aêpaàjj, /.a', 'laaàx xai 'laxwê 6uo8É^ovxai, xaî ■rcàv'cai;
o\ Traxéosî Èiratvsao'jJtv (éd. Swete, The O. T. in greek, t. III, p. 751).
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 232) 455
coUocatus, locum lucis et refrigerii se adeptum esse gatideat, et cum dies judicii advene-
fit, cum sanctis et electis tuis eum resuscitari jubeas » (i).
Au grand jour du Jugement, elles recouvreront leur propre corps, et c'est alors qu'el-
les auront à traverser le fleuve de feu. Ce feu n'aura pas seulement pour effet, comme
dans l'ancien mazdéisme des Gâthâ avestiques {swpra^ p. 225), de distinguer et séparer
les bons des méchants. Il ne sera plus une simple ordalie. Il aura en outre, comme dans
le Boimdahîsn, une triple fonction : 1° de laisser passer les bons sans lésion ni souf-
fi-ance ; 2° de purifier ceux des coupables qui peuvent encore être régénérés ; 3° de tour-
nienter éternellement les pécheurs incurables.
Ces idées archaïques subsistent encore chez S. Augustin, De civ. 20, 26 : « quando
igné novissimi judicii mundabuntur. . . Proinde qui post judicium cum fuerint igné mun-
datl qui ejusmodi mundatione sunt digni ». S. Augustin, il est vrai, ne semble plus con-
naître ici l'effet lénifiant du feu sur les âmes des justes, celui que VAvesta comparait à
l'action du lait chaud {swpra, p. 225). Il ne voit plus que sa morsure sur les deux clas-
ses de coupables. De civ. 16, 24 : « Significatur isto igné dies judicii dirimens carnales
per ignem salvandos et in igné damnandos ». Il connaît pourtant un feu qui ne blesse
pas, Enarr. 11 in Ps. XIX, § 9 : « sed aliud est igné non laedi, aliud per ignem sal-
vari » (2). Mais c'est plutôt à l'idée de purification qu'il s'attache, Enarr. in Ps. XCVl :
ce feu qui marche devant le Seigneur (3), quel est-il ? « quis est ergo ille ignis .? Possu-
raus eum accipere in poenam malorum, possumus in salutem redemptorum ». Il brûle
l'élément mauvais, le médiocre, le foin (/ Cor. 3 12) 5 mais il n'a pas d'effet sur le bois
vert, siicco spiritali vigens et virens. Et c'est ainsi que, selon les dispositions intérieures
de chacun, il peut avoir des actions diamétralement opposées : « ille ardet, tu mânes
integer » ; le foin est détruit, mais l'or est purifié : « arserat enim fenum ut purgare-
tur aurum ».
Mais les chrétiens ne s'en tinrent pas à ce stade de leur pensée. Ils en vinrent, eux
(1) Du supplém. alcuinien au Sacrant, grég., oraison avant la sépulture, Muratori, II, col.
216 (texte analogue après la sépulture, ibid.) = Pontif. romano-germanique, dans Martène, éd.
de Venise, 1788, t. II, p. 389 = Pontif. rom. du Xll^ s. éd. M. Andrieu, St. e T. 86, p. 283.
(2) A rapprocher d'Origène, In Ps. 37 (36) (PG. 17, col. 128) : à[j.apxoXwv SI aitxexai -f)
V-H'i-i] xoù Ttopdi;, wc 7) 'EpuOpà AlyoTiTuo'^, où fji'?)v xa! 'Eêpaîwv. Id. In Ez. hom. 1, 3 (éd.
Bâhi-ens, p. 324) : « Quis est ignis iste sic sapiens... ut illaesum relinquat eum, qui in me est,
lapidem pretiosum, ut mala tantum consumât quae feci, quae superaedificavi ligna, fenum sti-
pulam î » ■ : ' , ' ' I ' ' ! ■ f i !
(3) Ps. 97 (96) 3 : « Ignis ante ipsum praecedet, et inflammabit in circuitu inimicos ejus »
(cf. Ps. 50 (49) 3 : « ignis in conspectu ejus exardescet, et in circuitu ejus tempestas valida).
C'est de Ps. 97 (96) 2.3 q^e dépend le vers du Carmen Sangallense : Crux micat in çaelis,
niées -praecedit et ignis; et probablement aussi le verset supplémentaire ajouté à Vznûenne Libéra
entre le xe et le xii^ s. : « Dum veneris judicare saeculum per ignem », — Le feu a pour
effet de disperser les ennemis de Dieu, mais ce. n'est pas la raison pour laquelle il le précède :
c'est en signe de sa majesté. Transposition au Dieu d'Israël de l'antique cérémonial royal en
Ifan. Cf. Ammien Marcellin 23, 6, 34 (éd. Clarik, p. 316 = Mages Hellén. II, p. 32) : « f erunt-
que si justum est credi, etiam ignem caelitus lapsum apud se sempiternis focuUs custodiri, cujus
toyiionem exiguam, ut faustam, praeisse quondam Asiaticis regibus dicunt ». Sur la persistance
et le développement de cette tradition chez les Ptolémées et de là chez les Césars romains, cf.
^ages hellén. II, p. 52. — Hérodien, Hist. rom. 1, 50-55, dit que Commode considérait Marcia
presque comme une épouse, et que, « si l'on eût porté le feu devant elle, elle eût joui de tous les
honneurs qu'on rend aux impératrices ».
456 LUX PERPETUA
aussi, à admettre, comme l'avaient déjà fait les mazdéens, aussitôt après le trépas
un jugement particulier (i), lequel au demeurant n'excluait pas que se tinssent à là
fin des temps, les grandes assises du Jugement- dernier.
La même évolution se produisit dans l'Islam. On y vit apparaître au décès de
chacun, un jugement particulier que le Qoran {su-pra, p. 448) n'avait pas prévu,
Et ici l'influence directe de l'Iran est certaine : car l'âme, au sortir de la vie, doitl
subir l'épreuve du pont Sirât (Goldziher, Le dogme et la Loi de l'Islam, p. 82), qui n'est
autre, sous un autre nom, que le cinvat de VAvesta {swpra, p. 143) (2).
Le Qoran ne semble pas attacher grande importance à la conservation des restes
humains. Il suppose, comme allant de soi, l'inlaumation du cadavre, mais il ne con-
damne pas l'incinération : il l'ignore. Il parle des ossements qui revivront, Qor.
75 3-4: : « L'homme pense-t-il que nous ne réunirons pas ses os ? Oui certes, nous avons
pouvoir d'arranger jusqu'aux phalanges de ses doigts » (3). Mais il ne dit pas que
leur conservation soit une condition de la résui-rection. Il dit bien que comme la nature
renaît sous la pluie, ainsi se fera la résu^rrection {su-pra, p. 447) à partir de peu
de chose, comme la première formation (4) :. ici un peu d'eau, là un peu de pous-
(1) Il arriva parfois que ce jugement particulier fût considéré, non comme prononcé du dehors,
mais comme issu de l'âme elle-même prenant conscience de son indignité. Ps.-Denys, Ep. 10
(PG. 3, col. 1117, supra, p. 417, note 2). L'idée se retrouvera chez Ste Catherine de Sienne,
Dial. 43 ; Ep. 44 [24-x] à Berengario degli Arzocchi ; et un peu plus tard chez Ste Cathe-
rine de Gênes, Purgat. 8, dans Vita mirabile... éd. Spinola, 4°, Gênes, 1681, p. 187 ; chez l'une
et chez l'autre seulement pour . le jugement particulier.
(2) Peut-être le souvenir du pont cinvat est-il à l'arrière-plan de ces versets de IV Esdr. 7 " ;
« Si non transierit angustum, in latitudinem quomodo venire poterit f » (cf. Gry, le. p. 133);
7 ''-^ : « Introïtus autem ejus angustus et in praecipiti positus, ut esset a dextris quidem ignis,
a sinistris vero aqua alta. Semita autem est una sola inter eos posita, hoc est inter ignem et
aquam, ut non capiat semita illa nisi solummodo vestigium hominis », cf. Gry, le, p. 135. -
Dans le christianisme au contraire il n'y a nulle trace de ce pont, à moins que l'on ne veuille
en trouver une lointaine réminiscence dans l'échelle de sainte Perpétue (Passio S. Perpetuae, 4,
supra, p. 282); plus lointaine encore dans une image chère à sainte .Catherine de Sienne : Le
Médiateur est un pont par lequel il faut passer — dessus et non dessous {Dial. 27) — pouf
atteindre le Père céleste : e non bastarebbe a v.oi ad avère la vita perchè'l Pigliuolo tnio vi sin
fatto ponte, se voi non teneste per esso (Dial. 22 ; cf. en outre 20 ; 21 ; 25-31, et Fawtier-
Canet, La double expérience de Catherine Benincasa, Paris, 1948, p. 325). Mais la perspective est
différente. Il ne s'agit plus seulement ici d'une ordalie après la mort comme moyen de discrimi-
nation entre les bons et les méchants : il s'agit de la voie ouverte pendant toute la vie à ceux
qui veulent gagner le royaume des cieux. — Cf. Odes de Salomon 39 ^-H (éd. Labourt-Batiffol)
pp. 36 et 114) : « Le Seigneur y (= sur les torrents) a fait un pont par sa parole, / il a mar-
ché et il les a traversés à pied... / Le chemin a été frayé pour ceux qui passent après lui)/
pour ceux qui parfont le chemin de sa foi et adorent son nom » (Rendel Harris, p. 134).
(3) Qor. 23 37 , 23 84; 27 69; 371.6 = 1752 = 17101 = 56^6.47.
(4) Cyrille de Jér. Catech. 18 de resurrectione, 9 {PG. 33, col. 1027) : 5pa où/. oi8:(iJ.ev '^\^
•fluLsxÉpai; •jitocj'co'.ffS'oç -ciuv (î'0fJi'/.x(0v vT\^t 'jTtoOefftv ; ê? àxÉXwv TûoayjxsTcov Ttof/iffaç -fijjiâç ô Oeéç, ap'Z 'î'O'J'
TîEaôvxai; ÈycTpat où Sùv/xai ; — Sur la nature de l'infimité, àtÉXï) Tzpiy^i.xxa, dont nous sommes
faits, la précision donnée par Qor. 80 18 est déjà chez Théophile d'Antioche, Ad Autolycutn, h
7 ('PG. 6, col. 1037) : Tcpwxov ^Iv yàp ô'xt i-Koir,ai cte oùx ovxoç eiç xo ETvai... xaî l'^Xaffé as. i^ ^1?"^
oùsîa; |i.ixpâi; xat èXaj^iax'/)^ paviSoç.
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 232) 457
sière, Qor. 80 l'^-^i : « De quoi l'a-t-Il créé ? / d'une goutte de sperme ; / Ill'a créé
et façonné ; j II lui a rendu la voie aisée ; / Il le fait mourir et l'ensevelit ; / et quand
il Lui plaira, Il le fera revivre ». Mais ce peu de chose n'est pas indispensable à la
toute puissance de Dieu.
Ni Adam, ni Jésus n'ont eu de père en ce monde, Qor. 3 52 ; « Jésus est aux yeux
de Dieu ce qu'est Adam, que Dieu forma de poussière, et II dit : sois, et il fut »,
Il en est des morts comme de ceux qui ne sont pas encore : Dieu peut leur 'dire :
sois, et cela vient à l'être [Qor. 2 ^^^ ; 6''^, 16^2) (i), Et il faut qu'il en soit ainsi
pour que l'homme ne puisse se dérober à Lui, échapper au jugement, la résurrection
dans le Qoran ayant pour but essentiel d assurer une sanction à la vie de ce monde.
L'attitude du Christianisme est moins radicale. Sans doute nombre de chrétiens
ont-ils pensé, à la suite des Juifs et des Indo-européens, qu'une sépulture régulière
était nécessaire et à la tranquillité des survivants (sufra, p. 22) et à la paix du
défunt, y compris — lorsque l'idée en est venue, — la résurrection,; CIL, t. V,
no 5415 : « ut hune sepulcrum numquam ullo tempore violetur, sed conservet usque
ad finem mundi, ut possim sine iinpedimento in vita redire, cum venerit qui judica-
turus est vivos et mortuos » -, inscription de Ma'rata dans la Syrie du nord {Prince-
ton ex-ped. div. III, sect. B, p. 106, dans Relig. orient. *, p. 248) : AloV/io; [j.sv o'tx-^acwç
TÙTTOî, Totç Sî ys. eôffîêô)^ Çv'ffacrtv îspo'j itpoTï'jXa'.a -îtxo'xSvtoo' aveu y^? "^'j-t^i;, Èxe[vt,i; où5<C!e^ti;
[jiîTo-^oi; ET-<;a!> Ils n'ont pas connu le rite de l'os resectitm, puisqu'ils ne prati-
quaient pas l'incinération {swpra pp. 23 et 388). Et l'on ne voit pas qu'ils aient con-
servé l'idée juive qu'il y a dans la colonne vertébrale un osselet ovale, infrangible et
imputrescible, à partir duquel se fera la résurrection (2). Mais enfin ils s'efforçaient
de se faire délivrer les corps des martyrs afin de leur donner une sépulture hono-
rable {swpra, p. 340).
Ils ne s'en tinrent pourtant pas à ces idées anciennes. Et ils en vinrent à penser
qu'il n'était pas nécessaire que les restes fussent en tout ou partie conservés pour que
la- résurrection fût possible, Tatien, Adv. Graec. 6 {PL. 6, col. 819 A : -cov aô-uov ^poTtov
(1) Cf. Minucius Félix, Octavius 34, 9 : « Porro difficilius est, id quod non sit incipere quam
id quod fuerit iterare. Tu perire et Deo credis, si quid ocuHs nostris hebetibus subtrahatur f ».
Et Athénagore, De Resurrect., 3 {PG. 6, col. 980) : t\ yàp (jir, ovxa xarà xf|V upcoTriV auff-cauiv
£Tco(y,i7E ri, TÎôv àvOpwirwv awfxaxa xal xài; toÛtwv àpyàç, xa; 8ta)^u0ivTa xaÔ' ô'v av t'jyri TpÔTrov,
àvadT-Zicrei |j.£xà xTjÇ aùxï,<; {ou x^? 'i^Tf/^) eûfxapEÎa!;. È-!T!ffr,î yàp aôxîf) xa' xoûxo âuvaxov. — Efficacité
de la parole créatrice : Gn. 1 ; Ps. 33 (32) ^ -. « quoniam ipse dixit et facta sunt, / ipse man-
davit et creata sunt » ; Judith, 16 l'' : « quia dixisti et facta sunt, / misisti spiritum tuum et
creata sunt, / et non est qui résistât voci. tuae » ; Basilide, dans Hippol. Philosophumena, 7, 22 :
dcXXà eTtte, 'fr,a\ xal l-^éytio. En Egypte « l'idée de la force créatrice du verbe existe déjà nette-
ment dès les textes des Pyramides » (Moret, Rit. du culte journalier, p. 155, note 4). Le Mâ^
Kherou, qu'il soit dieu, mort divinisé, roi ou officiant, est celui dont la voix réalise ce qui n'était
que représentation ou simulacre (Virey, Tombeau de Rekmarâ, pp. 101 et 149 ; et Relig. de
l'anc. Egypte, p. 84 ; Moret, le. pp. 152-165). — Inscription hiéroglyphique du temple de Den-
dérah sous Néron (ap. Festugière, La Révélation d'Hermès Trism., t. I, Paris, 1944, p. 69) :
« Révélation du Dieu de la Lumière, Râ, lui qui existe dès le commencement, Thoth, lui qui
repose sur la Vérité. Ce qui jaillit de son cœur a aussitôt existence ; ce qu'il a prononcé sub-
siste pour l'éternité ».
(2) Réponse de R. Josué ben Hanania à l'empereur Hadrien, LevR 18, 1 et GetiR. 28, 2,
pp. 261 ss., ap. Bonsirven I, p. 484. Détails sur cet osselet dans Bartolocci, Bibliotheca rabhi-
nica, Rome, 1675, I, pp. 86 ss.
458 LUX PERPETUA
ô yev^jxevoç xat 8ià OavdcTou "[AY]xéTi wv, auOd; te |j,r(/.é8' iî)pô[/,evo(;, è'aofjiai itaXiv, djffTtsp jji."^ TcSt'Xai
•ysYOviix;, eTta YevvYjÔEd;. Kâv uup èÇ cpaviari jj(.ou xo aapx.t'ov, £^aT(J!.tcr0ETffav tt|v uXtqv ô xôa:|jioi; XEytopTf/cev
xSv èv uoxafioïi;, xâv sv OaXâooatî Ix8aitav7)6w, xav ôttô Gr;p[(i)v SiaffTTocffGtï) Ta|j,£(ot<; èvaTcdxEtjjiai
irXoucriou SeaTcoTou.
D'où l'idée que peu importait la sépulture. Certains exaltés d'Egypte allaient, dans
la ferveur de leur pénitence, jusqu'à réclamer que leur corps fût privé de sépulture
humaine et enfoui comme celui d'un animal, xoù |j.y) xaTa$u.)6-?;vat aùxov àvOpwTttvïic; iot.or,<^,
àXXà àXÔYou, et jeté au courant du fleuve ou abandonné aux bêtes dans un champ, ^ h>
xif) pE(âpqj -cou Tcoxajj.ou. t] iv à^pti) xoTç 07)pîoi(; irapotSoG'^vai (S. Jean Climaque, Scala Parad.
grad. 5, PG. 88, col. 772 B).
C'était braver les idées reçues, contredire aux traditions les mieux assises (i). S. Au-
gustin demeura dans une plus sage mesure. De cura -pro mortuis, 3 (4) = De Civ. i,
12 : « Proinde ista omnia, curatio funeris, conditio sepulturae, pompa exsequiarum,
magis sunt vivorum solatia quam subsidia mortuorum ». Et il rappelle le vers de
Lucain, Phars. 7, B19 :
Caelo tegitur qui non habet urnam.
Ce n'est d'ailleurs pas raison pour abandonner les dépouilles des morts, De cura
■pro mort. 3 (5) = De Civ. i, 13 : « Nec ideo tamen contemnenda et abicienda sunt
corpora defunctorum, maximeque justorum atque fidelium, quibus tanquam organis
et vasis ad omnia bona opéra sancte usus est Spiritus » (2). Mais si, pour quelque
cause que ce soit, les obsèques sont impossibles, il ne s'en faut pas troubler, et les
adversaires auraient tort d'en tirer argument pour narguer ceux qui ont été privés
de sépulture : car, à défaut de pompe funèbre et d'un tombeau de marbre, ils ont
été portés par les anges dans le giron d'Abraham [De cura pro mort. % (4) = De Civ.
I, 12) et leurs corps n'en seront pas moins ressuscites, ihià. : « Quanto minus debent
de corporibus insepultis insultare Christianis, quibus et ipsius carnis membrorumque
omnium reformatio non solum ex terra, verum etiam ex aliorum elementorum secre-
tissimo sinu, quo dilapsa cadavera recesserunt, in temporis puncto reddenda et redin-
tegranda promittitur ».
Et pourtant les anciennes idées étaient si puissamment implantées qu'elles survécu-
rent encore longtemps. D'où la longue suite des imprécations contre les violateurs de
sépultures : « insepultus jaceat, non resurgat » (Bosio, Roma sotterranea, Rome, 1632,
p. 436) ; « quia hoc [hjossa removit, anathema sit (Le Blant, Inscript, chrét. de Gaule,
no 13); et encore sur le tombeau d'un prêtre du x^ siècle : « et nullus violet hoc
sepulcrum, et qui praesumpserit in diem judicii non resurgat » (Oderici Sylloge vete-
rmn inscriptîonum, p. 352) (-3).
Mais ce ne sont là que survivances d'un état d'esprit archaïque. En réalité ce qui
importait aux chrétiens, c'était bien encore, comme aux temps antiques, le repos —
(1) axacpoi : SMpra, pp. 22, 23, 84, 319 ; cadavres de suppliciés jetés au fleuve ou à la voirie :
supra, p. 340 ; xuvoëpwxot : supra, p. 316.
(2) Ainsi Monique avait-elle demandé qu'on l'enterrât n'importe où, Conf. 9, 11 (27) : « Ponite,
inquit, hoc corpus ubicumque : nihil vos ejus cura conturbet ; tantum iUud vos rogo ut ad Domini
altare memineritis mei ubi ubi fueritis » ; 9, 11 (28) : « Nihil, inquit, longe est Deo, neque
timendum est ne ille non agnoscat in fine saeculi unde me resuscitet ». Cf. encore 9, 13 (36).
(3) D'après Dict. d'archêol. chrét. s. v. « Ad Sanctos », col. 484. Supra, pp. 107, 320.
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 232) 459
Requiem aeternam dona eis, Domine (i) : — seulement ce n'était plus la léthargie de
la tombe {supra, p. 24), ni la vie exténuée du se'ôl dans la poussière et dans la nuit
Isiifra, p- 55) 5 ce n'était pais non plus l'ivresse que les mystes avaient attendue
de leur banquet sacré dans l'espace aérien aux abords de la Lune (supra, pp. 246,
2ç8), ni l'absorption de leur conscience personnelle dans la vision extatique de l'Un
(supra, pp. 302, 385 et N, C. XXIX p. 433). C'était, comme cliez les mazdéens, le règne
de Dieu dans le royaume des cieux.
Pourtant ni ce règne ne ressemblait au KhsaOrâ d'Ahoura-Mazda, ni la réalisation
du royaume ne résultait, comme selon le mazdéisme, de l'action guerrière d'un yazata,
rex magnus de caelo, Sausyant, c'est-à-dire le Victorieux, qui s'identifie au Sol invictus
rex. Non que ces images soient entièrement étrangères à la représentation du second avè-
nement {supra, p. 453, note 3 ; et Me. 13 2^; Mt. 24^8 et 25^1; Le. 21^''). Mais le second
avènement n'est ici que la conclusion de ce qui se sera produit par d'autres moyens. Le
Messie chrétien ne vient pas en chevauchée de conquérant ni sur un char de feu comme
un héros solaire : «Tressaille de joie, fille de Sion», avait-il été dit {Zach. ()^'^ Mt,
21 5) :
voici que ton roi vient à toi
humble et monté sur un âne
sur un ânon, poulain d'ânesse.
C'est en ce petit arroi que Jésus de Nazareth, roi messianique, rex magnus de caelo,
fit son entrée dans la Ville sainte par une voie jonchée de rameaux. Et ce triomphe
pacifique s'acheva sur un gibet au Golgotha, entre deux voleurs, afin qu'il fût mani-
(1) Antiphonaire dit grégorien, In agenda mortuorum, PL. 78, col. 722. Ce texte, qui a tant
préoccupé Fr. Cumont durant les dernières années de sa vie, provient — il ne l'ignorait pas
[Symbolisme, p. 385) — de F Esdr. {su-pra, p. 448, n. 1) dont il existe deux recensions, la française
A (Amiens), S (Sangerman. = BN. lat. 11504-11505), et l'espagnole C (Complut, à Madrid),
M (Mazar. à Paris), L (Légion.), l'une et l'autre éditées par Bensly et R. James, T. and St.
III, 2. Rec. fr. p. 5 : « Requiem aeternitatis dabit vobis. Parati estote ad praemia regni : quia
lux perpétua lucebit vobis per aeternitatem temporis » ; Rec. esp., p. 86 : « Requiem aeternitatis
vestrae dabo vobis... Parati estote ad praemium regni. Lux perpétua lucebit vobis, et aeternitas
temporum vobis parata est ». F Esdr. lui-même pourrait dépendre ici à' H en. 96^-3 : « Ayez
confiance, ô justes... loin de la face des méchants, qui gémiront et pleureront sur vous comme
des Sirènes (éthiop. tsêdonât, cf. Is. 13 21 ; Jér. O' 36 39). Ne craignez donc pas, vous qui souf-
frez, car il y aura un remède pour vous, une claire lumière luira four vous, et du ciel vousi
entendrez la voix du repos-». — ^ Selon Edmund Bishop, Liturgica historica, Oxford, 1918, p. 189,
la première mention liturgique de ce texte se trouve dans le supplém. alcuinien au Sacram. grég.,
Muratori II, cxjl. 215 : « Requiem aeternam dona ei, Dne », en tant que capitule, quando anima
egreditur de corpore. Cependant la substance en apparaît déjà en 747, au canon 27 du concile de
Cloveshoe : « Dne, secundum magnam misericordiam tuam da requiem, animae ill., atque ei,
pro tua immensa pietate, gaudia lucis aeternae donare cum tuis sanctis dignare » ce qui, selon
Bishop {le. p. 189), n'implique pas nécessairement que la formule fît dès lors partie de la liturgie
anglaise. En revanche Fr. Cumont {Symbolisme, p. 385, note 3) se fondait sur les épitaphes du
cimetière d'Aïn-Zara (ve-vic s.) près de Tripoli d'Afrique, où la formule se trouve, en tout ou
partie, vingt-six fois, pour penser que V Esdr. est bien antérieur au v^ siècle. Sans doute aussi
faut-il déduire de là que si l'usage liturgique du Requiem a été, comme le voulait Bishop {Book
0/ Cerne^ p. 35), gotho-gallican avant d'être romain, c'est d'Afrique qu'il sera passé en Espagne
^t en Gaule.
4éo LUX PERPETUA
festé qu'il n'est plus grand amour que de donner sa vie pour qui l'on aime {lo. 15 13\
Ainsi fut inauguré le royaume, selon qu'il avait été dit, Le. 17 2O-21 ; « La venue du
règne de Dieu n'est pas objet d'observation. L'on ne dira point : « Il est ici ou il est
là » ; car voici : le règne de Dieu est parmi vous ». Et il consiste essentiellement, si
l'on peut employer ici cette terminologie paulinienne et johannique, dans une seconde
naissance, une naissance d'en haut, dans la transformation du charnel en spirituel, et
du vieil homme en homme nouveau (i). Ce qui revient à dire qu'il introduit dans la
vie de ce monde une perspective d'éternité : et c'est en effet dans l'éternité qu'il trouve
son achèvement, et qu'il obtient, au delà de toutes les restrictions, conditions ou moda-
lités de ce monde, en union avec le Père céleste ( ^), la vie éternelle dans la lumière
sans déclin... et Liix -per-petua luceat eis (3).
Ltix perpétua, lumière sans déclin. Ici se retrouve encore l'influence mazdéenne. C'est
le Garôtman (supra p. 270 ; Symbolisme, p. 179 avec la note 2), splendeur indéfecti-
ble, immense lumière de l'Empyrée (supra pp. 187, 217, 270, 400) où se tenait, au-dessus
de tous les mondes, le grand dieu de lumière, Ahoura Mazda (stipra, p. 270). Lumière
en soi, antérieure à tous les luminaires, — selon Gn. i ^ -. Dieu dit •. « Soit la lumière,
et la lumière fut », — et qui survivra à l;eur destruction, S. Ambroise, De bono morth,
12, 53 (PL. 14, col. 154) : « Non Solis istius usus erit aut Lunae neque Stellarum
globi, sed sola Dei fulgebit claritas ».
Ici le christianisme a recueilli un héritage (4) qui, tardivement reçu par Israël (5),
n'avait pas appartenu à la vieille croyance des Juifs. Car la première origine — autant
qu'on la puisse atteindre — en est à chercher dans le monde avestique. C'est de là
qu'elle est venue, — comme la pluie de feu dont parle Dion Chrysostome (supra, p. 430),
tiiéophanie zoroastrienne sœur de la théophanie mosaïque, — illuminer dès l'origine les
premières espérances chrétieimes. C'est du premier témoin, Etienne le protomartyr, qu'il
(1) Les raisons invoquées par Loisy (Synopt. II, pp. 402-403) contre cette interprétation ne
sont pas décisives. TertuUien, Adv. Marc. 4, 35 (PL. 2, col. 448) admettait déjà que le texte
devait s'entendre en ce sens que le royaume de Dieu est dèsi à présent à notre portée : « quis
non ita interpretabitur intra vos est, id est in manu, in potestate vestra, si audiatis, si faciatis
Dei praeceptum ? »
(2) Supra, p. 431, N. C. XXVIII.
(3) V Esdr. 2 35 (^f. supra, p. 448, note 1). Le premier usage liturgique de ce te-ate, est dans
l'Office romain l'antienne pour le Magnificat au Commun des Martyrs (vers le ix^ s. selon Bâu-
mer, Hist. du Brév., tr. fr. I, p. 93) -. « Lux perpétua lucebit sanctis tuis, Dfie, et aeternitas
temporis ». Dans un ms. de la Vallicelliana, B 63, recueil factice oii se trouve un fragment de
missel plénier du monastère de S. Eutychius près Nursie (Ebner, Quellen und Forschungen %tir
Gesch. des Missale rom., p. 198), dom de Bruyne (Revue Bénédictine, 1908, p. 359) a reconnu
dans une messe de communi plurimorum Martyrum une épitre empruntée à V Esdr. 2 ^2.48.
(4) Sacrant. Lêonien (Muratorl, I col. 453) : « Praesta, Dne, quaesumus, animae famuH tui
misericordiam sempiternam [immensam], ut eam, mortalibus nexibus expeditam, lux aeterna pos-
sideat ».
(5) Is. 60 19 : « Erit tibi Dns in lucem sempiternam » ; Ps. 35 ^o : « . In lumine tuo vide-
bimus lumen » ; Apoc. d'Elie, 2 3-8, éd. G. Steindorff (7'. U. XVII, 3, p. 37) : « Ist keine
Pinsternis an diesem Orte noch / Nacht ? » Er erwiderte mir : « Nein, denn der Ort, / an dem
die Gerechten sind und / die Heiligen nicht ist Fânsternis an/ jenem Orte, sondern sie sind / i"
dem Lichte aile Zeit ». IV Esdr. T^^^, Gry (le. p. 217) : « La mort est bousculée et la vie se
dresse, / la corruption est évincée et la lumière s'impose »,
NOTES COMPLEMENTAIRES (p. 232) 461
est dit, Act. 7 55 : « Cum autem esset plenus Spiritu sancto, intendens in caelum, vidit
gloriam Dei 'Hin"! "llS,!!!!!) et Jesum stantem a dextris Dei. Et ait : Ecce video caelop
apertos et Filium hominis stantem a dextris Dei ». Ainsi se réalisait pour le premier
0iartyr chrétien, à l'instant même où il allait succomber sous les pierres de ses bour-
reaux, la promesse quasi mazdéenne inscrite aux psaumes d'un prophète pharisien (i) :
ol CBo6o'.' jj.Evot tov x'jptûv âvxffX'/^iTav-at
e;? (^orr|v auovtov,
'/.y.\ •?; Çw?; «ùtwv ht (otin: xuiiou
O'jx ly.y.zi'hz'. tzi. [L. C.].
(1) Ps. de Sal. 3 16, éd. Viteau, p. 270. Cf. Passio S. Perfeime 11 (éd. Armitage Robinson,
T. and St. I, p. 78) : « Viditnus lucem immensam » (tpw; X'JiixTtp6ra-oy e'iîo^sv) ; 12 (p. 80)
« Et venimus prope locuna, cujus loci parietes taies erant quasi de luce aedificati (':o'you; wa-
avi! £■/- cp'uTO:; 'j)xooo[j.Tj[jLivo'jq) et ante ostium loci illius angeli quattuor stabant, qui introeuntes
vestierunt stolas candidas. Et introïvimus et audivimus vocem unitam dicentem : Agios, agios,
agios, sine cessatione ».
ADDITIONS ET CORRECTIONS
p.
2
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I5
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2,
ligne
26,
p.
3
note
ij
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5
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4,
note
I,
p.
6
note
I,
note
2>
p.
7
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13,
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18,
ligne
25>
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32,
note
2,
note
3)
p.
8
ligne
235
note
2,
p.
lO
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I3
ligne
25>
note
I,
note
2,
p.
12
Hgne
II5
p.
14
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27.
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3O5
p.
17
note
2,
p.
18
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10,
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19
note
5,
p.
20
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i7>
p.
22
note
I,
p.
23
note
I,
p.
24
note
3>
p.
27
note
25
note
3,
p.
29
note
6,
p.
30
note
9j
p.
32
ligne
10,
ajouter une virgule après temps.
suffrimer la virgule après paganisme.
lire subie.
lire Brunschvicg.
lire épaississent.
lire ch. III, 11, p. 161 et iii, p. 182.
lire infra, ch. IV, p. 191.
lire infra, ch. III, m, p. 186.
lire la raison.
lire mêmes.
lire résonance.
lire romains, mais de l'admiration.
lire Brunschvicg.
lire mysterioiis.
lire Ainsi tout.
lire infra, ch. III, m, p. 179.
lire un fonds.
lire persuasion.
lire infra, ch. II, p. 124 ss.
lire infra, ch. II, p. 141.
lire nous a laissés.
lire côte.
lire très éloignés les uns des autres dans le temps.
lire infra, ch. I, iv, pp. 87, 94.
lire ceux-là mêmes.
lire infra, ch. VII, i, p. 314.
lire coutume.
ajouter Infra N.C. XXXI, p. 436,
lire ch. VII, 11, pp. 335, 340.
ajouter N.C. XXXV, p. 445.
lire 'infra, p. 48.
lire infra, ch. I, m, p. 68... infra, pp. 84 ss. ; 96.
lire infra, ch. I, m, p. ;^^.
lire infra, ch. VI, p. 287.
lire fastueuse ; mais.
ADDITIONS ET CORRECTIONS
463
P.
33
note
4>
p.
34
note
4j
p.
36
note
7>
p.
42
ligne
%
note
2j
p.
.43
note
3»
p.
47
ligne
9,
p.
51
note
35
p.
53
note
2,
p.
55
ligne
20,
p.
56
note
35
p.
57
ligne
195
p.
58
notes
2,
p.
59
ligne
23,
p.
60
note
2}
p.
62
note
I,
p.
63
note
2,
p.
65
note
2,
note
4)
p.
66
note
I,
p.
67
note
2,
note
45
p.
68
note
I,
p.
70
note
4,
p.
71
ligne
I>
note
I,
p.
72
note
I,
note
4»
p.
73
ligne
28,
p.
75
note
2,
p.
76
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10,
note
I,
note
2,
p.
77
note
2,
note
3î
p.
83
ligne
II,
note
35
p.
84
note
I5
note
2,
p.
86
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18,
note
2,
p.
87
note
I,
p.
89
note
I,
note
3,
note
6,
p.
90
note
5,
note
6,
p.
91
note
I5
p.
m
ligne
22,
^îVe î»/rfl, ch. V, p. 255.
lire infra, ch. I, iv, p. loi.
ajouter infra N.C. XXXV, p. 450.
ajouter N.C. XX, p. 415.
ajouter N.C. XXXV, p. 450.
lire infra, ch. I, iv, pp. 81 et 83.
lire couronnes.
au lieu de [n. 174] lire [p. 49, n. 3].
lire Tîpdi;.
lire accommodement.
lire infra, ch. I, iv, p. 82.
lire conjecturé.
3 et 4, lire N.C. III, p, 392.
lire populaire, et l'écho
lire Lattes.
lire infra, ch. V, p. 277.
lire ch. II, p. 109.
lire infra, ch. V, p. 248.
lire Aen. Buch 6.
lire infra, ch. V, p. 244.
lire infra, ch. V, p. 245.
lire infra, ch. V, p. 246.
lire infra, ch. VI, p. 289.
lire infra, ch. I, iv, p. 92.
lire infra, ch. IV, p. 228.
lire Nékyia.
lire infra, ch. IV, p. 212.
lire infra, ch. I, iv, p. 95.
su-pfrimer l'a-p-pel de note à Stace ^.
lire ch. II, pp. 115 et 124.
lire unification.
lire ch. I, iv, p. 104.
lire ch. I, iv, p. 93.
lire infra, ch. V, p. 242.
lire infra, ch. VIII, p. 376.
ajouter infra, N.C. XXX, p. 435.
lire infra, ch. I, iv, p. 104.
lire infra, ch. VII, p. 305.
lire infra, ch. VII, p. 316,
lire de pied en cap.
lire infra, p. 94.
lire infra, ch. II, p. 138.
lire infra, ch. II, p. 126.
lire infra, ch. III, 11, p. 169.
lire infra, ch. VII, p. 339.
lire su-pra, p. 83.
lire infra, ch. VII, p. 320.
lire infra, p. 93.
ajouter N.G., XX, p. 415.
464
LUX PERPETUA
P.
P,
P,
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
P.
94 note
95 ligne
98 note
104 note
120 notes
123 note
125 note
131 note
135 ligne
136 note
139 note
143 note
146 note
14g note
153 note
169 note
178 note
179 note
181 note
183 note
1 84 note
185 note
1 87 note
note
199 note
200 ligne
209 note
229 note
233 ligne
263 note
265 note
266 note
note
275 ligne
277 note
282 note
288 ligne
293 note
308 note
311 ligne
313 ligne
321 ligne
note
327 note
328 note
340 note
342 note
3, /i?"e supra, ch. I, m, p- 56.
9, lire Byiîance.
2, lire stfpra, ch. I, m, p. 65.
3, lire infra, ch. VII, p. 320.
I et 3, lire infra, ch. IV, p. 191.
5, lire infra, ch. V, p. 235.
lire supra, ch. I, p. 78.
lire infra, ch. V, p. 256.
lire j'entends.
lire ch. VIII, p. 344.
lire ch. V, p. 241.
lire ch. VI, p. 284.
lire infra, ch. VI, p. 298.
lire Bpyancé, infra, p. 163, n. 2.
lire citée infra, ch. VI, p. 279.
après que les carnassiers le dévorent, ajouter Cf. infra, p. 458.
lire sur les àiopoi p. 321.
1. 2, lire des planètes.
1. 3, lire infra, ch. IV, p. 212.
lire infra, ch. VU, p. 326.
lire ch. VI, p. 297.
lire ch. Viil, p. 357.
lire N.C. VIII, p. 400.
1. I, lire ch. VIII, p. 358.
ajouter Cf. infra N.C. XXIII, p. 418.
après s'est elle-même créé ajouter Infra N.C. XXII, p. 417.
ajouter Cf. Ste Catherine de Sienne, Dialogo ch. 14.
au lieu de p. 35 lire p. 217.
ajouter Cf. N!c. XXXV, 445.
ajouter Cf. infra N.C. IX, p. 404.
ajouter Cf. infra N.C. XXV, p. 422.
après '(8pjff!ç ajouter N.C. XXXI, p. 436.
lire pp. 347, 357 et 367.
après de le noter, ajouter (pp. 11, 14, 236).
ajouter Infra N.C. XI, p. 406.
ajouter : chez les Slaves, gâteaux préparés pour les morts, en forme
de pont, de puits, et aujourd'hui d'échelle, Unbegaun, Religion des
anciens Slaves (Mana, Paris, 1948, p. 440)
22, après symbole d'immortalité ajouter Infra N.C. XXI, p. 415.
I, ajouter N.C. XXVII, p. 429.
1, avant J. A. King, ajouter N.C. I, p. 398.
14, ajouter N.C. XVI, p. 412.
30, après jusqu'à nos jours ajouter N.C. XIX, p. 414.
4, avant si cette carrière ajouter N.C. XXII, p. 417.
2, lire supra, ch. VI, p. 279.
8, ajouter N.C. XXXII, p. 443.
4, ajouter N.C. XXXII, p. 443.
2, ajouter N.C XXXIII, p. 444.
4'
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3
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10
3
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12
I
6
3
5
I
I
2
I, 1. I, lire Dibbouk.
ADDITIONS ET CORRECTIONS 46 S
P- 345 ligJie 26, a-près les pays méditerranéens ajouter N.C XXIII, p. 418.
P. 346 ligne 5, a-près par xine nécessité de sa nature, ajouter N.C. XXVIII, p. 433.
P. 348 ligne 8, à l'Etre parfait engendre donc éternellement, ajouter en note : L'Is-
lam professe au contraire, Qor. 19 3", 252, 112 3^ q^e Dieu, en raison
de sa perfection même, ne peut engendrer.
P. 357 note 7, ajouter N.C. XXV, p. 422.
p. 364 note 5, ajouter N.C. XXVII, p. 429.
P. 371 ligne 3, a-près ont perpétrés sur la terre, ajouter : Infra N.C. XXVI, p. 428.
P. 376 ligne 2, lire Jamblique.
P. 378 note 3, ajouter N.C. XXVII, p. 429.
P. 386 note I, lire NN. CC. XXVIII, p. 431, et XXIX, p. 433.
P. 395 N.C. IV, Descentes aux enfers, ligne 5, lire supra, ch. IV, 11, p. 233, n. 3.
P. 397 ligne 40, ajouter : infra N.C. XXX, p. 435.
P. 411 in fine, ajouter en note : Suivant Ch. Picard, Les Religions préhelléniques
(Mana, Paris, 1948, p. 155), « les marchands Keftiu du tombeau thé-
bain de Rekhméré ont apporté déjà en Egypte des rhytons en tête de
coq, ce qui atteste, auoi a u'on ait dit, la haute date 'de l'introduction
de cet oiseau dans l'archipel égéen ».
P. 412 N.C. XVI. — Le Dibbouk, ajouter in fine, Josèphe, De bello jud. 7, 6 (Dindorf,
II, p. 317) : ta yàp xaAo'jp-eva Saifxôvtx (racuta Sk lîovTjpwv èffxtv àvôpii-TitDV
autT) taj(^éw<; È^EXaûvEi, >cav Trpoaeve^STi jjlÔvov xalci vo<joû<n.
P. 414 N.C. XIX, Formation du foetus, se réfère aussi au ch. Vil, p. 57J.
note I, ligne 2, après au huitième, ajouter {supra, p. 313).
derjtiière ligne, ajouter : et l'opuscule de Jean Pédiasimos dans Rev. belge de
Philol. et d'Hist., janvier-mars 1923.
P. 415 N.C. XX, Somfneil et Mort. — A la fin du premier alinéa, ajouter : Zohar I,
83 A (Pauly I, p. 479) : Pendant le sommeil, « lorsque l'âme quitte
le corps, elle n'y laisse que son ombre, le strict nécessaire pour
maintenir la vie du corps. Elle cherche ensuite à s'élever vers le
lieu de son origine ; elle parcourt de nombreuses régions en montant
d'échelle en échelle ; sur son parcours elle vient en contact avec les
puissances impures et parvient à atteindre son but ».
P. 418 ligne 7, après presque textuellement, ajouter : chez Porphyre, Ep. ad Mar-
cellant 12 : « Du mal, c'est nous qui sommes les auteurs par notre
libre choix : Dieu, lui, n'en est pas l'auteur (Festugière, Xlrois dévots
païens, II, p. 27 ; et 24, p. 35) \ et aussi...
note ij ajouter sur le vase de Gundestrup : Cf. Drexel, Ueber den Silberkes-
sel von G. dans Jahrb. des deutsch. archaeol. Inst., 1915, pp. 1-96 ;
Grenier, Les Celtes, p. 278 ; Dumézil, Festin d'immortalité, 247 ss.
P. 422 note 3, sur l'obligation qui incombe aux femmes de dénouer leurs cheveux au
moment de recevoir le baptême, ajouter Cf. dans l'ordalie de la femme
soupçonnée d'adultère, A'«. 5 ^^ : « Puis la femme se tenant debout
devant Yahweh, il lui dénouera la chevelure ».
P. 424 note 3, le propos de S. Benoît rapporté par S. Grégoire le Grand est à rap-
procher de Grég. Naz. hom. X {PG. 35, col. 828 A) : uuo tojxwv ô'x^^i'^
ufAÏv èyà) Séffjjitoç èv XpuTtï), SôSslt; oûx àl'j<j£!jt utOï^paTç^ àXXà toTç àXÔTOiç
SEajjiot? ToO nvE'j[j.aTOi; (cf. Eph. 4^ Èyw ô SédiJHOî Èv Yop'ic^].
P. 426 note I, 1. 3, ajouter : Selon Ch. Autran, Préhistoire du christianisme, II, p. 324
3o
466 LUX PERPETUA
note 2 (d'après Lassen, Ind. AUert. I^, p, 500), les Kâfir (Daradas)
mangent rituellemenf des raisins sur la tombe des morts.
P. 429 N.C. XXVI, Sur la punition des réprouvés, ligne iz à la fin du paragraphe,
ajouter : Rapprocher, F. Cnmont, La plus ancienne légende de saint
Georges dans Revue de l'Hist. des Rel., juillet-août 1936, p. 32 du
(tira,ge à pa,rt : « Les œuvres de chacun des morts se tenaient debout
devant ses yeux, Tischendorf, ,p. 40 : xa' èxidrou xà 7iEitpay(xéva irpô
otpGxXjJiwv ïuxmxcd. Non devant Dieu, comme dans le latin, mais devant
lui » c'est-à-dire devant leur auteur. C'est cette personnification, cette
objectivation des actes de chacun qui me paraît caractéristique du
mazdéisme et peut-être déjà du fonds commun indo-iranien.
P. 435 note 3, ajouter : Lexique de Photius, s. v. xstôéSpa : xaOéSpa iT^ izpûfz-^ 'hl-^^pf
xoO teXeux-riCavTOi; ol itpoaïiX.ovTEç a'JveXÔôvxEî âoeÎTCvouv stîi tîJ) Tâ'XeuTrjffavii
xoiv-rj. iy^ultiio 8È •/caGéSpot ô'ti xa6£Çô(i.EVoi èSeÎtcvouv xal xà vo[jL!^Q(XEva èTiX-Zipouv,
P. 436, note 2, après ter voce vocavi, ajouter : ainsi en est-il chez Homère lorsqu'Ulysse,
et les siens se retirent à grand hâte de chez les Cicones où ils lais-
sent quelques compagnons morts, Od. 9, 65-66 : itp'v riva xtov SsiXwv
Éxàpwv xplc; £-/xaxov àuaai/ o't Gavov èv irsôd;) lùx.dvcov ûico STjwOévxei; Cf. en
outre Rohde, Psyché^ trad. fr. pp. 54 et 135.
P. 438 note I, à commencer ainsi : Cf. Dhorme, Religions de Babylonie et d'Assyrie
(Mana), Paris, 1945, pp. 208, 216, 228-229, 251.
P. 443 N.C. XXXII, Salut des « Ahores » baptisés, ajouter in fine : Tombes d'en-
fants groupées, dans Ch. Picard, Religions préhelléniques, p. 256.
P. 445 N.C. XXXIV, Sort des croisés morts en guerre. — Ajouter à la fin du
premier alinéa : Cf. Léon IV en 846 (Mansi 14, col. 888 E « Om-
nium vestrum nosse volumus caritatem, quoniam quisquis (quod non
optantes dicimus) in hoc belli certamine fideliter mortuus fuerit,
régna illi caelestia minime negabuntur. Novit enim Omnipotens, si qui-
libet vestrum morietur, quod pro veritate fidei et salvatione patriae
ac defensione christianorum mortuus est, ideo ab eo praetitulatum
praemium consequetur » ; Jean VIII en 879, PL. 126, col. 816 C -.
« Quoniam illi qui cum pietate catholicae religionis in belli cer-
tamine cadunt, requies eos aeternae vitae suscipiet »; S. Louis
devant Damiette (Mathieu de Paris dans A A. SS. aug. V p. 417 E) :
« Si vincamur, martyres avolamus. » ; ap. guill. de St Pathus (Dela-
borde p. loi) : « Râlons ensevelir ces martirs... ils sont martirs et
en paradis ».
P. 453 note I, ajouter in fine : cruche d'eau pour les morts, le 2 novembre, sous le
manteau de la cheminée en Auvergne, Ulysse Ronchon dans Journal
des Débats, 4 novembre 1941.
P. 457 note 2, ajouter in fine : Zohar I, 69 A (Pauly I, p. 406) : « Car chaque
homme est pourvu d'un os impérissable sur la terre ; et c'est grâce à
lui que le corps sera formé à nouveau à l'heure de la résurrection;
cet os sera au corps ressuscité ce qu'est le levain à la pâte ; car c'est
par lui que le Saint, béni soit-Il ! reconstituera le corps entier ». Cf.
Wayikra Rabba 18.
P. X, note .1, 1. 9, après Lux perpétua, ajouter : Afterlife avait été précédé en iqio
d'une conférence faite au Musée Guimet, Les idées du paganisme
romain sur la vie future (Biblioth. de vulgarisation du Musée Gui-
met, XXXIV), Paris, 1910.
INDEX
Aalou (Champs d'), paradis égyptien 276.
Abeille 202.
Abjuration (formules d') XVII, n. 2.
Ablution après les funérailles 18, 35 n. 4 j —
dans les Mystères de Bacchus 209 ; — à
Eleusis 240.
Abraham, giron ou sein d'A. 454.
Absolu, selon Plotin, ne pense pas 347 ; 359.
— Nous pouvons dire ce qu'il n'est pas,
non ce qu'il est 347.
Abydos, Mystères d'Osiris 407.
Abyssinie, amulette pour trouver le chemin
du ciel 276.
Académie 110 ; — supprimée par Justinien
en 529 : 346 ; 382.
Achéménides XVIII. — A leur époque, pro-
pagation du mazdéisme en Mésopotamie et
Asie mineure 144.
Achéron 65 ; — séjour de pâles ombres 190.
Acheruntici libri 277 ; — attribués à Tagès
9 ; 60 ; 61. — Rôle des Pythagoriciens
dans leur composition 277.
"A3(,povoi 309. V. Âhorî.
Acte, conçu dans l'Inde et en Grèce comme
une réalité objective, transcendante à son
auteur 429 ; 466.
Adam et Jésus, dans le Qoran 457.
"AtSïiÇ expliqué par kti^fi 208; 267. — v. En-
fers, Hadês, Sheôl, Arallou.
Adonis 259 ; — esprit du blé 262 ; — sa
fête le 19 juillet ib. ; — jardins d'A. ib. ;
— A. et Rosalies 45 ; — premiers mystè-
res syriens établis dans le monde grec
407.
Adoption, agrègei à la gens 392 ; — rite d'A.
426 note.
Adoration des Mages XXII.
Adyton 266.
Aeçracura 76.
Affranchis de Verus et d'Hadrien assis dans
leurs tombeaux 38.
Afterlife in the roman Paganism XX ; 466.
"AyaiJioi =Innupti, chez TertuUien 307; 309;
— i à Babylone 310.
Agapè A19 ; 431.
'AyaOi?! è'Xitti; éleusinienne 240 ; 242 ; 301 ;
401. — V. « Bon espoir ».
"AyaXfjia 437.
Age de raison 278 ; 279 ; 321.
'Ayi^paoc 249.
'A^vEitt, pureté chez les Pythagoriciens 155.
'AYVE'jstv, se sanctifier 362.
"Ayvw(ttoç 419. — V. Apophase, « Docte
ignorance », Inconnaissabilité.
Agricola 133.
Agrippine, son assassinat 319.
Ahori = Immaturi = ôéwpot 19 ; 322 ; —
chez Virgile 84 ; 306 ; 309 ; — chez Plu-
tarque 315 ; — chez TertuUien 321 ; —
identifiés à Cupidon 326 ; — rites parti-
culiers pour leur inhumation 308 ; 466 ; —
relevés de leur tare s'ils ont été initiés aux
Mystères 323. — A. baptisés, enterrés à
part 443.
Ahoura Mazda, dieu de lumière, XVII; XXI;
143 ; 229 ; 272 ; 370 ; — adoré sur les
cimes sans statue, autel ni temple 411. —
A. et le coq blanc 411 ; — disque ailé
xm.
Ahriman XVIII ; 99 ; 100 ; 370 ; — son
royaume 217 ; — son armée 218 ; —
àvTÎÔeoç et démon 229. — v. Amone, Loup.
Aigle, oiseau du Soleil en Syrie 294. —
A. de l'apothéose 294 ; 324 ; — portant
468
LUX PERPETUA
Homère 295 ; — enlevant le défunt sur
son dos ib. ; — A. sur les tombeaux
294 j — sur le tombeau de Platon, ib. ;
— de la fille de Fundanus 324 ; — stèle
d'Albano 297 j — A. accompagnant le char
d'outre-tombe 297 ; — deux A. guidant
le char impérial (diptyque de Londres)
297 ; — A. lâché du sommet du bûcher
impérial 296.
Air peuplé de démons 299.
ày.a.xak-qmoi; 419.
Âkousmata pythagoriciens 146 ; 155 ; 181.
Alaouites, professent la métempsycose 198.
Albano (stèle d') 93 ; 184 ; 297.
Alexandre, XIX; — bouleversement du monde
hellénique après sa mort 112 ; 137 ; —
enlevé par des oiseaux 295.
Alexandre d'Abonotichos 153 ; 404 note ;
— recommande de lapider athées, épicu-
riens et chrétiens 127 ; — oracle sur la
divinisation par la foudre 331.
Alexandre d'Aphrodise 112.
Alexandre I^i' pape, lettre apocryphe sur les
éléments de l'oblation chrétienne, 425 note.
Alexandrie, Plotin y a suivi les leçons d'Am-
monius Sakkas 345.
Alfôldi sur les chars funéraires ornés d'em-
blèmes dionysiaques 290..
Al Hâllâj 433 ; 435 n. 1.
Aliments dans les tombeaux 29 ; — sur les
tombeaux 34 ; — tombés sous la table
et laissés pour les morts 36.
Allah; XXI, n. 1.
Allégorie, système d'interprétation des légen-
des antiques 150 ; 236 ; — chez les néo-
platoniciens 370 ; — empruntée à des réa-
lités 169; 285.
Allemagne, chant du coq 411.
Alumbrados 434.
Ambroisie 305. v. Breuvage.
Ame, sa nature 4 ; — considérée comme dis-
tincte du corps 17 ; — abandonne le corps
pendant la léthargie, l'évanouissement ibid. ;
— le sommeil 42 ; 415 ; 465 ; — l'extase
93 ; — la mort 42 ; — A. du moribond
recueillie dans un dernier baiser 78. — Sa
formation et sa dissociation suivant Epicure
124 ; — ne survit, selon les Egyptiens et
les Stoïciens, qu'autant que le corps est
conservé 16 ; — Souffle diaphane 4 ; —
Souffle igné 276 ; — Ames sphériques 176;
— semblables aux astres 430 ; — appa-
rentées (auYYev£Ï(;) aux astres, idée chal-
déenne 144 ; 159 ; — assimilées à eux 135.
— Ames aériennes 78 ; — appelées par
le nécromant 105 ; — formes indécises et
douteuses ibid.; — A. et ombre 408. —
Nombre des âmes fixé dès l'origine 201-
202 ; — A. selon Plotin hiérarchiquement
ordonnées 352 ; — cela fait partie de la
hiérarchie du cosmos ibid. ; — suivant les
chaldéo-iraniens, descendent sur terre et
en remontent au travers des sphères astra-
les 344 ; — vêtements des âmes 429 ; —
A. s'entoure, selon les Platoniciens, d'enve-
loppes éthérées quand elle vient s'enfermer
dans un corps 4 ; — se revêt, en des-
cendant, de tuniques qui l'alourdissent 367;
— selon Plotin s'enveloppe en descendant
et se dépouille en remontant 355 ; 358 ; —
se dépouille, en remontant, de ses pas-
sions et facultés, 185 ; 186. — Selon Numé-
nius les cercles des planètes lui commu-
niquent les qualités et passions qui leur
sont propres, 186 ; 344 ; — même idée
chez Porphyre 367 ; — et dans les Ora-
cles chaldaïques 361. — A. attirée par la
matière comme Narcisse vers son image
353 ; — descend volontairement l'échelle
des êtres pour s'enfermer dans un corps
qui la souille, 353 ; 364 ; — selon Por-
phyre, alourdie par l'humidité de l'atmos-
phère 216 ; — selon Plotin, projette son
eiddlon dans la matière 354 ; — illumine
la matière par son reflet 413. — Sa des-
cente selon Plotin, = transformation psy-
chique, et non voyage dans l'espace 355.
— A. incorporée devient esclave du destin
364 ; — peut s'élever en faisant préva-
loir le iVoMs en elle-même 355 ; — selon
Porphyre, ne peut s'élever que par l'ascèse
367 ; — selon Jamblique son ascension dépend
de sa conduite en ce monde, de sa volonté
tournée vers le Bien 377. — Ascension de
l'A. 364 ; — elle ne conserve que virtuel-
lement ses facultés inférieures 358 ; -~
oublie les choses d'ici-bas 359 ; — iden-
tifiée à Dieu, n'est plus une âme, et cesse
INDEX
469
de penser pour être semblable au Bien, qui
ne pense pas 359. — A. conçue par le
néoplatonisme comme purement spirituelle
385 ; — au plus haut degré de la vie
spirituelle perd toute conscience de soi 359;
— et peut-être toute connaissance en s'iden-
tifiant à l'Etre 378. — Selon Numénius A.
se présentent après la mort aux juges infer-
naux au centre du monde 345 ; — sur
terre, comme dans l'Hadès, tourmentées par
des démons vengeurs 353. — Voyage de
l'A. après sa mort 12 ; — dans l'atmos-
phère, emportée par les Vents 78 ; — et
purifiée par eux de ses souillures 208. —
Sa purification, selon Sénèque, par les élé-
ments entre ciel et terre 167 ; — portée
par un oiseau 294 ; — remonte vers le
Soleil dont elle est issue 180 ; — devient
une étoile, idée populaire admise par les
anciens pythagoriciens 183. — L'ascension
d'après Plotin 358. — A. selon Ste Cathe-
rine de Sienne et Ste Catherine de Gênes,
jugée par elle-même 456 ; — reçue, sui-
vant les Chrétiens, par les anges, les mar-
tyrs et les saints 395. — v. '\'oyv,, néphes,
eidôlon, sang. — A. universelle engendrée
par le Nous 348.
Amélius, disciple de Plotin, célébrait dévo-
tement les fêtes du calendrier 360 ; —
était à Apamée lors de la mort de Plotin
372 ; — défend Plotin d'avoir plagié Numé-
nius 344.
Amithâba, dieu bouddhique de la lumière
infinie XVII.
Ammonius Sakkas, maître de Plotin 345.
Amone, son suc offert à Ahriman 99.
Amorgos,. inscription 183.
Amulettes dans les tombes 27. — v. Bijoux.
Anagogue 180 ; 288 ; 293 ; 301.
âvaipexvjç 309.
àvaixioî (Qsôî), formule platonicienne 417 ; —
dans le C. H. 418 ; — chez Porphyre 465.
Analogie selon la scolastique 420.
Anattkè psychique, ramenant l'âme péche-
resse vers le corps 200.
"■'ni^M-^ = refrigerium 453.
àvaCTTotj^etùXTit; 390.
Ancêtres, leur culte commun à tous les
Aryens 58.
Andanie en Messénie, inscription 239.
Ane 203. v. Anon.
Anges et démons 231 ; — psychopompes 257 ;
300 ; — A. des cultes perso-syriens 230.
Animales (dit) 61 ; — chez les Etrusques,
277.
Animation des statues antiques 437.
Animaux, échelle de valeurs morales compre-
nant hommes et animaux 202 ; — mé-
tempsycose d'homme à animal 197 ; 203 ;
364; — son impossibilité selon Porphyre
368 ; 376.
Animisme primitif 196 ; 261.
Anniversaire, sa célébration 37.
Anodos de Sémélé 330.
Anon, monture du roi pacifique 459.
Antesthéries 82 ; 397.
Anthobolîa, offrandes de fleurs 50 ; — dans
le culte de Bouddha 416.
Anthropocentrisme XXVII ; 8 ; 9.
Antidieux = àvxîesoi 217 ; 229 ; 361 ; 375;
— dans le mazdéisme 370.
Antinous héroïsé 298 ; — transformé en astre
183.
Antiochus de Commagène, mazdéisme hellé-
nisé 226 ; 272.
Antiochus de Syrie 46,
Antipater de Tyr, maître de Caton d'Utique,
159.
Antipodes 194 ; — le pape Zacharie condamne
leurs tenants ibid.
Antiterre == âvxtji^Qwv 155.
àvxîOEoi, V. Antidieux.
àvxEj(6tuv = antiterre 155.
Antonin le Pieux initié à Eleusis 242.
Antonius Diogène sur l'immortalité lunaire
152.
«wpot =: ahori = îmmaturi, v. Ahori.
Apamée, patrie de Posidonius 157 ; 372 ; —
de Numénius, 344 ; 372. — Jamblique y
a enseigné 372.
Aperitio oris, 438.
Aphraate sur le vêtement de lumière 430 ;
— sur le sommeil des morts 450.
Aphrodite, ses Mystères à Paphos 407.
Apocalypses 221 ; — admettent les sept sphè-
res planétaires 185. — A. d'Hénoch, 226;
fait mention du feu éternel ibid. — A.
d'Elie 226 ; — fait mention du feu éter-
470
LUX PERPETUA
nel ibid. ; 460 ; — A. du ps. - Hys-
taspe 454 i — A. de Pierre 223 ; 246 ;
— enfants morts-nés, ou morts nouveaux-
nés instruits cent ans par un ange avant
d'être réunis aux fidèles 328 ; — A. de
Paul 224.
Apocalyptique juive 223.
Apocatastase selon Origène 207.
Apocolokyntosis 202 ; 281 ; 395.
Apocryphes chrétiens, connaissent le fleuve
de feu 228.
Apollon Musagète assimilé au Soleil par les
pythagoriciens 179.
Apollonius de Tyane 152 ; 228 ; — évocation
d'Achille, chant du coq 410.
Apophase 419 ; — v. ^yvcoo-coç, • « Docte
ignorance ».
Aporie plotinienne 350.
Apotélesmatique stoïcienne 304.
Apothéose d'un dîvus 291 ; 292 ; 293 ; —
A. des Héros 146.
Appius Claudius Pulcher, pythagoricien 152.
Ap ro, ouverture de la bouche de la statue
égyptienne 437.
Aptère, v. Victoire.
Apulée, initiation aux mystères d'Isis 265 ;
422.
Aquariens 425 n.
Arabes, chant du coq 411. — A. chrétiens
niaient la permanence de l'âme entre la
mort et la résurrection 449.
Arallou, Enfers babyloniens 56 ; 442 ; 445.
Arcésilas et l'Académie, fauteurs d'un scepti-
cisme absolu 110.
apx.cov 299.
Archytas, philosophe et homme d'Etat pytha-
goricien, a connu Platon 148.
Ares Enyalios 438.
Arête ouvre les portes du ciel 333.
Aristarque, âme, corps, eidôlon 190.
Aristophane sur Ion de Chios 146 ; — ne
fait allusion qu'en passant aux supplices
d'outre-tombe 220.
Aristote XXIII ; 111 ; — influence de Platon
dans ses oeuvres de jeunesse 149 ; — le
monde sublunaire 177 ; — son influence
décroît devant celle de Plotin 346.
Ari^stotélisme, renaissance de l'A. 381. —
A. et plotinisme 432 ; 433-
Aristoxène 112.
Armées célestes 184.
Arméniens, chant du coq 411 ; — consacrent
du vin pur 425 n.
Arnobe dit que les sorciers prétendent pou-
voir donner des ailes 294.
Aromates et culte funéraire 46 ; — raisons
successives de leur emploi 47 ; — brûlés
dans les temples et sur les tombes 50-51;
— dans le culte de Bouddha 416.
Arrien 117.
Artâ-Virâf-Namak, livre mazdéen, dénombre-
ment des péchés et supplices 222 ; — con-
naît une catabase de Zoroastre 396.
Artémidore de Daldis, Oneirocritiques 92 ;
— malade qui voit en songe un cheval
succombe 287.
Artémis, les planètes sont ses chiens 176.
Artotyrites 426. — v. Fromage.
Ascèse, seule capable d'élever l'âme 367.
Ascétisme pythagoricien 154 ; — de Por-
phyre 366.
Asklépios héroïsé par la foudre 330.
'ATco-ceta = débauche 279.
Asphodèles 71.
Aspic, ministre de Râ (= Soleil), 337. — v.
Cléopâtre.
Assassins exclus des Mystères d'Eleusis 240.
Assiout, documents manichéens XIX, n. 4.
Astral (corps), eidôlon, selon Porphyre, ana-
logue au corps astral des théosophes 368.
Astres, leur culte en Orient 145 ; — chaque
âme va dans l'astre qui répond au carac-
tère qu'elle s'est acquis par ses actions en
cette vie 358 ; — Plotin voit en eux des
dieux 360 ; — qui n'entendent pas les
prières qu'on leur adresse ibid. — v. Prières.
Astrologie 303 ; — ne porte que sur la vie
de ce monde 304 ; — A. orientale 308 ;
— A. chaldéo-égyptienne 191.
Astrosus = né sous une mauvaise étoile, mal-
chanceux 172.
«xaooi = insepulti 310 ; 393 ; 458. — v. /«-
sepulti.
Ataraxie 141.
Atargatis, déesse syrienne de Hiérapolis 259.
Athénagore sur la Résurrection 449 n. 1 i
457, n. 1.
INDEX
471
Athènes, Ecole d'A. fermée par Justinien en
529 : 346. — V. Académie.
Athéniens morts à Potidée 146 ; 333. — v.
Céramique.
Athénodore de Tarse, maître d'Octave, 159.
aôsoç 8.
'Atiyah Dârânî, mystique musulman 434.
Attnan 418.
Atmosphère traversée par les âmes 174-175;
177 ; — selon Porphyre, habitat des démons
bienfaisants ou hostiles 368.
OTpotpot 306 ; 309.
Attis et violettes 45 ; 261 ; — adopté par
le peuple romain en 205 avant J. C. 259 ;
— . transformé en divinité solaire 264 ; —
Mystères d'Attis 407.
Augustin (S.) 383 ; — connaît mal le grec
381 ; — sur les repas funéraires 40 ; 435;
— contre une notion sensuelle du Paradis
302 ; — étudie Plotin et Porphyre 383 ;
413 ; — dans Retractationes, réserve sur le
néoplatonisme 383 ; — sur la connaissance
de Dieu 419 ; — purification par le feu
455 ; — sur la sépulture 458.
Autarcie morale, idéal stoïcien 113.
Autel 437 ; — A. Chrétien 440 ; — sa consé-
cration, rite funéraire 442 ; — v. pi»ij.''ç.
aùtâj^Etp = suicide 335; 444; — v. Suicide.
Autopsie, vue d'un dieu face à face 360;
— conversation seul à seul avec lui 362 ;
— V. Contemplation, Vision.
Averne, entrée des Enfers 56 ; — près de
Cumes 62.
Avortement, fausse note dans une mélodie 313.
Axiochos, sa représentation de l'univers 193.
Azeneth, écrit gnostique ,426.
aÇ.'ovoi, dieux au delà des sphères célestes
363.
Azrua (= Zervan) = Brahma chez les Mon-
gols lamaïstes XVII.
Baal de Damas et de Dolichè en Commagène
259.
Babylone XIX ; — centre d'études à l'épo-
que des Achéménides 144.
Babylonie, barque pour le voyage de l'au-
delà 283 ; — astrologie 309 ; 311 ; 312.
Bacchanales, interdites par le sénatus-consulte
dç 192 : 253.
Bacchus, ses Mystères 221 ; 250 ; — enfants
initiés' 323 ; — v. Dionysos, Bakkhos,
Bactriens XVII.
Baiser au moribond pour recueillir son der-
nier souffle 78.
Bakkhos, myste transformé en B. 255 ; 258.
Balayage de la maison évité le soir 192.
Banquet funèbre 36 ; 39 ; 268 ; 391 ; — v.
Cathedra Pétri ; — en l'honneur d'Epicure
134. — B. sacré dans les Mystères 237-
238 ; — des Mithriaques 260 ; — aux
Champs Elysées 255; — B. céleste chez
les Néoplatoniciens 258 j — dans le Chris-
tianisme 258 ; 302 n. 4 ; — selon les
Pythagoriciens, dans l'éther ibid. ; — B.
éternel des Orphiques 251 ; — v. Repas.
Baptême chrétien 422 ; — enfants morts sans
B. comparés aux ahores 327-328 ; 443. —
B. de feu 282.
Barbares exclus des Mystères d'Eleusis 240 ;
423 ; — non du baptême ibid.
Pardesane XXI, n. 4.
Barnabe (Epitre de), Les deux voies 281.
Barque pour le voyage de l'au-delà 283 ; —
. conduites par des Erôs 284 ; — dans les
sépultures égyptiennes ibid. ; — en Grèce
284 ; — dans les tombeaux méditerranéens
ibid. ; — dans le Christianisme 286 ; — v.
Nef, Benoît (Fernand).
Basile (S.) 380.
Basile Mégalomitès, chant du coq 411.
Basilique pythagoricienne de la Porta Mag-
giore à Rome, 69 ; 153 ; 247.
Bassin de bronze pour chasser les Lémures
82 ; — les esprits 397.
Bayt 439 n. 2.
Béatitude des sages outre tombe 302 ; —
B. selon l'Eglise orientale 434.
Bédouins sacrifient des brebis aux morts 33 ;
— rites funéraires 426.
Bel et Malachbèl palmyriens 259.
Belgique, chars inhumés 290.
Bellérophon 288.
Benoît (S.) contre l'usage de chaînes 424.
Benoît (Fernand) sur la Barque dans les
monuments funéraires 283.
Berdiaëff (Nicolas) XXVIII.
Bérose 311,
472
LUX PERPETUA
BéfuUe sur la formation du foetus 415 ; —
contre l'usage de chaînes 424.
Béthel 439 ; 440.
Bhagavat 416.
PiatoOâva-cot 306 ; — v. Biothanates.
Bidental 329 ; 439, note 2.
Bidez (Joseph) décrit par Cumont XIV, n. 3.
Bien, selon Plotin, 347.
Bijoux dans les tombes 26 ; — ne doivent pas
être conservés au moment du baptême 422;
— V. Amulettes.
Biothanates = Biothanati = j3tatoQxvatoi
306 ; 309 ; 310 ; 312 ; 319 ; 320 ; 328 ;
332 ; 339 ; — v. Croisés morts en guerre.
— Sans repos jusqu'au châtiment des coupa-
bles 22; 84; 319; — leurs cadavres mis
en pièces pour les empêcher de nuire 341 ;
— terme appliqué par les païens aux mar-
tyrs chrétiens, 339. — En Orient devien-
nent des djinns 341 ; — chez les Grecs
actuels des vrykolakes, ibid. — B. au
moyen-âge signifie gibier de potence, gens
de sac et de corde ibid. ; — v. meurtre,
suicide, suppliciés.
Bishop (Edmund) sur le Requiem 459.
Bistâmï, spiritualisation du paradis qoranique
302.
Bithynie, ermite de B., martyr, enfoui avec
les Biothanates 340.
Blanc, vêtement b. au baptême et dans les
Mystères 422 ; — linceul blanc des Pytha-
goriciens 155 (cf. 405) ; — cyprès blanc
277 ; — coq blanc 409.
Bodhi 416.
Boèce, utilise les Néoplatoniciens pour sa Con-
solaiion 382.
Boisseau de Sérapis 268.
PojiJ.di; 437 ; — v. Autel.
« Bon espoir » = àyaGr] èXir"? 401.
Borak transporte Mahomet au ciel 288, n. 6.
Bdpëopoî chez Aristophane 241 ; — chez
Platon 245 ; — v. Bourbier.
Boscoreale, gobelet d'argent de B. 130.
Bouche, ouverture de la b. des statues égyp-
tiennes 437 ; — des statues babyloniennes
438 ; — du baptizand 438 n. 1 ; — des
nouveaux cardinaux ibid.
Bouddha, symbolisé par cheval, siège vide,
parasol, empreinte des pieds 416 ; — sa
transfiguration ibid. ; — héros solaire
ibid. ; — caractère funéraire de son culte
ibid, >
Bourbier du Tartare 67 ; 199 ; 245 ; — v.
pôpSopoi;.
Boundahisn connaît le fleuve de feu 455.
Brahman 418.
Brahmane Kalanos 394 ; — Brahmanes com-
parent la vie humaine à la gestation 399 ;
— chez Numénius 413 ; — sujets à la
lévitation selon Philostrate 373.
Bréhier (Emile) sur l'Inde et la philosophie
grecque 399.
Bretons pratiquent la veillée du mort en fai-
sant ripaille 21.
Breuvages et libations : Amoné à Ahriman
99 ; — Cervoise 418, note 1 ; — xuy.e(Lv
ibid.; — Nectar 258 ; — Ambroisie 305 ;
— Sôma-Haôma 418 n. 1 ; — v. Mélikra-
ton, Lait, Eau, Vin, Huile, Sang.
Bulgarie, écheveaux de fils aux portes ; dé-
mons chassés par le chant du coq 411.
Burchard de Worms, contre la foi au pou-
voir du chant du coq 230 ; 410.
Byzance, cadavres des criminels enfouis dans
un charnier infamant 340.
Cabires de Samothrace, dieux de la mer 239.
Cadavre, son impureté 18. v. Mort. — c. ou
portion de c. ou objet ayant appartenu au
mort, nécessaire pour l'évoquer 104 ; 107 ;
320.
Caelestis, enfants initiés à ses Mystères 323.
Caelicolorum chorus 395.
Caeré, tombe des stucs 25.
Caius Gracchus averti par Tibérius de sa
mort prochaine 94.
Çâkyamouni, héros solaire 416. v. Bouddha.
Calendrier luni-solaire 181.
Caligula, la maison où il a été assassiné est
hantée 319.
Callikoutzani, en Grèce moderne, démons
monstrueux chassés par le chant du coq
noir 411.
Callimaque, épigramme sceptique 131. — ps.-
Callisthène, voyage d'Alexandre emporté
par des oiseaux 295.
Camée de Paris, prince enlevé par un cheval
ailé 288.,
INDEX
475
Campanie, au milieu du vi^ s., à des inhu-
mants succèdent des incinérants 388.
Canaan, les Sémites inhumants y ont succédé
à des incinérants 387.
Canthares 250.
Cappadociens (Pères) 380.
Capri, inscription métrique 314.
Caracalla et la nécromancie 101.
Car a cognatio 435. v. Banquet, Parentalia.
Carmen Sangallense 455.
Carnéade, sa théorie probabiliste 110 ; — son
ambassade à Rome et son expulsion par le
Sénat 111.
Carnuntum, épitaphe sur le « bon espoir »
404. V. âyaOi^ èXirtç.
Carrefour des Enfers 279.
Castor et PoUux, catastérisme 183 ; — sym-
boles des deux hémisphères 192.
Castor de Rhodes, interprète par le pythago-
risme les usages romains 152. v. Cicéron.
Castration 424.
Catabases ou descentes aux Enfers 64 ; 65 ;
221 ; 233 ; 241 ; 248 ; 279 ; 312. — C.
d'Orphée à la recherche d'Eurydice 67 ;
248 ; 396 j — C. en Egypte et Babylonie
395 ; — C. de Zoroastre 396. — C. chez
Platon ibîd. ; — utilisées par Virgile, Aen.
6 613, 212. V. Héraclide Pontique.
Catalepsie 93.
Catastérisme dans les légendes d'Hercule, Cas-
tor et PoUux, Persée et Andromède 183 ;
— sa généralisation (Cicéron) ibid.
Cathares XVI ; 219. v. Mâni, Mazdéisme,
Pauliciens.
Cathartique d'Eleusis 240 ; 403 ; — des
théurges 368.
Cathedra Pétri 435 ; 466. v. Banquet.
Catherine de Sienne 456 ; 464.
Caton d'Utique 336-337.
Caucase, persistance actuelle d'anciennes idées
sur la foudre 331.
Celse 221 ; — admet les peines éternelles de
l'Enfer 217.
Celtes pratiquent la veillée deà morts en fai-
sant ripaille 21 ; — stèles funéraires en
forme de maisons 25 ; — à l'époque de la
Tène, char enterré avec son possesseur 289;
— barque des morts 284. — Selon Nicolas
de Damas ne ferment jamais leur porte 398.
Cena novemdialis 36.
Cène mithriaque et cène chrétienne 428. v.
Banquet, Repas.
Cénotaphe 23 ; — de Polydore, Aen. 3 ^7, 26.
Cent ans, durée de l'existence humaine 328 ;
— Virgile, insepulti errent pendant cent
ans 305 ; — Apoc. de Pierre, enfants nés
avant terme ou exposés, instruits par un
ange pendant cent ans 328.
Cepotafhia 43 ; 81.
Céramique, épitaphe des guerriers tombés de-
vant Potidée 146 ; — culte rendu aux sol-
dats morts 333. v. Athéniens.
Cerbère 65.
Césaire (S.) d'Arles 436, note 1.
César, notables massacrés sur son autel 31; —
transformé en comète 183 ; — emporté au
ciel par Vénus ibid. ; — debout sur un
char emporté par des chevaux ailés 293.
Chaînes portées par l'esclave du dieu 424 ;
465.
Chaire de S. Pierre 435. v. Cathedra Pétri.
Chalcis, ville natale de Jamblique 372.
Chaldée, selon l'astrologie chaldéo-égyptienne
terre sphérique au centre de l'univers, enve-
loppée de la sphère des étoiles 191.
Chaldéens, prêtres astronomes 144 ; — dis-
tinguent des étoiles les planètes ibid. ; —
opposés par Jamblique aiax Egyptiens com-
me s'adressant aux dieux, non aux démons
374.
Champs Elysées prés fleuris 255 ; 326 ; —
ramenés des Iles de l'Océan à rHadès68;
— dans la Voie lactée 182 ; — au dessus
du soleil et des étoiles 184 n. 2 ; — séjour
propre des foudroyés 331 ; — étymologie
arbitraire ibid. v. Iles des Bienheureux.
Char, pour le voyage de l'au-delà, enterré
avec le mort 289 ; — chez les Thraces des
Balkans, les lUyriens de Pannonie, en Ger-
manie, en Belgique 290 ; — ch. de terre
cuite dans les tombeaux ibid. ; — ch. dans
Virgile, Aen. 6 656^ aux Champs Elysées 289 ;
— ch. des morts identifié au quadrige d'Hé-
lios 291 ; — ch. funéraires ornés d'emblè-
mes dionysiaques 290 ; — char de Yahweh
416.
Chariot de l'Arche d'alliance 416.
Charon étrusque et son maillet 278.
474
LUX PERPETUA
Charon, étranger à l'ancienne religion ro-
maine 57 ; — sa barque 64-65.
Charôneïa, entrées des Enfers 56.
Cheval, dans le voyage des morts chez les
Etrusques 286 ; — ch. et mort 287 ; —
sacrifiés sur la tombe de leur maître 30 ;
287 ; — ch. derrière le cercueil d'un géné-
ral 287 ; — chevaux en terre cuite dans les
tombes en Grèce îbîd. ; — ch. de Cimon,
fils de Miltiade, enterrés en face de son
tombeau 289; — ch. ailé porteur des morts
288 ; — enlevant le char funèbre 290 ; —
portant l'ombre d'un enfant au front sur-
monté d'un astre à sept rayons, guidé par
un aigle 297 ; — symbole d'immortalité
416. V. Pégase ; — cheval, monture de Sha-
mash XIX, n. 2 ; — ch. du Soleil dans le
cortège de Darius 416 ; — ch. symbole de
Bouddha ibid. ; ' — chevaux sacrifiés au
Soleil chez les Perses, les Parthes, les Mas-
sagètes, les Spartiates ibid. ; — ch. du So-
leil à l'entrée de la maison de Yahweh
ibid.
Chevelure, offrande mortuaire 31 ; — dénouée
pour le baptême 422, n. 3 ; — ordalie 465.
Chevreaux 251.
Chiens sacrifiés sur la tombe de leur maître
287.
Chine, funérailles 437 ; — suicide devant la
porte de son ennemi 334 ; — chant du
coq 411.
Chorô 400.
Chrétiens célèbrent l'anniversaire de la mort
37.
Christianisme, réception de l'âme par les an-
ges, les martyrs et les saints 395 ; — admet,
après le judaïsme, les sept cieux superposés
187 ; — sa théologie a subi l'influence de
Plotin 346 ; — non réductible à son milieu
XXIII ; sa valeur XXIV ; — son rapport
aux religions antérieures XXV, n. 4; Chris-
tianisme et Paganisme XXIX.
Chronos à^r[pxo^ 249.
j^pôviov ÇciY)? (itîp') 309.
Chrysippe, seuls les sages participent à l'im-
mortalité restreinte 114 ; — démons chargés
par les dieux de punir les méchants 228.
Chrysostome (Dion), Théophanie de Zoroas-
tre 454,
Chrysostome (S. Jean), Lampes allumées à
la naissance d'un enfant 50 ; — contre
ceux qui croient que les Biothanates devien-
nent des démons 339.
Chthoniens (dieux) protecteurs des récoltes et
hôtes des morts 64.
Chypre, conjurations 319-320, — v. Cinyras.
Cicatrices dans les âmes, selon Platon et Stoï-
ciens 209 ; — selon Catherine de S. 464.
Cicéron 43 n. 6 ; — élève de Posidonius à
Rhodes 157 ; — initié à Eleusis 239 ; 401.
— Sa tendance à l'agnosticisme 162 ; —
son évolution vers le pythagorisme 163 ; —
de l'immortalité de l'âme dans les Tuscu-
lanes 13 ; — attribue à beaucoup de coutu-
mes romaines une origine pythagoricienne
151. V. Castor de Rhodes ; — La Voie lac-
tée, demeure des justes 182 ; — purifica-
tion de l'âme par les éléments 209 ; — Les
deux routes dans les Tusculanes 280 ; —
sur les meurtres commis par les nécromants
320 ; — TuUus Hostilius enlevé par la
foudre 331 ; ■■ — condamne le suicide dans
le Songe de Scipion 336.
Cicones 465.
Cierge pascal 422. — Cierges autour du mort
et dans le convoi funèbre 49 ; — aux Ro-
salia 50. v. Flambeau, Torches.
Cieux, système des trois cieux superposés 143 ;
— encore chez S. Paul 144 ; 185 ; — Les
sept cieux 187 ; chez les gnostiques 258.
Cimetières romains aux abords de la cité pour
que les morts restent mêlés à la vie 53 ;
— C. de Bacchants 253 ; 406 ; — bénédic-
tion du C. chrétien 441.
Cinvat (pont) chez les mazdéens 143 ; 456.
v. SiraÇ.
Cinyras, roi de Chypre, incestueux, pendu par
les génitoires 222.
Circé, cercle des réincarnations 203 ; 418.
Circoncision 424 ; — c. des esclaves gom
ibid.
Circumpotatio 39.
Citrons, choses humaines, dans vine épitaphe
gauloise, comparées à des citrons 314.
Claude, avait songé à transférer à Rome le
télestérion d'Eleusis 243.
Claudien influencé par Virgile 73.
Cléfinthe admet que toutes Içs âmes subsistent
INDEX
475
jusqu'à VEcpyrosis 114 ; place le Vc^l^ovizôv
dans le Soleil 400.
« Clefs des Songes » 92.
ps.-Clément de Rome, Recognitiones 87 ; —
voulait consulter un Egyptien sur l'immor-
talité de l'âme 100 ; — sur la mort de
Zoroastre par la foudre 331.
Cléobis et Biton 242.
Cléonice et Pausanias 95.
Cléopâtre mordue par un aspic 337. v. Aspic.
Cocyte 65.
Code pénal français, art. 13 et 14, 444.
Collèges funéraires 24.
Colombes attelées à un char qui transporte
au ciel une petite fille 296 ; 324.
Colonie 59.
« Colonnes au géants » IX.
Columbaria 389..
Commagène (Antiochus de), mazdéisme hel-
lénisé 226 ; 272.
Commémoration triple des morts 36 ss. ; 391 ;
— dans l'Eglise byzantine 172.
Commode initié à Eleusis 242.
Conclamatio 436 ; 466.
Congé 423. v. Ilicet, Ite, missa est, Xaoïi; aipean;.
— congé donné aux morts 392.
Connaissance par non-savoir 419.
Consécration d'une église 440 ; — d'un cime-
tière chrétien 441.
Constance remonte avec le Soleil de l'Orient
au Zénith 292.
Constantin Copronyme, fait exécuter un ermite
de Bithynie, et enfouir son corps avec les
Biothanates 340.
Constantinople 381 ; 423, n. 4.
Contemplation reste possible aux âmes incar-
nées 353 ; — C. ou extase plotinienne 356;
— C du Souverain Bien, unit à lui 357 ; —
C. de l'Etre suprême 266 ; 302 ; — Vue de
la divinité divinise 359 ; — C. paulinienne
434 ; — C. thomiste 384 ; 434.
Conventicules orphiques 244.
Copenhague, bas-relief romain : buste d'une
petite fille sur un grand croissant qu'entou-
rent sept étoiles 323.
Copernic, importance de sa découverte 4 ;
188. V. Galilée, Géocentrisme.
Coq = opyit; TtepiTtil'îç, sacré pour les Maz-
déens 409 ; — son chant annonce la dis-
persion des démons, puis la provoque 230;
409 ; — C blanc 145 ; — appartient à
Ahoura Mazda et à Mithra 411 ; — oiseau
de Sin et de Mèn ibid. ; — en Egée 465. —
Dans l'hymne Aeterne rerum coitditor 409 ;
— C. noir 411. — Coqs à la naissance de
Jeanne d'Arc 230 n. 2.
Corde de pendu 107 ; 335. — C. entourant
les temples pendant les Anthestéries 397.
Coréens, adoration sur les cimes 411 ; — coq
blanc, animal solaire ibid.
Cornélius Labéon sur les dii animales 61.
Cornutus, l'âme ne survit pas au corps 115.
Corps, geôle de l'âme selon les Pythagoriciens
147 ; 198 ; — et les Orphiques 245 ; — H.
Trismégiste 270 ; — selon Platon 352. —
C. et âme demeurent unis chez les dieux et
les empereurs 298 ; — C. glorieux 430 ; —
C astral selon les théosophes analogue à
l'eidôlon de Porphyre 368.
Cortospitum, cheval ailé monté par un empe-
reur vêtu du paludamentum 288.
Cosmos XXVIII ; admiration qu'il inspirait
aux Grecs 7 ; — son harmonie musicale
8 v. Extase.
Couples de divinités, assignées l'une à l'hé-
misphère supérieur, l'autre à l'inférieur 192.
Couronne héliaque aux sept rayons 182 ; —
C. de fleurs 44 ss.
Crainte des morts 19.
Crantor, suit Platon sur l'immortalité 149.
Crémation, v. Incinération.
Crète, Mystères de Zeus 258.
Critique des fables de l'Hadès 125 ; 201.
Critodème 311 ; — ses sources babyloniennes
311-312.
Croisés morts en guerre 445 ; 466. v. Biotha-
nates, Guerriers, Islam.
Croissant 323 ; — associé en Afrique sur les
monuments funéraires au disque solaire et
à Vénus 173 ; — chez les Celtes 178 ; —
en Afrique et en Gaule, symbole de résur-
rection 146 ; — Rare à Rome et en Italie
178.
Croix, inspire la crainte 339.
Cuisine = Culina, dans le tombeau 38.
Culex 72 ; 95 ; 395.
Culte funéraire pour satisfaire aux besoins du
défunt 18 ; — culte gentilice des morts
476
LUX PERPETUA
392 ; — invoqué par Plotin en faveur de
l'immortalité 351 ; — sa survivance à l'épo-
que moderne 54.
Cultores de Diane et d'Antinous 24.
Cumes, oracle nécromantique 61 ; — d'où les
Livres sibyllins 62 ; — transmet à Romulus
les doctrines de la Grande Grèce îbid.
Çumont (Franz) date de sa mort V ; — cur-
riculum vitae VII; — obsèques ib. ; — do-
micile à Rome X ; — sépulture XI ; —
projets de publications XXVI; — voyages
X ; goût de la politique internationale XII ;
— Comment la Belgique fut romanisée VIII ;
— critique d'Athènes XII ; — se décrit lui-
même en décrivant Bidez ; — crainte des
jugements préconçus XIV ; — opposition
aux préjugés d'école ibid. ; — souveraine
liberté de l'esprit XI ; — bienveillance en-
vers les chercheurs XII ; — correspondance
avec Loisy X ; — Mystère de l'au-delà
XXVII ; — son hostilité à Epicure XXIV.
Cupidon 326.
Cybèle, ses Mystères 407 ; — divinité des
morts 263 ; — adoptée en 205 avant J.-C.
par le peuple romain 259 ; — enfants ini-
tiés à ses Mystères 323. v. Terre.
Cycle de la génération = x'jx>.o; y^"'^'^^'»"^
199 ; 246 ; 418. C. cosmiques 114 ; 199 ;
418.
Cymbale de Cybèle 263.
Cyniques admettent le suicide 336.
Cyrille de Jérusalem (S.) sur la vénération
qu'inspirent les foudroyés 331.
Cyrus XIX.
Daêna 417.
Safjjiwv, initialement, force impersonnelle 78 ;
— puis individualisé et chargé d'une fonc-
tion particulière 79 ; — 8. cpÛovepôc ou ^<^<s-
xavoç 228 ; 314. v. Démon.
Danaïdes 66 ; 205 ; 214.
Dante, Commedia 224 ; — Purgatoire dans
une île de l'Océan austral 286 ; — Paradis
188 ; — aurait connu le Dibbouk 342.
Dauphin 202 ; — symbole du voyage des
morts 286.
Débauche = àawTet'a 279.
Dédale, interprété en symbole de l'âme qui
s'échappe vers le ciel 294.
Dédicace d'un temple 437 ; — du temple de
Salomçn 439 ; — d'une église chrétienne
440.
Défenseurs de la cité morts les armes à la
main 308.
Dejamiento 434.
Delphes 64 ; 220.
Demaineté et Eukratès 96.
Déméter et Korè 239 ; 323 ; — Leurs Mys-
tères 238. — Hymne homérique à Déméter
401.
Démocrite, précurseur d'Epicure 110.
Démons, leur double origine : les uns créés
tels quels, les autres, morts désincarnés 80;
— mis en fuite par le lever du jour 49; —
d. assigrié à chaque ipdividu 79 ; — par-
fois deux, l'un mauvais, l'autre bon ibid. ;
— d. qui accompagnent le mort 278 ; —
chez Chrysippe chargés par les dieux de
punir les méchants 228 ; — de châtier les
damnés 231 ; — chez Xénocrate peuvent
être essentiellement mauvais 88 ; 228 ; —
selon Platon sont le lien qui unit le tout à
lui-même 80 ; — messagers entre le ciel et
la terre 228 ; — selon Porphyre, habitent
l'atmosphère 368 ; — esprits bienfaisants
intermédiaires entre les hommes et la divi-
nité 217 ; — d'autres sont mauvais, àvrl-
6eoi ibid. ; — d. bienveillants 333 ; — d.
assistants (= irâpsSpoi) des thaumaturges
97 ; — d. trompeurs, selon Jamblique, sans
puissance sur les âmes pures 375, — Sup-
pôts de Satan chez les Juifs 231. v, 6af|Ji.tov,
Dévas, Djinns.
Dendrophores 261.
ps.-Denys l'Aréopagite, propagateur des idées
plotiniennes 384 ; — traduit par Hilduin
384 ; — puis par Scot Erigène ibid.
Descente du Christ aux Enfers 234 ; 451 ; —
V. Catabase ; — d. de l'âme selon Plotin
355.
Destin, l'âme incorporée en devient esclave
364, — Peut être dominé grâce aux dieux
377 ; — D. = acte ancien 429.; 466.
Destinée librement choisie avant la naissance
200 ; 417.
Déterminisme 304 ; 308 ; 321 ; — D. stoï-
cien li^ à l'astrologie 123 ; — implique la
INDEX
477
négation d!u fondement môme de la reli-
gion 123 ; 303.
Devix voies 278.
Dévas, démons malfaisants soumis à Ahri-
man 218 ; 229 ; 404 ; — se répandent la
nuit sur la terre ; dispersés par le soleil
levant 230 ; — tourmentent les réprouvés
au fond des Enfers 370 ; — Lutte des D.
et Yazatas pour la possession de l'âme ex-
pirée 299. V. Démons.
Devotio 106.
Dhorme, sur les dieux babyloniens XIX.
Di animales 61 ; — des Etrusques 277.
Diaspora mazdéenne XVIII.
Diatribes de Plotin, leur force persuasive 365.
Dibbouk = possession 412 ; — chez les Juifs
possession par l'âme d'un abore 341 ; 465;
— relation avec la métempsycose 412 ; —
Dante et le Dibbouk 341-342.
Dicéarque 112.
Didachè, Les deux voies 281.
Didymes, inscription 399-400.
Dieu, inconnaissable selon Plotin 347 ; —
selon les Platoniciens, transcendant au monde,
distinct de toute matière 186 ; — D. selon
Loisy XXV, n. 3. — D. sauveur, mourant
et ressuscité 233. — Dieux, selon Porphyre,
peuvent être punis de leurs fautes, au-des-
sous de l'Hadès, dans le Tartare oh. ont été
précipités les Titans. 371 ; — selon Jam-
blique, adorés dans les temples en tant que
supérieurs au Destin et capables d'en déli-
vrer les hommes 377.
Diogène d'Oenoanda en Lycie, inscription épi-
curienne 128.
Dion Chrysostome, théophanie de Zoroastre
430.
Dionysies de Tarente, 253.
Dionysos, culte originaire de Thrace et de
Phrygie 250. — D. et Rosalies 45 ; — dieu
des morts en Grande Grèce 253 ; — mort
et ressuscité 255. — Mystères de D. en
rapport avec l'Orphisme 249. — Démem-
brement de D. par les Titans ibid. — Ex-
pédition de D. dans les Indes 290. v. Bac-
chus.
Dioscures, symboles des deux hémisphères
192 ; — à droite et à gauche du cheval
ailé 288.
Dis Manibus, scepticisme des formules 132.
Disputer 76.
Disque ailé, image du Soleil, XIX, n. 2 ; 292 ;
294. V. Ahoura Mazda ; Nergal ; Roue ;
Shamash, Soleil. — Disques de Tarente et
Brindisi 283.
Divinité des corps célestes 147.
Divus, apothéose d'un D. 291 ; 292.
Pjibréil =- Gabriel XXII, n. 4.
Djinns 79. — Biothanati deviennent des Dj.
341. V. Sa([/.(ov, démons, dévas.
« Docte ignorance » ou connaissance par non-
savoir 419.
Dotnus aeterna, expression empruntée aux
Egyptiens et aux Sémites 25 ; 436 ; 446.
Doria Pamphili, sarcophage, mort conduit par
Hermès psychopompe 297.
Dormeurs préservés de la foudre 329.
Douanier céleste = teXiov/)!; 299.
Double, sa vie indécise' dans le tombeau 57;
350. V. eidôlon ; ombre.
Douma, selon le Zohar, reçoit, au décès, l'âme
méchante 415.
Doura-Europos XX ; 372 ; 393.
Douze mois, durée de la peine de l'Enfer
selon le Zohar 415,
Drame liturgique des Mystères 237 ; 240.
Droit = bon 280. v. Gauche.
8p(i[A£va = drame liturgique 237 ; 240.
Druides, ont peut-être connu le pythagorisme
153 ; — passent pour avoir professé la
métempsycose 198 ; — ont peut-être placé
dans la lune VOrbis alius, séjour des âmes
173.
Druzes, professent la métempsycose 198.
Dualisme chez Numénius 344.
Dusarès arabe 259.
Eaque 67.
Eau fraîche pour les morts 268 ; 277 ; 453
n. 1 ; 466. — Libations d'eau 30 ; 34. —
Génies des Eaux 325.
Ebriété dans les Champs Elysées 246 ; 255 ;
323. V. Ivresse.
Echelle, amulette en bronze dans les tom^
beaux sur la frontière du Rhin 282 ; — à
Naples contre la iettatura 283 ; — chez les
Egyptiens 282 ; — dans les Mystères de
Mithra : sept portes, chacune formée d'un
478
LUX PERPETUA
métal différent 186 ; 282 ; — en Chine
282 ; — en Thrace ibid. ; — dans le man-
déisme ibid. ; — dans la magie 283 ; —
dans les Actes de Ste Perpétue 282 ; —
dans le christianisme byzantin 283. — Echelle
de Jacob chez Philon et Origène 282 ; —
chez Jean Climaque 283.
Eckhart (maître) subit, par le ps.-Denys, l'in-
fluence plotinienne 384. — Sur la formation
du foetus 36, n. 7 ; 414.
Ecosse, fées des sources 325.
Ecpyrosis 114 ; 225 ; 390 ; 452 ; — selon les
Mazdéens 270 ; — selon les Maguséens et
les Stoïciens 225. v. Fleuve de feu ; Feu.
Egine, Mystères d'Hécate 238.
lYKatvîÇôiv 437 n. 1.
Eglise, combat la métempsycose 207 ; — re-
fuse aux suicides les funérailles religieuses
340 ; — ensevelissement des morts, œuvre
de miséricorde 22.
Egypte, relations avec l'Inde 412 ; — a pu
transmettre à la Grèce des idées hindoues
198. — Allumage des lampes 48 ; — festin
représenté dans les tombes 39. — Livre
des Morts, prescriptions pour trouver le
chemin des Champs d'Aalou 276. — Barque
pour le voyage de l'au-delà 283.
Egyptiens 264 ; — croient qu'on peut attein-
dre le Paradis par une échelle 282. v.
Momie ; Echelle.
e'îSwXov, ffô)|jLa, i^^-fy\ 190.
Eidôlon, âme-image 18 ; 298 ; 350 ; 408 ;
413 ; — projeté par l'âme dans la matière
354 ; — s'échappe avec l'âme du corps
moribond 181 ; — peut reprendre l'appa-
rence de l'être vivant 90 ; — apparaît en
songe 190. — Son voyage outre tombe
276 ; — seul peut s'élever vers les Iles
Fortunées 120 ; 298 ; — difficulté d'ima-
giner sa descente dans l'Hadès 191 ; —
E. d'Héraklès aux Enfers 190 ; — E. selon
Porphyre est un t:v£U|j.x qui enveloppe
l'âme comme d'un nuage 368. v. Ombre.
el|i,apixivTf) 3 n. 2.
SX xa6apu)v xaôapdt 406.
Eléments, purification par les é. 209 ; 265 ;
270 ; 403.
Eléphantine (Juifs d') XVIII, n. 3.
Eleusis, ses Mystères 239 ; 261 ; — Assas-
sins et Barbares en sont seuls exclus 240 ;
— initiation des enfants 322.
Elle, prophète, enlevé par des chevaux de feu,
peut-être ceux de Shamash 292 ; — Selon
Paulin de Noie a suivi la Voie lactée 281;
— Apocalypse d'Elie 226.
è).Xa[JiTCE'ïv 413.
Eloge du défunt, de mortuis nil nisi bonum 35.
Elvire, un canon de ce concile interdit d'al-
lumer des cierges, le jour, dans les cimetiè-
res 50.
Empédocle, ignore les tourments et terreurs
de l'Hadès 201.
Empyrée 142 ; — chez les Mazdéens 217 ;
270 ; — venu chez les Grecs par les Ora-
cles chaldàiques 400 ; S ; 187 ; 217 ; 237;
270 ; 299. — Selon Porphyre, séjour des
âmes purifiées 368 ; — ce séjour n'est pas
éternel ibid. — v. Garôtman.
Encens, brûlé dans les temples et sur les
tombes 47 ; 50-51.
Enclume d'airain dont la chute mesure l'éloi-
gnement du Tartare, Hés. Thêog. 720 : 193.
Endor, Saûl et la pythonisse d'E. / Reg. 7 8-25
99.
Enée 33. v. Virgile.
Enfants, enfouis dans des vases sous le sol
de la demeure 388. — E. morts avant leur
septième mois ne sont pas incinérés à Rome,
mais inhumés ibid. — E. à garder soigneu-
sement les jours de tempête 326 ; — ini-
tiés aux Mystères d'Eleusis 322 ; — de Bac-
chus, Isis, Cybèle, Mithra, Caelestis 323 ;
(v. Ahori) ; — héroïsés pour leur savoir
296 ; 324 ; -^ E. vierge utilisé comme
médium 106. — Enfants morts sans bap-
tême 327 ; 443. V. Oblats.
Enfer, au sens moderne du mot 223 ; — la
peine, selon le Zohar, en dure douze mois
415 ; — vide jusqu'au Jour du Jugement
449. V. Géhenne.
Enfers souterrains, l'idée en persiste jusqu'à
la fin du monde romain 75 ; — le tombeau
en est l'antichambre 55. — Leurs entrées
56. — Vie morne et anémiée des morts
ibid. ; — Nulle distinction de mérite entre
eux 66 ; — sauf en ce qui concerne Titye,
Tantale et Sisyphe ibid. — E. transférés
dans l'hémisphère austral 191 ; 194 ; —
INDEX
479
ramenés sur la terre en conséquence de Ig
théorie de la métempsycose 196 ; 204 ; —
transférés dans les airs 208. — Le séjour
des âmes, selon Jamblique, y est transitoire
376. V. Hadès, Sheôl, Arallou.
Ennêades de Plotin 346 ; — leur style rocail-
leux et embarrassé 365.
Ennemi 238. v. Etranger, Hôte, Hostîs.
Ennius, pythagoricien 151; — L'homme com-
posé d'âme, corps, eidôlon 190. — Sur les
eidâla dans l'Achéron ibid. ; — foudre dans
la légende de Romulus 331.
Entraves mises à des statues 438.
Enyalios (Ares) 438.
E-ph-pheta 438, note 1.
Ephrem (S.) Syrien, sur les peines de l'Enfer
223-224 ; — description du Paradis 302 ;
— onction de l'autel 440 n. 3.
Epicède = consolation, thème des Mânes
accueillant le mort 59 ; 395.
Epicharme 146.
Epictète, la raison humaine « fragment déta-
ché de Dieu » 114 ; — nie toute survie
personnelle 116 ; — réduit à la vie pré-
sente l'utilité des Eleusinies 243.
Epicure XXIV ; — son testament 134 ; —
commémoration de sa naissance ibid. — né-
gation de l'Hadès 10 ; — et de toute survie
10 ; 124 ; 138 — Le monde, tourbillon
d'atomes ibid, ; — Le Soleil s'enflamme cha-
que matin et s'éteint chaque soir 195 ; —
comment s'expliquent les fantômes (eidôla)
125 ; — plaisir, du ventre, source de tout
bien 141 n. 2.
Epicurisme, sa disparition au cours du iv^ s.
127. — Epicurisme et Stoïcisme 141.
Epigène, source de Clément d'Alexandrie et
de Suidas, attribue plusieurs écrits orphi-
ques à de vieux pythagoriciens 248.
Epiphane (S.) 39 ; — sur l'épreuve du feu
453.
Epiphanies de dieux et de héros 86 ; — ga-
rantie de bonheur dans l'au-delà 360.
Epitaphe d'Elaiousa en Cilicie, xaTa5(^06viot
Osoî 214. — E. romaine du siècle d'Au-
guste 213. — E. de Macédoine 255. — E.
métriques et E. en prose 74. — E. épicu-
riennes 128-129. V. Inscriptions.
Epitaphia (fête des) à Athènes 333.
Epoptes 236 ; 239.
Epoptie = ÈTtoTcxsîa 402 n. ; 422.
Epreuves de l'initiation aux Mystères 237.
Erinnyes, torturent seulement les parjiires 66;
— leurs torches ardentes et leurs fouets
224 ; 228 ; 371.
Er l'Arménien 65 ; — mythe interprété par
Numénius 345 ; — idées empruntées à l'O-
rient 312 ; — influence chaldéo-iranienne
148 ; 396 ; 417.
Erôs conduisant des nacelles 284 ; — figu-
rant l'âme héroïsée 324 ; 326. — E. 419;
— dans l'Islam 433. — E. et Agapè 431.
Erotisme 257 ; 302.
Eschatologie antique, son incohérence 275 ;
— E. lunaire 176 ; — E. iranienne 226.
Eschyle, dans les Perses, évocation de l'ombre
de Darius 99 ; 104 ; — dans Agamemnon
•nâOsi [j(,âOoi; 237 note 2.
Esclaves admis aux Mystères d'Eleusis 241.
— E. de la Vierge, confrérie espagnole 424.
— Circoncision des E. goïm ibid.
Esdras, IV^ Livre d'E. XXI ; 448. v. Gry.
Esprit du mort assiste au repas funéraire
38 ss.
Esquilles, selon Horace, fréquentées par les
sorcières 104.
Efana, mythe babylonien 295.
Etienne (S.) protomartyr 460.
Etoile au ciel attribuée à chaque homme 172;
— E. du matin et du soir 297 ; — E. fixes,
leur sphère, limite du monde, donne le
branle au système céleste ; doit être adorée
comme Dieu suprême 5.
Etranger, ennemi, hôte 238 ; 256. v. Hostis.
Etre parfait, engendre éternellement le Nous
ou Intellect 348.
Etrusques, syncrétisme dès le v^ s. avant
J.-C. 61 ; — croient que les morts habitent
leur tombeau 60 ; — hypogées suivant le
plan de leurs demeures 25 ; — festins re-
présentés dans les tombes 39 ; — sacrifices
humains sur la sépulture 31 ; — pompe
funèbre empruntée par les Romains 60. —
D'eux semble venir le Mundus 59. — Pas-
sent pour avoir professé la métempsycose
198 ; — croient à des Enfers souterrains
peuplés de démons monstrueux qui châtient
les réprouvés 60 ; — ces démons viennent
48o
LUX PERPETUA
d'Asie mineure 222. — Voyage vers l'Ha-
dès 277 5 281 ; 290. — chevaux ailés sur
les stèles funéraires 290. — Les Libri Ache-
runtici 60 ; 61 ; 277.
Eucharistie 425 ss.
Eudoxe, astronome, a connu Platon 148.
Eukratès et Démaineté 96.
Euripide et Sophocle imités à Rome 63.
Euronymos, démon bleu-noir dans la Lesché
de Delphes 64 ; 220.
Eusèbe sur les chrétiens arabes 445 n. 1.
Eusebius (épitaphe de l'enfant — ) 327.
Eustochios, reçoit les dernières paroles de
Plotin 359.
Exorcismes 341.
Exposition des nouveaux-nés 316 ; 328.
Extase provoquée par la contemplation du
Ckjsmos 8 ; 160 ; 305 ; — promesse de
béatitude outre tombe ibid. ; — devant le
ciel étoile 160 ; 302 ; — anticipation de
la béatitude qui suivra la mort ibid. — E.
selon Sénèque 168. — E. des bacchantes
254. — E. plotinienne, 347 ; 356-357 ; —
anticipation de la vision béatifique 367. —
E. selon Jamblique provoquée par des actes
et formules liturgiques 374.
Faim des morts 29 ; 391.
Fantômes niés par les Epicuriens, Pline l'An-
cien 89 ; — gênés par la lumière 410,
Faons 251.
Parvardigân, fête des Fravashis, breuvages
pour les morts sur le toit des maisons 398.
Fatalisme sidéral 329.
Fatalité 303 ; 311 ; — seuls les théurges y
échappent 364.
Fatum 308 ; 311 ; — F. et Providence XXV.
Fauré (Gabriel) XXIX.
Faustine enlevée par un cheval ailé 288.
Fawtier sur la Chanson de Roland 445.
Fées des sources en Gaule, Ecosse, Irlande
325.
Felsina, chevaux ailés sur les stèles funérai-
res 291.
Fenêtres ouvertes pour les morts en Perse,
Bretagne, Vosges, Slavie 398.
Fenouil dans l'évocation des morts 101.
Fer, repas servis sans couteaux de fer 391 ;
— circoncision 424 n. 3.
Festin, v. Banquet.
Festugière (A. J.) XXIII ; XXX, n. 1.
Feu, purification de l'âme par le f. du bûcher
17 5 330. — Supplice du feu 224 ; — puri-
fication ou châtiment éternel 225. — F. cos-
mique 117. — F. divin animant l'univers
113 ; — émanation du Père inconnaissable
400. — F. raisonnable 225. — F. porté
devant le roi ou l'empereur, emblème de
majesté 455. — Culte que lui rendent les
Mages se combine avec la vénération pour
la Foudre 331. — « F. hostile » chez les
Mazdéens 226. — Epreuve du monde par
le feu chez les Mazdéens 209 ; 225 ; —
chez les Chrétiens 455. — Epreuve du feu
dans la Bible 453 ; — F. éternel de l'En-
fer dans le christianisme 227 ; 228 ; —
brûle sans éclairer 227. v. Pleuve.
Fèves 396 ; 397. — F. noires jetées pour
rassasier les Lémures 82. — Abstinence de
f. 244.
Fiat divin dans le Qoran 457 ; 465.
Fiat voluntas tua XXVIII.
Flamand et latin VIII, n. 1.
Flambeau à l'initiation et au baptême 422. v.
Cierge.
Fleurs placées sur les tombes 37 ; 42 ss. ; —
offertes à Bouddha 416. — FI. rouges se-
mées comme du sang 33; 45. v. Guirlandes.
Fleuves qui arrosent l'Hadès 65 ; — selon
Numénius, dans les sphères planétaires 345 ;
— selon Proclus 216.
Fleuve . de feu mazdéen 209 ; — métallique,
doux comme du lait chaud pour les justes,
ardent pour les impies 225. — Assimilé au
iTup voEpôv 226 ; — chez Lactance 452. v.
Ecpyrosis, Feu.
Flûte enchantée de Mozart, purification par
les éléments 211.
Foetus formé en quarante jours selon Johan-
nes Lydus, S. Augustin, S. Thomas d'Aquin,
maître Eckhart, BéruUe 414-415 ; — naît
viab/le à sept ou neuf mois, non à huit 313.
Folklore français et allemand, âmes des Bio-
thanates errent jusqu'à la date où se serait
produit leur décès naturel 342.
Fondations perpétuelles pour banquets funé-
raires 37.
Fontenelle 175,
INDEX
481
Fortune selon Polybe 113.
Forum romain, tombes d'incinérants et d'inhu-
mants, contemporaines 389.
Foucher (A.) sur l'art gréco-bouddhique XVI.
Foudre épargne les dormants 329 ; — signe
d'apothéose 330 ; — transporte dans
l'Olympe les élus de Zeus, ibid.
Foudroyés inhumés sur place 329 ; — leur
corps ne se corrompt pas ibid. ; — on ne
doit pas le toucher, ibid.
Fravashis, déités aériennes ; s'unissent aux
hommes et aux animaux ; en connexion
étroite avec les étoiles 147-149 ; — esprits
aériens 398 ; — accueillent les âmes et les
guident 394, v. Farvardigân, Mânes.
Frazer sur les Biothanates 317 ; — sur les
suicides 334.
Fromage dans l'oblation chrétienne 426 ss.
V. Artotyrites.
Pultnen conditum 329.
Fumigations par la torche et le soufre dans
les Mystères de Bacchus 209.
Fundanus consolé par Pline le Jeune 324.
Funérailles antiques 436 ; — nécessité des
f . religieuses 22 ; — encore aujourd'hui en
Grèce, ibid, ; — devoir dont il est dange-
reux de ne pas s'acquitter 11 ; 83 ; — f.
fixent l'âme dans le tombeau 22 ; 436 ; —
f. en Chine 437 n. v. Honneurs funèbres,
Insepulti.
Funéraires, rites f . 11 ; — font partie de l'an-
tique fonds commun indo-européen 18; 19;
391 ; — chez les Sémites, analogues à ceux
des Hellènes et Italiques 19. — Collèges f.
24 — Usages funéraires des Orphiques 405.
— Caractère f. du culte de Bouddha 416.
Punus imaginarium 24.
Fustel de Coulanges XX ; 18 ; 41.
raXa^i'ac 174 ; 280.
Galilée, importance de sa découverte 4 ; 188,
V. Copernic, ^Géocentrisme.
« Galiléens » selon Julien l'Apostat 379.
Ganymède 295.
Garôtman, lumière de l'Empyrée où siège
Ahoura Mazda 143 ; 270 ; 460. v. Em-
pyrée.
Gâthâ avestiques 225 ; 451 ; — connaissent
le fleuve de feu 455.
Gauche = mauvais 280. v. Droit,
Gaule, fées des sources 325.
Gauthiot (Robert) XIII, n. 1.
Géhenne 227 ; 444 ; — fournaise mobile dans
le /Fe livre d'Esdras et le Qoran, 448.
Gello, vierge de Lesbos devenue fantôme 317.
Gémonies 340 ; 444.
Génitoires. v. Cinyras.
Gens 18 ; 392 ; — a un tombeau commun,
un même culte funéraire 58 ; — admet le
nouveau-né dans la famille ou le rejette
392 ; — le nouveau mort dans son tombeau
ou le rejette ibid.
Géocentrisme, sa fin XXVII ; XXVIII ; 4 ;
12. v. Copernic Galilée, Héliocentrisme.
Germains, pratiquent la veillée du mort en
faisant ripaille 21.
Germanicus ou Marcellus enlevé par un che-
val ailé 288 ; — épitaphe par Lollius Bas-
sus 232.
Germanie, chars inhumés 290.
Gestation comparée à la vie humaine 399; —
à l'attente de la Résurrection 451 n. 3.
Gilgameâ, descente aux Enfers 396.
Giron d'Abraham 454.
« Gisant » sur des sarcophages 42.
Gladiateurs, leurs combats substitués aux sa-
crifices humains 32 ; — chez les Etrus-
ques, jeux funèbres pour revivifier l'âme
des morts 30 ; 61 ; — leurs combats in-
troduits de Campanie à Rome ibid.
Gnose 236 ; — condition et but de la sanc-
tification 153.
Gobryès, mage dans VAxiochos 193.
Grande-Grèce, importance, dans sa religion,
du sort réservé aux défunts 62.
Grande Mère, influence de ses Mystères en
Gaule 173. v. Cybèle.
« Grandes années » 3.
Grèce, croit à des dieux chthoniens protec-
teurs des récoltes et hôtes des morts 64 ;
— n'est pas, dans la civilisation, un mira-
cle isolé XX, n. 2.
Grec, langue liturgique des Mystères 260 ; —
de l'initiation baptismale à CP. 423, n. 4.
Grecs, v. Hellènes.
Grégoire le Grand (S.) contre l'usage des
chaînes 424. v. Chaînes.
3t
482
LUX PERPETUA
Grégoire de Nazianze (S.) 380.
Grégoire de Nysse (S.) 380.
Grégoire de Tours, sur deux tombes aban-
données 27. "^
Gremium Abrahae 454.
Griffon, animal sacré d'Apollon 289 ; 290 ;
— portant sur sa croupe une figure voilée,
dans un tombeau de la Voie Latine ib.
Gry, sur le IV<^ livre d'Esdras 448.
Guerriers héroïsés en Grèce 308 ; — G. tom-
bés en combattant considérés comme dan-
gereux revenants 306 ; 332. v. Croisés,
Islam, Platon.
Guillaume de Moerbecke, traducteur de Pro-
clus 382.
Guirlandes de fleurs 44 ss. v. Fleurs.
Gundestrup, vase de G., chaudron à cervoise
sacrée 418 ; 465.
Hadad d'Héliopolis 259 ; — dieu taureau
babylonien 439.
Hadès, palais souterrain 65 ; — peuplé de
monstres 64 ; 77 ; 220 ; — sa représen-
tation dans les Psautiers à images ibid. ;
— dans l'hémisphère austral 6 ; 191 ; — ■
transféré dans les airs 2i2 ; 276. v. En-
fers, Pluton, Or eus.
Hadrien, son avènement annoncé par Phébus
292.
Haghia Triada, sarcophage, offrande de l'es-
quif qui a condmt aux Iles Fortunées 284.;
— char traîné par deux griffons ailés 289.
Hakeldama = champ du sang 444.
Hallucination, v. Imagination.
Hammourabi (code de — ) 222.
Haôma = Sôma 418.
Harmonie des Sphères 8 ; 179 ; — soumise
à des lois numériques 313.
Harpyes, primitivement esprits des morts de-
venus vampires 293.
Hécate, déesse lunaire et reine des Enfers
171 ; 231 ; — ses mystères à Egine 238 ;
— déesse des enchantements 317 ; — c'est
elle qui répond dans les Oracles chaldai-
ques 362.
^•^ziié"^ = psychopompe 300; — t). ôeôç 301.
Héliocentrisme, détruit les localisations affec-
tées à la vie d'outre tombe 4 ; 12. v. Géo-
centrisme, Ck)pernic, Galilée.
Héliodore, prêtre d'Emèse 76 ; 101 ; — sur
le chant du coq 411.
Hélios, char des morts outre tombe assimilé
à son quadrige 291 ; 301. — H. anagogue
ibid. — Lien qui l'unit à Julien empereur
380. v. Soleil, Nergal, Shamash, Ahoura
Mazda.
Hellanikos 249.
Hellènes adorent comme Héros les guerriers
morts en défendant la patrie 1 ; 332 ; —
s'humilient devant la sagesse barbare 344.
Hénoch, selon Paulin de Noie, a suivi la Voie
lactée 281. — Apocalypse d'H. 226 ; —
source de V Esdr. 459.
Héraklès, au ciel avec Zeus, son eidôlon aux
Enfers 190 ; — festoie dans l'Olympe quand
son eidôlon surgit de l'Hadès 354 ; —
héroïsé par la foudre 330 ; — interpola-
tion pythagoricienne dans la Nékyia 354 ;
— suggère aux réprouvés des images ter-
ribles 371 ; — sa catabase 396. — v. Her-
cule, Verethraghna,
Héraclide Pontique, suit Platon sur l'immor-
talité 149 j — voit dans la Voie lactée le
chemin des morts 280 ; — catabases 396.
Heraclite 332.
Herculanum, apothéose d'Homère 296.
Hercule, catastérisme 183 ; — sa descente aux
Enfers dans les tragédies de Sénèque 233 ;
— H. au carrefour 278. v. Héraklès, Ve-
rethraghna.
Hermès 231. — H. psychopompe 214 ; 297;
300 ; 301.
Hermès Trismégiste 202 ; 269 ; — âmes im-
pures livrées aux démons pour être purifiée?
dans les airs 211 ; — rétribution 429 ; —
responsabilité 417 n. 1 ; 418.
Hermétiques (livres) 269.
Hérode, ses funérailles 46.
Hérodote, croyait que la métempsycose était
venue d'Egypte 197-198. — Sur les usages
funéraires des Orphiques 405. — Tatoua-
ges sacrés 424.
Héroïsation 146 ; 298 ; 448. v. Immortalité.
Herschel 7,
Hésiode, maître infaillible de toute science
193. — Les deux routes de la vie 278.
Hiérapolis, aigle prenant son essor et tenant
INDEX
483
la couronne, sur les tombeaux en Syrie du
Nord 294.
Hiératiques (vertus), cinquième classe, et la
plus élevée, des vertus selon la classifica-
tion de Jamblique 377.
Hiérophante, Plotin ne se considère pas com-
me un H. 360.
Hindous, leur sagesse en Grèce 399 ; 409. v'.
Inde.
Hippalos, découvre la mousson 412.
Hipparque, catalogue des étoiles 7 ; — ap-
parente les âmes aux astres 159.
Hippocampes portant des Néréides, symboles
du voyage d'outre- tombe 286.
Hippolyte de Rome, Traditio apostolica sur
le baptême hora gallicinn 410. — Les qua-
tre oblations de la nuit pascale 427. v.
Huile.
Homère, révéré par les Néoplatoniciens 363 ;
— interprété allégoriquement ISO ; — maî-
tre inspiré, révélateur de toute sagesse 190 ;
193 ; 370 ; — ignore la métempsycose 197 ;
— porté par un aigle 295.
Homme, roi du monde 8 ; — microcosme, selon
les Stoïciens 113 ; — composé de trois
éléments selon Aristarque, Ennius, Virgile,
Pline, Plotin 190 ; 449 ; — détermine son
propre avenir 200 ; — mutilé par Epicure
10 ; 124 ; 141.
Honneurs funèbres, leur refus empêche le re-
pos dans l'au-delà 340 ; — souvent refusés
aux martyrs chrétiens ibiil. v. Funérailles,
Insepulti.
Hopfner sur les Ahori 315.
Horace, son épicurisme 130. — Sur un en-
fant immolé par des sorcières 319 ; — sur
les meurtres commis par les nécromants
320. — T^irtus recludens immeritis mort
caelum 333.
Horoscope, porte du ciel au Levant 191.
Hostis 238 ; — étranger devenu hôte du clan
256. V. Etranger.
Huile, libation d'h. 33 ; 34. — H. d'eucha-
ristie (ou d'action de grâces) chez Hippo-
lyte de Rome 423.
Huitième mois, l'enfant né au huitième mois
n'est pas viable 313, 414.
Hylas, 325.
Hymne à Démêter 401,
Hypéride, éloge des victimes de la guerre
lamiaque 333.
Hypnos et Thanatos 42. v. Sommeil.
Hypogeion, point le plus bas de l'hémisphère
inférieur ; on y situe les Enfers 191-192 ;
— obscur, notion détruite par les astrono-
mes 195.
Hutte, forme fréquente de l'urne cinéraire
15 ; 25.
ps.-Hystaspe, Apocalypse 454.
Ibd Adham, mystique musulman 435 n. 1.
Icaroménippe 185 ; 294.
Ida en Crète, mystères de Zeus 238.
Idole 439.
"Spucii; 266 n. ; 437. v. Intronisation.
UpaxtxQ^ 373.
kpoç Xdyoç 237 ; 269 ; 423.
Iles des Bienheureux = Iles Fortunées, au
delà de l'Océan 6, — séjour des Héros ib. ;
— En Grèce, notion de l'époque minoënne
284; — transférées dans le Soleil et la Lune
146; 175; 242; 284; 286; 298. v. Champs
Elysées.
Ilîcet 423. V. Congé.
Illumination et baptême chrétien 422. — I.
plotinienne 358. — I. bouddhique 416.
lUyrie, chars inhumés 290.
Imagination, selon Porphyre, tourmente les
réprouvés 371 ; 428-429.
Imagines majorum à Rome en tête du convoi
funèbre 58 ; 394.
Imitation de Jésus-Christ XXIX.
Immortalité céleste 115 ; — première origine
de cette doctrine 143 ; 234 ; — dans l'In-
de védique et la Perse avestique ibid. ; —
dans les Upanishads 147. — I. luni-solaire
146 ; 181 ; — empruntée par les Pythago-
riciens aux Mages 147; 385. — I. psycho-
corporelle des dieux 298 ; — des héros
146 ; 298 ; — des empereurs ibid. ; — I.
et Résurrection 445.
Impies retenus selon Porphyre en deçà de
l'Achéron 371.
Impureté du cadavre 18.
Incinération n'implique pas sur l'au-delà d'au-
tres idées que l'inhumation 15. — I. et
inhumation 57 ; 387 ; — apparaît en Grèce
avec les vases à dessins géométriques ib. j
484
LUX PERPETUA
— pratiquée en Italie depuis l'époque pré-
historique 16 ; — son développement à
Rome 38 ; — ses raisons économiques ib. ;
— disparaît à Rome au cours du iv^ s.
ibid. ; — facilite l'ascension de l'âme 390 ;
— anticipation de VEcpy rosis ibid.
Inconnaissabilité de Dieu selon Plotin 347. v.
aycDotoi;, Apophase, « Docte Ignorance ».
Incorporation des âmes, selon Jamblique, ré-
sulte de la nécessité qui détermine leur
double mouvement de descente et de re-
montée 376.
Incubation et vexuojiavtEla 86 ; 94. '
Inde, relations avec l'Egypte 412 ; — Ivoire
hindou à Pompéi 399 — I. et philosophie
grecque ib. — I. chez Plotin 412. — Ex-
pédition de Dionysos dans les Indes 290.
V. Hindous.
Indefessus (= à-/â[jLaTov) ignis 452.
Indiens Mojave, voyage d'outre-tombe à tra-
vers un labyrinthe 276 n. 1.
Individu, prend une dignité nouvelle de la
fin de la République au déclin de l'Em-
pire 3. ^
Inhumation et incinération 57; 387. — I. sous
le sol de la maison 388 ; — retour à la
Mère Terre 390 ; — prévaut à Rome sous
l'influence des religions orientales ibid.
Initiation des enfants aux Mystères d'Eleusis
322 — de Bacchus, Isis, Cybèle, Mithra,
Caelestis 323.
Innupti = a-{x\i.oi 307.
Inscriptions funéraires ignorent la métempsy-
cose 206. — I. d'Andanie en Messénie239.
— I. d'Antiochus de Commagène 226. —
I. chrétienne sous le portique de St-Pierre
de Rome 327. v. Epitaphes.
Insepulti, fantômes errants 22 ; 305 ; 306 ;
310 ; 393 ; — souffrent dans l'autre vie
22 ; — sans repos jusqu'à l'accomplisse-
ment des rites funèbres 319 ; — ne sont
pas admis dans les Enfers 84 ; 393 ; —
selon Porphyre, retenus en deçà de l'Aché-
ron, privés du repos de l'Hadès 371. v.
"Axacpo'., Funérailles, Honneurs funèbres.
Inspiration des poètes 324.
Installation de l'âme dans le tombeau 436. v.
'(Spufftç, Intronisation.
Intellect = Nous, bon conseiller, que l'âme
doit suivre pour s'élever 356.
Intellectualisme, caractérise la spiritualité de
Plotin 360 ; 384.
Interpénétration entre le Bien et le Nous, en-
tre le Nous et l'âme 348.
Intronisation de Yahweh 439. v. 'iSpuatç,
Installation.
lobacches 254.
Ion de Chios, mué en étoile du matin 146.
Iran, son influence sur la Bible XV, n. 2.
Irish ivake 21.
Irlande, fées des sources 325.
Isagogè de Porphyre 414.
Isidora, noyée dans le Nil 326.
Isis, ses Mystères 259 ; 407. — Purification
par les éléments 211 ; — sa fête du 26
octobre au 4 novembre 261. — Hymnes à
I. trouvés à Mâdinet-Mâdi 407. — Enfants
initiés à ses Mystères 323.
Islam, description du Paradis 302. — Le guer-
rier mort dans la voie d'Allah est Sahid
334. — Dieu considéré comme Erôs 433.
Istar, sa descente aux Enfers 396.
Ite, missa est 423. v. Congé.
Ithyphallique 251. v. Phallus.
Ivoire hindou de Laksmé à Pompéi 399.
Ivresse abstème 160. — I. orphique 246 ; —
bachique 255 ; — du repas sacré ibid. v.
Ebriété.
Ixion 66 ; 214.
Jacob, lutte avec l'Ange, Gn. 32 24-31, 410.
Jamblique- 420 ; — le plus illustre disciple
de Porphyre 372. — Ressemblait aux dieux
ibid. ; — Hiérophante et thaumaturge 373 ;
— s'élevait par lévitation à dix coudées du
sol ibid. — Nouvel Esculape ibid. ; — sa
crédulité aveugle 371. — Commente les Ora-
cles chaldaiques 363 ; — fait intervenir
dans le Néoplatonisme les superstitions du
Levant 344 ; — Hadès entre terre et Lune
312 ; — admet, contre Plotin, que le Tar-
tare est réellement un séjour souterrain ;
mais les âmes n'y demeurent pas à jamais
376. — Explique, dans le de Mysteriis, à
quels signes on reconnaît les esprits évo-
qués 374 ; — ajoute une cinquième classe,
INDEX
485
celle des vertus hiératiques, à la classifica-
tion des vertus selon Porphyre 377.
Jardins des tombeaux, rapprochés des Champs
Elysées 44. v. Paradis ; Cepotaphia.
Jean l'Evangéliste (S.), n'a pas été soustrait
à l'épreuve du feu d'outre-tombe 453.
Jean Chrysostome (S.), v. Chrysostome.
Jean Climaque (S.) et l'échelle de Jacob 283.
Jean de la Croix (S.) XXIX. — Il y a
chez lui des traces d'agnosticisme 421.
Jean Diacre, Lettre à Sénaire 426.
Jeanne d'Arc, chant de coqs à sa naissance
230 n. 2.
Jeans 7.
Jérôme (S.) lait et miel 426 ; — vin et lait
ibid.
Jésus, en tant que supplicié, méprisable et
dangereux 339. — J. selon le Qoran, XXI,
n. 4 ; — J. et Adam selon le Qoran 457.
Jésus Ben Sira, choix de la destinée 417 .
iettatura 283, 396.
Joseph le Charpentier 299 n. 4.
Josèphe, fait parler Titus sur les guerriers
morts en braves 333 ; — Dibbouk 465.
Jouvenceaux dans la fournaise 453.
Judaïsme, admet les sept cieux superposés
(Hénoch) 187. v. Cieux.
Jugement d'outre-tombe par le fleuve de feu
452. V. Fleuve de feu. — J. particulier
chez les chrétiens et les musulmans 456.
Juges infernaux, étrangers à l'ancienne reli-
gion romaine 57.
Juifs, survie glorieuse des martyrs 334 ; —
croyance au Dibbouk 341 ; 465. — Juifs c-n
Chine XVII, n. 2. v. K' ai-fong fou,
Julien empereur XXIV ; 378 ; — attiré dès
l'enfance par la splendeur du Soleil 379 ; —
se considérait comme fils spirituel du Soleil
292 j 380 ; — pressé par Maxime de se
faire initier 243 ; — initié par Maxime
à la théurgie et aux mystères platoniciens
379 ; — initié à Eleusis 402 ; -——réclame
le commentaire de Jamblique sur les Ora-
cles chaldaïques ibid. ; — interdit la lec-
ture d'Épicure et de Pyrrhon 128; — raille
les martyrs chrétiens 339 ; — sur Mithra
psychopompe 301. — Banquet des Césars
au-dessous dç la Lune 177,
Julien le philosophe, père de Julien le
Théurge 361.
Julien le Théurge 274 ; 380 ; — a reçu les
Oracles chaldàiques 361.
Julius quadratus (Caius), sa familia honore
comme héros un enfant de huit ans 326-
327.
Junius Brutus, est le premier dont les funé-
railles aient donné lieu à un combat de
gladiateurs 32.
Junon et" Proserpine 192.
Jupiter S. — J. céleste et Pluton inférieur
192. — J. Summus Exsuperantissimus 187 ;
— J. d'Héliopolis 259. v. Zeus.
Juste Lipse X ; — à propos de Sénèque 165.
Justes perdent après le passage de l'Achéron,
selon Porphyre, la mémoire de leur vie
passée 371 ; — et obtiennent ainsi le repos
ibid.
Justice d'outre-tombe selon les vieilles croyan-
ces grecques 219.
Justinien ferme l'Ecole d'Athènes en 529 :
346 ; 382.
Juvénal contre les fables de l'Enfer 127.
Kâ, une des âmes égyptiennes 408.
Ka'ba 439.
Kahéna, adopte Khaled 426 n.
K'ai-fong fou, colonie juive en Chine XVII,
n. 2.
Kalanos, brahmane 394.
KïpS'!a Toù iravTÔ; 179.
KaTa/9ôvio'. Seoî 75 n. 3 ; 214 -, 215 ; 264.
KaGapo; 240.-
KaOooo,; xf,s '^'•>X'^ selon Plotin 355.
Kerkops, pythagoricien 248.
KhsâOra 459.
Kronios, pythagoricien, source de la théorie
de Porphyre sur l'Hadès 370.
Kronos, selon Porphyre, règne sur le Tartare
371.
xjxï-.i'V 418. V. Breuvages.
xjxVj; yîvéato); 199 ; 418. v. Cycle.
xuvoSofOTOc; 316 ; 458.
Lac de mémoire, dans les tablettes orphico-
pythagoriciennes 277.
Lactance, connaît le fleuve de feu 228 ; —
Y pythagoricien et les deux voies 281 ; —
486
LUX PERPETUA
à propos de la bénédiction du cierge pascal
422.
Lait en libations 33 ss. — Chez les Maz-
déens les justes traverseront le fleuve de
feu comme du lait chaud 225 ; 455 ; —
Lait du Père éternel 426 n. — L. rite
d'adoption ibid. — L. et miel, ruisseaux
produits par les Bacchantes 254 ; . — ruis-
seaux de la Terre promise 425. — Offran-
de propre aux Eglises de Rome et d'Alexan-
drie ibid. ; — interdite à la messe par l'Eglise
de CP. 425 ; — autorisée à Carthage le
jour de Pâques ibid. — Interdiction de
substituer le lait au vin dans l'eucharistie
426. — Mélange de lait et vin ibid. ; —
de lait, miel et vin 452 ; — selon Clément
d'Alexandrie 427.
Lamelles d'or orphico-pythagoriciennes 248 ;
277 ; 396 ; 406. — L. de Thurium, idées
pythagoriciennes sur les foudroyés 331.
Lamentations autour du cadavre 20 ; 391.
Lamiaque (guerre) 333.
Lampes dans les tombes 26 ; 48. — L. ar-
dentes offertes à Bouddha 416. — L. allu-
mée la nuit auprès des violettes pour leur
conserver leur fraîcheur 50. v. Lumière.
AaQK a(pE(Ti(;, 423. v. Ilicet, Congé.
Lares, leur culte célébré au foyer familial,
sous lequel les aïeux avaient été ensevelis
388.
Larves, esprits souffrants et errants 88; 127.
Latine, diffusion de la langue L, son in-
fluence sur le flamand VIII.
Latins, fortifiés sur le mont Palatin, inciné-
raient leurs morts 389.
Laurier, élément de la ffTiêâç 42. — L.
dans l'évocation des morts 101.
Le Coq (von) XIX, n. 4.
Ledja syrienne, inscription, divinisation par
la foudre 331.
Xeydjjieva 237 ; 423.
Lémures 89 ; 396 ; — ombres errantes 319 ;
— esprits aériens, nocturnes et dangereux
398.
Letnuria 82. — L. et Parentalia 397 ; — L.,
fête des esprits errants dans l'atmosphère
ibid. — nocturne et néfaste ibid.
Lesbos 317.
Lesché de Delphes 64 ; 220.
Léthé 306.
Lévi (Sylvain) XVII.
Lévitation attribuée aux Brahmanes 373 ; —
à Jamblique ibid.
Libanius sur le choeur des philosophes d'Apa-
mée 372 j — dit que Julien l'Apostat fut
sauvé grâce au néoplatonisme 379.
Libations, v. huile, lait, miel, sang, vin. — ■
L. de sang, vin, lait et miel dans une fosse
pour évoquer des ombres 34.
Liber pater 254. v. Bacchus, Dionysos.
Libri Acheruntici, v. Acheruntici.
Libri fulgurales, discipline étrusque 329.
Lierre 42 ; 267 ; — éléments de la cTTiêâç
42 ; — feuille de lierre tatouée sur les
mystes de. Bacchus 252 ; 423.
Xt/.vov, van mystique 209.
Lingon (testament du) 38.
Linceul blanc des pythagoriciens 155 ; 405.
Lion 203 j image de Cybèle 263.
AiTcoiJ'uy^îa = évanouissement 93.
Lits triclinaires dans les tombeaux 38.
Liternum en Campanie, tombeau de Scipion
l'Africain 17.
Litière végétale des morts (cjTtêâc) 42.
Lituaniens sur le chant du coq 411.
« Liturgie mithriaque » (papyrus de Paris,
dit à tort) 300.
Livre des Morts égyptien 222 ; 276 ; 406.
Locres. attelage ailé 291.
Aoyfa XaXSaix^, v. Oracles chalddiques.
Loisy sur le mystère de ce monde XXV ;
XXVIII. — sur Dieu, mystère d'amour
XXV.
Lollius Bassus, épitaphe pour Germanicus 232.
Londres, British Muséum, diptyque consulaire
297.
Longin, maître de Porphyre pour le style 365.
Lossky (V.)) Théologie mystique de l'Eglise
d'Orient 419.
Louis le Débonnaire reçoit de Michel le Bè-
gue les œuvres du ps.-Denys 384.
Loup 203 ; — offert à Ahriman 99.
Lucain, apothéose de l'Empereur 292 ; — se
demande si Néron montera dans le char de
Phébus ou prendra le sceptre de Jupiter
dans le ciel suprême 182. v. Stace.
Lucien. 39 ; 40 ; — imitateur de Ménippe le
Cynique 75. — Cataplus 307 ; • — dans son
INDEX
487
Histoire véritable, parodie les idées pytha-
goriciennes sur la Lune 176 ; — Icaromê-
nippe, parodie de l'ascension de l'âme à
travers les trois cieux 185 ; — Voyage aux
Iles des Impies 222 ; — sur les ailes de
Ménippe 294 ; — Philopseudès sur les Bio-
thanates 339 ; — son scepticisme à l'égard
des fantômes 90 ; — sacrifice de chevaux
et chiens sur la tombe 287. — Description
de la barque de Charon 64. — L. et le
fleuve de feu 227.
Lucius, héros des Métamorphoses d'Apulée
265 ; 422.
Lucrèce 3 ; 870 ; -^ sur la ténacité des vieux
préjugés 16; — loue Epicure d'avoir affran-
chi l'homme de la crainte de la mort 126.
Lumière dans la tombe 48. — L. sur la
sépulture, même artificielle, défend les morts
contre leurs ennemis 49 ; — réveille le
mort et assure sa survie ibid. v. Cierge,
Lampe. — L. intelligente = trup voEpov,
assimilée au Soleil, raison directrice du
monde 179. — L. supramondaine 188; — re-
pos dans la L. éternelle ib. — L. dans
Gn.I, 460 ; — selon S. Ambroise, survivra
aux Luminaires ibid. — vêtement de 1.,
invisible aux autres âmes 430-431.
Lune, sa sphère, limite entre le monde divin
et l'humain 5 ; — qui est celui du devenir
299. — Les corps se développent sous son
influence 180 ; — Veidôlon s'y forme et
s'y dissout 181. — L. associée à la résur-
rection des morts 171 ; — eschatologie
lunaire 176 ; — sphère de la L. ordre,
calme, repos 146 ; 212. — Son atmosphère
séjour des âmes 177 ; 299 ; — même idée
dans l'Inde (Upanishads) et dans le Mani-
chéisme 172.
Lustrations rituelles à Eleusis 403.
Lychnapsia = Auj^vaij^fa 48 ; 50.
Lyra, ouvrage orphique cité par Varron248.
Lux perpétua XXI ; XXVI ; 466 ; — origine
de la formule 460.
Macchabées 334.
Macrobe 381 ; — hostile au suicide 338.
Mâdinet Mâdi, Hymnes à Isis 407.
Magellan constate l'existence des antipodes 194.
Mages occidentaux, v. Maguséens.
Magiciens, voyage au ciel durant la vie 294;
300.
Magie prétendait évoquer les dieux et les
esprits des morts 362.
Magna Maier = Grande Mère = Cybèle2S9.
Maguséens = Mages occidentaux XV, XVIII,
XX, 144, 232, 271, 274 ; — leur in-
fluence sur les pythagoriciens 145 ; —
admettent les sept sphères planétaires 185,;
— font entrer le fleuve de feu dans la
spéculation grecque à propos de l'Ecpyro-
sis ibid. V. Ecpyrosis, Fleuve de feu.
Mahomet, sa dépendance à l'égard de Mâni
XXI, n. 4; — enlevé au ciel par Borak 288.
Maillet du Charon étrusque 278.
Maïmonide sur l'inoonnaissabilité de Dieu 421.
Mains lavées 397. — M. supines 317.
Maisons hantées 84.
Mal, considéré comme privation 383.
Maladie, son influence néfaste outre-tombe 334.
Male'ach = ange 230.
Mandéisme 143 ; 282.
Mânes tut 394.
Mânes 393 ; — foule anonyme 57 ; — chez
les Hindous 418 ; — peuvent abréger les
jours des vivants 59 ; — protègent leurs
descendants en cette vie et en l'autre 59 ;
394 ; — accueillent ou repoussent les morts
arrivant aux Enfers 58 ; 393 ; — condui-
sent en cortège le nouveau mort à leur
tombeau 58. — guident les morts jusqu'aux
fleuves infernaux 394. — « Mânes exite
paterni » 82, 397. — M. de Scipion l'A-
fricain gardées par un serpent 17. v. Gens,
Pitârah, Fravashis.
Mâni XVI, XIII, n. 4; — son génie XXIII, n. 4;
— M. et le christianisme XXI, n. 4; — M.
et Mahomet ibid. — Barque de la Lune se
charge d'âmes et les transborde chaque mois
dans le vaisseau du Soleil 173 ; 284.
Manichéens professent la métempsycose 198.
Manichéisme XIX, n. 4 ; 143 ; 284. — M.
de S. Augustin éliminé grâce à Plotin 383.
Manilius apparente les âmes aux astres 159 ;
— sur la fatalité 303, 308.
Marc-Aurèle XXVI ; 38 ; — ses Pensées 117.
— Initié à Eleusis 242.
Marcellus ou Germanicus enlevé par un che-
val ailé 288.
488
LUX PERPETUA
Marius Victorinus Afer, traducteur des En-
nêades 383 ; 414 ; — de VIsagogè de Por-
phyre 414.
Mars 5 ; 309.
Marseille, épitaphe métrique d'un marin mort
à M. 301.
Martyrs chrétiens appelés par les païens bio-
thmiati 339 ; — souvent privés des hon-
neurs funèbres 340 ; — autel élevé sur leur
tombeau 442.
Masque de théâtre 250.
Massagètes sacrifient des chevaux au Soleil
416.
(xaOïïv opposé à itaôsïv 237. v. Eschyle.
[j.a6'/i ijaTtxo • == mathematicî sages de l'école
pythagoricienne 189 ; 308.
Matière selon Plotin 349.
Maxence consacre un temple à son fils Ro-
mulus âgé de quatre ans, divo Romitlo 327.
Maxime d'Ephèse, maître de Julien l'Apostat
379 ; — le presse de se faire initier 243.
Mazdéisme XXI, n. 1 ; — opposition entre les
deux royaumes de la lumière et des ténè-
bres 217 ; — supplices infernaux 219; 299;
370 ; — influence sur le judaïsme alexan-
drin, le gnosticisme et le manichéisme, ibid. ;
— s'est prolongée jusqu'aux Pauliciens et
Cathares 219. — Air peuplé de démons,
tant bons que mauvais 299. v. Pythagori-
ciens. — Jugement du monde par le feu
225. — M. hellénisé 226 ; — son influence
sur Porphyre 270.
Meillet (Antoine) sur Mithra XIX, n. 2.
Mélikraton 33; 97; 101; 106; 424. V. Lait,
Miel, Breuvage.
Mémento des Morts au canon de la messe
romaine 450.
Memoriae aeternae 134.
Mèn le Grand, dieu lunaire d'Anatolie, oùpâ-
vioc et xaTaj^-Ôcvio:; 215 ; — symbolisé par
le coq 411.
Ménades 250-251.
Ménandre, « qui est aimé des dieux meurt
jeune » 328.
Ménippe le cynique imité par Lucien 75.
Mercure 5.
Merciirhis nuntius 300 ; 301.
Mésopotamie, intermédiaire entre l'Inde et
l'Egypte 413.
Message de Fr. Cumont à l'Academia Belgica
de Rome, XXII ; XXIV ; XXIX.
Métaux composant l'échelle mithriaque 186 ;
— selon le mazdéisme, entreront en fusion
à la fin du monde 225. v. Ecpyrosis, Fleuve
de feu.
Métempsycose 197 ; 246 ; 306 ; — ignorée
d'Homère 197 ; — venue de l'Inde par la
Perse, p.-ê. aussi l'Egypte aux • Orphiques
et Pythagoriciens 198. — M. et Samsara
408. — M. n'excluait pas, pour les Orphiques
et les Pythagoriciens, la descente de l'om-
bre aux Enfers 199. — M. et immortalité
céleste 409 ; — permet de considérer la vie
de ce monde comme une expiation 196. —
M. en animaux ou végétaux 354. — M. et
loi du talion 71 ; — étrangère au judaïsme
orthodoxe 207 ; — combattue par l'Eglise
ibid. — admise par Origène ibii.
A'sT2vff!.jjx;'-rwffiç 199.
MeurtrCj l'âme de la victime demeure près
du cadavre 318 ; 371 n. — M. rituel attri-
bué aux juifs 107. — M. rituels d'enfants
interdits sous Tibère 316. — M. d'enfants
dans la magie ib.
Michel (archange) 299 n. 4.
Michel le Bègue envoie à Louis le Débon-
naire les oeuvres du ps.-Denys 384.
Miel 33 ss. ; — substitué au pain dans l'eu-
charistie gnostique 426. — M. et lait, ruis-
seaux produits par les Bacchantes 254 ; —
dans la Terre promise 425 ; — M., lait et
vin 452. v. Mélikraton, Lait, Vin.
Millénaire, période qui, selon Platon et Vir-
gile, sépare deux réincarnations successives
199 ; 200.
Millenium chrétien 452.
Minos 67 ; — cherche à modérer la cruauté
de Pluton 233.
Mithra 407 ; — dieu solaire, sainteté du con-
trat XIX, n. 2; — enlevé par le Soleil 292 ;
— Sol invictus 301 ; — hypostase du Soleil
380. — Adoré dans des antres 411 ; —
identifié au Phanès orphique 249. — Son
échelle formée de sept métaux avec un hui-
tième degré 282 ; — M. psychopompe 380.
— Mystères de M., mazdéisme hellénisé
260 ; 380 ; — religion de soldats 218 ; —
font pénétrer en Occident la doctrine des
INDEX
489
sept sphères planétaires 185. — Enfants
initiés aux mystères de M. 323, — Cène
mithriaque et cène chrétienne 428.
Mithraïsme 184 ; 260 ; 271-272.
Moerbecke (Guillaume de) traducteur dePro-
clus 382.
Mojave (Indiens), voyage d'outre-tombe à
travers un labyrinthe 276.
M'jî-.a 313.
Moïse, sa théophanie 430. v. Zoroastre.
Momie, soins pour sa conservation afin d'as-
surer la survie du double 16 ; — conviée
au repas funéraire 39.
Monique (Ste), peu lui importe sa sépulture
458.
Monteleone, char de bronze, attelage ailé 278 ;
290.
Montesquieu, admirateur du stoïcisme 113.
Moribond placé sur le sol devant la porte de
sa maison 21. v. Mourant.
Mors aut finis aut transitus 133.
Mort analogue au sommeil 16 ; 42 ; — consi-
dérée comme migration 205 ; — vaincue
par Hercule ; par un dieu mort et ressus-
cité ; par le triomphe du Christ 233-234.
Mort couché sur des plantes vertes 42 ; —
sur des fleurs 44. — Morts ensevelis avec
leurs objets familiers 68-69 ; — leur vie
reproduit l'existence terrestre 68 ; — leurs
jeux 69. — Persistance de la religion des
M. 385. — M. héroïsés jouissant de l'im-
mortalité psycho-corporelle 298. — Royau-
me des M. conçu comme im Etat 70 ; 215;
236. — malfaisants 11 ; 19 ; 81. v. Tré-
passés. V. Enfers, Hadès.
Mots de passe 237 ; 248 ; 300. v. S.'v6r,[j.a.
Mottes de terre jetées sur les cadavres aban-
donnés 22 ; — apportées de l'ancienne pa-
trie à la ville nouvelle 59.
Mouettes, âmes des naufragés 22.
Mourants et morts, aptes à prédire l'avenir
90. V. Moribond, Mort.
Mousson, découverte par Hippalos 412.
Mozart, La flûte enchantée, purification par
les éléments 211.
Mundus 59 ; 82 ; — fait communiquer la
cité des vivants avec celle des morts 60 •,
— ouvert trois fois l'an ibid.
Musique, harmonie des sphères 8 ; — purifie
les âmes 255.
Mystère de ce monde selon Cumont XXVII;
— selon Loisy XXVIII.
Mystères, religions de salut 136; 235-236 ; —
leur caractère universaliste, sans distinction
de races ni de castes 261 ; — selon Plotin
les initiés s'y dévêtent pour être purifiés
358. — M. de Bacchus 250 ; — M. de Cy-
bèle, eschatologie modifiée sous l'influence
du mazdéisme 264 ; — M. de Déméter
238 ; — M. d'Eleusis 239 ; — la notion
de pureté rituelle et spirituelle, entraînant
une rétribution proportionnée, y est tardive
241 ; — M. d'Hécate à Egine 238 ; — M.
de Zeus en Crète 238 ; — M. orientaux
407. — Mystère chrétien et mystères païens
428.
Mysteriis {De) ouvrage de Jamblique, con-
testé à tort 373 n.
Mysticisme XXIII. — M. de Plotin, transpo-
sition philosophique de la dévotion à Isis
359.
Mystique de l'Eglise orientale 430.
K'aïades 326-
Naissance considérée comme châtiment 137.
N. selon les astrologues 313.
Nad; 437,
Narcisse, image de l'âme attirée par la ma-
tière 353.
Naraïdes des Grecs modernes 325.
Nasoni, dans leur hypogée, Pégase au som-
met de la voûte 288.
Nécessité = 'Avccyv.ti 304. v. Anankè, Déter-
minisme, Fatalité.
Nécromancie 98 ; — étrangère à l'ancienne
Rome ibid. ; — interdite et poursuivie 101 ;
— introduite en Occident par les religions
orientales 99.
Nécromants 34 ; 97 ; 107 ; 215 ; 320.
Nécropole des «e-iiie siècles sous la basilique
de St-Pierre de Rome 389.
Nectabis ou Nectanebo, nécromant égyptien
100 ; — selon TertuUien, évoque les ahores
et les biothanates 320.
Nectar, breuvage d'immortalité 258; 302 n. 4.
Nef de Shamash XIX. v. Barque.
Nékyia d'Homère 56; 97; 189; 354. —Morts
490
LUX PERPETUA
ranimés par le sang des victimes 56. —
Interpolation pythagoricienne dans la N.
408.
N ékydaimoftes 78 ; 105.
N£Xuo[J.avxETa 94 ; 98.
Néoplatoniciens, utilisent la notion des trois
cieux 185. — N. en Occident 383. — N.
et S. Augustin 383 ; 413.
Néoplatonisme, antinomie fondamentale avec
le Christianisme 384. v. Erôs. — son in-
fluence hétéodoxe continue de s'exercer,
mais filtrée par la théologie médiévale ibid.
V. Contemplation, Vision.
Néopythagoriciens, recueillent l'héritage de
Platon 149.
Néréides sur la croupe d'Hippocampes, sym-
bolisent le voyage d'outre tombe 286.
Nergal, dieu babylonien du Soleil, disque ailé,
dieu des morts XIX.
Néi-on, reconnaît l'inanité de la divination
100 ; 102 ; — troublé par le spectre de sa
mère 319.
Nestoriens en Chine XVII, n. 2. v. Si-ngan fou.
Neuvy-en-SuUias, Rudiohus, cheval sans cava-
lier 416.
Nicolas de Cuse, sa « docte ignorance » 419.
v. Connaissance.
Nicolas de Damas 337 n. 3. — Celtes ne fer-
ment jamais leur porte 398.
Nigidius Figulus et la nécroniancie 98 ; — -
organise un conventicule pythagoricien 151.
Nœud 411 ; 422, n. '3 ; 465.
Noir, coq noir 411 ; — victimes noires offer-
tes aux morts, 97 ; 104 ; 106 ; — fèves
noires pour les Lémures 82 ; — agnelle
noire sacrifiée par les sorcières 104 ; — eau
noire du Styx 127 ; — vêtement noir des
anges en enfer 223.
Nom, le mort désire être appelé par son nom
52 ; — faux nom donné aux morts pour
tromper le douanier de l'au-delà 300.
Nonnos sur Mithra XVI.
Norden sur la catabase d'Enée chez Virgile
307.
Noùç 347 ; 377 ; — archétype de l'ensemble
des Idées 348 ; — identifié avec le Verbe
383 ; — éternellement engendré par l'Un
348 ; — se contemple soi-même ibid ; —
produit éternellement l'Ame universelle ibid.
Nouî 7:aTptx6ic Dieu transcendant, Intellect,
Père 363.
Nudité pour recevoir l'initiation 423, — et le
baptême ibid. — N. des pieds dans le culte
funéraire, la magie et la religion 396.
Numa, passait pour avoir reçu les conseils de
Pythagore 151. — Sabin, interdit son inci-
nération 389 ; défend de soulever les fou-
droyés 329.
Numénius, pythagoricien né à Apamée 372 ;
— cosmologie et psychologie dualistes 344 ;
— reconnaît la prééminence de la culture
orientale ibid. 413 ; — l'Inde ib. ; — Brah-
manes, Juifs, Mages, Egyptiens s'accordent
avec Platon 344 ; — introduit dans la phi-
losophie les sept sphères planétaires 185-
186 ; — utilisé par les Néoplatoniciens 344;
— transition du néoplatonisme au néopy-
thagorisme 153 ; — . N. jugé par Proclus
345.
Nymphes rustiques 325.
NufKpôXrjiTTOt 325.
Objets familiers déposés auprès du mort 389.
Oblation faite par les nouveaux baptisés 423.
Oblats consacrés dès leur naissance à la di-
vinité 323. V. Enfants.
Obole de Charon 391 ; — persiste en Gaule
jusqu'à nos jours 213.
Obscénités sur les sarcophages 257 n. 2.
"0-/r,\xa, = véhicule, pour transporter les âmes
vers le Soleil 293 ; 380.
Octavia Paulina enlevée par un bige attelé de
deux colombes 296 ; 324.
Oeuf cosmique des Orphiques 249.
Oenoanda en Lycée, inscription épicurienne
128.
OlxouiJ.lvri, île ou continent habité par les
hommes 5 ; — ceinturée par l'Océan 6.
Oiseau, symbole de l'âme 293 ; — au-dessus
d'un char enlevé par des griffons ailés 289;
— O. porteur de l'âme 293.
Oknos et son âne 66 ; 214.
Olivier, en Grèce, arbre funéraire, 33-34 ; —
élément de la axiêdéç 42.
Olympe 298 ; — sphère extérieure envelop-
pant l'univers 182.
Olympiodore, notes sur le Phêdon 307.
Ombre, ou Eidôlon 350, — fixée dans le tom-
INDEX
491
beau par les formules liturgiques 17 j 22 ;
436. V. "8pu(Tt(; ; — O. et âme 408 ; —
O. habitent ensemble une cité souterraine
59 ; — O. errantes 215. — O. voilée 257;
286.
Omophagie des Bacchantes 251.
Onctions = ffcppxyîSEi; 237 ; 300 ; 423.
Oneirocritiques d'Artémidore de Daldis 92.
Oniromancie 92 ; — chez les chrétiens ibid.
Optimisme des Stoïciens 206 ; — et de la
Grèce ancienne ibid.
Oracles chaldàiques = Aoyiflt ^aXSaixâ 231 ;
273 ; 30,4 ; 373 ; — semblent d'origine à
la fois chaldéenne et mas;déenne 361 ; —
révérés par les Néoplatoniciens à l'égal
d'Homère et d'Orphée 363 ; — source d'ins-
piration de Porphyre 361 ; 366 ; — com-
mentés par Porphyre et Jamblique 363 ;
379; — leur influence depuis Porphyre 361.
— V. Hécate.
Oracles sibyllins, originaires de Cumes 62 ; —
ooiuiaissent le fleuve de feu que devront
traverser tous les hommes 227.
"Opaaiç de Critodème 311.
Orbîs alius, séjour des âmes selon les Drui-
des 173.
Orcus, maître du "monde souterrain 57 ; —
nulle représentation plastique ibid. ; — ca-
verne sombre ibid. — peuplée de monstres
hideux 60 ; 222 ; — selon Plante, ne reçoit
pas les ahori 312.
Ordo commendationis animae au Pontifical
romain 395.
Ordo sepeliendi clericos romanae fraterjiitatis
441 ; 446 n. 3.
Oreste servi en silence sur une table séparée
391 ; — son hallucination dans les Choê-
■phores 429.
Orientaux prétendent avoir reçu, à l'aube de
l'humanité, une sagesse divine 343 ; — or-
gueil qu'ils en tirent ibid.
Origène XXII ; 327 ; 380 ; —sept cieux 187;
— voyage des âmes 188 ; — Echelle de
Jacob 282 ; — purification par le feu 455.
Ormuzd = Ahoura Mazda 226. — O. =
Indra chez les Mongols lamaïstes XXI ; —
O. et Ahriman 234.
"Opvii; 'n;epinKÔ<; = coq 230. v. Coq.
Orphée, sa catabase ; description des suppli-
ces infligés aux réprouvés 67 ; 245 ; —
révéré par les Néoplatoniciens 363 ; — de-
venu à la fin du paganisme maître es
sciences occultes 248.
Orphiques, leurs usages funéraires 405 ; —
introduisent l'idée de rétribution, outre
tombe, du bien et du mal faits pendant la
vie 66-67 ; — condamnent le suicide 336.
— Banquet des. justes outre tombe 246 ;
250. — Littérature orphique, textes souvent
remaniés 244; — Hymnes marqués de l'in-
fluence stoïcienne, sans trace du pessimisme
orphique 247.
Orphisme 243 ss.; 405; — au contraire d'Eleu-
sis, énonce une doctrine 244 ; — professe
la réincarnation 246 ; — sa prétendue in-
fluence sur la /P^e Egl. de Virgile, VApo-
cal. de Pierre, les peintures de la « villa
des Mystères » à Pompéi, les stucs de la
basilique de la Porta maggiore 246-247. —
O. et mystères de Dionysos 249; — mythe
de Zagreus 322. — Titans foudroyés par
2e us pour avoir dévoré Dionysos ; l'hom-
me formé de leurs cendres : d'où sa tache
originelle et la déchéance dont il doit se
relever 244-245. — O. et Pythagorisme248.
Orthodoxie théologique, inconnue du paganis-
me 11 5 14 ; 236 ; 275 ; 296 ; 362.
Oscilla consacrés aux Mânes des pendus 335.
"Ocioç 240.
Osiris, ses mystères à Abydos 407. — O.
végétant 262. — Vêtement osirique du
Christ chez TertuUien 423.
Os resectum 23 ; 388 ; 457.
Osselet garantissant la permanence de la per-
sonnalité, lors de la résurrection 457 ; 466.
Ostanès et la nécromancie 99 ; — selon Ter-
tuUien, évoque les ahores et les biothanates
320.
Oùpavdi; 416.
Oûafa = biens, propriété 107.
Ovide, Mêtam. discours de Pythagore sur le
végétarisme et la transmigration 152; 201.
Paganisme et christianisme XXIX.
Pairi daeza ]> paradis XXIX, n. 2 ; 302.
Palingénésie 114, 199. v. Métempsycose.
Palmyre intermédiaire entre Inde, basse Méso-
potamie et Egypte 413.
492
LUX PERPETUA
Paludamentum, manteau impérial 288.
Panamara, Mystères 407.
Panétius, stoïcien, maître de Posidonius 157 ;
— nie toute immortalité personnelle 115.
Pannychis dans le culte d'Attis 404.
Pape, constatation de son décès 436 n. 3.
Paphos, Mystères d Aphrodite 407.
Paradigmatique, quatrième classe, et la plus
haute, des vertus selon Porphyre 377.
Paradis perse, tient du jardin de plaisance
et du jardin de rapport 43 ; — P. musul-
man 302 ; — P. des Mystères 238.
Tcâpjoooi 97.
Parcntalia 83 ; — diurnes et fastes 397 ; —
fête des Mânes dans le tombeau ib. ; — chez
les chrétiens 435. — P. et Lemuria 397.
Parents (dieux) 58. v. Mânes.
Parfaits = téXeioi = religiosi 270.
Parfums en offrande à Bouddha 416. v.
Aromates, Encens.
Paris (diacre), sa ceinture de fer 424.
Parjures torturés par les Erinnyes 67.
Parousie, son attente encore chez S. Grégoire
le Grand 453.
Parricide, son supplice 444 ; — son sort ou-
tre tombe 222.
Parthes sacrifient des chevaux au Soleil 416;
— cheval sans cavalier ibid.
Pascal (Biaise), sur l'espérance des biens éter-
nels 3 ; — « Le silence éternel... » 7 ; —
traces d'agnosticisme 421 ; — sa ceinture
de fer 424.
iraOstv opposé à [laflîîv 237. Cf. Eschyle.
Patrie, devoir d'y ramener le défunt 23.
Patrocle, sacrifice de chevaux et chiens à ses
funérailles 287.
Pauliciens XVI, 219.
Paulin de Noie sur la Voie lactée 281.
Pausanias et Cléonice 95. — Eleusis 243-244;
— Platon tiendrait des Chaldéens et mages
l'idée d'immortalité 145.
Pausatio, déposition de l'Arche d'alliance ; —
du défunt dans le tombeau 441.
Pax romana 141.
Péan, chanté par l'âme qui s'élève 364.
Pégase, cheval solaire 291 ; — symbole d'im-
mortalité 180 ; 288 ; 416 ; — psychopompe
288. V. Cheval.
Peines, leurs torches brûlent les réprouvés
193; — P. des réprouvés différées jusqu'au
Jour du Jugement 4SJ. v. Ttôvoi.
Tt-:),a;'oç = pelagus, 434.
Pelliot (Paul) XVI.
Pendu 107 ; 335.
Pérégrinus, cynique, son suicide 394.
Pergame, tombe contenant un cheval de terre
cuite et des éperons 287.
Périclès, éloge des guerriers tombés devant
Samos, 1 ; 333.
Ttspt'iîeiTîvov = silicerniutn 35 ; 39.
Péripatétisme 112.
Peifétue {Passion de Ste) 460 ; — Echelle
céleste 282 ; 456.
Perse, aromates 46.
Perses, sacrifient des chevaux au Soleil 416.
Persée et Andromède, catastérisme 183.
Perséphone, règne dans la Lune 176 ; — per-
met, selon Porphyre, aux Justes qui ont
absorbé du sang de revenir sur terre faire
des prédictions 371.
Pessimisme pythagoricien 154.
Pete pro nobis 327.
Pétrone, sur les meurtres commis par les
nécromants 320.
Phallophories 251.
Phallus, son culte associé à celui de Dionysos
251; 256. V. Génitoires, Ithyphallique, Pria-
pe, Satyres.
Phanès 249.
Phare de Trajan 285.
Phébus annonce la mort de Trajan 292.
Philadelphie : Bas-relief de VY 153 ; 279.
Philodème de Gadara, Epicurien syrien, pre-
mière mention du feu infernal comme uni-
que châtiment 226.
Philon d'Alexandrie, sur l'échelle de Jacob
282 ; — connaissance de Dieu 419 ; —
ignore la Résurrection 446 ; — emploie la
terminologie des Mystères 423.
Philopoemen : prisonniers lapidés sur sa tom-
be 31.
Philosophie des Oracles, traité de la jeunesse
de Porphyre 366.
^Wî vospôv 179. — «Mis ■= Zi2B SI.
Phosphoros, étoile du matin 297 ; — devant
le quadrige du Soleil 296 ; — guide le
char funèbre vers l'Orient 291 ; — guide
l'aigle porteur de l'âme 296.
INDEX
493
(pwTiTjjLo? et cs'ÔTtajjia = baptême 422.
Physici 36 ; 307.
Pibéchès, conjuration judéo-grecque contre les
esprits des morts 412.
Pierre {Apocalypse de — ) 223 ; 246.
Pierre (âge de la — ) : on y croyait déjà en
Italie à la survie des morts dans le tom-
beau 15.
Pierre noire de Pessinonte sur le Palatin 259.
Piganiol, sur les origines de Rome 389.
Pin, emblème de l'immortalité 261 ; — iden-
tifié à Attis ibid. ; — couronné de violet-
tes, lié' de bandelettes de laine ibid.
Pirithoûs 66.
Pitàral), 418.
Planètes, leur influence meurtrière 328 ; —
communiquent chacune aux âmes les quali-
tés et passions qui leur sont propres 6 ;
186 ; 344.
Plantes toujours vertes, symboles d'immorta-
lité 42 ; — métempsycose en plantes 354.
Platon XXVII
épigramme pour son tom-
beau 294 ; — son buste à Tibur : a'rfa
é).o[iévu}, Osai; àvab'.oî 200 ; 417 ; 465. — Ses
sources orientales 312 -, — formules agnos-
tiques dans le Parménide 421. — Sur les
Dionysies de Tarente 253 ; — ignore les
démons mauvais 228. — dans la Républi-
que les guerriers morts au combat devien-
nent des démons favorables 333 ; — cha-
cun a son démon personnel, qui est son
compagnon et son guide 300 ; — P. rallié
aux doctrines pythagoriciennes 110 ; — sur
la vie orphique 246 ; — vol de l'âme 294.
— Immortalité céleste 148 ; — festin avec
les dieux dans un mythe du Phèdre 258; —
c'est le propre deis dieux de vivre dans l'au-
delà corps et âme réunis 298. — Enfers
dans les entrailles de la terre 215 ; —
mythes se rattachant aux catabases 396. —
L'âme trop familière avec son corps ne
peut s'en détacher après le décès et erre
autour du tombeau 338. — P. ne fait allu-
sion qu'en passant aux supplices d'outre-
tombe 220. — Sur les Biothanati 318. —
P., dans le Phêdon, condamne le suicide
336.
Platonicorum libri chez S. Augustin 413.
Plaute, peintures représentant les peines de
l'Achéron 63 ; — exclusion des Biothanates
312.
Pleureuses à gage = praeficae 20.
Pline l'Ancien, sur les aromates 46 ; — sur
Hipparque 159 ; — sur les sacrifices de
chevaux et chiens sur la tombe 287 ; —
homme, composé de corps, âme, etv'/d^o« 190;
— nie toute survivance 89 ; 126.
Pline le jeune console Fundanus 324 ; — à
Sura sur les fantômes 89.
Plotin XXIII, XXIV, 345, 381 ; — mort en
270 : 372 ; — ses dernières paroles à Eus-
tochios 359 ; — connu à Rome de son
vivant 382 ; — ne s'attache qu'au fond, et
méprise la forme 346 ; 365 ; — son ardeur
persuasive ibid. — Renouvelle la philoso-
phie, la détourne du rationalisme aristotéli-
cien 346 ; 383. — Dépend des Platoniciens
d'Alexandrie 347. — Connaissait les céré-
monies secrètes des temples alexandrins 359 ;
— utilise Numénius 344 ; — avait voulu
suivre Gordien en Orient pour étudier Per-
ses et Indiens 345 ; — paraît avoir subi
l'influence hindoue 346, 412 ; — emprunte
des comparaisons aux Mystères 359 ; —
selon ses disciples les Mystères d'Eleusis
garantissent une heureuse ascension vers les
astres 243. — D'abord favorable, puis hos-
tile au suicide, en détourne Porphyre 337.
— Radicalement opposé au matérialisme
stoïcien et épicurien 349 ; — conserve les
théories de l'immortalité astrale 351 ; —
théorie pythagoricienne de Veidôlon 413; —
considère le culte rendu aux morts comme
une preuve de l'immortalité 87 ; 351 ; —
l'homme composé d'âme, corps et eidôlon
190 ; — est le premier qui ait conçu l'âme
comme purement spirituelle 4 ; — selon lui
l'extase plonge l'âme, sans conscience, dans
l'unité divine 385 ; — caractère religieux
de sa philosophie 359 ; — son mysticisme
ibid. — Ne connaît ni médiateur ni mys-
tagogue 360 ; — étranger à tout cérémonial
rituel 87 ; 360 ; — ne se considère pas
comme un hiérophante ibid. ; — attend dans
le recueillement que la divinité le visite 360.
— Son influence sur la théologie chrétieime
346 ; — Plotin et Porphyre chez S. Augus-
tin 414.
494
LUX PERPETUA
Plotinisme, après Plotin se rapproche des
Mystères et de la magie 361.
Ploutôjiêia, entrée des Enfers 56.
Pluralité des mondes, admise par les Stoï-
ciens 175.
Plutarque sur Caton d'Utique 337 j — sur
les ahori 315 ; — ils remontent aisément
au ciel 322 ; — sur les foudroyés 330 ; —
sur les fables des Enfers 215 ; — sur les.
superstitieux 221 ; — De sera Numin. vin-
dicatione, ibid. ; — sur l'espoir de l'éter-
nité 139 ; — mythe de l'âme dans le De
facie in orbe lunae 181.
Pluton inférieur 192 ; — sa cruauté dans les
tragédies de Sénèque et la Thébàide de
Stace 232-233. — Conçu, sous l'influence
mazdéenne, comme un être maléfique opposé
à Jupiter 232. — v. Hadès, Orcus.
Tcveùfjia, selon Porphyre Veidôlon est un 'kvz\)\x.7.
368.
Poètes, leur inspiration 324.
Poimandrès 274.
Poincaré (Henri) XIV.
Poing coupé 444.
Poissons : danger d'être dévoré par eux 22.
TtoXuotvSpiov 320 ; 340 ; 444.
Polybe loue les Romains d'avoir inculqué au
peuple la crainte des Enfers 63, 109. —
Sur la Fortune 113.
Polydore, son cénotaphe, Aen. 3 67 : 26.
Polygnote a figuré Euronymos dans la Les-
ché de Delphes 64 ; 220.
Polypsychie 191, 408. v. Ame, Ombre, Ei-
dôlon.
Pompée correspondant de Posidonius 157 ; —
son âme alentour de la Lune, selon Lucain
177.
Pompéi, ivoire hindou trouvé à Pompéi 399.
Tîôvot 279. — u'jvoç condition du salut 263;
279 j 404. v. Peines.
Pontife, quoique souillé par la rencontre d'un
cadavre, ne doit pas laisser un mort sans
sépulture 22.
Pontifical (ancien droit romain p.), législa-
tion sur les sépultures 13 ; — terre jetée
sur Vos resectum 23 ; — reconnaît au mort
la propriété de sa tombe 27 ; — interdit
les jardins autour des tombeaux 43 ; —
refuse aux suicides l'inhumation rituelle 335.
Pontifical romano-germanique 395.
Pontifical romain 395.
Poppée, ses funérailles 47 ; 389.
Porphyre 381 ; — disciple préféré de Plotin
365 ; — styliste formé à l'école de Lon-
gin ibid. ; — éditeur de Plotin 350 ; —
éclaircit sa pensée 366 ; 369 ; — très rai-
sonnable si on le compare à Jarablique371.
— Il est d'origine phénicienne 366 ; —
connu à Rome de son vivant 382 ; — son
Isagogè traduite par Marins Victorinus414;
— son œuvre de jeunesse. Philosophie des
Oracles, empreinte d'une grossière supers-
tition 366. — Il conserve les superstitions
populaires 371 ; — développe la démono-
logie 229 ; 370 ; — utilise Nuraénius 344;
— i a subi l'influence du mazdéisme 217 ;
370 ; — s'inspire des Oracles chaldaïques
363 ; 365 ; 366 ; — ascète végétarien 366;
— détourné du suicide par Plotin, con-'
damne le suicide 337. — Sa piété, son goût
des cérémonies sacrées, dont il interprète le
symbolisme 366 ; — sur le « bon espoir »
404 ; — ne conçoit, sauf pour les sages,
qu'un salut temporaire 368. — L'âme alour-
die par Veidôlon, précipitée dans les abî-
mes souterrains 370 ; — L'Hadès n'est pas
xm lieu, mais l'union de l'âme à un eidôlon
pesant et obscur 369 ; Oeôç àvatxio; 465.
Port de Trajan 285.
Porte, en Phrygie, tombeaux en forme de p.
263.
Portes, deux p. du ciel, l'une au Levant (ho-
roscope), l'autre au Couchant 191 ; — p.
des temples fermées pendant les Lemuria
397.
Posidonius 115; 157; — ^ né à Apamée372;
— se fixe à Rhodes ibid. ; — source sup-
posée de Virgile 307 ; — contre les fables
du Tartare 120 ; — petitesse de la terre
par rapport au monde 6 ; — son interpré-
tation de l'eschatologie lunaire 176.
Possession par un dieu [v.(i.\kjtu) 254 ; — par
un démon 341. — Dibbouk est une posses-
sion 412 ; 465.
Potidée, Athéniens morts devant P. 146 ; 333.
Poupée des envoûteurs 24 ; — p. de pâte
dans l'évocation des morts 101.
Pourceau 203.
INDEX
495
Praeficae = pleureuses à gages 20.
Prâna 418.
Prédictions, v. Mourants, Perséphone.
Prématuré (décès) 314.
Premier-né, dû à Yahweh, son rachat 426 note.
Premier Principe, l'étude théorique de la voie
qui y conduit est un moyen de l'atteindre
359.
Prémonitions xat' ovap 92 ; 94.
Priape, phallus anthropomorphisé 251 note ;
— en Mysie, dieu de la fécondité 257.
Prières, n'agissent, selon Plotin, que par in-
fluence sympathique 360 n. 4.
Priscus, correspondant de Julien l'Apostat 379.
Proclus XXIII, 381 ; — inconnu en Occident
jusqu'au xme s. 382 5 — traduit par Guil-
laume de Moerbecke ibid. ; — juge de
Numénius, 345 ; — sa dévotion aux Ora-
cles Chaldaiques 363 j — rapport çntre la
psyché et Veiddlon, idée d'origine pythago-
ricienne 354. — Son goût des doctrines
hiératiques 371 ; — âme jugée entre ciel
et terre 216 ; — Hadès souterrain ibid. ;
376, n. 7.
Prodicos, les deux routes de la vie 278.
Promptuaria animarum 451.
itpdppY|o-t<; 404.
Proserpine 192.
Providence stoïcienne contre le hasard épicu-
rien 140. — Pr. et fatum XXV. — Pr.
selon Loisy XXV, n. 2.
Prudence, hymne ad gallicinium 230 ; 410.
Psaumes de Salomon 460.
(j/uj^aî ÔEa£ = du Mânes 393.
^^Xh, principe vital 181; 347; — i|'-i eïSwXov,
ffû(Aa 190. — nep? ij^uj^î;!;, ouvrage perdu
de Jamblique, fragments dans Stobée 375.
Psychopompe, dieu protecteur des âmes dans
leur voyage posthume 175; 212; 214; 300;
364; 380. — Plotin n'a besoin ni de prêtre
ni de dieu psychopompe 360.
Ptolémée 188 ; — ne croit pas que le Soleil
s'éteigne chaque soir 195. v. Epicure ; —
sur l'extase cosmique 305 ; — Tétrabible
310.
Ptolémée IV Philopator, tatoué de la feuille
de lierre 252.
Ptolémée Sôter consulte l'Eumolpide Timothée
pour fonder le culte de Sérapis 260; 265.
Pudridero 441.
Purgatoire aérien 176 ; 208 ; 212. — P. de
Dante, île dans l'hémisphère austral 286.
Purification du péché héréditaire 244 ; 322.
— P. par les éléments, notamment dans les
Mystères de Bacchus 209 ; — dans les Mys-
tères d'Eleusis 240; 403; —p. rituelles agis-
sent selon Porphyre sur l'âme pneumatique
368 ; — p. de l'âme chez Plotin 359 ; —
dans le néoplatonisme antérieur à Jambli-
que s'obtient par l'ascèse ; selon Jamblique,
par une action divine résultant de la théur-
gie 375 ; 377.
Pyriphlégéton 65 ; 224 ; 226 ; 227.
Ttîîp àxàjjLaxov 452. v. Indefessus.
nùp voEpov assimilé au fleuve de feu maz-
déen 226.
Tîuptpôpoi; 404 note.
Pythagore, serait allé à Babylone 145 ; —
d'après Numénius serait le maître de Pla-
ton, et aurait été instruit chez les Barbares
344. — Sa catabase 396 ; — son cycle =
roue de l'hindouisme 418. — de bonne heure
en contact avec les Maguséens 145.
Pythagoriciens, fixent à seize ans l'âge de
raison 321 ; — sur le chant du coq 410 ;
— croient l'air plein d'âmes, qui se confon-
dent avec les démons 78 ; 175 ; — corps
geôle de l'âme 147; 198.— Préoccupés des
songes 94; — admettent la nécromancie 98 ;
152 ; — interprétation des mythes des
Enfers 204-205 ; — conçoivent le Tartare
comme un brasier au tréfonds du monde
souterrain 225 ; — leur influence sur la
composition des Libri Acheruntici 277 ; —
condamnent le suicide 336 ; — symbolisme
de l'y 278 ; — leur linceul blanc 155.
Pythagorisme, sa littérature apocryphe 150 ;
— sa survivance en Italie dans des conven-
ticules 149 ; 151 ; — règle de vie 154 ; —
sa renaissance en Egypte sous les Ptolé-
mées 149 ; — accueille, en les interprétant,
les croyances vulgaires 150 ; 151. — Basi-
lique de la Porta Maggiore à Rome 153 ;
— P. et Orphisme 248 ; 406-407.
Qobba, tente de cuir 439 n. 2.
Qoran XXI ; Description du paradis 302 ; -—
496
LUX PERPETUA
le sommeil 415 ; 465 ; — jiat divin 457 ;
— Adam et Jésus 457.
Quarante jours, durée de formation du foe-
tus 414.
Râ, voyage des morts dans sa barque, 173 ;
283 ; — Soleil psychopompe 174. v. Aspic.
Raisins pressés dans le calice 427; — portés
sur les tombes le jour de TAssomption 427.
Kâfir 466.
Raison universelle selon les Stoïciens 117.
Rasoul Allah XXII.
Réceptacles des âmes 451 ; — dans l'Eden
ou sous le trône de Dieu ibid.
Rationalisme XXIII.
Refrigerium au sens de rinfresco, 30 ; 268 ;
435 ; 453.
Régression de la science depuis le 1er siècle
avant J.-C. 135.
Regulus fait immoler sur la tombe de son
fils poneys, oiseaux, chiens 287.
Reliefs du festin jetés sous la table pour les
morts 391.
Religions antiques en Grèce et à Rome n'ont
trait qu'à la prospérité de l'Etat 235.
Relig. orient, dans le Paganisme rom. XX.
Religiosi == xé'kiioi. = parfaits, s'affran-
chissent de l'esclavage du destin 270.
Repas funéraires répétés certains jours 36 ; —
aux anniversaires 37 ; — persistent à l'épp-
que chrétienne 40 ss. v. Banquet, Parejttalia.
Repas sacrés, initiation aux mystères de
Cybèle 263 ; — d'Isis et Osiris 268 ; —
dans le mithraïsme 272. v. Banquet, Cène.
Repos des morts, son respect à Rome 98.
Réprouvés châtiés par leurs propres actes
429 ; 466.
Requiejti aeternam, origine de la formule
458.
Résurrection, l'ensevelissement des restes y
est nécessaire 24 ; 390. — Chrétiens crai-
gnaient que ceux qui ne reposent pas dans
la tombe n'y eussent point part 340. —
croyance mazdéenne dès l'époque des
Gâthà 451 ; — ignorée de Philon d'Alexan-
drie 446 ; — au livre de Daniel 447 ; —
selon le Qoran, création nouvelle 411; 448.
— R. et immortalité 445. v. Osselet.
Rétribution exacte des fautes après la mort
241 ; 245 ; 354 ; 466 ; — immanente à l'acte
selon certains musulmans et chrétiens 429.
Rêve 91.
Révélation divine à l'aurore de l'humanité
136 ; 247 ; 343 ; 344.
Rhadamante 67.
Rhétorique, base de l'enseignement dans les
écoles 135.
Rhodes, chevaux précipités dans la mer 416.
Rhyton 268 ; 465.
Rituel romain 443.
Robe olympique des initiés d'Isis 266. v.
Vêtement.
Rohde sur les Biothanati 318.
Rome XXIX ; — plèbe métissée, syncrétisme
italo-oriental 76 ; 214 ; — R. réduite à
n'être plus capitale que de la seule latinité
381.
Romulus enlevé par la foudre selon Ennius
331.
Romulus, fils de Maxence, mort à quatre
ans, temple consacré diva Romulo 327.
Rosalies 37 ; — dans le culte de Dionysos
et dAdonis 45. v. Violettes.
Rosée et pluie, agents de la résurrection 447.
Rossignol 202.
Rostovstzeff XII ; XXV.
Roue = cycle de Pythagore chez les Hindous
418 ; — roi à la roue 416 ; — R. flam-
boyante XIX.
Rousseau (J.-J.) 138 n. 1.
Royaume des cieux 459 ; — R. de Dieu
parmi vous. Le. 1720-21 459.
Rudiohus, dieu celte, cheval sans cavalier 416.
Rûgen, Svantovit, cheval sans cavalier, 416.
Ruysbroeck, sa transfiguration 431.
Sabazius, Jupiter, assimilé à Yahvsreh Sabaoth
253 ; — proche parent de Dionysos 256 ;
— sa catacombe auprès de celle de S. Pré-
textât 76 ; 215 ; 256 ; 264. — Vibia ravie
par un dieu chthonien 291.
Sabins, sur le Quirinal, pratiquaient l'inhuma-
tion 389. — Numa, Sabin, interdit son inci-
nération ibid.
Sacrifices brûlés pour la nourriture des morts
29 ; — s. de fondation 154 ; 315 ; — s.
d'animaux « âme pour âme, sang pour sang,
vie pour vie », en Afrique 315 ; — sur les
INDEX
497
tombes chez les Bédouins 33 ; — chez les
chrétiens de Syrie et d'Arménie 32 ; — ■ s.
humains 251 5 253 ; — s. d'enfant chez les
Sémites 315 5 444.
Sadducéens sur la résurrection 446.
Sage stoïcien 113 ; — s. connaissant le mal,
ne désirera pas se réincarner 367 ; ■ —
sa béatitude outre tombe 324 ; — son
Nous va rejoindre Dieu 367.
Sahid, martyr, par ex. guerrier mort dans
la voie d'Allah 334.
Saint-Etienne le Rond à Rome, peintures
représentant les supplices des martyrs 224.
Saïs, apostrophe du prêtre de S. à Solon 343.
Sakkas, Ammonius S., maître de Plotin 345.
Salambô, amante d'Adonis 262.
Salut grâce à un dieu mort et ressuscité 233 ;
237.
Samkhya, philosophie indienne qui paraît avoir
influé sur Plotin 413.
Samos, Athéniens morts au siège de S. 1 ;
333.
Samothrace, les Cabires 239.
Samsara et métempsycose, 197 ; 207 ; 408.
Samson et Dalila 31.
Sanam 439.
Sanctification nécessaire au succès d'une opé-
ration théurgique 362.
Sang, siège de la vie 32 5 45 ; — sa vertu
vivifiante 30, 36 ; — libation de s. aux
morts 30 ; 32 ; 34 ; — revigore les morts,
293 } 371.
Sardanapale, son épitaphe 130.
S«r/i al soir, dilatation de la poitrine dans
l'Islam' 420.
Sarsina, inscription, don d'un cimetière d'où
seront exclus gladiateurs, infâmes et pendus
335.
Satan, renonciation à S. dans le baptême 423.
Saturne 5 ; 309.
Satyres et Silènes ithyphalliques 251. v.
Priape, Phallus.
Saûl et la pythonisse d'Endor (/ Reg. 18 7-25)
99.
Sauâyant 454 ; 459.
Scandinaves promettant aux guerriers les joies
de la Valhalla 332.
Sceau = (jeppaY'i; 300 ; — s. sacré des mystes
de Bacchus 255.
Scepticisme, dominé à partir de Plotin par
la mystique 346.
Science, sa régression depuis le premier siè-
cle av. jf.-C. 135.
Scot Erigène, traducteur du ps.-Denys 384.
Sculpture funéraire représente peu les scènes
des Enfers 74.
Secret des Mystères 237.
Securus 40.
Seeland, char du Soleil 416.
Sein d'Abraham 454.
Seize ans, âge de raison selon les pythago-
riciens 278 ; 321.
Séjour des justes dans la sphère des fixes 212.
V. Paradis, Ame.
Sekinah 438 5 440.
Sémélé héroïsée par la foudre 330 ; — son
Anodos 320 note 7.
Sénèque XXVII.; sur la nécessité 304 ; 308;
— le sage à certains égards supérieur à
Dieu 119 note ; — A-pokolokintosis 202
281 ; 395 ; — Immortalité céleste 164
— Ahores remontent aisément au ciel 322
— Ef. 102, 23 : vie humaine comparable
à la gestation 399. v. Gestation.
Sept ans, âge de raison 321.
Sept grades des Mystères irano-chaldalques
271.
Sept mois, Vierge Marie née à sept mois, 414.
Sept rayons de la couronne héliaque 182 ;
297 ; — au-dessus d'im jeune mort ibid.
Sept sphères planétaires 5 ; 185 ; — inven-
tées par les Chaldéens 144.
Sépulture, vie du mort dans la s. 52; — pri-
vation de s, pour les suicides et suppliciés
23 ; 444 ; — son inutilité selon certains
pénitents d'Egypte 458 ; — opinion plus
nuancée dé S. Augustin ibid.
Sérapis, ses mystères 259; 407 ; — Zeu; Sâ-
pa7ct(j "HXtoç 268, note 6.
Serment, la formule d'exécration entraîne le
supplice du parjure 67.
Serpent, gardien des mânes de Scipion l'Afri-
cain, 17.
Servius, sur la doctrine des Physici 317.
Sextius, père et fils, enseignent un pythago-
risme tempéré de stoïcisme 151.
Shakespeare et le chant du coq 230 ; 410.
Shamash, en accadien Soleil, roue flamboyante
32
498
LUX PERPETUA
ailée XIX. — dieu solaire babylonien, dans
l'enlèvement d'Elie 292. — Dieu de la jus-
tice XIX.
Shéôl Enfers des Hébreux 56 ; — comparti-
menté 451 ; — se tournant en géhenne ibid.
Sibyllins {livres) v. Oracles.
Siècle V. Cent ans.
Sièges dans les tombeaux 38 ; — dont un
vide réservé au mort ib.
Silence 36 ; 391 ; 396 ; — observé aux
repas funéraires 36 ; — pour n'éveiller
pas la colère des esprits 397.
Silencieux = Silentes épithète donnée aux
morts 70.
Silènes 251.
Silex, couteau de circoncision 424.
Silicernium = TCôpiSet-revov 35.
Silius Italicus, Puniques influencées par Vir-
gile 72 ; — accentue la cruauté des suppli-
ces 221.
Simpelveld (Hollande), sarcophage 25.
Sin, dieu lunaire de Babylone, symbolisé par
le coq 411 ; — S., Shamash, Ishtar, triade
babylonienne 173.
Si-ngan fou, stèle nestorienne XVII.
SiraÇ (pont) 456. v. ôinvat.
Sirènes, primitivement esprits des morts de-
venus vampires 293.
Sisyphe 66 ; 214 ; — tourmenté, selon Por-
phyre par son imagination 371.
Sit tibi terra levis, peut-être vieille formule
rituelle 16 ; 393.
Slaves, coutumes funéraires analogues à cel-
les des Grecs et Romains 391 ; 464 ; —
de la Russie blanche, prière aux Mânes 394.
Smyrne, tombeau d'un enfant de quatre ans,
Oeoî £7rr;zoo<; 327.
Sôderblom sur le Yasht des Fravashis 147.
Sogdiens XVII.
Soif des morts 29 ; 391 ; 466.
Sol invictus 292 ; 296 ; = Mithra 301.
Sol me rapuit 180 ; 293.
Soldat inconnu, son culte 54.
Soleil, censé nouveau chaque matin 171; 195;
— roue courant sur le firmament 292 ; —
disque ailé XIX, n. 2 294; — assimilé à un
char en Babylonie, Syrie, Perse, Grèce 291;
— au quatrième rang, milieu des planètes
5 ; — cœur du monde, dirige la course des
astres ib. ; 179 ; — sa prééminence admise
par les chaldéens, les pythagoriciens et Posi-
donius 179; — feu intelligent irùp vospôi;,
6. — S. invincible, signification de son cul-
te 180, V. Sol Invictus. — S, justicier 317;
— S. créateur des âmes 380 ; — crée la
raison humaine et la reçoit au décès 180 ;
272 ; — son double pouvoir d'attraction et
répulsion 276 ; 293 ; 364. — S. dieu des
morts 180 ; — S. et Lune, îles des Bien-
heureux 175. V. Hélios.
Solon interpellé par le prêtre de Saïs 343.
ffWfxa == (7ïi[x.a selon les Orphiques 245.
ctï)|j.a, ^^jy\, e'!3wXov 190.
Sôma = haôma 418.
Sommeil et mort 42 ; 93 ; — S. préserve
de la foudre 329 ; — âme quitte le corps
en sommeil 415 ; 465 ; — S. des morts,
442 ; 446 ; — dans le Qoran 448 ; — chez
les chrétiens occidentaux 450.
Songe de Scipion 162.
Sopatros, succède à Jamblique à la tête de
l'école syrienne 372.
Sophocle 146 ; — S. et Euripide imités à
Rome 63.
Sothiaque (année) 262.
Sotion 165.
Sou du mort (obole de Charon) 213 ; 391.
Soupiraux des Enfers 82. v. Ploutôneia.
Sozomène, soldats romains quittent le cal-
vaire, le soir, par crainte de la croix 339.
Spartiates, sacrifient des chevaux au Soleil
416.
Spelaea mithriaques 260 ; 271.
Sperme chez Théophile d'Antioche 456 ; —
dans le Qoran, ibid.
Sphère barbare 192, v. Hypogéion. — S. plané-
taires 5 ; — leur harmonie 8 ; — S. des
fixes 5 ; 161 ; 182 ; — limite du monde.
Dieu suprême S ; 161 ; 182.
Sphérique, âme s. 176 ; — corps sph. au ciel,
s'allongeant en corps terrestre 355.
cfpzy'.i; 237 ; 300 ; — à l'initiation et au bap-
tême 423. V. Sceau.
Stace, sa Thébdide influencée par Virgile
72 ; — question sur Domitien 182 ; —
Apothéose de l'empereur 292.
Statues, leur animation 437 ; — S. entra-
vées 438.
INDEX
499
Stéganome 226.
Stein (Aurel) XVI.
Stettin, Triglav, dieu cheval 416.
ŒTiêàî 42 ; — sous le cadavre des pythago-
riciens 155; — dans une tombe chrétienne
à Bordeaux 42 n. 4.
(7T!Y[JLaTa = tatouages, 300; 423. v. Tatouage.
Stobée, fragments du itspl ^'Jj^îi? de Jambli-
que 375.
Stoïciens, feu divin 113 ; — raison directrice
(r,YEjjiovtKdv) dans le Soleil ou la Sphère
des fixes 182 ; — déterminisme 113 ; —
survivance de l'âme liée à la conservation
du cadavre 16 ; — Exégèse synibolique des
Enfers 121 ; — admettent le suicide 336.
Stoïcisme et épicurisme 141.
Strabon de Lampsaque 112.
Styx, 65 ; 305 ; — selon Porphyre à la fois
fleuve et démon 370 ; — démon tourmen-
tant les dieux déchus 371.
Suétone, maison hantée 319.
auYY^vEta 135 ; 144 ; 159.
Suicide condamné par l'Orphisme, par les
Pythagoriciens, par Platon {Phédon), par
Cicéron 336 ; — par Plotin 337; — admis
par les Cyniques 336 ; — s. en Chine de-
vant la porte de son ennemi 334.
Suicidés exclus de l'Hadès, errant sur la
terre 335 ; — leur âme selon Porphyre
reste près du cadavre 337 ; — exclus des
honneurs funèbres 340 ; — privés de sé-
pulture, 23 ; —^ perdent dans certains col-
lèges funéraires le droit à l'inhumation
336 ; — selon Platon enterrés à l'écart sans
stèle ni épitaphe 335 ; — main enfouie à
part 335 ; 444 ; — privés par l'Eglise de
funérailles religieuses 340.
Summus Exsuperantissimus 187. v. "ri}^icn:oç.
Supines (mains) 317.
Supplices infernaux d'après le mazdéisme 219;
221 ; 246 ; 299 ; 370. v. Tourments.
Suppliciés exclus de l'Hadès 339 ; — privés
d'honneurs fmièbres 340 ; 444 ; — de sépul-
ture 23 ; — cadavres non lavés, enfouis
sans cérémonies au uoX'javijpiov 340; — à
Rome traînés par le bourreau avec un croc,
exposés aux Gémonies, jetés au Tibre 340.
Sur a, correspondant de Pline le Jeune 89.
Survivances d'anciennes croyances parmi les
nouvelles 11 ; s. d'usages funéraires an-
tiques 54.
Svantovitj dieu cheval de Rûgen 416.
Sylla, ses funérailles 46.
Symbolisme chez les Arabes et les Berbères
426 note ; — chez les Romains 169 ; 285.
a'j^&okx dans les Mystères 237 ; 250 ; 423.
Symposion 258. v. Banquet, Repas.
ff'jvOrifxa, passeport des âmes 364 ; 248 ; 277;
300. V. Mot de passe.
Syrianus, son goût des doctrines hiératiques
371.
Syriens, leur ferveur religieuse 372.
Habellae defixionum 106.
Tablettes orphico-pythagoriciennes. v. Lamel-
les.
Tabou du cadavre foudroyé 330 ; — passage
du t. au sacré 331.
Tacite sur Agricola 133.
Tagès, auteur supposé des Libri Acheruntici
60 ; 277.
Talion et métempsycose 71.
Talmud XIX ; XXI ; 271.
Tambourin 263. v. Cybèle.
Tammouz 259 ; — 262. v. Adonis.
Tantale 66 ; 205 ; 214 ; — tourmenté, selon
Porphyre, par son imagination 371.
Tarente, siège principal de l'école pythago-
ricienne 62 ; — son action sur les croyan-
ces de Rome 63.
Tartare 67 ; 199 ; — ténébreux, àv/^Xto?
195 ; — tantôt brûlant, tantôt glacé 227 ;
— sis selon Numénius dans les sphères
planétaires 345 ; — lieu de punition des
dieux 371 ; — domaine de Kronos selon
Porphyre 371 ; — selon Jamblique et les
théurges, est réellement un séjour souter-
rain, mais non éternel 376. v. Enfer,
Géhenne.
Tatien sur la Résurrection 449 n. 1.
Tatouage = (r-tyfxocxa 237 ; 300 ; 423 ; —
au temple d'Héraklès aux bouches du Nil
424 ; — feuille de lierre des mystes de
Bacchus 252; 255 ; 423 ; — ■ croix des Jaco-
bites et Abyssins 424.
Taureau, forme animale de Dionysos 251 ; —
image de Hadad et de Yahweh 439.
Ta Yue-tche XVII.
500
LUX PERPETUA
TiXeioi = relîgîost = parfait, s'af franchi-
sent de l'esclavage du destin 270.
Télestérion d'Eleusis 240 ; 243.
Tell-el-Jahoudich, Epitaphe juive sur le « bon
espoir » 404. v. 'AyaÔr, ïkizn^.
TeXwvtjç = douanier, péager 300.
TéfiLEvoç 437.
Temples, portes fermées pendant les Lemuria
397 ; — entourés d'une corde pendant les
Anthestéries, ibid.
Terrasson (Abbé), purification par les élé-
ments 211.
Terre, sphère compacte au centre de l'Uni-
vers 4 ; — ce qui, selon les Stoïciens, ex-
clut les Enfers souterrains 120 ; — T. déesse
264 ; — Mère Terre 390. v. Cybèle.
TertuUien sur les banquets funéraires 40 ; —
professe la matérialité de l'âme 350 ; —
classification des biothanates confirmant celle
de Virgile 307 ; — Sur les Ahores et les
Biothanates 318, 320, 321 ; — sur les In-
nupti 307 ; 309.
Têtrabible de Ptolémée 310.
Thanatos, commandé avec Hadès aux trépas-
sés dans les ténèbres inférieures 233.
Thasos, épigramme sur une vierge anthophore
enlevée par les Moires 323.
Théodore l'Athée, réponse à Lysimaque 23.
Théodore, grand prêtre d'Asie sous Julien
l'Apostat 402.
Théodore Bar Kônaï 454.
Théodoric 382.
Théologie solaire remonte aux « Chaldéens »
380 ; — dans les écrits de Julien l'Apostat
379.
Théophane raconte qu'un ermite de Bithynic,
martyr, fut enfoui avec les Biothanates 340.
Théophanie de Moïse 430 ; — de Zoroastre
ibid. j — th. provoquées par les théurges
374.
Geo; èirrjXOO!; 327.
ÔEÛv Èv yo'jvaat xeTxat XIV ; XXVI.
Théosophes, leur corps astral analogue à
Veidôlon de Porphyre 368.
Thésée 66.
Théurges, selon Jamblique, élevés par les
dieux) à la gnose et à la sainteté 375 ; —
échappent seuls au destin ou fatalité 364 ;
— commandent aux choses de ce monde
comme s'ils appartenaient à la société des
dieux 373.
Théurgie, se donne comme antithèse de la
magie, art réprouvé 374 ; — tend par des
pratiques pieuses à obtenir les mêmes effets
362 ; — son influence dans l'histoire reli-
gieuse du ive s. 378 ; — son objet, selon
Jamblique, est de s'élever jusqu'au Dieu
intelligible 375 ; — source principale de
purification 373.
Thiases de Bacchus 250 ss.
Thomas d'Aquin (S.) sur la formation du
foetus 415 ; — inconnaissabilité de Dieu
420 ; — vision béatifique 434.
Thoth, sa vertu créatrice 457 n. 1.
Thouria, inscription sur les Mystères de la
Déesse Syrienne 407.
Thrace, chars inhumés 290.
GupaÇe v.r\pt(; 397.
Thurium, lamelles d'or orphiques ou pytha-
goriciennes 331.
Thyatire, epitaphe métrique sur la divinisa-
tion par la foudre 331 ; 406.
Tiares des grands, fouettées chez les Perses
pour punir leurs propriétaires 229.
Tibère interdit les meurtres rituels d'enfants,
316.
Timée (ps.-) de Locres contre les fictions des
Enfers 201.
Timothée, Eumolpide 260 ; 403 note 7.
Titans, meurtriers de Zagreus 322 ; — dé-
membrent Dionysos 249 ; — foudroyés
330 ; — selon Porphyre, précipités dans le
Tartare 371 ; — leur crime a causé la
déchéance de l'humanité 198.
Titus dans Josèphe sur les guerriers tombés
en braves 333.
Titye 66 ; 205.
Tokharien (= Langue I) XVII, n. 1.
Tombeau, propriété de la gens 392 ; — mai-
son du mort 15 ; 24. — Vie dans le t.
14 ; 52 ; — t. en forme de porte 263. v.
Sépulture.
Topheth 444 ; 448, note 5.
Torches autour du mort et dans le convoi
funèbre 49.
Torrenova, inscription, 250 ; 254.
Torre San Severo, sarcophage du m* s. avant
INDEX
501
J.-C.j légendes helléniques et démonologie
étrusque 62.
Tourments des coupables outre tombe vien-
nent de leur imagination 371. v. Acte, Ima-
gination, Supplices.
Toussaint, en Allemagne, aliments préparés
sur la table et lampe allumée pour les
mort 398. — Auvergne 466.
Trajan, sa mort annoncée par Phébus 292 ;
— port et phare, pris en symbole de la
navigation des âmes 285.
Transfiguration du Bouddha 416. — T. du
Christ 430 ; — de Ruysbroeck 431.
Transmigration, origine de la doctrine 196 ;
— conçue comme doctrine de rétribution
197 ; — dans des corps d'animaux 364 ; —
niée d'homm'a à animal 203. v. Métempsy-
cose.
Trépassés, leur triple commémoration 172.
V. Morts.
Trévise, jugement dernier (sacristie de la
cathédrale) 452 note.
Tribunal de l'Hadès 67.
Tricliniutn dans le tombeau 38.
Triglav, dieu cheval à Stettin 416.
Trimalcion sur les demeures des morts 26.
Tploooî 279.
Trismégiste. v. Hermès.
Trois cieux superposés 143 ; 155 ; 184.
Trône vide 411. v. Siège.
Trygée enlevé au ciel sur un scarabée 146.
TuUia, fille de Cicéron, sa mort 163.
Tullus Hostilius, mort foudroyé 331 ; — en-
levé par la foudre selon Cicéron ibid.
Turkestan chinois XVII ; XIX, n. 4.
Tyché, son rôle grandissant après la mort
d'Alexandre 113.
Typhon 262.
Tyrtée 332.
Un, selon Plotin, comparable au Soleil 347;
Unguenta exotica 46.
Univers, sa constitution 4 ; — selon l'astro-
logie chaldéo-égyptienne 191.
Universalisme des mystères orientaux 261.
Upanishads situent la Lune et le Soleil au-
dessus des étoiles 143 ; — professent l'im-
mortalité stellaire, solaire et lunaire 147 ;
— le Samsara 197 ; 408 ; — atmosphère
de la Lune, séjour des âmes 172 ; — in-
fluence des U. sur Plotin 346.
Urbs, 381. V. Rome.
ûrpâ, signe solaire entre les soturcils du Boud-
dha 416.
Urne cinéraire en forme de hutte 15 ; 25.
Vaës (Mgr) XXIX. -
Vaisselle dans les tombes 26. v. Simpelveld.
Valerius Flaccus, Argonautiques imitées de
Virgile 72.
Valhalla, ses joies promises aux guerriers
Scandinaves 332.
Van mystique 209 ; 251 } 403 note.
Varron apparaît chez Ovide sous le discours
de Pythagore 201 j — cite Lyra ouvrage
orphique 248.
Varuna 416.
Vatinius, pythagoricien 152.
Végétarisme de Porphyre 306.
Végétaux, V. Plantes.
Véhicule = ojT\\t-OL des âmes 276; 283 ss. ;
— rayons du Soleil 276 ; '293 5 364 ; 380;
— foudre 330.
Veillée du défunt, accompagnée de ripaille
chez les Celtes de Gaule, Bretons, Irlan-
dais, Germains 21.
Veiovis, vieille déité italique, dieu maléfique
des ombres, son temple sur le capitole
57-58.
Vendetta 31; — obligation, en cas de meurtre,
pour chaque membre de la gens de la vic-
time 59.
« Vénérable de la Lumière » XVII.
Ventilation dans les Mystères de Bacchus209.
Vents, génies des v. dans l'ivoire du British
Muséum. 297 ; — Divinités vengeresses et
purificatrices 208 ; — leur rôle dans le
voyage d'outre-tombe 208 ; 286 ; 297 ; —
aident ou contrarient l'ascension des âmes
175 ; 297 ; — les purifient par leurs tour-
billons, ib. ; — véhicules des démons 78 ;
— et des âmes 364 ; — ravisseurs des âmes
326.
Ventre chez Bpicure 141 ; — chez Sénèque
167.
Vénus, 5 ; 309 ; — emporte César au ciel 183.
Verbe, assimilé au Nous 383 ; — sa vertu
créatrice 457 n. 1.
502
LUX PERPETUA
Verethraghna, peut-être identique à Hercule
416.
Vertu, selon les Stoïciens, déifie qui la pos-
sède 333 ; — selon Porphyre, se divise en
quatre classes, dont la plus haute est para-
digmatique 377; — selon Jamblique en cinq
classes, dont la plus haute est hiératique
ibîd.
Vêtements dans les tombes 26. — V. blancs
à l'initiation et au baptême 422. — V. des
âmes 293 ; 351 ; 378 ; — elles s'en enve-
loppent en descendant, et s'en dépouillent
en remontant 355 ; 358 ; 364 ; — dans le
Zohar 429. — V. de lumière 430. v. Trans-
figuration.
Viatique dans la tombe 391.
Vibia, fidèle de Sabazius, emportée aux En-
fers par Pluton 215 ; 257.
Victimae pascali, séquence de Pâques 234.
Victimes noires offertes aux morts 97 ; 104 ;
106.
Victoire aptère 438.
Vie humaine comparée à la vie intra-utérine
399; — préparation à une immortalité bien-
heureuse 3 ; — conceptions diverses de la
vie d'outre-tombe, 3 ; 11 ; 14.
Vierge Marie, née à sept mois 414.
« Villa des Mystères '» à Pompéi 246.
Vin, libation de v. 33 ; — v. dans le culte
bachique, 33 ; 255. — V., miel et lait 452;
— V. et lait mêlés 426. v. Breuvage.
Violateurs de sépultures 107 ; 320 ; 458.
Violettes, dies violae 37 ; 45, v. Pleurs, Ro-
salies.
Virgile, trois éléments dans l'homme, corps,
âme, eidôlon 190 note 6 ; — métempsy-
cose 200 ; — purification par les éléments
209 ; — deux classes de criminels, con-
damnés à temps ou à toujours 68 ; — n'in-
siste pas sur les supplices d'outre-tombe
220 ; — guerriers tombés à l'ennemi sont
aux Champs Elysées 333; — IV^ £g/. 246;
— n'est pas sûr que l'hémisphère inférieur
soit ténébreux 195 ; — Aen. 6, descente
aux Enfers 71 ; 212. — Description des
Enfers empruntée au fonds hellénique 71 ;
— son influence sur la; poésie postérieure 72.
Vision (opaariç) de Critodème 311.
Vision de Dieu chez S- Augustin 383 ; 434 ;
— chez S. Paul, îbid. ; — V. béatifique
302 ; 347 ; 357 ; — chez Plotin 386 ; •—
son anticipation dans l'extase 266 ; 347 ;
357 ; 367 ; — chez S. Thomas d'Aquin 434.
Visions de l'Enfer ou du Purgatoire, suite des
anciennes catabases 65.
Visiteurs assis dans le tombeau 38.
Vocératrices en Corse 20.
Voie appienne dans Apocolok., suivie par les
empereurs pour aller chez les dieux 281.
Voie lactée, chemin des morts 174; 182; 280;
— selon Paulin de Noie, suivie par Elle et
Hénoch 281. — Séjour des trépassés 174 ;
— séjour des justes 182. — Selon Numé-
nius, formée d'étoiles qui sont les âmes des
justes 345.
Voies (les deux) dans Eccli. 21 ^^ 281 ; —
dans littérature chrétienne ib.
Voile, figure voilée, ombre du trépassé 389;
— ombre de Vibia défunte 257.
VoUgraff, sur l'inscription de Dîdyme 400.
Volterra, monstre marin sous les pieds des
chevaux symbolise le voyage au-dessus de
l'Océan 291.
Voyage au ciel durant la vie 144 ; 288 ; 294;
300. V. Cieux, Borak.
Voyage d'outre-tombe 68; 276; 284; — chez
les Etrusques à pied, à cheval ou en voi-
ture 277 ; — selon Virgile Aen. 6 : 279 ;
— âmes transbordées de la barque de la
Lune au vaisseau du Soleil 173 ; 284.
Vrykolakes, en Grèce vampires malfaisants
341. V. Biothanati.
Vue de Dieu divinise 149 ; 155 ; 266. —
V. Vision, Contemplation.
Vulci, sarcophage, le mort accueilli par ses
proches 394.
Vulférius, moine, sa vision à St-Jean de Réo-
mc 445.
Walbersdorf, stèle 210.
Xénocrate, ses idées sur les démons 80 ; 228;
— suit Platon sur l'immortalité 149.
^-îavov 437.
Xsa^râ, v. Khsathra.
y, symbole pythagoricien 278.
Yahweh XXI 5 465 — premier-né dû à Y.
INDEX
503
426 n. ; — Jacob lutte avec l'Ange de Y.
410 ; — taureau, image de Y. 439 ; — char
de Y. 416 ; — chariot de l'Arche d'alliance
ibid. ; — chevaux du Soleil à l'entrée de la
maison de Y. ibid. ; — dédicace du temple
439 ; — intronisation de Y ibid. ; — Saba-
zius assimilé à Y. Sabaoth 259 ; — Béthel
identifié à Y. 440 n. 3.
Yazatas, satrapes divins d'Ahoura Mazda 229-
230 ; — Y. et dévas 299.
Yczidis, professent la métempsycose 198.
"l'ij^iaxo!; = Très Haut, Dieu dans la lumière
infinie, au-delà des sphères étoilées 187; —
âmes, selon les néoplatoniciens, peuvent
s'élever jusqu'à lui 182 ; — 301, n. 2. v.
Ahoura Mazda, Empyrée, Garôtman.
Zacharie, ,pape, condamne en 748 les tenants
des Antipodes 194.
Zacharie le Scolastique sur les meurtres com-
mis par les magiciens 108; — combat l'idée
que les dieux fuient la croix, signe de mort
violente 339.
Zagreus, mythe orphique 251 ; 322. v. Bac-
chus, Dionysos, Orphisme.
Zarmanos l'Indien 337, note 3.
Zatchlas, prêtre d'Isis chez Apulée 101.
Zenon XXVII ; 113 ; 226.
Zervan Akarana XXI, n. 1.
Zeus Katabaitès, foudroie ses élus 330. —
Mystères de Z. en Crète 238 ; — Z. Hélios,
Mithra, Phanès 249 ; — Z. Oromasdès =
Ormuzd = Ahoura Mazda 226 ; 272.
Zodiaque 297 ; — parcouru par Shamash
XIX, n. 2.
Zohar XXI ; — Sur le sommeil 415 ; 465; —
sur le vêtement des âmes 429 ; — sur l'os-
selet imputrescible 466.
Çwvatot, dieux présidant aux sphères célestes
363.
Zoroastre, considéré à tort comme nécromant
100 ; — foudroyé, objet d'xin culte sur le
lieu même 331 ; — sa descente aux Enfers
396 ; — sa théophanie 454 ; — sa pro-
phétie chez le ps.-Hystaspc ibid.
TABLE DES MATIÈRES
Avertissement de l'Editeur V
Notice sur Fraiis: Cumont VII
INTRODUCTION i
Chapitre premier
LES VIEILLES CROYANCES 13
L — La vie dans la tombe ib.
Selon Cicéron, culte des morts implique espoir d'immortalité, 13. — Permanence
de ce culte, ib. — Stratification des idées religieuses antiques, 14. — Ni credo, ni
orthodoxie canonique, ib. — Mélange de races et de civilisations, ib. — Idées d'épo-
ques diverses rapprochées en un synchronisme apparent, ib. — Dès l'âge de la pierre
on croit en Italie à la survie dans la tombe, 15, — même chez les incinérants, ib.
(NC. I, f. 38y). — Urne en forme de hutte, ib. — Persistance de la sensibilité dans
le cadavre, ib. — Soins donnés à la momie en Egypte, 16. — Opposition entre Epicu-
riens et Stoïciens, ib. — L'incinération donne à concevoir une force distincte du corps,
17, — qui subsiste dans le tombeau, ou dans l'urne cinéraire, ib. — Pourtant le cadavre
est impur et souiEé, 18. — Ablutions après les funérailles, ib. — Ueidôlon, double,
âme-image, ib. — Rites funéraires communs aux Indo-Européens, ib., — liés à la cons-
titution de la Société en gentes, ib. — et se retrouvant même chez les Sémites, 19. —
Ils procèdent de la crainte qu'inspirent les morts, ib. (NC. Il, p. sçi). — Lamentations,
20. — mutilations, ib. — Moribond déposé sur le sol devant la porte, ai. — Veillée
mortuaire bruyante, ib.. — Nécessité des funérailles religieuses, qui fixent l'ombre dans
le tombeau, 22 [NC. XXXI, -p. 436). — Les insepulti redoutables, ib. — Rôle du céno-
taphe, 23, — de l'os resectum, ib. (NC. I, p. 387). — Réaction des philosophes, ib. —
peu efficace, ib. — Protection des tombeaux, 24 ; — collèges funéraires, ib. — Punus
imaginarium, ib. — Chez les chrétiens, ensevelissement régulier nécessaire à la résur-
rection, ib. {NC. XXXV, -p. 445 et 446).
Tombeau, maison du mort, 24, — sur le même plan que celle du vivant, 25 ; —
pourvue d'ustensiles domestiques ou de leur représentation (tombe des stucs à Caeré),
ib. — Sarcophage de Simpelveld, ib., — domus aeterna, où se reconstituera la vie com-
5o6 TABLE DBS MATIERES - ..
mune de la famille, ib. — où l'âme est fixée pour toujours, anîmam se-pulcro condimus,
26. — Elle n'y dort pas, ib. — A besoin de ses ustensiles habituels, 27, — ou du moins
de leur image, ib. — ou de ce qui en subsiste après l'incinération, ib. — Le tombeau
propriété du défunt, Grégoire de Tours, ib.
II. — Les offrandes funéraires 2g
Besoins des morts, aliments, libations, 29 ; — périodiquement renouvelés, ib. —
ttibe conduisant les liquides au cadavre, ib. — notamment de l'eau fraîche, 30. — Sacri-
fice de l'épouse, des serviteurs, amis, animaux familiers, ib. — Vendetta, 31. — Philo-
poemen, César, ib. — Offrande de la chevelure, ib. — Gladiateurs chez les Etrusques,
32, — et à Rome, ib. — Le sang, siège de la vie, âme, ib. — sacrifices d'animaux à
pelage noir, ib., — même chez les chrétiens, ib., — et les musulmans, 33 ; — vin, lait,
miel, huile, 33 ; — melikraton, ib. — Olivier, symbole de survie, 34. — Même usage
dans la magie, ib. — Aliments solides : œufs, pains, fèves, lentilles, farine, avec du sel,
ib. — Repas funéraires, silicernium, ttîcîoe'.tîvov, 35. — en silence, 36 {NC. 11, -p. ^gi)
— dont les reliefs sont abandonnés aux morts, ib. — Triple commémorais on, ib. {NC.
XIX, -p. 414) — aux dates critiques de la décomposition, ib. — Repas anniversaires, 37
— souvent par fondation, ib. — tombeaux pourvus de sièges, salle à manger, cuisine,
38. — Pi-otestation des philosophes, ib. — Mort appelé, par son nom, à prendre part au
repas, 3g. — circumfotatîo, ib. — pour les participants, morts et vifs, gage d'immor-
talité, 40. — Persistance de ces coutumes, 40 — malgré l'opposition des évêques, notam-
ment de S. Augustin, ib. — Leur survivance en Grèce, 41 {NC 11, -p. 3çi).
Influences égyptiennes et orientales : offrandes de fleurs, aromates, cierges allumés,
42. — Sommeil et mort, ib. {NC. XX, p. 415)- — Le « gisant », ib. {NC. XXXV,
p. 450). — La CTTiêàç en feuilles d'olivier, de laurier, de lierre, symboles d'immorta-
lité, ib. — Cé-potafhes et paradis, 43. — leur caractère à la fois religieux et utilitaire,
44. — Jonchées de fleurs, couronnes, guirlandes, ib. — Dies violae, dies rosae, 45 —
fleurs pourpres, 45-46. — Aromates, encens, 46. — Funérailles d'Hérode et de Sylla,
ib., — de Poppée, 47. — Lumières et fumigations mettent en fuite les démons, ib. —
hommages rendus au mort héroïsé, 48. — Lampes ou simulacres de lampes pour éclairer
le séjour souterrain des morts, ib. — La lumière met en fuite les démons, 4g {NC. XV,
■p. 40c). — Torches ou cierges autour du cadavre, ib. — La lumière réveille les morts
et leur donne l'immortalité, ib. — elle donne l'illumination, iè. — Cierges dans les cime-
tières chrétiens, 50, — d'abord interdits, ib., — puis acceptés, 51, — comme symboles de
la lumière éternelle, ib. — et du triomphe sur la mort, ib. — Persistance des idées
anciennes, 52. — Le défunt aime à être appelé par son nom, ib. — Il reste mêlé à la
vie dés survivants, 53 ; — enterré au bord de la route, au voisinage des passants, ib.
— Folklore funéraire à l'heure actuelle, 54. — Culte du soldat inconnu, ib.
m. — Les Enfers souterrains SS
De la notion de vie dans le tombeau, l'on passe à celle de vie en commun dans
les Enfers souterrains, 5^. — Les entrées de l'Hadès, Ploutôneia ou Charôneia, 56 —
en Italie, Averne, Cumes, vallée de l'Ampsanctus, ib. — Existence anémiée des ombres,
dans l'Hadès et l'Orcus comme dans le Sheôl et l'Arallou, 56-57, — L'^ciem:ïe religion
TABLE DES MATIERES 507
romaine n'a connu ni les juges infernaux ni Charon, t^'j. — Figures sans relief d'Orcus
et de Veiovis, ïb. — L'ombre est accueillie par les Mânes, 58 — ou repoussée lorsque
le corps n'a pas été régulièrement enseveli, ih.^ — souvenir du vieux droit de la gens,
th. — Mort conduit par les Mânes à l'Orcus, comme par les images des aïeux au tom-
beau, ih. {NC. III, -p. 3Ç2). — 'Thème vulgarisé dans les éfîcèdes, 59. — Les Mânes
protègent leurs descendants, ib. — Ils peuvent aussi abréger leur vie, ih.
L'antiquité de la notion d'Orcus est démontrée par le Mundus et le La-pis manalis,
59-60. •— Influence des Etrusques, mal éclaircie, mais certaine, ib. — Tagès et les Lihri
Acheruntici, ih. — Les Etrusques croient à des Enfers souterrains peuplés d'horribles
démons qui châtient les réprouvés, 60-61. — Les di animales et les combats de gladia-
teurs, 61. — Métempsycose et immortalité, ib. — Sarcophage de Torre san Severo, ib.
Influence de la Grande-Grèce sur Rome, 62- — Les lamelles dites « orphiques »
et les amphores apuliennes, ib. — Tarente, l'école pythagoricienne et les divinités dio-
nysiaques, ib. — son influence sur Rome, 63. — Influence de Sophocle et Euripide, ïè.
— Peines de l'Achéron chez Plaute, ib. — Dieux chthoniens, à la fois dieux de la
végétation et hôtes des morts, 64. — Les catabases, ib. — et leur Hadès plein d'horreur,
ih. (NC. IV, -p. 395)- — Le démon Eurynomos de Polygnote, iè. — La Nékyia, Orphée,
Hercule, 65. — Le mythe d'Er l'Arménien ib. — Le royaume des morts et ses fleu-
ves, 65. — Charon, ih. — Sort commun de tous les morts, sans châtiment ni récom-
pense, 66, — sauf pour quelques grands réprouvés, ih. — qui, sous l'influence orphique,
deviennent les prototypes des damnés, ih. — Notion orphique de la pureté et de l'impu-
reté, cause de bonheur ou de malheur dans l'au-delà, 67. — Les trois juges des morts,
ib. — Les deux demeures de l'Hadès : Champs-Elysées et Tartare, 68. — Plaisirs et
jeux des Champs-Elysées, 68-69. — Virgile et Ovide, 69. — Ombres silencieuses, 70. —
Législation du royaume souterrain, 70. — Les démons exécuteurs des sentences, 71. —
Le VI^ Livre de l'Enéide, 71-72, — et ses tendances néo-pythagoriciennes, ib. — Valé-
rius Flaccus, Stace et Silius Italicus, ib. — Claudien, 73. — Les épicèdes (NC. III,
p. 3Ç5), Properce, ib. — Horace, Tibulle, ib. — Epitaphes métriques, ib. — Echos chez
les chrétiens, jusqu'à la Renaissance, 74. — La sculpture funéraire, 74-75. — Lucien,
75. — La croyance aux Enfers souterrains survit à la mythologie, ih. — Papyrus magi-
ques d'Egypte, ib. — Nécromants, 75-76. — Foi populaire romaine : Vibia aux Enfers,
76. — Une épitaphe en Phrygie, 76-77.
IV. — Fantômes et Nécromants 78
La notion de l'âme aérienne, 78. — Ame du moribond recueillie dans un baiser,
ib. — faute de quoi les vents l'emportent dans l'atmosphère, ib. — Air plein d'âmes,
selon les Pythagoriciens, ih. — ôalacov et numen, ib. — de forces impersonnelles,
deviennent des êtres individuels 78-79, — qui peuvent être attachés à chaque homme,
79. — Génies et Djinns, ib. — Esprits des trépassés assimilés aux démons, ib. — intei--
médiaires entre le monde divin et le monde humain, 80. — Le Banquet de Platon, ih.
— Xénocrate et la tradition platonicienne, 80-81.
Désormais les âmes des morts libérées de la chair, peuvent s'élever vers le ciel, 81 ;
— mais, faute de s'être libérées, demeurent des fantômes errants, 81-82. — Soupiraux
des. Enfers, 82. — Le Mundus, ib. — Anthestéries et Lemurfa, ib. (NC. V, p. 396). —
5o8 TABLE DES MATIERES
Lémures et Larva 83. — Tarentalia^ ih. (NC XXX, -p. 435). — Nécessité des funérail-
les religieuses, ib. — Les insefuUi, esprits errants, 84 ; — et les ahorî, ib. — Maisons
hantées, ib. — Intervention des morts dans la vie de ce monde 85. — « Epiphanies »,
86. — Héros ou demi-dieux, ib. — « Incubation » ib. — Hésiode, ib. — Platoniciens,
Maxime de Tyr, ib., — contre les négations épicuriennes, 87. — Les Recognitiones cle-
mentinae, ib. — Plotin invoque, en preuve de l'immortalité, le culte rendu aux morts, ib.
— Epitaphe romaine, 87-88. — Larves, fantômes dangereux, souffrants et errants, 88.
Apulée, 88. — Arignotos chez Lucien, ib. — Négation des Epicuriens et de Pline
l'Ancien, ib. — Scepticisme d'Horace 89. — Opposition de Sénèque, ib. — Hésitations de
Pline le Jeune, ib. — et de Plutarque, ib. — Lucien, ib.
JJeidôlon a l'apparence de la vie, 90. — Son intelligence dépasse celle de l'homme
incorporé, ib. — Il peut prédire l'avenir, 90-91. — Le rêve, 91, — révélation d'un dieu
ou d'un héros, 92. — Oniromancie, ib. — Artémidore de Daldis et ses Oneirocritiques,
ib. — Oniromancie chez les chrétiens, ib. — Clefs des songes, ib. — Apparitions de
morts, 93. — Pendant le sommeil l'âme abandonne le corps, ib. (NC. XX, -p. 415), —
voyage, entre dans le monde des esprits, converse avec les défunts, ib. — Pythagoriciens,
94. — Incubation et vîy.uo[j.avTeta, ib. — Fantômes messagers de mort, 95, — vengeurs
des négligences à leur égard, ib. — pourvoyeurs de cauchemars, instigateurs de remords,
ib. — Le Culex, ib. — Télépathie, ib. — Songes au petit matin, la sandale de Demai-
neté, 96. — Apparitions à l'homme éveillé, ib. — Evocation des morts, la Nekyia,f)j; ~
peu pratiquée dans la religion grecque, 98 ; — admise par les Pythagoriciens, fè.. — Nigi-
dius Figulus, ib. — A Rome la nécromancite est combattue par le respect des tombeaux,
98-99 ; — la magie réputée crime, 99. — La nécromancie dans les religions orientales,
ib. — Saûl et la pythonisse d'Endor, ib. — Influence des Perses, ib. — Ostanès ib. —
Mages d'Asie mineure, 99, — sacrifice du loup à Ahriman, ib. — Les Perses d'Eschyle
et l'apparition de Darius, ib. — Zoroastre nécromant, 100. — Liturgie des puissances du
mal, ib. — L'Egypte et Nectabis, ib. — Papyrus magiques, loi. — Zatchlas, prêtre d'Isîs
chez Apulée, ib. — Ethiopiques d'Héliodore, ib. — Lucain, Silius Italicus, Stace, Valerius
Flaccus, 102. — Horace, Ovide, Sénèque, i&. — Législation contre la nécromancie, 103,
— violée par Caracalla, ib. — Attrait de ces pratiques, ih. — Idée persistante que le
mort réside dans son tombeau 204, — que l'âme du mort conserve avec le corps des
liens mystérieux, ib., — d'où la magie sympathique, ib. — La nécromancie pouvait rap-
peler les morts de l'Hadès, 105, — mais surtout utiliser les âmes errantes ou aériennes,
ib. — Pratiques de sorcellerie, 106. — Les tabellae defixionum, ib. — Crâne, cheveux,
corde de pendu, 107. — Violations de sépulture, ib. — Grimes rituels, meurtres d'enfants,
;■&., — d'esclaves, 108. — Ni les lois de l'Etat, ni la puissance de l'Eglise n'ont eu rai-
son de la sorcellerie, ib.
Chapitre H
LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE 109
I. — Variations de l'Académie, d'Aristofe et des Stoïciens ib.
Utilité sociale de la crainte des Enfers, Polybe et les Scipions, 109. — La négation
de Démocrite, 1 10. — Platon contrebattu par ses propres disciples ib. — Scepticisme d'Ar-
TABLE DBS MATIERES 509
césilas, ib. — Carnêade et son probabilisme, îb.^ — expulsé de Rome par le Sénat, m.
— Son influence sur Cicéron, ib. — Aristote, évolution de sa pensée, ib. 5 — se détourne
des spéculations sur l'âme et sur l'immortalité personnelle, iiz. — Alexandre d'Aphro-
dise, ib. — Stoïcisme et épicurisme, ib. — Le triomphe de la X^ychè après la mort
d'Alexandre, 112-113. — Témoignage de Polybe, 113. — Le Sage de Zenon, ib. —
Macrocosme et microcosme, ib. — rvûo voeoov. déterminisme et Ecpyrosis, 114. — Ame,
parcelle du Tcûp vospov, souffle igné, ib. — Ecpyrosis et palingénésie, ib. — Panthéisme
matérialiste, immortalité relative et limitée, ib. — Variations du Portique, 11 4- 115. —
Panétius. et Cornutus nient toute survie de l'âme après le décès, 115. — Syncrétisme
stoïco-pythagoricien, Posidonius et Sénèque, ib. — Epictète opposé à toute immortalité,
215-216. — Marc Aurèle, 117, — incline vers l'ancien stoïcisme et la négation de toute
survivance, 117-118. — Sa vieillesse obsédée par la pensée de la mort, 118-119 (NC.
^^> P- 399)- — Son aversion pour les chrétiens, 119. — L'idée du stoïcisme est de réa-
liser la sagesse, et cette réalisation une fois acquise, lui suffit, ib. — La question de la
survie relève pour lui de théories physiques ou psychologiques, non morales, 120.
L'élément terre étant aggloméré au centre du monde, les Enfers ne peuvent être un
hypogée, ib. — Ni les corps des héros ne peuvent s'élever vers le ciel, ni les âmes du
vulgaire descendre dans le sol, ib. — Posidonius contre les fables du Tartare, ib. — Inter-
prétations allégoriques, 121, — qui n'empêchent pas l'âme de se dissoudre dans l'air et
le feu cosmique, <ô. — Epitaphes, 121-122. — La mort est la disparition dans le sein de
la Nature divine, 122. — Il faut se soumettre au Destin, ib. — Déterminisme stoïcien lié
à celui de l'astrologie babylonienne, 123, — qui borne son horizon à la vie de ce monde,
ib., — ne traite pas de l'immortalité, et aboutirait logiquement à la négation de tout
culte, ib.
IL — La négation d'Eficure 124
L'atomisme de Démocrite conduit Epicure à considérer l'âme comme un assem-
blage d'atomes, 124, — qui se forme avec le corps et se désagrège avec lui, ib. — Les
simulacres vus en rêve sont aussi faits d'atomes qui seuls subsistent après leur dispari-
tion, 125. — La mort n'est point à redouter, puisque nous périssons tout entiers : IIIs
livre de Lucrèce, ib. — Cette conviction donne au sage le calme de l'ataraxie, 126. —
Cassius, Pline l'Ancien, Les XLroyennes de Sénèque, ïb. — Lucien, 127. — Lutte des
Mystères contre l'Epicurisme, ib. — Alexandre d'Abonotichos, ib. — Julien l'Apostat,
ib. — L'Epicurisme disparaît, mais il a détruit la foi aux fables des Enfers, ib. —
Cicéron, Juvénal, Pline l'Ancien, Plutarque, ib. — Inscription d'Oenoanda en Lycie,
128. — Esclaves et gladiateurs, 128-129. — Professions de foi épicuriennes, 129. —
Bonne chère et plaisirs, 129-130. — Gobelets d'argent de Boscoreale, 130. — Horace,
130-13 1. — Callimaque, 131. — Epitaphes : la plupart ignorent la vie future, 132-133.
— Scepticisme : Tacite, Cicéron, 133. — Memoriae aeternae, 134. — Commémoration
de la naissance d'Epicure, ib.
Déclin du rationalisme et renouveau religieux, 135. — Influence de la rhétoriqtie,
qui ne se préoccupe pas de la vérité, mais de la vraisemblance, ib. — Transformation
de l'éducation, 136, — qui se détourne de l'esprit critique et permet une renaissance et
une « perversion de la piété », ib. — Messages de l'antique sagesse révélée aux sages
d'Egypte, Perse, Chaldée, Inde, ib. — Mystères orientaux, ib. — Le poids de la vie
510 TABLE pES MATIERES
présente fait aspirer au bonheur dans l'au-delà, 137. — Diffusion du pessimisme orphi-
que, ib. — Lutte entre la négation épicurienne et l'affirmation pytliagorico-platoni-
cienne, 138. — Décadence de l'épicurisme due à son opposition à la vie future, ib.,
— qui heurte l'espoir d'une rétribution postIium:e, 139, — et surtout l'instinct de per-
manence dans l'être ; Plutarque : mieux vaut souffrir que n'être plus, ib. — Al'anes-
thésie d'Epicure, Stoïciens et Platoniciens opposent l'inexprimable félicité des justes,
les premiers jusqu'à Yecpyrosis, les seconds pour l'éternité, 140. — Le Stoïcien peut
consentir à la dissolution de l'âme par respect pour le cosmos ordonné par la Provi-
dence, ib., — tandis que tout, selon l'épicurisme, étant l'œuvre d'un aveugle hasard,
il est difficile de se résigner à une destinée sans raison, ib. — Epicure se dérobe dis-
crètement à ce qui peut troubler son ataraxie, 141. — Il exclut tout désintéressement,
tout altruisme, tout effort vers le progrès, ib. — et ainsi mutile l'homme et le diminue,
ib. — La foi plotinienne offrait d'autres ressources, ib.
Chapitre III
L'IMMORTALITE CELESTE 142
I. — Les origines orientales et les Pythagoriciejis ib.
Révolution : à la vie obscure du tombeau ou de l'Hadès se substitue l'espoir de
l'immortalité dans la Imnière des cieux, 142. — Origine indo-iranienne de cette croyance,
143. — Dualisme zoroastrien : impies précipités du pont Cinvât, justes montant vers
les étoiles et la lumière du Garôtman, ib. — Base astronomique du système : les trois
cieux superposés : astres, lune, soleil, ib. — Les Maguséens, mages de Babylonie et
d'Asie-Mineure, 144, — combinent le naturisme iranien primitif avec l'astrolâtrie chal-
déenne, ib., — apprennent à distinguer des étoiles les planètes, ib.; — aux trois cieux
superposés substituent les sept sphères planétaires, ib., — et imaginent la parenté
(jjvyévî'.a) entre l'âme et les astres d'après l'affinité entre la chaleur animale et le feu
céleste, ib. — Pythagoriciens en relations avec les Maguséens, 145. — Reçoivent d'eux
le respect du coq blanc, ib. {NC. XV, -p. 40g), — et l'immortalité dans les cieux, ib.
La distinction du corps périssable et de l'âme immortelle apparaît à Athènes dans
l'inscription du Céramique, 146, — et chez le ps.-Epicharme, ib. — Aristophane, ?aix,
vers 827 ss., ib. — Akousma pythagoricien sur les Iles des Bienheureux, ib. — Ancieime
idée que la lune est le séjour des morts, i^. — Le croissant en Afrique et en Gaule, iè.
L'immortalité pytliagoricienne est, comme celle des Indo-Iraniens, luni-solaire, 147.
— Divinité des corps célestes démontrée par leur mouvement circulaire, ib., — auquel
celui de l'âme s'apparente, ib. — Les âmes selon les pythagoriciens et les fravashis
des Iraniens, celles-ci déités aériennes qui vivent entre ciel et terre, s'incarnent dans un
homme ou un animal, et lui survivent, celles-là parcelles du feu céleste, qui deviendront
après la mort des démons peuplant les airs, 147-148. — Platon, qui a connu Archytas,
Eudoxe, et peut-être un « Chaldéen », ib., — admet la préexistence et la survivance
célestes de l'âme, ib. — Le mythe d'Er l'Arménien, ib. — Caractère divin des astres
et de l'âme, 148-149. — Contemplation des astres, anticipation de la béatitude, 149. —
Les Néopjrthagoriciens recueillent cette doctrine platonicienne, ib. — et la développent
TABLE DES MATIERES Sn
à Alexandrie, en relation avec l'Orphisme et les Mystères, ib. — Interprétation allégo-
rique d'Homère et des anciennes traditions religieuses, ib. — Littérature apocryphe, ib.
— Pythagorisme à Rome : tradition relative à Numa ; Ennius, Cicéron, 151. — Les
deux Sextius ; Nigidius Figulus ; Vatinius ; Appius Claudius Pulcher, 152. — Castor de
Rhodes, Ovide, Antonins Diogène, ib. — L'Eglise pythagoricienne était morte au temps
de Sénèque, ib. — Mais le pythagorisme revint avec Apollonius de Tyane, ib. —
Alexandre d'Abonotichos en Asie mineure, 153. — Les Druides de Gaule, ib. — Sculp-
ture funéraire, ib. — Le pythagorisme passe, par Numénius, au Néoplatonisme, ib. —
Son influence sur les Mystères et leur « gnose », ib. — Son caractère religieux : la
basilique souterraine de la Porta Maggiore à Rome, 153-154- — Caractère quasi-monas-
tique de la vie pythagoricienne, ib. — Dualisme, pessimisme, ascétisme, 154. — La
notion de pureté ( àyvcia ) : tabous, lustrations, 155. — Musique, méditation, extase
contemplative, ib. — Rites funéraires : linceul blanc, o-7'.êàç, auspices consultés, silence,
ib. (JVC. X, -p. 405). — Survivances de vieilles idées : l'àviiyôwv, les trois cieux et les
sept sphères, 155-156.
IL — De Posidonius à Sénèque 157
Prestige de Posidonius, 157, — disciple de Panétius, ib. — Savoir encyclopédique,
voyages, ib. — Enseignement à Rhodes, ib. ; — Cicéron, Pompée, ib. — Lien entre
l'Orient et l'Occident, 158. — Ses idées sont mal connues, ib., — paraissent avoir évolué,
ib. — Athénodore de Tarse et Antipater de Tyr, 159. — Hipparque : parenté de
l'homme avec les astres, ib. — Manilius, ib. — Révélation du ciel étoile, 160, — «émo-
tion cosmique », extase, fruit d'une dévotion savante, ib. ; — anticipation de la béati-
tude d'outre-tombe. — Posidonius sur les corps célestes, ib. — N'admet ni la spiritua-
lité de l'âme ni la transcendance de Dieu, 161. — Cicéron agnostique, 161-162. — Ses
amitiés pythagoriciennes, 162. — Songe de Scifion, l'esprit paraît en relever de Posi-
donius, 162-163. — La mort de Tullia, ib. — Conversion de Cicéron à un «bon espoir»,
164. — Sénèque, son éclectisme, 164-165 — Ses variations sur la vie d'outre-tombe, ib.
— Il incline vers l'immortalité céleste, 166. — L'âme et le corps, ib. — Ascétisme, 167.
— Le sage, ib. — Purification de l'âme après la mort, par les éléments, ib. — Con-
templation, lot tout ensemble du sage et des bienheureux, 168. — Aussi ne ïaut-il pas
craindre la mort, qui nous fait entrer dans une vie meilleure, 169, — par une nouvelle
parturition, 169-170 [NC. VI, -p. jçç). — Où Sénèque semble proche du christianisme,
il se rattache à Platon, 170.
III. — Formes de l'immortalité céleste 171
On a cru longtemps qu'il y avait chaque matin un nouveau Soleil ; chaque mois une
nouvelle Lune, 171. — Leurs vicissitudes reconnues, on les met en rapport avec celles
de la vie humaine, ib. — Hécate reine des Enfers, évocatrice des revenants, ib. — La
Lune, cause de la putréfaction, ib. — Triple commémoration des morts, 172 {NC XIX, p. 414)
— Chaque homme a son étoile au ciel, «è. — Eusèbe d'Alexandrie, ib. — Astrosus = mal-
chanceux, iô. — Influence des étoiles, zè. — Les esprits des morts vont habiter la Lune:
Upanishads, 172-173 ; — Mâni, 173. — Monuments funéraires en Afrique : le croissant,
seul ou associé au Soleil et à Vénus, ib. — Le croissant chez les Celtes, appartient au
vieux fonds indigène, ib. — Influence possible du pythagorisme et des Mystères de la
512 TABLE DES MATIERES
Grande Mère sur les Druides, ib. — Les morts suivent le Soleil dans son déclin, et
reviennent avec lui : • Egypte, 173-174. — Le soleil psychopompe, 174. — Les morts
deviennent des étoiles, ib. — La Voie lactée, séjour des trépassés, ib. ; — ■ route des
morts vers le sommet du monde, ib.
L'immortalité astrale ne relève pas de ces croyances populaires, mais d'un système
scientifique de cosmologie et d'astronpmie, 174. — L'atmosphère, lieu de passage, 174.-
175, — « rempli d'âmes » selon les Pythagoriciens, 175. — Rôle purificateur des Vents,
ib. — Assistance d'un dieu psychopompe, ib. — Les Iles bienheureuses dans le Soleil
et la Lune, ib. — Pythagore dans la Lune avec Orphée et Platon, 176. — ■ Royaume
d'Artémis, ib. — Lucien, Histoire véritable, ib.
Posidonius : Les âmes, souffles ignés, s'élèvent, purifiées par les Vents, 176. —
Elles sont sphériques, ib. ; — chœur animé autour de la Lune, qui n'est pas leur
séjour, mais leur centre : Lucain, Julien l'Apostat, 177. — Limite entre le monde supé-
rieur et le monde d'ici-bas, ib. — Aristote, Néo-pythagoriciens, Néo-stoïciens, 177-178.
— Bas-relief romain du musée de Copenhague, 178 (NC. VU, f. 3çç).
Prééminence du Soleil, au quatrième rang des planètes, comme un coryphée, menant
le chœur des astres, 179. — Assimilé à Apollon Musagète, ib. — « Cœur du Tout »,
ib. — Intelligent, -ùp vosaov, ib. — Créateur de la raison humaine, préside à la nais-
sance des âmes, 180. — Les attire après la mort, sur le véhicule de ses rayons, ib. —
Le Soleil anagogue, ib. — Mouvement alternatif d'émission et d'absorption, ib. —
Créateur et sauveur. Sol invictus, ib. — Calendrier et eschatologie luni-solaires, 181. —
Mythe de Plutarque, De facîe in orbe Lunae, ib. — Sarcophage du Vatican, ib. — Cippe
romain du Louvre, 181-182.
Immortalité stellaire, dans la sphère des fixesj 182, — ou au-dessus, chez le Très-
Haut, "rdi'.<7To;, ib. — L'âme-étoile, 183. — Catastérisme : Hercule, Castor et Pollux,
Persée et Andromède, ib. — La comète de César, ib. — Antinous, ib. — Extension de
cette foi, 183-184. — Marbre d'Albano, 184, — épitaphe de Milet, ib.
Combinaison de l'immortalité stellaire avec l'immortalité luni-solaire, ï6. — Les trois
cieux, trois étapes de l'ascension de l'âme, 184-185. — Les sept sphères planétaires :
Maguséens, Mystères de Mithra, Numénius, 185-186. — Les âmes se vêtent en descen-
dant, et acquièrent des passions et des facultés dont elles se dévêtent en remontant, 186.
— Une fois nues, elles atteignent le huitième ciel où elles entrent dans l'éternelle
lumière et la béatitude, ib. — L'échelle mithriaque, ib.
Le Dieu platonicien, transcendant au monde, dépouillé de toute matière, ib ; — se
substitue au Dieu immanent, âme du monde, du panthéisme stoïcien, 187 ; — siège
dans l'Empyrée {NC. VIU, -p. 400), Père céleste, "TtL'.crToç, Ju-p-piter Siimmus Exsupe-
rantissimus, ib., — accueille dans son sein les parfaits, ib.
Le judaïsme reçoit des « Chaldéens » les sept cieux : Livre d'Hénoch, ib., — qui
passent chez les chrétiens, ib. — Origène : les âmes, après avoir séjourné au Paradis,
s'élèvent dans la zone de l'air et, si elles en sont dignes, entrent dans les « demeures
des cieux », 187-188 ; — et si elles sont devenues de pures intelligences, jouissent de
la vision béatifique, 188. — Repos dans la lumière éternelle, ib. — Le Paradis de
Dante, ib. — Cette conception subsiste jusqu'au triomphe de Copernic et de Galilée.
TABLE DES MATIERES jij
Chapitre IV
TRANSFORMATIONS DES ENFERS 189
I. — Où placer l'Hadès ib.
La doctrine de l'immortalité céleste ea contradiction avec l'Hadès souterrain, 189,
— probablement thème ésotérique réservé a.ux ]j.%^-t\]xa~\7.o\ pythagoriciens, ib. —
Interpolation dans Odyssée XI, 601 ss., 190. — TWfjia, 'j'U'/v)) stSwXov, ib. — Pythago-
risme d'Ennius, ib. — L'âme au ciel, reiOcoAov dans l'Hadès, 190-191, — contradiction
à résoudre, 191 {NC. XUI, -p. 408).
Hadès, non plus sous terre, mais dans l'hémisphère inférieur, ib., — astrologie
chaldéo-ég5rptienne, ib. — Portes au Levant et au Couchant, ib. — Pythagoriciens :
divinités couplées, Castor et PoUux, ib. — Système de VAxiochos, 193. — Virgile et
Plutarque, ib. — Critique du système : les géographes : Antipodes, 194 ; — les astro-
nomes : impossibilité d'un Hadès ténébreux dans Vhypogeion, toute la terre étant
sucoessivement éclairée par le Soleil, 195. — Rejet de l'hypothèse d'Epicure sur l'ex-
tinction quotidienne de l'astre, ib.
Hadès transféré à la surface de la terre, 196, — qui devient ainsi Inferi, ib., — donc
lieu de châtiment, ib., — ce qu'on explique par la métempsycose, ib. — Origine de
la métempsycose, ib. — L'animisme primitif, 196-197, — aboutit à une doctrine de rétri-
bution et de libération, 197, — qui ressemble au samsara hindou, ib. {NC. XIV, f. 408),
— et sans doute en provient par l'entremise des pythagoriciens, 198 ; — peut-être aussi
de l'Egypte, ib. — Druides et Etrusques, ib. — Gnostiques et manichéens, Alaouites,
Druses et Yézidis, ib.
Alternance de descente et de remontée des âmes, fatalisme astrologique, 198. —
xûxÀo; yevscrew^, 199 {NC. XXIU, f. 418). — Châtiment et purification dans le Tar-
tare, seloin les Orphiques, ib. — Réincorporation et palingénésie, la première suivant
immédiatement le décès, la seconde n'intervenant qu'après un long intervalle de temps,
chez Platon, par exemple, et Virgile, ib. — Purifiée, l'âme remonte vers la lumière
céleste, ib. ; — souillée, elle tend à se réincarner, par l'effet d'une àvày/.-o, non cos-
mique, mais psychique. Ame responsable de son choix, Dieu innocent • {NC. XXll,
■p. 41^ 'et 465), 200.
Les supplices de cette vie doublent inutilement ceux du Tartare, ib. — Empédocle,
Pythagoriciens, Ovide, 201. — Réincorporation, loi naturelle qui fait passer les âmes,
dont le nombre est fixe, dans toutes les espèces vivantes, 201-202. — Aussi le sage
doit-il être végétarien, quoique la transmigration puisse s'étendre aux plaintes, 202. —
L'Apokolokintosis, ib. — Réincarnation, selon la valeur morale, en des animaux nobles
ou ignobles, ib. ; — épargnée aux âmes pures, 203 ; — réservée aux vicieux ; exclue
d'homme à bête, ib. — Porphyre et Jamblique, ib. — Grandeur morale de cette doc-
trine, 204.
Mythes infernaux interprétés aUégoriquement, ib. — Ce symbolisme favorise la néga-
tion épicurienne, Lucrèce, 205. — La foule s'en tient aux anciennes doctrines, 206, —
par opposition au pessimisme qu'implique la métempsycose, ib. — Optimisme de la
Grèce ancienne et Providence stoïcienne, ib. — Judaïsme et Christianisme hostiles à la
transmigration, sauf peut-être Origène, 207.
33
s 14 TABLE DES MATIERES
La doctrine qui place les Enfers dans l'atmosphère a' plus de succès, 208. —
L'âme alourdie par les appétits matériels demeure dans les bas-fonds de l'atmosphère,
peuplés de démons, ib.; — violemment purifiée par les Vents, ib., — ou portée par
eux jusqu'aux astres, ib.
Enfers étendus de la Terre à la Lune, 209. — Purification par les éléments, air, eau,
feu (Cicéron, Virgile), qui effacent les cicatrices des âmes (Stoïciens), ib. — Succès de
cette doctrine dans les Mystères, notamment de Bacchus, iô. — -Le van mystique (Xlixvov),
ib. — Hermès Trismégiste, 211. — Apocryphes chrétiens ; Mozart et La Fliite enchan-
tée, ib. — Rôle des démons dans ce Purgatoire aérien, 212. — L'âme trouve le repos aux
abords de la Lune, ib. — ou au-dessus des étoiles fixes, ib.
Le VI^ livre d&V Enéide, interprétation symbolique des Enfers, 212-2Ï3. — Per-
sistance des idées anciennes : « le sou du mort », 213- — Phraséologie des inscriptions
ftméraires, ib. — Les thèmes traditionnels de la sculpture des sarcophages, 214. —
Pourtant la foi ancienne est attestée par les tabellae defixionum, 215, — par les papy-
rus magiques égyptiens, ib., — et par Plutarque, ib. — Lifluenoe conservatrice des Mys-
tères, par exemple, de Mèn le Grand et de Sabazius, ib. ; — et des Néoplatoniciens,
notamment de Porphyre et de Proclus 215-216. — Celse, 217. — Influence du maz-
déisme : empyrée d'Ahoura Mazda et royaume ténébreux d'Ahriman, ib. — Porphyre
et les démons, tant bienfaisants, intermédiaires entre les dieux et les hommes, que mal-
faisants, dévas, àvTÎOeoi, maîtres et auxiliaires des sorciers, 217-218, —- Opposition entre
le Ciel et TEnfer, 218.
IL — Les supplices de l'Enfer 219
Influence du mazdéisme prolongée par le manichéisme jusqu'aux Pauliciens et aux
Cathares, 219- — Transformation, par l'eschatologie mazdéenne, de la croyance grec-
que aux tourments des damnés, ib. — Les Gréco-romains et le code pénal d'outre-
tombe, 219-220. — LeVI« livre de V Enéide, et ses sources, 220. — Horreurs de l'Hadès
populaire : l'Eurynomos de Polygnote, ib. — Plutarque, 220-221. — Les catabases et
les Mystères de Bacchus, 221. — Silius Italiens, ib. — Plutarque, De la vengeance tar-
dive des dieux, ib. — Lucien, Vera historia, 222. — Livre des Morts égyptien, ib. —
Code d'Hammourabi, ib. — Artâ-Virâf-Namak mazdéen, ib. — L'Enfer étrusque, pro-
bablement venu d'Asie mineure, ib. ; — tout cela venant aboutir au syncrétisme alexan-
drin, ib. — Apocalyptique juive, 223. — Apocryphes chrétiens : V Apocalypse de Pierre,
et ses supplices, ib.; — L'Apocalypse de Paul, 224. — Les peintures de Saint-Etienne
le Rond à Rome, ib. — Dante et la Divine Comédie, ib.
Le supplice du feu en Grèce, torches des Erynnies et Pyriphlégéton, ib. — Feu
à la fois purificateur et vengeur, 225. — L'idée du feu central, noyau de la terre, où
les Pythagoriciens placent le Tartare, ib. — Eschatologie mazdéenne s fleuve de métaux
fondus, ib., — d'abord destiné à séparer les bons des mauvais, puis à purifier les
mauvais en vue de la rénovation du monde, ib. — Doctrine répandue par les Maguséens,
ib.; — rejoint Vecpyrosis stoïcienne, et son feu raisonnable, Tcùp vospov, 225-226. — Ins-
cription votive d'Antiochus de Commagène, 226. — Supplice du Stéganome impie, ib-
— Le feu infernal chez Philomène de Gadara, ib. — Apocalypse d'Hénoch et Apoca-
lypse d'Elie, ib. — Oracles sibyllins, 227, Lucien, Vera his.'oria, ib, — Pyriphlégéton
TABLE DES MATIERES Si 5
transporté des Enfers souterrains à la zone des astres, ib. — Persistance du Tartare
glacé, ib. — Le feu de l'Enfer brûle sans éclairer, ib.
Evangiles et Apocalypse : la géhenne du feu, 227-228. — Lactance et le fleuve de
feu mazdéen, 228. — Les démons, qui chez Platon étaient messagers entre le ciel et la
terre, et psychopompes, deviennent méchants et vengeurs, ib. — Xénocrate et Chrysippe,
ib. — Influence mazdéenne : Yazatas et Dévas, 228-229. — La nuit envahie par des
hordes dfe dévas, que le chant du coq met en fuite à l'aurore, 230 (JVC XV, p. ^oç et
46^). — Prudence, Burchard de Worms, Shakespeare, ib. — Les àvysXc. perso-syriens,
ib. — Distinction entre anges et démons due à l'influence mazdéenne, 231. — Oracles
chaldàiques et philosophie néoplatonicienne, ib.
Le séjour des Elus étant transféré au Ciel, Pluton, devenu Esprit du mal, à l'exem-
ple d'Ahriman, ne règne plus que sur les réprouvés, 232 (A'C. XXXV, p. 445)- —
Devient l'ennemi de Jupiter, ib. — Sénèque et Staoe, ib. — Les Enfers, royaume de
Satan, 233. — Transformation des Catabases, de la légende d'Hercule aux tragédies
de Sénèque, ib. — Ces idées, favorisées par les Mystères, proviennent des mytlaes de
Babylone interprétés d'après le dualisme mazdéen, 233-234.
La Descente du Christ aux Enfers, 234, — duel de la Vie et de la Mort j triom-
phe de la Vie, ib.
Chapitre V
LES MYSTERES 235
I. — Les cultes grecs ib.
Les anciens cultes gréco-romains étaient destinés à assurer en ce monde la pros-
périté de l'Etat, 235. — Les mystères promettent à leurs initiés, grâce à une révéla-
tion divine, la félicité dans l'au-delà, 236. — Tradition prétendue ancienne, mais pro-
gressivement réinterprétée et adaptée, ib. — Stabilité des rites, ib. — Epoptes, ib. —
Interprétation allégorique, ib.
Fonds commun des Mystères : bonheur d'outre- tombe, ib. — Discipline du secret,
236-237. — "kpô; Aoyoç, 237. — to optiasva, ib. — «Science par souffrance », ib. —
ïà XîYÔ|J.eva, ib. — Ta o-ûu.b'oÀa, ib. — Banquet Sacré, 337-238. — L'étranger, d'ennemi
devenant commensal, 238. — Les joies de l'Hadès renouvellent les délices de l'initiation,
ib. — Antiquité des mystères : Zeus en Crète, Hécate à Egine, Déméter, 238-239. —
Les Cabires, 239.
Eleusis. — Prestige des Eleusinies : Cicéron, empereurs initiés, ib. — Respect inviolé
du secret, 240. — 'AyaG'/i sÀttÎç ib. (NC. IX, p. 401), — réstiltant d'une cathartique acces-
sible à tous, même aux esclaves, sans condition de moralité, à la seule exclusion des
assassins et des barbares, ib. — .Promesse d'une vie de délices aux Champs-Elysées,
royaume souterrain, ib.^ — puis aux Iles des bienheureux, qui sont le Soleil et la
Lune, ib. — Encore chaque philosophe en garde-t-il sa propre interprétation : Marc-
Aurèle, Epictète, Plotiniens, Jxilien l'Apostat, 242-243. — Le culte d'Eleusis n'a jamais
essaimé, 243.
Orphisme. — Doctrine livresque, vaste littérature incessamment renouvelée, 243-
244 (JVC. X, p. 405). — Théologie cohérente fondée sur un péché originel ; crime des
5i6 TABLE DES MATIERES
Titans contre Zagreus, 244-245. — Pessimisme contrastant avec l'optimisme életisinien,
245. — Nécessité d'être lavé de la souillure héréditaire pour passer de la pseudo-vie
de ce monde à la véritable vie, ib. — Jugement de l'âme et rétribution, ib. — Tour-
ments des réprouvés minutieusement décrits, 245-246. — Mais ni les châtiments, ni la
félicité de l'au-delà {NC. XI, -p. 406) ne sont éternels, 246. — Réincarnations succes-
sives dans des corps d'homme ou d'animaux, ib. — jusqu'à l'achèvement de la justi-
fication, ih.
Certains érudits ont vu l'Orphisme partout : IV^ Egl. de Virgile, Apocalypse de
Pierre, « Villa des Mystères » à Pompéi, basilique de la Porta Maggiore à Rome, 246-
247. — Or il n'y avait plus, sous l'Empire, de communauté orphique, 247. — Le recueil
des hymnes de ce nom, nettement empreint de stoïcisme, ne conserve presque aucune
trace de l'ancienne doctrine, ib. — La littérature dite orphique se renouvelle et se
développe,' 247-248. — Orphisme et Pythagorisme, 248. — Affinités des deux doc-
trines, ib. — Lamelles d'or dites orphiques, ib. (NC. XI, p. 406). — Mithra identifié
à Phanès, 249. — Orphisme et Mystères de Dionysos, ib. — GEuf cosmique des Orphi-
ques, ib. — Le festin éternel, 250.
Bacchus. — Immense diffusion des Mystères de Bacchus, 250. — Témoin les
sculptures et peintures funéraires, ib. — Venus de Thrace et de Phrygie, ils introdui-
sent en Grèce leurs transports extatiques, 250-251. — Omophagie, 251 ; — peut-être
survivance d'anciens sacrifices humains, ib. — Culte du phallus, ib. — à la fois symbole
de la fécondation des champs et promesse d'immortalité, ib. — Edit de Ptolémée IV
Philopator pour le contrôle des dionysies, 252 {NC. XXV, p. 423). — Survivance d'ob-
servances aberrantes secrètes, ib. — Culte venu de Tarente à Rome, 253. — Interdit
par le Sénat, ib. — Jupiter Sabazius, ib. — Culte réintroduit à Rome par César, 254,
— assagi tant à Rome qu'à Athènes sous les Antonins, ib.
Le transport physique initial, poussé jusqu'au paroxysme et à l'extase, identifié à
une vie surhumaine et divine, 254-255. — A ces violences succède l'ivresse du repas
sacré, 255, — qui devient pour qui est marqué du sceau sacré {NC. XXV, p. 442) le
symbole du bonheur éternel, 255-256. — Les fidèles de Sabazius et le paradis de Vibia,
256-257. — Erotisme, 257-258. — Le banquet de l'au-delà transporté de l'Hadès au
ciel : Pythagoriciens et Platon (mythe du Phèdre), 258 — d"©!! il passe, en se spiritua-
lisant, chez les derniers Néoplatoniciens, ib. — On le retrouvera dans le christianisme, ib.
II. — Les cultes orientaux 259
Cybèle et Attis au Palatin ; culte de ta pierre noire ; La Magna Mater, 259. —
Isis et Sérapis, ib. — Atargatis, Adonis Tammouz, Baal, Bel, Malachbèl, Dusarès, ib.
— Mazdéisme hellénisé des Mystères de Mithra, 260. — Hellénisation de tous ces cul-
tes : la langue en est le grec, ib. — Constitués en Mystères, probablemient sous l'in-
fluence d'Eleusis, ib. {NC. XII, p. 407). — Leur universalisme, 261. — Attis, ib. —
Le pin, symbole d'immortalité ; mort et résurrection, ib. — Isis et Osiris ; l'Osiris
végétant, preuve de l'origine agraire de ce culte, 262- — Adonis ou Tammouz, «esprit
du blé » ; jardins d'Adonis, ib. — Dans tous les cultes la résurrection du dieu garan-
tissait celle du fidèle, 262-263 {NC. IX, p. 404). — Mais la notion de la vie d'outre-
tombe a varié, 263 ; — primitivement Cybèle reçoit les morts d^ns son §ein, ib. ; ~~
TABLE DES MATIERES 5i7
union mystique avec la déesse, grâce au repas sacré, 264 ; — là-dessUs se greffent des
éléments iraniens apportés par les Mages : montée des morts au ciel, Attis divinité
solaire, ib. — Culte fiméraire chez les Egyptiens, îb. — Isis, dispensatrice des biens
de la terre, 265 {NC XII, -p. ^07) ; — Initiation de Lucius dans les Métamorphoses
d'Apulée, ibid. — Le myste descend dans l'Hadès et remonte au ciel après avoir été
purifié par les éléments, ib. (A'C. XXF, -p. 422). — Lucius déifié par la vue de la
divinité, 266. — Images des dieux en Egypte, leur vie, ib. (NC. XXXI, p. 436). —
Vision béatifique, ib. (NC. XXIX, p. 433).
Isis, Osiris, Sérapis, dieux chthoniens, 267, — puis siégeant au-delà de la terre, dans
l'Invisible, ib. — Syncrétisme Osiris (ou Sérapis) ^ Dionysos -, banquet sacré où la soif
s'étanche, 268, — prélude du refrigerium, festin céleste que le dieu, devenu cosmique,
offre à ses élus, 268-269. — Corpus Herineticum, amalgame confus de doctrines hété-
rogènes, mais animé de ferveur religieuse : salut par la gnose, ib. — Les parfaits
(xéÀs'.oi, religiosi), affranchis du destin, traversent les éléments en se dépouillant de
leurs passions pour atteindre les sphères étoilées, 270.
Voyage des âmes dans l'atmosphère selon le mazdéisme, avec l'aide des dieux
contre les démons, 270 ; — chute des réprouvés vers Ahriman; ascension des justes vers
l'Empyrée, îb. — Résurrection des morts et jugement, îb. — Irano-chaldaïsme des
Mages ou Maguséens, 271. — Influence hellénique, îb. — Mithra, dieu sauveur assi-
milé au Soleil, ib. — Influence romaine, religion de soldats, ib. — Spelaea mithriaques :
à Rome, à Ostie, dans tout l'Empire, ib. — Mithraïsme, forme romaine du Mazdéisme,
272. — Repas sacré, gage de l'immortalité céleste, ib. — Echelle mithriaque aux sept
portes, ib. — Religion de la Commagèné, Jupiter Dolichenus, 272-273. — Les Mys-
tères syriens soumis à l'influence de Babylone, 273 (NC. XII, p. 4oy). — Immortalité
astrale, ib. — Les Oracles chaldàiques, 273-274, — bible des derniers théurges platoni-
ciens, 274- — Similitude de toutes ces idées avec celles du pythagorisme, qui les tenait
des Maguséens, ib.
Chapitre VI
SURVIVANCES MYTHOLOGIQUES 275
Le Voyage vers l'au-delà ib.
Persistance des idées anciennes, 275. — Le Soleil, son pouvoir d'attraction et de
répulsion, 276. — L'âme, souffle igné ib. (NC. XX, p. ,^15 et 465). — Voyage des morts,
ib. — Livre des Morts égyptien, ib. — Lamelles orphico-pythagoriciennes, 277 (NC.
XI, p. 406). — Libri Acheruntici des Etrusques, îb. — Voyage à pied, à cheval ou en
voiture, 277-278. — Le Charon étrusque et son maillet, 278.
Les deux routes de la vie, îb. — Hercule au carrefour, ib. — Y pythagoricien, ib.
— route de l'Hadès, 279. — VP livre de V Enéide, ib. — Le voyage dans les airs,
280. — la Voie lactée, ib. — Héraclide Pontique, ib. — Paulin de Noie, Sénèque, 281.
— Didachè et Epitre de Barnabe, ib.
Echelle pour atteindre le ciel, 282. — Echelle mithriaque, ib: — Philon et Origène,
Actes de Ste Perpétue, ib. — Jean Climaque, 283.
Barque, en Babylonie et çn Egypte, ib. -r- chez les Manichéens, 284. — En Grèce,
5i8 TABLE DES MATIERES
ib. — Barque du salut à travers l'atmosphère, ib. — Sarcophage d'Ostie, 285. — Che^
les chrétiens, 286. — Hippocampes et dauphins, ib.
Cheval chez les Etrusques, ib. — Sa relation avec les morts chez les Aryens, 287
(A'C XXI, -p. 415 et II -p. 3Ç1). — Immolation de chevaux, ib. — Cheval ailé pour
gagner le Soleil, 288. — • Pégase sans cavalier, symbole d'immortalité, ib. {NC. XXI,
p. 415)' — Griffon, 289.
Char, chez Virgile, 289, — pour aller vers Pluton, ib. ; — chez les Etrusques, 2905
— chars marqués d'emblèmes dionysiaques, ib. — Tirés par des chevaux ailés, ib., —
pour enlever le mort vers le ciel, 291 ; — guidés par Phosphoros, ib. — Char iden-
tifié au quadrige d'Hélios, ib. — Elie et les chevaux de Shamash, 292. — Mithra
emporté par le Soleil, ib. — Empereurs divinisés par l'entremise du Soleil, ib. — Julien
l'Apostat, ib. — Rayons du Soleil, o'^rîuaxa, 293 (A'C XXVII, p. 42c). — Sol me
rapuit, ib.
Oiseau, forme de l'âme, ib. — Harpyes et Sirènes, ib. — Aigle en Syrie sur les
tombeaux, 293-294. — Ailes données par les sorciers, 294. — Aigle, image de l'âme de
Platon, ib. — Ame portée par un oiseau, ib. — Aigle, oiseau du Soleil, ib. — Les
oiseaux blancs d'Alexandre, 295. — Aigle d'Homère, 295-296. — Aigle des empe-
reurs, 296, — et des morts héroïsés, ib. ; — guidé par Phosphoros, ib. — Bige attelé de
colombes, ib. — Le quadrige et les aigles, diptyque du British Muséum, 296-297. —
Sarcophage de la Villa Doria-Pamphili, stèle d'Albano, 297. — Ivoire du British
Muséum, Les Vents et leurs tourbillons, ïb. — Héros enlevés corps et âme, Antinous,
Apollonius de Tyane, 298.
Air peuplé de démons bienfaisants ou maléfiques, 298-299, — croyance mazdéenne,
299. — Combat des dévas et des yazatas, ib.^ — s'apaise dans la sphère de la Lune,
où le mort trouve le repos, ib. — Sphères planétaires percées de portes, ib., — où
veiUent un "Apy wv et un 'tlùtvr^q, 299-300. — Mots de passe pour les franchir, 300, —
formules, tatouages {i-iyi).'j.xa), sceaux ( o-cppayioeç), onctions, ib. (NC. XXV, p. 423).
— Pseudo-liturgie mithriaque, ib. — Démon psychopompe, ib. — Mythe du Phédon,
ib. — Marin mort à Marseille, 301. — Hermès psychopompe, âme-étoile, ib. [NC.
XXVII, p. 430). — Hélios anagogue, ib. — Espoir d'un sort meiUeur, ib. {NC. IX,
p. 401). — L'élu jouit du spectacle de l'univers, 302, — ou de la contemplation de
Dieu, Vision béatifique, ib. — Mais l'idée du banquet persiste, ébriété, érotisme, ib.
— Le paradis, pairi daeza des Perses, ib.
Chapitre VII
L'ASTROLOGIE ET LES MORTS PREMATUREES 303
I. — Doctrines astrologiques et opérations magiques . ib.
L'astrologie et son déterminisme, 303. — Apotélesmatique stoïcienne, 304. — Fata-
lité incompatible avec la morale, ib. {NC. XXII, p. 417). — L'astrologie ne prétend
régner que sur la vie présente, ib. — L'extase en ce monde suffit, 305, — Mais la
croyance s'est maintenue d'une malédiction qui résulte d'une mort prématurée, ib.
Le VP livre de V Enéide : insepulti, ib.; — ahores, 306; — biothanates, ib. —
TABLE DES MATIERES 519
Grands réprouvés, ib. — Champs-Elysées, ib. — Ames appelées à revenir en ce monde,
ib. — Virgile et Tertullien, 307. — Ahori, rites particuliers pour leur inhumation, 308
{NC. I, p. 388). — Le Fatum veut leur souffrance, quelle que soit leur innocence, 308.
— Cette doctrine est le fruit de l'astrologie orientale, 308-309. — Source babylonienne,
309-310. — Les astrologues grecs, la Vétrabible de Ptolémée, 310. — Critodème et son
"Opacriç, 311. — Platon et le mythe d'Er l'Arménien, 312.
Mort normale et mort accidentelle, 313. — Pythagorisme : l'enfant ne naît pas
viable au 8« mois de la gestation, ib. {NC. XIX, p. 41 4) ■ — Il ne doit pas mourir
avant son heure venue, 314. — D'où la calamité des morts violentes, ib. — Sort
pitoyable des ahori, 315 ; — souvenir peut-être des sacrifices de nouveaux-nés dans le
monde sémitique, 315-316 ; — victimes devenues maléfiques, ïb., — comme celles de la
sorcellerie, ib. — Les xuvôSotoTOi., ib. — Le fantôme de Gello, 317. — Ahores aux mains
supines, ib. — Frazer : précautions pour se prémunir contre l'action des biothanates,
317-318. — Platon, Tertullien, ib. — Suétone : maison hantée, 319. — Horace ; Sué-
tone sur Néron, ib. — Lémures, ombres errantes, ib. — Defixionum tabellae de Chypre,
319-320. — Evocations faites par Ostanès et Nectabis, 320. — Violations de sépulture et
meurtres commis par les nécromants, ib.
ÎI. — La réaction morale , 321
Réaction contre le fatalisme astrologique, 321 {NC. XXll, -p. ^ij et 465). — Ter-
tullien, ib. — Les Pythagoriciens fixent à seize ans l'âge de raison ; d'autres à sept, ib. —
D'oià l'idée nouvelle que les Ahores sont plus aisément sauvés que les adultes : Sénèque, Plu-
tarque, 321-322. — Repos inconscient, 322 ^— ou félicité, ib. — Orphisme : meurtre de
Zagreus par les Titans, péché héréditaire, ib. ; — remis par l'initiation dès l'enfance
aux Mystères d'Eleusis, 322-323, — et autres cultes secrets, 323. — Oblats consacrés dès
leur naissance, ib. — S'ils meurent jeunes, ils vont dans les astres, ib. — Bas-relief du
musée de Copenhague, ib. — Ivresse bachique dans l'au-delà, ib. — La sagesse, source
de béatitude, 324, — même pour les enfants, ib. — Pline le Jeune à Fundanus, ib, —
Champs-Elysées célestes et char attelé de colombes, ib.
Folklore celtique, les fées, 325. — Nu[ji(f)6}>Y)TCT0i, ib. — Le mythe d'Hylas, ib. —
Isidora, 326. — Tourbillons ravisseurs d'enfants, ib. — Ahores érigés en puissances
tutélaires de leur famille, 326-327. — Romulus, fils de Maxence, 327, — croyance
adoptée par le christianisme, ib., — sauf en ce qui concerne les enfants morts sans
baptême, 327-328 {NC. XX XII, p. 443). — Apocalypse de Pierre, 328.
Biothanates, 328-329. — < Foudroyés, 329. — Libri fulgurales, ib. — Foudroyé ense-
veli sur place, 329-330 {NC. 1, p. 38y). — Apothéose des foudroyés, Asklépios, Héra-
klès, Sémélé, 330. — Lamelles d'or de Thurium, 331. — Romulus, Tullus Hostilius,
Zoroastire, emportés par la foudre, ib. — Survivance de cette croyance au Caucase, ib.
— Guerriers morts en combattant, dangereux biothanates, 332; — héroïsés pourtant
chez les Grecs comme en Scandinavie, ib. — Nécropole du Céramique et fête des Bpl-
taphia, 333. — Inscription pour les morts devant Potidée ; oraison funèbre des morts
devant Samos ; victimes de la guerre lamiaque, ib. — Platon, Virgile, ib. — Les Stoï-
ciens, ïb. — Orient hellénistique, Juifs, Islam, Chrétiens, 334 {NC. XXXIV, p. 445)-
Les suicidés, esprits malfaisants, ib. — A Athènes main du suicidé enterrée à part,
s 20 TABLE DES MATIERES
335 (NC. XXXIII, -p. 444). — Lois de Platon, ib. — Pendus à Rome, oscilla, ib. —
Corde de pendu, ib. — Les Mânes repoussent le suicidé, 336. — Suicide interdit par
les Orphiques, les Pythagoriciens, Platon, ib. ; — autorisé par les Cyniques et les Stoï-
ciens j Caton' d'Utique, 336-337. — Cléopâtre, 337. — Plotin d'abord favorable, se
prononce ensuite contre lui, ib. \ — suivi par Porphyre, ib. — en conformité du plato-
nisme, 337-338. — Macrobe, 338.
Condamnés à mort, 339. — Lucien dans Philopseudès, ib. — Horreur inspirée par
les martyrs chrétiens, par le Christ, en tant que crucifié, ib. — Répulsion pour le
signe de la croix, ib. — Honneurs funèbres refusés aux suicidés et suppliciés, 340
{NC. XXXIII, -p. 444). — Coutume adoptée par l'Eglise, ib.
Survivance des anciennes idées chez les Grecs d'aujourd'hui : les Vrykolakes,^/^!.
— En Orient les biothanates deviennent des djinns, ib. — Les Juifs et le Dibbouk, ib.
(NC. XVI, -p-p. 412 et 465). — Les traîtres chez Dante, 341-342.
Chapitre VH!
LE NEOPLATONISME 343
I. — Plotin ib.
Les Orientaux se croient détenteurs de la plus antique sagesse, 343. — Ils impo-
sent cette idée, avec leurs cultes, au monde gréco-romain, 343-344. — Influence de leur
théologie sur le Néoplatonisme, 344. — Numénius d'Apamée, ib., . — utilisé par Plotin
et Porphyre, ib., — tenait Platon pour disciple de Pythagore, disciple lui-même des
Barbares, ib., — et le rattachait aux mystères des Brahmanes, Juifs, Mages et Egyp-
tiens, ib. — Numénius est dualiste, ib. — Descente et remontée des âmes, ib. — Diverses
influences qu'elles reçoivent des planètes, ib. — Après la sentence des juges infernaux,
les justes vont former la Voie Lactée, 345 ; — les coupables sont punis dans les zones
planétaires, siège du Tartare, ib.
Plotin paraît s'être inspiré de la philosophie hindoue, ib. {NC. XVII, p. 412). —
Relations entre l'Inde et la Méditerranée, ib. {NC XXllI, p. 418). — Deux idées ploti-
niennes dans les Upanishads, 346. — Le plotinisme se substitue aux autres systèmes, ib.,
— et met sa marque sur la théologie chrétienne, ib. — Son importance capitale, ib.
{NN. ce. XXIV, p. 4IÇ ; XXVIII, p. 431 ; XXIX, p. 433).
Les trois hypostases plotiniennes, 347. — L'Un, ou Bien, Premier Principe, ib., —
transcende la Pensée, la Vie, et même l'Etre, ib. — Ineffable^ inconnaissable, on ne
l'approche que par l'extase, ib. {NC. XXIV, p. 41g). — De lui émane l'Intellect, ib.,
— archétype de l'ensemble des Idées et des Etres, 348. — qui se contemple lui-même,
ib. — L'Intellect à son tour engendre l'Ame universelle, qui dirige l'univers, et contient
la variété des âmes individuelles, 348-349. — La Matière, non-être absolu, cause du
mal et du désordre, 349. — L'homme est tout ensemble Intellect, Ame, et Corps, ib.
Les Ennéades, 349-350, — recueil de leçons, ne sont pas un exposé systématique du
plotinisme, ib. — Plotin rejette l'idée traditionnelle de la matérialité de l'âme, 350 ;
-^ et place celle-ci hors de l'espace, ib. — Mais il ne rejette pas complètement l'im-
mortalité astrale, 351. — En faveur de l'immortalité U invoque l'universalité du culte
TABLE DES MATIERES 521
des morts, îb. — Eternité, séjour primitif des âmes, ib., — hors du monde sensible, 352.
— Variations de Platon sur les causes de l'incorporation, ib. — Selon Plotin la descente
des âmes, nécessaire à l'harmonie du cosmos, ib. — et par suite, leur incorporation chez
un homme ou un animal, ib. — Mais celle-ci se fait par libre décision de l'âme, 353.
— Les âmes courent ainsi le danger de s'emprisonner dans la matière, ib., — de s'éloi-
gner de Dieu, ib., — de mériter un châtiment, ib., — qui entraîne une nouvelle incor-
poration dans un animal ou même une plante, 354. — Idée pythagoricienne chez Plotin
de la dualité de l'âme, et la projection de Veidôlon sur la matière, peut-être sous une
influence hindoue, ib. {NC. XVII, p. 412). — Proclus, ib.
Corps igné ou aérien, 355. — Vêtements de l'âme, ib. (NC. XXVII, p. 42c). —
Corps initialement sphérique, ib. — La descente de l'âme n'est pas un déplacement
dans l'espace, mais une transformation psychique, îb. — L'âme peut aussi « fuir vers
le haut », en suivant l'Intellect, 356, — en se purifiant pour devenir sensible au Beau,
ib., — et capable de contempler le Souverain Bien, 357 (JVC. XXV, p. 422). — Il ne
faut pas provoquer l'extase, mais l'attendre discrètement, ib. — Le repos passager,
qu'elle donne, 358. — La remontée des âmes, chacune vers l'astre qui lui convient, j&,
— Mais les âmes supérieures, se dépouillant des vêtements dont elles s'étaient envelop-
pées dans la descente, îb., — montent vers Dieu pour le contempler, ib., — et s'unir
à lui, ou plutôt se fondre en lui, 359. — Dernière parole de Plotin, ib. — Son mys-
ticisme, ib. — Sa connaissance des Mystères, ib. — La Vision béatifique, 360. — Epi-
phanie et autopsie, ib., — mais sans intervention d'un prêtre, ni d'un dieu psychopompe,
ib. — Rejet de tout cérémonial rituel, ib. — Philosophie tout intellectualiste, imbue
de rationalisme grec, ib. — Plotin ne cherche pas les dieux : il attend leur visite, ib.
IL — De Porphyre à la déchéance du "Paganisme 361
Alliance de plus en plus étroite du plotinisme avec la religion et la magie, 361.
— Les Oracles chaldàiques, ib., — commentés par JuUen le Théurge, ib., — semblent
provenir du milieu irano-chaldéen, ib. — Magie et théurgie, 362. — Vision obtenue par
le théurge et conversation «seul à seul», ib. — Porphyre et Jamblique, commentateurs
des Oracles chalddiqwes, 363. — Amalgame d'éléments pythagoriciens, platoniciens et
chaldéens, ib. — Noù? ■naTotxôç enveloppé de silence, ib. — Dieux àt^tovot, et dieux
ÇwvaTo!., ib, — Anges, héros, démons, ib., — csûo-iç, 364. — Descente de l'âme vers la
matière qui lausoutUe, ib., — jusqu'à la transmigration en des animaux, ib., — les
théurges pouvant seuls se soustraire à la fatalité, ib. — Remontée de l'âme, îb., — sur
le véhicule des Vents, ib., — et grâce aux éléments célestes dont elle s'est revêtue dans
sa descente, ib. (NC. XXVII, p. 42c). — Attraction par le Soleil, ib. — Anges et
démons psychopompes, ib. — SûvOyipa, ib. — Dépouillée de ses enveloppes matérielles,
elle est accueillie dans le sein du Novç Trarpixô; ib., — tandis que les réprouvés sont
livrés aux démons du Tartare, ib. — A des éléments du paganisme oriental se mêlent
des conceptions plotiniennes, venues de Porphyre, 365.
Plotin et Porphyre, ib. — Immense érudition de celui-ci, ib. — Il clarifie et vul-
garise le système de son maître, 366. — Son esprit sacerdotal et ascétique, ib. — Sa
dévotion, très superstitieuse à l'origine, se tourne en spiritualité, ib. — L'âme ne peut
s'élever que par l'ascétisme, 367, — qui la mène à la Vision béatifique, ib, — Les
522 TABLE DES MATIERES
vêtements dont elle s'était enveloppée dans sa descente, ib., — l'ont alourdie et souillée,
,368. — Les pratiques théurgiques l'aident à se relever, îb., — grâce à un démon ami, îb.,
— mais non jusqu'à l'Etre suprême, ib. — Elle devra se réincorporer, mais seulement
dans un corps humain, îb. — Seule l'élite des tliéurges obtient la rédemption définitive,
ib. — Porphyre rend ainsi le plotinisme accessible aux masses, et par là en assure la
diffusion, l'autorité et peut-être la survivance, 369.
Hadès compris à la façon plotinienne, ib. — Les démons, 370. — Influence maz-
déenne, Ahriman et ses séïdes, auteurs du mal sur la terre et bourreaux des âmes dans
l'Hadès, ib. — Le livre Sur le Styx, ib. — Interprétation des poèmes homériques, ib,
— Le pythagoricien Kronios, ib. ■ — Insepulti et impies tourmentés par leur imagina-
tion, 371 (A/C. XXVI, -p. 428). — Les justes apaisés retrouvent la mémoire 1 grâce au
sang des victimes, 371, — et peuvent revenir sur terre pour y annoncer l'avenir, ib.
— Le Tartare affecté à la punition des dieux coupables, ib. — Porphyre mêle ainsi à
l'idéalisme de Plotin des superstitions populaires, ib.
Jamblique, disciple de Porphyre, 372. — L'école d'Apamée, 2Ô. — La dévotion syrienne,
ib. — Doura-Europos, ib. — Primat de la théurgie, 373 . — Jamblique est un hiérophante, îb. —
capable de lévitation, ib., — nouvel Esculape, ib. — Le théurge agit par des cérémonies occul-
tas, 373-374, — qui provoquent à volonté l'extase, 374. — Apparition du dieu avec son
cortège, qu'il faut aussi honorer, ib. — Théurgie, antithèse de la magie, ib. ; — n'est
efficace que pratiquée par des hommes vertueux, 374-375, — soustraits par leur piété
aux démons trompeurs, 375. — Pour atteindre la sainteté, il faut obtenir, par la prière
et des rites, l'aide des puissances supérieures, ib. — La descente des âmes et leur
remontée est déterminée par la Nécessité, 376. — Métempsycose d'homme à homme,
jamais d'homme à animal, ib. — Le séjour dans l'Hadès est transitoire, ib. — Celui-ci
est réellement la prison souterraine des coupables, ib., — mais à temps, 377. — Ascen-
sion de l'âme, ib. — Cinq classes de vertus (contre quatre chez Porphyre), ib. — Pas
de pureté sans une aide divine qui soustraie l'homme à la Fatalité, ib. — Controverses
entre Néoplatoniciens, 378. I ! '
Influence de Jamblique sur Julien l'Apostat, ib. — Tempérament mystique du prince,
379, — attiré par la splendeur du Soleil, ib. — Initié par Maxime à Ephèse, ib. —
Sa lettre à Priscus sur Jamblique et les Oracles chalddiques, ib. — Libanius, ib. — La
théologie solaire, 379-380. — Rayons du Soleil, véhicules des âmes pour leur descente
et leur remontée, ib. — Julien uni à Hélios, ib. — Mithra psychopompe, ib.
Echec de Julien, et déchéance du paganisme, ib. — Utilisation du plotinisme par les
Pères cappadociens, ib. — Revenue à Athènes, l'école néoplatonicienne subit l'influence
d'Aristote, 381. ~ Proclus, ib. — Son effort de synthèse, ib. — Impuissante en face
du christianisme, îb.
Platonisme mal connu à Rome, ib. — La connaissance du grec y décroît, ib, — On
y lit encore Plotin et Porphyre, non leurs successeurs, ib. — L'ignorance du grec se
généralise ; S. Augustin l'apprend tard et médiocrement, ib. — Proclus traduit au
xiii^ siècle, 382. — Boèce a cependant connu les derniers Néoplatoniciens, ib. — et
ceux-ci ont eu par lui une certaine action sur la théologie médiévale, ib.
Ecole néoplatonicienne d'Occident, 383. — S. Augustin, organe du néoplatonisme
christianisé, îb. {NC. XVIII, p. 413)- — Comprend plus tard que cette doctrine n'est
TABLE DBS MATIERES 5^3
pas conciliable avec la foi chrétienne, ih. {NN. CC. XXlV, f. 41g ; XXVI 11, -p. 431 ;
XXIX, p. 433)- — Antinomie fondamentale sur des points essentiels, 384. — Mais l'in-
fluence de Plotin sur la théologie chrétienne n'en est pas moins considérable, ib. — Les
derniers néoplatoniciens ont pénétré dans l'Eglise non seulement par Boèce, mais par les
Pères grecs, et surtout par le ps.-Denys, ib.^ — qui agit encore sur maître Eckhart, îb.
Persistance du culte des morts et de coutumes antérieures à la division des Aryens,
385. -^ A la vie dans la tombe ou dans l'Hadès souterrain s'oppose l'immortalité
céleste, ib. (NC. XXXV, f. 445). L'extase de Plotin transporte l'âme au-delà des dieux
visibles du firmament pour la fondre dans l'Unité divine, ib. — Contemplation de l'Etre
suprême, Vision béatifique de la splendeur de Dieu, tel est l'héritage de Plotin, 386 (NC.
XXVIII, p. 431 et XXIX, p. 433).
NOTES COMPLÉMENTAIRES
I. — Inhumation et incinération (ch. I, p. 15) 387
IL — Funérailles chez les Indo-Euifcipéens (ch. I, p. 19). 391
XXXl. — Anîmae conditio, 'iSpucru; et sekinah {ch. I, f. 22) 436
XXXV. — Immoftalité et résurrection {ch. I, p. 24) 445
XIX. — Formation du foetus en quarante jours {ch. I, p. 36) 414
IIL — La réception des morts par les Mânes (ch. I, p, 58) 392
IV. — Descentes aux Enfers (ch. I, p. 64) 395
V. — Les Lemuria (ch. I, p. 82) 396
XXX. — Parentalia chez les chrétiens {ch. l, f. 83) 435
VI. — Vie humaine et gestation chez Sénèque (ch. III, p. 170). . . . .399
VIL — : Immortalité lunaire et solaire (ch. III, p. 178) îbid'.
VIII. — L'Empyrée (ch. III, p. 187) 400
XUl. — Distinction entre l'âme et l'ombre {ch. IV, f. 191) 408
XIV. — Le Samsara hindou et la Métempsycose {ch. IV, p. 197) ib.
XV. — Le coq et les défnons {ch. IV, p. 230) 409
XXXV. — Immortalité et Résurrection {ch. IV, p. 232) 445
IX. — 'AYa97'( ÈAtîU (ch. V, p. 240) 401
X. — Conventicules orphiques (ch. V, p. 240). 403
XL — Lamelles orphiques ou pythagoriciennes (ch. V, p. 248) 406
XII. — Mystères dans les Religions orientales (ch. V, p. 260) 407
XXV. — Cérémonies du baptême chrétien {ch. V, p. 265) 422
XIII. — Distinction entre l'âme et l'ombre (ch. IV, p. 191) 408
XIV. — Le Samsara hindou et la métempsycose (ch. IV, p. 197) ibid.
XV. — Le coq et les démons (ch. IV, p. 230) 409
XX. — Sommeil et mort {ch. VI, p. 276) ,415
XXI. — Le cheval sans cavalier {ch. VI, p. 288) ib.
XXII. — Destinée librement choisie avant la naissance {ch. VII, p. 321). . . 321
XXXII. — Salut des Ahores baptisés {ch. VII, p. 328) ,443
XXXIV. — Sort des Croisés morts en guerre {ch. VII, p. 334) 445
XXXIII. — Poing coupé et sépulture infâme {ch. VII, p. 335) 444
XVI. — Le Dibbouk (ch. VII, p. 341). 412
XVII. — Plotin et l'Inde (ch. VIII, p. 345) ibid.
524 TABLE DES MATIERES
XXÎU. — Occident et Orient {ch. VIll, p. 345) .418
XXIV. — Connaissance -par non-savoir (ch. VIU,f. 347) 419
XXVll. — Vêtements des âmes {ch. VIII, f. 335) 429
XXVI. — Sur la punition des réprouvés {ch. VIII, p. 371) 428
XVin. — Les Platonici de S. Augustin (ch. VIII, p. 383) 413
XXVIII. — Erôs et Agapè {ch. VIII, p. 386) 431
XXIX. — . Vision héatifique {ch. VIII, p. 386) 433
XIX. — Formation, du foetus en quarante jours (ch. I, p. 36, et VII, p, 313). 414
XX. — Sommeil et Mort (ch. VI, p. 276) 415
XXI. — Le cheval sans cavalier (ch. VI, p. 288) ibid.
XXII. — Destinée librement choisie avant la naissance (ch. VII, p. 321). . 417
XXIII. — Occident et Orient (ch. VIII, p. 345). 418
XXIV. — Connaissance par non-savoir (ch. VIII, p. 347) 419
XXV. — Cérémonies du baptême chrétien (ch. VIII, p. 357) 422
XXVI. — Sur la punition des réprouvés (ch. VIII, p. 371) 428
XXVII. — Vêtements des âmes (ch. VIII, p. 355) 429
XXVIII. — Erôs et Agafè (ch. VIII, p. 386) 431
XXIX. — Vision béatifique (ch. VIII, p. 386) 433
XXX. — Parentalia chez les chrétiens (ch. I, p. 83) 435
XXXI. — Anîinae conditio, "opupi; et sekinah (ch. I, p. 22) 436
XXXII. — Salut des Ahores baptisés (ch. VII, p. 328) 443
XXXIII. — Poing coupé et sépulture infâme (ch. VII, p. 335) 444
XXXIV. — Sort des Croisés morts en guerre (ch. VII, p. 334). • • • • • 445
XXXV. — Immortalité et Résurrection (ch. I, p. 24, IV, p. 232 et VIII, p. 385). 445
TABLE DES PLANCHES ET FIGURES
1 . Sarco-phage de Sitn-pelveld (planche) 25
2. Dioscures, symboles des Hémisphères {sarco-phage dit Musée des Xlhermes). 192
3. Vents, Tritons, Lions {stèle de Walbersdorf) 210
4. Purification bachique par les éléments {verre du Musée des Offices). . . 211
5. Cimetière de Bacchants {inscri-ption de Cumes) 252
6. Introduction de Vibia au banquet des Bienheureux {fresque des catacombes
de Prétextât) 257
7. Barque portant une piorte bienheureuse {stèle de Carnuntum) 285
8. Apothéose d'Homère entre l'Iliade et l'Odyssée {gobelet d'Herculanum) . . 295
9. Stèle d'Albano Laziale (planche) 297
Matha d'Oléron, 31 jiuillet 1948.
Dépôt Légal : 3e trimestre 1949 N° de Série, Imprimeur : 68
Le Puy-en-Velay. — Imprimerie « La Haute-Loire ».
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